Forum sur la technologie, la mémoire et l’histoire
Discours
Guy Berthiaume, Bibliothécaire et archiviste du Canada
Le 14 novembre 2018, 9 h 30
Hôtel Drake, Toronto (Ontario)
Sous réserve de modifications
Bonjour et merci de m’avoir invité à participer à ce forum.
Je tiens d’abord à souligner que nous sommes réunis sur le territoire traditionnel de la Nation huronne-wendat, de la Nation anishinabewaki et de la Confédération haudenosaunee. Nous reconnaissons qu’ils sont les gardiens passés, présents et futurs de ce territoire.
Avant d’aborder le sujet du forum d’aujourd’hui, j’aimerais vous parler brièvement de Bibliothèque et Archives Canada (BAC) et de la préservation de notre histoire et de notre patrimoine communs, ainsi que de l’utilisation des technologies à cette fin.
Il y a quatre ans et demi, au début de mon mandat de bibliothécaire et archiviste du Canada, je me suis engagé à faire de BAC une institution à l’écoute de ses clients et de ses partenaires. En tendant l’oreille – ne serait-ce qu’un peu –, j’ai rapidement compris l’incidence de la technologie sur nos pratiques quotidiennes. J’ai compris les exigences technologiques qui répondent aux exigences sociétales eu égard à la diffusion de notre patrimoine documentaire.
Nous vivons à l’ère du présent et de l’immédiat. Tous s’attendent à ce que le temps de réponse soit instantané et notre capacité d’attention correspond à la durée d’une capsule sonore. Dans un tel monde, il est facile de perdre de vue le passé et d’ignorer l’avenir. Seul le présent semble important, et celui-ci est en constante évolution.
Dès lors, comment pouvons-nous maintenir un continuum passé-présent-futur? Grâce à des institutions de mémoire solides, robustes et fiables. C’est la raison d’être de BAC.
Bon nombre des récentes initiatives de BAC ne se comprennent que si on garde à l’esprit la formidable démocratisation du savoir à laquelle nous avons assisté dans la foulée de l’essor du numérique. À une certaine époque, seuls les étudiants des cycles supérieurs, les professeurs et les chercheurs étaient autorisés à visiter les bibliothèques nationales. Aujourd’hui, grâce au Web, tout le monde – littéralement – a accès à nos collections. Cela a suscité un appétit pour le savoir qu’il est franchement difficile à satisfaire.
Permettez-moi de vous donner quelques exemples de la façon dont nous utilisons la technologie pour répondre aux attentes des Canadiens.
L’année 2017 a été importante pour nous. Elle marquait le 150e anniversaire de la Confédération canadienne et nous avons profité de cette occasion pour faire découvrir la richesse de notre collection à nos usagers, à nos partenaires et au grand public.
L’une de nos nouvelles initiatives est la Stratégie de numérisation du patrimoine documentaire (SNPD), élaborée avec les principales institutions de mémoire du Canada : les bibliothèques publiques, les bibliothèques et les services d’archives universitaires, les services d’archives provinciaux, les associations nationales d’archivistes, de bibliothécaires et d’historiens, et les musées. Il s’agit de coordonner l’approche de numérisation de centaines de collections qui se trouvent dans les institutions de mémoire du Canada.
Il va sans dire qu’un système coopératif comme la SNPD n’a de sens que si ses membres numérisent leurs propres contenus pour alimenter la plateforme. À ce jour, la plus grande initiative de numérisation de BAC portait les dossiers du personnel de la Première Guerre mondiale, des dossiers qui sont une ressource importante pour la recherche généalogique et historique. Il nous aura fallu quatre ans pour réaliser cette tâche colossale : nous avons terminé le travail en juillet 2018, à temps pour le 100e anniversaire de l’armistice. Plus de 620 000 fichiers sont maintenant en ligne, quelque 32 millions d’images.
Évidemment, BAC est toujours à l’affut de nouvelles façons de partager notre histoire et notre patrimoine. En faisant appel à la technologie, nous pouvons avoir une profonde influence tant sur la façon dont notre passé est compris que sur la façon dont notre avenir est conçu.
Dans un tel contexte, il est impératif de se demander ce qui devrait être préservé.
Edd Wilder-James, chercheur chez Google, nous fournit une exemple d’une attitude populaire à l’égard des documents et des données. Je le cite : « Quand vous le pouvez, gardez tout. » (voir référence : What is big data? An introduction to the big data landscape (2012), en anglais seulement)
M. Wilder-James est un spécialiste de l’apprentissage automatique. Il a besoin de mégadonnées, et il lui en faut beaucoup. Toutefois, les mégadonnées ne sont plus le seul apanage des informaticiens – les historiens eux aussi en exigent de plus en plus.
Le défi pour les archivistes vient de ce qu’il n’est pas possible de tout garder. Outre les coûts énormes qu’une telle pratique engendrerait, une politique de « tout garder » menacerait en fait de noyer l’histoire, en empêchant les historiens de l’avenir de se retrouver au sein d’une mer de milliards de documents.
M. Wilder-James pourrait me répondre que nous pouvons compter sur les générations futures pour inventer des logiciels pour trier les mégadonnées et y repérer les éléments les plus pertinents. Dans la pratique, je crois que ce point de vue suppose des ressources dont aucune institution de dispose. Ni BAC, ni les National Archives de Grande-Bretagne, ni la National Archives and Records Administration (NARA) des États-Unis.
Alors, de quelle autre solution disposons-nous? Nous pouvons continuer d’être ouverts aux nouvelles technologies, d’en apprendre davantage sur les nouveaux outils pour découvrir notre passé et d’écouter nos clients et nos partenaires quant à la façon de veiller à ce que notre patrimoine documentaire soit pertinent pour le présent et l’avenir.
C’est pourquoi j’attends avec impatience les discussions d’aujourd’hui.
Merci.
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