Enjeu 12 - Perspectives autochtones : Histoires de fonctionnaires autochtones - Une conversation avec Candice St-Aubin
« Mon expérience personnelle est différente de celle de mes collègues ou des autres cadres autochtones . . . nous devons garder à l’esprit que chaque individu a vécu des expériences différentes, comme n’importe quel Canadien. »
Ce dernier épisode de la baladodiffusion Perspectives autochtones, enregistré en décembre 2018, est une conversation spéciale en tête à tête avec Candice St-Aubin, directrice générale de la Direction des affaires autochtones d'emploi et développement social Canada.
la durée : 31:45 minutes
Transcription
(Extrait sonore : Candice St-Aubin)
« Mon expérience personnelle est différente de celle de mes collègues ou des autres cadres autochtones. Par conséquent, je crois qu’au fur et à mesure que nous nous efforçons collectivement de regrouper ces deux histoires à l’échelle de la fonction publique et même du pays, nous devons garder à l’esprit que chaque individu a vécu des expériences différentes, comme n’importe quel Canadien. »
(Musique : « Hoka » de Boogey The Beat)
Perspectives Autochtones. Récits des employé(e)s Autochtones.
« Tansi. »
Ceci est Perspectives Autochtones, un programme dans le cadre duquel nous comptons explorer les expériences et les points de vue de fonctionnaires autochtones, en plus de découvrir ce que la réconciliation signifie pour eux et ce qu’elle peut représenter pour le Canada.
Dans le cadre de la Journée internationale des peuples autochtones et du dixième anniversaire de la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones, l’honorable Jody Wilson-Raybould a tenu les propos suivants :
« La reconnaissance des droits, et surtout le droit inhérent à l’autonomie gouvernementale et le droit à l’autodétermination, est un principe important à la base de la réconciliation que nous nous sommes engagés à réaliser au Canada. La Déclaration des Nations Unies, de concert avec les Principes régissant la relation du gouvernement du Canada avec les peuples autochtones, servira d’outil fondamental pour favoriser la réconciliation. De nombreux leaders autochtones du Canada ont fait partie des militants qui ont travaillé à la concrétisation de la Déclaration des Nations Unies.
La réconciliation est un chemin, et non une destination. C’est par l’action que l’on déploie des changements, et non par des mots. Nous, le Canada et les peuples autochtones, avons tous beaucoup de travail et nous devrons surmonter de nombreux défis. Alors que les peuples autochtones continuent à reprendre leur destin en main, la fédération canadienne est renforcée. Pour le 150e anniversaire de notre pays, il est temps d’établir nos objectifs pour les 150 années à venir et de définir la place des peuples autochtones dans l’édification d’un Canada encore meilleur. »
Cet épisode comprend un entretien en tête-à-tête avec une fonctionnaire dynamique et enthousiaste dont la passion pour le développement et l’autonomisation est tout aussi inspirante que contagieuse. Joignez-vous à nous!
TODD :
Alors, pourriez-vous vous présenter?
CANDICE :
Je m’appelle Candice St-Aubin et je suis directrice générale de la Direction des affaires autochtones au sein de Direction générale du développement des compétences et de l’emploi d’EDSC.
TODD :
Et depuis combien de temps travaillez-vous dans la fonction publique?
CANDICE :
Je travaille au sein de la fonction publique depuis environ 10 ans. Je pense même que je viens de passer ce cap en novembre dernier.
TODD :
Pourquoi avez-vous choisi d’intégrer le gouvernement après, je crois, une carrière dans le secteur privé?
CANDICE :
En fait, je travaillais dans le secteur des ONG. J’ai fait des études dans le domaine de l’apprentissage et de la garde des jeunes enfants, et je me suis donc consacrée à ce secteur. J’ai passé une petite période de ma vie à enseigner dans un collège local, ici, du côté québécois. J’étudiais la nuit. Je suis ensuite entrée dans le secteur des ONG. J’ai donc beaucoup œuvré à la défense des droits de l’enfant et aux questions relatives à l’enfance. J’ai particulièrement travaillé sur les problèmes des enfants autochtones. J’ai fini par rencontrer des fonctionnaires qui travaillaient dans certains des programmes fédéraux destinés aux services de garde d’enfants autochtones et par m’y faire recruter. Je n’ai jamais cherché à travailler pour le gouvernement fédéral, et je ne pensais vraiment pas que cela puisse m’intéresser. Je pensais même que cela m’ennuierait. J’avais tort.
TODD :
Alors, qu’est-ce que cela signifie d’être une employée autochtone sur le lieu de travail, ou quelles sont d’après vous les réalités des employés autochtones?
CANDICE :
Selon moi, la réponse à cette question ne peut être que personnelle. Toute personne est soumise, comme n’importe quel employé, à sa propre situation et à ses propres réalités, qu’elles soient visibles ou moins visibles. Je ne peux parler que de mon expérience, de ce que j’ai pu vivre, des occasions que j’ai eues et des obstacles auxquels j’ai pu me heurter. Entrer dans la fonction publique au cours de la dernière décennie s’est avéré une expérience intéressante. L’ambiance était très différente à l’époque, comme peuvent en attester de nombreux fonctionnaires, autochtones ou non. Pendant très longtemps, l’accent a peut-être été moins porté sur certains des autres groupes de travailleurs, comme les minorités visibles, les Autochtones et les employés francophones. D’après mon expérience, nous ne divulguions jamais vraiment nos origines. Bien entendu, les populations autochtones sont tellement diverses qu’il n’y a pas de stéréotypes visibles, ou plutôt si, mais nous nous efforçons de les mettre à mal. Alors, fort heureusement pour moi, même si j’ai des cheveux noirs et un teint foncé (pas aussi foncé que certains de mes amis et fonctionnaires provenant des Premières nations), je reste ce que l’on appellerait quelqu’un de la côte est. Vous savez, je suis un peu plus claire. Donc, cela n’a jamais été très voyant, et je ne le divulguais surtout pas publiquement lorsque j’étais en réunion ou autres. J’avais en effet découvert à l’époque que le divulguer risquait de me cataloguer au sein de la fonction publique. Je pense que ce genre de, je n’utiliserais pas le terme de biais, car j’y vois une connotation négative, mais ce genre d’expérience est tout à fait normal dans la nature humaine. Et je crois que nous créons tous ces regroupements de gens et que nous nous faisons tous une idée sur l’endroit où ils devraient travailler. Vous savez, peut-être que les personnes atteintes de handicaps visibles ou non devraient travailler dans le Bureau de la condition des personnes handicapées, ou peut-être que les milieux multiculturels comme CIC ou Affaires internationales seraient mieux servis par des néo-Canadiens, ou encore d’autres idées ou perceptions fausses de ce genre. Donc, pour les personnes autochtones, et je pense que c’est encore le cas, il y a une tendance qui consiste à voir des concentrations plus élevées dans les programmes et autres destinés aux Autochtones. Pour ma part, je veux changer le monde dans sa totalité. Je ne veux pas seulement changer le monde autochtone. Je veux changer le monde entier. Je veux servir tous les Canadiens. Donc, pendant longtemps, j’ai fait partie d’un groupe composé de quelques-uns d’entre nous (qui se comptent sur les doigts de la main), certains Métis, certains ayant des origines inuites, et peut-être une personne de l’ouest. Nous ne voulions pas révéler nos origines, car nous souhaitions changer le monde et modifier les politiques, ainsi que le contexte politique. Je suis restée dans cette situation pendant longtemps. J’ai ensuite fini par travailler dans les programmes, à un niveau relativement bas, même si je n’étais pas subalterne, mais au niveau PM-04. C’était un programme destiné aux Autochtones, plus précisément aux enfants autochtones. Ce fut une expérience incroyable. Et j’ai ensuite réalisé, au beau milieu de ma carrière ici, que je ne voulais plus lutter. Je ne voulais plus me cacher. C’est à cette époque que j’ai commencé à révéler mes origines, et pas uniquement pour le plaisir de le faire : j’ai simplement commencé à parler de mes expériences lorsque nous travaillions sur les politiques et menions des recherches, lorsque nous débattions ou lorsque je participais au développement des connaissances. Je parlais de mes propres expériences ou de celles de ma famille et de mes amis. C’est après avoir surmonté mes propres blocages à ce sujet et après avoir déployé de nombreux efforts pour faire mes preuves que j’ai commencé à voir ma carrière prendre son envol, car je me sentais mieux dans ma peau, pour ainsi dire, au sein de la fonction publique.
TODD :
Aujourd’hui plus que jamais, au moins au cours de ma carrière d’une dizaine d’années également, je vois de plus en plus de preuves que la culture autochtone commence à faire partie de notre milieu de travail moderne, que ce soit par l’intermédiaire du centre culturel de la Place du Portage ou de la reconnaissance du fait, au début des réunions, que ces dernières et que les activités du gouvernement ont lieu sur des territoires non cédés. À l’avenir, comment, selon vous, le rôle de la culture autochtone au sein du milieu de travail se renforcera-t-il?
CANDICE :
C’est amusant que vous abordiez ce sujet, car c’est une chose pour laquelle je me bats également. Je pense que... Je pense que le Canada vit actuellement une renaissance, presque une renaissance dans la définition de son nationalisme ou de son État national. Nous utilisons ce terme de diverses manières, mais il faut que la réconciliation permette de réconcilier deux chemins historiques qui se sont tracés en parallèle. Tout d’abord, un chemin colonial, par lequel s’est créée une, entre guillemets, « nouvelle nation », puis un deuxième chemin axé sur l’assimilation et l’extermination. Nous essayons aujourd’hui d’uniformiser ces deux chemins et de les rassembler en un seul. Je pense qu’une composante est particulièrement importante : je pense que nous avons besoin de reconnaissance. Nous devons reconnaître les composantes culturelles où elles sont les plus adaptées. Nous allons faire des erreurs. Ce n’est pas grave, car nous devons faire des erreurs pour déterminer la bonne voie à suivre : il n’existe pas de feuille de route pour cela. Même la simple reconnaissance traditionnelle (la reconnaissance des territoires traditionnels, le changement de nom des bâtiments) permet de reconnaître le fait que les choses n’auraient pas été ainsi si nous n’avions pas eu ces deux chemins historiques. Ces deux chemins déterminent où nous en sommes aujourd’hui. À présent, nous essayons de réunir ces deux chemins en un seul, et nous devons le faire lentement. Je pense que nous devons faire attention à un élément : nous devons prendre garde à ne pas aller trop vite. Les choses doivent être faites à un rythme qui est logique : logique pour le Canada et les Canadiens, et logique pour les populations autochtones au sens large, car il n’existe pas une seule culture autochtone. Et certaines de ces cultures se contredisent un peu, notamment entre les différents peuples autochtones, entre les différentes Premières nations, et bien sûr entre les populations urbaines et celles du Nord. Mais je pense qu’il s’agit de chercher un moyen, et cela a toujours été ancré dans mon esprit, de faire cela à un rythme respectueux de chacun et laissant suffisamment de temps d’adaptation. En effet, si nous essayons de forcer les choses parce que nous voulons les mettre en place (nous voulons faire « ce qui est bien »), et j’insiste bien sur les guillemets, « ce qui est bien » pourrait donner lieu à des résultats négatifs. Par conséquent, j’avance toujours avec une certaine appréhension. Il ne s’agit pas ici de ralentir le processus au point où rien ne se passe, mais de prendre les décisions les plus éclairées possible à un rythme adéquat pour permettre aux personnes de s’adapter aisément au changement. Et je ne parle pas uniquement des populations non autochtones, mais bien également des populations autochtones elles-mêmes. Bon nombre d’entre elles sont de plus en plus à l’aise lorsqu’il s’agit de parler d’elles-mêmes. Les expériences liées aux pensionnats indiens ainsi que le traumatisme qu’ont représenté la rafle des années 1960, les organismes de protection de la jeunesse et bien d’autres éléments ont eu des conséquences majeures sur les personnes et les adultes qu’elles sont devenues. Vous savez, nous avons cette image stagnante, ou plutôt statique, pas stagnante, c’est une erreur dans le choix du mot, excusez-moi. Nous avons une image statique voulant que ces événements aient marqué des enfants, car ils concernaient des enfants, à savoir les êtres les plus vulnérables et les plus influençables. Mais ces enfants sont devenus adultes. Ils ont eux-mêmes eu des enfants, voire des petits-enfants. Donc, lorsque nous parlons du système des pensionnats indiens, des organismes de protection de la jeunesse et de la rafle des années 1960, les enfants d’alors sont aujourd’hui des adultes. Le changement et tous les points de vue que nous avons intériorisés, ou que les populations autochtones ont subis et intériorisés, feront émerger une nouvelle fois beaucoup de choses. C’est l’effet du changement. Voici donc pourquoi le rythme adopté doit respecter les Canadiens. Ainsi, ils comprendront ce changement et les fonctionnaires comprendront les modifications que nous apportons ainsi que leur importance, comme les cérémonies d’ouverture ou la reconnaissance des territoires non cédés, ou encore l’utilisation des langues traditionnelles. Mais cela vaut aussi pour les Autochtones qui cherchaient également à corriger la situation.
TODD :
Donc, en tant que personne qui, au fil du temps, est devenue de plus en plus transparente ou ouverte à propos de son identité, de ses origines, qu’aimeriez-vous que vos collègues ou la fonction publique au sens large sachent à propos de vous et de votre culture et de la manière dont elle a façonné votre identité et vos perceptions?
CANDICE :
Me concernant... alors, je suis une citadine. Je n’ai pas grandi dans une réserve. La réserve de ma famille ne se trouve pas loin d’ici. Ma grand-mère s’est mariée avec un Métis et a donc été chassée de la réserve. En 1985, le Canada a réagi à l’affaire Lovelace en présentant le projet de loi C-31 et nous avons eu la possibilité, en tant que famille, de récupérer notre statut de membre des Premières nations. Ma grand-mère a subi de graves violences horizontales ou latérales de la part des Autochtones (ou les Premières nations devrais-je dire, les Autochtones en tant que Premières nations), vous savez, les membres des familles des Premières nations et d’autres, ainsi que des personnes non autochtones. Vous savez, on la faisait se sentir comme une « sale Indienne » et autres. En toute connaissance de cause, elle a pris la décision, en tant que femme forte, de défier la mise en place du Bureau du registraire des Indiens et de ne pas se réinscrire. Elle s’est émancipée et a demandé à mes tantes, à mon père et à la famille de celui-ci de l’honorer ainsi. Certaines de ses sœurs ont néanmoins décidé de ne pas la suivre et de se réinscrire pour retrouver leur statut. Mais c’est une chose à laquelle ma famille s’est toujours engagée. Maintenant, les choses ont changé. À présent, seul mon père continue de lutter et essaie de prendre cette décision. C’est une chose que... j’ai toujours cru que je devais raconter cette histoire : les gens font des choix à propos de leur identité qui vont au-delà de simples numéros, au-delà d’une carte, au-delà de la construction d’un degré de sang, une chose que nous allons commencer à voir de plus en plus lorsque l’on parle du droit d’une personne à s’identifier. Nous avons fait ce choix et notre lutte se poursuit. Nous continuons de nous battre. Vous savez, mon père parlait algonquin. Je veux dire, cela venait de ma grand-mère. Quand il était enfant et qu’il courait partout, elle s’énervait et lui donnait une fessée en le maudissant dans la langue traditionnelle. Vous savez, la langue infusait. Et c’est une chose avec laquelle j’ai grandi. Donc je suis très à l’aise avec ça... je sais d’où je viens, mais je n’ai pas de numéro. Je trouve juste cela triste que le Canada demeure aujourd’hui le seul pays à enregistrer un groupe – un segment de la population – et de donner à ses membres un numéro d’inscription. Il convient pour moi ici de signaler que mon partenaire est juif. Ses parents sont des survivants de l’Holocauste, donc je peux dire que nos conversations à ce sujet ont été fructueuses lors de la Pâque juive. Mais c’est pour moi une chose que j’essaie d’instiller à propos de moi-même : j’ai pris des décisions en toute connaissance de cause concernant le niveau de pouvoir que je souhaitais donner à une institution fédérale à propos de mon identité, et j’encourage tout un chacun, alors que nous envisageons de mener et d’intégrer la réconciliation au sein de la fonction publique, à ne pas ignorer la valeur des choix et des droits des personnes. Comment trouvons-nous cet équilibre et qui sommes-nous en tant que fonctionnaires pour établir des définitions sur l’identité à la lumière de ce Bureau du registraire des Indiens et de la Loi sur les Indiens de 1951. À la lumière des activités menées en 1867. Je pense donc que nous ne pouvons pas perdre de vue toute cette construction. Et j’estime que je suis tout à fait légitime pour défendre cela : comment trouvons-nous un équilibre entre des droits individuels ou collectifs et une tentative de faire ce qui est, entre guillemets, « bien » pour la population générale?
TODD :
Pourquoi pensez-vous que les Autochtones devraient envisager une carrière dans la fonction publique?
CANDICE :
Je reviens toujours à mes études de premier cycle. J’ai suivi des cours facultatifs en études féminines dans lesquels on parlait des théories du féminisme. L’une de ces théories que j’ai fini par adorer était celle du féminisme radical, qui consistait à entrer dans une institution pour la détruire de l’intérieur et la reconstruire à partir de zéro. Et je pense que c’est toujours l’un de mes moteurs. J’adore être au service des Canadiens. J’adore être fonctionnaire. Je pense que n’importe quel Canadien payant ses impôts chaque jour est mon patron, et qu’il veut que sa voix soit entendue et défendue au sein de la fonction publique fédérale. Je suis entrée dans la fonction publique en gardant cela à l’esprit, et notamment s’agissant des droits des enfants autochtones, car c’est mon domaine de prédilection. Je voulais démolir l’institution de l’intérieur pour la changer. J’étais pétillante et prête à tout, et je n’avais aucune idée du fonctionnement du gouvernement. En un sens, j’ai pris une claque… je me suis heurtée à un mur lorsque j’ai réalisé que « je ne pourrais pas changer le monde en un jour ». Toutefois, j’encourage les Autochtones à nous rejoindre pour nous aider à faire de petits pas et devenir des agents du changement au sein même d’une institution. C’est une chose d’essayer d’apporter des changements de l’extérieur, mais, lorsque je repense à la théorie du féminisme radical, c’en est une autre de changer les choses de l’intérieur. Le changement est lent. Toutefois, si l’on prend l’image d’un virus infectant un ordinateur, et je sais que cette image est plutôt négative, seul un petit changement est nécessaire. Une fois lancé, le changement est difficile à arrêter. Apportez ces petits changements dans une institution, et le changement commencera à s’y infuser. Alors, en tant qu’Autochtone, je ne pense même pas qu’il s’agisse d’apporter des changements sur les politiques ou les programmes destinés aux Autochtones. Ce changement s’intègre de lui-même. Si vous souhaitez travailler sur les théories scientifiques, dirigez-vous vers les relations internationales… votre capacité à apporter des changements systémiques d’après une perspective culturelle sur la manière dont nous interagissons entre humains sera sans pareille. Je pense que c’est l’un des principaux moteurs pour toute personne intégrant la fonction publique. Nous voyons notamment se lever cette cohorte de jeunes chefs de file brillants, et je souhaite qu’ils agissent au sein de leur communauté pour être les chefs de file de demain. Mais ils peuvent même devenir les chefs de file de la fonction publique canadienne : pour être franche, nous n’en serions que plus riches. Juste parce qu’ils n’ont pas peur d’innover. Ils n’ont pas peur de tenter leur chance.
TODD :
Alors, en tant que personne, que signifie la réconciliation pour vous? En quoi consisterait votre réconciliation?
CANDICE :
Tiens donc. Je pense que j’ai posé exactement la même question au greffier du Conseil privé lors de l’une de nos conférences de gestionnaires organisées dans le cadre de l’APEX. Il s’est tourné vers moi et m’a demandé : et bien, que feriez-vous? Là est la question, Todd. C’est même la principale question. En quoi consiste la réconciliation pour moi? La réconciliation pour moi. Je sais. Je ne sais pas en quoi elle consiste. Je ne souhaite pas la limiter en la définissant. Vraiment, je ne le souhaite pas. Et je pense que le gouvernement, je le pense réellement, avec espoir, est assez souple dans sa manière d’avancer. Je ne pense pas qu’il existe une définition claire et encadrée de la réconciliation dans mon esprit. Je pense que chaque petit pas que nous faisons est une réconciliation. Chaque petit progrès est une réconciliation, que ce soit dans notre relation fiscale avec les communautés ou, plus simplement, dans la manière dont nous nous parlons. Tout, des grands transferts financiers aux simples communications entre les personnes dans le milieu de travail, représente, à mes yeux, la réconciliation. Je ne souhaite pas la restreindre à une, deux, trois, dix, voire 80 appels à l’action. Je ne pense pas que l’on puisse la résumer à cela. Nous ne pouvons pas nous limiter à cela. Je pense que c’est simplement et littéralement un virage à 180 degrés par rapport à notre manière de fonctionner en tant que société, et pas seulement au Canada, mais également dans la manière dont le Canada interagit sur la scène internationale avec les pays ayant d’importantes populations autochtones. Tout cela fait partie de la réconciliation, car je pense que l’image que renvoie le Canada à l’international est le reflet de la manière dont le pays traite ses propres populations, et plus particulièrement ses populations autochtones. C’est une manière de dire, en langage politique, que « je n’ai pas de définition ».
TODD :
Et cela ne pose aucun problème.
CANDICE :
Oui. Oui, je n’en ai pas. Je ne veux pas me limiter. J’ai peur de faire cela. Je pense que cela ne servirait l’intérêt de personne. Je pense que nous devons simplement continuer de repousser encore et toujours les limites.
TODD :
Comment expliqueriez-vous à un Canadien typique, non autochtone et qui ne comprend pas réellement l’importance de la réconciliation, pourquoi c’est une chose à laquelle il devrait s’intéresser? Pourquoi est-ce une chose importante pour sa vie et le pays dans son ensemble?
CANDICE :
Vous savez, je pense que dès que les histoires concernant les pensionnats, les expériences et les atrocités qui ont eu lieu à cette époque ont commencé à sortir, je pense que le Canada, et la majeure partie des Canadiens ont été choqués de voir comment le Canada avait traité ces enfants vulnérables. Toutes ces histoires sont sorties assez récemment, et les faits se sont déroulés il n’y a pas si longtemps que ça. Ce pays est très récent. Il est assez jeune en fait. Je pense donc que cela a un peu fissuré l’image que les Canadiens se faisaient d’eux-mêmes en tant que société, une société qui aimait et intégrait tout le monde. Je crois en l’importance des activités de réconciliation et du travail que nous faisons, et que tout le monde fait (je suis d’ailleurs heureuse de voir que tout le monde, autochtone ou non, participe). Nous essayons d’arriver à un point où nous n’aurons plus besoin d’organiser ce type d’entrevues, où nous n’aurons plus besoin de mener ce type d’investissements et d’efforts ciblés pour réparer une société ou un système brisés. Je pense qu’en faisant en sorte que la réconciliation devienne une composante normale de notre quotidien, elle devient une « non-composante » de notre quotidien et s’intègre délicatement dans notre vie de tous les jours. La réconciliation vise uniquement au progrès du Canada en tant que nation et à l’amélioration de son image sur la scène internationale, car cela crée un tissu social plus solide qui nous rend plus forts. Et je crois que de nombreux Canadiens, on dit qu’ils seraient 90 % ou 96 %, ne connaissent rien des Autochtones, ne savent pas qui ils sont. Qu’est-ce qu’un droit autochtone ou en quoi consiste l’article 35? Le simple fait de disposer de connaissances de base nous rendra plus riches et plus forts. Nos organisations iront mieux, tout comme nos entreprises. Ces domaines d’investissements, ces ressources et ces marchés du travail nous étaient jusque-là inconnus. Sans nous en rendre compte, nous faisions preuve d’étroitesse d’esprit à ce sujet. Nous n’y avions jamais réfléchi. Nous n’en avions jamais parlé. Tout cela après ce qu’il s’est passé avec la mise sur le devant de la scène, il y a une vingtaine d’années, de l’expérience des pensionnats autochtones. C’est énorme. Cela a eu des répercussions considérables sur le Canada, et nous passons tout juste à l’étape suivante. Nous avons un peu traversé une période grise, certaines des lumières se sont éteintes pendant environ une décennie, période pendant laquelle nous n’en avons pas beaucoup parlé. Nous avons bien prononcé quelques mots d’excuse, mais au-delà de ça nous n’avons jamais vraiment déployé d’efforts précis. Nous le faisons aujourd’hui, et cela risque d’être inconfortable. Cela ne va pas être agréable. Cela ne sera pas plaisant pour beaucoup, mais ce n’est pas grave. Comme je le disais précédemment, nous devons faire des erreurs pour faire les choses comme il faut. Mais en fin de compte, tout ira bien, et c’est l’essentiel. Tout le monde ne s’embarquera pas dans le processus, je n’en doute pas, mais je pense qu’il existe une envie de changement et je sais que les Canadiens souhaiteront y participer.
TODD :
Pour les Canadiens au sens large, les Canadiens non autochtones qui font preuve d’empathie ou qui ont conscience des choses, mais qui ne savent pas ce qu’ils doivent faire en tant que personnes, quelles choses concrètes peuvent-ils faire pour aider?
CANDICE :
Tout d’abord, savoir, c’est pouvoir. Vous savez, apprenez-en plus à ce sujet. De nombreuses ressources sont à votre disposition. Nous sommes entrés dans une ère de technologie. Les ressources en ligne mises à la disposition du grand public sont innombrables. Pourquoi ne pas chercher à en savoir plus sur les trois principaux groupes, certaines des langues parlées ou certains des plats traditionnels? Allez-y, goûtez à des plats traditionnels. Participez à un pow-wow. C’est fantastique! On s’y amuse et on y goûte d’excellents plats. Allez dans les musées qui, vous le savez, sont à l’origine d’une tout autre conversation à propos des stéréotypes, mais qui présentent beaucoup d’éléments sur notre histoire. Apprenez l’histoire du Canada, car nous n’en avons pas entendu parler dans nos manuels. Allez-y, apprenez, immergez-vous dans cette culture, faites-en l’expérience et essayez de nouvelles choses. Vous pouvez participer à des cercles de tambour, alors faites preuve d’audace. Essayez-vous à la cuisine ou lisez simplement l’œuvre d’un auteur autochtone. Écoutez un chant guttural ou pratiquez-le dans le cadre de votre vie quotidienne. Ne le faites pas comme si vous deviez suivre un cours universitaire. Enfin, si vous le voulez, n’hésitez pas, c’est fantastique! Mais dans tout le pays, des milliers d’activités ouvertes à tous ont lieu chaque jour et les gens ne le savent pas. Posez des questions. N’hésitez pas. Les gens veulent en parler. La plupart du temps, il s’agit de fêtes, donc j’encourage les gens à s’intégrer, tout simplement. Regardez l’APTN. Écoutez Candy Palmater, qui est excellente, sur CBC. Il y a aussi Don Kelly, le comédien. Andrew Hayden Taylor. Il y a tant de grands – Thomas King – artistes, écrivains, chanteurs ici! Je pense à l’art et à la culture… l’art est un excellent moyen pour en apprendre plus sur une culture. Vous savez, la musique, A Tribe Called Red, et que sais-je encore! C’est tout simplement extraordinaire d’y avoir accès avec une perspective non traditionnelle. Vous n’avez pas besoin de suivre des cours, cela peut faire partie de votre quotidien.
TODD :
Souhaitez-vous nous faire part d’autres réflexions, de réponses à des questions que je n’aurais pas posées?
CANDICE :
Je pense que je n’insisterais jamais assez sur le fait que toute personne est unique. Je ne suis pas rabat-joie. Je ne veux ennuyer personne, mais je veux toujours insister sur le fait que le rythme est important. Il importe d’adopter un rythme respectueux pour le changement tout en essayant d’éviter de tout casser. Ma propre expérience est différente de celle de mes collègues ou de mes homologues gestionnaires autochtones. Je pense donc qu’il est important que l’ensemble de la fonction publique et du pays, alors que nous empruntons ce chemin ensemble et que, comme je le disais, nous essayons de réunir ces deux histoires en une seule, garde à l’esprit que la vie de chaque Canadien est très différente de celle des autres Canadiens, et même de celle de ses frères, sœurs et parents. Du moment que vous reconnaissez qu’il n’existe pas une seule solution à tout problème, et que ce n’est pas grave, alors nous ferons ce chemin ensemble et évoluerons, même si nous nous trompons parfois. Mais ce n’est pas grave. Du moment que nous sommes ensemble.
Perspectives Autochtones : Récits des employé(e)s Autochtones est une production d’Emploi et Développement social Canada.
Toutes les opinions exprimées dans le cadre de la série sont strictement celles des personnes qui les expriment et ne sont pas nécessairement partagées par leur employeur.
Notre musique thème est signée Boogey the Beat.
Mon nom est Todd Lyons. Je suis animateur, auteur et directeur technique pour la série Perspectives Autochtones.
Merci de votre écoute.
Lien de téléchargement
Lien de téléchargement (MP3, 21.8 Mo) Enjeu 12 – Une conversation avec Candice St-Aubin
Détails de la page
- Date de modification :