Carla Qualtrough - Conférence « International Initiative for Disability Leadership »
Discours
Bonjour à tous et à toutes. Je suis très heureuse d’être ici.
Je tiens d’abord à souligner les gardiens traditionnels du territoire sur lequel nous nous trouvons, le peuple Godigal de la nation Eora. Je présente mes respects à leurs aînés d’hier et d’aujourd’hui ainsi qu’aux Autochtones présents parmi nous.
J’aimerais aussi remercier L’International Initiative for Disability Leadership de m’avoir invité.
Les rassemblements comme celui-ci sont très importants. Je félicite l’Initiative d’avoir réuni des gens qui assument des fonctions de dirigeants au sein de la communauté internationale des personnes handicapées. Je crois qu’il est essentiel que nous prenions le temps d’échanger et d’apprendre les uns des autres et de faire connaître ce que nous faisons au sein de nos propres collectivités pour résoudre les importants problèmes sociaux et économiques auxquels les personnes handicapées continuent d’être confrontées partout dans le monde.
Comme vous le savez peut-être, il ne s’agit pas de ma première participation à l’Initiative. J’ai été invitée comme conférencière lorsque l’événement se tenait à Vancouver. Pour moi, beaucoup de choses ont changé depuis, comme vous pouvez l’imaginer. Lorsque j’ai donné ma conférence à Vancouver, j’étais candidate aux élections fédérales canadiennes. En tant que personne handicapée, je savais que pour remporter une élection, je devrais convaincre les électeurs du fait que j’étais apte à occuper le poste de députée même si je suis aveugle au sens de la loi, ou du moins les rassurer à ce sujet. En effet, la réalité est que nous ne vivons pas encore dans un monde où la capacité, la compétence et l’expérience l’emportent sur les suppositions, les stéréotypes et les idées fausses entourant ce qu’une personne handicapée peut et ne peut pas faire.
En tant que fervente défenderesse des droits des personnes handicapées, ces obstacles à l’inclusion ont constitué une raison pour laquelle je me suis lancée en politique.
À l’époque, j’étais loin de m’imaginer que je viendrais ici aujourd’hui en tant que toute première ministre des personnes handicapées du Canada.
En tant que ministre, je suis déterminée à changer fondamentalement la conversation sur la question des incapacités. Comme personnes handicapées, on nous rappelle constamment tout au long de notre vie que nos besoins sont coûteux et qu’ils sont un fardeau. On nous dit qu’on aimerait nous aider, qu’on voudrait améliorer les choses, mais que nous devons comprendre les coûts élevés que cela engendrerait.
Nous devons faire changer ce dialogue. Nous devons arrêter de parler de besoins et d’incapacités et commencer à parler de participation économique, sociale et communautaire. Voilà ce que c’est que d’avoir le droit intégral à la citoyenneté.
Heureusement pour moi et pour le Canada, mon patron, le très honorable Justin Trudeau, est du même avis.
Chez nous au Canada, il n’est pas inhabituel d’entendre le premier ministre dire que la force de notre pays réside en sa diversité – que nous sommes forts non pas en dépit de nos différences, mais grâce à elles. Et que les personnes handicapées sont une composante importante de cette force et de cette diversité.
Comme vous tous, je crois qu’une société inclusive en est une où tout le monde a d’emblée une chance égale de réussir. Il pourrait s’agir de rendre les transports et l’accès aux édifices et aux établissements possible ou plus facile, d’utiliser les technologies de l’information et des communications et d’offrir des services aux personnes handicapées dans le format de leur choix. Il faut rendre ces services et structures accessibles à tous, y compris aux personnes handicapées, dès le départ.
Ça signifie que nous ne devrions pas avoir à nous souvenir de penser à l’accessibilité et à l’inclusion – ce devrait être la norme; naturellement incorporée dans tout ce que nous entreprenons.
Nous entamons un virage important dans notre façon de penser. Et il s’agit là de la partie la plus importante de mon travail : concrétiser notre vision d’un Canada accessible et inclusif.
Heureusement, notre génération montante pense déjà de cette façon – peut-être même plus que ma propre génération.
L’automne dernier, dans le cadre des consultations dont je parlerai dans quelques minutes, j’ai tenu un forum regroupant 110 jeunes handicapés de partout au pays. Le premier ministre Trudeau a participé à la discussion, il a pris part au dialogue et s’est fait poser des questions sur ce que notre gouvernement fait et prévoit faire.
Le message des jeunes était assez clair. Ils n’acceptent pas que les choses soient faites de la même façon qu’elles l’ont toujours été, c’est-à-dire qu’on essaie de trouver une façon d’accommoder les personnes handicapées seulement une fois qu’on a mis un projet en place. L’accommodation n’est pas un langage, mais l’inclusion en est un.
Cette conversation renforce ma croyance qu’une société inclusive n’est pas seulement possible, mais qu’elle est une réalité peut-être pas aussi éloignée qu’on pourrait le croire. C’est une pensée incroyablement encourageante.
Je ne peux qu’imaginer comment mon propre monde aurait été différent sans les obstacles à l’accessibilité, la discrimination et les attitudes choquantes auxquelles j’étais parfois confrontée.
C’est vraiment excitant de tenir un rôle dans l’histoire du leadership qui sera exercé par la prochaine génération.
Mon histoire n’est pas très différente de celles de plusieurs d’entre vous. Je suis née aveugle au sens de la loi, avec une acuité visuelle corrigée de seulement 10 %.
La réalité est que, comme bon nombre d’entre vous, je suis née dans un monde qui n’était pas fait pour moi, où je devrais apprendre à m’adapter constamment. Un monde dans lequel les gens allaient faire des suppositions sur ce que je pourrai et que je ne pourrai pas faire de ma vie.
J’ai été chanceuse de pouvoir compter sur des parents qui m’ont énormément soutenu et qui m’ont enseigné à défendre mes droits. Des parents qui ont contesté le système d’éducation publique lorsqu’on leur a dit que je devrais aller à une école ségréguée. Des parents qui ont insisté pour que je participe aux cours d’éducation physique alors qu’on me disait que je devrais rester assise à l’écart. Des parents qui n’ont pas accepté que je sois exemptée des cours d’économie domestique parce que la cuisine et la couture auraient été trop dangereuses pour moi. Des parents qui ont cru fondamentalement en mon droit d’être incluse et de recevoir l’aide dont j’avais besoin.
À mesure que je grandissais, la responsabilité de faire valoir mes droits me revenait de plus en plus. J’ai terminé mon secondaire en étant capable de me défendre et armée de la confiance nécessaire pour aller faire une réelle différence dans le monde.
Mais bien que j’aie réussi à terminer mon secondaire, ce fut un parcours social que je ne voudrais jamais recommencer. J’ai été mise à l’écart, harcelée et souvent intimidée. J’étais différente et perçue comme bénéficiaire d’un traitement de faveur. Je me sentais fondamentalement non désirée et j’avais très hâte de quitter l’école secondaire.
C’est le sport qui m’a sauvé. Je suis née dans une famille dans laquelle nous parlions le langage du sport. J’ai participé à plusieurs compétitions sportives lorsque j’étais enfant. Et franchement, j’étais assez bonne. Mes parents, mes entraîneurs et mes coéquipiers étaient capables de composer avec ma vision faible. Mais un jour, j’ai découvert le monde du sport paralympique et ça a changé ma vie pour toujours.
J’ai connu un grand succès international en tant que nageuse paralympique en remportant trois médailles de bronze et quatre médailles de championnats du monde pour le Canada. J’ai voyagé un peu partout dans le monde et j’ai été exposée à d’incroyables démonstrations d’habileté, et à une incroyable discrimination.
La partie transformationnelle de cette expérience s’est trouvé pour moi dans la prémisse fondamentale du sport paralympique. Vous voyez, le sport paralympique est un système dans lequel les règles du jeu sont mises à niveau avant que la compétition commence – où les athlètes compétitionnent contre d’autres ayant des limitations fonctionnelles et des incapacités semblables aux leurs.
Je suis devenue fascinée par l’idée que les systèmes puissent être élaborés de façon à inclure tout le monde dès le départ. Et si nous élaborions notre système juridique de cette façon? Ou notre système de transport? Ou notre système d’éducation? Et si nous envisagions l’embauche de personnel sous cet angle?
Vous ne serez pas surpris d’apprendre qu’à la fin de ma carrière de nageuse, je me suis inscrite à l’école de droit et je suis devenue avocate spécialisée en droits de la personne. J’ai dévoué ma carrière professionnelle et bénévole à la mise en place de systèmes inclusifs.
Et je crois que vous serez tous d’accord pour dire que le portefeuille de mon cabinet me convient assez bien. Lorsque le premier ministre m’a donné la double responsabilité des sports et des personnes handicapées, il m’a dit d’aller changer le monde. Et c’est ce que je compte bien faire.
Le Cabinet canadien compte deux personnes handicapées. En effet, mon collègue ministre des Anciens Combattants est quadriplégique. Je suis convaincue que de nous avoir autour de la table du Cabinet lors de la prise des décisions est bon pour les politiques publiques, bon pour l’inclusion et bon pour le Canada.
Considérer notre façon de gouverner avec la perspective d’une personne handicapée est essentiel à la réalisation du changement de culture fondamental que je crois nécessaire pour changer la conversation et obtenir le droit intégral à la citoyenneté auquel j’ai fait référence plus tôt.
Alors, que faisons-nous précisément? Mon large mandat consiste à améliorer la vie des Canadiens handicapés. Une composante spécifique de ce mandat est l’élaboration d’une loi nationale sur l’accessibilité.
En me fondant sur mon expérience en droit, je peux vous dire que nous avons un système des droits de la personne très robuste au Canada.
Le défi que ce système présente est qu’il est réactif. Les gens doivent attendre d’être discriminés avant de pouvoir commencer à chercher de l’aide.
Dans le cas des personnes handicapées, cela signifie qu’un emploi, un logement ou un service doit leur être refusé avant que nous ne puissions leur dire – parfois bien des années plus tard – que cela n’aurait pas dû se produire.
De plus, le fardeau de déposer des plaintes systémiques incombe à la personne.
Ce processus exige beaucoup de temps, coûte cher – et je crois que vous en conviendrez – est excessivement pénible.
Il est incroyable de constater que 50 pour cent des plaintes déposées auprès de la Commission canadienne des droits de la personne ont trait à l’invalidité. Cela est assez extraordinaire si l’on pense à la myriade d’autres motifs, comme l’ethnie, le sexe et l’orientation sexuelle, pour n’en nommer que quelques-uns.
La majorité des plaintes touchent le domaine de l’emploi. Comme partout ailleurs dans le monde, les personnes handicapées se heurtent à d’importants obstacles à l’emploi au Canada. Les taux de chômage et de sous-emploi sont élevés. Cette situation est inacceptable.
Cela ne constitue qu’une des raisons pour lesquelles le Canada s’affaire à élaborer une loi sur l’accessibilité.
Cette loi proactive traitera de façon systémique des obstacles qui existent dans les domaines de compétence fédérale. Cela comprendra les secteurs des banques, des transports et des télécommunications et, bien entendu, la fonction publique fédérale elle-même. Nous voulons enlever des épaules des particuliers le fardeau de déposer des plaintes systémiques relativement à l’injustice. Nous éliminerons les obstacles en créant un ensemble d’attentes ou de normes pour les employeurs, les fournisseurs de services, les responsables de l’élaboration de programmes et les entreprises. Il y aura des mécanismes de conformité et d’application de la loi. Il y aura aussi des programmes complémentaires.
Autrement dit, nous cherchons à mettre en place des mesures législatives qui nous aideront à éviter la discrimination et l’exclusion dès le départ.
Cette discussion sur l’accessibilité, les obstacles et l’incapacité fonctionnelle est d’une grande importance, et il est essentiel que les Canadiens handicapés en soient le point central.
En juin dernier, nous avons lancé un ambitieux processus de consultation publique au Canada. Celui-ci nous a amenés dans toutes les régions du pays pour rencontrer des Canadiens et des intervenants afin qu’ils nous disent ce que signifiait, pour eux, un Canada accessible – et nous l’avons fait en veillant à ce que les séances soient le plus accessibles possible, pour que tout le monde puisse participer et s’exprimer quant à la forme que pourrait prendre cette législation.
Nous avons tenu dix-huit consultations publiques et huit tables rondes thématiques. Nous avions prévu un important volet de consultation en ligne, et nous avons tenu un forum national pour les jeunes. Nous travaillons aussi avec des groupes autochtones.
Nous sommes réellement entrés dans une nouvelle ère de leadership et de collaboration en ce qui a trait aux enjeux touchant les personnes handicapées.
Nous avons entendu des milliers de citoyens de toutes les régions du Canada. J’ai appris des choses très utiles concernant certains des obstacles que doivent surmonter quotidiennement d’autres personnes ayant une déficience ou un handicap.
J’ai entendu des commentaires concernant :
- les obstacles physiques et architecturaux qui nuisent à la capacité des personnes de se déplacer librement dans les environnements bâtis, d’utiliser les transports en commun, d’accéder à l’information ou d’utiliser des technologies courantes;
- les attitudes, les croyances et les idées fausses qu’ont certains au sujet des personnes handicapées et de ce que celles-ci peuvent ou ne peuvent pas faire;
- des politiques et des pratiques désuètes qui ne tiennent tout simplement pas compte des obstacles qui se posent quotidiennement.
Les personnes handicapées me disent constamment la même chose : nous ne sommes pas des citoyens de seconde zone. Nous méritons d’avoir les mêmes droits et les mêmes responsabilités que les autres citoyens.
Nous sommes des membres à part entière de la société et nous sommes capables de contribuer à celle-ci.
Nous ne voulons pas être perçus comme des personnes qui ont besoin de « mesures d’adaptation » ni être traités comme si nous étions un fardeau.
En plus de supprimer des obstacles, qu’ils soient physiques ou sociaux, cette loi enverra un message fort, à savoir que le Canada dit non à la discrimination et dit oui à l’inclusion.
Cette loi nous offre une occasion incroyable de modifier le cours de l’histoire du Canada.
Il ne s’agit pas seulement de promulguer une nouvelle loi. Il s’agit de susciter un changement social en vue d’assurer la protection des droits des personnes handicapées à l’échelle du Canada.
Grâce à ce processus ainsi qu’à d’autres mesures que nous avons prises pour soutenir les personnes handicapées, nous avons l’espoir d’établir des normes dont d’autres pays pourront s’inspirer.
Par exemple, l’an dernier, le Canada a ratifié le Traité de Marrakech, qui a pour but de faire en sorte que les personnes handicapées puissent accéder à l’information dans des formats accessibles. Il encourage l’échange de formats accessibles entre les pays membres, ce qui favorise un accès accru à l’information pour les personnes incapables de lire les imprimés.
Nous avons aussi fait équipe avec le Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes en vue d’offrir un service de relais vidéo pour aider les personnes qui utilisent l’American Sign Language ou la langue des signes québécoise à se servir du système de communications du Canada.
Nous avons également entrepris d’importantes consultations sur le Protocole facultatif des Nations Unies se rapportant à la Convention relative aux droits des personnes handicapées.
Nous poursuivons nos travaux concernant un ensemble d’initiatives visant à soutenir tous les Canadiens, y compris les personnes handicapées. Les efforts constants que nous consacrons à la Stratégie canadienne de réduction de la pauvreté aideront les Canadiens handicapés. L’accessibilité sera l’un des piliers de base de notre Stratégie nationale en matière de logement et de nos investissements dans les infrastructures.
Et nous mettons de l’ordre dans notre grande maison fédérale. Nous nous affairons à officialiser des perspectives concernant l’invalidité ou l’accessibilité pour la prise de décisions et l’élaboration de politiques au sein du gouvernement. Nous cherchons à faire du gouvernement fédéral un modèle pour l’emploi inclusif. Nous examinons comment nous pouvons utiliser les autres leviers stratégiques et financiers dont nous disposons – comme la technologie de l’information et l’approvisionnement – non seulement pour créer un gouvernement véritablement accessible, mais aussi pour favoriser l’inclusion et éliminer les obstacles au sein du secteur privé.
Ensemble, nous avons l’occasion et les moyens de bâtir des sociétés vraiment inclusives. Je crois que le Canada est un pays où tous ont une chance de réussir, car nous avons la confiance et le leadership nécessaires pour investir dans les Canadiens, y compris dans ceux qui sont handicapés.
Si nous voulons vraiment célébrer notre diversité, nous devons tenir compte des capacités diverses de tous nos citoyens. Nous devrons nous assurer que l’inclusion continue de faire partie des discussions. Et nous devons continuer à exercer un leadership en travaillant ensemble pour ouvrir la voie à l’inclusion de tous les citoyens.
Si nous travaillons de la bonne façon, il se pourrait très bien que la génération montante vive dans un monde qui ne connaisse aucune limite.
Merci.