Histoires entourant l'ouragan Juan - Les effets de l'ouragan Juan chez nous, à Gold River, en Nouvelle Écosse
Préparé par Stephen Hatt, 24 octobre 2003
Note de la rédaction: Écrit par un employé du Centre météorologique des Maritimes, le récit qui suit donne une bonne idée de ce qui s'est passé sur la côte atlantique de la Nouvelle Écosse lors du passage de l'ouragan Juan. L'onde de tempête observée dans le secteur nord-ouest de la baie Mahone - où habite le narrateur - était bien plus faible que celle enregistrée à l'est d'Halifax. Cela en dit long!
Je suis météorologue au Centre météorologique des Maritimes, à Dartmouth, en Nouvelle Écosse. J'ai grandi non loin du lieu où je vis aujourd'hui avec mon épouse Schelene, c'est à dire à Gold River, dans le comté de Lunenburg. Gold River se trouve sur la route 3, à mi chemin entre Chester et Mahone Bay. Schelene et moi vivons tout près du littoral, dans une maison située à 1,5 mètre au dessus du niveau moyen de la marée haute. Nous avons construit un rempart de cordon littoral pour protéger notre propriété des brisants et des ondes de tempête.
Tout petit déjà, j'étais fasciné par les ouragans. Je n'avais que six ans lorsque l'ouragan Blanche a frappé la côte sud de la Nouvelle Écosse en 1975, mais je me souviens à quel point j'étais excité. Je me souviens aussi des algues et du bois flotté que Blanche avait alors laissés sur le terrain où se trouve aujourd'hui ma maison. Ce même terrain qui, 28 ans après, s'est trouvé encore une fois jonché d'algues et de bois flotté apportés par les vagues qui l'ont submergé. Cette fois, mes sentiments étaient partagés toutefois. Non que ma fascination pour les ouragans et les tempêtes ait disparu, c'est chez moi une seconde nature. Mais il se trouve aussi que je possède une maison et un terrain qui étaient menacés d'inondation, avec tous les dégâts qu'on peut imaginer. La nuit du passage de Juan, l'excitation à l'idée qu'un ouragan arrivait sur les côtes près de chez moi fut en grande partie détrônée par l'inquiétude et la crainte. Cette nuit fut certainement l'une de celles qui m'ont le plus marqué ces dernières années.
Voici quelques photos de notre maison et de notre terrain avant le passage de Juan.
Préparatifs du 28 septembre en prévision de l'arrivée de Juan
Voici ce que Schelene et moi avons fait le 28 septembre au matin en préparation pour l'ouragan Juan :
- Rangé tous les meubles de jardin dans la remise.
- Stationné nos véhicules dans le chemin d'accès à la maison de ma grand mère, plus élevé, afin d'éviter les dégâts d'eau de mer en cas d'inondation par l'onde de tempête.
- Placé en hauteur, sur des bancs ou des étagères, tous les articles de la remise (scies, outils) susceptibles d'être endommagés en cas d'inondation.
- Plaqué les fenêtres des faces est et sud.
- Éteint, au panneau électrique, les disjoncteurs des prises extérieures et du chauffage pour éviter des dégâts supplémentaires en cas d'inondation.
La nuit du passage de Juan
Au moment où l'ouragan Juan arrivait sur les côtes près de Prospect, le niveau de la mer atteignait son maximum, à 1,3 mètres ou 1,4 mètres au dessus du niveau moyen de la marée haute. L'eau arrivait alors à 12 ou 13 centimètres du rez de chaussée de la maison; c'est dire à quel point nous avons frôlé l'inondation.
Voici la chronologie des événements dans la nuit du 28 au 29 septembre :
- 22 heures - la mer arrive à mi hauteur du rempart de pierres et arrose déjà la bande de sable.
- 23 h 50 - la mer envahit progressivement le terrain. Les brisants passent par dessus le rempart et l'eau de mer recouvre la pelouse et le chemin d'accès à la maison.
- 0 h 13 - je dis à Schelene : " J'espère que le pire est passé. " Je reste à la porte à regarder l'eau envahir notre terrain. Schelene prie sans quitter la pendule des yeux… (d'où la précision chronologique). L'eau, à ce moment, entoure complètement la maison et, le long des fondations, n'arrive qu'à 12 ou 13 centimètres du plancher de la maison. Le terrain est complètement submergé. Des morceaux de bois qui étaient empilés dehors " voguent
- maintenant vers la route, emportés par l'eau qui recouvre notre terrain. Sur le chemins d'accès, l'eau ruisselle vers la route. Un regard vers la remise me permet de constater que l'eau arrive à 15 centimètres au dessus du revêtement; je sais qu'elle atteint à peu près la même hauteur à l'intérieur. De l'autre côté, les vagues viennent mourir sur la terrasse et l'eau jaillit par les intervalles entre les planches, comme d'autant de fontaines.
Je continue de surveiller le niveau de l'eau de la porte d'entrée.
- 0 h 20 - je dis à Schelene que le niveau n'est pas monté, mais qu'il n'est pas descendu non plus.
- 0 h 27 - le niveau d'eau a baissé de 5 à 10 centimètres. Je dis à Schelene que nous sommes " sauvés " (l'eau n'est pas entrée dans la maison)
- 0 h 33 - le niveau de l'eau baisse rapidement; la mer quitte le terrain aussi vite qu'elle l'a envahi.
- 0 h 47 - l'eau a reculé; un regard vers le rivage permet de constater qu'elle semble avoir regagné ses limites habituelles.
Voici quelques photos prises au moment où l'eau envahissait notre terrain.
Le bilan
Mis à part l'état pitoyable du terrain, notre propriété n'a pas subi de dégâts importants. La maison a été épargnée, et par le vent, et par l'eau. Voici les dégâts que nous avons constatés sur le terrain :
- Une des pelouses a subi l'assaut de la mer qui a emporté des plaques de gazon.
- Du sable et des galets charriés par la mer ont formé un tapis de 25 centimètres d'épaisseur sur la pelouse devant la terrasse.
- Deux projecteurs de pelouse ont été sérieusement endommagés et un a été complètement détruit.
- Une pile de bois d'un mètre de hauteur a été emportée dans le fossé en bord de route.
- Une pile de bois de chauffage s'est aussi retrouvée dans le fossé.
- Plusieurs jours après la tempête, les feuilles d'une bonne partie de nos arbustes à fleurs et arbres fruitiers ont bruni et sont tombées, probablement à cause du sel. Ce n'est qu'au printemps, qu'on pourra évaluer l'ampleur exacte des dégâts subis par ces arbres et arbustes.
- Notre table à pique nique, transportée par les flots, s'est retrouvée à une dizaine de mètres de son emplacement initial.
Voici quelques photos prises après l'onde de tempête qui accompagnait l'ouragan Juan.
Comme vous pouvez le voir, l'ouragan Juan nous a touchés de près. Toutefois, les choses auraient pu être bien pires. Si la trajectoire de cette tempête s'était trouvée un peu plus à l'ouest, nous aurions subi des dégâts considérables causés par le vent et par l'eau. Il n'empêche que la nuit de l'ouragan Juan restera gravée dans nos mémoires.