Archivée: L'ouragan Juan et la recherche : vol au coeur de la tempête
Rédigé par Chris Fogarty, 31 octobre 2003
L'ouragan Juan est le quatrième cyclone tropical à être traversé en avion par des chercheurs météorologues au cours des quatre dernières années. La Direction de la recherche météorologique d'Environnement Canada bénéficie du Fonds des nouvelles initiatives du Secrétariat national de recherche et sauvetage, pour étudier de plus près les ouragans dangereux qui atteignent le territoire canadien. L'ouragan Juan présentait une excellente occasion de recherche pour notre équipe. Je faisais partie de l'équipe de météorologues de soutien qui se trouvait à bord de l'avion Convair 580 du Conseil national de recherches du Canada qui a traversé la tempête.


Le récit qui suit présente la chronologie du vol et des conditions météorologiques rencontrées dans la nuit du 28 au 29 septembre 2003. Sur la carte figurent la trajectoire de l'avion et les positions d'où nous avons largué nos instruments météorologiques (radiosondes parachutées).

- 21 h 45 - l'avion est sorti du hangar de IMP à l'aéroport international d'Halifax. On se croirait dans une ville fantôme car l'aéroport est fermé; les pilotes se préparent pour le décollage tandis que les techniciens s'affairent à régler un problème d'alimentation électrique.
- 21 h 55 - le problème d'alimentation électrique est réglé. Le vent souffle déjà en fortes rafales sur l'aéroport, secouant de temps à autre l'avion toujours immobile au sol.
- 22 h 2 - tout est prêt pour le décollage; la pluie se fait de plus en plus forte à mesure que nous prenons de l'altitude et que nous nous dirigeons vers le sud.
- 22 h 8 - on sent les effets du vent sur l'avion qui pivote d'un côté à l'autre. Le vent souffle du sud est, à une vitesse de 70 nœuds (130 km/h), à une altitude de 3 000 pieds.
- 22 h 10 - on observe toujours une turbulence légère à moyenne, due au fort vent de sud est de 75 à 80 nœuds (139 à 148 km/h), à environ 12 000 pieds.
- 22 h 15 - largage de la première radiosonde à environ 20 kilomètres au large de Prospect, en Nouvelle Écosse; nous poussons un soupir de soulagement lorsque les données éoliennes nous parviennent (nous avions eu des problèmes avec les données éoliennes enregistrées par les instruments).
- 22 h 30 - première traversée de l'oeil le long de la trajectoire, en direction du sud; la turbulence légère à moyenne cesse dès que nous atteignons l'oeil de l'ouragan.
- 22 h 35 - nous attendons que le radar nous indique de la pluie, mais en vain : l'air, dans la partie sud de la tempête, est sec; nous devons nous fier à nos instruments pour le moindre renseignement car la nuit nous empêche de distinguer quoi que ce soit à travers les hublots; voir l'image radar.

- 22 h 41 - nous constatons la présence d'une masse d'air très chaud, le niveau de congélation se situant à 16 500 pieds. La température à l'altitude de vol n'est que de -5°C.
- 22 h 45 - nous consultons les pilotes et Jim Abraham, le météorologue de soutien au sol, en vue de la modification de notre plan de vol pour faire demi tour et traverser de nouveau l'oeil de l'ouragan avant son arrivée sur les côtes.
- 23 h - nous tournons abruptement à droite pour faire route vers le nord ouest; nous interrompons momentanément le largage d'instruments.
- 23 h 15 - je demande qu'on commence à se diriger plein nord… Après avoir discuté avec Jim de l'accélération du déplacement de la tempête, j'ai très peur qu'on rate l'occasion d'en traverser le centre une deuxième fois.
- 23 h 27 - nous reprenons les largages fréquents de radiosondes; nous sommes à environ 70 km au sud est de Shelburne et faisons maintenant route vers le nord est, suivant une trajectoire parallèle à la côte de la Nouvelle Écosse.
- 23 h 40 - les choses redeviennent intéressantes : le radar indique le retour de la pluie et la turbulence augmente de nouveau; on constate la formation de givre sur les ailes.
- 23 h 43 - le radar de pointe avant nous indique que nous sommes à nouveau dans l'oeil de la tempête : l'avion est toujours secoué par les turbulences, mais ce n'est rien d'extraordinaire; le copilote remarque la présence de cristaux de glace et de glace en phase mixte sur l'avion, ce qui témoigne d'une forte concentration de glace dans les nuages. Je relève une température très élevée pour l'altitude de vol, à savoir 2°C à 20 000 pieds.
- 22 h 46 - nous sommes maintenant juste à l'est de l'oeil et à environ 40 kilomètres au sud d'Halifax; on constate une turbulence moyenne et des vents de sud à environ 80 nœuds (148 km/h) à l'altitude de vol.
- 23 h 53 - les radiosondes nous indiquent toujours des vents de sud extrêmement forts entre l'altitude de vol et le niveau de l'océan; l'avion est secoué par de forts courants ascendants.
- 0 h 5 - nous décidons de diminuer la fréquence des largages; nous nous éloignons du centre de la tempête.
- 0 h 10 - je parle à Jim qui se trouve au Centre météorologique. Il me dit que le temps se détériore rapidement et que la ville est plongée dans le noir.
- 0 h 26 - nous larguons notre vingt cinquième et dernière radiosonde; l'ambiance est bonne à bord : les sondes ont transmis des données éoliennes bien meilleures que lors de l'ouragan Isabel; Walter Strapp se dit très satisfait des données sur la microphysique des nuages.
- 0 h 30 - John Aitken, le pilote, amorce un virage à gauche, se demandant s'il peut tenter d'atterrir à Sydney.
- 0 h 40 - le temps se détériore à Sydney, où on enregistre de fortes rafales. On décide de se rabattre sur Stephenville, à Terre Neuve.
- 0 h 42 - je parle à Jim qui se trouve dans l'entrée de l'immeuble du Centre météorologique qui a été évacué. Il me dit que les conditions météorologiques sont pires que jamais à Halifax.
- 1 h - en faisant route vers Stephenville, l'avion est soudain secoué par des soubresauts dus vraisemblablement à la turbulence liée au relief montagneux; c'est pire qu'au coeur de l'ouragan!
- 1 h 15 - atterrissage à Stephenville. Nous voici de retour sur le plancher des vaches!
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