Profil de Junior Tremblay
Mission : être un agent de changement

Le biologiste Junior Tremblay est originaire du Saguenay–Lac-Saint-Jean, au Québec, où la forêt est essentielle, pour la qualité de vie des gens, mais aussi pour l'économie locale. « Je viens d'une région éloignée où j'ai passé beaucoup de temps dans la nature. Ma vision de la forêt a complètement changé quand j'ai regardé « L'erreur boréale », le film documentaire sur les coupes dans la forêt boréale québécoise paru en 1999. Parce que j'aimais la nature, j'ai eu envie de devenir un agent de changement dans la façon dont on exploitait la forêt ».
Junior s'est inscrit en biologie, puis a fait une maîtrise en sciences forestières à l'Université Laval. « Pendant ma première expérience de recherche à la maîtrise, j'ai étudié la structure des vieilles forêts du Bas-Saint-Laurent puis j'ai analysé leur composition en oiseaux, en champignons et en plantes invasculaires, et ce projet a orienté ma carrière. De travailler sur des organismes vivants afin d'évaluer l'intégrité écologique d'un écosystème, et de statuer sur leur valeur de conservation, a été une bougie d'allumage pour ma carrière en recherche ».
Jeter un nouvel éclairage sur la dynamique des populations
Junior a développé une expertise sur les oiseaux reconnue partout au pays et au-delà des frontières, notamment sur les pics boréaux. « C'est un groupe qui m'a toujours intéressé : je m'identifie à ces oiseaux qui sont, à l'instar du castor, des travailleurs acharnés et, en quelque sorte, des ingénieurs écologiques qui créent des cavités dans les arbres, utilisées par d'autres espèces » relate l'ornithologue.

Ses études doctorales ont fait couler beaucoup d'encre. En 2004, le pic à dos noir est connu pour être une espèce dépendante aux forêts brûlées, et la littérature scientifique ne fait pas état de la présence de cette espèce dans les forêts non brûlées. Les objectifs de sa thèse étaient de définir le rôle des vieilles forêts non brûlées dans l'écologie de nidification et dans la démographie du Pic à dos noir. « J'étais à cette époque le bizarroïde qui cherchait des Pics à dos noir dans des forêts non brûlées! Mes résultats ont surpris la communauté scientifique, à un tel point que j'ai eu de la difficulté à faire accepter des chapitres de ma thèse », explique le chercheur qui a jeté un nouvel éclairage sur la dynamique des populations de cette espèce en forêt boréale. Sa recherche, complétée à l'Université du Québec à Chicoutimi en 2009, conclue que le Pic à dos noir maintient des populations nicheuses dans les vieilles forêts non brûlées, et même que ces dernières offrent une plus grande stabilité à long terme que les forêts brûlées; plutôt qu'un spécialiste strict des forêts brûlées, tel que précédemment suggéré dans la littérature.
Relier les gens, les enjeux et les solutions

Après avoir terminé ses études, Junior a rejoint le ministère provincial de la forêt et de la faune. Son travail consistait à proposer des mesures de protection pour les espèces forestières en péril à partir de la littérature et de données disponibles sur l'aménagement des écosystèmes et les espèces en question, telles que l'omble chevalier, les chauves-souris arboricoles et les oiseaux de proie. Junior explique que « certaines mesures de protection que j'ai proposées ont été appliquées et c'était très motivant comme je me rapprochais de mon but », soit celui de devenir un agent de changement. Ce qui le motivait surtout, et encore à ce jour, est de pouvoir utiliser les données récoltées sur le terrain et de développer des modèles pour prédire les impacts de l'activité humaine et du développement industriel sur la faune.
On peut penser à tort que les universités sont les seules institutions de recherche; je suis heureux de faire savoir que des ministères comme ECCC est derrière des projets de recherche appliqués qui permettent d’ajouter à l’évidence scientifique et avoir un impact sur certaines règlementations.
En 2013, il a donc saisi l'opportunité d'un poste en recherche qui se libérait à Environnement et Changement climatique (ECCC). Un des projets qu'il pilote actuellement est un bel exemple de recherche appliquée. Il travaille en collaboration avec des pairs, des universitaires et des industriels sur un modèle d'habitat de la Grive de Bicknell, une espèce d'oiseau menacée par la perte d'habitat. Ce modèle propose aux développeurs de projets, des secteurs de haute occurrence de la grive à protéger, et des secteurs dans lequel le développement devrait comporter des mesures d'atténuation des impacts sur cette espèce. « Il s'agit d'un parfait exemple de travail collaboratif, dans lequel sont impliqués des organismes environnementaux, des communautés autochtones, des entreprises, des propriétaires de terres privées et des ministères provinciaux et fédéraux » explique le chercheur.
De plus en plus, Junior réalise la nécessité de travailler de concert avec d'autres scientifiques qui traitent des enjeux similaires à ceux au cœur de ses recherches, afin de développer des recommandations et des solutions cohérentes qui englobent les diverses problématiques dans un même écosystème. Il collabore avec une équipe multidisciplinaire à évaluer les effets cumulatifs de l'exploitation forestière et du changement climatique sur la biodiversité et les services écosystémiques, y compris la séquestration et le stockage du carbone ainsi que la production de matériaux en bois. « Comme tout est interrelié dans la nature, on s'est demandé s'il pouvait exister des solutions qui peuvent bénéficier les différents enjeux tout en minimisant les compromis. Nos simulations menées dans deux régions distinctes au Québec ont démontré qu'il n'existe pas de solution unique; le contexte écologique et l'historique des changements du paysage de chacune des régions, que ce soit par l'exploitation forestière ou les perturbations naturelles, influencent grandement les solutions intégrées possibles dans le futur », détaille Junior, visiblement enthousiaste par ces liens qu'il tisse avec ses collègues et entre ces questions qui l'animent.

De l'intérêt pour la nature et de la motivation pour le domaine de la conservation, Junior en a à revendre. « Je dis aux étudiant.e.s de ne pas se laisser décourager par les perspectives futures qui peuvent être parfois décourageantes. Si vous avez envie d'être dans l'action pour préserver la biodiversité, trouvez votre voie, que ce soit en recherche, en support technique, administratif et en communication, les chemins sont nombreux, mais surtout, faites ce qui vous passionne » sera le conseil que Junior laissera avant de retourner à ses recherches.
Détails de la page
- Date de modification :