Vidéo – Traitement du jupon en piqûre de Marseille

Transcription

Transcription de la vidéo « Traitement du jupon en piqûre de Marseille »

Durée de la vidéo : 00:16:09

Season Tse, scientifique principale en conservation

Quand Chris m’a contactée pour venir à l’ICC faire le traitement de restauration de cet exemple très rare d’un textile du XVIIIe siècle, j’ai répondu avec enthousiasme.

[Détails des taches brunâtres sur le jupon brodé blanc cassé.]

Le textile ne pouvait pas être exposé dans son état original, car il était très taché ce qui nuisait à son apparence et dérangeait ceux qui voulaient l’admirer.

La plupart des textiles ne peuvent pas supporter un traitement de réduction des taches. Mais ce textile est unique, car il est entièrement blanc. S’il avait été coloré, nous n’aurions pas pu le soumettre au traitement prévu de réduction des taches.

Ensuite, il est très résistant. Si d’une manière ou d’une autre, il avait été fragile ou friable, nous n’aurions pas envisagé ce traitement.

Les premières photos laissaient à penser que la tache contenait du fer en raison de sa couleur orangée. Nous avions ainsi prévu d’utiliser en combinaison du dithionite et une solution d’EDTA pour réduire les ions de fer et les éliminer.

[Une restauratrice vaporise une solution de borohydrure de sodium sur le jupon.]

Il serait nécessaire d’utiliser du borohydrure de sodium pour atténuer davantage les taches. Ce composé présente beaucoup d’avantages. C’est un agent réducteur qui peut atténuer les couleurs et aussi inverser certains effets du vieillissement. C’est aussi un composé alcalin qui pourra réduire l’acidité du textile puisque la plupart des tissus anciens sont acides.

[Chris Paulocik enlève la saleté sur le jupon au moyen de l’embout de de l’aspirateur.]

En plus de la longue expérience de Chris en matière de textiles, nous avons aussi besoin d’une équipe de restaurateurs et de scientifiques de l’ICC pour mener ce traitement à bien.

[Des restauratrices et la scientifique discutent du jupon, assises à une table de conférence. Diverses photos de taches se trouvent devant elles.]

À titre de scientifique, je connais la recherche et j’ai l’expérience de l’utilisation de ces substances chimiques et de leurs effets sur les textiles.

[Gros plan des restauratrices Renée Dancause et Janet Wagner, et de la stagiaire Michelle Hunter]

Mais nous devions être appuyés par les restauratrices de textiles du laboratoire de textiles Renée Dancause et Janet Wagner, ainsi que par notre stagiaire Michelle Hunter. Elles ont toutes beaucoup de connaissances et d’expérience en restauration et manipulation de textiles anciens et en savent beaucoup sur les grands tissus et leur vulnérabilité.

[Gros plan de Crystal Maitland]

Crystal Maitland, la restauratrice de papier de notre équipe, a l’habitude des traitements de réduction des taches sur les papiers et aussi de l’utilisation de gels pour éliminer les taches.

La première fois que nous avons vu le textile, nous avons été surpris de constater à quel point son état était pire que ce que les photos laissaient voir.

[Season Tse qui effectue des essais ponctuels sur le jupon au moyen de bandes indicatrices de pH. Elle montre ensuite à quel point le niveau de pH est bas lorsqu’elle compare les résultats avec l’échelle de couleurs.]

Nous avons alors testé ici et là les régions tachées et obtenu des résultats plutôt alarmants. Le pH de certaines taches foncées était de trois, ce qui signifie qu’elles étaient très acides. Si on ne traitait pas ces régions, elles pourraient se dégrader, fragiliser le textile et, à long terme, le détruire.

L’analyse par fluorescence des rayons X dans une région très tachée a montré la présence de fer, mais à faible concentration, comme d’ailleurs dans le reste du textile.

[Détail d’un spectromètre de fluorescence des rayons X utilisé sur une partie du jupon.]

Donc, puisque cette région ne présentait pas une plus forte concentration de fer, nous avons conclu que la tache n’était pas causée par du fer.

Nos tests ponctuels ont aussi montré qu’en ajoutant une petite quantité de détergent à l’eau, la tache devenait beaucoup plus rapidement soluble. À la suite de ces tests et de l’analyse, nous avons planifié une série de traitements :

Nous commencerons par utiliser une faible concentration de détergent anionique Orvus (0,1 % dans ce cas) dans laquelle nous immergerons le textile afin d’en retirer le plus de saletés superficielles et de substances colorées solubles possible.

[Le détergent est versé dans un grand bac de lavage. Une équipe de restauratrices immerge ensuite le jupon dans le grand bain.]

Nous le rincerons autant de fois nécessaires pour éliminer les résidus de détergent puis nous utiliserons de la gomme gellane pour voir si nous pouvons davantage atténuer les taches.

[Les restauratrices utilisent des éponges afin d’enlever plus facilement la saleté dans le bain de lavage. Elles poursuivent le détachage au moyen de gomme gellane, de dithionite, d’EDTA et également de borohydrure de sodium.

Nous emploierons ensuite une combinaison de dithionite et d’EDTA pour retirer tout ion métallique nocif du textile que nous rincerons par la suite. Si nécessaire, nous utiliserons du borohydrure de sodium pour éliminer ce qui reste des taches et ainsi éclaircir le textile. Dans les zones plus tachées, nous nous servirons d’une solution plus concentrée pour atténuer le plus possible la tache.

Michelle Hunter, stagiaire diplômée, textiles 2017-2018

Il a fallu faire quelques préparatifs avant de nettoyer le jupon à l’eau. D’abord, on devait stabiliser certains des éléments lâches pour les protéger pendant le nettoyage.

[Des restauratrices stabilisent les bords non finis du tissu et d’autres parties vulnérables du jupon en renforçant temporairement ces endroits avec un tissu en polyester cousu à l’aide de fil de polyester.]

Le jupon présente deux fentes de poches verticales et un tour de taille non fini. Pour les protéger, nous avons recouvert ces parties d’un tissu en polyester extra fin et nous les avons temporairement fixées sur place avec un fil de polyester. La prochaine étape était le retrait mécanique des accrétions et des particules en surface.

[Une restauratrice utilise des pincettes sous grossissement pour enlever les accrétions brunâtres. Les particules de saleté détachées un peu partout sur le vêtement sont enlevées à l’aide d’un aspirateur à faible aspiration.]

Les accrétions ont été délicatement retirées au microscope à l’aide de pincettes. Les poussières de surface ont été délicatement aspirées à l’aide d’un aspirateur réglé à faible intensité. Pour nous aider lors du nettoyage à l’eau, nous avons utilisé un détergent adéquat pour la conservation, entièrement dissous dans de l’eau au préalable par agitation.

Renée Dancause, restauratrice, textiles

Puisque le jupon était très grand, nous avons préparé un grand bac de lavage en acier inoxydable pour le nettoyage à l’eau. Ce bac nous permettait de nettoyer le jupon dans un pouce d’eau, car nous voulions utiliser le moins d’eau possible.

[Une restauratrice verse environ un pouce d’eau dans un grand bac de lavage. L’équipe dépose ensuite le jupon à plat sur un filet de nylon dans le bac de lavage.]

Le jupon a été mis à plat dans le bac.

Nous avions aussi préparé une petite cuve de lavage en plastique pour le traitement au dithionite de sodium, un produit qui sent plutôt mauvais, dans la hotte de laboratoire. Il était nécessaire d’utiliser une cuve ou un bac de lavage plus petit à cause de la taille de la hotte de laboratoire.

Janet Wagner, restauratrice, textiles

Nous avons terminé la première étape du nettoyage à l’eau. Nous avons rempli le bac de lavage avec de l’eau purifiée par osmose inverse obtenue dans le laboratoire de textiles. Nous avons rempli le bac de lavage avec un pouce d’eau, soit environ 90 litres, assez pour couvrir entièrement le textile dans le bac de lavage. Nous avons ensuite ajouté le détergent préparé dans l’eau du bac de lavage et nous l’avons distribué également à la main.

[Le bac de lavage contient environ un pouce d’eau. Un surfactant est ensuite ajouté et mélangé de façon uniforme avec l’eau. Le jupon est plié, placé sur un filet de nylon et déposé dans l’eau].

En raison de sa taille et de son poids, nous avons dû plier le jupon à l’avance et l’avons placé sur un filet doux de nylon. Nous avons mis le filet avec le jupon dans le bac, nous l’avons déplié, ce qui a complètement rempli le bac, et nous avons lentement déplié le jupon.

[Les restauratrices utilisent des éponges pour déloger la saleté en portant une attention particulière aux parties tachées.]

Nous avons ensuite mouillé nos éponges naturelles et doucement épongé le jupon pour déloger la saleté en nous concentrant sur les régions tachées. C’est ce qu’ont fait plusieurs personnes pendant quelques minutes. Nous avons ensuite fait flotter le textile pour le retourner et ainsi éponger le verso. Nous avons prélevé des échantillons d’eau pour déterminer à quel point elle était colorée et pour déterminer la quantité de saleté qui sortait du textile afin de décider s’il était nécessaire de répéter l’étape du lavage. Nous avons déterminé que l’eau n’était pas très colorée et que nous ne devrions pas refaire un lavage avec le détergent. Nous avons ensuite refait flotter le textile et nous l’avons replié, déposé sur le filet, afin que deux personnes puissent le retirer du bac et le déposer sur une table. Nous avons ensuite vidé le bac à l’aide de pompes portatives. Nous avons aussi penché la table et utilisé des raclettes en caoutchouc afin de retirer le plus d’eau possible et ainsi préparer le bac pour rincer le textile.

Narration de Season Tse

Après le lavage avec un détergent, le jupon a été rincé à plusieurs reprises dans de l’eau purifiée par osmose inverse, jusqu’à ce que le détergent soit complètement retiré.

Crystal Maitland, restauratrice, œuvres sur papier

Pour terminer le nettoyage, nous avons retiré le textile du bac et l’avons placé sur une table pour l’éponger à l’aide de serviettes. Sur les zones les plus tachées, nous avons ensuite utilisé la gomme gellane.

[L’équipe de restauratrices transporte le jupon vers une grande table. Le tissu est épongé à l’aide de serviettes blanches. De la gomme gellane est pressée sur les parties tachées.]

C’est un polysaccharide à poids moléculaire élevé, un biopolymère naturel qui se gélifie à très faible concentration dans l’eau.

On l’utilise dans les traitements de conservation pour transporter des produits chimiques en solution aqueuse à la surface d’objets. Elle permet de réduire la dispersion de l’humidité ou d’augmenter le temps de maintien sur la surface. Elle exerce également une faible attraction capillaire qui peut aider à retirer les produits de dégradation ou les salissures de la surface ou de l’intérieur d’un objet. La gomme gellane à faible teneur en acyle est très utilisée pour la restauration du papier. Il s’agit d’un gel rigide plutôt transparent qui épouse assez bien les surfaces du papier et de l’encre. Toutefois, la texture des textiles est naturellement plus marquée à l’échelle microscopique en raison de la torsion des fils, de l’armure du tissu ou, dans ce cas-ci, de la dimensionnalité de la broderie. Nous avons besoin d’un gel plus souple. Il existe heureusement un autre type de gomme gellane, appelée gomme gellane à haute teneur en acyle. On peut plus facilement la draper, mais elle n’est malheureusement pas transparente..

[Les restauratrices assurent un bon contact entre la gomme gellane et le jupon en appliquant une pression avec les mains.]

Il est également plus difficile de la préparer en forte concentration. En mélangeant les deux types de gomme gellane, on peut profiter de la transparence et de la facilité de préparation du gel à faible teneur en acyle et de la conformabilité à la surface du gel à forte teneur en acyle. Pour produire le gel, on doit chauffer la solution jusqu’à ce qu’elle fonde (nous avons utilisé un four micro-ondes) et la laisser refroidir dans un contenant de notre choix. Pour ce qui est de la formulation, il faut trouver les bonnes proportions. Nous voulions un gel avec une forte concentration pour obtenir de petits pores et une meilleure attraction capillaire, mais qui soit plus facile à draper, ce qui est obtenu à faible concentration. En ajoutant du gel à haute teneur en acyle, nous obtenons un gel à forte concentration plus facile à draper que du gel à faible teneur en acyle seul.

[Une restauratrice coupe sur mesure la gomme gellane. La gomme est appliquée sur le jupon et des poids sont placés par-dessus.]

Nous avons laissé le gel sur la surface du textile pendant environ une heure, mais, dans le cas présent, très peu de la couleur a été transférée au gel. Nous avons bien obtenu la conformabilité à la surface que nous désirions, et nous continuerons d’étudier l’utilisation de ces gels lors de futurs traitements de conservation.

Season Tse, scientifique principale en conservation

Après l’application de gomme gellane, nous avons utilisé deux agents réducteurs séparément : le dithionite de sodium et le borohydrure de sodium.

[La scientifique en conservation mélange du dithionite de sodium et de l’EDTA avec de l’eau dans un bac en plastique.

Nous avons choisi ces agents parce qu’ils peuvent atténuer des taches sans endommager le textile. En fait, ils ont pour effet de le stabiliser. Nous avons utilisé du dithionite de sodium avec de l’EDTA pour retirer les ions métalliques nuisibles du textile. Nous l’avons fait dans la hotte de laboratoire parce que le réactif sent très fort.

Le jupon est placé sur un filet et immergé dans la solution.]

Nous avons immergé le textile dans une solution à 2 % d’EDTA et de dithionite pendant environ 30 minutes. Le textile semblait plus clair et les taches foncées avaient été atténuées, mais elles étaient toujours très visibles. Après avoir rincé le jupon dans de l’eau purifiée par osmose inverse, nous avons décidé de l’immerger dans un bain de borohydrure de sodium à faible concentration pendant 30 minutes. Il y avait beaucoup de bulles en raison de l’hydrogène produit par la réaction entre les acides du textile et le borohydrure.

[Les restauratrices appliquent une concentration plus élevée de solution de borohydrure de sodium sur les taches tenaces au moyen de flacons pulvérisateurs et de brosses, puis couvrent l’agent réducteur avec des feuilles de Mylar dans le but de prolonger la réaction chimique.

Après l’immersion de 30 minutes, nous avons retiré le textile et l’avons placé dans le bac de lavage, puis nous avons appliqué du borohydrure en concentration plus élevée sur les zones les plus sombres. Nous l’avons également couvert de Mylar pour prolonger l’effet du réactif. Lorsque nous avons conclu qu’on ne pourrait pas atténuer davantage la tache, nous avons terminé le traitement et nous avons plongé le textile dans de l’eau purifiée par osmose inverse pour retirer les résidus de borohydrure.

Le traitement a fortement abaissé le niveau d’acidité et éliminé les ions métalliques nuisibles et les produits oxydés. Le textile est beaucoup plus stable d’un point de vue chimique. D’un point de vue esthétique, la zone la plus sombre a été considérablement blanchie et les taches d’eau plus claires sont presque éliminées. L’apparence générale du jupon est beaucoup plus claire. Le travail délicat de l’aiguille et le motif subtil, mais élaboré sont visibles et on peut admirer le jupon sans distraction.

Renée Dancause, restauratrice, textiles

Le jupon a été épongé à l’aide de plusieurs serviettes blanches propres afin de le sécher. Il faut se rappeler que les textiles nettoyés à l’eau doivent être rapidement séchés.

[Les restauratrices placent un grand cadre avec un filet sur une table. Le filet est surélevé à l’aide de blocs de mousse.]

Ce textile est vraiment particulier puisqu’il a deux épaisseurs, qui ont chacune trois couches de textile. Il fallait donc créer une circulation d’air pour accélérer le séchage. Le textile a été placé sur un filet de soutien en nylon élevé sur des blocs afin de permettre à l’air de circuler sous le filet et autour du jupon. Nous avons séparé les deux épaisseurs du jupon à l’aide d’un tissu en tulle de nylon pour permettre une meilleure circulation d’air dans le jupon. Nous avons ensuite utilisé de très grands ventilateurs de plancher pour diriger le courant d’air autour du jupon et des séchoirs à main sans chauffage pour accélérer le séchage. Le jupon était partiellement sec après une heure d’efforts concertés avec les séchoirs à main sans chauffage. Nous le laisserons dans le laboratoire pour qu’il termine de sécher à l’air libre pendant la nuit.

[Une comparaison du tissu du jupon avant et après le traitement est présentée. Les taches semblent plus pâles et le tissu semble plus propre et d’un blanc plus vif après le traitement.]

Cette vidéo explique en détail le traitement appliqué afin d’améliorer l’aspect et l’état d’un tissu datant du XVIIIe siècle. Cette vidéo a été créée par l'Institut canadien de conservation.

Détails de la page

Date de modification :