La Marine royale du Canada étend ses ailes (1939-45)

Les opérations à l’étranger

La plus grande contribution de la Marine royale du Canada à la Deuxième Guerre mondiale est le rôle qu’elle a joué dans la bataille de l’Atlantique, l’inlassable lutte contre les sous-marins allemands qui fait l’objet du prochain chapitre. Ce qu’on oublie souvent cependant, c’est que toutes sortes de navires de guerre (croiseurs légers, chalands de débarquement, etc.) armés en personnel par la MRC ont participé aux opérations en Europe et dans le Pacifique. Et si la MRC a participé à la guerre de surface dans ces théâtres, c’est parce que le Quartier général du Service naval (QGSN) avait l’ambition de bâtir une « flotte équilibrée », une « marine hauturière » qui serait la base d’une marine d’après-guerre si forte qu’elle ne serait plus jamais menacée de dissolution comme elle l’avait été dans les années 1920.

Lorsque la guerre éclata, en septembre 1939, la plus grande menace selon le QGSN était les grands raiders de surface, pas les sous-marins, et pour lutter contre cette menace il voulait une flotte de puissants destroyers de la classe Tribal. Pendant l’hiver 1939–1940, il conclut un accord avec l’Amirauté à Londres; le Canada s’engageait à produire des escorteurs pour la RN et, en échange, la Grande-Bretagne s’engageait à construire pour le Canada quatre navires de la classe Tribal au Royaume-Uni. Dans l’attente de ces navires, le QGSN fit convertir trois grands paquebots — les NCSM Prince David, Prince Henry et Prince Robert — en croiseurs auxiliaires; les sept destroyers de la flotte d’avant-guerre furent utilisés comme escorteurs de convois dans l’Atlantique et les trois « Prince » opérèrent principalement sur la côte Ouest. Après la défaite de la France en juin 1940 et l’arrivée des sous-marins allemands sur le littoral atlantique, la MRC fut de plus en plus occupée dans l’Atlantique Nord, mais le QGSN n’abandonna jamais vraiment son ambition d’armer en équipage de grands navires de guerre.

Cette ambition ne pouvait toutefois se réaliser à court terme, car le premier des destroyers Tribal ne fut mis en service que vers la fin de 1942. Pourtant, pendant les premières années de la guerre, beaucoup d’officiers et de marins canadiens acquirent une expérience précieuse dans la RN. Leur histoire n’a jamais vraiment été racontée, mais il faut souligner que les marins canadiens ont servi en mer, dans tous les théâtres de la guerre à des titres variés, allant du conventionnel à l’extrême.

Toile montrant un aéronef qui vole en direction des projectiles ennemis tirés d’un navire sur l’eau. Un incendie prend naissance sous l’aile gauche de l’aéronef.

Finale, de Donald Connolly, illustre l’engagement du 9 août 1945, dans la rade d’Onagawa (Japon), pour lequel le Lieutenant Robert Hampton Gray, VC, DSC, a reçu à titre posthume la seule croix de Victoria décernée à un membre de la MRC.

Pour ne citer que quelques exemples, l’Aspirant de marine L. B. Jenson, MRC, était sur le croiseur cuirassé HMS Renown lorsqu’il engagea le combat contre les cuirassés allemands Scharnhorst et Gneisenau au large de la Norvège le 10 avril 1940. Le Lieutenant de vaisseau R.W. Timbrell, MRC, reçut la Distinguished Service Cross pour son service à Dunkerque en juin 1940 et l’Enseigne de vaisseau de 1re classe G. H. Hayes, RVMRC, survécut à un naufrage au cours de la même évacuation. L’Enseigne de vaisseau de 1re classe G. Strathey, RVMRC, était officier radar sur le croiseur HMS Ajax lorsque celui-ci coula trois destroyers italiens en Méditerranée en octobre 1940. Le Lieutenant de vaisseau S. E. Paddon, RVMRC, était officier radar sur le HMS Prince of Wales qui combattit le Bismarck au printemps 1941 et il survécut au naufrage de son navire au large de la Malaisie sept mois plus tard. Cinq officiers canadiens périrent lorsque le HMS Bonaventure fut coulé près de la Crète en mars 1941 et le Lieutenant de vaisseau C. Bonnell, DSC, RVMRC, périt sur une « torpille humaine » Chariot dans un raid sur les côtes de Sardaigne en décembre 1941. Le Lieutenant de vaisseau et médecin W. J. Winthrope, RVMRC, fut tué dans une audacieuse attaque de commando sur Saint-Nazaire en mars 1942. Le Lieutenant de vaisseau J. H. O’Brien, MRC, fut témoin des débarquements amphibies alliés en Sicile et en Italie en 1943. Soixante matelots canadiens servaient sur le HMS Belfast lors de l’attaque qui contribua à couler le Scharnhorst dans la mer de Barents en décembre 1943. Le Lieutenant de vaisseau R. H. Lane, RVMRC, servit sur le croiseur lourd britannique HMS Glasgow, et le Capitaine de corvette F. H. Sherwood, RVMRC, commanda le sous-marin HMS Spiteful dans l’océan Indien en 1945. Le Capitaine de vaisseau H.T.W. Grant, MRC, commanda le croiseur HMS Enterprise en 1943–1944 et le Lieutenant de vaisseau F. R. Paxton, RVMRC, était officier radar sur le destroyer HMS Venus lorsque, en mai 1945, il détecta le croiseur lourd japonais Haguro à la limite extrême de détection, 55 km, contact qui permit la destruction de l’ennemi. Il ne faut pas oublier le Capitaine de corvette B. S. Wright, RVMRC, qui fut chargé d’un travail pas comme les autres pendant la guerre. En effet, en 1945, il faisait partie d’un détachement des opérations spéciales dans le centre de la Birmanie, chargé de traverser à la nage le fleuve Irawaddy, la nuit, pour attaquer l’ennemi.

Les Canadiens étaient très présents dans deux branches de la RN, les forces côtières et l’aéronavale, en partie parce que le QGSN permettait à la Grande-Bretagne de faire du recrutement au Canada pour ces spécialités. En 1943, plus d’une centaine d’officiers de la MRC servaient dans les forces côtières, commandant des vedettes d’attaque, petites mais lourdement armées, dans la Manche et dans la Méditerranée. Ils se distinguèrent par leurs exploits. Le Capitaine de corvette T. G. Fuller, RVMRC, reçut l’Ordre du service distingué et deux agrafes pour avoir opéré contre des navires ennemis dans l’Adriatique, et le Lieutenant de vaisseau R. Campbell, RVMRC, participa à des commandos contre les troupes de Rommel en Afrique du Nord. Quatre jeunes officiers de la RVMRC, les Lieutenants de vaisseau J. Davies, W. Johnston, R. MacMillan et J. M. Ruttan, furent chargés de déminer Tobrouk pendant le siège de 1941–1942 et les Capitaines de corvette G. Stead et N. J. Alexander, RVMRC, commandèrent des flottilles de la force côtière britannique dans la Méditerranée. Le Capitaine de corvette J. D. Maitland, RVMRC, se distingua en mai 1943 par le combat entre le navire qu’il commandait, le MGB 657, et un sous-marin allemand en surface. Maitland repoussa non seulement l’ennemi, mais il parvint à distraire l’équipage de la passerelle du sous-marin, au point où celui-ci éperonna accidentellement un autre sous-marin ennemi et que les deux sous-marins coulèrent. Le Lieutenant de vaisseau A. G. Law, RVMRC, prit part à l’attaque des cuirassés allemands Scharnhorst et Gneisenau lors de leur célèbre remontée de la Manche (l’opération Cerbère) en février 1942. Pendant que Law s’efforçait d’éviter les vedettes et destroyers allemands déterminés à couler sa fragile vedette lance-torpilles avant qu’elle ne puisse s’approcher suffisamment, son patron d’embarcation attira son attention sur le ciel : « Monsieur, avions à deux paires d’ailes; sans doute des Anglais »1, et c’était vrai. Il y avait effectivement cinq avions torpilleurs Swordfish venus, eux aussi, attaquer les cuirassés ennemis. Les cinq furent abattus, mais les cuirassés allemands s’échappèrent.

Le Capitaine de frégate G. C. Edwards, RVMRC, pilotait un de ses cinq avions, mais il survécut et commanda plus tard une escadrille de Swordfish dans l’Aéronavale britannique. Edwards survécut non seulement à l’écrasement de son « Stringbag » (c’est ainsi qu’on appelait alors ces biplans) dans la Méditerranée mais il fut l’un des rares pilotes à survivre à un amerrissage en urgence dans les eaux glaciales de l’océan Arctique pendant l’escorte d’un convoi jusqu’à Mourmansk. Le Capitaine de frégate D. R. B. Cosh, RVMRC, commanda une escadrille de chasseurs Wildcat, plus modernes, embarqués sur le porte-avions d’escorte HMS Pursuer qui participa à l’attaque du cuirassé allemand Tirpitz en avril 1944. Le Capitaine de frégate R. E. Jess, RVMRC, commanda une escadrille d’Avenger chargée d’attaquer des cibles japonaises dans le Pacifique en 1945. Parmi les pilotes de chasse de l’aéronavale dans le Pacifique, il y avait un bon nombre de Canadiens. Le Lieutenant de vaisseau D. J. Sheppard, RVMRC, et le Lieutenant de vaisseau W. H. I. Atkinson détruisirent cinq cibles dans ce théâtre, et trois de celles d’Atkinson étaient des interceptions de nuit, très difficiles. Le Lieutenant de vaisseau D. M. Mcleod, RVMRC, survécut miraculeusement, presque sans une égratignure, au décollage raté de son Corsair (le moteur coupa au moment du décollage et l’avion, après quelques tonneaux, s’écrasa en mer). Le Lieutenant de vaisseau A. Sutton, RVMRC, fut porté disparu dans son Corsair pendant un raid sur Sumatra en 1945. Le Lieutenant de vaisseau R. H. Gray, RVMRC, pilota aussi des Corsair, et sa courageuse attaque d’un destroyer japonais en août 1945 lui valut la seule croix de Victoria décernée à un membre de la MRC pendant la guerre (elle lui fut décernée à titre posthume). Le Lieutenant de vaisseau G. Anderson, RVMRC, qui faisait partie de la même escadrille que Gray, fut tué dans la même attaque, car son Corsair très endommagé s’écrasa à l’appontage sur le porte-avions HMS Formidable. Anderson fut le dernier membre de la Marine canadienne à mourir pendant la Deuxième Guerre mondiale.

La MRC contribua largement au travail de l’organisation — connue sous le nom de Combined Operations — chargée d’effectuer des raids sur l’Europe occupée et de mettre au point les techniques spécialisées nécessaires au déroulement des grandes opérations amphibies qui marquèrent les dernières années de la guerre. Au début de 1942, 50 officiers et 300 marins partirent pour la Grande-Bretagne afin de former deux flottilles de chalands de débarquement. Le 19 août 1942, 15 officiers et 55 matelots de ce groupe se trouvaient dans les flottilles de débarquement britanniques qui participèrent à l’opération Jubilee, l’infortuné raid sur Dieppe qui coûta à l’armée canadienne 3 000 pertes, soit environ 65 pour cent des effectifs engagés. Dans une lettre envoyée à sa famille peu de temps après, l’Enseigne de vaisseau de 1re classe D. Ramsay, RVMRC, offre un kaléidoscope dramatique de tout ce qu’il avait vu cette terrible journée :

… Un chalutier armé allemand a été soufflé hors de l’eau par un de nos destroyers; un obus de 5 pouces l’a traversé de part en part sans exploser près de moi; l’officier d’embarcation, skipper Jones, RNR (ancien pêcheur sur chalutier, naturellement) qui vocifère des invectives à un avion allemand et qui de temps à autres, lance un fameux « prend ça enculé »; une grosse troupe de mitrailleurs allemands cloue au sol quiconque ose s’approcher de la plage; un Ju 88 a une aile sectionnée par le Mat 2 Mitchinson, de l’Ontario, qui tire depuis la poupe de la barge; un avion qui fait du rase-mottes derrière un destroyer avant de lâcher sa bombe de 2 000 livres, qui ricoche sur le mât et explose à quelque 10 verges par tribord avant; je risque un œil par-dessus le poste du patron d’embarcation et je vois la bouche du canon fumant d’un Me 109. Il s’en est fallu de peu. 2

Des rangées de recrues de la Marine se déplacent en formation devant une réplique de navire.

La guerre que la Marine attendait : des recrues à l’entraînement au NCSM York, en février 1942; au fond, une maquette grandeur nature d’un cuirassé de classe King George V.

Réparti en quatre flottilles distinctes, le personnel canadien des Combined Operations prit ensuite part à l’opération Torch (le débarquement en Afrique du Nord en novembre 1942), à l’opération Husky (le débarquement en Sicile en juillet 1943) et à l’opération Baytown (le débarquement en Italie en septembre de la même année).Au grand désespoir du QGSN, les faits d’arme de ces flottilles passèrent pratiquement inaperçus au Canada, et le QGSN se promit bien que cela ne serait pas le cas des destroyers de la classe Tribal. Le premier de ces destroyers, le NCSM Iroquois, fut mis en service en novembre 1942 et fut suivi, dans les huit mois suivants, par les NCSM Athabaskan, Haida et Huron. Armés de six canons de 4,7 pouces, de deux canons de quatre pouces à tir vertical, de quatre tubes lance-torpilles de 21 pouces et d’armes antiaériennes de plus petit calibre, ces gracieux et puissants destroyers étaient destinés à être non seulement la force de frappe de la MRC, mais aussi le noyau de la flotte d’après-guerre. Le QGSN se défendit contre la proposition du premier ministre William Lyon McKenzie King qui souhaitait que les destroyers de la classe Tribal soient employés comme escorteurs de convois dans l’Atlantique Nord ou bien à la défense de la côte du Pacifique. Mais le Capitaine de frégate H. G. DeWolf, directeur des plans, déclara que ces destroyers étaient avant tout des navires de combat et que ce serait du gaspillage que de les utiliser à autre chose. Il était d’avis que la meilleure chose à faire était de placer les destroyers « sous contrôle opérationnel britannique » où ils pourraient « contribuer à la cause générale ».3 Heureusement, la logique triompha, et les quatre navires passèrent le reste de la guerre au sein de la flotte britannique, la Home Fleet, où ils se taillèrent un impressionnant palmarès.

Après leur croisière d’endurance et après que des problèmes techniques et des problèmes de personnel eurent été réglés, l’Athabaskan et l’Iroquois furent affectés à l’offensive du golfe de Gascogne, leur premier affrontement. Cette offensive, qui eut lieu pendant l’été 1943, avait pour but d’intercepter et de détruire les sous-marins allemands qui se rendaient dans l’Atlantique Nord depuis leurs bases en France, mais elle ne connut qu’un succès mitigé, surtout parce que les navires alliés étaient à portée de l’aviation allemande. Le 27 août, l’Athabaskan opérait en compagnie du destroyer HMS Grenville et du HMS Egret lorsqu’il fut attaqué par un nouveau type d’armes : une bombe planante radioguidée — en fait un missile lancé et guidé par avion. Le commandant de l’Athabaskan, le Capitaine de corvette F. R. Miles, MRC, se souvient d’avoir vu approcher 19 bombardiers Dornier 217

… les trois premiers avions lâchèrent leur bombe roquette presque en même temps; deux manquèrent leur cible, mais la troisième, sans la moindre déviation, fonça droit sur la passerelle de l’Athabaskan. C’était un coup magnifique et il était impossible de l’éviter. Elle toucha le côté bâbord à la jonction du pont du canon B et de la timonerie; elle traversa le mess des officiers mariniers et en ressortit à tribord où elle explosa à vingt ou trente pieds du navire. 4

Un autre bombardier visa l’Egret, qui fut touché et coula. L’Athabaskan fut très endommagé, mais fort heureusement les dégâts furent surtout matériels et le navire put regagner Plymouth où il passa longtemps en cale sèche afin d’être remis en état de combattre.

Deux navires du point de vue d’un troisième navire sur l’eau.

Les puissants destroyers de classe Tribal Haida et Athabaskan en formation dans la Manche au printemps 1944.

En novembre 1943, les trois destroyers Tribal opérationnels reçurent l’ordre de remonter vers Scapa Flow, la base désolée et isolée de la flotte britannique dans les îles Orkney, afin d’escorter des convois de Grande-Bretagne en Russie. De leur mise en place, en août 1941, à la fin de la guerre, ces convois furent les opérations les plus dangereuses effectuées par les marines alliées, les pertes furent lourdes, tant pour les navires marchands que pour les navires de guerre, car les convois devaient passer à faible distance des bases allemandes de Norvège. Les convois de l’Arctique risquaient d’être attaqués non seulement par des sous-marins et des avions mais aussi par de grands bâtiments de guerre — notamment le cuirassé Tirpitz, le jumeau du Bismarck — et ils devaient affronter des conditions météorologiques très difficiles et des froids extrêmes. Les convois de Mourmansk étaient peut-être essentiels à l’effort de guerre russe, mais tous les marins les redoutaient, et le Lieutenant de vaisseau P.D. Budge, MRC, du Huron explique pourquoi :

Il y avait sans cesse des coups de vent, la mer était sombre et les nuages aussi. Le disque du soleil atteignait à peine l’horizon, le navire tanguait et roulait sans cesse, nos vêtements humides sentaient le moisi, le froid était mordant, les quarts longs et fréquents semblaient ne jamais vouloir finir. Et pour arranger les choses, nous n’avions que du pain rassis, des œufs en poudre, des tomates étuvées et du bacon à manger. Le bonheur c’était de s’étendre dans un hamac bien tendu et de dormir quelques heures. Il n’y avait pas de répit pour les servants des canons, des torpilles ou des grenades sous-marines car toutes les 15 minutes, il fallait reprendre l’exercice afin d’empêcher la formation de glace dans les armes. On faisait monter la bordée de repos afin de déglacer le navire — c’est à peu près les seuls moments où on enviait le personnel de la salle des machines. Chaque voyage aller et retour semblait durer une éternité et il n’y avait rien à attendre à l’autre bout, à part peut-être du courrier à Scapa Flow.5

À la fin de décembre 1943, le Haida, le Huron et l’Iroquois escortèrent le convoi JW 55B qui fut attaqué par le croiseur cuirassé allemand Scharnhorst. Les navires canadiens ne participèrent pas directement à ce combat mais ils furent témoins par radio de la destruction du Scharnhorst le lendemain de Noël 1943. Lorsqu’ils mouillèrent près de Mourmansk deux jours plus tard, les équipages célébrèrent Noël avec un peu de retard, et un des officiers du Haida se souvient que « les postes d’équipage étaient drapés de pavillons de signalisation, il y avait sur la table une bouteille de bière pour chaque homme, les chandelles répandaient une douce lumière et pratiquement tout le monde était ivre. » 6

Les Tribal commencèrent à participer aux opérations en 1943 et, au cours de l’année, le QGSN s’employa — avec beaucoup de succès d’ailleurs — à mettre en place la flotte qu’il souhaitait : une flotte équilibrée qui survivrait aux inévitables compressions des dépenses de l’après-guerre. Quatre facteurs accélérateurs l’aidèrent à atteindre cet objectif ambitieux. Tout d’abord, 1943 fut un tournant significatif dans la bataille de l’Atlantique, et les Alliés prirent le dessus dans la guerre contre les U-boot, ce qui permit à la MRC de « reprendre son souffle » pour la première fois depuis 1940 et d’envisager l’avenir. Deuxièmement, le recrutement pour la Marine canadienne avait atteint le stade où il y avait un surplus de personnel qui attendait d’embarquer sur les navires encore en construction. Troisièmement, la RN manquait de personnel et avait un surplus de navires. Quatrièmement, et surtout, l’heure d’une opération transmanche pour les Alliés occidentaux approchait, et cette opération exigerait non pas des centaines mais des milliers de navires et de petites embarcations.

Ces facteurs se remarquèrent à la conférence de Québec (nom de code Quadrant), à laquelle assistèrent les dirigeants de la Grande-Bretagne, des États-Unis et du Canada en septembre 1943.Au cours de réunions avec l’Amiral Dudley Pound, chef d’état-major de la RN, et le Vice-amiral Louis Mountbatten, chef des Combined Operations, le chef d’état- major de la Marine canadienne, le Vice-amiral Percy Nelles, ne voulait pas qu’à la fin de la guerre, la Marine canadienne « soit une marine de petits navires » 7, et d’ailleurs, il informa ses homologues britanniques de son intention de créer une flotte d’après-guerre composée de cinq croiseurs, de deux porte-avions légers et de trois flottilles de destroyers d’escadre. Nelles demanda à la Grande-Bretagne de l’aider à atteindre cet objectif ambitieux et il eut gain de cause. Avec l’aide de Winston Churchill, il sut manœuvrer autour du premier ministre canadien Mackenzie King, toujours méfiant des dépenses de la Défense et réussit à obtenir ce qu’il voulait. Il fut convenu que la MRC prendrait en charge et armerait en équipage deux porte-avions d’escorte, deux croiseurs légers, deux destroyers d’escadre et trois flottilles de péniches de débarquement et qu’elle fournirait un « commando » (le Beach Commando W), c’est-à-dire une unité amphibie de contrôle du trafic, pour l’invasion.

D’autres initiatives entreprises en 1943 et au début de 1944 renforcèrent la présence de la MRC dans les eaux européennes. Le Prince David, le Prince Henry et le Prince Robert, dont on n’avait plus besoin comme croiseurs auxiliaires, furent rebâtis pendant l’année. Le Prince David et le Prince Henry furent convertis en navires de débarquement, dont chacun transporterait une flottille de chalands de débarquement, et le Prince Robert fut transformé en navire de défense antiaérienne. Cette forte présence canadienne dans les forces côtières conduisit les Britanniques à proposer à la MRC d’armer en équipage deux flottilles de vedettes lance-torpilles en vue de l’invasion, et le Canada commença à envoyer du personnel en Angleterre à la fin d’octobre 1943. Au début de 1944, la Grande-Bretagne demanda des dragueurs de mines, et le Canada envoya 16 navires de la classe Bangor. Tout compte fait, le Canada contribua 126 bâtiments de toutes sortes et au moins 10 000 marins et officiers à l’opération Neptune — la composante navale du débarquement en Normandie. Le QGSN était convaincu que cette participation à l’opération la plus cruciale de la guerre, outre le renfort qu’elle apporterait à la cause alliée, donnerait du prestige à la MRC et rehausserait son profil auprès des Canadiens. L’opération Neptune fut effectivement le point culminant de l’extension en temps de guerre de la Marine canadienne et elle fit appel à la crème de la Marine

Navire à quai encadré par des grues.

Le NCSM Prince Robert, un des trois paquebots de la Compagnie nationale de navigation du Canada, convertis en 1940 en croiseurs marchands armés par la MRC, en cale sèche au Royaume-Uni en janvier 1944, après une autre conversion en croiseur antiaérien.

En janvier 1944, à la grande satisfaction de leur équipage, les quatre destroyers canadiens de la classe Tribal furent transférés de Scapa à Plymouth, où ils formeraient, avec d’autres destroyers de la même classe de la RN, la 10e Flottille de destroyers, chargée de mener des opérations destinées à affaiblir les grandes unités de surface allemandes qui se trouvaient dans la Manche. Ces opérations, surnommées Tunnel, commencèrent à la fin février. La 10e Flottille patrouillait la nuit, à la recherche de destroyers et de torpilleurs (en réalité des petits destroyers) ennemis basés au Havre et à Cherbourg. Ces patrouilles continuèrent jusqu’en avril sans résultat, ce qui leur valut le surnom de « FAFC », acronyme de Fooling Around the French Coast. Les choses changèrent dans la nuit du 25 au 26 avril 1944; l’Athabaskan, le Haida et le Huron, ainsi que des bâtiments britanniques rencontrèrent trois grands torpilleurs allemands, les T-24, T-27 et T-29, et engagèrent un combat à l’artillerie et à la torpille qui se transforma en une longue poursuite. Le T-27 et le T-24 s’échappèrent — quoique le premier ait été très endommagé par les tirs canadiens — mais le T-29 eut moins de chance. Les destroyers canadiens l’encerclèrent et l’attaquèrent avec tous les canons qu’ils pouvaient pointer sur lui, lui causant tant de dommages que son équipage dut le saborder; c’était le plus grand bâtiment de guerre coulé par la MRC jusque-là.

Deux nuits plus tard, l’Athabaskan et le Haida, guidés par radar, rattrapèrent le T-24 et le T-27 et réussirent à infliger au T-27 tant de dommages que son commandant le jeta à la côte. L’Athabaskan fut malheureusement touché par une torpille allemande; une des soutes à munitions explosa, le mazout s’embrasa, et le navire en flammes coula rapidement. Tout se passa très vite. Le Matelot de 1re classe B. R. Burrows, au radar de tir, courut vers le côté tribord du navire désemparé et raconta plus tard :

J’ai été projeté par-dessus bord. Mon instinct me disait « sors-toi de là, vite! » Alors j’ai nagé aussi vite que je pouvais. Le mazout est très volatil et j’en ai été aspergé et brûlé des pieds à la tête. Je ne m’en suis pas rendu compte sur le moment car tout s’est passé très vite et j’ai continué à nager. Je ne le savais pas à l’époque, mais je nageais dans une mare de mazout, le carburant noir et gluant qu’on brûle dans les machines du navire. J’en étais complètement couvert. 8

La plupart des membres d’équipage de l’Athabaskan eurent le temps de sauter avant que leur navire ne coule, mais les explosions avaient détruit la plupart des canots de sauvetage. DeWolf, sur l’Haida, se rapprocha et commença à repêcher les survivants, mettant ainsi son propre navire en danger. Voyant cela, le commandant de l’Athabaskan, le Capitaine de corvette Stubbs, qui était dans l’eau avec ses hommes lui cria : « Haida, éloignez-vous! » 9 et DeWolf, à regret, quitta les lieux, n’ayant repêché que 42 survivants; il laissa toutefois ses propres canots de sauvetage pour les naufragés. Sur les 261 officiers et hommes d’équipage de l’Athabaskan, 128 périrent, dont le Capitaine de corvette Stubbs. Mais l’Athabaskan ne fut pas perdu en vain. En effet, à la fin d’avril 1944, au moment des derniers préparatifs de l’invasion alliée, il ne restait plus que cinq destroyers allemands dans la Manche.

À ce moment-là, les bâtiments de guerre canadiens qui devaient participer à l’opération Neptune avaient commencé à s’assembler dans les ports de la côte sud de l’Angleterre. Les 16 dragueurs de mines de la classe Bangor étaient arrivés en avril et avaient commencé à s’entraîner au dragage de mines, ce qui était une nouvelle activité pour leurs équipages. Leur attitude nonchalante ne fit pas bonne impression sur les instructeurs britanniques, qui leur firent subir six semaines d’entraînement rigoureux au terme desquelles ils avaient oublié que le dragage de mines était un « jeu d’enfant » et étaient devenus « efficaces et compétents » 10 aux yeux de la RN. Huit des navires de la classe Bangor formaient la 31e Flottille de dragueurs de mines de la MRC, commandée par le Capitaine de frégate A. G. Storrs, MRC, et les autres étaient répartis entre les flottilles britanniques.

Les deux flottilles de vedettes lance-torpilles canadiennes ainsi que les flottilles de navires de débarquement et de péniches de débarquement eurent moins de problèmes, car elles avaient un noyau d’officiers et d’adjudants aguerris qui connaissaient bien leur travail. Les NCSM Prince David et Prince Henry ainsi que la 260e, la 262e et la 264e Flottilles de péniches de débarquement participèrent aux grands exercices amphibies qui eurent lieu en avril et en mai, mais le Beach Commando W eut la grande déception d’apprendre qu’il ne ferait pas partie des forces d’assaut mais débarquerait bien plus tard. La 29e Flottille de vedettes lance-torpilles de la MRC, commandée par le Capitaine de corvette A. G. Law, RVMRC, dans des bateaux de 70 pieds armés de canons de deux livres (40 mm) et de torpilles de 18 pouces, et la 65e Flottille de vedettes lance-torpilles de la MRC, commandée par le Capitaine de corvette J.R.H. Kirkpatrick, RVMRC, dans des vedettes plus grandes et plus lourdement armées (les Fairmile D Type Dog Boat), s’entraînèrent à Holyhead pendant tout le mois d’avril et de mai. Law fut horrifié de voir les tubes lance-torpilles de la 29e Flottille enlevés et remplacés par de petites grenades sous-marines. « Je n’ai pas de mots pour exprimer l’effet que cela eut sur le moral de la flottille. Nous étions tous complètement démoralisés de voir partir notre force de frappe » expliqua-t-il plus tard. 11 Law s’efforça par tous les moyens de récupérer les torpilles, mais il lui fallut deux mois pour avoir gain de cause.

À la fin mai, deux des destroyers cédés par la RN après les discussions de la conférence de Québec de septembre 1943, les NCSM Algonquin et Sioux, arrivèrent à Portsmouth. Même s’ils portaient le nom de tribus indiennes, ces nouveaux arrivants faisaient partie d’une classe plus moderne (la classe V). Ils étaient un peu plus petits et moins armés (seulement quatre canons de 4,7 pouces au lieu de six et de deux canons de 4 pouces sur les Tribal), mais ils étaient robustes et avaient une plus grande autonomie que leurs prédécesseurs. Après leur mise en service et leur croisière d’endurance, les deux destroyers furent envoyés à Scapa Flow en avril, et servirent de navire écran pendant deux frappes aériennes contre le cuirassé Tirpitz. Ils se distinguèrent, mais les deux équipages furent très heureux d’être envoyés bombarder les plages de Normandie en vue du débarquement. Ils n’eurent pas très longtemps à attendre. À 15 h le 5 juin 1944, le commandant de l’Algonquin, le Capitaine de corvette D.W. Piers, rassembla ses officiers et ses hommes sur la plage arrière et les informa que le débarquement commencerait le lendemain et que leur navire avait été choisi pour être dans le fer de lance. Le Matelot de première classe K. Garrett se souvient que :

Tous ceux qui étaient là ont poussé un gémissement sourd, mais Debbie [Piers] n’avait pas terminé, et ce qu’il avait à dire nous coupa la parole. Il dit que nous avions été choisis pour être la pointe du fer de lance. Je dis à mes camarades que parfois les lances s’épointent, mais le commandant avait autre chose à dire. Il nous dit « Si nous sommes touchés près de la côte, nous nous jetterons à la côte et nous continuerons à tirer jusqu’à épuisement de nos obus. »
Je n’avais plus peur. Avec ce genre d’attitude, nous ne pouvions pas perdre.
J’ai su à ce moment « là que nous allions gagner. » 12

Trois heures plus tard, le NCSM Algonquin partit pour la France.

L’armada assemblée pour l’opération Neptune se composait de 6 900 bâtiments de toutes sortes (cuirassés, navires marchands, etc.), dont 63 navires de guerre canadiens et au moins 4 100 péniches et chalands de débarquement, dont 46 étaient armés en équipage par la MRC. Les premiers navires canadiens à monter au front pendant cette opération furent les équipages des 16 dragueurs de mines de la classe Bangor, qui avaient la tâche cruciale de déminer des corridors afin de permettre aux chalands de débarquement d’atteindre les plages. Du soir du 5 juin jusqu’à l’aube du 6 juin, la 31e Flottille dragua et marqua un chenal d’accès au secteur de débarquement américain désigné par le code « Omaha Beach ». Le 6 au matin, leur tâche terminée, les démineurs virent des centaines de chalands de débarquement s’approcher de la côte, tandis que les cuirassés, les croiseurs et les destroyers bombardaient les défenses côtières allemandes.

Les NCSM Algonquin et Sioux participèrent à ces bombardements. Ils avaient pour tâche initiale de pilonner les batteries côtières situées du côté Est de Juno Beach et ils commencèrent à tirer peu après 7 h du matin. Le Sioux pilonna une batterie côtière pendant 40 minutes et ne cessa de tirer que lorsque le premier chaland arriva à proximité de la plage.

Le Lieutenant L. B. Jenson, MRC, commandant en second de l’Algonquin, se souvient que le destroyer hissa son pavillon blanc avant de commencer à tirer sur une batterie côtière près du village de Saint-Aubin-sur-Mer. Quarante-cinq minutes plus tard, lorsque l’Algonquin mit halte au tir, « la mer commençait à s’agiter et les centaines de chalands de débarquement n’avaient pas l’air très à l’aise » se souvient Jenson. Jusque-là :

aucune bombe et aucun obus n’était tombé sur nous et nous avions l’avantage d’une vue imprenable sur les forces britanniques et canadiennes participant à cet incomparable assaut. Il y avait des incendies sur la côte et certains des chalands semblaient aussi être en feu, mais on voyait des soldats débarquer des autres chalands sans opposition apparente. 13

Trois officiers navals utilisent une tige pour nettoyer un gros canon. Quatre autres officiers inspectent les douilles de canon étendus sur le sable.

Des marins du destroyer Algonquin (classe V) nettoient leur canon de 4,7 pouces (12 cm) après un bombardement des défenses côtières allemandes depuis la tête de pont en Normandie.

Les deux destroyers restèrent en vue de la côte jusqu’à ce que les troupes d’assaut aient pris les plages, après quoi ils servirent d’appui-feu aux officiers observateurs avancés qui avaient débarqué avec l’infanterie. À 10 h 51, l’Algonquin détruisit de sa troisième salve deux canons allemands autopropulsés.

Les flottilles canadiennes de LCI (péniches de débarquement d’infanterie) et les deux flottilles de LCA (chalands d’assaut de débarquement) transportées par le Prince David et le Prince Henry n’eurent pas la tâche facile. La 529e Flottille du Prince David transportait des soldats de la 3e Division canadienne d’infanterie sur Juno Beach, mais un retard de 10 minutes dans l’opération eut des conséquences catastrophiques. En effet, pendant ces 10 minutes, la marée montante avait couvert une grande partie des obstacles de la plage, et sept des huit LCA furent détruits par les mines ou par l’artillerie allemande. La 528e Flottille, transportée par le Prince Henry, subit de lourdes pertes sous le tir ennemi, et d’autres infligées par des charges explosives; un LCA fut détruit par une mine. La 260e Flottille de LCI connut des difficultés semblables un peu plus tard dans la matinée et le LSI 285 fut attaqué par un avion en piqué, qui heureusement manqua son but. Toutes les péniches de la Flottille réussirent à repartir, mais la 262e Flottille de LCI fut obligée d’abandonner sur la plage cinq de ses 12 péniches qui avaient été endommagées par des mines. Les 10 LCI de la 264e Flottille transportaient des soldats britanniques à Gold Beach, mais la course que se livrèrent les embarcations (il y avait 10 £ à gagner pour le capitaine de la première péniche qui toucherait terre) eut d’étranges résultats; certaines embarcations, dont le moteur avait été bloqué « en avant toute », touchèrent terre avec tellement de force qu’elles ne purent pas se dégager. 14 À part cela, la Flottille n’eut pas trop de difficultés.

L’opération Neptune fut une réussite complète et, à la tombée de la nuit le 6 juin 1944, plus de 150 000 soldats alliés étaient en France, au prix de 9 000 pertes, dont 1 081 marins et soldats canadiens. Ayant débarqué la première vague, les marines alliées s’employèrent à protéger leurs lignes de communications maritimes très vulnérables, et la 29e Flottille de vedettes lance-torpilles fut la première unité canadienne à monter à l’assaut. Le soir du 6 juin, le Capitaine de corvette Law et quatre de ses navires attaquèrent des vedettes allemandes qui essayaient de mouiller des mines sur le flanc Est de la tête de plage. Une bataille rapide et acharnée suivit, au cours de laquelle la 29e Flottille et d’autres vedettes lance-torpilles britanniques coulèrent une des vedettes allemandes et en endommagèrent d’autres. Les deux nuits suivantes, les bateaux de Law attaquèrent plusieurs petits destroyers allemands qui rodaient près de la tête de plage. Gravement sous-armées par rapport à l’ennemi et maudissant l’enlèvement de leurs torpilles, les vedettes lance-torpilles attaquèrent avec leurs canons de deux livres et réussirent à faire fuir l’ennemi avant qu’il ne leur inflige de dégâts.

Mais la Kriegsmarine ne faisait que commencer. Pendant la nuit du 8 au 9 juin, une importante force allemande composée de trois destroyers (les Zh-1, Z-24 et Z-32) et d’un torpilleur (le T-24) essayèrent d’attaquer des navires marchands à l’ouest de la tête de plage. Heureusement les signaux allemands furent interceptés par la 10e Flottille de destroyers — huit bâtiments dont le Haida et le Huron. Ils établirent le contact aux petites heures du 9 juin, et un féroce engagement de nuit s’ensuivit, au canon et à la torpille. Évitant les torpilles allemandes, le Haida, le Huron et les destroyers britanniques ouvrirent le feu avec leurs canons principaux et infligèrent de lourds dégâts à l’ennemi. En un peu plus d’une heure, le ZH-1 fut coulé et les trois navires de guerre allemands qui avait survécu à l’attaque s’échappèrent et firent route vers Brest, traversant involontairement un champ de mines qui gêna la poursuite. Ayant repris contact avec le Z-32, le Haida et le Huron pilonnèrent le malheureux destroyer avec des canons à conduite de tir radar d’une grande précision jusqu’à ce que le commandant allemand échoue volontairement son navire. Cet engagement très réussi, au cours duquel les destroyers Tribal canadiens détruisirent leur troisième grand navire de guerre allemand en deux mois, fut une source de publicité positive pour les navires de guerre de la MRC, et le QGSN vit se réaliser ses espoirs.

Quatre navires luttent contre les vagues dans des directions opposées.

La 29e Flottille de vedettes lance- torpilles traverse la Manche à toute vapeur.

Pendant tout l’été 1944, les navires canadiens continuèrent à surveiller le flanc vers la mer pendant que les armées alliées élargissaient graduellement leur tête de pont. Les deux flottilles de vedettes lance-torpilles participèrent régulièrement au combat. La 65e Flottille du Capitaine de corvette Kirkpatrick arriva en Normandie le 11 juin afin d’opérer sur le côté ouest de la tête de plage et, au cours des deux semaines suivantes, les Fairmile Dog boats engagèrent plusieurs combats contre des convois côtiers allemands, coulant plusieurs petits escorteurs. La Flottille connut son moment de gloire dans la nuit du 3 au 4 juillet dans le port de Saint-Malo, où elle attaqua deux patrouilleurs allemands puis se retira saine et sauve sous un tir d’artillerie nourri. Ensuite, les choses se calmèrent sur le flanc occidental, et la 65e Flottille, après un été relativement tranquille, fut rappelée en Grande-Bretagne au début septembre.

Les choses étaient un peu plus mouvementées à l’est. La 29e Flottille se réjouit d’être réarmée de torpilles à la mi-juin, car cela lui donnait une arme efficace contre les incursions de nuit des navires de surface allemands (destroyers, torpilleurs, E-boats et petits dragueurs de mines) qui essayaient de pénétrer dans le secteur de la tête de plage alliée. À la fin de juin et pendant une bonne partie du mois de juillet, la 29e Flottille livra plusieurs combats de nuit, dont un particulièrement dangereux contre neuf E-boats allemands qui essayaient de sortir du Havre dans la nuit du 4 au 5 juillet et qui se heurtèrent à trois des vedettes lance-torpilles de Law au large du cap d’Antifer. Law se souvient que :

Simpson, l’opérateur radar, capta tout de suite des échos à 2 000 verges droit devant nous, et Footsie signala à la frégate que nous avions capté l’ennemi. Effectivement, neuf E-boats, tout près de la côte, s’avançaient vers nous et j’imagine la surprise désagréable qu’ils ont eue en voyant l’opposition bien établie dans leur cachette. Le 459 s’éloigna, prenant régulièrement de la vitesse, suivis de près par Bobby et Bish. L’ennemi était maintenant à 1 500 verges de nous, et les deux côtés se rapprochaient droit devant nous. C’est à minuit juste que nos trois bateaux ouvrirent le feu à 1 400 verges et, à 1 200 verges, tous les canons crachaient le feu sur le E-boat de tête.

Nous avons alors décidé de changer de cible et d’attaquer le troisième torpilleur qui, attaqué de toutes parts par notre artillerie, prit feu et se mit à couler. Ses camarades firent rapidement de la fumée mais nous voyions encore le rougeoiement du feu à travers la brume et je doute fort que ce bateau aurait pu regagner Le Havre. 15

La Luftwaffe intensifiait souvent ses attaques la nuit, avec pour seul résultat d’empêcher les gens de dormir, car elle ne touchait jamais rien. Certains avions allemands posaient cependant des mines « huîtres », ou mines à dépression, qu’il était pratiquement impossible de draguer. Le NCSM Algonquin qui, de même que le Sioux, avait continué à engager descibles terrestres à la demande de l’armée dans les semaines qui suivirent le jour J, eut la peur de sa vie le 24 juin alors qu’il se préparait à jeter l’ancre devant la tête de plage. Le Lieutenant L. B. Jenson, MRC, qui était officier de quart à ce moment-là, repéra une mine flottante et demanda la permission de la détruire à la mitraillette. Il se souvient :

J’avais décidé de le faire moi-même, avec ma mitraillette Sten. Avec le recul, je me rends compte que nous étions bien trop près et que c’était une idée absolument stupide, mais je n’avais pas pris le temps de réfléchir. J’ai eu beaucoup de chance car, en explosant, la mine aurait pu nous couvrir de shrapnel, mais Dieu était avec moi et elle coula sans exploser.

Le [destroyer britannique, HMS] Swift nous signala « Pendant que vous vous amusez, est-ce que je peux mouiller à votre place et vous prendrez la mienne? ». Je lui signalais « Allez-y! » et il avança jusqu’à l’endroit où nous devrions jeter l’ancre. Je regardais avec mes jumelles et je vis le navire enveloppé dans un nuage d’écume blanche au moment où l’ancre toucha l’eau. Puis il y eut une seconde explosion qui cassa le destroyer en deux et celui-ci commença à couler. 16

Cinquante-sept marins britanniques périrent dans cet incident, mais cela n’empêcha pas les hardis marins de l’Algonquin de mettre les canots à la mer et d’aller jusqu’à l’épave pour voir ce qu’ils pourraient récupérer. Ils trouvèrent toutes sortes de choses utiles dont une bonne quantité de rhum au mess des officiers mariniers. Peu après, leur mission de bombardement terminée, les deux destroyers de classe V furent rappelés en Grande-Bretagne.

Après l’invasion transmanche, la participation de la MRC aux Combined Operations commença à diminuer. Les trois flottilles de LCI furent désarmées au moment où le Beach Commando W débarqua en Normandie, où il resta deux mois afin de contrôler le transport maritime et le transport des véhicules sur Juno Beach; lui aussi fut retiré du service. Les NCSM Prince David et Prince Henry, ainsi que leur flottille de LCI quittèrent la Normandie à la fin de juillet et se dirigèrent vers la Méditerranée où ils se joignirent à la force navale alliée qui s’assemblait en vue de l’opération Dragoon, l’invasion du sud de la France. Le débarquement eut lieu le 16 août et les deux navires furent ensuite affectés jusqu’à la fin de l’année au transport de troupes et de ravitaillement dans la Méditerranée orientale pour les forces alliées qui opéraient en Yougoslavie et en Grèce.

Les Tribal canadiens et la 10e Flottille restèrent dans le secteur de la Normandie tout l’été et ils eurent fort à faire. Dans la nuit du 27 au 28 juin, le Huron coula un dragueur de mines allemand lourdement armé et plusieurs patrouilleurs avant de rentrer au Canada pour subir un carénage. À la fin de l’été, l’Iroquois et le Haida effectuèrent des balayages offensifs dans le golfe de Gascogne afin de détruire le trafic côtier allemand. Dans la nuit du 5 au 6 août, les deux destroyers engagèrent un convoi ennemi de huit navires au sud de Saint-Nazaire et coulèrent deux dragueurs de mines d’escorte puis entreprirent de bombarder les autres navires. Le Haida venait de commencer lorsqu’une salve détonna prématurément dans un canon de la tourelle Y, tuant et blessant plusieurs servants de canons. Le Matelot de 2e classe M. R. Kerwin, aveuglé et étourdi par l’explosion et blessé par des éclats de métal, se précipita dans la tourelle en feu et réussit à en sortir un de ses camarades, ce qui lui valut la Médaille pour actes insignes de bravoure (CGM). Le Haida dut se retirer pour être réparé, laissant l’Iroquois comme seul représentant de la Marine canadienne dans le golfe de Gascogne.

Aux petites heures du 16 août, l’Iroquois, le croiseur HMS Mauritius et le destroyer HMS Ursa rencontrèrent un grand convoi près de l’estuaire de la Gironde. Les escorteurs ennemis — le T-24 bien connu, un ravitailleur d’avions et plusieurs dragueurs de mines — se défendirent énergiquement. Après avoir évité les torpilles tirées par le T-24, l’Iroquois lança lui-même des torpilles, mais la Force 27 dut prendre la mer sous le feu des batteries côtières lourdes allemandes. Un peu plus tard, l’Ursa et l’Iroquois coulèrent à eux deux ou repoussèrent à la côte trois dragueurs de mines et deux autres navires. L’énigmatique T-24 s’échappa, mais fut plus tard coulé par des avions britanniques et canadiens. Le commandant du Mauritius et celui de l’Ursa ne tarirent d’éloges pour les tirs d’artillerie de l’Iroquois, et le commandant de l’Ursa remarqua que cela faisait honneur au commandant de l’Iroquois, le Capitaine de frégate James Hibbard, MRC. L’Iroquois resta au sein de la Force 27 jusqu’au début de septembre, puis fut rappelé car les forces navales allemandes en France étaient alors pratiquement anéanties, soit coulées, soit détruites au port par les bombardements aériens.

Les 16 dragueurs de mines canadiens continuèrent leur travail, peu glorieux mais important, dans la Manche. Ce n’est qu’au début de 1945 qu’ils recommencèrent à escorter des convois, mais ils furent de nouveau affectés au dragage de mines dans le cadre d’un effort international de déminage des eaux européennes. Pour les Bangor canadiens, ce travail prit fin en septembre 1945, mais le déminage continua pendant de nombreuses années après la fin des hostilités. Les armées alliées sortirent de Normandie à la mi-août pour aller libérer Paris et les Pays- Bas, mais les bâtiments de guerre canadiens continuèrent à protéger leur flanc vers la mer. Tout l’automne, la 29e et la 65e Flottille de vedettes lance-torpilles, basées dans le sud-est de l’Angleterre, interceptèrent les raids des vedettes torpilleurs allemands (E-boats) et harcelèrent le trafic côtier allemand. Pour les vedettes lance-torpilles canadiennes, le haut fait de cette période fut le débarquement amphibie sur l’île Walcheren, dans l’estuaire de la Scheldt, qui eut lieu au début de novembre. Peu après, la 29e Flottille du Capitaine de corvette Law eut la malchance de rencontrer les « quatre cavaliers de l’Apocalypse », quatre chalutiers de défense antiaérienne allemands armés de canons meurtriers de 88 mm qui occupaient une place légendaire dans les forces côtières. Law se souvient :

Je n’avais pas rencontré ces grossiers personnages depuis 1943, mais je savais qu’ils étaient loin d’être aimables … Nous avons passé le reste de la nuit à nous tirer les uns sur les autres. Il n’y eut pas de morts, mais c’était un jeu terriblement dangereux. Dès que nous nous étions en position de lancer des torpilles et que nous nous préparions à le faire, que se passait-il? Les quatre cavaliers mettaient immédiatement le cap sur nous et, histoire de se distraire, nous envoyaient quelques salves de 88 mm

… Nous avons continué à jouer, mais à la fin du match, nous étions zéro à zéro. 17

En décembre, la 29e Flottille fut très heureuse d’être transférée dans le port d’Ostende, libéré, car elle aurait désormais moins de chemin à faire dans la Manche. Le jour de la Saint-Valentin 1945, la Flottille connut une fin malheureuse. Un accident dans le port d’Ostende entraîna la destruction par le feu de 12 vedettes lance-torpilles et la mort de 64 marins et officiers, dont 29 Canadiens. Comme il ne restait que quatre vedettes lance-torpilles, très usées, il fut décidé de dissoudre la 29e Flottille et de la remplacer par la 65e Flottille, qui resta à Ostende jusqu’à la fin de la guerre.

Les deux destroyers canadiens de classe V retournèrent vers le nord. Une série d’opérations furent menées dans le but de détruire les grands navires allemands basés en Norvège et de réduire ainsi la menace allemande pour les convois de Mourmansk. Les NCSM Algonquin et Sioux se joignirent à la flottille de destroyers de la Home Fleet, à la détestable base de Scapa Flow, et participèrent à l’opération Mascot le 17 juillet, protégeant les porte-avions dont les avions essayaient, mais en vain, de couler le redoutable Tirpitz. Celui-ci fut de nouveaux attaqué plusieurs fois, mais toujours sans résultat et il resta redoutable jusqu’à sa destruction par des bombes Tallboy de 5 450 kg lachées par des bombardiers Lancaster de la Royal Air Force.

Le porte-avions HMS Nabob, armé par des Canadiens, réussit à rentrer à Scapa Flow après avoir été torpillé par un U-boot le 22 août 1944, véritable exploit de matelotage.

Le porte-avions HMS Nabob, armé par des Canadiens, réussit à rentrer à Scapa Flow après avoir été torpillé par un U-boot le 22 août 1944, véritable exploit de matelotage.

Avant cela, en août, un porte-avions d’escorte qui avait un équipage canadien, le HMS Nabob, se joignit à l’Algonquin et au Sioux. Le Nabob, qui avait à son bord 13 bombardiers torpilleurs Grunman Avenger et huit chasseurs Wildcat, vit le feu pour la première fois dans le cadre de l’opération Offspring, opération aérienne de mouillage de mines dans les eaux norvégiennes, le 9 août, et il s’acquitta de sa mission avec brio. Puis vint l’opération Goodwood, une attaque aérienne planifiée du Tirpitz par trois porte-avions d’escadre, les HMS Formidable, Furious et Indefatigable, combinée à une frappe de mouillage de mines par le Nabob et un autre porte-avions d’escorte dans l’Altenfjord, le repaire du cuirassé allemand. Le mauvais temps empêcha le déroulement de l’opération, et la plupart des frappes aériennes et des attaques de mouillage de mines furent annulées. L’après-midi du 22 août, le Nabob fut malheureusement touché par une torpille lancée par un sous-marin allemand, qui ouvrit un trou de 30 pieds sur 50 dans son côte tribord. Le navire ayant commencé à s’enfoncer par l’arrière, son commandant, H. N. Lay, MRC, prit des mesures de contrôle des avaries et évacua tout le personnel non essentiel sur les destroyers avoisinants, dont l’Algonquin. En l’espace de quatre heures, les voies d’eau avaient été colmatées, et le Nabob était en mesure de se remettre en route. Pendant les cinq jours suivants, le malheureux porte-avions parcourut péniblement les 1 000 miles qui le séparaient de Scapa Flow, et réussit même à lancer, malgré son pont dangereusement incliné, deux Avenger chargés de harceler le sous-marin allemand qui le poursuivait. Pour l’équipage du Nabob, en grande partie canadien, c’était du grand matelotage, mais le porte-avions n’était plus en état de combattre; son équipage fut libéré et le navire fut cannibalisé.

En septembre et en octobre, l’Algonquin et le Sioux recommencèrent à escorter des convois jusqu’à Mourmansk. C’était, selon un des officiers, le retour à une « des opérations navales les plus dangereuses et les plus horribles » puisqu’il fallait non seulement lutter contre les sous-marins et les avions allemands, mais aussi braver les glaces, les tempêtes féroces, « la nuit perpétuelle en hiver et le jour perpétuel en été. » 18 En novembre, l’Algonquin eut un peu de répit de ces missions pénibles. Il fut affecté à l’opération Counterblast, qui visait à intercepter les cargos ennemis transportant du minerai de fer de Norvège en Allemagne. En compagnie de croiseurs et de destroyers britanniques, l’Algonquin intercepta un grand convoi le 12 novembre, à la hauteur de Stavanger, ce que relate son commandant, le Capitaine de corvette D. W. Piers, MRC :

De nombreuses cibles étaient nettement visibles et furent rapidement engagées. L’Algonquin ouvrit le feu à 5 400 [verges, ou 4 937 m] à 23 h 14 et fit mouche avec sa première salve. La cible était aussi attaquée par d’autres navires qui se trouvaient devant nous; elle prit feu dans l’espace d’une minute. À 23 h 17, nous avons commencé à tirer sur un navire marchand à une distance initiale de 8 000 verges [7315 mètres]. Avec notre canon no 2 (B) chargé d’obus éclairants pour illuminer le secteur, et le reste des armes crachant des munitions semi perforantes, nous avons incendié cette deuxième cible avec nos premières salves. 19

L’opération Counterblast eut pour résultat la destruction de deux des quatre navires marchands allemands et de cinq des six escorteurs. Malheureusement, des opérations semblables menées pendant l’hiver n’eurent pas d’aussi bons résultats.

L’Algonquin rentra au Canada en janvier 1945 afin d’entrer en carénage, mais le Sioux continua à escorter les convois de Mourmansk. Les choses ne firent qu’empirer lorsque la Luftwaffe déploya une importante force de bombardiers torpilleurs dans le nord de la Norvège; les attaques aériennes devinrent plus fréquentes et, inévitablement, les pertes plus lourdes. Le 10 février, le Sioux escortait le convoi JW-64 à destination de Mourmansk lorsqu’il fut attaqué par un grand nombre d’avions. Comme le relate le commandant du Sioux, le Capitaine de corvette E. Boak, MRC, la Luftwaffe ne lâcha pas prise :

un JU 188 surgit au cap 90 tribord … à environ 50 pieds au-dessus de l’eau et à 3 000 verges [2 743 m], venant droit vers nous. À environ 1 500 verges [1 371 m], l’avion lance une torpille, s’incline à tribord et s’envole entre le NCSM SIOUX et le HMS LARK … Mon navire met « en avant toute, à bâbord toute » et prend le cap 060, les Oerlikon tribord [20 mm] ouvrent le feu juste avant que l’avion ne lance sa torpille et le suivent jusqu’à ce qu’il soit hors de portée; nous l’attaquons aussi au canon B, mais le tir est trop court. Le moteur bâbord de l’ennemi dégage une grosse fumée, puis disparaît dans un nuage de neige. 20

Au retour, le convoi RA-64 traversa une affreuse tempête. Un des officiers du Sioux se souvient de « moteurs malmenés qui tombaient en panne, de cargaisons qui se déplaçaient, de ponts qui se fendaient, d’appareils à gouverner qui se détraquaient, d’hélices ébréchées par la glace qui s’affolaient, par une mer absolument démontée. ». 21 Mais le mauvais temps ne découragea pas les Allemands. Le convoi RA-64 fut attaqué non seulement par des bombardiers torpilleurs, mais aussi par une importante force de U-boot, qui réussit à couler deux des escorteurs et perdit un seul bâtiment. Le 19 février, on vit surgir des avions de la Luftwaffe et à un moment donné :

Un des avions se rapproche pour torpiller le [navire marchand] no 103. Nous ouvrons le feu et l’avion lâche sa torpille, qui explose en bout de course entre la 9e et la 10e colonne [de navires marchands]. L’avion disparait à bâbord, engagé aux armes à courte portée. En même temps, un autre avion arrive par l’arrière tribord; nous l’engageons et nous le chassons. 22

Ces deux convois furent pratiquement constamment attaqués, et les efforts de l’équipage et du commandant du Sioux pour les défendre valurent au commandant, le Capitaine de corvette Boak, de recevoir l’Ordre du service distingué (DSO). Peu de temps après, le Sioux rentra au Canada pour subir un carénage bien nécessaire et bien mérité.

Le Sioux fut remplacé par l’Haida, le Huron et l’Iroquois, juste sortis de carénage, ainsi que par le second porte-avions armé en équipage par des Canadiens, le HMS Puncher. Ce dernier eut plus de chance que le Nabob et participa à quatre opérations en février, mars et avril contre des cibles norvégiennes, envoyant ses chasseurs Wildcat assurer la couverture aérienne des frappes contre les navires marchands et les opérations de mouillage de mines. Après ces opérations, il se retira pour un nettoyage des machines. Pendant les derniers mois de la guerre, les Tribal furent principalement affectés — exception faite de l’attaque d’un convoi côtier par l’Iroquois, qui coula un pétrolier — aux interminables convois de l’Arctique, et personne dans la MRC ne fut plus heureux que leurs équipages d’apprendre, en mai 1945, que l’Allemagne avait capitulé, marquant la fin de ces pénibles missions.

Mais il restait un ennemi. Depuis 1943, c’est-à-dire depuis qu’il était devenu clair que la bataille de l’Atlantique et la guerre en Europe étaient en bonne voie pour les Alliés, le QGSN s’employait à planifier la guerre dans le Pacifique. Il voulait démontrer que la MRC n’était pas une simple force d’escorte anti-sous-marine et il voulait aussi atteindre l’objectif qu’il visait depuis 1939 : une grande contribution avec une flotte de surface qui serait le fondement de la flotte de haute mer d’après-guerre. Ces ambitieux projets de la Marine ne furent que partiellement contrariés par Mackenzie King, qui était non seulement très soucieux des dépenses de l’État, mais ne voulait pas que le Canada soit mêlé aux problèmes coloniaux de la Grande-Bretagne. Après de longues délibérations et beaucoup de manœuvres politiques entre le gouvernement, le QGSN et la RN, il fut convenu que la MRC armerait en équipage deux porte-avions légers d’escadre, sur lesquels embarqueraient quatre escadrons canadiens, deux croiseurs légers, quatre destroyers de classe Tribal, deux destroyers de classe V, huit nouveaux destroyers de classe Crescent, le navire de défense antiaérienne Prince Robert et au moins 44 navires de lutte anti-sous-marine. Environ 37 000 officiers et marins canadiens, soit près de la moitié des effectifs de la MRC à la fin de 1944, serviraient sur ces navires et à terre.

La MRC était particulièrement fière des deux croiseurs légers offerts au Canada par la Grande-Bretagne. Armés de neuf canons de six pouces, de huit canons de quatre pouces à tir vertical et de nombreux canons de 20 et 40 mm, ces navires étaient destinés à renforcer les défenses antiaériennes de la flotte britannique du Pacifique au sein de laquelle ils serviraient. Le NCSM Uganda, le premier croiseur à entrer en service, fut mis en service à Charleston (Caroline du Sud) le 21 octobre 1944 (anniversaire de la bataille de Trafalgar). Un nombre impressionnant de dignitaires et d’officiers supérieurs américains, britanniques et canadiens assistèrent à la cérémonie, et l’ambassadeur de Grande-Bretagne remarqua que les officiers de marine canadiens « travaillaient avec enthousiasme, animés d’un sentiment d’anticipation dû à l’acquisition de ce qu’ils appelaient dans leurs brochures officielles ‘le premier croiseur canadien’. C’était comme si la Marine canadienne avait atteint l’âge adulte et que, par l’intermédiaire de sa marine, le Canada étendait ses ailes. » 23 Au début de février 1945, après sa croisière d’endurance, l’Uganda partit pour le Pacifique; quant au second croiseur, le NCSM Ontario, il fut mis en service en avril.

En mai, l’Uganda participa aux bombardements des îles Sakashima, dans le cadre de l’invasion d’Okinawa, mais son rôle normal au sein de la flotte britannique du Pacifique était de monter la garde antiaérienne, ce qu’il fit en juin et juillet au cours de plusieurs frappes aériennes contre l’archipel japonais. Cependant, en juillet, la guerre de l’Uganda et le projet d’une importante force navale dans le Pacifique connurent une fin ignominieuse. En effet, le gouvernement fédéral avait décidé que désormais seuls des volontaires serviraient dans le Pacifique et que tous les militaires volontaires recevraient 30 jours de congé au Canada avant d’être envoyés dans ce théâtre. Cela voulait dire que si l’équipage de l’Uganda ne se portait pas volontaire en masse, le navire devrait rentrer au Canada et être remis en service avec un équipage entièrement composé de volontaires. Un vote fut donc tenu à bord le 28 juillet 1945 et 80 p. cent des officiers et des marins de l’Uganda décidèrent de ne pas être volontaires. Le navire repartit donc pour Esquimalt et y arriva quelques jours seulement avant le lâcher de bombes atomiques sur Hiroshima et Nagasaki, qui mit fin à la guerre dans le Pacifique. Il n’y avait donc pas de navires de guerre canadiens dans la rade de Tokyo le jour où les Alliés reçurent la capitulation inconditionnelle du Japon à bord du cuirassé américain USS Missouri.

Le rôle de la Marine canadienne dans la guerre de surface pendant la Deuxième Guerre mondiale avait été quelque peu effacé par sa grande contribution à la victoire dans la bataille de l’Atlantique. Pendant les longues années de ce combat interminable, la MRC s’était toutefois constitué un impressionnant palmarès dans les opérations navales conventionnelles en Europe et dans le Pacifique, palmarès qui serait très utile à l’établissement de la marine d’après-guerre.


Auteur : Donald E. Graves

1 C.A. Law, White Plumes Astern (Halifax : Nimbus Publishing Ltd., 1989), 11

2 Cité dans W.A.B. Douglas, Sarty and Whitby, A Blue Water Navy (St. Catharines, ON : Vanwell Publishing, 2007), 111.

3 RG 24,Vol. 6797, Captain H.G. De Wolfe, Employment of Tribal Destroyers, 7 décembre 1942 (BAC).

4 United Kingdom National Archives [UKNA], ADM 199/1406, Report of Proceedings, HMCS Athabaskan, 30 août 1943 (NAB).

5 BIOG file, Discours du Contre-amiral P.D. Budge, 19 septembre 1981 (DHP).

6 R.D. Butcher, I Remember Haida (Hantsport NS : Lancelot Press, 1985), 36–37.

7 UKNA, ADM 205/31, Minutes of Meeting, Québec, 11 août 1943 (NAB).

8 P.R. Burrows, Prisoners of War, Salty Dips, vol 3 (Ottawa : Naval Officers’ Association of Canada, 1988), 171.

9 Len Burrow et Emile Beaudoin, Unlucky Lady: The Life and Death of HMCS Athabaskan (Toronto : McClelland & Stewart, 1982), 125.

10 Le commandant du bureau de dragage de mines, Devonport, au Commandement des dragueurs de mines, 22 avril 1944 (DHP).

11 Law, White Plumes Astern, 37.

12 Cité par L.B. Jenson dans Tin Hats, Oilskins and Seaboots (Toronto : Robin Brass Studio, 2000), 222.

13 Jenson, Tin Hats, Oilskins and Seaboots, 226.

14 J.M. Ruttan, Race to Shore, Salty Dips, vol. 1 (Ottawa, 1985), 193.

15 Law, White Plumes Astern, 104.

16 Jenson, Tin Hats, Oilskins and Seaboots, 233.

17 Law, White Plumes Astern, 148.

18 Jenson, Tin Hats, Oilskins and Seaboots, 213.

19 RG 24, DDE 224, Report of Proceedings, NCSM Algonquin, 13 novembre 1944 (BAC).

20 RG 24, DDE 225, Narrative of Air Attack, HMCS Sioux, 10 février 1945 (BAC).

21 Hal Lawrence, A Bloody War (Toronto : Macmillan of Canada, 1979), 168–69.

22 RG 24, DDE 225, Report of Air Attack, HMCS Sioux, 20 février 1945 (BAC).

23 UKNA, ADM 1/18371, Sir Gerald Campbell au directeur des opérations, 30 octobre 1944 (NAB).

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