Discours de la Secrétaire générale de la Francophonie Michaëlle Jean

Transcription

Kate White : Je vous avais dit qu’il était sérieux. Alors... La très honorable Michaëlle Jean a été élue secrétaire générale de la Francophonie en novembre 2014. Au Canada, nous connaissons bien son histoire, qui est d’ailleurs un peu notre histoire à tous. Née à Port-au-Prince, en Haïti, elle a immigré au Canada avec ses parents, avec la vision – comme le ministre Sajjan – de faire du Canada un endroit encore meilleur. Et elle y est parvenue! Comme activiste pour les droits des femmes, en travaillant auprès d’un réseau de centres de foyers d’accueil pour femmes battues, comme journaliste, ou encore – ah oui, c’est vrai! – à titre de 27e gouverneure générale du Canada. C’est dans ce rôle, et en tant que présidente de l’Association canadienne pour les Nations Unies, que j’ai eu l’honneur d’observer son travail au service des personnes souvent exclues, à qui elle tendait la main. Madame Jean a su bâtir des ponts; elle y a consacré sa vie et son immense talent. En notre nom à tous, bienvenue.

(Applaudissements)

La très honorable Michaëlle Jean : Laissez-moi tous vous regarder. Monsieur le Ministre, le ministre Sajjan; mon Général, le général Dallaire; Mme Kate White, directrice générale de l’Association canadienne pour les Nations Unies, the United Nations Association of Canada; le lieutenant colonel Rachel Grimes, responsable militaire de l’égalité des sexes au Département des opérations de maintien de la paix de l’ONU; Monsieur le Député parlementaire, M. Rioux; Distingués Invités; Chers Étudiants et Chères Étudiantes, c’est une chanson magnifique qui me vient à l’esprit en nous voyant tous ici rassemblés. C’est devenu une chanson universelle. Elle est chantée partout.

J’ai envie d’entendre vos voix. Alors pourquoi ne pas la chanter ensemble? Me voyez-vous venir? Savez vous de quelle chanson il s’agit? All we are saying is give peace a chance. Allez!

(Rires)

N’est-ce pas ce que nous faisons? Tout le monde ensemble, allons-y!

(Rires)

Is give peace a chance. All we are saying is give peace a chance. C’est ce que nous disons ici aujourd’hui. Donner une chance à la paix. Je tiens à vous dire que c’est pour moi un immense privilège, c’est un grand, grand, grand, grand plaisir que d’être ici avec vous ce matin. Chaque moment de partage avec la jeunesse est pour moi un moment de ressourcement. C’est un moment pour prendre votre énergie et faire avec ça. Et c’est très agréable. On en a besoin, parce que nous vivons dans un monde de plus en plus difficile. On a besoin de ce plein d’énergie et ce plein d’espoir que vous apportez.

Et je tiens à vous remercier, Ministre Sajjan, de m’offrir cette merveilleuse occasion. Comme vous l’avez si bien dit, chaque moment de partage avec les jeunes est un moment édifiant. Ils ne cesseront jamais de me remplir le cœur, de nous remplir le cœur d’espoir. Et c’est une chose que je ressens où que je sois, à tout endroit, partout où je vais, peu importe le pays, peu importe le continent. Toute la vitalité, la créativité et la détermination de la jeunesse qui veut partager ses visions, remettre en question les idées préconçues, réinventer le monde et éliminer les frontières. Il n’y a pas de frontières. C’est vrai partout.

Et quel que soit le pays, quel que soit le continent, je trouve toujours ce même dynamisme, cette même créativité, cette même volonté de la jeunesse de transformer le mandat. Je m’adresserai à vous en français et en anglais. Ça vous va?

Public : Oui.

La très honorable Michaëlle Jean : Combien d’entre vous ici comprennent le français? Oh! C’est bien. C’est très, très bien. J’en suis très heureuse. Dans mon rôle actuel, à titre de secrétaire générale de la Francophonie, une organisation internationale qui regroupe 84 États et gouvernements issus des cinq continents, dont le gouvernement du Canada et celui de trois provinces canadiennes – le Québec, le Nouveau-Brunswick et, depuis cette année, l’Ontario – je peux vous en assurer, comme je le faisais à titre de gouverneure générale du Canada, sillonnant notre grand pays d’un océan à l’autre, ou à titre de chancelière de l’Université d’Ottawa, ou encore à titre d’envoyée spéciale de l’UNESCO pour soutenir les efforts de reconstruction dans mon pays natal, Haïti, après le tremblement de terre dévastateur de janvier 2010, je ne manque jamais une occasion de rencontrer les jeunes pour dialoguer, pour les écouter, m’intéresser à leurs réalisations, prendre la mesure de leurs commentaires et de leur engagement à servir leur communauté, à servir leur pays et à servir le monde.

Ainsi, je peux vraiment témoigner des nombreux projets, absolument remarquables et hautement innovants, qui sont menés par des jeunes.

Je peux vraiment témoigner de cette extraordinaire mobilisation de la jeunesse, de ses actions remarquables et tellement innovantes qui sont portées partout, partout par des jeunes de votre âge. Mais malheureusement, je peux aussi témoigner d’un immense gâchis.

Je dois dire, malheureusement, que je peux aussi témoigner de certains talents horriblement gaspillés. Imaginez un pays où la moitié de la population a moins de 30 ans, voire moins de 25 ans. Vraisemblablement, ces jeunes devraient être en mesure d’exploiter le pouvoir que leur confère un si précieux capital humain. Mais en fait, c’est un scandale. Soixante pour cent de ces jeunes femmes et jeunes hommes, peut-être même plus, ne connaissent que le chômage chronique et l’insécurité d’emploi.

Ce gaspillage de capital humain, un capital humain inestimable. Dans ces pays où plus de la moitié de la population a moins de 25 ans, et bien le chômage chronique des jeunes (inaudible) et c’est un réel souci. Et j’entends leur détresse, j’entends leurs sentiments d’impasse, leur colère, leur révolte jusqu’à laisser parfois la pulsion de mort l’emporter.

Tant de jeunes personnes me font part de tels sentiments de désespoir, de leur impression que l’avenir est un cul-de-sac. On ne peut qu’imaginer leur détresse, leur colère, leur indignation. Dans ce contexte, on ne peut s’étonner que certains aient même des idées de mort. Et je sais que vous pouvez l’imaginer, puisque même ici, au Canada, plusieurs jeunes sont rejetés de la société et en subissent les conséquences dévastatrices; la société minant à tel point leurs chances que certains vont parfois tomber entre les mains d’organisations criminelles, s’impliquer dans toutes sortes de trafics, ou céder aux chants des sirènes de la radicalisation violente. Nous savons cela. Il s’agit d’un problème mondial. En réalité, c’est absolument scandaleux. Il en découle également un important facteur de risque pour la stabilité, la paix et la sécurité.

Une situation, oui, nous la savons difficile, mais qui n’est pas néanmoins une fatalité. Il faut y répondre et agir de toute urgence.

Il ne faut pas aborder cette impasse avec fatalisme. Il s’agit plutôt d’un appel d’urgence, et il est entièrement justifié que nous lancions un appel puissant. Chaque mot, chaque action compte, y compris notre rassemblement d’aujourd’hui.

Nous avons besoin, comme nous le faisons aujourd’hui, de nous mobiliser et aujourd’hui, nous continuerons de le faire. Nous le ferons aussi demain.

Nous ne pouvons plus rester indifférents. À l’échelle mondiale, la prise de conscience est de plus en plus grande. L’adoption de la résolution 2250 des Nations Unies sur la jeunesse, la paix, la sécurité et l’inclusion des jeunes dans la prise de décisions en est la preuve.

La résolution 2250 des Nations Unies est historique. Adoptée en 2015 par les Nations Unies sur la jeunesse, la paix et la sécurité, c’est une prise de conscience à l’échelle internationale du rôle incontournable des jeunes, de votre rôle dans la mise en œuvre de la paix et dans la lutte contre l’extrémisme violent.

La résolution 2250 est effectivement historique en ce sens qu’elle reconnaît, pour la toute première fois, le rôle indispensable que les jeunes doivent jouer – que vous devez jouer – pour maintenir la paix et combattre l’extrémisme violent. La participation des jeunes dans la prise de décisions est essentielle, particulièrement à une époque aussi tumultueuse que la nôtre, où l’on estime que près de 600 millions de jeunes femmes et hommes vivent dans des régions en conflit ou à risque de conflit.

Six cents millions de jeunes hommes et de jeunes hommes vivent dans des milieux fragiles et touchés par un conflit.

Et en disant ces mots, j’ai une pensée pour le général canadien Roméo Dallaire. Le général Roméo Dallaire, qui est ici avec nous à Vancouver et pourra en témoigner ici, le général Dallaire, qui a vu de ses yeux des pays entiers plonger dans l’abysse de l’horreur. Il a vu des enfants, enrôlés de force, contraints de devenir des tueurs sans pitié. Le général Roméo Dallaire, qui se consacre aujourd’hui à aider les enfants soldats à réintégrer la société, à les sortir de l’enfer et à leur redonner leur enfance. Le général Roméo Dallaire fait de la réinsertion des enfants soldats sa raison de vivre. Mon Général, les sortir de l’enfer, n’est-ce pas, pour leur rendre leur enfance, cette enfance qu’on leur a volée.

Donc, avec la résolution 2250, le Conseil de sécurité de l’ONU reconnaît non seulement que les jeunes sont, comme les femmes, les premières victimes des conflits, mais aussi qu’ils font partie de la solution pour maintenir la paix dans le monde. L’Organisation internationale de la Francophonie a évidemment appuyé cette résolution et continue de le faire, tout comme elle a appuyé et continue d’appuyer la résolution 1325, adoptée en l’an 2000, ainsi que les sept résolutions suivantes sur les femmes, la paix et la sécurité. En effet, comme je l’ai souligné le 27 octobre devant le Conseil de sécurité des Nations Unies, nous savons parfaitement ce qui est en jeu derrière les chiffres un-trois-deux-cinq; deux deux cinq-zéro; treize vingt-cinq; et vingt-deux cinquante. Il faut d’abord arriver à arrêter de se dire que la guerre est la guerre et qu’un conflit est un conflit; il faut mettre fin à la banalisation des horreurs que des hommes infligent à des femmes, à des filles et même à des fillettes, à des garçons, avec une cruauté sans nom, et presque de façon systématique en temps d’hostilités. Quand ces barbares décident d’annihiler un peuple ou une nation, ils commencent par violenter les femmes et les jeunes.

Donc, il faut en finir avec la banalisation des horreurs cruellement infligées par des hommes à des femmes, à des filles et à des garçons. Ceux qui décident d’annihiler, de détruire un peuple, une nation, et bien c’est d’abord aux femmes et aux jeunes qu’ils s’en prennent.

Dès lors, il est aussi question de la nécessité absolue d’impliquer entièrement les femmes et les jeunes dans l’ensemble des domaines liés à la prévention de crise et aux efforts de médiation, pour favoriser le rétablissement et le maintien de la paix. Lieutenant-colonel, vous l’avez bien dit : trois pour cent. C’est le pourcentage de femmes au sein du personnel militaire affecté aux missions de maintien de la paix; seulement trois pour cent. Or, le fait que la présence de femmes dans ces secteurs contribue à améliorer le comportement des forces de sécurité, à rehausser leur crédibilité et à améliorer les rapports avec les populations locales – une chose si essentielle – est bien documenté. Donc, de quoi avons-nous peur? C’est la question que j’ai posée au Conseil de sécurité. De quoi avons-nous peur? Avons-nous peur d’être plus efficaces? Avons-nous peur d’avoir une incidence plus positive? Les femmes, comme les jeunes, font partie de la solution. Vous faites partie de la solution pour forger une véritable culture universelle de la paix. Car la paix n’est pas seulement une absence de guerre; la paix doit être cultivée.

La paix se cultive. Elle se cultive dans les esprits, elle se cultive dans les cœurs, dans les gestes quotidiens.

La paix est un processus à long terme qui rassemble nos valeurs fondamentales, nos principes, nos attitudes, nos comportements, et nos modes de vie, pour rejeter la violence, la discrimination, les inégalités de toutes sortes, et prévenir les conflits en s’attaquant à leurs causes profondes. Et c’est vraiment dans cet esprit que la francophonie entre en action. C’est dans cet esprit que s’inscrit la mise en œuvre de notre stratégie pour la jeunesse, dans une approche qui consiste à interagir avec les jeunes, et le mot « avec » est ici le mot clé.

Agir avec; j’insiste sur avec et aux côtés de la jeunesse.

Notre rapport est également intersectoriel, et vise à éclairer les programmes de l’ensemble des acteurs et des réseaux au sein de l’Organisation internationale de la Francophonie : l’Assemblée parlementaire de la Francophonie, qui se compose de 83 parlements et organisations interparlementaires; l’Agence universitaire de la Francophonie, un réseau qui regroupe près de 850 établissements et institutions universitaires; l’Université Senghor d’Alexandrie, et ses campus décentralisés qui se consacrent au développement durable en Afrique; l’Association internationale des maires francophones, qui rassemble plus de 300 villes; TV5MONDE, notre réseau de télévision et de contenu Web de langue française, diffusé sur tous les continents; et les conférences des ministres de l’Éducation et des ministres de la Jeunesse et des Sports de la Francophonie, ainsi que les organisations de notre réseau de la société civile.

Et dans l’ensemble des secteurs, les actions de la francophonie ont un objectif commun : instiller une culture de la paix dans les cœurs et les esprits, en ayant recours à chacune de ce que j’appelle nos armes de création massive, de construction massive, pour favoriser l’accès des jeunes – votre accès – à l’éducation et à l’enseignement supérieur, et vous offrir des formations professionnelles et des programmes d’employabilité axés sur les besoins du marché du travail, notamment par l’intermédiaire de notre Institut de la Francophonie pour l’éducation et la formation, créé tout récemment, et basé à Dakar, au Sénégal. Puis, il y a aussi votre esprit entrepreneurial. Telles sont les visées de notre programme de soutien du potentiel entrepreneurial des femmes et des jeunes. Nous avons un double objectif. Premièrement, appuyer le lancement, la consolidation, le développement et la durabilité des entités jouant un rôle clé au sein de l’écosystème entrepreneurial, par une professionnalisation et un soutien accrus des jeunes entrepreneurs et des femmes entrepreneures, en les aidant à systématiser et à stabiliser leur entreprise de façon à être plus compétitifs au moment d’entrer sur le marché.

Deuxièmement, nous cherchons à aider les femmes et les jeunes à bâtir des partenariats avec d’autres acteurs économiques, à établir des réseaux et des communautés d’entrepreneurs. Nous voulons aussi soutenir votre désir de mobilité et d’action sur la scène internationale, par l’intermédiaire du programme de volontariat international de la Francophonie. Et savez-vous quoi? J’étais vraiment contente de voir que vous étiez si nombreux à lever la main pour dire que vous compreniez et parliez le français. Car chaque langue ouvre une nouvelle fenêtre sur le monde. Les deux langues officielles du Canada, le français et l’anglais, sont les deux seules langues parlées sur les cinq continents. Imaginez l’avantage que cela vous donne. Vous avez deux fois plus de possibilités d’établir des liens, de faire des rencontres, de partager et de collaborer avec des millions d’autres jeunes aux quatre coins du monde, pour faire une différence, comprendre le monde dans toute sa diversité et la richesse de ses nombreuses cultures.

Ainsi, la francophonie vous offre une panoplie d’occasions de vous joindre à un programme de volontariat, à l’une de nos quatre représentations stratégiques permanentes auprès des Nations Unies, de l’Union européenne ou de l’Union africaine – à New York, Genève, Bruxelles ou Addis-Ababa – ou encore à nos bureaux stratégiques régionaux de Bucarest, Port-au-Prince, Hanoï, Libreville, [inaudible], ou à nos deux instituts spécialisés internationaux, soit celui de la ville de Québec pour le développement durable, et celui dont j’ai parlé, à Dakar au Sénégal, pour l’éducation et la formation. Mon temps est écoulé, n’est-ce pas? D’accord.

Donc, je vous invite à saisir toutes les occasions qui se présentent. Tout ce que nous avons mis en place pour promouvoir vos talents et les mettre en valeur dans le cadre d’initiatives comme les concours d’innovation numérique que nous organisons, et je pourrais vous donner beaucoup d’autres exemples, mais le temps file. Mais vraiment, je dirais que nous voulons vraiment vous donner les moyens de vous engager pleinement dans la vie politique, dans les actions pour la paix. Nous avons notamment un réseau immense, qui s’appelle Libres ensemble, « libre » comme « free » en anglais, et « ensemble » comme « together ». Alors, travaillons ensemble. Unissons-nous. Nous le faisons pour vous, avec vous, et je suis très heureuse d’avoir eu l’occasion de vous en parler. Merci beaucoup.

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