Les activités renforcées de police aérienne en période de COVID
Article de nouvelles / Le 3 février 2021
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Par le caporal-chef Bryan Christie
Je suis le caporal-chef Bryan Christie. Au moment où vous lirez ces lignes, je serai en train de me préparer à quitter l’Europe de l’Est pour rentrer à Cold Lake. Après cinq longs mois, plusieurs confinements régionaux et des moments parmi les plus étranges que j'aie vécus de mémoire récente, je rentre enfin à la maison, prêt à raconter les récits de l’expérience la plus exceptionnelle et la plus stimulante de ma vie.
La Roumanie est un pays riche en histoire et en légendes. En découvrant l’histoire du pays, il me semblait assister à un cycle incessant où alternaient conquérants et tyrans. Le fil de ce schéma répétitif était rarement interrompu, à quelques exceptions près, mais uniquement pour les histoires de révolutions et, oui, les vampires, qui, à en croire les légendes, errent encore jusqu’à ce jour dans ces terres mystérieuses. Les Roumains sont forts, mais aussi incroyablement gentils malgré la douleur qu’ils ont endurée au cours de leur histoire. Ils me rappellent beaucoup les Canadiens : ils sont toujours prêts à aider, toujours désireux de sourire à un étranger et n’ont pas peur d’entreprendre une conversation pour essayer de trouver un terrain d’entente. Or, un facteur déterminant semble distinguer ce pays du Canada : la stabilité de la région. C’est ce qui explique le lien du pays au Canada.
Je participe à une mission de renforcement de la police aérienne (RPA) avec l’OTAN lors de laquelle nous aidons la Roumanie à surveiller son ciel pour accroître la sécurité collective de l’OTAN. Cette mission consiste, entre autres, à patrouiller dans l’espace aérien roumain et, si nécessaire, à intercepter tout aéronef qui y pénètre sans autorisation. Non loin de là se trouve la péninsule ukrainienne de Crimée. Évitant la politique qui concerne la situation, la Roumanie était un pays qui avait besoin d’être rassuré et, à la manière typiquement canadienne, nous avons répondu à l’appel. Par conséquent, je fais partie des nombreux Canadiens qui ont eu le privilège de visiter ce beau pays pour tenter de préserver la stabilité régionale dans le cadre de l’opération Reassurance.
J’ai appris le métier d’opérateur de contrôle aérospatial et, au Canada, j’occupe un poste de contrôleur de la circulation aérienne. Mais au cours de ce déploiement, j’ai eu l’occasion d’essayer un des quelque 80 emplois différents que regroupe notre métier. Deux officiers de service et deux opérateurs travaillent par quarts au centre des opérations de l’escadre, où un officier de service principal et moi agissons comme superviseurs. Notre équipe est chargée de superviser toutes les « opérations », notamment la coordination avec d’autres partenaires de l’OTAN, en plus de surveiller activement la région de la mer Noire afin de détecter les aéronefs qui s’approchent de l’espace aérien roumain sans en avoir obtenu l’approbation. Si l’on demande à nos avions à réaction de procéder à une interception, c’est notre centre qui reçoit l’ordre, sonne l’alarme, informe les pilotes et surveille la mission. Comme la plupart des emplois, nous vivons des heures d’ennui suivies de moments intenses, parce que nous disposons d’à peine quelques secondes pour adapter notre esprit au chaos, mais ça me plaît. Cependant, ce déploiement a également posé des difficultés uniques, dont certaines concernaient un ennemi invisible qui a sans doute menacé le succès de notre mission bien plus que n’importe quel intrus de l’espace aérien ne le pourrait : la COVID-19.
« Gucci ». Il s’agit d’un terme militaire familier qui est synonyme de tout ce qui est trop beau. Un ordinateur portable de jeu pour aviateur prévu par le CANEX? « Gucci ». Un caporal s’est acheté une couette de fantaisie pour remplacer la couverture anti-feu en laine? C’est « Gucci ». Les capitaines ont leur propre chambre? Vous voyez l’idée. Puisque la Roumanie est un pays magnifique où l’on trouve beaucoup de choses à voir et à faire, si vous dites que vous y avez été déployé, vous entendrez toujours la même réponse : « Ça devait être Gucci! » Malheureusement pour nous, nous avons passé notre déploiement à nous défendre contre un ennemi invisible. Un ennemi qui a fait sentir sa présence sur la planète et sur chacun de ses habitants. Un ennemi qui nous a obligés à réévaluer la façon de nous occuper de nos aînés et de nos jeunes. Un ennemi qui a modifié la définition de la « normalité » et qui a tout chamboulé, allant de la façon dont nous célébrons les Fêtes à notre façon de fonctionner en tant que forces armées, et qui a éliminé tout semblant de « Gucci » de notre déploiement. Aucun de nous ne le savait à l’époque, mais nous nous apprêtions à vivre un déploiement unique qui, en raison du moment, allait nous amener à faire face à une situation que n’avait vécue aucune rotation précédente, mais que, pourtant, nous allions parvenir à maîtriser.
Lorsque nous sommes arrivés en août, après deux semaines de quarantaine à Trenton, la première vague de COVID s’était atténuée et la normalité commençait à regagner du terrain. C’était dû en partie aux nombreuses précautions que nous avions prises dès le départ, à savoir l’assainissement des lieux de travail, le port de masques, l’éloignement physique et les plans d’urgence à profusion, autant de choses que nous estimions tous importantes et qui ont porté des fruits au fil du temps. Quelques semaines après notre arrivée, notre équipe de commandement, s’appuyant sur la sagesse de notre personnel médical, nous a permis de quitter la base afin de profiter des restaurants du coin. C’est à cette époque que j’ai pu découvrir un peu la culture roumaine et que j’ai acquis le respect que j’ai aujourd’hui pour les gens de ce pays. Malheureusement, notre temps libre n’a pas duré longtemps. Au fur et à mesure que le nombre de cas augmentait, le risque s'accroissait également. Avant même que nous le sachions, nos téléphones émettaient des alertes dans une langue que nous étions incapables de lire, mais nous entendions toujours cette alarme familière et perturbante. État d’urgence. Quarantaine régionale. Confinement.
Par la suite, on nous a confinés à la base pour éviter que les militaires canadiens contractent le virus. Tout soldat sait qu’il n’y a rien de plus important que la mission, donc nous avons poursuivi notre travail en sachant que nous servions une plus grande cause. Il est important de se rappeler que les militaires ne sont pas les seuls à travailler dans les bases. Comme tout militaire le sait, les bases ne peuvent tout simplement pas fonctionner sans les entrepreneurs et les employés civils, ces héros méconnus de la Défense nationale. Malheureusement, cette situation a créé une vulnérabilité jusqu’alors inconnue, car certaines de ces personnes essentielles ont commencé à se sentir mal.
Tout a commencé par la salle de conditionnement physique et le café. Un des employés a fait état de symptômes et a malheureusement reçu un diagnostic de COVID-19, ce qui a entraîné la fermeture de ces deux installations pour y effectuer un nettoyage en profondeur. Peu de temps après, un employé du magasin, qu’on appelle « The PX » dans les bases militaires américaines, a reçu le même diagnostic, puis quelques membres du personnel de cuisine. Quelques semaines auparavant, je savourais un shawarma au porc dans un restaurant roumain pittoresque. Or voilà maintenant que nous mangions des repas individuels de combat dans notre chambre. Bien que toutes les chances aient été contre nous, nous avons tenu bon et poursuivi la mission. Grâce à des mesures de prévention strictes et puisque notre commandant savait « qu’aucun plan ne survit au premier contact avec l'ennemi », nous avons pu nous adapter rapidement et augmenter les précautions, de sorte que pas un seul Canadien n’a reçu de diagnostic de COVID. Nous avons poursuivi le RPA malgré toutes ces incertitudes et sans perturber le moindrement les opérations. Finalement, les entrepreneurs se sont entièrement rétablis et ont repris les services offerts à la base. C’en était fini des repas individuels de combat.
Alors, quelle est donc la morale de cette histoire? Y a-t-il du bon dans tout ça? Depuis que la guerre existe, les soldats se lient grâce à leurs épreuves communes, des expériences si uniques qu’on ne saurait les imaginer sans les avoir vécues, ce qui crée un lien qu’aucune personne extérieure ne peut rompre. Malgré tout, nous avons accompli la mission. Nous rentrons maintenant à la maison. Nous avons contribué à rassurer les Roumains en leur montrant que les Canadiens les aideront lorsqu’ils en auront besoin, peu importe l’adversité, car c’est ce que font les FAC et c’est ce que sont les Canadiens. Que vous soyez un aviateur en déploiement à 2 000 kilomètres de votre famille ou une femme qu’on vient tout juste de mettre à pied et qui essaie simplement de s’en sortir, que vous soyez un père célibataire qui s’efforce de déterminer la meilleure façon de veiller à l’instruction de son enfant ou que vous soyez un fils ou une fille incapable de rendre visite à un parent vieillissant dans une maison de soins de peur de le rendre malade, sachez que nous vivons tous notre propre réalité unique et insondable en ces temps difficiles. C’est cette épreuve commune qui contribuera à nous renforcer, mais ce, uniquement si nous choisissons de la surmonter.