Cinquante ans plus tard : le CC-115 déployé pour service intérieur aux Canadiens

Article de nouvelles / Le 26 janvier 2022

Cheryl Condly

Le capitaine Peter Francis fut affecté au 429e Escadron à titre de pilote de Buffalo peu de temps avant que cet escadron ne devienne le 429/440e avec l’arrivée de l’appareil Twin Otter. La mission de l’escadron se déployait sur deux volets, le Buffalo jouant un rôle tactique et le Twin Otter remplissant une fonction de recherche et de sauvetage. Plus tard, le Buffalo laissa derrière son rôle tactique et fut remis à d’autres escadrons pour se consacrer entièrement à la recherche et au sauvetage. Par ailleurs, le Buffalo et ses équipages sont aujourd’hui réputés pour leur excellent rendement en matière de recherche et sauvetage.

Les équipages ont toujours été prêts à participer aux missions nationales. Ainsi, lorsque le capt Francis fut affecté à la lutte contre le feu souterrain de tourbe, sévissant du 8 au 15 août 1971, dans la région de Wood Buffalo, au nord de High Level, son équipage et lui étaient fin prêts à être détachés auprès de l’Alberta Forestry Service (AFS) pour cette mission.

« Nos aéronefs et notre équipage ont été chargés d’aider l’AFS autant que possible en effectuant le transport aérien des équipes, des fournitures, du carburant et de tout ce qui devait être transporté dans des zones situées à proximité de la tourbe en flammes », a déclaré le capt Francis. « L’aéronef Buffalo était en mesure de décoller de pistes courtes et sommairement aménagées. Il constituait donc l’appareil idéal pour transporter tout ce dont l’AFS avait besoin vers des endroits reculés, situés à proximité des incendies. »

L’équipe affectée à cette mission était composée de Ken Portas (CdB), Peter Francis (P/O), Larry Cote (Méc B) et Roy Dowell (arrim). Les tâches de transport furent partagées avec la Evergreen Helicopters, une entreprise d’hélicoptères commerciaux de McMinnville, en Oregon, aux États-Unis.

Puisqu’aucune des pistes d’atterrissage n’était contrôlée ou éclairée, l’opération n’était déployée que durant les heures de clarté. Les équipages demeuraient dans un motel local et l’AFS se chargeait de leur approvisionnement.

« C’était l’été et le temps était généralement clair. Cela n’a donc pas nui à l’opération », indique le capt Francis. « Personnellement, je trouvais motivant et agréable le fait d’accomplir un travail qui avait un effet positif sur la situation plutôt que de s’entraîner. Nous avions l’impression que les résultats obtenus étaient dans l’intérêt de la province et qu’ils étaient visibles pour la population touchée.

Le Buffalo était un excellent aéronef et il s’est comporté de façon admirable dans tous les scénarios pour lesquels il a été conçu. Il fut toutefois décevant de constater que le processus d’approvisionnement du Buffalo n’avait pas permis d’obtenir suffisamment de pièces de rechange pour nous permettre de répondre à la demande et qu’il semblait y avoir une tendance à conserver un aéronef dans le hangar afin de fournir des pièces de rechange au reste de la flotte. Autrement, c’était un excellent aéronef pour le transport à basse altitude, capable de transporter de lourdes charges vers des pistes d’atterrissage non conformes. »

Cette mission comportait des risques. Lors d’un vol transportant des fûts de carburant vides, nous avons constaté que l’un des fûts contenait une certaine quantité de carburant qui avait coulé dans l’aéronef.

« Les émanations étaient quasi toxiques, ce qui présentait un danger réel d’inflammation et d’explosion. Nous avons donc ouvert toutes les fenêtres pour tenter de dissiper les émanations, mais ça n’a pas vraiment fonctionné », révèle le capitaine.

« À notre arrivée à High Level, nous avons reculé l’aéronef jusqu’au bout de l’aire de stationnement et avons détaché la cargaison. Puis, Ken (capt Portas) a mis plein gaz et a desserré les freins, entraînant l’éjection de tous les barils de carburant, qui ont roulé jusqu’aux abords de l’aire de trafic. Cela a permis de faire cesser les émanations de carburant dans l’avion et d’écarter la possibilité bien réelle que le carburant s’enflamme et cause une énorme explosion. »

« Voici une anecdote : lorsque nous séjournions à High Level, nous prenions tous nos repas du soir dans un restaurant chinois local, et Ken Portas commandait un double cocktail de crevettes avec chaque repas. Quelques années plus tard, alors qu’il se baladait au centre commercial West Edmonton Mall, Ken croisa le regard d’un homme et tous deux s’écrièrent simultanément : “double cocktail de crevettes”. Ils rigolèrent ensemble en se rappelant le bon vieux temps. »

« Alors que ma mission à bord du CC-115 Buffalo tirait à sa fin avec le 429/440e Escadron, j’ai été affecté à la toute nouvelle 116e Unité canadienne de transport aérien (UCTA), mise sur pied pour les Nations Unies, au Caire, en Égypte. Je suis arrivé au début de juin 1974 et j’ai commencé à voler avec l’unité le 9 juin 1974.

Notre mission consistait à répondre aux besoins des Nations Unies au Moyen-Orient, en effectuant essentiellement des vols à partir du Caire vers Chypre, le Liban, la Syrie et Israël. C’était l’été, et les températures quotidiennes culminaient généralement approximativement à 125 °F. Nous avions établi nos quartiers sur une piste de course abandonnée, et dormions dans des tentes et des sacs de couchage pour climat arctique, à environ 18 pouces du sable sur des chaises longues pliantes en aluminium.

Nous dormions dans la doublure en flannelette des sacs de couchage, mais il suffisait qu’un cordon touche le sable pour que les puces de sable pénètrent dans notre sac de couchage et nous mordent. Il devenait extrêmement difficile de s’en défaire par la suite. Il n’y avait pas d’installations sanitaires permanentes, et les toilettes portatives se trouvaient dans des tentes de 4 pi x 4 pi x 6 pi. Des boîtes à ordures remplies d’eau chauffée par thermoplongeur faisaient office d’installations rudimentaires pour le personnel, qui souffrait souvent d’une forme de dysenterie.

Lorsque j’ai vu pour la première fois le canal Sweet Water, duquel nous puisions notre eau potable, j’ai aperçu un jeune garçon qui pagayait sur un âne mort, un peu comme sur un radeau. Comme vous pouvez l’imaginer, les conditions étaient plutôt rudimentaires et beaucoup moins favorables que celles auxquelles la plupart d’entre nous étaient habitués.

La température, toujours clémente, n’a jamais posé problème pour les vols. Cependant, des considérations politiques devaient toujours être prises en compte lorsque nous survolions ces régions puisque les Arabes ne reconnaissaient pas Israël et n’acceptaient les plans de vol vers les villes d’Israël qu’à condition que soient utilisés les anciens indicatifs de l’Organisation de l’aviation civile internationale (OACI) pour désigner les endroits en Israël.

Les plans de vol constituaient des itinéraires de vol préprogrammés qui, bien que stricts, pouvaient être devancés si la coordination appropriée était approuvée par le contrôle de la circulation aérienne et que l’avion était en contact radio avec le bon centre de contrôle. Il y avait toujours un peu d’appréhension lorsque nous nous rendions dans des pays en guerre, mais dans l’ensemble, les vols étaient agréables et nombreux.

Un jour, alors que nous attendions le retour d’un chargement multinational d’effectifs que nous avions transporté à Beyrouth, la police libanaise nous a arrêtés et amenés au sous-sol de l’aérogare. La langue faisant obstacle, il nous a fallu plusieurs heures avant de comprendre qu’un lieutenant-colonel ghanéen avait été découvert transportant une valise remplie de haschich. Comme nous l’avions conduit au Liban, nous étions considérés comme complices de son opération de contrebande. Ce n’est que deux ou trois heures plus tard que nous avons réussi à convaincre les policiers de notre simple rôle de chauffeurs de bus et du fait que nous n’avions aucun lien avec les passagers. Nous avons finalement été libérés et avons pu poursuivre notre route, sans le lcol.

Les chargements de l’aéronef étaient très variés, mais le plus difficile était le transport d’effectifs de différentes nationalités. De nombreux pays refusaient aux étrangers l’entrée leur territoire. Nous étions parfois contraints de transporter ces personnes qui devaient alors demeurer dans l’avion jusqu’au décollage, à des températures pouvant, à certains moments, atteindre les 100 °F, et ce, sans climatisation. Tout cela faisait partie de nos opérations courantes. »

Un jour fatidique

« Le 9 août 1974, tout a changé. Le Buffalo 461 a été abattu par une salve de trois MSA 6 (missile surface-air) en provenance d’une base syrienne, sur la route entre Beyrouth et Damas. Les neuf Canadiens qui se trouvaient à bord de l’aéronef ont péri.

Un officier américain a été témoin des tirs et a vu l’aéronef être atteint et détruit par les missiles. Les communications qui s’en sont suivies ont été très révélatrices. Tout d’abord, le contrôle de la circulation aérienne syrien a téléphoné et a réclamé une liste des membres de l’équipage pour « l’aéronef que nous avons abattu ». Puis, les appels subséquents faisaient tous référence à « l’aéronef qui a heurté le sol ».

Trois commissions d’enquête distinctes en sont venues aux conclusions suivantes : l’aéronef a été abattu par des missiles syriens (Nations Unies), l’aéronef a été abattu par des MSA, sans identifier les auteurs de l’attaque (Canada) et l’aéronef s’est écrasé sur un site de MSA désaffecté, ce qui explique le marquage cyrillique sur les faisceaux de fils retrouvés sur le lieu de l’écrasement, les MSA 6 étant de fabrication russe (Syrie).

À l’unité, la nouvelle a été dévastatrice. Mon compagnon de tente, le capitaine Keith Mirau, était le premier officier du vol et sa perte s’avérait difficile à accepter. La proximité de notre petit effectif faisait de cet événement une catastrophe sur le plan émotionnel. Le fait de rassembler les effets personnels de Keith s’est révélé particulièrement difficile, car sa femme et lui s’écrivaient presque tous les jours. Lire leurs réflexions personnelles l’un par rapport à l’autre a été déchirant.

Il va sans dire que l’équipage de l’unité a refusé de continuer à survoler ce corridor entre Beyrouth et Damas. Nous avons donc été redirigés vers le nord en passant par Lattaquié, en Turquie, et ce, jusqu’à ce que les Syriens fournissent la preuve absolue que l’incident ne se reproduirait jamais. Personnellement, je ne suis jamais retourné à Damas après cette tragédie, et n’y retournerai probablement jamais.

Quelque part entre le 1er et le 21 août, l’UCTA a relocalisé sa base d’opérations du Caire à Ismaïlia, près du canal de Suez, dans une base abandonnée et jamais reconstruite de la Royal Air Force.

Les Canadiens ont retiré tous les débris et ont converti les quartiers non aménagés en logements habitables, et ont ainsi établi une ville de tentes à l’aérodrome pour les membres du 116 UCTA. Les officiers disposaient de tentes individuelles d’origine polonaise (en forme de bâtiment de type quonset) dont la doublure assurait une certaine isolation contre la chaleur étouffante. En plus de ces logements adaptés, il y avait un abri rigide pour les toilettes portables et des remorques-citernes remplies d’eau locale et de comprimés de purification d’eau. Le goût de l’eau n’était supportable que lorsque celle-ci était mélangée à n’importe quelle saveur de Tang. Pour éviter de boire l’eau et de souffrir de dysenterie, la plupart des membres de l’unité buvaient des boissons en bouteille et des boissons gazeuses.

Je suis rentré chez moi en novembre 1974, plus triste qu’à mon départ et plus réaliste face à la profession que j’avais choisie. Cependant, la flamme de ma passion pour le vol ne s’est jamais éteinte, et cette expérience m’a rendu plus déterminé à m’exercer et à devenir le meilleur pilote possible. »

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