Un marin fait pousser des graines en haute mer

Nouvelles de la Marine / Le 30 juin 2021

Par le maître de 2e classe John Reid McDougall

NCSM Halifax

Lorsque je m’apprêtais à partir en mission outre-mer avec la Marine royale canadienne (MRC) à bord du Navire canadien de Sa Majesté (NCSM) Halifax pour l’opération Reassurance, ma douce moitié m’a demandé si je voulais emporter des plantes avec moi. Notre plante araignée avait une nouvelle pousse et avait besoin d’être replantée bientôt de toute façon. Alors, en préparation au déploiement, j’ai obtenu un petit pot en verre, j’y ai mis de la terre puis j’y ai planté ma plante. J’allais l’emmener pour avoir une partie de la maison avec moi pendant mon absence.

J’ai également emporté des bouts de nos plantes succulentes. Le jour de notre départ, je les ai mis dans mon bureau — le poste de contrôle du pont d’envol du NCSM Halifax. C’était une touche agréable et une façon de tourner mon attention vers autre chose que le travail.

Un jour en mer, j’ai mangé une mangue. Lorsque je l’ai coupée pour la manger, elle était parfaitement mure. Il ne restait que le noyau et la pelure. Je me suis souvenu d’une tendance sur l’application Tik Tok où les gens lavaient, brossaient et séchaient un noyau de mangue pour le rendre duveteux et mignon. En y pensant, j’ai eu l’idée de voir ce qu’il y avait à l’intérieur du noyau. Je n’en avais jamais ouvert et je ne savais pas à quoi ressemblait une graine de mangue. J’ai donc décidé de le faire! Dès que j’ai vu la graine, j’ai su que je devais la faire pousser, mais je n’avais rien prévu au-delà de ce stade.

Nous étions partis de la maison depuis le 1er janvier 2021 et nous étions maintenant en février. Je n’avais pas de terre, ni de jardinière, ni d’idée de ce que je faisais. J’ai enveloppé la graine de mangue dans un papier essuie-tout humide et je l’ai placée dans un sac de plastique dans mon bureau. Elle y est restée et y a poussé. C’est alors que je me suis demandé quel autre type de plante je pourrais faire pousser et comment je pourrais me procurer de la terre et une jardinière. La dernière ne me posait pas trop de difficulté — étant créatif, j’ai décidé de bâtir mes propres jardinières. Après avoir pensé en bâtir une en bois, j’ai opté pour le plexiglas. J’ai bâti ma première jardinière en prisme rectangulaire à cinq côtés — c’était tout ce dont j’avais besoin pour commencer!

Maintenant que j’avais un endroit où mettre mes graines, il me fallait plus de plantes. J’ai donc réfléchi à ce que je pourrais planter d’autre; peut-être qu’au port je pourrais trouver des plantes sur les jetées. Puisque ce n’était pas encore le printemps, j’ai dû me défaire de cette idée assez rapidement. Tout à coup, j’ai trouvé : des fruits! J’ai mangé des pommes vertes pour obtenir leurs graines, du melon d’eau, des pois, du cantaloup, des nectarines, encore plus de mangues, des fruits du dragon, de l’ail et des avocats. Je les ai tous fait germer dans mon bureau pendant plusieurs semaines et j’y ajoutais des graines tous les jours pour déterminer lesquelles germaient le mieux.

C’était génial de faire ces expériences qui me motivaient et me donnaient envie de commencer la journée. Chaque matin, je vérifiais quelles graines avaient germé. C’était devenu un rituel. Chaque fois que je mangeais un fruit, je me demandais si ses graines pousseraient bien. Les graines des nectarines étaient les plus compliquées parce que, comme celles des mangues, elles ont une coquille qu’il faut ouvrir avant même de savoir si la graine est assez saine pour la faire pousser. Je ne sais pas combien j’en ai mangé seulement pour savoir s’il valait la peine de faire pousser leurs graines. D’ailleurs, aucune d’entre elles n’a dépassé le stade de la pousse. J’ai tenté de prédire le potentiel des graines selon leur apparence, mais il n’y avait pas de corrélation. Ces graines sont restées dans mon bureau pendant de nombreuses semaines.

Les graines de pommes ont germé et étaient prêtes à être plantées. Ce qui me retenait de le faire, c’est que je n’avais pas de terre — une denrée rare en mer. Le prochain port où nous devions faire escale était en Pologne. Comment allais-je me procurer de la terre? Devrais-je tenter ma chance de trouver de la terre sur la jetée? C’était le début du mois de mars et il faisait encore très froid — aurais-je besoin d’une pelle? Le moyen le plus sûr serait de faire appel à notre personnel de soutien à terre, donc je les ai contactés et j’ai pris les dispositions pour qu’ils m’achètent un sac de terre. J’ai été agréablement surpris de voir que c’était possible malgré toutes les règles de quarantaine que nous devions respecter en raison de la COVID-19.

Mes graines avaient germé, j’avais construit une jardinière et j’avais maintenant de la terre! Il était temps de planter mes arbres. Neuf graines de pommes avaient germé suffisamment pour être plantées. Je les ai donc alignées en trois rangées de trois. Je disais à qui voulait bien l’entendre que j’avais planté un verger! Personne ne me croyait ou bien ils pensaient que je racontais des âneries. Ils devaient le voir pour le croire. C’était fantastique de voir que j’avais fait pousser des pommiers dans mon bureau à bord d’un navire de la Marine. C’était une belle réussite. J’étais accroché; j’avais très hâte de pouvoir planter les autres graines.

À ce moment-là, j’avais trois graines de mangues qui germaient dans mon bureau, en plus des autres graines. Je savais que j’aurais besoin d’une autre jardinière, alors j’en ai construit une autre. Il me restait suffisamment de terre pour remplir la deuxième jardinière en attendant que mes graines soient prêtes. À ce stade, ma plante araignée commençait à devenir trop grande pour son petit pot de verre. En la transplantant dans un pot plus grand, j’ai libéré le pot parfait pour faire pousser ma graine d’avocat. Elle avait déjà une petite fente, donc elle était prête à être mise à l’eau. J’ai utilisé le bon vieux truc du cure-dents pour suspendre l’avocat dans l’eau.

Puisque nous étions sur une plateforme en mouvement, je devais prendre le tangage et le roulis du navire en considération et m’assurer que le niveau de l’eau dans le pot n’était pas trop élevé pour éviter d’en renverser. C’était un exercice d’équilibrage délicat que j’ai heureusement perfectionné dès le début. Maintenant que mon jardin commençait à prendre de l’ampleur, les gens venaient l’admirer et étaient surpris de voir des pommiers grandir sur un navire de guerre. Lorsque nous avions la permission de recevoir des visiteurs d’autres navires de l’OTAN, on prenait toujours un moment pour leur montrer mon jardin. À ma connaissance, j’avais le seul jardin de l’OTAN.

Je n’avais aucune idée de l’impact qu’aurait mon jardin sur moi et sur mes camarades. Je me suis lancé dans ce projet sans avoir de but précis en tête. Il a suffi d’un brin de curiosité pour voir ce qui était réellement possible. Je n’ai pas simplement fait pousser un jardin, j’ai cultivé une nouvelle vie et créé un but au cours d’un déploiement qui était déjà difficile. En raison du contexte de la COVID-19, les escales se faisaient rares ou impossibles, ce qui rendait les déploiements plus difficiles que d’habitude.

Grâce à mon jardin, je me suis rendu compte de l’importance de prendre soin de soi, d’avoir un passe-temps, de la patience, quelque chose à soigner et surtout un petit bout de chez soi. Ce fût merveilleux d’être la source de stupéfaction, de curiosité et de joie des autres. Le jardin est si souvent l’origine de tant de conversations avec mes camarades qui ensuite ont dévié sur d’autres sujets. Je ne sais pas si ces conversations auraient eu lieu si ce n’avait pas été pas de mes neuf pommiers.

Mettre en œuvre une idée comme celle-ci s’est avéré un bon exercice et une métaphore tellement puissante de ce que nous vivons lorsque nous partons en longue mission. Puisque nous demeurons en mer pendant des semaines d’affilée, nous nous devons d’être autonomes en raison de nos ressources limitées, de créer notre propre bonheur et de trouver la motivation pour rester concentrés sur notre travail. Il est également important de pouvoir s’évader pour se ressourcer de façon saine et positive.

Cette expérience a été très positive pour moi et a fait une grande différence sur mon expérience à bord d’un navire dans le cadre d’un déploiement de l’OTAN. Je suis naturellement devenu un membre d’équipage à part entière et plus engagé. Par ailleurs, apporter de la joie à ceux qui m’entourent m’a donné un sentiment d’utilité que je n’avais pas au début de ce déploiement.

En créant quelque chose de beau à partir de rien, j’ai pu susciter de l’espoir et le sentiment qu’en faisant confiance à la vie et en prenant soin de nous-mêmes en cours de route, n’importe qui peut s’épanouir et bien vivre pendant un déploiement au lieu de le subir et de survivre à ces sept mois en mer.

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2024-05-22