Vers une nouvelle politique de défense pour le Canada

Discours

3 mai 2017

Merci à vous Monsieur Battista et à toute l’équipe de l’Institut de la CAD, pour avoir organisé cette rencontre. C’est un plaisir d’être parmi vous ici aujourd’hui.

Je sais qu’en février, l’ICAD a eu des échanges fructueux avec le chef d’état-major de la Défense, le général Jonathan Vance, au sujet d’une série d’enjeux auxquels sont confrontées les Forces armées canadiennes.

Je suis ici aujourd’hui pour vous donner un aperçu du véritable point de départ de la nouvelle politique de défense du Canada que le gouvernement fera bientôt connaître. Toute l’ampleur du défi à relever nous est apparue clairement au cours de notre analyse. Aux fins de cette analyse, nous avons mené un processus exhaustif de consultations publiques. Les Canadiens ont apporté plus de 20 000 contributions en ligne. Les parlementaires ont tenu plus de 50 réunions publiques. 107 experts en la matière ont participé à des tables rondes partout au pays, de Vancouver à Yellowknife, d’Edmonton à Toronto, à Halifax, Ottawa et Montréal.

Je vais être très franc avec vous, parce que je suis persuadé qu’il est important de voir clairement le gouffre dont il faut s’extirper. Je préfère dire tout de suite que des gouvernements successifs ont contribué à l’état actuel des choses.

Cet auditoire est pleinement conscient de la portée des défis auxquels sont confrontées nos forces armées en raison du sous-investissement.

Et pourtant, la situation est, à certains égards, pire que ce qu’ont pu constater la plupart des observateurs.

Je sais que vous comprenez qu’il ne nous sera pas possible de bâtir l’armée dont cette nation a besoin en prenant une série de décisions à court terme.

Je sais que vous comprenez qu’on ne peut renforcer une armée en grappillant des montants d’un budget à l’autre.

En cédant continuellement aux pressions de ce qui est urgent aux dépens de ce qui est stratégique.

En espérant que dans 20 ans, toutes les fluctuations incohérentes nous donneront tant bien que mal l’armée dont nous avons besoin.

C’est pourquoi nous avons adopté une démarche à long terme en procédant à l’examen approfondi de la politique de défense, afin d’élaborer une stratégie crédible, réaliste et financée pour nos forces armées.

Je tiens à dire d’emblée que les Forces armées canadiennes répondent chaque fois aux demandes des gouvernements. Elles remplissent leurs fonctions de façon exceptionnelle malgré la pénurie de ressources.

Tous les Canadiens peuvent être fiers du fait que nos hommes et femmes en uniforme répondent à l’appel du devoir où et quand il se fait entendre.

Ces dernières années, ils ont été déployés en Iraq pour contribuer aux efforts internationaux de lutte contre DAECH.

Ils ont été déployés au Népal en 48 heures à peine, après le terrible tremblement de terre qui a frappé ce petit pays.

Ils ont aussi été déployés avec l’OTAN pour renforcer la détermination de l’alliance et la dissuasion contre les actions russes menées en Ukraine.

Au pays, ils ont prêté assistance aux résidents de Winnipeg et de Fort McMurray qui ont connu des inondations massives et des feux de forêt catastrophiques.

Les Forces armées canadiennes sont une source d’inspiration et font ma fierté chaque jour. Réceptives, professionnelles et dévouées, elles comptent parmi les meilleures forces armées au monde.

Mais les militaires ne peuvent remplir correctement leur mission indéfiniment sans soutien adéquat.

Les gouvernements ont la responsabilité de respecter leurs obligations… prendre soin de leurs militaires, les doter de ressources suffisantes, et les financer de manière responsable afin de répondre à leurs besoins.

Depuis notre élection il y a un an et demi, nous avons travaillé fort pour relever les défis complexes auxquels l’équipe de la Défense a été confrontée ces dernières années.

C’est une tâche immense que nous devons remplir correctement.

Nous avons consacré beaucoup de temps et d’attention à déterminer ce qui fonctionne bien, ce qui ne fonctionne pas, et pourquoi.

Nous avons discuté avec des experts de la défense et de la sécurité au Canada et à l’étranger, pour mieux comprendre les menaces modernes à la sécurité.

Nous avons rencontré nos alliés et partenaires pour avoir une idée plus claire du rôle optimal que peut jouer le Canada en matière de défense.

Nous avons écouté ce que les Canadiens avaient à dire au sujet de leurs aspirations pour les Forces et notre pays.

À chaque étape, la conclusion était claire : les gouvernements n’ont pas accordé aux Forces armées canadiennes un financement prévisible, durable et à long terme.

La situation n’a pas évolué de façon linéaire. Permettez-moi de prendre un moment pour en retracer certains tours et détours.

En 2004-2005, le gouvernement du premier ministre Paul Martin a institué des hausses budgétaires annuelles d’environ 1,5 milliard de dollars sur des années successives.

Par la suite, le budget a augmenté graduellement, surtout pour couvrir le coût de la mission de combat en Afghanistan jusqu’à sa fin en 2010-2011.

Puis, il y a eu deux programmes de réduction du déficit, l’Examen stratégique et le Plan d’action pour la réduction du déficit. Au moment de la mise en œuvre complète de ces mesures en 2015, chacune avait réduit le budget annuel de la défense d’un milliard de dollars, pour un total d’environ 2 milliards de dollars par année.   

Le facteur de progression mis en place pour protéger le budget du MDN contre l’inflation dans les dépenses de la défense, a été haussé de 1,5 % à 2 % en 2011. Et au début du présent exercice, il a été augmenté de 2 % à 3 %. Mais même cela ne sera pas suffisant pour répondre à nos besoins futurs.

Des années de fluctuations ont contribué au caractère imprévisible de la budgétisation pour les personnes responsables de soutenir et maintenir les Forces, et de planifier leur avenir. Les réductions ont laissé un vide dans certains secteurs de l’organisation.

Les avions et navires de combat sont de bons exemples du lien inévitable entre l’investissement insuffisant et les écarts de capacité.

Il y a quelques années, on a dit aux Canadiens que le gouvernement achèterait 65 nouveaux avions à réaction pour remplacer notre flotte vieillissante de CF-18. Mais pour les missions que nous demandons à l’Aviation royale du Canada d’exécuter, et pour nos engagements envers l’alliance, 65 avions à réaction ne seraient tout simplement pas suffisants.

Si nous voulons respecter entièrement nos engagements envers l’OTAN et NORAD en même temps –  et c’est ce que nous voulons –  alors 65 avions à réaction ne constituent pas une flotte complète. Elle ne pourrait servir qu’à faire de la gestion de risque, sans vraiment répondre à nos besoins.

En outre, le montant de 9 milliards de dollars qui était prévu pour le remplacement des avions par le gouvernement précédent est loin d’être suffisant pour même couvrir les 65 avions à réaction proposés.

Quant aux nouveaux navires de surface de la Marine, le gouvernement précédent a fini par dire qu’il en achèterait jusqu’à 15. Comme l’ont rapporté les médias, le budget prévu était largement insuffisant et irréaliste.

La Marine royale canadienne mérite un engagement clair, réaliste et entièrement financé.

Les capacités navales du Canada sont à leur niveau le plus faible depuis 40 ans.

Le nombre de navires opérationnels dans la flotte canadienne a diminué de cinq au cours des deux dernières années seulement. On a retiré des vaisseaux sans les remplacer parce que les plans d’investissement arrivaient tout simplement trop tard.

Sans aucun destroyer dans sa flotte, le Canada dépendra des États-Unis et de l’OTAN pour la défense aérienne de zone jusqu’à l’arrivée de nos nouveaux navires de combat de surface.

Sans aucun navire de ravitaillement, le Canada dépend aussi des capacités de ses alliés et partenaires pour ses besoins en ravitaillement.

À eux seuls ces exemples seraient déjà assez troublants, mais il y a encore bien d’autres problèmes à résoudre.

En raison des diminutions de budget du gouvernement précédent, il manque 2 milliards de dollars dans le budget de la défense cette année. Cela vient exacerber une situation déjà difficile.

La fermeture des bureaux de recrutement a rendu plus difficile d’attirer de nouvelles recrues.

La réduction du nombre d’agents d’approvisionnement a compliqué l’achat, l’entretien et la maintenance de l’ensemble des outils et de l’équipement que nous avons pu nous permettre de payer à nos militaires.

Nous sommes maintenant dans une posture inquiétante où le statu quo dans les dépenses en matière de défense ne permettrait même pas de maintenir le statu quo dans les capacités.

Le financement actuel ne nous offre pas d’issue... et la situation se complique chaque année. En pourcentage de notre PIB, nous dépensons moins pour la défense aujourd’hui que nous le faisions en 2005.

Il existe une liste de grands projets d’immobilisations entièrement non financés. Ce ne sont pas des projets de convenance ou des fioritures. Ce sont des projets qui doivent être exécutés si nous voulons que nos militaires puissent continuer à faire ce qu’ils font. Ces investissements doivent être effectués pour de l’équipement et des capacités cruciales pour les forces armées... et aucun financement n’a été attribué à ces fins.

L’armée de l’air aura besoin de fonds pour apporter des améliorations de mi-vie à ses hélicoptères de recherche et de sauvetage Cormorant. Il s’agit d’un besoin critique d’investissement dans une flotte d’aéronefs que notre armée de l’air utilise quotidiennement pour venir en aide à des Canadiens en détresse.

Il manque également de fonds pour prolonger la vie des Griffons. Ces hélicoptères très fiables servent fidèlement notre armée de l’air lors de missions au pays et à l’étranger depuis plus de 20 ans.

Ils sont utilisés pour transporter des troupes et du matériel, notamment lors de missions humanitaires et des opérations en Afghanistan et maintenant en Irak. Et ils rentrent tout juste à l’intérieur du C-17 Globemaster, et sont donc facilement transportables et donnent aux Forces la souplesse et l’agilité nécessaires pour répondre aux crises qui surviennent dans le monde.

Mais si nous ne finançons pas leur projet de prolongation de vie, nous devrons les éliminer parce que des hélicoptères avec des instruments désuets ne peuvent pas voler dans l’espace aérien nord-américain.

Et pourtant, aucun fonds n’a été attribué pour les garder en état de fonctionnement pour les années à venir.

Dans l’armée, nous avons découvert qu’aucun financement n’a été attribué pour permettre aux soldats de continuer à s’acquitter de certaines de leurs tâches les plus importantes.

Sans l’appui de nos alliés, les soldats canadiens déployés à l’étranger seraient exposés aux menaces que représentent les aéronefs, missiles et pièces d’artillerie à longue portée. Par conséquent, des investissements dans des systèmes de défense antiaérienne basés au sol sont nécessaires pour garantir la sécurité de nos troupes déployées.

Pourtant, aucun argent n’a été affecté pour fournir cette protection à nos soldats dans le passé. 

Il existe plusieurs autres exemples de projets pour lesquels l’armée a besoin de fonds du gouvernement afin de pouvoir continuer à aider les Canadiens pendant les catastrophes naturelles et à respecter les engagements internationaux.

Sa flotte de matériel de soutien lourd, comme les chariots élévateurs, les niveleuses, les chargeuses et les excavatrices, doit être remplacée pour que nos soldats puissent construire des camps, des ouvrages de protection, des routes et des abris. 

La liste des activités que nos soldats réalisent avec ce matériel est longue. Pourtant, aucun investissement n’a non plus été prévu à ce chapitre.

De plus, la flotte de véhicules de soutien logistique de l’armée, comme les remorques et les camions de taille moyenne, utilisés pour transporter des ravitaillements et de l’équipement essentiel, s’est considérablement dégradée au fil du temps et doit être remplacée. Ces capacités sont essentielles pour soutenir nos soldats au pays et à l’étranger.

Encore une fois, aucun investissement n’est prévu.

Or, les problèmes de ressourcement que nous avons trouvés les plus troublants sont ceux qui ont directement touché nos membres en service.

Dans ma carrière de plus de 25 ans à titre de réserviste, j’ai vu de mes yeux les façons dont le gouvernement du Canada a échoué à équiper correctement sa force de réserve.

Non seulement n’y a-t-il pas assez d’équipement, mais la formation pour utiliser le peu d’équipement que les réservistes possèdent est aussi déficiente.

Nos unités de réserve sont extrêmement débrouillardes et affichent un très bon rendement, malgré qu’elles soient sous-financées depuis si longtemps. Mais cela n’excuse pas le défaut de fournir les ressources appropriées à notre réserve.

Les réservistes méritent une reconnaissance des gouvernements qui les ont déployés loin de leur famille dans des situations dangereuses.

Au lieu de cela, lorsqu’ils quittent l’uniforme, ils reçoivent des chèques de pension en retard.

Ils doivent suivre un parcours à obstacles lorsqu’ils partent de l’armée, et ils se font rouler de plus de façons qu’aucun gouvernement ne voudrait admettre.

Ce sont quelques-uns des problèmes à résoudre. Avant de pouvoir construire du neuf, la nouvelle politique en matière de défense du Canada doit d’abord nous sortir de la fâcheuse position d’où nous commençons.

Une partie de la solution réside dans la rigueur financière.

Certaines des décisions des gouvernements précédents concernant le financement de grands investissements en capital étaient basées sur des hypothèses trop optimistes quant à la mesure dans laquelle il était possible d’optimiser chaque dollar du budget de la défense pour acheter du matériel militaire.

Mais il est difficile pour les Canadiens de tenir le gouvernement responsable, car si peu de personnes comprennent le cadre financier, pour commencer.

Les budgets en matière de défense n’ont pas la transparence et l’ouverture suffisantes.

Les budgets en capital eux-mêmes n’ont pas été dressés en fonction d’un établissement de coûts en fonction du cycle de vie complet, et le financement de la défense est imprévisible, ce qui a rendu extrêmement difficile d’effectuer une planification à long terme.

C’est pourquoi nous avons promis un examen complet de la politique en matière de défense du Canada en 2015.

C’est pourquoi nous avons demandé des observations aux parlementaires de tous les partis et avons tenu une série de tables rondes pour consulter des experts, notamment la table ronde de l’industrie, en juillet dernier.

C’est pourquoi nous avons consulté des Canadiens de partout au pays grâce à nos portails en ligne et à nos séances de discussions ouvertes.

Nous avons également organisé des discussions en table ronde pour écouter des membres des Premières Nations, des universitaires et des experts sur les questions liées à l’appartenance sexuelle.

Nous voulions bien comprendre la façon dont chaque facette de notre politique en matière de défense aurait un impact sur notre propre population et sur le Canada de façon plus générale.

Nous agirons à la lumière des faits recueillis tout au long du processus d’examen de la politique en matière de défense.

Le processus a clairement établi la nécessité de mettre l’accent sur des domaines émergents, comme l’espace et la cyberdéfense.

Il est nécessaire de demeurer un allié efficace et de confiance et une voix respectée sur la scène internationale en vue de protéger les Canadiens et leurs intérêts.

Surtout, nous devons mieux prendre soin de notre personnel des Forces armées canadiennes et de leurs familles. Et nous devons informer les Canadiens de ce qu’il en coûte vraiment.

Cette politique canadienne en matière de défense jouira du processus d’établissement des dépenses le plus rigoureux jamais mené.

Elle a été préparée avec le soutien d’experts mondiaux en établissement des coûts de Deloitte, l’une des plus grandes entreprises de services professionnels au Canada, qui a également participé aux examens des politiques en matière de défense auprès de nos partenaires du Groupe des cinq.

Mais nous sommes allés un peu plus loin. Nous avons demandé à cinq autres grands cabinets comptables au Canada d’examiner la méthodologie utilisée.

Nous allons obtenir une évaluation juste et précise des enjeux, ainsi qu’un plan adéquat pour les aborder.

Roméo Dallaire a déjà dit que nous devrions faire une déclaration sans ambiguïté quant à ce qu’on attend des forces armées; quant à la façon dont les forces seront structurées; et quant aux ressources qui seront à leur disposition et à la façon dont le gouvernement garantira leur maintien dans l’avenir.

La nouvelle politique en matière de défense du Canada incarnera cette vision.

Notre plan nous permettra de nous sortir de la fâcheuse position d’où nous partons et de construire une armée encore plus forte.

Il nous permettra d’attribuer un financement réaliste à ces projets élémentaires qui permettront à nos forces armées de fonctionner avec efficacité et efficience pour les années à venir.

Mais surtout, ce plan nous permettra de prendre soin des femmes et des hommes qui revêtent l’uniforme.

Je suis impatient de pouvoir faire la bonne chose – maintenant et à long terme – pour les personnes qui défendent le Canada, notre population et notre mode de vie.

Je vous remercie. 

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