Excuses relatives à l’inconduite sexuelle au sein du MDN et des FAC – Les excuses du chef d’état-major de la Défense

Discours

Le texte prononcé fait foi

C’est une journée importante qui sera difficile pour plusieurs.

Parce que nous affrontons — et nous reconnaissons — des vérités difficiles.

Pendant trop longtemps, un trop grand nombre de membres des Forces armées canadiennes et de la famille de l’Équipe de la Défense ont subi des préjudices…

… et ont vécu dans la crainte de subir des représailles en dénonçant ces préjudices.

Vous êtes trop nombreux à porter ce fardeau…

… pour certains, depuis des décennies, à vivre des expériences…

… d’agressions sexuelles, de harcèlement sexuel, de discrimination et d’exclusion fondés sur le sexe, le genre, l’identité de genre ou l’orientation sexuelle.

Ces comportements n’ont absolument aucune place au sein de notre institution.

Et nous savons et reconnaissons que certains aspects d’exclusion de notre culture institutionnelle ne correspondent pas aux valeurs fondamentales que nous aspirons à défendre ni aux attentes des personnes que nous servons et protégeons. Cela doit changer.

Il faut énormément de courage pour s’engager à servir son pays dans les forces armées.

Pour être prêt à faire passer le service avant soi. Pour sacrifier beaucoup de choses – voire tout sacrifier – pour ses compatriotes canadiens.

Pour consentir à mettre sa vie en danger afin de protéger les gens et le pays qu’on aime, malgré les risques encourus.

Vous devriez vous attendre à être à l’abri de tout danger dans votre propre base, votre propre escadre ou à bord de votre propre navire – parmi les personnes qui portent le même uniforme que vous.

Beaucoup d’entre vous ont toutefois été victimes de préjudices aux mains de vos compagnons d’armes.

Des gens qui auraient dû être dignes de confiance.

Des gens en qui vous deviez pouvoir avoir confiance.

Des gens qui étaient censés être un peu comme des membres de votre famille.

Dans notre milieu de travail – dans la profession des armes – la confiance peut faire la différence entre la vie et la mort.

Et nous avons trahi cette confiance.

Cette confiance a été trahie par des collègues et des dirigeants.

Et par cette institution, parce qu’un nombre insuffisant de mesures ont été prises pour y mettre fin.

Ce ne sont pas seulement les membres des FAC et nos vétérans qui ont subi des préjudices, mais également les employés de la fonction publique et le personnel des Fonds non publics des Forces canadiennes qui servent à nos côtés.

Étant une personne qui a consacré toute sa vie à cette institution…

Et qui l’apprécie aussi profondément… cela me brise le cœur.

Et aujourd’hui, nous offrons – j’offre – mes plus sincères excuses.

Au nom d’une institution qui vous a laissé tomber, au nom de ceux qui ne vous ont pas écouté, au nom de chaque personne n’ayant pris aucune mesure – nous sommes sincèrement et profondément désolés.

Mes excuses s’adressent à tous les membres de l’Équipe de la Défense, anciens et actuels, qui ont été blessés ou affectés par l’inconduite sexuelle – les personnes qui participent au recours collectif des Forces armées canadiennes et du ministère de la Défense nationale pour inconduite sexuelle, et celles qui n’y participent pas.

Nous reconnaissons ne pas avoir pris les mesures nécessaires pour assurer votre sécurité.

Je sais que certains d’entre vous se posent peut-être des questions sur mon autorité morale pour présenter ces excuses.

Je me suis aussi posé ces questions.

En particulier parce que vos dirigeants à tous les niveaux et ceux qui nous ont précédés n’ont pas apporté suffisamment de changements.

Les préjudices dont vous avez été victimes se sont produits sous notre surveillance collective.

Sous ma surveillance.

Que ce soit par naïveté ou par ignorance – toutes deux impardonnables – les problèmes ont perduré. Les préjudices ont continué et ils n’ont pas été reconnus ou traités de manière suffisante.

Nous avons – beaucoup trop lentement – pris conscience des conséquences désastreuses de cette situation sur notre personnel.

Nous n’avons pas accompli le profond travail de transformation nécessaire pour changer notre culture ou pour nous attaquer aux enjeux culturels sous‑jacents qui contribuent à l’inconduite sexuelle et aux autres formes de préjudices.

Nous avons injustement imposé aux victimes le fardeau de changer les choses.

Cela ne devrait pas être à vous de porter ce fardeau.

C’est avec un grand sentiment de reconnaissance et beaucoup de respect que je remercie tous les gens qui ont accepté de nous faire part de leurs expériences dans le but d’apporter un changement positif au sein de notre institution…

… ceux qui ont soutenu les autres et ceux qui ont pris des mesures pour exiger des changements au sein des FAC.

Vous avez servi honorablement en cherchant à améliorer notre futur et à garantir un avenir meilleur pour nos effectifs.

Nous vous avons laissé tomber.

Nous avons déçu vos nombreux collègues qui ont servi et qui continuent de servir avec honneur.

Nous avons déçu les Canadiens, qui veulent être fiers de leurs forces armées, mais qui trouvent cela de plus en plus difficile chaque fois que de nouveaux actes de préjudice leur sont révélés.

Et notre incapacité à empêcher de tels préjudices a non seulement coûté leur carrière aux membres des FAC, mais elle a aussi privé les FAC et le pays que nous servons d’un immense potentiel…

… de personnes exceptionnelles qui auraient pu constituer la prochaine génération de dirigeants…

… de marins, de soldats, d’aviateurs et d’aviatrices, et d’opérateurs potentiellement talentueux qui ne s’enrôleront jamais et ne découvriront jamais leur potentiel.

Pour rétablir la confiance à l’égard de nos forces armées… nous devons changer notre culture.

Nous devons instaurer la confiance.

Il n’y a pas de valeur aussi difficile à gagner ou aussi facile à perdre.

Nous devrons prendre des mesures concrètes pour apporter un changement réel et durable.

Cette fois-ci, nous n’échouerons pas.

Voilà mon engagement envers vous.

Mon engagement à vos familles et à vos proches, qui souffrent à vos côtés.

À la mémoire de nos coéquipiers qui ont souffert, mais ayant rendu l’âme, ne sont pas là pour entendre ces paroles.

À nos collectivités et à notre pays.

La tâche sera à la fois complexe et ardue, et pour l’accomplir, nous devrons tous viser un objectif commun.

Ce travail a déjà été amorcé.

La majeure partie du travail a été réalisée grâce aux efforts soutenus de survivants, de représentants des membres de recours collectifs et des personnes qui les ont appuyés, de groupes de défense et d’autres personnes, y compris certains de nos collègues de l’Équipe de la Défense qui se sont dévoués au changement de culture.

En effet, c’est au ras du sol qu’un changement véritable et durable s’ancrera.

Comme l’a affirmé récemment un survivant, le changement nous oblige à porter notre regard sur nous-mêmes, nos croyances, notre boussole morale et la façon dont nous entendons les autres et interprétons ce qu’ils disent. Celui-ci nous apprend à reconnaître nos préjugés et à remettre en question nos attitudes culturelles et sociétales.

J’ai passé beaucoup de temps à réfléchir à l’institution, au changement de culture auquel nous faisons face, aux raisons pour lesquelles nos efforts antérieurs ont échoués, n’ayant pas produit les résultats nécessaires… ainsi qu’à ce que nous devons faire pour briser le cycle et frayer une nouvelle voie à suivre.

J’ai eu du mal à concilier mes efforts visant à m’assurer que les personnes affectées par l’inconduite jouissent du soutien empreint de compassion qu’elles veulent et dont elles ont besoin…

… tout en veillant à ce que les personnes accusées – ou trouvées responsable– d’avoir causé un préjudice soient traitées de manière proportionnelle, conformément à la procédure prévue par la loi.

En tout temps, nous devons appuyer les survivants et agir avec empathie.

Nous devons les écouter et réagir de façon appropriée.

Après avoir parlé avec des survivants, je comprends que l’incapacité de notre institution à traiter adéquatement les cas d’inconduite crée souvent un sentiment de trahison qui est bien souvent plus dévastateur que l’incident lui‑même.

Vous nous avez confié que vous aviez souffert seuls.

Que vous vous étiez sentis isolés et réduits au silence.

Comme si vous ne pouviez compter sur personne.

J’ai lu des témoignages de survivants.

J’ai pris connaissance de certaines de vos expériences.

Le fait d’avoir été la cible de harcèlement, de violence et de mauvais traitements.

Le fait d’avoir subi des incidents de bizutage qui, en réalité, relèvent plutôt de l’agression sexuelle.

Le fait d’avoir eu à prendre des mesures extraordinaires pour vous protéger, parce que personne d’autre ne s’occupait de vous.

Certains d’entre vous ont fait savoir que vous êtes épuisés par les effets déshumanisants découlant de microagressions au quotidien.

Et que peu importe les efforts que vous consentez, on vous affirme que vous n’avez pas votre place dans nos rangs, aux yeux de vos dirigeants et de vos coéquipiers.

J’ai entendu parler de membres de l’Équipe de la Défense qui n’ont pas pu réaliser tout leur potentiel…

… dont le sentiment d’être utile a été amoindri…

… et dont les rêves d’une carrière satisfaisante de service à leur pays se sont écroulés.

Des militaires aspirant à la camaraderie du service ont plutôt trouvé hostilité, trahison ou pire – des incidents d’agression physique.

Des voies de fait portant atteinte à votre état d’esprit.

À votre dignité et à votre humanité.

J’ai appris que, trop souvent, votre traumatisme a été infligé par une personne pouvant faire progresser votre carrière ou la briser – de situations d’abus de pouvoir manifeste.

Dans une institution hiérarchique où nous proclamons accorder la priorité à nos gens – c’est plus qu’intolérable.

J’ai appris également que dans de nombreux cas, les politiques, les processus et les programmes que nous avons établis pour vous servir n’ont fait qu’amplifier votre traumatisme.

Nous ne pouvons et ne devons pas nous dissimuler ces vérités.

On vous a trompé.

On vous a blessé.

Puis, lorsque vous avez tenté d’obtenir de l’aide, on vous a desservi.

En mon nom personnel, de même qu’au nom des Forces armées canadiennes, je suis désolé.

Nous sommes désolés que vous ayez subi de tels traumatismes.

À toutes les personnes qui ont souffert en silence, nous sommes désolés.

À toutes les personnes qui, malgré le fait qu’elles ont protesté jusqu’à ne plus en être capable, tout en s’exposant à de grands risques personnels, n’ont pas trouvé une oreille attentive, nous sommes désolés.

À toutes les personnes qui se sont manifestées et qui se sont vues ordonnées à garder le silence, à ne pas semer de perturbation, à songer plutôt à leur carrière ou à accorder la priorité à celle de la personne vous ayant causé un préjudice, nous sommes désolés.

À toutes les personnes s’étant manifestées qui, au lieu de recevoir du soutien, ont plutôt dû faire face à des représailles, nous sommes désolés.

À toutes les personnes qui ont milité sans relâche en faveur d’un changement et qui se sont trouvées déçues à maintes reprises, nous sommes désolés.

Nous sommes désolés du préjudice qui vous a été causé, ainsi qu’à vos carrières et à vos rêves.

Et nous reconnaissons qu’alors que vous souffriez, les personnes de votre entourage souffraient elles aussi – vos familles, vos amis… et tous les gens qui vous aiment et vous appuient. Pour cela, nous nous excusons sincèrement, nous sommes désolés.

Chaque jour, des personnes revêtant l’uniforme des Forces armées canadiennes servent fièrement de par le monde.

Elles défendent le Canada et ses intérêts, de même que les valeurs et les principes qui nous tiennent à cœur, en tant que Canadiens et Canadiennes.

Entre autres, le droit fondamental de tout un chacun d’être traité avec respect et dignité.

Lorsque des membres de l’Équipe de la Défense ne sont pas traités avec respect et dignité au sein de leur propre base, de leur propre escadre, à bord de leur propre navire et durant des déploiements, notre hypocrisie institutionnelle est manifeste…

Et le sentiment de trahison, vif.

Je m’assurerai que le moment présent marque un tournant.

Les excuses que je vous présente ne constituent pas une fin. Au contraire, nous souhaitons qu’elles constituent une importante étape vers l’avant.

Nous sommes engagés à écouter les personnes qui peuvent nous apprendre des choses et à tirer des leçons d’elles.

Et ce, avec humilité, respect et compassion.

Nous allons commettre des erreurs. Des contretemps surviendront et nous pourrions être confrontés à d’autres vérités difficiles. Certaines nouvelles initiatives n’atteindront pas l’objectif fixé. Cependant, ces problèmes vont invariablement de pair avec le changement.

Nous composerons avec ces erreurs de façon honnête et transparente afin que nous puissions apprendre rapidement de ces expériences et continuer d’aller de l’avant ensemble, en vue d’atteindre notre objectif : une Équipe de la Défense où tout un chacun se sent accueilli, appuyé, en confiance et inspiré au quotidien.

Nous avons tous un rôle à jouer. Nous savons qu’en réalité, nous devons réaliser un profond changement transformateur – lequel vise les fondements mêmes de notre institution – et se répand à l’échelle de notre culture : nos comportements, nos attitudes et nos croyances.

C’est beaucoup demander. C’est une tâche intimidante. Le plus important défi de nos temps.

Parce qu’il s’agit d’un défi existentiel.

Notre pertinence, notre efficacité en tant que forces militaires, ainsi que notre valeur continue au Canada et à sa population, dépendent toutes de notre capacité de reconnaître et de résoudre ce problème.

Je suis convaincu que nous pouvons réussir.

Le jour où je cesserai d’y croire…

Sera le jour où je ne pourrai plus servir.

Nous pouvons faire en sorte que les Forces armées canadiennes donnent l’exemple pour le XXIe siècle.

Nous devons nous fonder sur les éléments de notre culture qui valent la peine de célébrer – les traditions axées sur l’idéalisme, le courage, le fait de faire partie de quelque chose de plus grand que soi – et changer les éléments d’exclusion afin de nous améliorer davantage.

Afin de devenir une force militaire résiliente, forte et adaptable…

Prête à faire face à un avenir imprévisible et de plus en plus dangereux…

Prête à affronter toute menace, tout défi, n’importe où dans le monde…

Prête à défendre le Canada et la population canadienne au moment où les menaces pour notre sécurité se multiplient.

Au cœur de cette force, de cette résilience et de cette adaptabilité sont les gens talentueux et l’énergie extraordinaire qui représentent les fleurons de notre vaste pays diversifié.

Certes, nous ne pouvons pas changer le passé.

Mais nous pouvons changer le présent et l’avenir des Forces armées canadiennes.

La volonté de faire mieux, de s’améliorer, est réelle.

Nous tirerons parti de cette énergie et la transformerons en une action tangible axée sur l’humain qui tient compte des traumatismes et des survivants.

Voilà le parcours qui nous attend.

Nous ne devons rien de moins que cela à vous, à l’ensemble des membres de l’Équipe de la Défense, à la population canadienne et à l’avenir de notre force et de notre pays.

Merci.

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