Doctorat honorifique de l’Université Huntington

Discours

Le 18 novembre 2024 – Sudbury, Ontario

Bonsoir à tous.

Madame la Présidente du conseil d’administration Warwick et membres du conseil d’administration de l’Université Huntington,

Madame la Chancelière Ravi et monsieur le Président McCormick,

Distingués invités,

Membres du corps professoral, membres du personnel, étudiants et étudiantes,

Je suis ravie d’être parmi vous ce soir.

Je vous remercie de m’offrir ce prestigieux honneur.

Je remercie chaleureusement le conseil d’administration et l’université de cette reconnaissance.

Merci pour le travail que vous accomplissez tous ici à l’université.

Pour les étudiants de cette importante institution,

Pour l’Ontario. Pour le Canada. Et même pour le monde entier.

L’engagement de l’Université Huntington au leadership civique et au service communautaire a produit des générations de diplômés qui ont fini par améliorer leurs collectivités – et notre monde.

Les dirigeants de cette institution démontrent cet engagement au quotidien.

Des dirigeants comme le président McCormick qui, outre les fonctions dont il s’acquitte ici, a tant donné aux Forces armées canadiennes, aux vétérans, ainsi qu’à leurs familles.

En sa qualité de colonel honoraire du Stormont, Dundas and Glengarry Highlanders, et de colonel honoraire du Irish Regiment of Canada, il s’est donné pour mission de retrouver des médailles militaires et d’autres artéfacts militaires canadiens perdus depuis longtemps, afin de les rendre aux familles des personnes qui les ont mérités.

Le geste touche grandement ces familles, qui récupèrent ces médailles, dont certaines datent d’il y a plus de 100 ans

C’est une façon profondément personnelle et marquante d’honorer les personnes qui ont servi – et dans certains cas, celles qui ne sont jamais rentrées au bercail.

Merci, Kevin, de votre passion, de votre dévouement et de votre soutien à l’égard des Forces armées canadiennes.

En parlant des Forces armées canadiennes, je suis si heureuse de voir que nos gens en uniforme sont bien représentés ce soir.

Du 2e Bataillon du Irish Regiment of Canada… aux unités locales du corps de cadets de l’Armée de terre, de la Marine et de l’Aviation… jusqu’à la chorale des femmes des militaires canadiens, qui nous a fait l’honneur de partager son merveilleux talent avec nous.

Le Nord de l’Ontario a toujours apporté une contribution importante à l’Armée canadienne.

Je vous suis reconnaissante de votre engagement à l’égard des FAC et du Canada ainsi que de votre service.

Merci d’être ici aujourd’hui.

Depuis près de quatre décennies, j’ai le privilège de servir aux côtés de Canadiens figurant parmi les plus compétents, les plus courageux et les plus dévoués qui soient – les membres des Forces armées canadiennes.

J’ai maintenant le privilège de les diriger.

Toutes les expériences et les occasions que j’ai eues au sein des Forces armées canadiennes, de même que toutes les équipes et les personnes avec qui j’ai travaillé, ont tant eu une incidence déterminante sur moi.

Le fait de servir au sein des FAC m’a permis de me développer, de grandir, de m’adapter et d’apprendre dans diverses situations.

De manières dont je n’aurais jamais pu imaginer.

Ce soir, je souhaite donc vous présenter quelques idées relatives au leadership stratégique que j’ai acquises au fil du temps.

Cette pièce est remplie de dirigeants remarquables de la région du Grand Sudbury et au-delà.

Des dirigeants qui ont renforcé cette institution, cette communauté et notre monde.

Chacun d’entre vous pourrait transmettre de si précieuses connaissances quant aux façons de bâtir des organisations solides et diversifiées.

Les façons de diriger, d’inspirer et d’apporter un changement.

J’espère que les points fondés sur mon expérience personnelle dont je vous fais part vous seront utiles.

Comme certains d’entre vous le savent, j’ai une formation en sciences et en ingénierie.

Cependant, les sciences et l’ingénierie limitent considérablement l’exploration des complexités entourant des enjeux stratégiques. Afin de voir le monde en tant que série de systèmes complexes qui interagissent, se heurtent, réagissent et s’adaptent de manières imprévisibles.

J’ai trouvé l’étude des lettres et sciences humaines extrêmement utiles au moment de naviguer des problèmes n’ayant aucune solution en vue.

Notre monde est dans un état de transition, et il est impossible de prévoir comment les choses se dérouleront. Le domaine des relations internationales, du point de vue des êtres humains, est caractérisé par son imprévisibilité et son incertitude.

Que nous composions avec des dirigeants autoritaires qui tentent de refaçonner l’ordre mondial en fonction de leur propre programme… ou les technologies émergentes qui perturbent tous les aspects de notre manière de vivre.

Malgré tous nos efforts, ces choses demeurent hors de notre contrôle.

Nous ne pouvons pas prédire l’avenir ni contrôler des situations externes, c’est-à-dire les choses qui nous arrivent.

Les résultats ne seront donc jamais garantis. 

Notre monde évolue, et nous devons évoluer nous aussi.

Mais comment pouvons-nous y parvenir?

Comment pouvons-nous naviguer dans un monde de plus en plus complexe et ambigu? 

Un monde où l’avenir nous paraît si incertain.

Voici quatre idées simples qui ont façonné ma façon de penser, de me comporter et d’agir. Simple, mais difficile, comme l’a affirmé Clausewitz, célèbre penseur militaire.

Ces idées m’orientent désormais dans mon leadership, en ma qualité de chef d’état-major de la Défense.

Considérez-les comme un aperçu de ce qui se passe à l’intérieur de mon cerveau.

La première idée : être à l’aise dans des situations inconfortables.

Il arrive parfois, voire souvent, que les choses tournent mal.

Les plans ne fonctionnent pas comme nous l’aurions souhaité.

Les gens réagissent d’une manière que nous n’avons pas anticipée.

Je suis persuadée que vous avez tous vécu une situation semblable dans vos propres domaines.

C’est particulièrement vrai au combat, lorsque des adversaires tentent de vous faire du mal.

Alors que je dirigeais la mission de l’OTAN en Irak, mission axée initialement sur le renforcement des capacités, celle-ci a été rapidement bouleversée en raison des circonstances qui se détérioraient dans le pays. Essentiellement, au cours de ce déploiement d’un an, la mission normale n’aura duré que trois semaines.

Nous sommes devenus la cible d’attaques de milices iraniennes, le climat politique en Irak a changé et la pandémie de COVID-19 est survenue.

Il va sans dire que la situation était à la fois très inconfortable et chaotique – tant sur le plan mental que sur le plan physique – et ce n’était pas du tout ce que nous avions prévu.

Évidemment, le chaos et l’incertitude peuvent s’installer dans tout environnement, militaire comme civil.

Et lorsque c’est le cas – quand les choses commencent à déraper – je me rappelle que la réalité est telle qu’elle est, et non telle je l’aurais souhaitée.

Je résiste à la tentation d’étiqueter les situations comme étant bonnes ou mauvaises.

Ce qui nous arrive n’est ni bon ni mauvais.La situation se produit, tout simplement.

Comme l’a écrit Épictète, célèbre philosophe grec : « Ce qui trouble les hommes, ce ne sont pas les choses, mais les jugements qu’ils portent sur ces choses. »

Ce qui importe le plus, c’est ce que nous ferons par la suite. C’est la façon dont nous réagissons.

Dès que vous êtes à l’aise dans des situations inconfortables, vous pouvez commencer à aller de l’avant.

Vous commencez à voir les problèmes d’un autre œil, à voir les possibilités.

Et vous n’êtes plus une victime des circonstances, mais devenez plutôt un moteur de progrès et de solutions.

La deuxième idée dont je souhaite vous faire part, c’est d’éviter le perfectionnisme.

Que vous fassiez face au succès ou à l’adversité, toute tentative de perfection peut s’avérer paralysante.

Le perfectionnisme peut mener à une crainte de l’échec, laquelle peut donner lieu à une crainte de l’action.

Un tel objectif peut vous prévenir de prendre des risques ou de rectifier le tir, le cas échéant.

Vous ne devez jamais avoir peur de vous adapter au milieu d’une mission.

Bien qu’ils puissent paraître parfaits un jour, les plans ne le sont souvent plus le lendemain.

Depuis 2015, les Forces armées canadiennes offrent de la formation aux forces de sécurité ukrainiennes, à la demande du gouvernement ukrainien.

Notre mission a dû changer après l’invasion de l’Ukraine par la Russie en 2022.

Nous avons déplacé nos efforts de l’Ukraine vers d’autres régions d’Europe et nous nous sommes concentrés sur la formation de nouvelles recrues ukrainiennes, de personnel médical de combat, de sapeurs de combat, et d’autres professionnels.

L’environnement autour de nous a changé.Les exigences de la mission ont changé.Alors nous avons changé.

Nous n’avons pas cherché à être parfaits, mais nous nous sommes concentrés sur ce dont l’Ukraine avait besoin pour se défendre et sur la manière dont nous pouvions l’aider.

Dans le cadre d’opérations – où chaque seconde compte – vous ne n’avez tout simplement pas de temps à sacrifier sur l’autel de la perfection.

C’est pourquoi je me concentre sur les progrès.Je m’efforce d’insuffler une énergie positive dans le processus, de franchir des étapes pour aller de l’avant.

La particularité du progrès, c’est qu’il est presque toujours progressif, même lorsque les exigences pesant sur nous ne le sont pas.

Cela signifie parfois que nous effectuons quelques pas vers l’avant et parfois, quelques pas vers l’arrière.

C’est correct. C’est mieux ainsi, plutôt que de n’avoir aucun changement du tout.

Lorsque nous sommes obsédés par le perfectionnisme, nous sommes incapables de voir comment les choses pourraient être, ou encore, si vous le préférez : la perfection est l’ennemi du bien.

La troisième idée que je tiens à vous présenter, c’est qu’en tant que leader, je m’efforce toujours de faire de mon mieux.

C’est assez simple, non?

Cependant, dans notre société axée sur un rendement élevé, donner le meilleur de nous-mêmes peut sembler un peu défaitiste.

Mais ce n’est pas le cas.

J’ai parlé plus tôt des choses hors de notre contrôle – ce que d’autres personnes pensent ou la manière dont nos adversaires finiront par agir.

La seule chose que nous pouvons toujours contrôler, c’est nous-mêmes.

Notre préparation. Notre état d’esprit. Et nos actions.

C’est pourquoi je me concentre particulièrement sur ce qui suit.

Faire son possible ne signifie évidemment pas qu’on ne se soucie pas des résultats.

En adoptant un état d’esprit axé sur les façons de faire de notre mieux, nous pouvons nous protéger contre les résultats imprévisibles et contre les choses hors de notre contrôle.

Donner le meilleur de nous-mêmes ne signifie pas que nous ne nous soucions pas des résultats.

En nous concentrant sur les choses hors de notre contrôle et les façons de faire de notre mieux, le succès ne nous gonfle pas d’orgueil et l’échec ne nous détruit pas, parce que nous saurons que nous avons donné le meilleur de nous-mêmes.

La quatrième et dernière idée dont je souhaite vous faire part porte sur l’importance de faire preuve de grâce sous pression.

En effet, la gentillesse se veut une qualité invincible, tandis que la colère est loin d’être héroïque.

La maîtrise de soi nécessite force et courage.

De plus, elle est contagieuse. Elle produit un effet calmant sur toutes les personnes qui nous entourent, particulièrement lorsque les circonstances se détériorent.

La capacité de gérer la pression avec grâce crée un milieu où la créativité, l’innovation et la résolution de problème peuvent prospérer, même dans les circonstances les plus dures.

Que vous soyez au milieu d’un combat ou dans une tout autre situation, c’est exactement le type d’environnement où vous souhaitez vous trouver.

Cela ne veut pas pour autant dire que vous n’éprouvez jamais de fatigue, de frustration ou de peur.

Ces sentiments se manifestent lors d’opérations, particulièrement dans le brouillard de la guerre, où le chaos, les risques et l’incertitude nous entourent.

Ils se manifestent aussi au moment où nous procédons à la transformation de l’institution, comme c’est actuellement le cas au sein des forces armées du Canada.

Cependant, quand les dirigeants gardent leur sang-froid sous pression, cela signifie en fait qu’ils résistent à la tentation d’en faire une affaire personnelle et qu’ils se concentrent au lieu sur la tâche à accomplir.

Lorsqu’ils continuent de maîtriser leurs émotions, ils peuvent faire face aux situations les plus difficiles, tout en gardant un bon état d’esprit.

Ces quatre idées – être à l’aise dans des situations inconfortables, éviter le perfectionnisme, faire de son mieux et faire preuve de grâce sous pression – m’ont bien servie tout au long de ma carrière.

En temps de paix comme en temps de guerre.

Et aujourd’hui, elles me sont toujours utiles dans mes fonctions de chef d’état-major.

J’ai appris à la dure certaines de ces idées, par essai et erreur.

D’autres, je les ai apprises grâce aux études des lettres et sciences humaines.

Et même si je ne parviens pas toujours à les mettre en pratique, elles m’ont recentrée et m’ont guidée lorsque j’en avais le plus besoin.

Je souhaite qu’elles puissent vous être tout aussi utiles.

Je vous remercie sincèrement de ce grand honneur et de cette magnifique soirée.

Merci de tout le travail important que vous accomplissez. Merci beaucoup.

Générale Jennie Carignan
Chef d’état-major de la défense

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2024-11-18