Allocution du ministre McGuinty au 4e Sommet sur la sécurité climatique de Montréal
Discours
Montréal (Québec)
Le 9 octobre 2025
Le texte prononcé fait foi
Bonjour tout le monde.
Permettez-moi de commencer en remerciant le Centre d’excellence OTAN pour le changement climatique et la sécurité de nous accueillir ici, à Montréal, et de m’inviter à prendre la parole.
Merci aussi à l’ICAD d’avoir codirigé ce merveilleux événement.
Je suis vraiment désolé de ne pas pouvoir me joindre à vous en personne, bien que ce soit tout de même un immense privilège pour moi de vous adresser la parole virtuellement ce matin.
Le travail que vous réalisez – vos recherches accomplies et votre leadership illustré pour composer avec les répercussions du changement climatique sur la défense et la sécurité – n’a jamais été aussi important.
J’exerce les fonctions de ministre de la Défense nationale du Canada depuis un peu moins de six mois, les fonctions de ministre du Cabinet depuis un peu moins d’un an, et les fonctions de député depuis un peu plus de 21 ans.
Mais avant tout ça, j’ai œuvré pendant des années dans le domaine de la durabilité et du changement climatique à l’échelle mondiale, et j’ai déjà servi comme président de la Table ronde nationale sur l’environnement et l’économie du Canada.
Dans un sens, je suis aujourd’hui à un croisement des 40 dernières années de ma vie, où la sécurité nationale rencontre la sécurité naturelle.
En ma qualité de ministre de la Défense nationale, je sais qu’il est essentiel pour nous d’atténuer les effets du changement climatique de sorte à soutenir la disponibilité opérationnelle des Forces armées canadiennes, les besoins des communautés et, par extension, notre sécurité nationale.
Cela peut sauver des vies et dissuader un adversaire qui souhaite nous faire du mal.
En ce qui concerne la nature et les systèmes qui nous soutiennent – nos zones humides, nos voies navigables, la pollinisation – il n’y a pas de substitut.
Notre sécurité et notre prospérité dépendent entièrement d’un environnement sain et fonctionnel, comparable à un tabouret à trois pattes que l’on doit maintenir en équilibre.
Et dernièrement, il est devenu de plus en plus difficile pour nous de parvenir à cet équilibre.
Notre système international fondé sur des règles et des normes communes est mis à rude épreuve.
Une guerre sévit en Ukraine, une instabilité persiste à l’échelle du Moyen-Orient et des tensions montent dans l’Indo-Pacifique.
De plus, nos adversaires sont actifs dans une multitude de domaines : le cyberespace, l’espace, la quantique, l’intelligence artificielle et le milieu de l’information aussi.
Chaque journée, on rapporte de nouvelles incursions russes dans l’espace aérien de l’OTAN et mises à l’essai de nos approches.
Par ailleurs, la Chine affiche des comportements de plus en plus agressifs envers ses voisins, de même qu’envers d’autres pays qui ont une présence dans l’Indo-Pacifique, y compris le Canada.
Ce qui amplifie tous ces défis à l’heure actuelle, c’est le changement climatique – un multiplicateur de menaces qui stimule l’insécurité aux quatre coins de la planète.
Dans ce contexte, le Canada et ses Alliés doivent veiller à ce que leurs forces armées soient résilientes et prêtes.
Bien sûr, nous devons donc assurer la pérennité de nos forces armées en nous adaptant au changement climatique et en atténuant ses répercussions sur nos opérations.
Nous devons aussi nous efforcer de garantir que nos gestes n’empirent pas les choses.
Le changement climatique entraîne d’importantes répercussions sur la Défense nationale et les Forces armées canadiennes.
Il pose une menace pour l’ensemble de la population canadienne, en particulier les communautés autochtones et du Nord, ainsi que pour nos Alliés.
Il influe directement sur la façon dont nos pays s’entraînent, s’équipent, exécutent des déploiements et mènent des opérations. Et nulle part n’est-ce plus évident que dans le secteur de l’énergie.
Les carburants et l’énergie sont le moteur de l’ensemble des forces armées.
Sans l’accès à des chaînes d’approvisionnement sécurisées, lesquelles sont menacées par le dérèglement climatique, les parcs ne peuvent pas se déplacer, les bases ne sont pas fonctionnelles, et les opérations ne peuvent pas être soutenues.
C’est pourquoi la résilience climatique constitue une politique axée non seulement sur l’environnement, mais aussi sur les opérations.
Elle se fonde sur la disponibilité opérationnelle des forces.
Il s’agit également d’une stratégie axée sur la sécurité nationale.
À la Défense nationale, nous avons déjà commencé à intégrer les risques climatiques à notre planification et à nos opérations.
En 2024, nous avons réalisé une évaluation de la vulnérabilité au changement climatique à l’échelle de notre empreinte immobilière.
Les résultats nous ont fait réfléchir : 64 % de nos biens présentent un risque climatique élevé, surtout dans nos régions côtières et du Nord.
C’est pourquoi nous rehaussons la résilience énergétique de nos bases et de notre infrastructure, et nous veillons à ce que les nouvelles constructions tiennent compte de l’augmentation du niveau de la mer, des inondations et du dégel du pergélisol.
La Défense nationale est le plus grand émetteur fédéral de gaz à effet de serre, et nous reconnaissons que la réalisation de nos objectifs sera cruciale pour que notre gouvernement atteigne la neutralité carbone d’ici 2050.
À ce jour, nous avons déjà réduit nos émissions de gaz à effet de serre de 38 % depuis 2005.
Le MDN met en place des mesures de réduction des émissions dans son portefeuille immobilier.
Pour ce faire, nous avons recours à des contrats de performance énergétique, à l’achat d’énergie propre, à la modernisation des installations de chauffage, à la mise hors service d’anciens bâtiments, et à l’amélioration de notre approche en matière de gestion de l’énergie.
Depuis près de deux décennies, nous menons des recherches à l’égard de carburants de remplacement.
Aujourd’hui, nous sommes à la recherche de carburants à faible teneur en carbone qui satisfont aux exigences militaires – des carburants contribueront à sécuriser notre chaîne d’approvisionnement militaire en carburant, à renforcer notre interopérabilité avec nos Alliés, de même qu’à réduire les émissions de gaz à effet de serre que produisent nos principaux parcs militaires.
Par exemple, l’Aviation royale canadienne dispose d’un plan visant la carboneutralité pour ses plateformes aériennes. Au cœur de ce plan est un carburant d’aviation durable.
D’ici là, nous préparons nos parcs jusqu’au jour où les carburants durables deviendront la norme. Et nous y parviendrons.
Par ailleurs, en tant que pays-cadre du Centre d’excellence OTAN pour le changement climatique et la sécurité, le Canada est fier d’accueillir cet établissement clé ici même à Montréal.
Ici les Alliés et les partenaires peuvent échanger de l’expertise, mettre au point des pratiques exemplaires et rehausser notre capacité de faire face aux répercussions du changement climatique sur la sécurité.
Tous ces efforts montrent que nous sommes, en effet, capables de nous adapter et de prendre des mesures d’atténuation.
Que nous pouvons assurer notre pérennité le plus stratégiquement possible.
L’adaptation et l’atténuation seules ne suffisent toutefois pas.
Si nous nous arrêtons là, nous ne faisons que traiter les symptômes.
Afin de véritablement protéger l’avenir du Canada, l’avenir de tout un chacun, nous devons mettre fin à la fiction selon laquelle la capacité de charge de notre planète est illimitée.
Que nous ne constatons pas de facteurs de stress; que les espèces ne sont pas en déclin et ne font pas face à l’extinction; que nous ne compromettons pas la capacité de la plante à se rétablir elle-même.
Parce que, sur le plan de la nature, il n’y a pas de substitut.
Le capital naturel fournit des services essentiels – air frais, eau douce, sols fertiles, maîtrise des crues, régulation du climat, pollinisation – sans lesquels la vie sur notre planète serait impossible.
Ce capital naturel offre également de précieux produits : des médecines comme la pénicilline et la codéine, et des technologies inspirées par le milieu naturel, par exemple, le Velcro imitant les bardanes, et les aéronefs imitant le vol des oiseaux.
En négligeant de protéger cette richesse essentielle en capacités naturelles et le potentiel qu’elle promet, nous courrons le risque de détériorer ou de réduire complètement les solutions aux défis en matière de défense et de médecine.
Nous ne pouvons pas gérer et soutenir cette ressource essentielle, la nature, si nous ne savons pas comment la mesurer, ou encore, si nous ne connaissons pas dans quelle mesure nous en avons.
Nous disposons d’un sondage géologique au Canada, mais pas d’un sondage biologique.
Des progrès encourageants ont été accomplis : par exemple, l’Agence de l’eau du Canada procède à la création d’une nouvelle stratégie nationale pour assurer la sécurité de l’eau.
Pourtant, ici au Canada, nous ne disposons toujours pas d’un sondage national ou d’une façon de mesurer notre capital naturel.
Que vaut la pollinisation pour la souveraineté alimentaire?
Que vaut l’intégrité des bassins hydrographiques pour l’eau propre?
Si nous ne répondons pas à ces questions, notre planification de la sécurité comporte des angles morts.
Et c’est pourquoi le travail que nous accomplissons ici, dans le but de tenir compte du climat, de l’économie et de la sécurité, doit également tenir compte de l’environnement.
Dans le domaine de la défense, l’innovation s’est toujours fondée sur le maintien d’une longueur d’avance sur nos adversaires.
Pour ce faire aujourd’hui, nous devons de plus en plus nous fonder sur des leçons tirées des systèmes les plus anciens et les plus sages : les propres créations de la nature.
Tirer parti des solutions de la nature n’est pas qu’une science, c’est une stratégie.
C’est la manière dont nous veillons à ce que nos forces demeurent interopérables, résilientes et efficaces en vue du combat futur.
La bioprospection et le biomimétisme ne sont pas seulement des mots recherchés à la mode.
Il s’agit du prochain niveau de l’avantage stratégique.
Les pays qui préservent leur biodiversité et s’inspirent de leur conception jouiront d’options décisives.
Nous n’avons pas besoin de chercher bien loin pour voir que l’intelligence artificielle accélère le processus.
Elle nous permet de concevoir de nouveaux matériels et systèmes à des vitesses inimaginables : il suffit de songer à la technologie de suppression des feux de forêt qui mise sur des satellites, l’IA et une flotte de drones spécialisés.
Nous déployons déjà des innovations fondées sur la nature sous la forme d’infrastructure modulable à double usage comportant des caractéristiques naturelles ou techniques.
Des zones humides aux récifs et aux cordons littoraux qui imitent des processus écologiques conçus pour diminuer le risque d’inondation et d’érosion côtières, tout en soutenant la biodiversité et les collectivités locales.
En fait, la majeure partie de notre activité économique est déjà financée par la « banque d’ADN de la nature » – à savoir 500 millions d’années d’évolution, en dépôt.
Cependant, nous ne pouvons pas gérer ce que nous ne mesurons pas.
Nulle part l’enjeu n’est-il plus évident que dans notre Arctique.
La souveraineté et la sécurité du Canada dans cette région ne sont pas négociables.
Et pourtant, elles font l’objet d’une menace grandissante.
L’Arctique se réchauffe à un rythme quatre fois plus élevé que la moyenne mondiale, ce qui élargit l’accès à la région et accroît l’intérêt que concurrents et adversaires y portent.
La situation entraîne d’importantes répercussions pour le Canada sur le plan de la sécurité et de la souveraineté.
Cependant, la défense de l’Arctique ne doit pas être assurée aux dépens de l’environnement même que nous tentons de protéger.
Nos écosystèmes dans l’Arctique sont fragiles.
La glace de mer fond; ainsi, le Nord est à la fois plus navigable et plus vulnérable aux intrusions.
Le pergélisol dégèle, ce qui menace tant les collectivités que l’infrastructure essentielle.
Le littoral océanique est exposé pendant plus longtemps et s’érode plus rapidement, mettant donc à risque les collectivités, le patrimoine culturel et les habitats de la faune.
Si nous traitons l’Arctique comme une ressource jetable, nous risquons de compromettre les fondements mêmes de la souveraineté canadienne.
Cette souveraineté repose sur le renforcement des partenariats et une gestion efficace avec les gouvernements territoriaux et municipaux, les communautés et organisations autochtones et du Nord, ainsi qu’avec d’autres partenaires et parties prenantes.
C’est pourquoi nous devons considérer le capital naturel de notre pays comme étant une pension de retraite : nous souhaitons vivre des intérêts et maintenir le capital, tout en évitant de l’épuiser.
Nous devons concilier le développement, la sécurité nationale et l’intégrité écologique.
Jouir d’une force par la durabilité environnementale.
Protéger la nature comme moyen de dissuasion.
Dans le contexte de la stratégie militaire, la dissuasion consiste à prévenir un tort avant qu’il ne se produise.
Nous bâtissons des défenses crédibles, non pas parce que nous souhaitons les utiliser, mais plutôt pour éviter les coûts dévastateurs associés aux conflits.
Le même principe doit s’appliquer à la sécurité climatique.
Protéger la nature et réinvestir dans celle-ci constitue une forme de dissuasion.
Lorsque les écosystèmes naturels sont mis à rude épreuve, les déplacements et les conflits deviennent inévitables.
La rareté d’eau cause déjà des ravages le long du fleuve Jaune en Chine, la deuxième plus longue rivière en Asie; la situation alimente aussi les tensions entre l’Égypte et l’Éthiopie, le long du Nil Bleu.
À elles seules, les catastrophes climatiques ont entraîné le déplacement de quelque 800 000 personnes en 2023, et certains experts prédisent désormais que l’on comptera jusqu’à 1,2 milliard de « réfugiés climatiques » d’ici 2050 — c’est-à-dire les personnes déplacées en raison du changement climatique et des catastrophes naturelles.
En 2023 au Canada, on comptait 192 000 personnes déplacées à l’intérieur du territoire en raison de catastrophes climatiques, comme des feux de forêt. Il s’agit du plus grand nombre jamais enregistré.
Cela met à rude épreuve la capacité opérationnelle des Forces armées canadiennes, qui sont de plus en plus sollicitées pour intervenir en cas de catastrophe naturelle, en tant que force de dernier recours.
Bien sûr, nous avons la chance de disposer des ressources nécessaires pour réagir, mettre la population en sécurité et protéger les infrastructures essentielles.
Ce n’est pas le cas partout dans le monde.
Les catastrophes et les écroulements écologiques accentuent l’instabilité, aussi sûrement qu’un agresseur qui traverse une frontière.
C’est pourquoi je crois que la mesure de notre capital naturel et la protection des systèmes naturels vont de pair avec la prévention des pertes de vie à très grande échelle.
Il ne s’agit pas pour moi d’un concept théorique ou abstrait.
Au cours des années 1980, j’ai été affecté en Côte d’Ivoire pendant deux ans avec les Nations Unies.
Dans la région avoisinante du Sahel, j’ai vu de mes propres yeux les effets de la désertification et de l’affaissement du sol.
Avec du recul, nous pouvons voir comment des milliers de jeunes hommes n’ayant aucun espoir d’un avenir meilleur pourraient être entraînés dans les rangs de groupes extrémistes qui fournissent de l’argent, la camaraderie et une raison d’être.
Aujourd’hui, des groupes comme Boko Haram terrorisent des communautés dans le nord du Nigéria, du Cameroun, du Niger et du Tchad.
Dans cette zone de conflit en particulier, 60 000 personnes ont déjà trouvé la mort.
La leçon est claire : si nous ne ralentissons ou ne renversons pas les effets du changement climatique, la facture sera réglée par la souffrance humaine et l’insécurité qui croissent toujours.
Mes amis, dans le domaine de la défense et de la sécurité, nous investissons dans la préparation, car cela sauve des vies.
Nous bâtissons des mesures de dissuasion crédibles parce que la prévention est toujours moins coûteuse que le conflit.
Je crois que la même logique doit s’appliquer au climat comme à la nature.
Rétablir nos écosystèmes et notre capital naturel et y investir, c’est la préparation stratégique.
C’est la défense nationale.
C’est la sécurité naturelle.
Au bout du compte, une chose ne vaut la peine d’être défendue que si nous pouvons garantir qu’il restera toujours quelque chose à défendre.
Je vais donc le répéter.
Nous pouvons remplacer l’équipement, nous pouvons rebâtir l’infrastructure et nous pouvons réapprovisionner nos forces qui composent avec la prochaine catastrophe climatique.
Mais nous ne pouvons toutefois pas remplacer la nature – il n’y a pas de substitut.
Notre sécurité nationale et notre sécurité naturelle sont inextricablement liées.
Merci, thank you.