Instruction du ministre à l’intention du ministère de la Défense nationale et des Forces armées canadiennes : Éviter la complicité dans les cas de mauvais traitements par des entités étrangères

Le 24 novembre 2017

Objet

  1. En vertu de toute loi canadienne applicable, y compris la prérogative de la Couronne, j’ai diffusé cette instruction du ministre à l’intention du ministère de la Défense nationale (MDN) et des Forces armées canadiennes (FAC).
  2. Le gouvernement du Canada est résolu à éliminer les menaces à la sécurité nationale et à protéger les droits et libertés. La présente instruction a pour objet d’énoncer clairement les valeurs et les principes canadiens qui condamnent la torture et le mauvais traitement ainsi que l’engagement du Canada à l’égard de la primauté du droit.
  3. La présente instruction interdit :
    1. la divulgation d’information qui se traduirait par un risque substantiel de mauvais traitement d’une personne par une entité étrangère;
    2. la formulation de demandes d’information qui se traduirait par un risque substantiel de mauvais traitement d’une personne par une entité étrangère;
    3. certaines utilisations d’information vraisemblablement obtenue à la suite du mauvais traitement d’une personne par une entité étrangère.
  4. Les processus décisionnels relatifs à ces situations sont énoncés aux annexes A, B et C du présent document.

Définitions

  1. Le terme « mauvais traitement » s’entend de la torture ou de tout autre peine ou traitement cruel, inhumain ou dégradant.
  2. Le terme « risque substantiel » signifie qu’une personne court un risque personnel, actuel et prévisible de subir des mauvais traitements. Pour pouvoir être qualifié de « substantiel », le risque doit être réel et ne pas être uniquement théorique ou spéculatif. Dans la plupart des cas, l’existence d’un risque substantiel est établie s’il est plus probable qu’improbable que des mauvais traitements soient infligés à la personne. Cependant, dans certains cas, en particulier lorsqu’une personne risque de subir un préjudice grave, l’existence du « risque substantiel » peut être établie à un niveau de probabilité inférieure.
  3. Le terme « entités étrangères » peut inclure les gouvernements étrangers, leurs ministères et organismes et leurs forces militaires. Il peut aussi s’appliquer à des coalitions militaires, à des alliances et à des organisations internationales.

Préambule

  1. L’article 7 de la Charte canadienne des droits et libertés garantit à chacun « le droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa personne ». L’article 12 interdit « tous traitements ou peines cruels et inusités », lesquels ont été définis par les tribunaux canadiens comme une peine infligée « excessive au point de ne pas être compatible avec la dignité humaine », ce qui comprend la torture et les autres formes de peines ou de traitements cruels, inhumains ou dégradants.
  2. La torture et les autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants sont une insulte aux valeurs canadiennes. Le gouvernement du Canada s’y oppose avec la plus grande fermeté, y compris lorsque leur utilisation vise à éliminer une menace à la sécurité nationale.
  3. Le Canada est partie à plusieurs ententes internationales qui interdisent la torture et les autres formes de peines et de traitements cruels, inhumains ou dégradants. Notamment, il est partie aux ententes internationales qui ont trait aux conflits armés (p. ex., Conventions de Genève, protocoles additionnels et aux autres ententes) et aux droits de la personne (p. ex., Pacte international relatif aux droits civils et politiques et Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants). Cette dernière convention exige des États parties qu’ils criminalisent toutes les formes de torture et qu’ils prennent des mesures concrètent pour empêcher que des actes de torture ou que des peines ou des traitements cruels, inhumains ou dégradants soient infligés dans tout territoire relevant de leur compétence.
  4. Au Canada, la torture est une infraction pénale de portée extraterritoriale. Le Code criminel interdit également aux personnes d’aider ou d’encourager la commission d’un acte de torture, de conseiller la torture peu importe si un acte de torture est commis, de comploter pour commettre un acte de torture, de tenter de commettre un acte de torture ou d’être complice après le fait. Qui plus est, le Code criminel stipule que les « circonstances exceptionnelles » (notamment un acte de guerre, une menace de guerre, une instabilité politique interne ou tout autre danger public exceptionnel) ne constituent pas un moyen de défense opposable à une accusation relative à ces infractions.
  5. La torture et les autres formes de peines et de traitements cruels, inhumains ou dégradants ne servent aucune fin légitime en matière militaire, d’exécution de la loi ou de collecte de renseignements. Le plus souvent, les renseignements recueillis par de tels moyens ne sont pas fiables, ce qui les rend irrecevables en tant qu’éléments de preuve devant tout tribunal judiciaire.
  6. Ainsi, le gouvernement du Canada ne veut pas participer aux actions qui impliquent le recours à la torture ou à d’autres formes de peines et de traitements cruels, inhumains ou dégradants. Associer sciemment le gouvernement du Canada à une telle action nuirait à la crédibilité et à l’efficacité de tout ministère ou organisme qui y serait associé.

Principes

  1. Reconnaissant que la communication d’information à des entités étrangères est essentielle à la capacité du MDN et des FAC d’entretenir des relations solides et d’éliminer les menaces à la sécurité nationale et à la défense nationale, et du fait que le MDN et les FAC doivent être en mesure de communiquer rapidement de l’information à ses partenaires canadiens qui ont pour mandat et responsabilité d’intervenir en cas de menaces à la sécurité nationale, ce type de communication doit être fait de manière conforme aux lois et aux obligations légales du Canada.
  2. Le MDN et les FAC doivent éviter de contribuer sciemment au mauvais traitement infligé par des entités étrangères.
  3. Le MDN et les FAC doivent évaluer l’exactitude et la fiabilité de l’information qu’ils reçoivent et qualifier adéquatement l’information avant de la transmettre à d’autres. Le MDN et les FAC doivent se doter de mesures afin d’identifier les entités étrangères qui participent au mauvais traitement de personnes.
  4. Le MDN et les FAC ont la responsabilité de me tenir informé, en tant que ministre de la Défense nationale, de leurs pratiques en matière de communication d’information.
  5. La transparence quant à l’utilisation de la présente instruction est un principe clé. Conformément au principe no 4 de l’Engagement de transparence en matière de sécurité nationale du gouvernement, on attend du MDN et des FAC qu’ils publient de l’information expliquant comment la présente instruction est mise en œuvre, y compris la réalisation d’évaluations des risques, dans le respect des valeurs canadiennes, notamment les valeurs exprimées dans la Charte canadienne des droits et libertés.

Collaboration entre organismes

  1. Le MDN et les FAC tiendront à jour des politiques et des procédures internes afin d’évaluer les risques liés aux relations avec des entités étrangères. Ils évalueront notamment le bilan des gouvernements étrangers en matière des droits de la personne dans l’ensemble, et pas seulement celui d’entités précises qui y sont rattachées.
  2. Le MDN et les FAC collaboreront à ce processus d’évaluation avec tous les autres ministères et organismes du gouvernement du Canada visés par la présente instruction pour veiller à ce que le processus décisionnel soit appuyé par les sources d’information les plus complètes possibles.
  3. Le MDN et les FAC surveilleront leurs ententes avec des entités étrangères en fonction de plusieurs facteurs, y compris les droits de la personne et le risque de mauvais traitement. La portée de ces ententes sera limitée s’il est établi par le MDN et les FAC qu’un partenaire étranger se livre à des mauvais traitements ou y contribue. Si une telle mesure est prise, le MDN et les FAC en informeront rapidement les autres ministères et organismes visés par la présente instruction ou une instruction similaire.

Responsabilisation

  1. Le MDN et les FAC sont assujettis à la primauté du droit, à la surveillance du ministre et, pour ce qui est des domaines liés à la sécurité nationale et au renseignement, à l’examen du Comité des parlementaires sur la sécurité nationale et le renseignement.
  2. Le MDN et les FAC ont l’obligation de présenter au ministre de la Défense nationale un rapport annuel classifié sur l’application de la présente instruction. Le rapport comprend
    1. des renseignements sur les cas de risque substantiel pour lesquels la présente instruction a été appliquée, y compris le nombre de cas;
    2. la restriction des ententes conclues en raison de préoccupations liées au mauvais traitement;
    3. les changements aux politiques et aux procédures internes liés à la présente instruction.
  3. En qualité de ministre de la Défense nationale, je fournirai au Comité des parlementaires sur la sécurité nationale et le renseignement autant de renseignements au sujet du rapport que le Comité est autorisé à recevoir en vertu de la loi.
  4. Une copie non classifiée du rapport sera rendue publique et contiendra, dans la mesure du possible, les renseignements indiqués ci-dessus sans toutefois compromettre l’intérêt national, l’efficacité des opérations ou la sécurité d’une personne.

Annexe A à l’instruction du ministre

Processus décisionnel pour la communication d’information entraînant un risque substantiel de mauvais traitement d’une personne par une entité étrangère

  1. L’évaluation continue des risques associés à la communication d’information entre le Canada et des entités étrangères est essentielle pour veiller à ce que le Canada ne contribue pas sciemment au mauvais traitement à l’étranger.
  2. Lorsque la communication d’information à une entité étrangère représente un risque substantiel de mauvais traitement d’une personne et que les responsables ne sont pas en mesure de déterminer si le risque peut être atténué, notamment par l’utilisation de réserves ou d’assurances, le cas sera renvoyé au chef d’état-major de la défense et au sous-ministre, à des fins de décision.
  3. Si le risque substantiel ne peut pas être atténué, l’information ne sera pas communiquée à l’entité étrangère.
  4. Lorsque la communication d’information est approuvée parce que le chef d’état‑major de la défense et le sous-ministre ont déterminé que le risque substantiel peut être atténué, la justification de la détermination doit être clairement documentée.
  5. Le ministre de la Défense nationale et le Comité des parlementaires sur la sécurité nationale et le renseignement (conformément à son mandat législatif) seront informés, dès que possible, des cas ayant nécessité une décision du chef d’état-major de la défense et du sous-ministre, et ils recevront de l’information contextuelle pertinente.

Annexe B à l’instruction du ministre

Processus décisionnel pour les demandes d’information entraînant un risque substantiel de mauvais traitement d’une personne par une entité étrangère

  1. L’évaluation continue des risques associés à la communication d’information entre le Canada et des entités étrangères est essentielle pour veiller à ce que le Canada ne contribue pas sciemment au mauvais traitement à l’étranger.
  2. Lorsqu’une demande d’information à une entité étrangère représente un risque substantiel de mauvais traitement d’une personne et que les responsables ne sont pas en mesure de déterminer si le risque peut être atténué, notamment par l’utilisation de réserves ou d’assurances, le cas sera renvoyé au chef d’état-major de la défense et au sous-ministre, à des fins de décision.
  3. Si le risque substantiel ne peut pas être atténué, l’information ne sera pas demandée à l’entité étrangère.
  4. Lorsqu’une demande d’information est approuvée parce que le chef d’état-major de la défense et le sous-ministre ont déterminé que le risque substantiel peut être atténué, la justification de la détermination doit être clairement documentée.
  5. Le ministre de la Défense nationale et le Comité des parlementaires sur la sécurité nationale et le renseignement (conformément à son mandat législatif) seront informés, dès que possible, des cas ayant nécessité une décision du chef d’état-major de la défense et du sous-ministre, et ils recevront de l’information contextuelle pertinente.

Annexe C à l’instruction du ministre

Processus décisionnel pour l’utilisation d’information vraisemblablement obtenue à la suite d’un mauvais traitement infligé à une personne par une entité étrangère

  1. L’information vraisemblablement obtenue à la suite d’un mauvais traitement ne pourrait pas être utilisée.
    1. de façon à créer un risque substantiel de mauvais traitements additionnels;
    2. comme éléments de preuve dans des procédures judiciaires, administratives ou autres;
    3. pour priver une personne de ses droits ou libertés, exception faite des cas où le chef d’état-major de la défense et le sous-ministre (ou dans des circonstances exceptionnelles, un haut fonctionnaire délégué par le chef d’état-major de la défense et le sous-ministre), autorisent l’utilisation de cette information, qu’ils jugent nécessaire pour éviter des pertes de vie ou des sévices graves à la personne.
  2. Dans des circonstances exceptionnelles, comme indiqué au point 1(c), il pourrait être nécessaire d’approuver l’utilisation d’information entraînant la privation des droits et libertés d’une personne lorsque, par exemple, les renseignements portent à croire que la personne est sur le point de commettre un acte terroriste. L’information doit être précise, et sa fiabilité doit être caractérisée de façon appropriée au moyen de mises en garde de façon à indiquer clairement que l’utilisation de cette information est approuvée à des fins limitées et clairement définies.
  3. Le ministre de la Défense nationale et le Comité des parlementaires sur la sécurité nationale et le renseignement (conformément à son mandat législatif) seront informés, dès que possible, des cas ayant nécessité une décision du chef d’état-major de la défense et du sous-ministre, et ils recevront de l’information contextuelle pertinente.

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