Fondements de l’éthique de la Défense au Canada

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Ce document a été publié en 2002 et contient des éléments de référence pertinents encore applicables aujourd'hui. Pour obtenir les renseignements les plus récents sur les valeurs et l’éthique de l’Équipe de la Défense, veuillez consulter le Code de valeurs et d’éthique du MDN et des FC.

Avant-propos

Les Fondements de l’éthique de la Défense au Canada sont publiés avec l’autorisation du Chef - Service d’examen (CS Ex), Quartier général de la Défense nationale. Ils ont pour but d’offrir un description générale du Programme d’éthique de la Défense. Vous y trouverez en plus une discussion de l’historique, la raison d’être et des différentes approches qui ont méné à la mise en place du Programme d’éthique de la Défense. Enfin, ces Fondements de l’éthique de la Défense au Canada expliquent le sens des principes et des obligations éthiques contenus dans l’Énoncé d’éthique de la Défense.

Les Fondements de l’éthique de la Défense au Canada sont une aide parmi d’autres produites par le Programme d’éthique de la Défense en vue de la pratique de l’éthique à la Défense. Le texte des Fondements de l’éthique de la Défense au Canada est accessible sur le site internet du Programme d’éthique de la Défense.

Un des buts importants du Programme d’éthique de la Défense est de contribuer à des conditions qui sont propices à développer et à préserver un culture éthique saine à la Défense. Les Fondements de l’éthique de la Défense au Canada sont considérés une contribution importante et nécessaire à l’accomplissement de ce but.

Toute suggestion ou demande de renseignements concernant les Fondements de l’éthique de la Défense au Canada peut être acheminée à l’officier du développement de l’éthique de la Défense et spécialiste de la matière, le major Denis Beauchamp, Direction de l’éthique de la Défense, Chef - Service d’examen, par téléphone (613) 992-7451, fac-similé (613) 992-0528 ou couriel interne au MDN.

Introduction

Considérations générales

1. Les Forces canadiennes et le ministère de la Défense nationale accordent une importance fondamentale à la force et à la vitalité de leur culture éthique. La population canadienne exige, à bon droit, des normes morales élevées de ses effectifs de Défense. Cependant, la culture éthique propre à la Défense est complexe et peut à l’occasion sembler paradoxale. D’une part, elle fait partie intégrante de la société canadienne et doit en refléter les valeurs. D’autre part, la nature même de la Défense appelle souvent, dans des cas justifiables, l’utilisation contrôlée d’une force destructive, ce qui contrevient normalement aux règles morales d’une société démocratique. En réponse à un besoin croissant de revaloriser la prise de décision éthique et l’intégrité au gouvernement dans son ensemble, la haute direction de la Défense a approuvé en février 1994 le Programme d’éthique de la Défense et a officiellement autorisé sa mise en oeuvre en décembre 1997. Ce programme fournit un point de référence éthique visible et explicite aux Forces canadiennes et au ministère de la Défense nationale.

2. Le présent document sert d’introduction générale aux fondements du Programme d’éthique de la Défense. À ce titre, on y décrit la manière d’aborder dans le programme les questions d’ordre philosophique, social, psychologique et administratif relatives à l’éthique de la défense. En particulier, on y présente trois hypothèses à partir desquelles le programme a été élaboré. On analyse trois différentes démarches pour l’élaboration des programmes d’éthique. Et on tient compte de l’apport et des limites du paradigme d’une profession aux assises de l’éthique de la Défense. L’Énoncé d’éthique de la Défense et son application font l’objet d’une présentation détaillée. On se penche sur la complexité du développement moral personnel et, tout particulièrement, sur la démarche qui a orienté l’élaboration du Programme d’éthique de la Défense. Enfin, au sujet de la question de la responsabilité institutionnelle, on explique en détail la manière dont le Programme d’éthique de la Défense dresse le cadre éthique de la Défense.

Justification des valeurs éthiques de la Défense canadienne

Considérations générales

3. Fondé sur l’expression de valeurs, le Programme d’éthique de la Défense s’échafaude sur les valeurs sur lesquelles repose la démocratie. Dans la mesure où une société démocratique doit veiller à sa propre défense, ces valeurs constitutives doivent aussi déterminer ce que cette société acceptera comme institutionnalisation de sa défense nationale. Pour cette raison, le Programme d’éthique de la Défense préconise que les circonstances et les besoins uniques des Forces canadiennes et du Ministère de la Défense nationale forgent ces valeurs constituantes. Dans cette perspective, l’éthique de la défense repose sur trois hypothèses de base au sujet de la nature de la société canadienne. La première hypothèse veut que notre société démocratique canadienne moderne possède, comme trait distinctif, une pluralité de systèmes globaux de croyances, dont certaines sont d’ordre philosophique et d’autres, d’ordre religieux ou séculaire. La deuxième hypothèse veut que ces systèmes globaux constituent par leur recoupement un ensemble consensuel (Rawls, 1993) de valeurs d’une société libre et démocratique. La troisième hypothèse stipule qu’à l’intérieur de ce genre de recoupement consensuel qu’on trouve dans une société libre et démocratique, un ensemble de valeurs fondamentales définit le caractère de la Défense.

4. Analysons un peu plus ces trois affirmations. La première hypothèse, que le Canada est une société démocratique moderne qui possède une pluralité de systèmes globaux de croyances, est bien étayée de façon empirique et ne semble pas poser de problème significatif. La deuxième hypothèse concernant l’existence d’un certain recoupement consensuel suppose qu’une société est forte et en santé dans la mesure où les valeurs et les principes des systèmes globaux de croyances qui s’expriment respectent les éléments essentiels de la démocratie comme nous la connaissons. L’histoire de ces systèmes globaux de croyances nous enseigne qu’ils sont tenus comme incompatibles sous plusieurs aspects importants de la théorie et de la pratique. En outre, rien ne laisse présager qu’un de ces systèmes globaux de croyances s’imposera globalement, aujourd’hui ou dans un avenir prévisible, comme le seul et unique système acceptable. Malgré ces considérations, il convient de supposer qu’il existe un certain recoupement consensuel des valeurs qui représente un lieu commun permettant à la démocratie de se manifester dans la vie de tous les jours. De cette façon, nous assistons couramment à un recoupement entre ces systèmes de croyances. Pour comprendre le déroulement de ce consensus par recoupement au sein d’une société libérale il suffit de considérer la pluralité des systèmes globaux dans un équilibre général du contexte culturel de la société. On peut juger de la force de cet équilibre général et de ce recoupement consensuel de valeurs et de principes de base en observant le degré de stabilité interne de notre société démocratique face à un changement dans le partage du pouvoir entre les différents systèmes globaux de croyances (Rawls, 1993). Ainsi, le fait que des Canadiens sont chrétiens, musulmans, juifs, humanistes ou autres ne les empêche pas d’aller au-delà de ces différences identitaires pour traiter de problèmes socio-politiques complexes dans le cadre établi de nos traditions démocratiques.

5. Trait caractéristique, les Canadiens et les Canadiennes témoignent d’une préférence pour les types de contraintes qu’une société libre et démocratique impose à ses citoyens et citoyennes pour déterminer la façon dont ils vivent et travaillent ensemble. Nous observons régulièrement leur façon de vivre ce choix, dynamiquement et à l’intérieur des limites tolérables de la stabilité. Ce choix se manifeste dans leur façon d’accepter un mode de vie qui prône un respect partagé pour un ensemble de valeurs démocratiques fondamentales. En tant que société démocratique, le Canada montre un mode de vie qui assimile les principes et les obligations éthiques nécessaires pour sa santé. Par exemple, la Charte canadienne des droits et libertés a officialisé les principes et obligations démocratiques qui avaient cours dans la société canadienne bien longtemps avant qu’ils ne soient édictés dans la Charte. Cependant, l’importance qu’on accordait à ces principes et obligations justifiait de les protéger par une loi. Même si l’application de la Charte a suscité la controverse et si son domaine d’application proprement dit est limité aux rapports des personnes avec tous les paliers de gouvernement, les principes et les obligations sous-jacents ont une application plus vaste dans la société canadienne. Ces principes et obligations éthiques influencent notre croyance de la façon dont nous voulons être traités et dont nous voulons traiter les autres. Les Canadiens et Canadiennes se servent aussi de ces critères pour évaluer dans quelle mesure le gouvernement s’acquitte de ses obligations envers le Canada et ses habitants de façon responsable. Ainsi, lorsque nous évoquons un consensus par recoupement, nous nous reportons à des principes et obligations de base, tels que les principes et obligations officialisés dans la charte, qui représentent la toile de fond d’une démocratie.

6. La troisième hypothèse est un ensemble de principes et de valeurs qui définit ce qui constitue la défense dans une société démocratique. Puisque l’on présume que notre système démocratique accorde de la valeur à la défense du pays, on peut aussi présumer que, au sein de ce consensus par recoupement des valeurs et des principes canadiens, il existe un ensemble de principes et de valeurs de base qui s’appliquent spécifiquement à la défense de la nation. Pour cette raison, même si les Forces canadiennes et le ministère de la Défense nationale sont deux entités juridiques distinctes, ils ont nécessairement un dénominateur commun à titre d’institutions constituées pour la défense d’une nation démocratique. Ce dénominateur commun se trouve dans l’Énoncé d’éthique de la Défense, un document qui contient un ensemble de principes et d’obligations de base visant à guider le comportement des Forces canadiennes et de ses membres et du ministère de la Défense nationale et de ses employés.

7. En résumé, le Programme d’éthique de la Défense, un programme qui favorise l’expression de valeurs, a été élaboré en tenant compte de la nature démocratique du Canada. Même s’il coexiste une pluralité de systèmes globaux de croyances dans la société démocratique moderne du Canada, ces systèmes présentent un solide recoupement consensuel de valeurs et de principes de base. En fait, ce recoupement consensuel est une caractéristique déterminante de la démocratie. Ce consensus par recoupement renferme un ensemble de ces principes et valeurs de base qui définissent la nature et l’éthique de la défense dans une société démocratique. Pour cette raison, le Programme d’éthique de la Défense contient un Énoncé d’éthique de la Défense fondé sur l’idée d’un recoupement consensuel de valeurs. Dans le même ordre d’idée, il établit un cadre d’éthique de la Défense en tant qu’institution ancrée dans la démocratie.

Approches aux programmes de l’éthique de la Défense

8. La priorité de tout programme d’éthique de la Défense dans une société démocratique est de veiller à ce que l’appareil militaire continue, à titre d’institution d’un gouvernement démocratique, de répondre aux besoins de sa société conformément aux valeurs fondamentales de la société. L’élaboration d’une éthique de la Défense peut emprunter trois modèles généraux : elle peut favoriser l’observation de règles, privilégier la prévention ou se fonder sur l’expression de valeurs. Pour chacun de ces trois modèles, l’objectif et le but ultime sont les mêmes : favoriser un niveau élevé de comportement éthique chez le personnel de la Défense. Fait notable, chacune de ces méthodes a déjà été mise en oeuvre par différents gouvernements nationaux de démocraties libérales.Note de bas de page 1 Le gouvernement américain et ses forces armées ont choisi une approche fortement axée sur le respect des règles. Le ministère australien de la Défense possède un programme essentiellement préventif. Au Canada, nous avons opté pour un modèle fondé sur l’expression de valeurs.

9. Chacune de ces approches a ses limites. Examinons d’un peu plus près des éléments constitutifs de ces méthodes. L’observation de règles doit agir sur les forces et les faiblesses de l’éthique purement fondée sur des règles. Ainsi, ce modèle favorise l’élaboration de codes mettant l’accent sur le respect de règlements, d’où l’acquisition d’une tendance fortement légaliste. Il peut facilement en résulter une attitude minimaliste sur le plan moral. En d’autres mots, ce modèle peut encourager la conviction que tout ce qui n’est pas formellement prohibé n’est pas mal. Par ailleurs, de tels codes ne peuvent jamais être suffisamment inclusifs pour prévoir ou aborder tous les risques. Leur élaboration se fait au cas par cas, par essais et erreurs, et elle entraîne une telle multiplication de règles que, tôt ou tard, tout l’appareil réglementaire devient trop onéreux et impossible à gérer, même par de très importantes ressources de surveillance. Finalement, bien que des codes réglementaires puissent contribuer à éliminer et à prévenir les écarts les plus graves, ils contribuent peu à promouvoir des comportements éthiques positifs au sein des organisations. De ce fait, les organismes qui comptent sur de tels codes s’avèrent vulnérables à une hausse draconienne des comportements répréhensibles dès qu’il y a perception d’une baisse des niveaux d’application de ces règles.

10. Les États-Unis possèdent une façon de contrebalancer les faiblesses propres à un programme d’éthique purement fondé sur des règles. En effet, le caractère constitutionnel de la conjoncture socio-politique de ce pays fournit un contexte significatif au modèle réglementaire adopté par le gouvernement américain et ses forces armées pour leur programme d’éthique. Les États-Unis possèdent une longue tradition de résolution des problèmes d’éthique complexes par référence à l’esprit de leur Constitution. Ce contexte nous aide à comprendre une décision prise par le gouvernement américain au cours des années 1970. Face à un tollé populaire sur la nécessité d’un renouveau éthique au gouvernement, l’administration a adopté l’Ethics in Government Act de 1978. Cette loi créait un bureau d’éthique gouvernementale, l’Office of Government Ethics, tout en codifiant et en ajoutant à l’ensemble des règles jusqu’alors disséminées dans des décrets et d’autres lois. Cette mesure influa beaucoup sur le modèle adopté par le ministère américain de la Défense dans l’élaboration de ses propres programmes d’éthique. Néanmoins, comme on demeure conscient, au ministère américain de la Défense, du principe selon lequel la légalité d’un geste ne garantit pas nécessairement son caractère éthique, on s’est efforcé de trouver des façons efficaces et significatives d’aborder les nombreuses zones d’incertitude entre ce qui est légal au sens strict et ce qui est acceptable sur le plan éthique. C’est ainsi qu’on a mis en oeuvre un programme d’éthique qui place l’accent sur la force de caractère et les vertus civiques nécessaires dans la vie militaire.

11. L’approche fondée sur la prévention échappe à certaines des critiques concernant les faiblesses d’un programme d’éthique purement légaliste. Cette approche définit des domaines où le comportement attendu des membres de l’organisation est à haut risque de ne pas être observé et fait porter les efforts sur ces domaines. Le ministère australien de la Défense peut être cité en exemple. Son programme est appelé la Defence Ethics and Fraud Awareness Campaign (DEFAC). Dans le cadre de cette approche, le MDN australien accorde la plus grande priorité à la gestion des ressources pour améliorer les comportements éthiques. Conformément à l’approche fondée sur la prévention, l’accent est mis sur les valeurs qui sous-tendent les règles que le gouvernement veut faire observer par son personnel dans la gestion des ressources publiques. Les valeurs éthiques qui entrent en jeu font appel non seulement à la lettre des règlements et de la loi, mais aussi à l’esprit des textes et à ce qui pourrait motiver le personnel à s’y conformer. En ce sens, l’approche va plus loin que l’approche purement fondée sur l’observation de ces règles. Toutefois, bien que le modèle préventif privilégie des valeurs ayant spécifiquement pour objet la promotion d’un comportement éthique positif, il demeure associé à des domaines fonctionnels spécifiques de l’organisation. Paradoxalement, sa force est aussi ses limites. En se concentrant sur certains ensembles de comportements organisationnels qu’on juge à risque plus élevé de non-observance, cette approche risque de ne pas pouvoir intégrer entièrement l’éthique dans toutes les fonctions de l’appareil institutionnel. En outre, le personnel risque de limiter ce type d’initiative éthique aux seuls domaines fonctionnels ciblés dans l’appareil institutionnel. Par conséquent, on risque de laisser de côté d’autres questions éthiques semblables ou différentes qui appellent un traitement ailleurs dans l’appareil institutionnel. Compte tenu qu’il faudra se pencher sur ces questions d’ordre éthique, il n’est pas certain que les valeurs éthiques seront appliquées uniformément dans l’ensemble de l’appareil institutionnel. Le ministère australien de la Défense a dû relever le défi en trouvant des façons novatrices d’intégrer les divers efforts relatifs au comportement éthique dans les divers domaines fonctionnels de la Défense.

12. Le modèle d’expression des valeurs a pour caractéristique fondamentale de nommer, en termes généraux, les genres de comportement désirables, au lieu de préciser en détail ceux qui ne le sont pas. Il existe deux traitements différents de l’élaboration d’un cadre éthique axé sur les valeurs : la méthode descriptive (ascendante) et la méthode normative (descendante). Même si l’armée américaine a adopté une approche axée sur le respect des règles (descendante), elle nous offre un exemple intéressant de la méthode descriptive et ascendante. En 1986, l’armée américaine a réalisé un sondage à grande échelle sur l’importance de quelque 50 valeurs sociales aux yeux des militaires. Le résultat le plus frappant de cet exercice est que l’ordonnancement résultant des valeurs sociales reflète des priorités personnelles qui reçurent des points à l’inverse de ceux qu’on aurait pu attendre du leadership militaire dans un système de valeurs institutionnel (Wenek, mars 1996). Si une approche purement ascendante avait été retenue pour élaborer un programme d’éthique de la défense, les valeurs du sondage et leur classement auraient servi de point de départ du programme.

13. Le programme d’éthique de la Défense des Forces canadiennes et du Ministère de la Défense nationale est un programme normatif et de type descendant. Dans le cadre de ce programme, la haute direction de l’appareil institutionnel remplit une part importante de ses responsabilités envers l’institution en déclarant publiquement la manière avec laquelle l’institution et ses membres doivent s’acquitter de leurs obligations au Canada. Même si on s’est servi d’une méthode descendante pour élaborer le programme, des mesures ont été prises pour connaître l’opinion du personnel en ce qui touche l’éthique de la Défense et intégrer ces perspectives, dans la mesure du possible, dans son élaboration. Le programme se veut exhaustif et vise à aborder toutes les questions d’éthique à la Défense. Un modèle d’expression des valeurs convient bien à la démarche. L’Énoncé d’éthique de la Défense élaboré dans le cadre du programme consigne les principes et les obligations de base tenues comme les éléments déterminants de la culture de la défense canadienne. Ces principes et obligations éthiques devraient servir non seulement de guide de comportement personnel et institutionnel mais aussi de critères pour juger de la conduite. Le Programme d’éthique de la Défense s’inspire de l’Énoncé d’éthique de la Défense.

Portée du Programme d’éthique de la Défense

14. Les valeurs et principes moraux sont avant tout ancrés dans les humains et les rapports qu’ils entretiennent. Les Forces canadiennes et le ministère de la Défense entretiennent un rapport privilégié avec le Canada et sa population. Ce rapport se fonde sur la confiance de la société dans l’engagement des militaires à servir les intérêts du pays en matière de défense. Dans le cas des accords internationaux et des arrangements de défense coopératifs, l'objet des obligations en matière de service est élargi pour inclure d'autres composants de la communauté mondiale. Dans certaines circonstances, ce domaine d’obligations peut également comprendre une structure d'autorité légale formée d'éléments transnationaux ou internationaux. Par conséquent, le Programme d’éthique de la Défense doit être suffisamment vaste pour s’appliquer tant aux situations intérieures qu’extérieures en ce qui a trait à l’éthique.

15. Selon le postulat fondamental du Programme d’éthique de la Défense, toute décision ou action qui pourrait toucher d’autres personnes revêt une dimension morale et cette réalité entraîne l’obligation de considérer et de protéger les droits et les intérêts des personnes. C’est là une vue acceptée de l’éthique, étant donné que l’éthique se penche habituellement sur les principes et les obligations qui gouvernent les actions et les pratiques. Dans une société démocratique, des normes de conduite justifiables sont imbriquées dans les principes et les obligations éthiques qui renvoient nécessairement aux fondements de la démocratie. La Défense profite d’un programme d’éthique ancré dans notre définition de la démocratie. L’éthique de la Défense devrait jouer un rôle significatif dans la définition de la manière dont il convient de mettre en oeuvre la défense de la nation. Il convient aussi qu’elle précise les critères à partir desquels évaluer les bonnes et les mauvaises actions et pratiques dans le domaine public. Le Programme d’éthique de la Défense représente une intégration de tous ces aspects.

16. Le rôle et le mandat du Programme d’éthique de la Défense sont multidimensionnels. D’abord, il dresse le cadre d’éthique des Forces canadiennes et du ministère de la Défense. Il leur sert de guide dans l’acquittement de leurs responsabilités institutionnelles et pose les critères d’évaluation de l’appareil institutionnel. Deuxièmement, à l’échelon individuel, il promouvait une sensibilisation à l’importance de l’éthique dans toutes les situations humaines. Troisièmement, il s’engage à améliorer les capacités individuelles de raisonnement quant au caractère éthique de tout problème qui touche la défense de la nation. Enfin, il intègre dans un programme les nombreux processus nécessaires pour mettre en oeuvre l’éthique dans une organisation complexe.

Les fondements de l’éthique de la Défense et le paradigme d’une profession

17. Le rôle et le mandat du Programme d’éthique de la Défense sont multidimensionnels. D’abord, le personnel militaire a d’importantes obligations envers le pays, principal bénéficiaire des services de défense, ainsi qu'envers le gouvernement à titre de représentant légitime de l'intérêt public et les êtres humains d’autres pays touchés par ses actions. La responsabilité à l’égard de la défense de la nation se traduit par l’engagement des Forces canadiennes et de ses membres ainsi que du ministère de la Défense et de ses employés à servir les intérêts du pays en matière de sécurité. Cet engagement n’aura de force que dans la mesure où l’organisation et les personnes qui la composent feront preuve d’intégrité sur le plan éthique. Il est évident que tout cela dépend du maintien de l’intégrité éthique de la chaîne de commandement. Pour préserver cette intégrité, les Forces canadiennes et ses membres et le MDN et ses employés doivent posséder un ensemble de principes et d’obligations de base en matière d’éthique qui peuvent guider leurs décisions et leurs actions.

18. La culture éthique de la Défense est complexe et peut parfois sembler paradoxale. Pour comprendre les impératifs moraux de la Défense, de nombreux auteurs ont appliqué le paradigme des professions à la Défense. Dans son livre intitulé Professional Ethics (1989), Michael Bayles explique les impératifs de l’éthique professionnelle dans un domaine public en mettant l’éthique dans le contexte des rapports professionnel-client. En référence à ce contexte, il établit une distinction très utile entre les normes universelles et les normes reliées à des rôles. Les normes universelles - par exemple, celles qui touchent les blessures, le mensonge, le vol et la tenue de promesses - s’appliquent à l’ensemble de la collectivité. Dans le cas des professionnels, ils peuvent être particulièrement touchés par certaines normes universelles à cause de certaines particularités qui existent et refont surface dans de nombreuses situations en raison du rapport professionel-client. Il s’ensuit qu’il faut spécifier des normes universelles propres aux professionnels. Par exemple, le fait que les relations de nature sexuelle exigent le consentement éclairé des deux parties peut être considéré comme une norme universelle. Cependant, il est évident que dans un rapport psychiatre-client, la position dominante du professionnel laisse planer de sérieux doutes quant à la possibilité que le client puisse exprimer un consentement éclairé. Le même déséquilibre se manifeste de diverses façons entre la plupart des professionnels médicaux et leurs clients. C’est ce qui explique, en partie, l’interdiction d’activité sexuelle entre les professionnels médicaux et leurs clients. C’est aussi pourquoi la transgression par les professionnels d’une spécification de norme universelle entraînera souvent une réprimande professionnelle ou d’autres mesures disciplinaires.

19. Par contre, les normes reliées à des rôles ne s’appliquent qu’aux personnes affectées ou autorisées à l’exercice d’un rôle social donné. On considère que chaque profession dessert des valeurs sociales « supérieures », p. ex., la santé, la sûreté et la sécurité de la population. En jouant leur rôle, il arrive qu’on permette aux professionnels ou qu’on exige d’eux de prendre des mesures qui seraient normalement jugées répréhensibles suivant les normes universelles. Une conduite liée à un rôle trouve des justifications par rapport aux normes universelles en raison des valeurs sociales « supérieures » attribuées au professionnel proprement dit. Il convient d’établir des distinctions entre les normes liées au rôle et la spécification de normes universelles. Les normes liées au rôle désignent les actions spécifiques nécessaires pour l’accomplissement de l’activité professionnelle, tandis que les spécifications de normes universelles sont des limites raisonnables imposées aux normes universelles des suites de situations créées par les rapports d’un professionnel avec un client.

20. La distinction établie par Bayles entre les normes universelles et les normes liées au rôle correspond à de nombreux égards à la distinction faite par M. Walzer (1989) entre les obligations particulières à des rôles spécifiques et les obligations générales. Walzer applique le paradigme du « professionnel » à la fonction militaire. Ainsi, selon Walzer, le professionnel militaire a des responsabilités hiérarchiques vers le haut et vers le bas et des responsabilités non hiérarchiques vers l’extérieur à l’égard de toutes les personnes touchées par ses activités au sein de la chaîne de commandement. Les responsabilités hiérarchiques supposent des obligations particulières au rôle qui portent directement sur l’accomplissement de la fonction militaire, tandis que les responsabilités non hiérarchiques supposent des obligations générales qui portent directement sur les effets possibles de l’action militaire sur d’autres personnes, en particulier les non combattants. Ces responsabilités d’ordre hiérarchique sont énoncées, par exemple, dans la Description des exigences militaires fondamentales - Officiers (DEMFO), où sont définis les principaux devoirs et responsabilités d’ordre relationnel incombant aux officiers, soit ceux à l’égard du pays, des Forces canadiennes, des autres membres de la profession et des subalternes. Les obligations générales prennent habituellement la forme de devoirs universels à l’égard de civils et d’autres personnes devant recevoir une protection spéciale (p. ex., les prisonniers de guerre, les militaires rendus invalides par une blessure ou une maladie, le personnel médical). Comme le fait remarque Wenek (1996), les concepts de Walzer s’intègrent bien au modèle professionnel-client de Bayle sauf que Bayle n'inclut pas les obligations vers le bas de Walzer aux subalternes dans les obligations professionnel-client mais plutôt dans des obligations de tierces parties.

21. Le modèle client-professionnel de Bayle s’applique utilement à la Défense, pour autant que la Défense représente l’exercice professionnel d’une activité du domaine public. Walzer et bien d’autres ont donné des perspectives judicieuses du militaire en se servant du paradigme de la « profession ». Cette perspective peut nous aider à comprendre les obligations éthiques spéciales du personnel de la Défense en les expliquant en termes de normes universelles et particulières à un rôle ou, encore, en termes d’obligations hiérarchiques et non hiérarchiques. Toutefois, le modèle professionnel-client et, de façon plus générale, le paradigme d’une « profession » n’est pas suffisant pour établir un fondement solide à une approche axée sur les valeurs à l’éthique de la Défense.

22. Les Forces canadiennes et le ministère de la Défense sont d’abord et avant tout des institutions appartenant à une société démocratique. Par ce fait même, ces deux institutions doivent refléter et pratiquer les valeurs démocratiques qui ont donné naissance à cette société, tout en bénéficiant d’exceptions justifiables pour l’usage contrôlé de la force militaire. Ainsi, pour les personnes qui évoluent au sein d’une institution publique comme la Défense, ce n’est pas le contexte plus vaste qui doit être interprété en terme de paradigme d’une « profession » qui gravite au centre, mais c’est plutôt le paradigme d’une « profession » proprement dit qui doit être réinterprété à la lumière du contexte plus vaste et fondamental. Par exemple, dans un contexte plus vaste, la société démocratique moderne du Canada est caractérisée par une pluralité de systèmes globaux de croyances. Il en découle que les valeurs et les principes moraux de la Défense devraient être puisés dans un consensus par recoupement des valeurs qui ont cité dans une société libre et démocratique. Même si l’Énoncé d’éthique de la Défense renferme des valeurs, principes et obligations qui répondent aux obligations professionnelles des militaires et de la fonction publique, ces valeurs et leurs applications sont aussi le miroir des responsabilités organisationnelles de la Défense en tant qu’institution de la démocratie. Ainsi, bien que le paradigme d’une « profession » offre une bonne perspective dans la nature du comportement éthique de la Défense, ce n’est que le contexte plus vaste de la Défense en tant qu’institution d’une société démocratique et libre qui peut en définitive justifier l’éthique de la défense. Inévitablement, une référence au contexte plus vaste influencera les valeurs éthiques qui devraient primer en matière de défense et les facteurs de pondération assignés à ces valeurs dans la prise de décision.

23. L’Énoncé d’éthique de la Défense se trouve au coeur du Programme d’éthique de la Défense. Il s’agit d’une déclaration publique de l’engagement envers les principes et les obligations d’ordre éthique. On s’attend à ce que les Forces canadiennes et leurs membres ainsi que le ministère de la Défense nationale et ses employés se servent de l’Énoncé d’éthique de la Défense dans l’acquittement de leurs responsabilités individuelles et organisationnelles pour la défense des intérêts du Canada. L’Énoncé d’éthique de la Défense est censé servir de guide normatif en ce qui a trait à la conduite professionnelle, d’outil permettant d’aplanir les questions d’ordre éthique au quotidien et de critère dans la formulation de politiques et de programmes sains sur le plan éthique. L’Énoncé d’éthique de la Défense sert aussi de document cadre pour l'élaboration d’énoncés particuliers en matière d’éthique ou de codes de conduite qui correspondent mieux aux diverses cultures organisationnelles au sein de la Défense, par exemple les cultures organisationnelles manifestes de l’armée, de la marine et de l’armée de l’air. Par ailleurs, dans un même ordre d’idées, il apparaît que les organisations de Matériel et d’approvisionnement et des Ressources humaines de la Défense possèdent des cultures organisationnelles distinctes.

L’Énoncé d’éthique de la Defense

24. L’Énoncé d’éthique de la DéfenseNote de bas de page 2 comporte trois grandes parties : tout d’abord, une déclaration définissant qui le document vise et les raisons; deuxièmement, un ensemble hiérarchique de trois principes d’éthique; et, finalement, une liste de six obligations éthiques essentielles. Les trois principes d’éthique renvoient aux obligations éthiques universelles à l’égard de l’humanité, de la société et de l’autorité légale et sont considérés en ordre de préséance (Rescher, 1990). Cela signifie qu’au Canada, comme dans d’autres sociétés libérales démocratiques, le principe de la primauté du droit est généralement reconnu comme une caractéristique déterminante d’une démocratie libérale. À l’instar, l’interprétation et l’application de ce principe sont ancrés dans l’obligation plus générale d’une société démocratique et libre. Il reste, en fin de compte, que notre obligation prépondérante et souveraine doit être à l’égard de l’humanité. Dans un passé récent, cette réalité a été rendue plus déchirante, par le l’utilisation en droit international de l’expression « crimes perpétrés contre l’humanité ». Tous les comportements de l’institution militaire devraient faire l’objet d’un examen minutieux en fonction de ces trois principes éthiques hiérarchiques.

25. Par opposition, les six obligations éthiques sont censées servir de normes de conduite d’importance égale. Cela signifie que, toutes choses étant par ailleurs égales, l’institution militaire doit tout autant s’engager à répondre à n’importe quelle de ces six obligations éthiques dans l’exercice de ses fonctions et de ses rôles professionnels lorsqu’elles sont invoquées spécifiquement. Cependant, les questions d’ordre éthique sont souvent complexes et donnent lieu à des revendications contradictoires. Dans de telles circonstances, les obligations éthiques s’opposeront lorsqu’il faudra déterminer la bonne voie à suivre et la multiplicité des facteurs dont il faut tenir compte ne permettra pas des choix clairs et sans ambiguïté éthique. À ce moment, les trois principes éthiques devraient servir de guide dans l’établissement des priorités.

26. Avant d’aller plus loin, il convient de soulever brièvement la question du changement en ce qui concerne l’Énoncé d’éthique de la Défense. Il n’y a pas de doute que la société canadienne et ses institutions subiront des changements avec le temps et, il va de soi, que les Forces canadÉnoncé d’éthique de la Défenseiennes et le ministère de la Défense seront aussi touchés. Bien que de petits changements surviennent régulièrement, d’autres circonstances historiques sont plus remarquables et imposent des demandes de changements institutionnels plus grands. La Loi constitutionnelle de 1982, qui comporte la Charte canadienne des droits et libertés, est un exemple de demande de changement institutionnel important. L’Énoncé d’éthique de la Défense renferme un ensemble de principes et d’obligations éthiques de base qui répond bien aux besoins d’ordre éthique de l’institution militaire. Si des changements à l’Énoncé d’éthique de la Défense sont jugés nécessaires à l’avenir, ces changements respecteront le caractère unique de l’institution militaire seulement s’ils s’inspirent des principes fondamentaux d’une société libre et démocratique qui a donné naissance à l’Énoncé en premier lieu.

Hiérarchie des principes généraux

27. L’Énoncé d’éthique de la Défense comporte une hiérarchie de trois principes généraux : (1) Respecter la dignité de toute personne, (2) Servir le Canada avant soi-même et (3) Obéir à l’autorité légale et l’appuyer. L’ordre de ces principes est un reflet de l’importance relative des obligations du monde militaire envers la communauté humaine en général, la société canadienne et les autorités légales (Rescher, 1990). Les trois principes révèlent des éléments essentiels qui permettent de comprendre ce que nous sommes en tant que Canadiens et Canadiennes. On trouvera la justification du classement de ces principes dans les principales théories et traditions en matière d'éthique, dans les engagements tels que la Déclaration universelle des droits de l’homme et dans les valeurs fondamentales enchâssées dans la constitution canadienne. On peut aussi le justifier au niveau de théories éthiques majeures. En pratique et en règle générale, le principe I a priorité sur les principes II et III, et le principe II a priorité sur le principe III.

28. Principe I : Respecter la dignité de toute personne. Ce principe éthique reflète la primauté de notre identité commune en tant que membres d'une seule et même famille humaine par rapport à notre identité en tant que membres d'une race, d'une religion, d'une nationalité ou d'un groupe ethnique particulier. Cette identité commune est ancrée dans l’unicité biologique de l’humanité, dans ses capacités cognitives uniques et ses caractéristiques de comportement et sociales distinctives. Ce principe suppose à tout le moins que nous ne pouvons pas torturer, violenter, brutaliser, blesser, contraindre, persécuter, tromper, manipuler, sacrifier, traiter injustement, faire preuve de discrimination envers qui que ce soi, harceler ni imposer tout autre mauvais traitement à autrui. Ce principe exige, plus positivement, à tout le moins le respect de la valeur intrinsèque de chacun et le traitement de toute personne avec tolérance et considération. Autrement dit, nous devons toujours traiter les autres comme s'ils constituaient des fins en soi et jamais comme des objets ou de simples moyens de parvenir à une fin. Enfin, ce principe exige le respect des droits et libertés élémentaires que nous sommes venus à reconnaître comme des caractéristiques intrinsèques et déterminantes de la dignité des personnes. En outre, nous ne devons pas, sauf dans un cas de force majeure, priver une personne ou un groupe de ses libertés et droits fondamentaux.

29. Nous sommes tenus de respecter ces obligations découlant des principes éthiques en toutes circonstances et, en ce sens, elles sont universelles. Dans nos démocraties modernes, les exceptions à ces obligations ne sont sanctionnées qu'en fonction des principes qui ont donné naissance à la démocratie proprement dite. L’exception la plus notable survient dans un cas bien précis - en temps de guerre ou lorsque la force militaire est utilisée dans d'autres circonstances. Par exemple, selon la théorie de la guerre légitime, les obligations du principe I concernant l’interdiction de faire du tort peuvent être levées si la menace de violence ou l'utilisation contrôlée de la violence sert les intérêts de la justice, des droits de la personne et d'autres principes éthiques et si les opérations militaires sont effectuées conformément au droit international de la guerre. Cela signifie que, bien qu'il faille habituellement respecter les normes universelles interdisant de tuer d'autres personnes, de leur faire du mal ou encore de poser des actes de destruction, et ce, de façon intentionnelle, les normes relatives à l'utilisation légitime de la force armée constituent une exception justifiable, sur le plan de l'éthique, à la règle générale. Le but de la guerre n’est pas la guerre en soi mais bien le rétablissement d’un état de paix.

30. Principe II : Servir le Canada avant soi-même. Ce principe reflète le caractère fondamental du gouvernement dans nos démocraties libérales modernes : servir le bien commun. Il justifie l’objectif fonctionnel du Ministère et des Forces canadiennes et exprime l’attitude éthique de base exigée de chaque membre de l’Équipe de la Défense. Pour tous les fonctionnaires de l’État et particulièrement les militaires, ce principe reflète la nécessité de respecter une hiérarchie entre le bien public et personnel. Ainsi, en vertu de ce principe, les intérêts collectifs légitimes de la société passent avant les intérêts strictement organisationnels et personnels. En tant que critère éthique, l'intérêt public a trait à des objectifs aussi concrets que la protection et la sécurité du Canada et des Canadiens, l'utilisation avisée et efficiente des fonds et du matériel publics ainsi que l'administration responsable de l'environnement et de nos ressources naturelles. L'intérêt public englobe aussi d'importants éléments non matériels, comme la paix, l’ordre et le bien public, ainsi que les idéaux de justice, de liberté et d'égalité qui, lorsqu’ils sont envisagés ensemble, définissent ce que nous entendons par un mode de vie qui vaut la peine d'être défendu.

31. Principe III : Obéir à l’autorité légale et l’appuyer. Ce principe reflète une caractéristique essentielle et déterminante de nos démocraties modernes : la primauté du droit. Personne n’est au-dessus de la loi. Dans le cas des questions de défense nationale, la volonté générale d’une nation est exercée par l'entremise d'un gouvernement dûment élu et, par délégation de pouvoir, d'une chaîne de commandement clairement établie. Par conséquent, ce principe appelle non seulement l'obligation qu'a chacun, dans le cadre de ses fonctions, de se conformer aux lois et aux politiques du gouvernement et de les appuyer mais aussi, par extension, l'obligation de suivre et d'appuyer les politiques, les directives et les ordres légaux des supérieurs dans la chaîne de commandement, sous réserve uniquement des impératifs éthiques des principes I et II. Les personnes qui exercent de l’autorité dans la chaîne de commandement doivent se fonder sur des considérations éthiques pour imposer des limites raisonnables à l’usage légitime de cette autorité, un impératif qui est particulièrement critique dans le contexte militaire. La mise en application de ce principe expose nécessairement tous les intervenants dans la défense au dilemme inhérent au service de la nation. Ce dilemme se pose chaque fois que les demandes de l’autorité légitime s’opposent à ce que dicte la conscience personnelle et suscitent une tension éthique qui ne peut être évitée. Dans le contexte militaire, une tension peut facilement s’immiscer entre le devoir d’exécuter des ordres et le devoir d’éviter de commettre des actes considérés fondamentalement mauvais suivant ses croyances personnelles (y compris ce qui pourrait être perçu comme une transgression aux lois de l’engagement). La mise en application de ce principe, plus que toute autre, place carrément chaque personne devant le fait qu’elle doit en bout de ligne assumer la responsabilité de ses gestes.

Six obligations éthiques essentielles

32. L’Énoncé d’éthique de la Défense comporte six obligations éthiques essentielles : l’intégrité, la loyauté, le courage, l’honnêteté, l’équité et la responsabilité. Il n’existe pas d’ordre hiérarchique pour ces six obligations éthiques : elles exigent toutes d’être également respectées à titre de valeurs morales. Autrement dit, elles sont d’importance égale, et toutes choses étant égales par ailleurs, chacune de ces obligations doit être respectée. Ces obligations comprennent les éléments traditionnels de l'éthique militaire professionnelle, les valeurs de base de la fonction publique et notre société démocratique. Il s’agit d’obligations éthiques essentielles auxquelles viennent s’associer d’autres obligations éthiques connexes. Dans ce qui suit, chaque obligation est décrite et on fait référence à d’autres valeurs éthiques connexes.

33. Intégrité. Même si les six obligations sont tenues pour être exécutoires les unes autant que les autres, il n’y a pas de doute que l’intégrité, c’est-à-dire de constamment accorder préséance à des valeurs éthiques dans nos décisions ou nos actions, a un statut privilégié. En conséquence, cette valeur apparaît en premier dans la liste des obligations éthiques. Pendant plus de deux mille ans, l’intégrité a signifié une volonté de plénitude, d’exhaustivité et d’indivisibilité (Carter, 1996; Paine, 1997). Il s’agit d’un élément crucial de l’identité tant pour une personne qu’une organisation. Cette obligation renvoie nécessairement et immédiatement à des valeurs comme l’honnêteté et la justice, à la fiabilité et à la véracité qui sont intrinsèques à la loyauté et à l’exercice de la responsabilité dans des situations difficiles. Pour les Forces canadiennes et leurs membres et le ministère de la Défense nationale et ses employés, l’intégrité fait appel à la concordance avec la conscience morale, le discernement entre le bien et le mal. Elle suppose un jugement équilibré et une action qui concorde avec les jugements. Elle suppose aussi l’exercice soutenu de l’éthique dans l’ensemble de l’organisation et dans toutes les pratiques organisationnelles. Pour maintenir un sens de saine plénitude éthique, l’intégrité suppose une explication ouverte et publique des raisons motivant des actions précises et les raisons de la mise en place de politiques particulières. L’intégrité est absolument essentielle pour l’esprit de corps. L’intégrité donne le courage d’agir face à des défis physiques et moraux et, s’il y a lieu, de le faire au péril de sa vie.

34. Loyauté. L’obligation de loyauté est ancrée d’abord et avant tout dans un fidèle engagement à quelque chose qui a un but, une signification et une valeur. Cela signifie que la valeur éthique de la loyauté est une fonction de la valeur que nous attribuons à l’objet de la loyauté. Dans le cas des Forces armées et de leurs membres et du ministère de la Défense nationale et de ses employés, la loyauté signifie qu’il faut donner suite à ses engagements envers le pays. Ces engagements ne se subordonnent qu’aux principes qui nous définissent en tant qu’êtres humains et membres d’une démocratie. Pour eux, la loyauté signifie faire passer les intérêts de quelqu'un ou de quelque chose d'autre avant certains autres intérêts, notamment ses intérêts personnels. Dans le cas des membres de l’Équipe de la Défense, l'obligation d'être loyal est mentionnée explicitement dans le serment d'allégeance au moment de l'enrôlement dans les Forces canadiennes et au moment de l’entrée dans la Fonction publique. Avec cette promesse solennelle, le militaire reconnaît symboliquement le chef de l’État comme objet ultime de sa loyauté professionnelle. Il est par conséquent compréhensible que la valeur éthique de la loyauté soit intimement liée aux trois principes d’éthique dans l’Énonce d’éthique de la Défense. Tout particulièrement, le principe d’éthique Obéir à l’autorité légale et l’appuyer exige que les membres de l’Équipe de la Défense se conforment aux politiques et aux directives du gouvernement et de leurs supérieurs, sous réserve uniquement des limites de la légalité et de l'admissibilité sur le plan de l'éthique. Bien que le devoir militaire d'obéissance à la volonté et aux directives des supérieurs soit renforcé par le droit militaire, cette obligation n'est jamais absolue ni totale. Néanmoins, les militaires devraient décider d'obéir ou non aux ordres donnés en présumant la légitimité de ces ordres. De plus, toute décision de désobéissance aux ordres devrait être prise avec soin et en pleine conscience qu’elle provoquera probablement une mesure disciplinaire.

35. Pour de nombreuses personnes, la tenue de promesses représente une obligation éthique essentielle liée à la loyauté. Étant donné que la loyauté suppose qu’on remplit ses engagements, elle comporte aussi une obligation de faire et d’honorer ses promesses. Les promesses créent des attentes desquelles dépendent des personnes et des vies. Les promesses peuvent être explicites ou implicites en raison d’une longue pratique. Les promesses constituent la base de toute relation liée à l’emploi et de tout rapport supérieur-subalterne. Les promesses sur lesquelles le personnel a fondé des attentes vont des ordres administratifs des Forces armées, aux contrats et aux ententes collectives, jusqu’aux contrats implicites, aux ententes verbales avec les supérieurs et au « contrat social » avec le peuple canadien et ceux qui servent ses intérêts. Lorsque des personnes dans une organisation font une promesse importante et ne la tiennent pas, pour bon nombre de personnes, il s’agit d’une preuve de manque de loyauté. Qu’elles proviennent du personnel non cadre ou des supérieurs dans la chaîne de commandement, le fait de tenir ou de ne pas tenir des promesses a des effets importants.

36. Courage. Dans son sens courant, le courage est la volonté de faire face à des dangers évidents, à des choses difficiles ou qui peuvent causer la douleur, plutôt que de les éviter. Le danger et le risque font partie intégrante du service militaire. Le courage est aussi démontré lorsque des personnes affrontent des dangers physiques et prennent des risques mortels lorsqu’ils entreprennent les missions qui leur ont été assignées ou que la sécurité d'autres personnes est en péril. Les fonctionnaires et le personnel militaire font aussi preuve de courage lorsqu’ils font les démarches pour chercher et utiliser les mécanismes légitimes pour se faire entendre. Ils démontrent aussi leur courage lorsqu’ils prennent position en public, si nécessaire, pour défendre les valeurs démocratiques et éthiques sur lesquelles reposent leurs responsabilités. Dans un contexte plus vaste, le courage est semblable à la loyauté au sens où sa valeur éthique ultime n’est pas inhérente à elle-même mais bien à l’objectif visé. Par exemple, le courage est intimement lié à l’intégrité, puisqu’il faut du courage pour maintenir son sentiment personnel de plénitude. Le courage concerne aussi la capacité d'être assez intègre, lorsque la responsabilité et le devoir professionnels l'exigent, pour mettre en doute les politiques, les plans et les pratiques qui présentent des lacunes sur le plan juridique, éthique ou professionnel.

37. Honnêteté. Faire preuve d’honnêteté signifie de pratiquer la franchise, la sincérité et l’ouverture dans nos rapports avec les autres. Dans le domaine public, il s’agit utiliser de façon appropriée et avisée les ressources publiques qui nous ont été confiées, c'est-à-dire nous en servir aux fins pour lesquelles elles ont été prévues et sans les gaspiller. L’honnêteté est souvent associée au fait de ne pas mentir, tricher ou voler. L’honnêteté appelle également tout le personnel à éviter les conflits d'intérêts réels ou apparents, à ne pas tirer profit de leurs postes pour obtenir des avantages personnels, à ne pas voler ni détourner d'argent provenant des fonds publics, à ne pas falsifier ni gonfler les demandes de remboursement pour les services rendus ou les dépenses engagées, à ne pas détourner ni utiliser à mauvais escient des ressources dont on leur confie la gestion et à ne pas fournir de services inutiles entraînant des frais non justifiés. Enfin, l’honnêteté signifie aussi la responsabilité de ne pas rester témoin muet devant des cas d’abus, de harcèlement, de mauvaise utilisation des ressources, de gaspillage, de fraude et de conflit d'intérêts.

38. Même si l’honnêteté est particularisée dans l’Énoncé d’éthique de la Défense, elle ramène tout naturellement à l’esprit d’autres obligation éthiques. Dans la plupart des cas, des actions et des pratiques tenues pour honnêtes mais aussi caractérisées comme étant sincères, véritables, fiables et francs. Pour illustrer l’interconnexité des obligations éthiques, examinons comment la sincérité et la franchise, même si elles sont distinctes, chevauchent la signification de l’honnêteté. La sincérité a tendance à porter sur l’aspect factuel des assertions que nous faisons. Par exemple, les affirmations qui concordent avec les faits, qui sont conformes à la réalité et qui peuvent être vérifiés par rapport à cette réalité et qui sont exacts sont des qualités auxquelles on s’attend. Par opposition, l’honnêteté porte sur les intentions et les croyances des personnes qui font les affirmations. Ainsi, nous pourrions déterminer qu’une personne a été très honnête dans son témoignage ou qu’elle était entièrement dans l’erreur. Dans une telle situation, nous établissons naturellement une distinction entre une erreur de jugement et un mensonge intentionnel. Même si les considérations relatives aux privilèges ou aux sensibilités peuvent justifier la dissimulation d’information factuelle à des tierces parties dans des circonstances particulières, les obligations d’honnêteté et de sincérité ne justifient évidemment pas le mensonge, la tromperie ou la dissimulation d’information en vue d’une prise de décision qui pourrait éviter des blessures probables. La franchise est une autre obligation éthique qui chevauche la signification de l’honnêteté. Ce qui distingue la franchise des obligations d’honnêteté et de sincérité est l’accent placé sur le devoir de divulguer entièrement toute l'information qui pourrait influer sur le processus de prise de décision et d’action, ce qui comprend le fait d’expliquer la signification de certains types d'information, qui pourraient influencer la prise de décisions et les actions de tiers. Dans un contexte de défense, il est facile de comprendre que l’honnêteté, la sincérité et la franchise, dans le cadre de l'évaluation des capacités et des insuffisances militaires, à tous les niveaux de l'organisation, sont des éléments indispensables aux processus sains de formulation de politiques et de prises de décision. L'établissement de rapports inexacts et la divulgation partielle de renseignements peuvent entraîner des catastrophes militaires ou d'autres résultats susceptibles de discréditer l'organisation et de miner la confiance.

39. Équité. En général, la justice suppose d’accorder un traitement aux personnes, aux groupes et aux situations qui est juste, équitable et sans parti pris. Les décisions et les résultats sont considérés équitables dans la mesure où ils découlent d’une norme acceptée de droiture, qui dans certaines circonstances, inclut le critère de la considération et de l’attention. Par exemple, des décisions qui ont un effet négatif sur la vie du personnel peuvent être nécessaires de façon objective et justifiées sur le plan juridique. Cependant, il serait injuste de les mettre en oeuvre en faisant fi de la vie des personnes touchées. L’équité, particulièrement dans l’exercice d’un mandat public, fait appel à des décisions et des résultats qui visent les autres et l’intérêt public sans égard à ses propres préférences personnelles. Le traitement équitable des subalternes par leurs administrateurs et supérieurs est aussi une condition indispensable de la confiance et de la loyauté de ces subalternes envers leurs chefs et l’organisation.

40. Cette obligation d’équité s’applique à la fois aux questions administratives et disciplinaires, et elle exige non seulement des résultats équitables, mais aussi des procédures équitables pour décider de ces résultats. Les décisions et les résultats sont considérés équitables si les récompenses, les avantages, les pénalités et les fardeaux sont distribués conformément à une norme objective de mérite ou de démérite, et non de manière arbitraire. Les procédures sont considérées comme justes si les subalternes sont dûment informés de la nature de toute question les affectant directement, si on les avertit suffisamment à temps de toute audience ou de tout processus administratif connexe, si les audiences et les examens se font en toute impartialité, si on leur donne l’occasion d’énoncer leurs points de vue et, au besoin, de contester les renseignements présentés et s’ils ont accès à un processus d’appel. Faire preuve d’équité signifie aussi ne pas faire de discrimination à l’égard de quelque individu ou groupe que ce soit en se fondant sur des caractéristiques personnelles qui n’ont rien à voir avec le type de décision rendue ou l’issue à déterminer.

41. L’impartialité est une obligation éthique étroitement associée à l’équité. En tant qu'obligation s'appliquant à chaque particulier, aux fournisseurs et aux entrepreneurs faisant affaire avec le gouvernement et à d'autres tierces parties, l'impartialité comprend le fait de donner des chances égales en ce qui a trait à l'accès à l'emploi et aux services, de suivre des procédures administratives et gestionnaires équitables et d’appliquer les politiques et les règlements sans accorder de privilèges et sans parti pris. Par exemple, dans les cas où au moins deux populations ou plus sont protégées par les Forces canadiennes ou reçoivent de l'aide et de l'assistance de la part de l'équipe de la Défense, l'impartialité exige que toutes les parties soient traitées avec respect, avec une même considération et sans discrimination. Cependant, l’obligation d’équité suppose qu’il faut éviter une impartialité aveugle tellement rigide qu’elle soit indifférente et insensible à la souffrance humaine. À la limite, l’équité suppose un délicat équilibre entre l’impartialité et notre sens d’humanité et de justice.

42. Responsabilité. Si l’intégrité suppose un sens de la plénitude, de l’exhaustivité et de l’indivisibilité, la responsabilité représente l’obligation éthique qui permet et maintient l’intégrité. D’une part, la responsabilité tient pour acquis que les personnes et les organisations supposent immédiatement et entièrement ce qui est attendu d’eux. D’autre part, cela signifie qu’elles s’attendent à rendre compte à quelqu’un de leurs décisions et des résultats. La responsabilité exige que les personnes et les organisations démontrent qu’elles sont capables d’établir une distinction entre le bien et le mal et qu’elles pratiquent et chérissent le bien. Dans ce qui suit, nous abordons le rapport entre la responsabilité et l’obligation de rendre compte. En outre, nous caractérisons un lien spécial entre la responsabilité et le bien-être d’autrui en décrivant les obligations de considération et d’attention, d’assurer la compétence et de ne pas blesser.

43. L’obligation de rendre compte suppose l’obligation de répondre à quelqu’un des faits et gestes attendus. Cela suppose l'obligation de fournir des explications et des renseignements complets et exacts. Cette obligation exige de donner des explications visant à faciliter les évaluations en ce qui a trait au caractère adéquat du rendement et des services fournis, y compris les procédures suivies et les résultats obtenus. Cette obligation signifie également que les membres du Ministère et des Forces canadiennes doivent individuellement rendre compte à leurs supérieurs de leur rendement et des résultats raisonnablement prévisibles de leurs décisions et de leurs actions, tout comme le Ministre est responsable devant le Parlement, les organismes de réglementation fédéraux et le public, pour ce qui est de l'ensemble du Ministère et des Forces canadiennes.

44. La responsabilité nécessite d’équilibrer la rationalité avec soin et d’agir en conséquence. Il n’y a pas de doute que la responsabilité entraîne dans son sillon le sentiment d’être responsable vis-à-vis de ceux dont avons la charge et dont le bien-être est entre nos mains. L’attention et la considération sont des obligations générales dans toute relation de dépendance, mais elles sont particulièrement exigées de ceux qui disposent de relativement plus de pouvoir. L'obligation morale de voir au bien-être des subalternes militaires est particulièrement importante en raison du fait que l’interdépendance entre supérieurs et subalternes est critique dans des entreprises militaires et parce que les supérieurs militaires disposent d’une autorité et d’un pouvoir exceptionnels. Par conséquent, l’attention et la considération à accorder aux subalternes comprennent plus que les devoirs minimums en vue d'éviter les blessures et d'assurer un traitement équitable ainsi que les autres obligations connexes. Sous réserve uniquement des exigences de la mission de défense et des limites qu’imposent les ressources disponibles, l'obligation d’attention et de considération inclut un devoir positif de veiller à la sécurité et au bien-être généraux des subalternes par des politiques, des programmes et des services de soutien adéquats, en retour de la confiance, de la loyauté et du service de ceux-ci. Les militaires et les employés ressentent à tous les jours le pouvoir de l’organisation de la Défense. La responsabilité suppose aussi qu’il faut s’assurer que ce pouvoir s’exerce sans cruauté et avec considération et attention.

45. Peu importe la profession ou le travail, la compétence est importante, mais elle est davantage critique pour le personnel militaire en raison de la gravité des conséquences des erreurs. Ainsi, la responsabilité oblige d’assurer que le personnel est capable d’assumer de façon fiable les engagements et les tâches, en grande partie par le truchement du perfectionnement professionnel. Le perfectionnement professionnel désigne le processus planifié et progressif de formation, d’éducation, d’emploi et d’expériences associées qui prépare chaque membre de l’Équipe de la Défense à s’acquitter de ses tâches et fonctions assignées, à l’appui des besoins opérationnels et des objectifs du Ministère. L’obligation de favoriser le perfectionnement professionnel des membres de la Défense, chacun par rapport à son rôle, découle directement de l’obligation collective du Ministère et des Forces canadiennes à l’égard du Canada et de sa population pour la prestation d’un service compétent.

46. Il convient de se pencher quelque peu sur la relation entre la responsabilité et l’obligation de ne pas blesser. À cet égard, nous sommes généralement tenus d'éviter de nuire à d'autres personnes ou de les blesser. Cette obligation est l'expression des principes universels ayant trait à la valeur intrinsèque de la personne et à l'inviolabilité des droits naturels fondamentaux. Elle est aussi une conséquence de notre faculté naturelle d’empathie à l’endroit des autres êtres humains. En tant que valeur universelle, l’obligation de ne pas blesser représente une mesure de protection pour toutes les autres valeurs morales. Cela signifie que toute décision ou tout résultat envisagé qui se justifie principalement par la notion de justice, de considération et d’attention, ou d’accomplissement de la mission mais qui causera néanmoins des blessures ou des torts, doit être évité dans la mesure du possible. En ce qui a trait aux opérations militaires, la codification de nombreux types de conduite interdites dans le droit international de la guerre témoigne de l'importance d'éviter les cruautés inutiles et de limiter l'utilisation de la force au minimum requis pour les besoins militaires.

Application des principes et des valeurs de l’ethique de la Defense

47. Avant d’aborder, dans les deux prochaines sections, l’éthique de la Défense par rapport à l’individu et à l’organisation, on présente dans la présente section des lignes directrices générales sur l’utilité de l’Énoncé d’éthique de la Défense dans la prise de décision et, en particulier, la question des dilemmes d’éthique.

Utilisation de l’Énoncé d’éthique de la Défense

48. Il importe d’insister sur le fait qu’il n’existe aucune règle ou formule universellement acceptée qui garantisse une seule solution éthique à chacun des problèmes auxquels l’on est susceptible de faire face en milieu de travail. Cependant, pour vérifier de façon générale si une décision, une option ou une démarche particulière est acceptable sur le plan éthique, on peut se demander si l’action envisagée contrevient de quelque façon aux principes généraux ou aux obligations éthiques présentées dans l’Énoncé d’éthique de la Défense. Si ce questionnement éthique révèle des facteurs de quelque importance qui n’ont pas été pondérés dans la décision ou la façon de la mettre en oeuvre, il faut alors à tout le moins revoir le processus de prise de décision. En revanche, si le questionnement éthique révèle que la démarche qu’on entend adopter contrevient à un ou plusieurs des principes généraux ou des obligations éthiques contenus dans l’Énoncé d’éthique de la Défense, il convient alors de remettre en question l’éthique de l’option retenue. Il est permis de persister dans cette ligne de conduite uniquement si celle-ci peut être justifiée par le recours réfléchi à un principe éthique prépondérant ou, dans le cas d’une obligation éthique, à au moins une autre obligation éthique ayant une plus grande force exécutoire dans la situation en cause. Dans bien des cas, il suffit de poser une question pour déclencher notre perception d’un élément qui mérite d’être considéré sur le plan éthique dans une situation. Sans la question : « Y a-t-il un élément à caractère éthique dans ce que nous décidons de faire ou dans la façon que nous planifions de le faire? », l’idée que la décision ou l’action envisagée pourrait toucher à l’éthique ne viendrait tout simplement pas à l’esprit. Une fois qu’elle a été « mijotée » en répondant consciemment à la question, la décision ou l’action qui en découle, même si elle est inchangée, a le mérite d’avoir été soumise à un genre de questionnement éthique.

49. Dans le cas de certaines décisions et situations, il est possible que nous ayons encore des doutes quant à ce qu’il convient de faire ou ce qui est la meilleure solution, même après avoir obtenu l’avis d’experts et avoir réfléchi longuement à la question. C’est la nature des questions complexes : il existe de nombreuses façons de les envisager. Cela suppose qu’une option de rechange préconisée par une autre personne pourrait possiblement servir à remettre en question l’option que nous avons privilégiée. En outre, toute action produira des effets imprévus et imprévisibles qui pourront servir à d’autres et à nous-mêmes pour remettre en question le bien-fondé de l’action prise. Dans de telles circonstances, le seul recours qui reste est la conviction personnelle d’avoir adopté le raisonnement le meilleur et le plus humain.

50. Un simple modèle du processus de prise de décision nous aide à réfléchir aux situations difficiles qui présentent une dimension éthique. Grâce à un tel modèle, nous contribuons à enrichir notre analyse et à améliorer la cohérence de notre prise de décision. Du point de vue des sciences sociales, on peut prétendre que tout processus décisionnel, qu’il soit de caractère éthique ou neutre, est essentiellement le même. En généralisant, on peut affirmer qu'un modèle cognitif de prise de décision compte quatre composantes : (1) perception; (2) évaluation; (3) prise de décision; (4) mise en oeuvre de la décision.

51. La première étape du processus est forcément la perception. La perception comprend tout ce qu’on observe dans une situation et l’interprétation qu’on peut en faire. Lorsque nous ne percevons pas le caractère éthique d’une situation, alors, du moins pour nous, cette situation ne comporte pas d’aspect éthique. C'est à cette étape que nous devons bien définir l'objet de la décision. Au cours de la deuxième étape, c'est-à-dire l'évaluation, la personne se concentre sur la situation elle-même. Une fois qu’une personne a perçu l’aspect éthique d’une situation, elle doit analyser cette dernière pour cerner tous les autres facteurs important et pertinents. Enfin, la personne exerce son jugement en formulant des options qui permettent de concilier le mieux possible tous les facteurs qui s’opposent. La personne est portée à effectuer l'analyse de façon impersonnelle parce qu'elle ne tient pas compte encore des effets éventuels des options visées sur elle-même. Durant la troisième étape, la prise de décision, la personne fait appel encore une fois à son jugement en sélectionnant une option particulière. Cependant, c'est à cette étape que les facteurs personnels deviennent évidents et qu'ils s'imposent parfois avec force. À ce moment, une personne est en mesure d'envisager les conséquences éventuelles d'une option sur elle-même ou sur autrui. Il se peut qu'une personne soit alors obligée de revenir à l'étape de l'évaluation pour formuler une autre option qui concilie d'une façon quelconque tous les facteurs impersonnels et personnels qui surgissent. La dernière étape du modèle de prise de décision est la mise en oeuvre de la décision. Si on vivait dans un monde où on pouvait prendre conscience de tout, la mise en oeuvre impliquerait seulement la supervision et le contrôle des mesures nécessaires à la concrétisation de la décision. Toutefois, la mise en oeuvre nous oblige souvent à faire face à des difficultés imprévues et imprévisibles qui sont liées à l'application des options choisies. Parfois, nous ne sommes pas pleinement conscients de la résistance qu'opposeront certaines personnes à la voie choisie. Dans d'autres cas, la réalité prend le dessus et les obstacles qui font surface rendent impossible la mise en oeuvre de la décision. Les risques de résistances et d'obstacles augmentent lorsque l'application de la décision prend beaucoup de temps. Cela peut être attribuable à plusieurs facteurs, par exemple : une nouvelle politique en matière de ressources humaines est sur le point d'être promulguée, une ressource essentielle n'est pas disponible ou un membre de la famille de la personne concernée tombe gravement malade de façon soudaine. Dans tous les cas, nous sommes forcés de revenir à l'étape précédente et d'entreprendre à nouveau le processus de prise de décision. Il faut souligner qu’à ces quatre étapes on en ajoute souvent une cinquième : l’apprentissage. Comme les décisions du passé influent sur celles de l'avenir, il ne fait aucun doute que nous devons tirer des leçons des décisions déjà prises pour améliorer celles du futur. Même si un modèle de prise de décision nous aide à comprendre les tenants et les aboutissants du processus décisionnel et que son application répétée contribue manifestement à l'amélioration des décisions, il ne faut jamais perdre de vue qu’il s’agit seulement d’un outil.

Faire face aux dilemmes sur le plan éthique

52. Dans le cas de la plupart des décisions et des situations relatives à nos rôles au service du public, les principes et les obligations dans l’Énoncé d’éthique de la Défense peuvent contribuer à distinguer ce qui est éthique de ce qui discutable ou de toute évidence contraire à l’éthique. Les lignes directrices précises suivantes sont fondées sur l’Énoncé d’éthique de la Défense visent à aider à faire des choix éthiques équilibrés et à résoudre les dilemmes sur le plan éthique. Elles décrivent la prise de décision qui intègre les aspects hiérarchiques des trois principes généraux et suggère des façons de soupeser les six obligations éthiques également pondérées lorsqu’elles contribuent à susciter des réactions adverses.

53. Compte non tenu des situations où il faut choisir de faire ce qui est bon et ce qui semble mauvais de toute évidence, on trouve trois types généraux de dilemme sur le plan éthique. Ils peuvent être décrits comme suit : (1) le de l’incertitude, (2) le dilemme des obligations concurrentes et (3) le dilemme de ne pas blesser. De nature plus générale, le dilemme de l’incertitude suppose toute situation où nous sommes incertains de la bonne chose à faire, même si nous sommes certains qu’il ne s’agit pas d’un simple choix entre le bien et le mal. Étant donné qu’un grand nombre de situations ayant trait à l’acquittement de nos responsabilités ne représentent pas des options parfaitement tranchées, il se trouve des exemples évidents dans les situations où il faut faire la bonne chose suivant des degrés divers en fonction d’une obligation. Dans de telles situations, nous n’avons pas de problème à l’évaluer intuitivement comme un cas « d’honnêteté » ou « d’équité » ou une autre obligation. Par exemple, l’éventualité de ce genre de dilemme s’illustre dans les lignes directrices en matière de conflit d’intérêts relativement aux dons et aux dépenses de représentation. Pour garantir l’équité dans le traitement de tous les fournisseurs de services gouvernementaux, les directives stipulent que seuls des dons d’une valeur « nominale » peuvent être acceptés (y compris les déjeuners) des fournisseurs. Mais étant donné que les lignes directrices ne dictent pas de façon catégorique qu’aucun don ne puisse être accepté, il faut alors exercer un bon jugement pour établir ce qui est « nominal » et il se présentera des cas où vous serez (ou devriez être) incertain de ce qui est éthique ou ne l’est pas.

54. Le deuxième type de dilemme est le dilemme d’obligations concurrentes. Il existe certains cas où plus d’une décision, option ou ligne de conduite concorde avec différentes valeurs et obligations éthiques de base. Ces lignes de conduite comportent des obligations concurrentes parce que la satisfaction des exigences d’une obligation ne permet pas de satisfaire entièrement les exigences d’une ou plusieurs autres obligations. Par exemple, une situation peut survenir qui sollicite notre détermination à être loyal envers nos engagements vis-à-vis des Forces canadiennes et du ministère de la Défense nationale et l’exigence d’être juste et honnête envers les personnes de notre entourage. Pour résoudre pareille contradiction entre les valeurs et les obligations éthiques, reportez-vous aux principes généraux et adoptez la ligne de conduite qui est la plus conforme à la hiérarchie établie. Si la contradiction est entre le principe I (Respecter la dignité de toute personne) et le principe II (Servir le Canada avant soi-même) ou le principe III (Obéir à l’autorité légale et l’appuyer), c'est habituellement le principe I qui prévaut. Toutefois, dans certaines circonstances, il se peut que vous puissiez justifier sur le plan de l’éthique d’outrepasser le principe I, bien que, pour le traitement des conséquences de ce passe-droit, le principe du Respect de la dignité de toute personne doive avoir préséance. Si ce sont les principes II et III qui s'opposent, le principe II prévaudrait habituellement. Toutefois, une analyse plus poussée révélerait sans doute que dans ces cas le principe II ou le principe III joue aussi grandement. Ainsi, si la situation mettant en jeu le respect de la dignité de plus d’un groupe de personnes, il y a fort à parier que les principes II et III sont en jeu. Mais même dans les cas de passe-droit, en cherchant les moyens de contrer les conséquences qui découleront vraisemblablement d’un contournement, le principe du respect de la dignité des personnes doit prévaloir. Dans un même ordre d’idées si ce sont les obligations en regard du principe II dans un cas et au principe III dans un autre qui s’opposent, le principe II devrait avoir préséance.

55. Le troisième dilemme est celui de ne pas blesser. Ce dilemme désigne les situations pénibles où, particulièrement dans le contexte militaire, peu importe les mesures qu'on prendra, on causera du tort ou des blessures à autrui. Dans ces cas, il faut d'abord réexaminer les options offertes et tenter de déterminer quelque solution non nuisible. Si l'on a épuisé toutes les options raisonnables et qu'il est impossible d'éviter le risque d’effets nuisibles, on conviendra habituellement d'adopter la ligne de conduite qui causera le moins de tort ou de blessures. Cependant, compte tenu des impacts négatifs d’ordre psychologique ou social d’une telle politique ou action, il faudra habituellement prendre des mesures supplémentaires pour en compenser ou atténuer les effets nuisibles. Le syndrome de stress post-traumatique est un exemple d’effet psychologique négatif qui fait des victimes parmi le personnel qui revient de mission. Par conséquent, il faut habituellement prendre des mesures pour atténuer ou mitiger ces effets nuisibles additionnels.

L’éthique de la Défense et l’individual

56. Pour que l’éthique soit bien-portante, elle doit être d’une seule étoffe imprégnée d’éthique, tant à l’échelon collectif qu’individuel à la Défense. Les membres des Forces canadiennes et les employés du ministère de la Défense nationale acceptent volontiers que leurs rôles organisationnels comportent des obligations à caractère éthique. Dans le cas des fonctionnaires, les obligations éthiques vont de concert avec les modalités et conditions plus générales contenues dans leur contrat de travail. Le personnel militaire n’a pas, à proprement parler de « contrat de travail ». Leurs obligations éthiques se trouvent dans leur serment et la multitude de lois, de règles et de règlements qu’ils doivent respecter. Dans la présente section, nous examinons de plus près l’effet de l’éthique de la défense sur l’individu. Tout particulièrement, nous nous penchons sur ce que les sciences sociales ont à dire au sujet du développent moral personnel et nous examinerons la notion de la personne d’intégrité.

Comprendre le développement moral

57. Tout le personnel de la Défense est visé par la nécessité d’accorder une plus grande place à l’éthique dans les actions entreprises et les résultats obtenus. Le Programme d’éthique de la Défense a pour mission d’aider des personnes bien intentionnées à agir conformément aux règles morales. Gardant cela à l’esprit, il convient d’examiner ce que les sciences sociales trouvent au sujet du développement moral personnel.

58. Laurence Kohlberg et ceux qui l’ont suivi dans sa recherche représentent un important courant d’opinions. Kohlberg veut que le développement moral chez l’individu comprenne trois grands niveaux : d’abord, celui d’un comportement surtout déterminé par des récompenses et sanctions externes; deuxièmement, un niveau où la motivation est la conformité aux attentes d’une société élargie; et enfin un troisième niveau où le comportement obéit à des valeurs et à des principes universels. On appréciera donc que si quelqu’un choisissait de décider des comportements acceptables avec pour seul critère la conformité aux lois sociales, cette approche se limiterait au niveau deux. Une utilisation rigide de ce modèle encourage une vision minimaliste et incorrecte du comportement l’éthique selon laquelle l’absence de prohibition légale équivaut à un feu vert. Pourtant, il est faux de tenir pour acquis que tout geste qui n’est pas illégal est acceptable sur le plan éthique.

59. Une affirmation particulière concerne le fait qu’une grande partie des travaux de Kohlberg sont axés sur la faculté d’un individu de porter des jugements. Lorsque nous avons discuté des quatre étapes du modèle de prise de décision - (1) perception, (2) évaluation, (3) prise de décision et (4) mise en oeuvre de la décision -, nous avons souligné que le jugement jouait un rôle important, parculièrement aux étapes 2 et 3. De nombreux chercheurs ont fait comme Kohlberg : ils ont mené des recherches sur le développement de la faculté de porter des jugements parce que le lien entre la connaissance et le jugement est fort et que le progrès lié à l'exercice de cette faculté se prête bien aux mesures dans le contexte de la formation. Certains se sont demandés si on s'attendait à trop en se concentrant principalement sur le développement des capacités de jugement. J.R. Rest, A. Schlaefli, et S.J. Thoma (1985) ont passé en revue 55 études des résultats des cours de développement du jugement moral donnés dans les établissements d’enseignement. Ils ont conclu que les meilleurs résultats sont atteints dans des modules de trois à douze semaines de cours et que ce sont les programmes offerts à des adultes qui débouchent sur une meilleure amélioration du jugement moral. Toutefois, même si de tels cours étaient dispensés à tout le monde, les recherches révèlent la faiblesse du lien unissant le jugement moral et l’action - c’est-à-dire entre la connaissance du comportement approprié et sa pratique. En outre, le fait de diriger tous nos efforts vers l’amélioration des capacités de jugement moral a pour effet de négliger ce problème de passage à l’acte, qui relève surtout de l’influence de l’environnement sur le processus de prise de décision éthique de chaque personne.

60. Même si une grande part des travaux de Kohlberg établit un lien entre la progression séquentielle à travers les stades du développement moral et sa faculté de porter un jugement moral, d’autres chercheurs préconisent une interprétation plus complète du développement moral. C’est ainsi que James Rest a proposé un modèle à quatre composantes des facteurs déterminants du comportement moral : la sensibilité morale, le jugement moral, la motivation morale et la fibre morale (Rest, 1994). Rest prétend que les composantes non seulement interagissent et s’imbriquent ensemble de façon dynamique mais qu’elles seraient aussi distinctes à plusieurs égards. La première composante, la sensibilité morale, désigne l’habilité d’interpréter une situation. La deuxième composante, le jugement moral, est limitée à l’acte de juger du caractère moral et amoral des actions et des résultats. La troisième composante, la motivation morale, porte sur la manière de prioriser les valeurs morales par rapport à d’autres types de valeurs. Enfin, la dernière composante, la fibre morale, concerne les éléments qui constitue le caractère, comme l’entregent, le courage et la persévérance. De manière semblable, la chercheuse, Linda Klebe Trevino, propose un modèle interactionniste personne-situation qui recoupe le modèle de développement cognitif de Kohlberg, mais qui tient mieux compte de l’effet de l’environnement d’une personne sur le comportement moral. Il s’agit entre autres des facteurs touchant le contexte et les caractéristiques du travail ainsi que la culture organisationnelle.

61. Par opposition, d’autres chercheurs en psychologie sociale ont pris leur distance par rapport à l’approche de Kohlberg. Ils voient que d’autres facteurs contribuent de manière fondamentale au développement moral et dénotent que l’approche de Kohlberg ne laisse que peu ou pas de place à ces facteurs. Partisan de ce courant d’opinions, Martin Hoffman insiste sur l’importance de notre faculté d’empathie avec d’autres êtres humains et leurs souffrances. Il soutient que nous possédons une faculté innée d’avoir une réaction affective à la situation d’une autre personne qui est plus appropriée à autrui qu’à soi-même. Cette faculté d’avoir une réaction affective peut se développer par socialisation et représente une assise importante du développement moral. Hoffman soutient que l’effet de l’empathie contribue à l’intériorisation et à l’activation de certains de nos principes moraux. Ainsi, une approche exhaustive à une théorie du développement moral doit accorder de l’importance non seulement au développement des facultés cognitives, mais aussi à nos facultés d’empathie (Hoffman, 1991). Carol Gilligan et les chercheurs qui partagent ses idées offrent une autre perspective. Ils soulignent le lien solide entre le sexe et le développement social et que les différences qui en découlent jouent un rôle déterminant dans le développement du comportement moral. Par exemple, Gilligan s’oppose à une certaine tendance à interpréter l’éthique uniquement par rapport à une certaine perception de la justice qui accorde trop d’importance à l’objectivité et à l’impartialité et au paradigme de la loi. En contraste à ce type de justice, Gilligan propose que les obligations d’attention et de considération pour l’être humain sont des éléments fondamentaux de la moralité et du développement moral (Gilligan, 1988).

62. L’élaboration du Programme d’éthique de la Défense repose sur une stratégie d’intégration des diverses approches. Ainsi, le Programme d’éthique de la Défense est fortement influencé par l’affirmation que le comportement et le développement moraux dépendent du jeu réciproque de facteurs personnels et environnementaux. Le programme suggère que l’individu agit à l’un des trois grands niveaux définis par Kohlberg pour faire face à n’importe quelle question : (1) un niveau où le comportement est surtout déterminé par des récompenses et sanctions externes; (2) un niveau où la motivation est la conformité aux attentes d’une société élargie; et (3) un niveau où le comportement obéit à des valeurs et à des principes universels. Cependant, le programme réfute la stricte interprétation de l’approche par stages préconisée par Kohlberg. Par exemple, il existe de nombreuses situations dans la vie où il convient tout à fait de laisser guider son comportement par une approche traditionnelle à l’ordre public, jusqu’à ce qu’on ait une raison de remettre en question cette attitude. En outre, le Programme d’éthique de la Défense considère que la personnalité et le caractère possèdent des dimensions multiples et que le développement moral dans n’importe quel de ces dimensions peut varier selon l’expérience et la connaissance. Le programme réagit aussi aux idées mises de l’avant par Gilligan, particulièrement en évitant un définition étroite de la justice qui ne tient pas compte de la notion de l’obligation de considération et d’attention pour autrui. Or, le programme laisse aussi place au rôle de l’empathie pour un autre être humain dans l’évaluation du comportement qu’il convient d’adopter au sens moral.

63. En résumé, le Programme d’éthique de la Défense épouse les idées suivantes. Le programme doit tenir compte de la recherche dans les sciences sociales sur le développement moral étant donné que les décisions et les actions des personnes dans un rôle de service au public ont un effet sur les gens. On perçoit les niveaux kolhbergiens de développement moral comme des catégories descriptives de la façon de porter des jugements éthiques et on tient pour acquis que le comportement éthique dépend du contexte et de la motivation. On considère dans le programme que les individus peuvent choisir d’adopter des utilisations habituelles des catégories ou de choisir une catégorie selon une évaluation à plusieurs composantes de l’importance de la question et des facteurs motivationnels connexes. De plus, ces choix sont fortement influencés par des facteurs environnementaux. Les individus doivent continuellement tenir compte des obligations de considération et d’attention, et faire preuve d’empathie dans l’exécution de leurs fonctions et de leurs tâches.

La personne d’intégrité

64. Le Programme d’éthique de la Défense se fonde sur la conviction que l’éthique n’est pas seulement une responsabilité collective : en bout de ligne, l’éthique a un caractère individuel. Il se fonde aussi sur la croyance que chaque individu dans les Forces canadiennes et le ministère de la Défense nationale s’efforce d’être une personne d’intégrité. Qu’est-ce que l’intégrité ? En décrivant l’Énoncé d’éthique de la Défense nous avons insisté sur le sens de plénitude et d’exhaustivité véhiculé par le terme intégrité. Cette signification se trouve aussi dans l’expression « personne d’intégrité ». Le Oxford Companion to Philosophy offre cette description de l’intégrité : c’est « la qualité d’une personne dont on peut compter qu’elle accordera préséance à des considérations éthiques, même lorsqu’il existe de fortes pressions pour laisser l’intérêt personnel ou quelque désir pressant s’y substituer ou lorsqu’une transgression du principe moral pourrait demeurer non détectée. Posséder de l’intégrité, c’est éprouver un engagement inconditionnel et immuable à l’égard des valeurs et des obligations éthiques (...). Cet engagement moral devient un élément crucial du sentiment d’identité de la personne : il lui confère une unité (intégration) de caractère ». Chaque individu dans les Forces canadiennes et le ministère de la Défense nationale est appelé à être une personne d’intégrité, une personne dont on peut compter qu’elle accordera la priorité aux considérations éthiques, même lorsqu’il existe de fortes pressions en sens contraire. En ce sens, les personnes d’intégrité portent toujours leurs jugements conformément à des principes et des obligations éthiques.

65. Le Programme d’éthique de la Défense est un programme qui favorise l’expression de valeurs plutôt que l’observation de règles parce qu’il repose principalement sur la croyance positive que le personnel veut généralement avoir une comportement moral. Même si certains comportements doivent être interdits et font appel à des mesures visant à assurer la conformité, une approche axée sur l’expression de valeurs a pour point de mire les valeurs entrant en jeu lorsque le personnel s’efforce d’agir de façon responsable et en toute intégrité. Dans ce contexte, l’objet de la promulgation des principes et des obligations éthiques dans l’Énoncé d’éthique de la défense est d’aide le personnel à se développer elles-mêmes en tant que personnes d’intégrité par une pratique consciente et visible de ces principes et obligations. La responsabilité première du personnel à tous les niveaux est de montrer l'exemple d'un comportement conforme à l'éthique. Un façon de le faire est de tenir compte des considérations éthiques dans la justification de toute prise de décision et d’action. Il incombe aussi aux individus de promouvoir et de favoriser, au sein des unités et des groupes de travail, des normes élevées en ce qui a trait à la conduite éthique. Cela peut les appeler à mettre en question les politiques et les pratiques qui ne satisfont pas aux normes éthiques exposées dans le présent document, à faire part de leurs préoccupations au sujet de comportements qui ne semblent pas conformes à l'éthique et à signaler finalement à une autorité compétente les infractions flagrantes et graves au code d'éthique, en l’absence d’autre recours.

66. Pour s’acquitter de leur rôle sur le plan éthique dans leurs fonctions, les individus doivent avoir une conscience accrue des valeurs et des principes que devraient promouvoir les Forces canadiennes et le ministère de la Défense nationale au Canada et partout dans le monde ainsi que des risques et des vulnérabilités pouvant survenir sur le plan de l’éthique. À n’en pas douter, les comportements douteux ou contraires à l'éthique, lorsqu’ils échappent à tout contrôle ou à toute correction, corrompent tout l’environnement éthique de la Défense. Enfin, il faut également, comme condition essentielle à un comportement éthique, que l’environnement de défense au Canada favorise véritablement l’adoption d’une attitude éthique, sur le plan conceptuel aussi bien que pratique.

L’éthique de la Défense et son environnement institutionnel

67. Le préambule à l’Énoncé d’éthique de la Défense décrit le caractère réciproque des obligations entre les Forces canadiennes et ses membres et le ministère de la Défense et ses employés. L’institution et les individus sont liés par leur engagement à respecter un ensemble de principes et obligations éthiques. S’il s’avère que les membres des Forces canadiennes et le ministère de la Défense nationale ont des obligations éthiques envers leurs organisations, il est également vrai que les Forces canadiennes et le ministère de la Défense ont des obligations éthiques envers leurs membres et leurs employés. Dans le cas des fonctionnaires, les obligations éthiques de l’organisation vont au-delà des modalités du contrat d’emploi, même si elles comprennent certainement ces obligations contractuelles. Cela s’avère aussi pour le personnel militaire qui ne possède pas à proprement dire de « contrat d’emploi », non plus que le bénéfice de pouvoir renégocier périodiquement ses modalités et conditions d’emploi soit individuellement ou par l’entremise de son syndicat.

68. Dans la présente section, nous examinons de plus près les responsabilités organisationnelles concernant l’éthique dans le domaine public et leur influence sur le personnel militaire et de la fonction publique. En particulier, nous nous penchons sur les raisons qui devraient motiver les Forces canadienne et le ministère de la Défense nationale à veiller à l’épanouissement éthique au sein du personnel et la façon de contribuer à créer un environnement qui favorise le croissance de l’éthique par le biais du Programme d’éthique de la Défense.

Un environnement pour la croissance de l’éthique

69. Même si l’éthique de la Défense s’applique de façon similaire à l’ensemble du personnel, il apparaît que les employés ne possèdent pas tous le même niveau de connaissance de l’éthique non plus que la même expérience pratique pour faire face à des questions complexes qu’il faut pondérer convenablement. Au début de son livre, Cases in Leadership, Ethics, and Organizational Integrity (1997), Lynn Sharp Paine traite de deux croyances généralisées qui influencent les attitudes envers la question de la croissance de l’éthique : (1) l’éthique est acquise dès l’enfance et, par conséquent, il est donc trop tard lorsque les personnes sont adultes et occupent un rôle de leadership et (2) nous sommes tous pour la plupart d’entre nous des personnes dont le comportement est éthique et nous n’avons donc pas vraiment besoin de programmes d’éducation en éthique.

70. En réponse à la première croyance, il faut remarquer que la plupart des chercheurs et des praticiens en sciences sociales sont aujourd’hui d’avis que le développement humain, y compris le développement moral, est un processus évolutif (Buskist & Gerbing, 1990). En particulier, de nombreuses études révèlent toutes que non seulement les adultes démontrent plus de changement que les plus jeunes après avoir suivi des programmes d’éthique, mais que le développement moral continue toute la vie durant (Rest & Narvàez, 1994) Comme Lynn Sharp Paine le souligne, il est indéniable que l’être humain acquiert des attitudes fondamentales envers le bien et le mal et d’autres valeurs éthiques importantes dès le plus jeune âge. Cependant, il n’y a pas non plus de doute que très peu d’entre nous apprenions énormément au cours de ces années des responsabilités des rôles que nous occuperons plus tard au cours de la vie, comme ceux de la vie militaire et dans la fonction publique. En conséquence, elle indique que « les personnes éthiques voudront non seulement apprendre les responsabilités afférentes au rôle qu’elles occupent, mais elles voudront aussi, avec le temps, améliorer leur efficacité à s’acquitter de leurs responsabilités » (Paine, 1997). Dans ce contexte, peu surprenant que la recherche confirme l’existence d’un lien important entre les programmes d’éthique et la croissance éthique. Par exemple, une enquête en 1994 menée par le Ethics Resource Centre Inc. ayant pour sujet Ethics in American Business: Policies, Programs, and Perceptions a révélé que 49 p. 100 des répondants croyaient que leur éthique en milieu de travail s’était améliorée au cours de leur carrière. L’enquête a aussi démontré que le personnel d’entreprises qui s’étaient dotées de programmes d’éthique exhaustifs partageait aussi plus fortement cet opinion.

71. En réaction à la deuxième croyance, il est assez juste de supposer en premier lieu que la plupart des personnes sont foncièrement honnêtes, mais qu’une organisation qui aspire à établir un niveau élevé d’intégrité ne peut en rester là. La recherche a démontré que les individus qui comptaient uniquement sur leur conscience pouvaient faire des jugement d’ordre éthique très différents en ce qui a trait à leur travail et leur mission (Paine, 1997). Dans une société de plus en plus dynamique et multiculturelle, cette attitude accroît le risque de jugements jugés inacceptables du point de vue de l’éthique et des droits fondamentaux de la personne. De plus, la supposition que la plupart des adultes ont déjà un comportement suffisamment éthique pour les besoins du milieu de travail ne tient pas adéquatement compte du fait, comme indiqué précédemment, que le recherche montre constamment que les facteurs contextuels exercent une forte influence sur le comportement des personnes. C’est ainsi que la recherche a démontré que la culture organisationnelle représentait un facteur important de la criminalité des entreprises (Paine, 1997).

72. En résumé, les Forces canadiennes et le ministère de la Défense nationale ont des responsabilités organisationnelles envers l’éthique dans le domaine public dont celle d’élaborer des programmes qui contribuent à la croissance de l’éthique au sein du personnel de la Défense.

Le Programme d’éthique de la Défense : un Cadre d’éthique pour la DéfenseNote de bas de page 3

73. Le Programme d’éthique de la Défense est un programme exhaustif conçu par l’organisation pour répondre au besoin dans le gouvernement de continuellement pratiquer l’éthique à l’échelon individuel et collectif. Son but et objectif principal est de favoriser la pratique de l’éthique en milieu de travail et dans les opérations de sorte que les membres des Forces canadiennes et les employés du ministère de la Défense nationale observent les normes éthiques les plus élevées dans l’exercice de leurs fonctions. Même si la conception du Programme d’éthique de la Défense est antérieure à la parution en mai 1995 du Rapport du Vérificateur général du Canada intitulé Éthique et sensibilisation à la fraude dans le gouvernement, il reste certainement fidèle aux recommandations qui ont été formulées. Dans son rapport, le Vérificateur général fait état de la nécessité d’établir un cadre d’éthique dans le gouvernement qui servirait de base « à l’amélioration et au maintien de l’éthique dans le gouvernement ». En justifiant sa proposition, il indique qu’un « cadre éthique sain au gouvernement s’appuie sur le principe que la fonction publique a un mandat public ». Cela s’applique d’autant plus à la Défense qui pourrait être amenée à se servir des armes les plus destructives du pays, ce qui pourrait entraîner des pertes de vies et de biens à grande échelle.

74. Le cadre du Programme d’éthique de la défense est montré à la figure 1 ci-dessous. Ce cadre renferme les éléments de fond et de structure essentiels qui composent le programme. En ce qui concerne le fond, il montre que la culture de la défense est un point de mire important de l’éthique à la Défense. La vision de l’éthique pour la culture de la Défense est que « les Forces canadiennes et le ministère de la Défense deviennent des organisations d’intégrité dont les valeurs éthiques sont fortement intériorisées ». En conséquence, l’éthique de la Défense a pour but que « les membres des FC et les employés du MDN observent les normes éthiques les plus élevées dans l’exercice de leurs fonctions ». Le cadre éthique définit aussi une matrice de huit processus qui doivent être entièrement intégrés au sein d’un programme d’éthique pour qu’il soit exhaustif.

75. En ce qui concerne la structure, le cadre d’éthique caractérise la structure de l’autorité nécessaire en fonction de l’exécution du programme et de ses objectifs et montre que des ressources sont nécessaire pour atteindre ces objectifs. Il faudrait remarquer que le Programme d’éthique de la Défense prévoit une répartition de l’autorité sur deux paliers : une autorité de programme et des autorités de mise en oeuvre. À un palier, l’autorité du programme d’éthique de la Défense veille à de nombreuses fonctions administratives relatives au programme et à son élaboration continue. Toutefois, il incombe aux autorités de mise en oeuvre de veiller à « la mise en oeuvre du Programme d’éthique de la Défense au sein de leur sphère de responsabilité » et de la faire « d’une manière conforme à leur structure organisationnelle » (cadre de référence du Programme d’éthique de la Défense). La structure de l’autorité à deux paliers est rendue nécessaire, contrairement à un programme d’acquisition de matériel ou un programme ordinaire de ressources humaines, parce qu’un programme d’éthique ne peut être mis en oeuvre qu’en accordant une importance prépondérante au rôle des vastes sous-cultures de la Défense.

Cadre du Programme  D'èthique Défense

CADRE DU PROGRAMME D’ÉTHIQUE DE LA DÉFENSE
Culture Structure de l’autorité Processus Ressources Objectifs
Vision Autorité du programme Attentes Personnel Mise en oeuvre
Mission Autorités de mise en oeuvre Leadership Formation Sensibilisation
But Comité consultatif de l’éthique Formation   Formation
Valeurs Coordonnateurs de l’éthique Prise de décision   État stable
Politique   Risques d'ordre éthique    
    Évaluation    
    Amélioration    

Figure - 1

Figure-1: Processus en matière d’éthiqu

La personne est responsable des attentes, du leadership et de l’amélioration

Les FC/le MDN sont responsables de l’évaluation et de la formation.

L’organisation est responsable des risques éthiques et de la prise de décisions.

Attentes

La personne est responsable de la satisfaction des attentes.

Leadership

La personne est responsable du leadership.

Formation

Les FC/le MDN sont responsables de la formation du personnel en vue de satisfaire aux attentes.

Prise de décisions

L’organisation est responsable de la prise de décisions.

Risques

L’organisation cerne les risques éthiques et les traite afin d’assurer l’intégrité éthique.

Évaluation

Les FC/le MDN sont responsables de l’utilisation des évaluations en guise d’outils d’évaluation.

Amélioration

La personne est responsable de l’amélioration.

76. Même si tous les éléments du cadre du Programme d’éthique de la Défense sont essentiels pour que le programme soit viable, sa base se trouve dans la matrice des processus d’éthique intégrés. Les « processus éthiques » doivent être gérés tant à l’échelon individuel que collectif. La figure 2 illustre comment ces processus sont interdépendants et unifiés. L’intégration passe par les individus dans l’organisation ainsi que par leur interaction. Nous présentons dans ce qui suit une description de chaque processus et de sa place dans l’ensemble.

77. S’il fallait déterminer un processus directeur, il faudrait nécessairement évoquer les processus qui sont à l’origine des attentes. En effet, les attentes motivent tous les autres processus dans un cadre d’éthique. C’est la raison pour laquelle le Programme d’éthique de la Défense a pour pierre angulaire l’Énoncé d’éthique de la Défense. L’Énoncé d’éthique de la Défense définit clairement les attentes. Il stipule que « la responsabilité particulière pour la défense du pays se réalise par un engagement du ministère de la Défense nationale et ses employés et des Forces canadiennes et ses membres » à observer un ensemble de principes et d’obligations éthiques. L’énoncé fait porter l’attention de tous sur les trois principe éthiques essentiels (respecter la dignité de toute personne, servir le Canada avant soi-même et obéir à l’autorité légale et l’appuyer) et les six obligations éthiques (intégrité, loyauté, courage, honnêteté, équité et responsabilité). Il faut souligner, dès le départ, que les attentes liées à la conformité et à ses mécanismes doivent toujours être fondées au moins sur le principe moral du « respect de la dignité des personnes », en ce qui touche à la fois la formulation et l'application. Rien ne peut endommager davantage l’esprit d’éthique d’une organisation que des pratiques de conformité qui comportent des failles. Nonobstant, il faut parfois imposer la conformité pour diverses raisons. Par exemple, il arrive que des personnes refusent d’adopter de nouvelles pratiques qui sont plus conformes à nos valeurs démocratiques parce que les pratiques en question se distinguent des traditions et des façons de faire du passé. Prenons le cas de la Charte canadienne des droits et libertés, qui n’est devenue la loi suprême du pays qu’en 1982. La Charte a officialisé des attentes en matière d'éthique qui font partie intégrante des valeurs d'une démocratie libérale. Il découle de la Charte de nouveaux règlements et de nouvelles politiques qui interdisent dans le milieu de travail des comportements qui auparavant étaient considérés acceptables ou à tout le moins tolérés et passés sous silence. Dans plusieurs cas, les nouvelles politiques et les nouveaux règlements comportent les mécanismes nécessaires pour assurer la conformité. À titre d’exemple de changement, il suffit de penser aux nouvelles politiques et aux nouveaux règlements qui protègent l’individu contre le harcèlement en milieu de travail. Enfin, dans des situations d’urgence et des théâtres d’opérations, il s'avère souvent nécessaire d'imposer la conformité parce qu’il n’y a pas suffisamment de temps, avant la mise en oeuvre des mesures, pour permettre à un particulier d’atteindre un niveau de compréhension qui le satisfasse. Or, dans tous les cas, on s'attend à ce que les politiques et les règlements soient formulés et appliqués dans un esprit qui respecte pleinement les principes et les obligations de l'Énoncé d'éthique de la Défense.

78. La formulation des attentes se veut la première étape nécessaire de l’établissement d’un programme d’éthique, mais elle est bien insuffisante pour mettre en place un Programme d’éthique de la Défense qui soit solide et en santé. Un leadership engagé est nécessaire pour mettre en oeuvre l’énoncé public des attentes en matière d’éthique. Qu’il soit charismatique et transformationnel ou transactionnel, le leadership met ouvertement en pratique les principes et obligations éthiques de l’Énoncé d’éthique de la Défense. Il accepte de rendre des comptes à l’égard des principes et obligations éthiques de l’Énoncé d’éthique de la Défense. Les leaders savent que les particuliers et les organisations n'agissent pas s'ils ne sont pas motivés. De ce point de vue, les pratiques fondées sur l’observation de règles qui alimentent un genre de motivation « négative » ont un certain rôle à jouer, mais elles ne peuvent pas prétendre favoriser l’adoption d’attitudes éthiques « positives » qui développent l’intégrité du personnel. Les leaders servent de modèles en ce qui concerne les pratiques qui motivent « positivement », tout en s'appuyant sur des valeurs. Les pratiques en question doivent par ailleurs être considérées comme faisant partie intégrante de toute approche organisationnnelle ayant pour but de bâtir une organisation intègre. C'est principalement grâce à la motivation positive que les leaders créent un climat de confiance et d’équité. Enfin, chaque leader est tenu, à tout le moins, d’intégrer à son approche en matière de leadership les trois éléments d’un mini-programme d’éthique : la sensibilisation aux attentes, la gestion du risque d'ordre éthique et la voix.

79. Les processus de formation vont de pair avec les processus décisionnels. Des leaders dévoués ne peuvent s'attendre à ce que le personnel réponde aux attentes s'ils ne leur permettent pas de disposer des outils et des compétences nécessaires. La formation constitue l'un des meilleurs moyens de développer les compétences, comme on a pu le constater à maintes reprises. Toutefois, les attentes, le leadership et la formation peuvent seulement constituer le contexte et le fondement de l'action. Le véritable but des efforts déployés est la prise de décisions conformes à l'éthique qui se traduisent par des gestes qui respectent les normes d'éthique les plus élevées. Dans le domaine de l'éthique, la culture de la Défense repose sur l'organisation et le personnel. Au sein d'une démocratie libérale, la santé de la culture de l'organisation de la Défense dépend de la qualité des décisions. Cependant, les situations humaines sont tellement complexes qu’il y a habituellement de nombreuses façons d'intervenir. En choissant la voie qui convient le mieux, nous pouvons faire appel à des méthodes décisionnelles qui tiennent compte de l'éthique. Même si certaines méthodes sont assez complexes, d’autres s'appuient simplement sur des règles empiriques. L’expérience et l’éducation permettent d'appliquer de mieux en mieux les méthodes visées. En choisissant la meilleure mesure à prendre, il faut accorder la priorité aux principes et aux obligations en matière d'éthique. Il va sans dire qu'il est avantageux de déterminer à l'avance, dans la mesure du possible, les raisons pour lesquelles certaines mesures sont préférables et justifiables sur le plan de l'éthique. Dans ce contexte, il est particulièrement important que la formation comprenne des scénarios de situations présentant des difficultés d'ordre éthique, puisqu'il se produit souvent des situations opérationnelles où les mesures proposées risquent d'entraîner des effets négatifs et où la période de réflexion est très courte.

80. Il ne suffit pas de bien gérer l’ensemble des processus qui mènent à une décision et à une intervention pour garantir l’intégrité d’une organisation. Il faut prévoir des boucles de rétroaction qui permettent à l’organisation d’évaluer sa force et sa santé sur le plan de l'éthique et de maintenir son intégrité. Le processus de rétroaction peut être entrepris par un particulier ou par l'organisation. La première boucle de rétroaction a trait aux moyens qui permettent de veiller à ce que les risques d'ordre éthique soient cernés et atténués rapidement. La source de cette rétroaction peut être soit une action individuelle ou collective. L’individu tout autant que l’organisation bénéficie d'un environnement caractérisé par une saine divulgation des renseignements. Les particuliers doivent disposer de mécanismes efficaces grâce qui permettent de mettre en question ce qui semble pour eux un comportement inacceptable qui minera l’intégrité de l'organisation. En pratique, une contestation solide, judicieuse et moralement forte ne peut exister que dans un climat de confiance, d’équité et de considération, où les individus sont libres de faire entendre leur voix sans crainte de représailles. En plus, le Programme d’éthique de la Défense recommande que les leaders de tous les paliers procèdent régulièrement à l'évaluation des risques d'ordre éthique. Ainsi, la tenue à l'échelle locale de réunions périodiques où l’on examine de près les questions d’éthique que le personnel juge à propos revêt une importance particulière. Les vérifications et les examens font également partie des mécanismes de gestion des risques d'ordre éthique.

81. Une deuxième boucle de rétroaction a trait au moyens d’évaluation du climat éthique de l’organisation. Un tel processus de rétroaction est habituellement entrepris par l'organisation. Par exemple, les Forces canadiennes et le ministère de la Défense nationale se servent de méthodes d’enquêtes fondées sur les exigences de la recherche dans les sciences sociales comme moyens de mesurer l’efficacité d’initiatives de la Défense en matière d'éthique aux échelles nationale et locale.

82. La boucle de rétroaction d'un cadre d’éthique est incomplète sans les processus qui visent à apporter des améliorations. Lorsque la divulgation de comportements contraires à l’éthique reste lettre morte, que les mécanismes de conformité sont mal administrés ou que les résultats des évaluation des risques d'ordre éthique dorment sous la poussière, en même temps ou à des moments différents, il s'ensuit une catastrophe au sein de l’organisation gouvernementale d’une démocratie libérale. En revanche, c'est uniquement lorsque les personnes constatent des changements sur le plan des politiques, des règlements ou des programmes, grâce aux mécanismes qui permettent de se faire entendre et aux mécanismes de rétroaction sur la gestion des risques d'ordre éthique, qu'elles considèrent que les autres processus (attentes, leadership, formation et prise de décision) sont mis en oeuvre de façon efficace et responsable.

Préparé par :

Major Denis Beauchamp
Officier - Programme d’Éthique de la Défense
Programme d’Éthique de la Défense,
Chef - Service d’examen
QGDN, Ottawa

Janvier 2002 (révision)

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Fondements de l’éthique de la Défense au Canada


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