Ne laissez personne derrière

Parfois, au Programme d'éthique de la défense, nous découvrons une étude de cas si percutante que nous voulons la raconter. Bien que nous ayons effectué quelques modifications mineures pour « canadianiser » l'étude de cas, l'original, écrit par un ancien capitaine de vaisseau américain, est adapté d'une histoire vraie et a été publié dans Journal of Military Ethics, 3(2004), pp. 252-256.

Adapté de : Stephen Coleman (2013). « Leave No One Behind », écrit par le Capt W. Rick Rubel (à la retraite) de la Marine des États-Unis. Extrait de Military Ethics, chapitre 3, étude de cas 3.2, pp. 40-43. Oxford University Press.

En tant que commandant d'un escadron de recherche et sauvetage (SAR) sur la côte Est du Canada, le Lcol Sam Davis connaissait ses hommes et ses femmes, et attachait une grande importance à leur bien-être. Il connaissait et comprenait aussi sa mission ainsi que les dangers tacites que celle-ci entraînait souvent. Le Lcol Davis connaissait la ligne mince entre la bravade et le professionnalisme, et inculquait à son escadron l'idée que, si vous avez à prendre des risques, assurez-vous de comprendre, de planifier et de minimiser ces risques dans l’exercice de vos fonctions. Le sergent-major de l'escadron, Linda Jones, était un sergent-major bien respecté, autant parce qu'elle effectuait bien son travail que parce qu'elle prenait soin de son équipe. Ensemble, le Lcol Davis et l'Adjuc Jones formaient une équipe dynamique et appréciée.

Chaque mardi, à 13 h 30, le Lcol Davis et l'Adjuc Jones tenaient une séance de formation à l’intention des pilotes et des équipages de l'escadron. Au cours de ces sessions, ils passaient en revue les procédures de base et abordaient les paramètres de vol opérationnels et d'urgence. Ils discutaient des paramètres de vol sécuritaire et de l’importance que les pilotes devaient accorder à ces paramètres s’ils devaient en compromettre un en situation d'urgence, comme une panne mécanique ou des conditions météorologiques défavorables. Les pilotes et l'équipage étaient suffisamment à l'aise entre eux et avec l'équipe de direction de l'escadron pour poser des questions hypothétiques comme « Et si nous étions dans une situation où… ».

Un jour particulièrement frisquet d'octobre, les conditions météorologiques étaient terribles et imprévisibles. Selon les rapports radio, les vents étaient de 45 nœuds (avec des rafales allant jusqu'à 55 nœuds), et les vagues et la houle étaient de plus de 25 pieds (40 pieds de la crête au creux de la vague). Assis à son bureau, perdu dans ses pensées, le Lcol Davis a été surpris quand le téléphone a sonné. « Sam, c'est Jo des opérations, nous venons de recevoir un rapport selon lequel un membre du navire Ann Harvey de la Garde côtière canadienne est tombé à la mer. » Immédiatement, les pensées de Sam se sont tournées vers le navire Ann Harvey. Navire polyvalent à long rayon d’action d’une longueur de 83 mètres et comptant 26 passagers (10 officiers et 16 membres d'équipage), le Ann Harvey, dont le port d'attache était à St John's, Terre-Neuve, était l'un des plus gros navires de la flotte de la Garde côtière canadienne.

Ramenant son attention à l’appel téléphonique, Sam a demandé : « Quelles sont les conditions météorologiques là-bas, Jo? ». « C'est le problème, a répondu Jo. Nous avons des conditions nulles (la visibilité), des vents de 45 nœuds et des vagues de 25 pieds. » Sachant qu'on lui demanderait ses recommandations à la fin de l'appel, Sam a commencé à analyser mentalement les domaines de vol, les paramètres de décollage et de récupération, les tableaux d'hypothermie (combien de temps une personne peut survivre dans l'eau) et les qualifications de son équipage. Après avoir considéré tous ces éléments, l'image du marin dans l'eau, luttant pour sa survie, l’a mené à dire rapidement : « Envoyons l'équipe 313 et plaçons l'équipe 315 en attente. Je vais rassembler l'équipe de coordination du sauvetage. »

En 12 minutes, soit 18 minutes en avance sur le programme, l'équipe 313 a décollé. Dix minutes plus tard, les membres de l’équipe ont indiqué par radio qu’ils étaient à la position présumée de l'homme à la mer, que la visibilité était d'environ 50 pieds et qu'il n'y avait pas de plafond nuageux. Autrement dit, ils pouvaient voir à moins de 50 pieds autour d'eux. Les chances de réussite de cette mission étaient très faibles; il n’allait pas être facile de trouver un seul marin dans des vagues de 20 pieds, alors que les vents soufflaient fort et que la visibilité était réduite. Davis, Jones et le reste de l'escadron étaient en attente. Ils attendaient des nouvelles de l’équipe 313 lorsque le téléphone a sonné. « Sam, c'est Jo. Je viens d'avoir des nouvelles du Ann Harvey. L’équipe 313 a remarqué quelque chose dans l'eau et en descendant pour effectuer un vol stationnaire, a été prise par une rafale ou une grosse vague et serait tombée à l'eau. Le Ann Harvey n'a pas de nouvelles de l’équipe depuis plus de deux minutes. » Après une longue pause, Jo demande : « Est-ce que tu veux envoyer l’équipe 315 pour la retrouver? ».

Se concentrant sur la question, le temps s'est arrêté pour le Lcol Sam Davis. Devait-il risquer un autre équipage de bord pour sauver le premier équipage à l'eau? Peut-être devrait-il « réduire ses pertes » et déclarer qu'il n'est pas sécuritaire de voler. Il savait qu'il dépassait les paramètres de vol sécuritaire. Il devait rendre des comptes à de nombreuses personnes, y compris son commandant de base, ses pilotes et son équipage, ainsi que leurs familles. L'escadron ne voudrait sûrement pas perdre un autre équipage ou un autre aéronef. Mais ses pilotes d'escadron voudraient certainement effectuer une autre tentative de sauvetage. « Et leurs familles? », pensa-t-il. « Comment puis-je leur dire que je n'ai pas tenté de sauver leur femme, mari, fils ou fille? Mais si j'envoie un autre équipage, et qu'il tombe à l'eau, comment puis-je expliquer aux familles que nous avons volé dans ces conditions à deux reprises? »

Alors que les opérations attendaient au téléphone, Sam tentait de décider ceci : Quelle est la bonne chose à faire?

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