Recommandations provisoires de l'examen externe complet et indépendant du ministère de la Défense nationale (MDN) et des Forces armées canadiennes (FAC)

Le 20 octobre 2021, Louise Arbour, ancienne juge de la Cour suprême qui dirige l'examen complet externe et indépendant, a fourni des recommandations provisoires au ministre de la Défense nationale concernant la compétence en matière d'enquêtes et de poursuites sur toutes les infractions sexuelles commises par des membres des FAC. Le 4 novembre 2021, l’honorable Anita Anand, ministre de la Défense nationale, a répondu à Mme Arbour, indiquant qu’elle acceptait les recommandations et que l’Équipe de la Défense s’attèle immédiatement à les mettre en œuvre.

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Recommandations provisoires émises par l’équipe de l’examen externe complet et indépendant

L’honorable Louise Arbour C.C., G.O.Q.
T 514.954.2547
larbour@blg.com

Borden Ladner Gervais S.E.N.C.R.L., S.R.L.
1000, rue de La Gauchetière Ouest Bureau 900
Montréal (Québec) H3B 5H4 Canada
 T 514-879-1212
F 514-954-1905
blg.com

Le 20 octobre 2021

PAR COURRIEL

L’honorable Harjit S. Sajjan, c.p., OMM, MSM, CD, député
Ministre de la Défense nationale
Ottawa (Ontario) K1A 0K2

Cher ministre Sajan,

Objet : Examen externe complet et indépendant du ministère de la Défense nationale (MDN) et des Forces armées canadiennes (FAC)

Selon mon mandat, j'ai la possibilité de fournir des évaluations ou des recommandations provisoires qui traitent de problèmes qui pourraient se révéler au cours de l'examen et qui exigent la prise de mesures immédiates. Vous trouverez ci-dessous une telle évaluation et des recommandations correspondantes.

Introduction

Les inconduites sexuelles ne se retrouvent pas exclusivement au sein des FAC. En effet, leur prévalence dans tous les secteurs de la société canadienne, et à l'étranger, est devenue douloureusement évidente ces dernières années. Il en est de même de la mobilisation publique pour la dénoncer. De l'intérêt des médias et de leur couverture de la question, au rapport accablant de l'honorable Marie Deschamps et à l'entente de règlement définitive des recours collectifs Heyder et Beattie, le problème du harcèlement et des inconduites sexuels dans les FAC a exposé l'institution à un examen sans précédent et à une occasion tout aussi inédite de changement. L'attention accrue portée à ce problème, y compris dans le récent rapport par l'honorable Morris J. Fish sur le système de justice militaire, invite à adopter une approche globale à l'égard des causes de cet important échec, et des mesures qui assureront que les FAC soient à la hauteur de leurs valeurs et des attentes des Canadiens. Mon examen servira entre autres à déceler les causes de la présence continue du harcèlement et des inconduites sexuels dans les FAC, et les moyens pour les prévenir et/ou les éradiquer.

Dans les mois qui ont précédé ma nomination en tant que responsable de l'examen externe, plusieurs allégations d'inconduite sexuelles de nature historique ont été portées contre des membres hauts gradés des FAC, notamment des officiers généraux, y compris le chef d'état-major de la Défense de l'époque. Depuis ma nomination, il a été rendu public que des victimes ont continué de se manifester et ont soulevé des allégations contre plusieurs officiers généraux, qui étaient dans des postes de commandement importants et qui ont subséquemment été mis en congé administratif.

Ces allégations récurrentes d’inconduite sexuelle de nature historique à l'encontre des hauts dirigeants des FAC, et les enquêtes à leur sujet menées par le Service national des enquêtes des Forces canadiennes (SNEFC) m'amènent à conclure que des mesures correctives immédiates sont nécessaires afin de commencer à rétablir la confiance envers les FAC.

Dans son rapport déposé le 1er juin 2021, l'honorable Morris J. Fish recommande, à la recommandation no. 68, que les enquêtes et les procédures à l'égard d'agressions sexuelles ne devraient pas être effectuées sous le régime de la Loi sur la défense nationale et devraient plutôt être renvoyées aux autorités civiles, de façon temporaire.

J'ai pris connaissance de certaines critiques à l'égard de cette recommandation, y compris à l'effet que les autorités civiles n'ont pas un niveau de compréhension et de connaissances approprié des forces armées; que l'application de cette recommandation pourrait mener à une disparité d'approches entre les autorités provinciales à l'égard des enquêtes et des poursuites; que des délais plus longs et des peines moins sévères pourraient s'ensuivre; et que cela pourrait priver les FAC d'occasions d'exercer leur pouvoir de discipline et de dissuasion parmi les membres des FAC.

D'autre part, j'ai constaté, au cours de mon examen, un scepticisme important chez les parties prenantes et particulièrement chez les victimes, quand à l'indépendance et à la compétence du SNEFC (et de la police militaire). Cette perception est répandue dans les FAC et le MDN et, je crois, dans une grande partie de l'opinion publique. Cela a suscité un réel manque de confiance à l'égard du système de justice militaire, particulièrement à l'étape des enquêtes.

Bien que la confidentialité puisse être nécessaire dans les débuts d'une enquête policière, dans le climat actuel, le secret sert à alimenter la perception que les FAC sont incapables de compléter des enquêtes adéquates à l'égard de leurs membres. De plus, le fait que les enquêtes du SNEFC doivent être confidentielles, même à l'égard du leadership des FAC, provoque inévitablement de la méfiance et de l'incrédulité, et place les hauts dirigeants des FAC dans une position difficile, voire impossible. Cela a été récemment illustré par l'octroi de promotions à des officiers généraux alors qu'ils faisaient l'objet d'une enquête, provoquant une spéculation sur les motifs et la compétence du leadership des FAC. Une telle spéculation n'aurait pas lieu si, comme c'est normalement le cas, les enquêtes étaient manifestement indépendantes, menées par des services d'enquêtes externes.

Recommandations provisoires

À la lumière de ce qui précède, je crois qu'il est nécessaire d'établir un processus qui facilitera le traitement des allégations d'infractions sexuelles de façon indépendante et transparente, totalement à l'extérieur des FAC.

Sous réserve de mon rapport d'examen final et de toutes conclusons et recommandations additionnelles, je recommande, à titre provisoire, ce qui suit :

  1. La recommandation no 68 de l’honorable juge Morris J. Fish devrait être mise en œuvre immédiatement. Toutes les agressions sexuelles et autres infractions criminelles de nature sexuelle en vertu du Code criminel, y compris les infractions sexuelles historiques, alléguées à l'encontre d'un membre des FAC, passé ou actuel (« infractions sexuelles »), devraient être référées aux autorités civiles. Par conséquent, à partir de maintenant, le grand prévôt des Forces canadiennes (GPFC) devrait transférer aux corps policiers civils toutes les allégations d'infractions sexuelles, y compris les allégations actuellement sous enquête par le SNEFC, à moins que ces enquêtes soient presque terminées. Dans tous les cas, les accusations devraient être déposées dans une instance civile.

    Corollairement, les autorités civiles devraient exercer leur compétence en matière d'enquêtes et de poursuites concernant toutes les infractions sexuelles par les membres des FAC. Si les autorités civiles refusent de procéder, le dossier devrait être remis aux FAC afin qu'elles puissent déterminer si une action disciplinaire est souhaitable en vertu de la Loi sur la défense nationale. Tout examen administratif concernant des inconduites sexuelles au sein des FAC devraient se poursuivre, pour l'instant en parallèle, en plus ou en l'absence d'accusations criminelles.

  2. En parallèle aux transferts immédiats décrits ci-dessus, le ministre de la Défense devrait s'entretenir avec les autorités fédérales, provinciales et territoriales concernées afin de faciliter le processus de transfert et le partage d'expertise entre les autorités civiles et les FAC, et examiner les ressources qui pourraient être rendues disponibles afin de faciliter ce travail.
  3. Tout au long de ce processus, l’aide fournie par les FAC aux autorités civiles à l'égard des enquêtes et des poursuites ne devrait être que sur une base consultative.
  4. Une attention particulière devrait être accordée, entre autres, à ce qui suit :
    1. Au cours de l'enquête, quand et comment les autorités civiles devraient-elles transmettre, au leadership des FAC, des informations pertinentes au sujet de l'enquête; et,
    2. Maintenir une communication efficace avec les plaignant(e)s et leur offrir le soutien approprié en lien avec le transfert et l'évolution des enquêtes.

Je recommande également que l’on m’informe, à mesure qu'elles sont déployées, de toutes les initiatives donnant suite au présent rapport provisoire, et ce au minimum une fois par mois.

Ces recommandations devraient être mise en œuvre immédiatement. Les présentes recommandations sont sous réserve de toute recommandation que je pourrais formuler dans mon rapport d'examen final.

Je serais ravie d'avoir l'occasion de discuter davantage de ces recommandations avec vous.

Conformément à mon mandat, je m'attends à ce que la présente lettre, laquelle constitue un rapport provisoire, soit rendue publique.

Je vous prie d'agréer, monsieur le ministre, l'expression de mes sentiments distinqués.

BORDEN LADNER GERVAIS LLP

[signature]
Louise Arbour

c.

 
  • Jody Thomas, sous-ministre
  • Général Wayne Eyre, chef d’état-major de la Défense par intérim
  • Lieutenant-général Frances Allen, vice-chef d’état-major de la Défense
  • Heather Walsh, agente de liaison externe
  • Joanne Lostracco, secrétaire générale, ministère de la Défense nationale
 

Réponse de la ministre de la Défense nationale aux recommandations provisoires

Ministère de la Défense nationale, Ottawa, Canada  K1A 0K2

Le 3 novembre 2021

L’honorable Louise Arbour C.C., G.O.Q.
Borden Ladner Gervais S.E.N.C.R.L., S.R.L.
1000, rue De La Gauchetière Ouest
Bureau 900
Montréal, QC H3B 5H4
Canada

Madame Arbour,

C'est avec plaisir que j'ai reçu votre rapport provisoire et vos recommandations dans le cadre de votre rôle en charge de l'Examen externe complet et indépendant du ministère de la Défense nationale (MDN) et des Forces armées canadiennes (FAC). Je partage vos préoccupations et je conviens qu'il est nécessaire d'établir un processus qui facilitera le traitement des allégations d'infractions sexuelles d'une manière indépendante et transparente en dehors des FAC et du système de justice militaire.

Je vous suis reconnaissante des efforts que vous déployez pour poursuivre l'excellent travail de l'honorable Marie Deschamps et de l'honorable Morris J. Fish. Je crois fermement qu'une approche globale pour aborder le harcèlement et l'inconduite sexuelle dans les FAC est nécessaire pour que les FAC soient à la hauteur de leurs valeurs déclarées et des attentes des Canadiens. Je suis donc heureuse d'accepter vos recommandations provisoires et de vous informer que l'Équipe de la Défense commencera immédiatement à travailler à leur mise en œuvre. Ce processus comprendra la mise en œuvre de la 68ème recommandation de l'honorable Morris J. Fish. En particulier, toutes les agressions sexuelles et autres infractions criminelles de nature sexuelle en vertu du Code criminel, y compris les infractions sexuelles historiques, présumées avoir été perpétrées par un membre des FAC, passé ou présent, seront référées aux autorités civiles.

J'ai le plaisir de vous informer que le Grand Prévôt des Forces canadiennes (GPFC) et le Directeur des poursuites militaires (DPM) travaillent rapidement à l'élaboration des mécanismes et des processus qui seront nécessaires pour mettre en œuvre vos recommandations provisoires. Je comprends qu'ils ont l'intention de communiquer avec votre équipe afin de s'assurer que leur travail de mise en œuvre demeure conforme à vos recommandations. De plus, le GPFC et le DPM ont commencé à discuter avec leurs homologues fédéraux, provinciaux et territoriaux (FPT) de la mise en œuvre de ces recommandations provisoires et mes représentants collaborent avec le ministère de la Justice qui a confirmé sa volonté de faciliter ou d'appuyer ces discussions FPT.

En tant que ministre, je veillerai à ce que vous soyez tenue informée à chaque mois des mesures prises pour mettre en oeuvre vos recommandations par intérim et je vous serais reconnaissante pour tout conseil que vous pourrez nous prodiguer sur le processus de mise en œuvre de ces mesures à partir d’ici. L'examen public sans précédent dont fait l'objet l'institution représente une occasion tout aussi inédite d'apporter des changements significatifs pour renforcer la confiance dans les FAC et le système de justice militaire, et j'attends avec impatience vos recommandations finales pour contribuer à ce changement.

Je vous remercie à nouveau pour votre lettre et pour votre travail continu sur votre examen externe. J'ai été heureuse de discuter avec vous de ces recommandations provisoires et je me réjouis de la poursuite de nos discussions dans le cadre de vos travaux en cours pour préparer votre rapport final.

Cordialement,

[signature]

L’honorable Anita Anand, CP, députée
Ministre de la Défense nationale

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