L’héroïne de chez-nous : Qapik Attagutsiak, d’Arctic Bay, au Nunavut
Document d'information
En juillet 2018, Parcs Canada a eu le privilège d’enregistrer Qapik qui relatait des souvenirs de sa vie ainsi que des expériences qu’elle et d’autres membres des communautés de l’Arctique de l’Est ont vécues pendant la Seconde Guerre mondiale, en révélant des détails que ses propres enfants ne connaissaient pas jusque-là. Elle a parlé du désespoir qui a suivi la perte tragique de la plupart de leurs chiens de chasse emportés par la maladie, de la terreur engendrée par les avertissements d’une invasion possible, de la consigne de tuer pour ne pas se faire tuer ainsi que de la collecte de tonnes d’ossements d’animaux et de carcasses de chiens décédés pour l’industrie de la guerre. Bien que les recherches se poursuivent, l’énoncé ci-dessus s’appuie sur les souvenirs de Qapik ainsi que sur d’autres sources. C’est une partie de l’histoire canadienne dans l’Arctique qui n’a jamais été racontée.
Qapik Attagutsiak et la Seconde Guerre mondiale (1939-1945) : dans ses mots
Qapik Attagutsiak décrit la première fois qu’elle a entendu parler de la Seconde Guerre mondiale en 1940 : « On entendait parler des gens dans la Guerre mondiale, on disait qu’ils allaient peut-être déployer des soldats qui sauteraient des avions […] Les Inuits ont peur de tuer d’autres humains. On avait peur que nos maris se fassent tuer s’ils rencontraient quelqu’un qui avait sauté d’un avion. On pensait qu’ils ne reviendraient jamais. »
« Le prêtre catholique nous a parlé de la Guerre mondiale. Après que les chiens sont tombés malades. C’était la zone où on allait chaque année pour la chasse au morse qui s’appelait Qaiqsunik [dans le bassin Foxe]. Même si on était là précisément pour chasser le morse, les chiens se sont mis à mourir l’un après l’autre », explique-t-elle.
Qapik a également expliqué qu’elle a recueilli les restes de ses chiens de chasse « Quand la glace sur la mer a cassé, les chiens morts qui flottaient étaient emportés par la dérive des glaces, explique-t-elle. Quand on se débarrassait des restes des chiens, on nous disait qu’on devait récupérer les ossements car l’armée voulait que les Inuits fabriquent quelque chose pour faire de la fumée. [Il n’y avait pas de mot en inuktitut pour désigner des explosifs.] On a seulement entendu parler de fumée; on ne savait pas ce qui se passait. Ils nous ont envoyé des grands sacs. Notre grand-père décédé Ullalaaq - le leader d’Igloolik à l’époque - est celui qui emballait les restes. Nous, les plus jeunes, on lui apportait les restes. Notre grand-père les emballait dans des grands sacs en filet », ajoute-t-elle. Elle les décrit comme des sacs qui pouvaient contenir 125 lb (57 kg).
Elle explique que, dans son camp, on recueillait les ossements des morses, des phoques et des chiens. Seuls les membres adultes de son camp ramassaient les ossements (il y avait plusieurs camps dans une communauté) en remplissant environ trois sacs par jour pour une semaine complète. « Je rassemblait les os avec eux. On avait terriblement peur », expliqua Qapik, « [les os] étaient pleins de sang et même s’il y avait de la viande sur les os, ça ne dérangeait pas, on les emballait quand même. » Elle se rappelle qu’elle avait peur des vers sur les carcasses nauséabondes, en ajoutant : « Je suppose que ça en valait la peine, en autant qu’on gagne ». On aurait également recueilli des ossements d’animaux dans d’autres communautés de l’Arctique de l’Est selon elle. « Je pense qu’on l’a fait dans les petits camps. Je pense qu’on le faisait tous. Il y avait des gens de Hall Beach, d’Akunnirmiut, de Kapuavingmiut », ajoute-t-elle.
La Compagnie de la Baie d’Hudson avait un système d’expédition pour livrer les approvisionnements et le matériel de construction aux communautés nordiques. On chargeait les sacs sur des petits bateaux ou des goélettes comme s’ils étaient des « retours ». Puis, les bateaux se dirigeaient vers le grand navire à vapeur sur lequel ils transféraient leur cargaison, le RMS Nascopie, qui transportait la cargaison de carcasses animales comme des marchandises en pontée en mettant le cap sur le sud vers des ports industriels comme Montréal ou Halifax.
À la fin des hostilités en Europe, Qapik explique que le prêtre avait dit, par l’entremise d’un Inuit : « Ils ont fait de la fumée avec les ossements que nous avons récoltés et [les Alliés] ont gagné. Les Allemands ont perdu la plupart de leurs gens. » Soulagée, elle dit : « On a arrêté d’y penser tout de suite. »
La récupération et la Seconde Guerre mondiale
Deux jours après l’entrée en guerre du Canada le 10 septembre 1939, le Parlement a adopté la Loi sur le ministère des Munitions et des Approvisionnements afin de centraliser et de coordonner l’approvisionnement des matières premières ainsi que la production industrielle. On encourageait les Canadiens, surtout les femmes et les enfants, à recueillir des ossements, des matières grasses, du métal, des chiffons, du papier et des produits en caoutchouc dans le cadre de campagnes publiques menées par le ministère des Services nationaux de guerre. La réponse canadienne à ces appels patriotiques a été très positive malgré la nature ingrate de la tâche. Pendant toute la durée de la guerre, on a récupéré des millions de livres de matières grasses et d’ossements. Les os étaient ensuite transformés pour en faire de la cordite (un agent propulseur sans fumée utilisé dans les munitions), de la colle pour les avions ainsi que de l’engrais.
En recueillant des ossements et des carcasses dans la foulée des efforts de récupération lors des premières années de la guerre, les Inuits se sont joints à leurs camarades canadiens dans le sud en formant une « armée de bénévoles » qui a soutenu l’effort de guerre sur le front intérieur. Qapik est la dernière survivante connue qui a participé à cet effort de collecte d’ossements dans l’Arctique canadien pendant la Seconde guerre mondiale.
L’ainée inuite Qapik Attagutsiak
Qapik Attagutsiak est née le 11 juin 1920, à Siuraq, un endroit situé entre Igluligaarjuk (inlet Chesterfield) et Coral Harbour dans le secteur d’Ukkusiksalik dans la région de Kivalliq du territoire actuel du Nunavut. Son père, Quliktalik, était un chasseur habile et sa mère, Pakak, était une couturière ; ils étaient tous les deux des leaders dans leur communauté.
Comme tous les Inuits de sa génération, et leurs ancêtres, Qapik et sa famille avaient un mode de vie nomade qu’ils avaient adopté grâce à l’ingéniosité et aux aptitudes acquises et perfectionnées au fil des millénaires et transmises aux générations suivantes afin de prospérer dans l’un des environnements les plus hostiles sur Terre. Ils parcouraient de vastes distances à l’aide d’un attelage de chiens afin de récolter des animaux issus de la mer et de la terre dans le but de nourrir leur famille et leurs chiens, lesquels étaient indispensables pour la chasse. Lorsqu’une chasse était fructueuse, on utilisait l’animal en entier ce qui créait très peu ou pas de déchets. On se servait de la viande pour manger, des os pour fabriquer des outils, de la babiche et de la peau pour confectionner des vêtements étanches à l’eau et résistants au froid ainsi que des couvertures, des tentes et des kayaks. Bravant des conditions climatiques dangereuses tandis qu’ils parcouraient différents campements dans l’Arctique de l’Est, Qapik vivait dans une tente faite de peaux à la fin du printemps et en été, dans une qarmap ou une hutte de terre à l’automne (les murs de la galerie étaient faits avec des feuilles de glace transparentes tandis que le toit était fabriqué avec des peaux à cause du manque de neige sur le sol) et dans un iglou en hiver et au début du printemps pendant les périodes de chasse.
Qapik a commencé le métier de sage-femme dès l’âge de 10 ans aux côtés de sa mère, puis elle est devenue une sage-femme indépendante à l’âge de 18 ans. Elle a épousé Attagutsiak, un leader de Netsilik. Ils ont accueilli leur premier enfant en 1939 et 13 autres par la suite. Il est devenu l’un des premiers membres des Rangers canadiens lorsqu’ils ont été fondés en 1947. Elle a adopté deux autres enfants après le décès de son époux, en 1984, et elle a maintenant plus de 200 descendants. En tant que sage-femme pendant des décennies, elle a également aidé à mettre au monde des centaines de bébés, en plus de jouer un rôle-clé dans la formation de l’Akausivik Inuit Family Health Team – Centre médical à Ottawa, en Ontario. Elle a reçu la médaille du jubilé de diamant de la reine Élisabeth II.
Une femme très lucide, modeste et qui aime s’amuser ainsi qu’une couturière réputée, Qapik enseigne activement et fait part de ses compétences ainsi que de ses connaissances en inspirant les générations plus jeunes. Toujours occupée, elle, qui aura 100 ans cette année, continue de travailler quotidiennement en fabriquant et en vendant des vêtements traditionnels comme des mitaines et des kamiks (des mukluks). La plupart des recettes de ses travaux de couture servent à aider les familles dans le besoin dans sa communauté.
Qapik a choisi de vivre dans une version moderne d’un qarmaq. Pour vivre dans une hutte, il faut se tourner vers le qulliik traditionnel (lampe à l’huile de phoque) pour se chauffer et cuisiner et pour aider à démontrer aux jeunes comment ils ont déjà vécu. Elle habite encore dans des tentes pendant la saison estivale dans un camp à proximité de la baie Victor. Elle affirme qu’elle est en bonne santé parce qu’elle fait attention à ce qu’elle mange, en préférant les aliments traditionnels, parce qu’elle demeure active et parce qu’elle rit souvent. Elle a appris à jouer de l’accordéon à boutons et elle aime encore divertir au son de la musique pour la « danse carrée », comme elle l’appelle, qu’elle a adopté des commerçants. Rien ne lui apporte plus de joie que les visites quotidiennes de jeunes Inuits en quête de ses conseils et de son approbation en tant qu’aînée, qui, comme elle dit, la gardent jeune de cœur.
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