Débat d’urgence concernant la hausse marquée des actes de racisme signalés contre les Afro-Canadiens, les Autochtones du Canada et les Canadiens d’origine asiatique

Le jeudi 18 juin 2020

Son Honneur le Président : Honorables sénateurs, le temps est venu de passer au débat d’urgence. Nous débattrons de l’affaire urgente pendant un maximum de quatre heures. Chaque sénateur disposera d’au plus 15 minutes, et aucune motion, sauf celle permettant à un sénateur désigné de prendre maintenant la parole, ne pourra être proposée. Toutefois, comme un grand nombre de sénateurs souhaitent participer au débat, je demanderais aux sénateurs d’être un peu plus bref que les 15 minutes dont ils disposent. Procéder ainsi permettra à tous les sénateurs de prendre part au débat. Ce serait vivement apprécié. J’invite à présent la sénatrice Moodie à proposer que le Sénat s’ajourne maintenant.

L’honorable Rosemary Moodie propose :

Que la séance soit maintenant levée.

— Honorables sénateurs, c’est le cœur très lourd que je prends la parole en ce début de débat d’urgence. J’aimerais remercier le Président d’avoir autorisé ce débat, et j’aimerais vous remercier tous à l’avance pour votre participation.

Honorables sénateurs, ce dossier me touche personnellement en tant que Canadienne et en tant que femme noire. Je sais que beaucoup de sénateurs n’ont aucune idée de ce que c’est que d’être une personne de race noire dans ce pays. Je vais donc vous l’expliquer.

En tant qu’enfant noir, on a beaucoup plus de chances d’être suspendu ou expulsé de l’école, même pour des gestes mineurs. Notre cours d’histoire ne parlera pas de héros qui nous ressemblent; on aura donc de la difficulté à imaginer qu’on pourrait accomplir quelque chose. Notre école établira peut-être des règles nous interdisant d’arborer une chevelure naturelle. Sans que ce soit dit de manière explicite, on nous incitera à croire qu’avoir la peau blanche est la norme souhaitée et la seule façon d’être accepté.

En grandissant, on nous répétera chaque jour qu’il faut travailler plus fort, être meilleur et courir plus vite que tous les autres pour atteindre nos objectifs et pour recevoir ce qu’on mérite indéniablement.

Une fois parent, on ne manquera pas d’avoir ces conversations difficiles avec nos garçons et nos filles noirs pour leur expliquer comment se protéger de la police, ce qu’il faut dire et ne pas dire, en espérant que cela leur permettra d’éviter les malentendus, les mauvais traitements, et même la mort.

Trouver un emploi semble être un défi insurmontable. Vous poussez un soupir de soulagement en apprenant qu’on vous propose un entretien téléphonique ou un test écrit. Toutefois, la peur vous envahit lorsque vous apprenez plutôt qu’il s’agira d’une entrevue en personne parce que vous en connaissez le résultat d’avance et parce que vous êtes régulièrement déçu, sachant que l’issue aurait pu être différente si l’on ne vous avait pas vu.

Et quand vous obtenez enfin un emploi, il n’y a pas de mentor pour vous guider ou vous faire progresser. La mobilité ascendante vous semblera impossible, mais si votre travail est couronné de succès et que vous accédez à la haute direction, vous ne verrez personne d’autre au quotidien qui vous ressemblera. Vous siégerez à part au conseil d’administration, et on vous traitera différemment des autres. Les échanges ordinaires seront à jamais inconfortables, et l’exclusion sera une certitude.

Lorsque vous êtes Afro-Canadien, les chances sont contre vous. Et le vrai problème, c’est que vous ne pouvez même pas prendre toute la mesure du problème parce que le gouvernement ne collecte pas de données raciales. On ne recueille pas d’informations pour comprendre à quel point les choses vont mal et comment on peut y remédier.

Honorables sénateurs, ce que je viens de vous dire, vous le savez tous, mais seuls quelques-uns d’entre vous le comprennent réellement.

La réussite d’un Canadien noir est souvent entachée de commentaires désobligeants, du genre : « C’est peut-être parce que vous êtes Noir que vous avez obtenu ce poste. »

La couleur de votre peau et les stéréotypes omniprésents guident la façon dont vous êtes jugé et l’opinion que les gens ont de vous bien avant de vous connaître. On vous fait sentir comme un importun. Vous vous attendez à ce qu’on vous demande : « Pourquoi êtes-vous ici? »

On vous demande même de sortir boire un verre de temps en temps. Si vous êtes Noir, comment réagissez-vous? Vous faites des efforts pour ne jamais paraître menaçant, pour ne jamais parler trop fort, pour ne jamais montrer de colère. Votre but est de vous intégrer, peu importe à quel point vous finissez par supprimer qui vous êtes et votre propre identité. Lorsque vous cherchez à créer votre propre culture, souvent, d’autres se l’approprient.

Si vous possédez une belle voiture ou une belle maison, on vous pose souvent des questions sur la façon dont vous avez pu vous les offrir. Un douanier vous pose des questions sur la façon dont vous avez pu vous payer le voyage que vous venez de faire, et des policiers supposent que vous avez volé la voiture que vous conduisez — des microagressions que doivent subir les Noirs tous les jours.

Nous avons tous vu des policiers commettre en toute impunité des actes de brutalité. De jeunes garçons et de jeunes filles, des parents et des grands-parents sont attaqués par ceux-là mêmes qui sont censés les protéger. Vous savez fort bien que cela pourrait être vous. Vous savez que cela pourrait être votre enfant, et vous redoutez le jour où la violence pourrait surgir, en priant et en espérant qu’il ne viendra jamais. Vous ne pouvez plus supporter les images dans les médias qui montrent sans cesse des corps assassinés; sans vie.

Vous avez fait face à toutes ces choses pendant si longtemps que cela a fini par attaquer votre santé. Vous avez vu d’autres personnes mourir bien trop vite parce que le racisme les avait minées, parce qu’elles n’avaient pas le moindre espoir de pouvoir vivre et prospérer dans une société juste et équitable, parce que, malgré tout leur travail, malgré toute leur intelligence, on leur avait apposé une étiquette à cause de la couleur de leur peau.

Vous essayez de croire que cette démocratie est pour vous, que les gens à Ottawa, ou tout autre gouvernement, se soucient de vous. Très peu de gens parmi les personnes qui sont censées vous représenter vous ressemblent. Très peu d’entre eux vous représentent vraiment comme vous le méritez. Vos problèmes deviennent des promesses auxquelles on ne donne jamais suite. Et ce qui est fait ne change pas vraiment les choses; ces actions sont vides, superficielles, insignifiantes et, en fin de compte, elles ont un objectif qui n’est habituellement pas le vôtre.

Chers collègues, voilà ce que vivent les Canadiens noirs. Voilà ce que vivent d’autres Canadiens qui font l’objet de racisme systémique. C’est leur réalité. C’est notre réalité. Ils naissent dans ce racisme systémique, qui façonne leur vie et qui, dans certains cas, y met fin. En ce qui les concerne, le Canada est contre eux.

C’est le cas de mes deux fils. Ils sont nés d’une femme noire et d’un père asiatique, et j’ai subi les conséquences du racisme, tout comme les membres de ma famille. De plus, malgré ma nomination au Sénat et les nombreux succès de ma famille, je continue à vivre des expériences semblables à celles que subissent tous les autres Canadiens noirs.

Honorables sénateurs, il existe une crise au Canada. Elle est peut-être devenue plus apparente récemment, mais elle a toujours existé et tué, traumatisé et déshumanisé silencieusement les Canadiens. Le racisme est une menace pour le pays et la stabilité de notre société. Si nous n’intervenons pas, nous laissons délibérément nos enfants hériter de cette crise. Honorables sénateurs, il y a deux éléments que je veux mettre en évidence en ce qui concerne le changement, et tous deux touchent au processus d’élaboration des politiques au Canada. Ce faisant, je prévois citer directement la récente déclaration du Caucus des parlementaires noirs, en commençant par ce qui suit :

Le gouvernement fédéral doit immédiatement piloter la collecte et la gestion des données désagrégées.

Statistique Canada devrait être le dépositaire des données désagrégées, étant donné que son mandat consiste à veiller à ce que ces données soient accessibles au public à des fins d’étude et d’analyse.

De plus, honorables sénateurs, les peuples autochtones ont besoin d’assurer la souveraineté de leurs données.

Nous devons recueillir des données désagrégées axées sur la race, qui doivent comprendre d’autres facteurs identitaires croisés, comme le genre. Nous devons recueillir des données désagrégées au sein du secteur public. Nous avons besoin de données fondées sur la race concernant les interventions policières. Je vais citer une fois de plus le document :

Il est difficile de changer ce que l’on ne peut pas mesurer [...] les réalités socioéconomiques vécues par la population noire sont invisibles en raison d’un manque total de données.

Il s’agit de discrimination systémique. Sans données, nous faisons volontairement fi des iniquités qui existent au Canada et nous refusons donc de les corriger.

Chers collègues, les Noirs au Canada réclament cette mesure depuis trop longtemps, et, bien franchement, nous en avons assez de la réclamer. Ainsi, le Sénat demande au premier ministre, aux ministres et aux fonctionnaires, y compris le statisticien en chef du Canada, la conseillère scientifique en chef et le sous-ministre de l’innovation, des sciences et du développement économique, de faire évoluer les choses.

Il faut de la diversité chez nos dirigeants. Les Canadiens noirs passent souvent inaperçus quand on cherche des candidats aux postes de direction, ou encore on ne pense à eux qu’après coup, de telle sorte que le manque de diversité dans les rangs des décideurs montre chaque jour que notre démocratie est mal en point. Quelle peut être l’efficacité réelle de nos dirigeants si nous faisons fi de l’avis d’autant de citoyens? Je cite derechef le document, qui indique que nous devons :

Rendre l’administration publique plus efficace et résiliente en veillant à ce qu’elle reflète la diversité de la population qu’elle dessert.

Lorsqu’on pense à notre propre institution, le Sénat, on se rend compte que dans l’ensemble des bureaux et de l’Administration au sens large, la diversité est remarquablement absente. Honorables sénateurs, nous avons un rôle à jouer pour régler ce problème et je vous invite à faire des efforts dans vos futures décisions d’embauche pour améliorer la diversité de tous nos bureaux.

Votre Honneur et chers membres du Comité sénatorial permanent de la régie interne, des budgets et de l’administration, je vous invite à faire de la diversité dans l’Administration du Sénat une priorité immédiate, en particulier aux échelons supérieurs. Nous devrons travailler efficacement pour faire du Canada un pays plus juste et plus équitable, et le Sénat se doit de représenter la diversité du pays qu’il sert.

À cette fin, j’invite les présidents du Parti libéral du Canada, du Parti conservateur et du Nouveau Parti démocratique ainsi que les présidents et les chefs de tous les partis du Canada à passer à l’action. Je leur demande de donner la priorité à la diversité dans leurs rangs, notamment parmi les candidats des circonscriptions — même celles qui sont des bastions. Qu’ils veillent à ce que les Autochtones, les Asiatiques, les Noirs ainsi que toutes les autres communautés racialisées soient représentés au sein de leur personnel. S’ils réussissent à accéder au pouvoir, qu’ils portent une attention particulière à la diversité des chefs de cabinet et des conseillers principaux.

Chers collègues, il est temps que nous adoptions un esprit de collaboration qui entraînera des changements durables. Je sais que parmi tous les groupes représentés ici, au Sénat, nous sommes tous d’accord là-dessus. Des milliers de Canadiens nous observent. Ne rien faire équivaudrait à nous contenter de la politicaillerie habituelle, démoralisante et vaine. Les Canadiens ne sont pas intéressés par les querelles et les insultes qui sont monnaie courante en cette enceinte depuis des décennies et qui ne nous ont menés nulle part. Ils veulent que les choses changent, que les échanges soient plus profonds et qu’ils dépassent les beaux discours. Allons-nous répondre à leurs attentes?

J’ai proposé ce débat pour nous pousser à l’action. Je sais que les membres de ma communauté à Toronto ne s’intéressent vraiment pas à mes sentiments sur la question. Ils veulent savoir que je vais prendre les choses en main pour voir des progrès.

En terminant, je remercie mes collègues sénateurs qui n’ont pas pu être ici ce soir pour prendre la parole, à mon grand regret. J’ai très hâte d’entendre leurs commentaires. J’aurais également souhaité que nos collègues autochtones puissent se joindre à nous. Je tiens à souligner leurs efforts et leur dévouement, et je les remercie d’ouvrir la voie.

J’encourage tous les sénateurs à lire les propos du sénateur Francis au sujet des conséquences néfastes des microagressions. J’appuie aussi de tout cœur l’étude préalable du projet de loi C-3 proposée par le sénateur Sinclair. Par ailleurs, je tiens à rendre hommage à la sénatrice Ataullahjan, qui n’est pas ici aujourd’hui pour prendre part à la discussion. Nous sommes impatients d’entendre sa voix.

Je tiens enfin à remercier les sénateurs Mégie, Ravalia, Jaffer et Bernard pour leur collaboration et leur travail acharné. Les Afro-Canadiens ont de la chance d’être aussi bien représentés.

Honorables sénateurs, l’heure est à l’unité. Je choisis de croire qu’il faut donner à chacun la chance de poser les gestes qui nous permettront d’avancer ensemble. Quand il s’agit de combattre un poison comme le racisme, nous avons besoin de la contribution de tous. Il est temps, plus que jamais, de faire preuve d’humilité et de concrétiser nos valeurs et nos idéaux.

Je tiens à ce que les gens qui examineront un jour l’époque actuelle puissent voir que nous avons fait notre possible pour favoriser des changements importants et durables, que nous avons collaboré, et que nous avons mis de côté nos programmes politiques pour mieux écouter les Canadiens. Nous avons attaché moins d’importance aux intentions de vote et nous avons décidé de nous battre pour l’âme de notre pays. Certains me trouveront peut-être naïve ou idéaliste. Si c’est le cas, je vous invite à être naïfs et idéalistes avec moi.

Honorables sénateurs et chers concitoyens canadiens, on ne peut pas se permettre d’échouer quand l’enjeu est aussi important. Quand des enfants risquent de mourir à cause de la couleur de leur peau, aucune marge d’erreur n’est permise. Il faut absolument agir. Merci.

Des voix : Bravo!

L’honorable Donald Neil Plett (leader de l’opposition) : Honorables sénateurs, j’aimerais tout d’abord remercier la sénatrice Moodie d’avoir pris l’initiative de lancer ce débat d’urgence au Sénat.

Je serai bref ce soir, car je prendrai la parole au sujet du racisme dans les institutions canadiennes au cours de l’interpellation dont j’ai donné préavis et qui commencera la semaine prochaine. Aujourd’hui, pendant ce débat de durée limitée, j’aimerais plutôt laisser la parole aux autres sénateurs. Cependant, je tiens à faire certaines observations.

Cela fait 57 ans que Martin Luther King a prononcé son discours « I have a dream ». Bien que nous ayons réalisé des progrès importants, je regrette que nous n’ayons pas encore réalisé le rêve de M. King. En 2020, même ici, au Canada, le racisme est une réalité. On le vit au quotidien et de manière douloureuse. Le racisme et la discrimination raciale sont inacceptables, qu’ils soient subtils ou flagrants, et ils doivent être dénoncés à chaque occasion par ceux qui disposent d’une tribune, comme celle que nous avons dans cette enceinte.

Le racisme subi par les Autochtones du Canada au cours de l’histoire est horrible et indéniable, et pourtant, il perdure à ce jour sous diverses formes, que ce soit par des politiques mal conçues ou des mesures inadéquates dans des dossiers d’importance pour la communauté.

Historiquement, nos ancêtres ont été nombreux à être l’objet de persécution un peu partout dans le monde. C’est en partie pourquoi ils ont choisi de venir s’établir au Canada : dans l’espoir d’un nouveau départ et d’une vie meilleure pour eux-mêmes et leur famille. Pour beaucoup d’entre eux, c’est ce qui faisait la beauté de ce pays. Résultat : nous avons un pays formidable, prospère et multiculturel que tant d’entre nous sont fiers d’habiter.

Certes, à bien des égards, il y a de quoi être fier de notre histoire, mais il reste que le Canada a un passé peu reluisant de racisme et de discrimination qui ne peut être ignoré et dont des traces demeurent à ce jour. Il y a 12 ans, le 11 juin 2008, le premier ministre Harper a reconnu, au nom du gouvernement du Canada, les séquelles laissées par les pensionnats autochtones, a présenté des excuses et a demandé pardon pour ce sombre chapitre de notre histoire.

En 2006, le même gouvernement s’est aussi excusé pour la manière injuste dont ont été traités les Canadiens d’origine chinoise à cause de la taxe d’entrée et de diverses autres politiques d’immigration racistes. J’étais alors très fier — et je le suis encore — d’être membre d’un parti qui n’hésite pas à prendre des mesures concrètes et tangibles pour remédier à cette tache dans notre histoire. Comme d’autres l’ont dit avant moi, ceux qui sont incapables de tirer des leçons de l’histoire sont condamnés à la répéter.

Je dois admettre que je trouve difficile de prendre le premier ministre actuel et son gouvernement au sérieux quand il est question de racisme et de discrimination. Le premier ministre, qui est incapable de se souvenir du nombre de fois qu’il s’est peint le visage en noir pour faire rire les autres, n’hésite pas à nous faire des remontrances chaque jour depuis les marches de Rideau Cottage, mais il n’a encore rien proposé de concret. C’est sans parler du ministre de la Sécurité publique, Bill Blair, dont le passage à la tête de la police de Toronto a coïncidé avec le retour du fichage. Selon le service de nouvelles Global News, le fichage consiste à intercepter des gens au hasard pour recueillir de l’information, mais sans les arrêter officiellement. Or, cette pratique a été scrutée à la loupe et fortement décriée autant par les militants du mouvement Black Lives Matter que par le ministère de la Sécurité communautaire et des Services correctionnels de l’Ontario.

Le premier ministre ne peut pas continuer de faire la morale aux Canadiens en disant que notre société doit s’améliorer. Le premier ministre a comme responsabilités de diriger le pays et de rendre des comptes aux Canadiens. Malheureusement, ce n’est pas arrivé souvent dernièrement.

En tant que parlementaires, nous avons accès à une tribune, et surtout, nous avons une responsabilité à assumer, et il ne suffit pas de dire des platitudes, de faire des discours condescendants ou de mettre sur pied un autre comité afin qu’il produise un rapport qui finira sur une tablette déjà surchargée.

Cependant, nous avons des modèles à suivre pour utiliser notre tribune de manière à promouvoir le changement. Comme je l’ai souligné, je crois que les excuses nationales et la reconnaissance des torts du passé peuvent avoir d’énormes répercussions. Par ailleurs, nous n’avons qu’à penser à notre collègue le sénateur Patterson, qui est une voix forte dans cette enceinte lorsqu’il s’agit de défendre l’intérêt supérieur des personnes qu’il représente. Citons, parmi ses plus récentes initiatives, la table ronde qu’il a organisée afin d’explorer la possibilité de munir les policiers de caméras d’intervention, à la suite des événements survenus récemment dans sa collectivité.

Comme il l’a dit, les gens du Nunavut ne devraient pas avoir à craindre la police. Je suis tout à fait d’accord, et j’ajouterais que tous les Canadiens respectueux des lois ont le droit de s’attendre à un traitement juste et équitable de la part de ceux qui sont chargés de maintenir l’ordre. Les minorités visibles ne devraient pas avoir comme fardeau supplémentaire de prendre en considération leur race au moment d’interagir avec la police.

La brutalité policière est au cœur de nos préoccupations, mais nous devons aussi nous pencher sur le traitement infligé aux Canadiens d’origine asiatique dans la foulée de la pandémie de COVID-19. Il est difficile de comprendre comment un tel degré d’ignorance et une telle étroitesse d’esprit peuvent exister au Canada. Voilà un autre sujet que nous devons aborder dans le cadre de ce débat et lors d’autres occasions.

Honorables collègues, nous devons nous engager activement à améliorer les choses, en commençant par faire preuve d’empathie et par démontrer une volonté d’apprendre. Je crois que l’éducation et la compassion sont deux des éléments les plus essentiels à la cristallisation de l’élan croissant vers l’élimination du racisme et de la discrimination au Canada. Nous devons nous tenir au courant de ce qui se passe, demeurer à l’écoute, réfléchir au problème et le comprendre afin de pouvoir trouver des solutions concrètes. Je crois que cette assemblée est parfaitement en mesure d’effectuer ce genre d’exercice.

Mettons les voix des personnes victimes de discrimination raciale au premier plan. Il est temps que nous écoutions ce qu’elles ont à dire.

L’honorable Jim Munson : Merci, Votre Honneur, et merci, madame la sénatrice Moodie, d’avoir proposé la tenue de ce débat. Il s’impose depuis longtemps. Ce sujet nous concerne tous.

Je me suis mis à penser, ce soir. J’ai grandi dans le Nord du Nouveau-Brunswick. Dans les années 1950, j’étais un jeune garçon de 12 ou 13 ans qui avait plein de héros dans son cœur. Même si nous n’avions pas de télévisions à cette époque, cela ne nous empêchait pas d’avoir des héros dans la Ligue nationale de hockey. On ne parlait pas tant de Gordie Howe et de Maurice « Le Rocket » Richard au Nouveau-Brunswick. Nous avions un héros différent, et je me suis souvenu de lui ce soir pendant notre pause de deux heures. Je pensais à Willie O’Ree. Je me demande combien de sénateurs ici se souviennent de lui. Voilà un nom fait pour un athlète. Impossible de ne pas devenir un sportif avec un nom comme celui-là.

Willie était originaire de Fredericton, et il était Noir. Quand on est enfant, ce genre de détail nous échappe, surtout quand la personne dont il s’agit est un joueur dans la Ligue nationale de hockey. En 1957-1958, même s’il est aveugle d’un œil, il parvient à se tailler une place au sein des Bruins de Boston. Il a marqué deux superbes buts. C’était un excellent joueur de hockey.

Puis, tout d’un coup, il ne joue plus dans la Ligue nationale de hockey. Il est revenu quatre ans plus tard. Je veux qu’on puisse lire dans le compte rendu qu’il était considéré comme le Jackie Robinson de la LNH parce qu’il avait réussi à atteindre le niveau professionnel. Comme il l’a raconté, en ce qui concerne le racisme systémique, le racisme flagrant et les actes de racisme sur les patinoires, il en a surtout été victime dans les villes américaines. C’était moins le cas à Montréal et à Toronto. Cela dit, la ligue comptait alors six équipes. Les centres canadiens ne lui causaient pas trop d’embêtements, mais dans les conseils d’administration de la Ligue nationale de hockey, Willie ne semblait pas pouvoir rester plus de deux saisons pour une raison quelconque. Il marquait des buts. Il a joué pour les As de Québec, la même équipe qui a compté Jean Béliveau dans ses rangs. Willie n’y était plus toutefois.

Aujourd’hui, à l’âge de 84 ans, Willie O’Ree est un ambassadeur de la diversité au sein de la Ligue nationale de hockey. De nos jours, de nombreux exemples d’entraîneurs qui ont parfois détruit le rêve de jeunes noirs d’être recrutés dans la LNH ont fait surface — ce n’était peut-être pas en raison de préjugés inconscients, mais de préjugés tout court. Il faut se rappeler que ces jeunes doivent gravir tous les échelons, de pee-wee, en passant par bantam et junior, jusqu’au plus haut niveau. Il y a eu des cas très sérieux. Plus tôt aujourd’hui, dans mon intervention en faveur de ce débat d’urgence, j’ai parlé de ce qui se passe. Certaines choses ne se voient pas nécessairement.

Malgré tout, Willie a persévéré. J’espère que son histoire rappellera au milieu du sport ce que nous fait subir depuis si longtemps le racisme systémique. Tout le monde pense se tirer d’affaire avec un système de quotas ou une autre mesure semblable. Là n’est pas la question. Le problème va beaucoup plus loin que ça. Lorsqu’un enfant voit une personne comme Willie O’Ree, il ne voit pas sa couleur de peau; il voit simplement un joueur de hockey. Cet homme aurait dû jouer une quinzaine de saisons dans la Ligue nationale de hockey. Or, cela ne s’est pas produit. Revoyez l’histoire.

J’aimerais d’abord remercier la sénatrice Moodie de son leadership. Comme elle le fait remarquer avec raison, et il vaut la peine de le mentionner encore, il est dans l’intérêt public de tenir ce dialogue. Si l’on n’accorde pas une attention immédiate à la question, des Canadiens continueront de souffrir.

Le racisme est très intersectionnel au pays. C’est l’une des raisons pour lesquelles la pandémie de COVID-19 expose l’abondance de failles importantes dans la façon dont le Canada fonctionne. Nous attendons toujours les statistiques qui brosseront un tableau complet des conséquences de la pandémie, notamment ses effets particulièrement marqués en temps réel sur les communautés racialisées, la perte de revenu, l’accroissement de la violence familiale et le manque d’accès à des soins médicaux. Voilà une chose dont nous devons tenir compte pour la suite des choses.

Il faudra poursuivre nos efforts en ce sens après la pandémie. Il est clair que la pandémie a une incidence disproportionnée sur les Canadiens racialisés. Beaucoup de personnes ont déjà perdu la vie. Le racisme envers les Canadiens d’origine africaine ou asiatique ainsi qu’envers les Canadiens autochtones est à la hausse. Oui, la COVID-19 aggrave la situation, mais il est important de nous rappeler qu’il y avait des inégalités frappantes avant la pandémie.

Prenons connaissance des données que nous avons en main pour trouver des solutions. Les Canadiens noirs risquent davantage que ceux de n’importe quel autre groupe racialisé d’être victimes de crimes de haine. C’est ce qui ressort des données rapportées par les services de police en 2018. N’oubliez pas qu’il ne s’agit là que des crimes qui ont été rapportés. La plupart du temps, appeler la police ne fait qu’empirer la situation pour les groupes racialisés. Nous le savons.

Imaginez ce que c’est d’avoir peur d’appeler la police, d’être terrifié d’appeler la police ou d’être inconfortable à l’idée de le faire; c’est le genre de réalité à laquelle il faut réfléchir. Il faut bien comprendre ce qui se passe au Canada. C’est le quotidien des Noirs et ils n’ont pas le privilège de seulement imaginer ce que ce peut être de vivre une telle situation.

Honorables sénateurs, il y a une corrélation entre le racisme systémique, le sexe, la religion, l’âge, les handicaps et même l’emploi. Les données du recensement de 2016 indiquent que le taux de chômage des Canadiens noirs se situe à 12,5 %, comparativement à 7,3 % chez les minorités non visibles. Cela signifie des milliers d’emplois, dont des emplois bien rémunérés.

Je voudrais également parler du rapport publié en 2019 par le Centre canadien des politiques alternatives intitulé Écarts de revenus au Canada : une inégalité économique racialisée. De sérieux écarts en matière d’emploi et de revenus subsistent.

Honorables sénateurs, d’autres formes de discrimination envers les femmes racialisées persistent. Selon cette étude, les femmes racialisées gagnaient seulement 59 ¢ pour chaque dollar gagné par les hommes non racialisés. Chez les hommes racialisés, c’était 78 ¢ pour chaque dollar gagné par les hommes non racialisés.

L’exemple du racisme sur le marché du travail n’est qu’un des signes visibles du racisme répandu auquel nous devons nous attaquer. Comme je l’ai mentionné plus tôt pour appuyer la tenue de ce débat, ce que nous faisons ici aujourd’hui est un bon point de départ. Nous n’en sommes qu’au début d’une démarche axée sur les solutions face au problème du racisme systémique. Nous avons beaucoup de travail à faire.

Je sais que nous siégeons ici, mais notre autre enceinte, l’enceinte historique de l’édifice du Centre, avait quelque chose de spécial. Je n’y retournerai jamais, mais peut-être que certains d’entre vous le feront. Je l’espère. J’espère que vous écouterez l’écho des voix de ces sénateurs d’il y a longtemps — il n’y a pas si longtemps pour moi — qui ont abordé le problème du racisme sans qu’on les écoute vraiment.

L’un d’eux est mon ami conservateur, Don Oliver. La contribution politique de Don Oliver pour la Nouvelle-Écosse peut se comparer à celle de Willie O’Ree pour le Nouveau-Brunswick. Je me rappelle des discours que Don Oliver a livrés dans l’ancienne enceinte du Sénat au sujet du racisme systémique, lorsque je lisais ses rapports, lorsque j’écoutais ses envolées passionnées pendant les réunions de comités dont je faisais partie. Il parlait de la fonction publique devant des hauts fonctionnaires. Je pense qu’il est important de lire ce qu’il avait à dire au sujet de notre propre histoire. Le combat qu’il a mené est louable. J’ai parfois eu l’impression qu’il devait se sentir très seul. L’image du Sénat change progressivement, et j’espère qu’elle est le reflet d’une plus grande égalité. J’aimerais que tous les sénateurs prennent un moment pour réfléchir aux changements que l’ancien sénateur Don Oliver s’est toujours efforcé d’instaurer. Je pense qu’à cet égard, nous devons continuer d’agir, nous devons continuer de défendre cette juste cause.

En conclusion, plus tôt cette semaine, le Caucus des parlementaires noirs a publié une déclaration proposant des mesures initiales pouvant être prises dès maintenant. Le gouvernement peut prendre ces mesures. On ne peut repousser cette intervention à plus tard. Au début de la semaine, j’ai été très ébranlé de découvrir le traitement réservé à nos concitoyens autochtones de même qu’à d’autres minorités. Néanmoins, lorsqu’on prend la peine d’examiner ce qui se passe chez nous depuis longtemps, on constate la richesse de l’histoire des Noirs au Canada. Les Canadiens d’ascendance africaine ont contribué à forger le tissu social de ce pays autant que nos concitoyens d’ascendance asiatique et tous ceux qui sont arrivés ici par le chemin de fer clandestin. Il est extrêmement important de nous rappeler l’histoire des Noirs au Canada. J’estime qu’on ne l’étudie pas suffisamment. Les gens du Nouveau-Brunswick et de la Nouvelle-Écosse la connaissent parce qu’ils en ont été témoins. En tout cas, il en était question à la maison pendant mon enfance à Campbellton, au Nouveau-Brunswick.

Dans sa déclaration, le caucus noir parle des mesures suivantes. Je les répète de nouveau pour que nous et nos collaborateurs en prenions pleinement conscience : rendre obligatoire la collecte de données sur l’appartenance ethnique, solliciter des propositions auprès des associations d’entreprises noires et les soutenir, investir dans des programmes axés sur des initiatives communautaires, veiller à ce que les Canadiens d’ascendance africaine aient une chance égale de travailler dans le secteur public et mettre en œuvre des programmes de formation pour prévenir les préjugés inconscients dans l’ensemble des institutions gouvernementales.

Honorables sénateurs, voilà comment il est possible d’amorcer un vrai changement. En tant que sénateurs, il nous incombe de faire en sorte que le Canada soit un pays meilleur et plus sûr. Merci.

L’honorable Raymonde Gagné (coordonnatrice législative du gouvernement au Sénat) : Honorables sénateurs, j’aimerais moi aussi remercier la sénatrice Moodie de son initiative, et j’interviens aujourd’hui pour ajouter ma voix à cet important débat.

Nous, sénateurs, ne sommes qu’une poignée d’individus à nous joindre aujourd’hui à des millions de personnes partout dans le monde. Même si ce mouvement a commencé à cause d’une vidéo de mauvaise qualité de 8 minutes et 46 secondes prise dans une rue de Minneapolis, l’attaque perpétrée contre la conscience humaine collective s’est répandue dans des dizaines de pays et a incité des millions de personnes de toutes les races, les croyances et les origines à manifester leur besoin de pouvoir respirer en toute liberté et sans craindre quoi que ce soit.

Je crois vraiment que nous vivons un moment historique. Ce n’est pas la première fois que l’on voit des luttes pour l’égalité et le traitement équitable des gens, mais c’est la première fois que nous observons ces luttes en temps réel grâce aux informations diffusées jour et nuit à la télévision et sur les médias sociaux. Le message s’est répandu comme une traînée de poudre, et les rues des villes, grandes et petites, se sont remplies de personnes qui exigent que l’on mette un terme au racisme, à la violence et à la marginalisation.

Je me souviens de la couverture que les médias avaient faite de l’assassinat de Martin Luther King Jr. Je me souviens des éloges des dirigeants du mouvement des droits civiques à son endroit. Je me souviens des images tournées à Selma, et de la marche sur Washington. Autant de moments inoubliables de l’histoire. Or, le rêve de cet homme remarquable remonte à près de 60 ans. Le monde entier insiste sur le fait qu’il est temps de concrétiser le rêve du révérend King.

Au fil des ans, on a pu voir les réactions aux rapports faisant état d’injustices ou de violences à l’égard des minorités visibles et des personnes racialisées. Les gens sont toujours outrés. On condamne toujours de tels gestes. On procède à des enquêtes et on publie des rapports. Malheureusement, il ne ressort pas grand-chose de tout cela.

La situation actuelle est manifestement différente. Toutes les conditions ont été réunies pour provoquer une étincelle dans la conscience humaine. Il ne suffit plus de présenter ses condoléances, de prétendre faire preuve d’empathie et de prononcer de beaux discours au sujet d’un problème endémique. Il ne suffit plus de promettre de modifier les services de police, les pratiques d’embauche ou les critères d’admission dans les écoles. Il ne suffit plus de modifier les lois visant à assurer l’inclusion et de publier ad nauseam des rapports proposant des recommandations qui sont louangées, puis rapidement tablettées.

Les Canadiens regardent ce qui se passe chez notre voisin du Sud et considèrent qu’ils ont de la chance de ne pas faire face aux mêmes problèmes. D’un air supérieur, nous nous disons que oui, nos frères et sœurs autochtones sont parfois ciblés; oui, les nouveaux arrivants au Canada sont peut-être traités différemment; enfin, oui, il arrive que des individus ouvertement racistes attaquent verbalement et même physiquement des personnes qu’ils voient comme des « étrangers ». Nous nous disons que ces expressions de racisme sont rares. Nous voulons croire que les Canadiens sont tolérants et accueillants. Cependant, comme beaucoup de mes collègues ici présents peuvent nous le dire, le Canada est loin — et je répète — loin d’être à l’abri du racisme.

La racialisation des Autochtones remonte à la découverte des terres au-delà des océans, lorsque l’Europe a cherché pour la première fois une route orientale vers l’Asie. Je ne prétends pas comprendre les difficultés que vivent mes frères et sœurs des Premières Nations. Et je ne prétends pas proposer de solutions. Cependant, nous ne pouvons pas laisser passer l’occasion qui nous est offerte.

Le ton est différent. Nous ne pouvons pas ignorer tout ce qui se passe en ce moment. La semaine dernière, au Canada, nous avons une fois de plus été témoins de violences choquantes et troublantes de la part des forces de police, et cela nous a rappelé la violence et le racisme dont sont victimes depuis longtemps les Autochtones partout au pays. Reconnaître et dénoncer le racisme systémique n’est pas un signe de faiblesse. C’est un signe de maturité en tant que pays.

Depuis des siècles, les peuples autochtones sont victimes de racisme et d’injustice systémiques de la part des forces de l’ordre et d’autres institutions gouvernementales. Nous ne pouvons pas fuir la réalité : les peuples autochtones ont été, et sont toujours, traités injustement par les institutions de notre pays.

Comme l’a rappelé le Caucus des parlementaires noirs dans une déclaration mardi dernier, les Canadiens et Canadiennes noirs subissent au quotidien des actes de racisme insidieux, qui vont de paroles et gestes subtils à des actes violents pouvant entraîner des conséquences dramatiques, comme celles que l’on voit dans les innombrables vidéos diffusées sur Internet. Les vidéos des dernières semaines qui ont montré des actes violents sont vraiment difficiles à regarder.

L’ampleur et la portée des manifestations contre la violence partout dans le monde sont une source d’inspiration.

Chers collègues, nous avons tous été témoins, au fil des décennies, de manifestations, de marches, d’appels à l’action, de discussions, d’études et de plaidoyers en faveur des droits fondamentaux et de l’égalité pour tous. Nous avons tous entendu les appels visant à mettre fin à l’injustice, au racisme et au sectarisme sous toutes ses formes.

En tant que société civilisée, nous avons la responsabilité collective de veiller à ce que chaque personne se sente en sécurité dans sa collectivité, quel que soit son lieu de résidence, la couleur de sa peau ou son pays d’origine ancestral.

Chers collègues, il n’a fallu que 8 minutes et 43 secondes pour mobiliser le monde entier. Nous avons atteint un tournant, et nous devons saisir l’occasion d’agir en tant que personnes et en tant que société.

Tout le monde doit pouvoir respirer librement.

Merci. Meegwetch.

L’honorable Judith G. Seidman : Honorables sénateurs, je tiens tout d’abord à remercier la sénatrice Moodie d’avoir proposé ce débat d’urgence.

Le Canada est un vaste pays, une mosaïque d’identités, de langues et de cultures, et le schéma de cette mosaïque varie d’un océan à l’autre. Souvent, nous présentons notre pays comme un exemple exceptionnel de multiculturalisme, avec un héritage d’inclusion. Les racines de notre multiculturalisme sont antérieures à la Confédération. Parlant une multitude de langues et incarnant une grande diversité de cultures et de traditions, les communautés autochtones ont été rejointes par des immigrants venus du monde entier. Tous ont fait du Canada le pays fort et diversifié qu’il est aujourd’hui.

En tant que Canadiens, nous sommes fiers de faire partie d’une société accueillante et compatissante. Les valeurs de démocratie, de liberté et d’inclusion qui sont inscrites dans notre Constitution nous lient en tant que nation.

Pourtant, le récit de notre diversité et de notre tolérance ne cache pas les périodes sombres et douloureuses du racisme cruel qui a marqué notre histoire. Le défi que présente notre réalité est que, malgré notre bienveillance en tant que peuple, nous avons encore des problèmes profonds de racisme systémique auxquels nous devons faire face en tant que société.

Il suffit de consulter nos livres d’histoire pour découvrir les nombreux témoignages de discrimination raciale au sein de nos institutions. Par exemple, pendant la Première Guerre mondiale, l’armée canadienne a refusé de nombreux jeunes hommes noirs qui voulaient s’engager, jusqu’à la création du 2e Bataillon de construction, en 1916, une unité militaire spécialement formée pour les hommes noirs.

Plusieurs provinces, notamment l’Ontario, le Québec et la Nouvelle-Écosse, ont fondé et géré des écoles ségréguées légalement pour les catholiques, les protestants et les Noirs. Ce n’est que grâce à des efforts soutenus de revendication que les écoles pratiquant la ségrégation raciale ont été graduellement fermées, les dernières de ce type ayant été fermées en 1965 en Ontario et en 1983 en Nouvelle-Écosse.

Non seulement la ségrégation raciale était pratiquée dans les écoles primaires, mais on la pratiquait aussi dans certaines universités, y compris l’Université McGill, l’Université Queen’s et l’Université de Toronto. Par exemple, de 1918 à 1965, l’Université Queen’s a exclu les étudiants noirs de son programme de médecine, tandis que, dans les années 1920, l’Université de Toronto refusait d’admettre les étudiants noirs.

Notre histoire contient beaucoup d’autres facettes sombres et tragiques, notamment les pensionnats parrainés par le gouvernement ouverts dans le but d’assimiler les enfants autochtones; l’internement de plus de 21 000 Canadiens d’origine japonaise en 1942; la destruction d’Africville par la Ville d’Halifax dans les années 1960; et l’instauration de la taxe d’entrée imposée aux immigrants chinois, qui visait à ralentir l’immigration chinoise en 1885, pour ne mentionner que quelques exemples.

Malheureusement, ces cas-là n’appartiennent pas uniquement au passé; encore aujourd’hui, on entend l’écho de ces périodes difficiles de l’histoire. La pandémie de COVID-19 a mis en lumière les profondes inégalités qui subsistent au Canada aujourd’hui. Selon un rapport publié le 1er juin 2020 par Santé publique Ontario :

Les quartiers les plus diversifiés sur le plan ethnoculturel en Ontario, principalement ceux qui sont concentrés dans les grandes zones urbaines, affichent des taux disproportionnellement plus élevés de COVID-19 et de décès connexes que les quartiers moins diversifiés.

La même chose est vraie pour Montréal.

Les récentes protestations partout dans le monde visant à réclamer des changements dans toutes les sphères de la société ont forcé la tenue de débats sur les moyens de lutter contre le racisme systémique. Par exemple, le 15 juin dernier, le Conseil de santé d’Ottawa a voté à l’unanimité une motion prévoyant ce qui suit :

Le racisme, la discrimination et la stigmatisation sont associés à une plus faible santé physique, mentale et émotionnelle et à un taux de mortalité plus élevé, ce qui fait du racisme, notamment envers les Noirs, un enjeu de santé important.

Le même jour, l’Office de consultation publique de Montréal a publié un rapport sur le racisme et la discrimination systémiques qui existent dans ma ville d’origine, Montréal. Le rapport révèle que la Ville de Montréal néglige la lutte contre le racisme et la discrimination et, en guise de réponse, l’Office de consultation publique de Montréal propose 30 mesures qui peuvent être mises en œuvre à cet effet.

Honorables sénateurs, même si les événements survenus aux États-Unis récemment ont entraîné une espèce de prise de conscience mondiale, nous ne devons pas oublier que le problème du racisme, surtout au Canada, ne date pas d’hier.

La question se pose toujours : comment pouvons-nous nous servir de cette volonté de renouveler notre engagement à l’égard de la lutte mondiale contre le racisme et la discrimination pour concrétiser des changements systémiques? En tant que législateurs, comment pouvons-nous favoriser la tenue de ces conversations essentielles et élaborer des politiques inclusives qui améliorent notre société?

Avant de pouvoir nouer des relations avec les communautés marginalisées, nous devons d’abord comprendre l’histoire du Canada. Nous devons écouter attentivement les histoires difficiles de ceux qui souffrent et qui subissent de la discrimination quotidiennement avant d’exprimer nos propres opinions. Si nous voulons être à la hauteur de notre réputation, à savoir celle d’un pays multiculturel, diversifié et inclusif, nous devons en faire davantage pour prendre conscience de nos préjugés et les combattre.

Nous devons poursuivre les recherches qui nous aideront à élaborer des politiques efficaces fondées sur la compréhension mutuelle et nous engager à faire front commun avec ceux qui ont besoin de nous. Les mesures que nous prenons collectivement doivent nous inciter à opérer des changements durables non seulement au sein de nos institutions, mais aussi à l’intérieur de nous.

En terminant, j’aimerais vous faire part d’un ancien proverbe juif qui dit : « Celui qui sauve une vie sauve l’humanité entière. »

Honorables sénateurs, le changement repose sur un processus graduel qui commence par soi-même. Le rôle de chacun d’entre nous est d’ouvrir notre esprit; de non seulement participer à la discussion, mais aussi faire preuve d’écoute; d’utiliser les ressources éducatives pour améliorer nos connaissances et les partager; et de suivre les chefs de file qui luttent contre le racisme et la discrimination. C’est ce qui ouvrira la voie pour amorcer le changement dans nos foyers et nos communautés, en espérant que d’autres seront inspirés à faire de même.

Le travail qui nous attend est une responsabilité commune, et le premier pas se fait dès maintenant. Merci.

L’honorable Margaret Dawn Anderson : Honorables sénateurs, alors que je prends la parole sur la question importante du racisme systémique au Canada, je tiens à souligner que nous nous réunissons aujourd’hui sur le territoire non cédé des Algonquins anishinabes. Je suis une Autochtone et je suis privilégiée vu mon rôle de sénatrice. C’est non seulement mon travail de dénoncer le racisme, mais c’est ma seule option en tant qu’Inuite et mère de famille.

La vie des Autochtones compte. La vie des Noirs compte. Le racisme systémique est bien vivant au Canada.

Il y a quelques jours, le sénateur Sinclair a dit ceci au Globe and Mail :

Le racisme systémique, c’est lorsque le système lui-même est fondé sur des croyances, des philosophies et des idées racistes, et lorsqu’il a permis la mise en place de politiques et de pratiques qui forcent littéralement même les gens non racistes à agir de manière raciste.

Le Canada a été fondé sur cette prémisse, et il continue de fonctionner ainsi. Le racisme imprègne tous les ordres de gouvernement. Il est omniprésent dans les institutions, les villes, les politiques et les lois du pays. Notre identité nationale a été façonnée insidieusement par le racisme. Si nous voulons nous attaquer efficacement au racisme actuel, nous devons reconnaître que notre histoire est empreinte de racisme et nous devons faire face à cette réalité. Or, c’est une tâche qui rend les gens mal à l’aise.

Chers collègues, lorsque j’ai pris la parole, j’ai souligné que nous sommes réunis aujourd’hui sur un territoire traditionnel. Voyez-vous le caractère insidieux du racisme au Canada qui s’incarne dans ces mots?

Nous sommes actuellement sur les terres non cédées des Algonquins anishinabes. Certains d’entre nous dans cette enceinte le reconnaissent chaque fois qu’ils prennent la parole. Quand nous arrêtons-nous vraiment pour réfléchir à ce que cela signifie?

À quel point pensons-nous au fait que les premiers peuples de la région ont été dépossédés de leurs terres, que dans la ville et dans tout le Canada, des populations de colons ont chassé les peuples autochtones du territoire pour s’y établir tout en cherchant, pendant des générations, à les tuer, à les assimiler, à les contrôler et à effacer leur histoire? À quel point pensons-nous au fait que, encore aujourd’hui, nos lois, nos institutions et notre histoire officielle tentent d’imposer notre version des faits, de créer des inégalités et de perpétuer le racisme et les divisions au Canada?

Il ne faut pas se leurrer : pendant des décennies, notre système politique a activement exclu les Autochtones. Je tiens à vous rappeler, chers collègues, que jusqu’en 1960, les Autochtones du Canada n’avaient pas le droit de voter tant qu’ils ne renonçaient pas à leurs droits issus de traités.

Ne vous méprenez pas sur mes propos; il est important de reconnaître le territoire sur lequel nous nous réunissons. C’est un acte de réconciliation qui reconnaît les premiers habitants du territoire et ceux qui, souvent, s’y considèrent encore chez eux. C’est un signe de respect. Or, je dois aussi poser la question suivante : en quoi une reconnaissance du territoire contribue-t-elle à remédier à l’injustice de s’être fait enlever ses terres, d’avoir vu son peuple être déplacé de force ou ses frères tués, d’avoir été privé de sa culture, de sa langue, de son lien avec la terre, les animaux et l’eau, et de voir la représentation politique de son peuple être ignorée? Cela rappelle également aux Canadiens qui sont les propriétaires légitimes de ces terres et le rôle crucial et tragique qu’a joué le Canada dans la vie des Autochtones.

Chers collègues, pour être franche, je dois dire que j’ai éprouvé toutes sortes de sentiments au cours des dernières semaines en voyant, d’abord aux États-Unis, puis, ici au Canada, les manifestations de plus en plus fortes contre le racisme systémique en Amérique du Nord. Je ressens surtout de la frustration.

Je suis une Inuvialuite. Pour moi, le racisme n’est pas hypothétique. Il est bien réel. Il est palpable. Il est omniprésent. Il est nuisible. Je n’ai pas le privilège de m’instruire sur la question dans les livres ou d’approfondir la notion pendant mes loisirs. Je suis une Inuvialuite. Le racisme fait partie de mon quotidien.

Que dire à son enfant quand il se fait suivre dans les magasins parce qu’il « a l’air Autochtone »? Que dire à un enfant qui a honte d’admettre qu’il est Autochtone parce qu’il est conscient des iniquités et des difficultés inhérentes au fait d’être Autochtone?

J’ai de la chance. Je suis mère d’une jeune fille. Lorsque son père lui a dit qu’elle était Canadienne, elle s’est insurgée et lui a répondu : « Je suis Autochtone! » Quand elle s’est fait dire de nouveau qu’elle est Canadienne, elle a simplement et catégoriquement répondu : « Je suis Autochtone. Le Canada est venu plus tard. » Les messages que nous transmettons à nos enfants autochtones sont importants.

Au cours des dernières semaines, j’ai vu les manifestations contre le racisme organisées partout au Canada, aux États-Unis et ailleurs dans le monde. J’ai été témoin de discussions en ligne et j’ai entendu des experts, des leaders et des journalistes parler de racisme à la radio. Depuis mon arrivée à Ottawa plus tôt cette semaine en prévision de cette séance, j’ai entendu bon nombre de conversations du même genre entre collègues, de même qu’ici, dans cette enceinte.

Je ne peux m’empêcher de me poser la question suivante : pourquoi le racisme semble-t-il être un phénomène nouveau? Ce n’est pas un phénomène nouveau pour moi, en tant que femme autochtone. Ce n’est pas un phénomène nouveau pour mes collègues autochtones. Ce n’est pas un phénomène nouveau pour mes collègues noirs. Ce n’est pas un phénomène nouveau pour mes collègues de couleur. On parle de racisme depuis longtemps. Pourquoi est-ce maintenant seulement que le grand public s’y intéresse?

Les conclusions de la Commission de vérité et réconciliation, qui était dirigée par notre collègue le sénateur Sinclair, ainsi que celles de l’Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées ont mis en lumière le racisme systémique du Canada et relevé des mesures concrètes que les gouvernements et la société civile doivent prendre pour désapprendre le racisme. Nous avons pourtant constaté au cours des dernières semaines que les gens sont encore surpris de l’existence du racisme au Canada.

Je veux vous lire quelques lignes écrites par Marion Buller, commissaire en chef de l’Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées. Dans la préface du rapport final de la commission d’enquête, elle dit ceci :

À vrai dire, nous vivons dans un pays dont les lois et les institutions perpétuent la violation des droits fondamentaux de la personne et des Autochtones. Ces atteintes aux droits s’apparentent ni plus ni moins à un génocide, planifié et souvent dissimulé, contre les femmes, les filles et les personnes 2ELGBTQQIA autochtones. Cette tragédie perpétrée en sol canadien ne cadre pas avec les valeurs que le pays prétend défendre.

Honorables sénateurs, un an s’est écoulé depuis que l’Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées a publié ses appels à la justice, et pourtant, le gouvernement fédéral n’a toujours pas dévoilé son plan d’action en la matière. Pourquoi?

Je crains d’avoir perdu mes illusions concernant le racisme au Canada. Les gens ne font pas attention au racisme à moins qu’il ne les touche directement ou que cela ne soit politiquement avantageux pour eux. Bon nombre de mes collègues sénateurs n’ont pas pu venir à Ottawa aujourd’hui et sont donc incapables de participer au débat d’urgence de ce soir, mais je tiens à rappeler à chacun d’entre nous que ce n’est pas en criant « ciseaux » que nous réussirons à nous déprogrammer et à éradiquer le racisme systémique. Ce type de démarche ne se fera pas en un jour ou deux, ni même en un an. Ce sera un travail de longue haleine, laborieux, qui nous rendra tous mal à l’aise et qui nécessitera une attention de tous les instants.

Nous devrons réapprendre l’histoire afin non seulement qu’on nous raconte le vécu des Inuvialuits qui se sont rassemblés à Kittigazuit, des Canadiens noirs qui ont habité à Africville et des Canadiens d’origine japonaise qui ont été internés à Hastings Park, mais que leur histoire soit au cœur même de l’identité canadienne.

La pandémie de COVID-19 est étrange et difficile pour nous tous, mais elle met en lumière l’horrible réalité des injustices qui règnent au pays. Cette fois, nous ne pouvons pas détourner les yeux.

Chers collègues, partout au pays, les Canadiens font le point. Ils regardent autour d’eux et ils exigent que les institutions changent. Ils font un examen de conscience, réalisant le travail personnel qu’exige l’antiracisme. Le présent débat d’urgence n’est que le début du travail que les sénateurs doivent accomplir pour faire face au racisme au Sénat. Nous avons un rôle important à jouer dans ce nouveau chapitre de l’histoire du Canada.

Je veux conclure en répétant une déclaration que j’ai faite au cours d’une entrevue, il y a quelques mois :

Si nous, sénateurs autochtones, ne dénonçons pas le racisme, l’intolérance et l’ignorance perpétuelle d’une histoire entachée par le colonialisme, la répression, l’assimilation et l’éradication de ce que nous sommes et de ce que nous pouvons être en tant qu’Autochtones, quel message transmettons-nous aux enfants autochtones et aux générations futures?

Pour reprendre les paroles du chef Dan George : « Un enfant ne conteste pas les manquements des adultes, il les subit. » Nos enfants, nos foyers, notre communauté et notre Canada méritent mieux.

QuyanainniQuana. Merci.

Des voix : Bravo!

L’honorable Pierre J. Dalphond : Honorables sénateurs, nous avons tous entendu parler des récents actes de violence commis envers des Autochtones, notamment le chef Allan Adam, qui a été agressé à Fort McMurray, l’Autochtone de 22 ans qui a été frappé avec la portière d’un véhicule de police au Nunavut, et deux autres personnes, Chantel Moore et Rodney Levi, qui ont connu une mort atroce au Nouveau-Brunswick et dont j’ai parlé à deux reprises plus tôt cette semaine.

Ce ne sont là que quelques exemples récents qui témoignent de la nécessité de combattre le racisme systémique au sein des services de police du pays. Cependant, qu’il vise les peuples autochtones, les Canadiens noirs ou les autres personnes de couleur, le racisme au sein de notre système de justice ne date pas d’hier. Depuis des dizaines d’années, les tensions raciales refont surface sans que l’on fasse quoi que ce soit pour y remédier. Malheureusement, il a fallu attendre des morts au Canada et aux États-Unis avant de se pencher sur les services de police du Canada et d’amorcer un véritable débat de société sur le racisme systémique au pays.

Honorables sénateurs, je n’ai peut-être pas subi de racisme ni de discrimination, mais je peux comprendre les faits et les données, lorsqu’elles sont accessibles, bien sûr. Il n’y a pas deux façons de voir les choses. Le racisme systémique existe, et c’est une réalité très concrète pour bon nombre de nos concitoyens.

Je comprends qu’il y a, à Québec et à Ottawa, des élus qui, encore aujourd’hui, ne comprennent pas ou feignent de ne pas comprendre ce qu’est le racisme systémique. C’est pour le moins étonnant, considérant les multiples études, rapports de commissions, décisions de la Cour suprême et événements récents rapportés dans les médias.

Heureusement, le 15 juin dernier, en réponse à un rapport sur le racisme et la discrimination systémique publié par l’Office de consultation publique de Montréal, auquel la sénatrice Seidman faisait référence un peu plus tôt, la mairesse de la Ville de Montréal a déclaré ce qui suit, et je cite :

Nous sommes fermement engagés à mettre en place des solutions systémiques à ces problèmes systémiques. Nous devons agir maintenant et la Ville de Montréal doit être exemplaire.

Selon la mairesse, la reconnaissance de l’existence du racisme systémique au sein de l’administration municipale signifie que le problème est aussi présent, par extension, au sein du Service de police de la Ville de Montréal.

La déclaration de la mairesse est marquante, mais, encore une fois, pas étonnante. Montréal, comme d’autres villes canadiennes, a été le lieu d’actes de brutalité policière envers les minorités visibles et, surtout, de façon plus insidieuse, de pratiques douteuses, comme le profilage et le contrôle d’identité de personnes de couleur. Le racisme et la discrimination systémique vont toutefois au-delà de la sphère policière.

En fait, le racisme et la discrimination systémique existent encore à tous les niveaux de notre système judiciaire, bien que ce soit un fait connu depuis de nombreuses années. Je vais citer un exemple important.

En 1971, Donald Marshall jr, un homme bien connu dans les provinces de l’Atlantique, a été reconnu à tort coupable de meurtre et a passé 11 ans en prison pour un crime qu’il n’avait pas commis. En 1990, sept ans après sa libération, une commission royale présidée par un juge et assistée par mon ancien juge en chef à la Cour supérieure l’a totalement exonéré. La commission a déclaré que le système de justice pénale l’avait laissé tomber à toutes les étapes et que le racisme systémique avait contribué à sa condamnation injustifiée. Cela fait 30 ans que la commission royale a conclu que Donald Marshall jr a été victime de racisme systémique au sein du système judiciaire. Malheureusement, peu de choses ont changé.

En 2014, un rapport du Bureau de l’enquêteur correctionnel a conclu à « l’existence du racisme dans chaque volet du système en question [...] ».

Un peu plus tôt cette semaine, le Caucus des parlementaires noirs a aussi signalé ce problème qui reste d’actualité.

Quant à M. Marshall jr, une fois de retour dans sa collectivité après sa libération, il s’est pourvu devant la Cour suprême du Canada dans une affaire appelée R. c. Marshall pour revendiquer des droits de pêche au nom des Mi’kmaq. En 1999, il a obtenu gain de cause devant la Cour suprême du Canada dans une affaire très célèbre et qui a fait date en ce qui concerne les droits de pêche et les droits des Autochtones issus de traités.

Toutefois, comme l’a indiqué le sénateur Christmas l’année dernière quand nous étudiions le projet de loi C-68 sur les droits de pêche, les droits des Mi’kmaq au Canada atlantique ne sont toujours pas pleinement reconnus aujourd’hui, plus de 20 ans après la décision historique de la Cour suprême du Canada. C’est une autre preuve que dans notre société, l’égalité devant la justice est loin d’être acquise pour les Canadiens autochtones et que le gouvernement n’a pas donné suite à la décision de la Cour suprême du Canada, qui lui demandait de respecter les droits constitutionnels reconnus de cette communauté.

Dans son rapport, le Caucus canadien des parlementaires noirs a formulé des recommandations importantes, et je vais en souligner 15. Il s’agit de recommandations faciles à suivre qui ont très souvent été faites par le passé, mais qui n’ont pas encore été mises en œuvre.

Premièrement, il faut « éliminer les peines minimales obligatoires », comme le réclame la sénatrice Pate depuis de nombreuses années. Le gouvernement a promis d’agir dans ce dossier, mais il n’a toujours pas présenté de projet de loi à cette fin. Nous avons toutefois entendu dire récemment que cela s’en vient peut-être finalement.

Deuxièmement, il faut « revoir les restrictions qui s’appliquent aux peines d’emprisonnement avec sursis ».

Troisièmement, il faut « créer dans tout le pays des centres de justice communautaire pouvant constituer une solution de rechange à l’emprisonnement ».

Quatrièmement, il faut « financer des programmes communautaires de déjudiciarisation des peines […] ».

Cinquièmement, il faut « investir dans les programmes de justice réparatrice et d’autres initiatives communautaires ».

En sixième lieu : « Mettre en œuvre les recommandations des commissions parlementaires précédentes concernant les efforts pour lutter contre la haine en ligne, renforcer la sécurité publique et s’assurer que les plateformes de médias sociaux sont responsables de la suppression des contenus haineux et extrémistes. »

En septième lieu : « Remédier à la sous-représentation des Canadiens noirs et des Autochtones dans le système judiciaire (p. ex. les juges, les procureurs et les juges de paix). » Les personnes nommées devraient être issues de ces communautés et elles sont parfaitement capables d’assumer de telles responsabilités.

En huitième lieu : « Fournir une aide juridique supplémentaire aux personnes des communautés surreprésentées dans nos institutions carcérales. » On les oublie souvent pendant de nombreuses années.

En neuvième lieu : « Réformer en profondeur la police, la sécurité publique, la sécurité des frontières, le système pénitentiaire et les forces militaires. Mettre l’accent sur l’efficacité des services de police en privilégiant les techniques de désamorçage des conflits », comme l’a recommandé le sénateur Murray Sinclair dans le Globe and Mail, il y a quelques jours.

En dixième lieu : « Les fonds réaffectés devraient être consacrés à des spécialistes des services sociaux et de la santé mentale formés dans le domaine de l’intervention non violente et du désamorçage des conflits. » On s’attend à ce que ces spécialistes travaillent étroitement avec les services de police afin de prévenir l’usage des armes lors d’une intervention relative à des problèmes de santé mentale. C’est ce qui s’est passé à Montréal, il y a quelques années.

En onzième lieu : « Prendre immédiatement des mesures pour interdire les contrôles d’identité et le profilage racial par les forces de l’ordre fédérales. »

En douzième lieu : « Afin de remédier à la surreprésentation des Canadiens noirs et des Autochtones dans la population carcérale fédérale, donner suite aux recommandations des nombreuses études qui ont été faites à ce sujet. » Cela n’a rien de nouveau. Rien n’a été fait pour y remédier. Voilà le problème.

En treizième lieu : « Libérer immédiatement des établissements carcéraux les personnes qui ne présentent aucun risque pour la société avec un soutien adéquat dans la communauté et en consultation avec les communautés affectées [...] »

En quatorzième lieu : « Remédier à la sous-représentation des Canadiens noirs et des Autochtones dans l’administration de la sécurité publique (p. ex. la Commission des libérations conditionnelles, la haute direction des prisons et l’administration des activités après la mise en liberté). »

En quinzième lieu : « Obliger tous les policiers en service à porter des caméras d’intervention [...] » Il s’agit d’une proposition que le premier ministre a finalement approuvée.

Honorables sénateurs, il existe des solutions, mais la volonté de les mettre en œuvre fait défaut. Nous ne pouvons plus nous permettre d’attendre davantage. Nous n’avons pas besoin de plus de groupes de travail, de commissions ou de rapports. Nous avons besoin que l’on passe à l’action.

Hier, j’ai lu un article très intéressant de Noémi Mercier publié dans L’actualité. Elle y explique éloquemment comment la femme noire se retrouve constamment oubliée à des tables de conférence, dans les milieux de travail et dans les débats sur la discrimination systémique. Elles sont les grandes oubliées du racisme. Mme Mercier indique que, par contre, les femmes noires sont deux fois plus à risque d’être interpellées par la police que les femmes blanches. Elles existent alors et sont donc plus susceptibles de faire face à des démêlés avec la justice que les femmes blanches. La situation est loin d’être propre à Montréal ou au Québec. Comme l’indique Mme Mercier, à Halifax, les femmes noires sont 3,6 fois plus à risque d’être interpellées par les policiers que les femmes blanches. À Ottawa, les conductrices noires âgées de 16 à 24 ans subissent des contrôles routiers de manière plus importante que ce que laisse présager leur représentation au sein de la population. C’est 80 % plus élevé. Dans l’ensemble du pays, les revenus des femmes blanches représentent 67 % de ceux des hommes blancs. Par contre, les revenus des femmes noires représentent 56 % du revenu des hommes blancs. Bref, les femmes issues de minorités visibles subissent les doubles effets de la discrimination fondée sur le genre et de la discrimination fondée sur la race.

Dans le cadre de l’examen des moyens de lutter contre le racisme et la discrimination systémiques, il faut porter une attention particulière aux effets du racisme sexospécifique, surtout sur les femmes membres de groupes minoritaires.

En conclusion, le racisme est, encore aujourd’hui, une réalité pour les personnes autochtones, noires et de couleur dans leurs interactions avec la police et les institutions publiques, de même que dans leur milieu de travail. Nous avons tous, comme citoyens, comme législateurs, comme membres de la société, une obligation morale d’adopter des mesures concrètes pour contrer le racisme, et ce, dès maintenant. Merci. Meegwetch.

L’honorable Leo Housakos : Honorables sénateurs et sénatrice Moodie, je vous remercie d’avoir réclamé le présent débat d’urgence. J’estime que l’enjeu est très important.

Le présent débat concerne l’ensemble du Canada. Il porte sur ce que nous avons fait, ce que nous faisons actuellement et les objectifs que nous visons en tant que nation. Il est étonnant de voir les accomplissements remarquables de l’homme, notamment sur le plan technologique, et de constater que nous bénéficions d’un niveau de vie jamais égalé auparavant. Pourtant, il semble difficile d’apprendre aux hommes à faire preuve de décence et de respect envers leur prochain, et à ne pas craindre les différences des autres mais à plutôt les accueillir et en tirer profit.

J’estime encore que le Canada est le meilleur pays du monde. C’est ce que m’ont inculqué mes parents qui sont arrivés ici dans les années 1950. Je crois qu’il n’y a pas de meilleur pays que le Canada. Il a donné des possibilités à tant de gens.

Nous sommes tous arrivés ici avec les mêmes rêves et aspirations. Nombre d’entre nous dans cette enceinte sont des immigrants. La plupart de nos ancêtres étaient des immigrants qui avaient quitté leur pays d’origine pour des raisons similaires et sont arrivés ici porteurs de rêves et d’espoirs. Ils fuyaient la guerre, la persécution et la dépression économique. Ils souhaitaient de meilleures possibilités. Peu importe s’ils étaient Français, Anglais ou de n’importe quelle autre nationalité. L’histoire du Canada repose sur l’immigration. Le Canada a donné à des millions de personnes la chance d’améliorer leur sort.

Je pense que le Canada a énormément profité de cette diversité. C’est pourquoi nous disons que la diversité fait notre force. Je crois qu’elle fait partie intégrante de l’identité canadienne et qu’elle est, en fait, la composante la plus essentielle de cette identité.

Je crois sincèrement que notre unité fait notre force. Nous sommes devenus le pays le plus fort qu’il est possible d’être, car nous sommes parvenus à inculquer un sentiment nationaliste à des personnes d’origines ethniques diverses. En effet, en plus de vouloir vivre le « rêve canadien », comme mes parents l’ont fait, les gens qui viennent ici veulent tous se sentir Canadiens et faire partie d’une société où personne n’est supérieur ou inférieur; tout le monde est égal. Si ce n’est pas ce que ressentent tous les citoyens du pays, cela signifie que nous avons manqué à certains de nos devoirs et que nous n’avons pas réalisé notre plein potentiel.

Mes parents débordaient d’enthousiasme quand ils sont arrivés ici, dans les années 1950. Ils se sont établis dans le quartier Parc-Extension, où je suis né. Ce quartier accueille des centaines de milliers d’immigrants. Le sénateur Munson sait très bien où Parc-Extension se trouve, car je sais qu’il a vécu à Montréal pendant un certain temps.

Parc-Extension a accueilli les Irlandais, les Juifs, les Noirs, les Grecs, les Arméniens, les Italiens et les gens originaires de l’Asie du Sud. Tous ont grandi dans ce quartier, du moins ceux d’entre nous qui sont des enfants d’immigrants. Nous coexistions dans la paix et l’harmonie, nous avions les mêmes objectifs et nous vivions les mêmes expériences. La couleur de la peau n’importait pas, pas plus que le fait que certains se rendaient à l’église catholique, d’autres au temple et d’autres à la synagogue. Nous étions tous arrivés au pays avec un bagage et des aspirations similaires et nous voulions tous que la citoyenneté canadienne fasse autant partie de notre cœur et de qui nous sommes que pour nos voisins, les Anglais et les Français arrivés avant nous et les Autochtones indigènes.

C’est vraiment l’objectif de cette discussion. C’est le défi que nous sommes appelés à relever.

Récemment, je me suis rendu dans Parc-Extension et j’ai pris la parole au temple hindou. Lorsqu’il m’a présenté, le président du temple a dit que j’étais né et que j’avais grandi dans Parc-Extension. Aujourd’hui, on trouve surtout des personnes originaires de l’Asie du Sud dans Parc-Extension. Incidemment, le quartier se trouve aussi dans la circonscription du premier ministre Trudeau.

Quand j’ai visité le temple, j’ai vu les yeux des gens s’illuminer lorsqu’ils ont appris que je venais du quartier. L’expérience vécue par mes parents et par moi était la même qu’ils vivaient. Ils étaient stupéfaits de constater qu’une personne ayant de telles origines et ayant vécu une telle expérience puisse devenir sénateur à la Chambre haute du Parlement.

On pouvait sentir l’énergie dans la salle. Ces mères et ces pères qui travaillent dur et qui ne sont au pays que depuis peu de temps se disaient: « Ma foi, peut-être que mes enfants pourront aussi faire de même un jour. » Bien sûr qu’ils le peuvent. Je suis fier du fait que cette institution est représentative. Elle ne l’est peut-être pas autant qu’elle le devrait, mais nous y travaillons. Le Canada est une œuvre inachevée.

Je me souviens aussi d’avoir assisté il y a quelques années à un défilé de la Fête de l’indépendance de la Grèce sur l’avenue Danforth, à Toronto. Une dame de 76 ans s’est approchée de moi et m’a demandé, en grec, si Anastasia Housakos était ma mère. Je lui ai répondu que oui. Elle m’a ensuite demandé si ma mère venait d’un petit village dans le sud du Péloponnèse, après quoi je lui ai confirmé que oui. Elle m’a dit avoir reconnu mon nom de famille. Cette dame de 76 ans que je venais de rencontrer sur l’avenue Danforth a éclaté en sanglots et m’a offert la plus chaleureuse des étreintes. Je me demandais pourquoi diable elle pleurait. Je l’ai regardée dans les yeux. Elle m’a dit qu’elle était très fière de moi; que je représente le rêve de tous ceux qui ont immigré au Canada.

C’est à ce moment bien précis que je me suis rendu compte que je ne suis pas seulement un représentant du Sénat, du Québec ou de Montréal. Je représente ma province avec beaucoup de joie et de fierté, certes, mais je représente aussi les espoirs des personnes de cette communauté.

Ainsi, chers collègues, lorsque nous parlons de ces problèmes aujourd’hui, nous avons, surtout à titre de Sénat, l’obligation morale de faire plus que poser un geste symbolique. Ce que nous faisons aujourd’hui est excellent; nous avons l’occasion de parler de notre expérience personnelle. J’appuie l’interpellation du sénateur Plett, car j’estime que nous devons commencer à prendre des mesures concrètes. La vérité, c’est que l’ethnocentrisme, le racisme et la discrimination font partie intégrante de la nature humaine. Ils existent depuis 4 000 ans. Ils existent même dans ce grand pays. Car, parfois, nous relâchons notre vigilance. Nous tenons pour acquises notre démocratie et nos institutions, et nous sous-estimons l’ampleur de ces problèmes horribles. Nous devons poursuivre le combat. Nous devons continuer de prendre des mesures pour lutter contre ces problèmes. Un pas en avant ne suffit pas. Quand on se repose sur ses lauriers, il est facile de régresser.

Comme tout autre endroit sur Terre, le Canada a sa part d’atrocités, que nous devons accepter. Il faut accepter le fait que, jadis, nous avons refusé l’entrée au pays aux immigrants noirs. Nous avons rejeté de pleins bateaux de Juifs qui cherchaient un refuge. Nous avons imposé une horrible taxe d’entrée. Nous avons interné des Canadiens d’origine japonaise et italienne.

Tous ces moments désolants, y compris l’atrocité des pensionnats indiens, et j’en passe, font partie de l’histoire du Canada. Évidemment, nous devons apprendre de notre passé. Nous devons remédier à ces problèmes. C’est ce que font les grandes démocraties et les grands pays. C’est ce que nous faisons.

Je suis très fier que le précédent gouvernement conservateur et M. Harper aient présenté des excuses à la Chambre des communes au sujet de la taxe d’entrée. J’étais très fier que M. Harper présente des excuses au sujet du génocide survenu dans les pensionnats indiens au pays et, bien sûr, qu’il lance une commission d’enquête à des fins de réconciliation. J’ai également ressenti énormément de fierté lorsque j’étais un jeune stagiaire au sein du gouvernement Mulroney. Je commence à me faire très vieux. À l’époque, je travaillais pour le ministre Gerry Weiner. Le gouvernement Mulroney a travaillé au dédommagement des Canadiens d’origine japonaise qui ont été internés. Cela m’a rendu très fier. J’étais fier que M. Mulroney présente, en 1993, des excuses aux Canadiens d’origine italienne concernant leur internement pendant la Seconde Guerre mondiale. Cela dit, nous devons faire plus.

Malheureusement, le racisme et la discrimination subsistent à ce jour. Nous en sommes témoins tous les jours. Je crois que nous avons tous la responsabilité d’agir, peu importe nos allégeances politiques. Cet enjeu ne devrait être l’apanage de personne. Il s’agit d’un enjeu collectif. Nous sommes arrivés au point où nous en sommes de façon collective et nous avons tous la responsabilité de vider la question et de régler ce problème le plus rapidement possible.

Comme je l’ai dit, les gestes symboliques ne viendront pas à bout de ce problème. Il ne s’agit pas de se placer en tête d’une manifestation, de mettre un genou par terre ou de se contenter de beaux discours. Nous devons avoir recours à des interpellations, mener des enquêtes et découvrir pourquoi de telles choses ont lieu dans un pays doté de lois qui s’attaquent au racisme systémique ou institutionnalisé. Nous avons la Charte des droits et libertés, des lois qui condamnent les crimes haineux, et d’autres instruments encore. Pourtant, ces choses persistent. On continue à les observer.

Je vais vous parler de quelques expériences personnelles par rapport aux trois visages horribles que sont l’ethnocentrisme, le racisme et la discrimination. Ma mère est arrivée ici en 1956. Alors qu’elle était une jeune femme, elle a un jour pris l’autobus avec un ami pour se rendre au travail. Elle a passé la majeure partie de sa vie sur la rue Chabanel, dans le quartier du textile à Montréal. Elle y travaillait très fort. Alors qu’elle discutait avec son ami, qui avait aussi immigré de la Grèce, le chauffeur d’autobus lui a dit :

« Hé! Toi, parle français. Ici, au Québec, il faut parler en français, et si vous n’êtes pas capable de parler en français, retournez chez vous. »

C’est une des expériences qu’elle a vécues. Elle n’a pas pu arrêter de penser à cet épisode pendant longtemps parce que, pour elle, elle était chez elle. C’était chez elle, l’endroit où elle s’était installée. Elle a raconté cette histoire à plusieurs reprises, à quel point elle s’était sentie toute petite ce jour-là. Elle avait connu l’ethnocentrisme.

Je me souviens d’une expérience que j’ai vécue quelques années plus tard avec mon père. J’avais environ cinq ou six ans. J’avais l’âge d’aller à l’école. Mon père est arrivé au Canada en 1959. Il avait compris l’importance du dicton « À Rome, fais comme les Romains ». Au Québec, il est important d’apprendre le français. Nous étions fiers d’être au Québec, et il l’était aussi.

Mon père m’a donc amené à l’école pour m’y inscrire. Un bon matin, tôt, nous nous sommes présentés à l’école française du quartier. Nous avons présenté mon certificat de naissance. La personne qui nous a reçus l’a examiné, puis a dit à mon père : « Nous sommes désolés, mais vous ne pouvez inscrire votre fils à notre école. » Mon père lui a demandé pourquoi. « Parce que vous êtres Grecs orthodoxes », lui a-t-elle répondu. Évidemment, comme le sénateur Gold le sait, à l’époque, à Montréal, on ne pouvait inscrire à l’école catholique un enfant non catholique. Or, les écoles de la commission scolaire catholique étaient les seules qui dispensaient l’éducation en français. Nous sommes repartis. Nous devions trouver une solution de rechange. J’ai malgré tout trouvé le moyen d’apprendre le français, mais j’ai fréquenté une école anglaise. Nous avons persévéré mais, ce jour-là, mon père a senti un peu de discrimination. Comment était-il possible que du simple fait que j’appartenais à une Église chrétienne différente, je ne pouvais pas fréquenter l’école française?

J’ai vécu une autre expérience qui a contribué à façonner ma façon de voir les choses. Elle concerne le racisme, qui est beaucoup plus grave que la discrimination ou l’ethnocentrisme. Il s’agit d’une anecdote que je n’avais encore jamais racontée à mes collègues car elle est douloureuse. J’allais à l’école avec Anthony, un bon ami. Nous avons passé plusieurs années ensemble à l’école secondaire Chomedey. C’est l’un des meilleurs êtres humains que j’ai jamais rencontré. Il n’y avait pas une once de méchanceté en lui. Nous avons joué ensemble, vécu ensemble, coexisté ensemble. Notre école ressemblait aux Nations unies. On y retrouvait des élèves d’origine juive, grecque, hindoue. Nommez une origine ethnique, elle y était. Il se trouvait qu’Anthony était noir, et il se trouvait que j’étais grec orthodoxe. Différentes expériences, différentes origines. Nos parents étaient venus au Canada avec les mêmes rêves et les mêmes aspirations. Nous partagions les mêmes rêves et les mêmes aspirations. Je suis allé à l’université. Un jour, j’ai ouvert le journal et j’y ai lu qu’Anthony avait été arrêté par la police. C’était à l’automne 1987.

Après être sorti un soir, Anthony a eu une altercation avec un chauffeur de taxi à propos d’un tarif de 25 dollars. Il a été menotté et arrêté. Anthony a eu quelques problèmes après ses études secondaires, mais je peux vous dire que ce n’était rien de grave, de simples ennuis d’enfant.

Dans ce cas particulier, les policiers l’ont arrêté et l’ont emmené au poste de police. Le jeune homme de 19 ans est sorti de la voiture, probablement effrayé que sa mère lui donne une raclée après avoir pris connaissance de l’incident. Il s’est éloigné de la voiture. Le policier est sorti de son véhicule et lui a crié de s’arrêter. Anthony s’est retourné et s’est arrêté. Le policier lui a tiré dans la tête, oui, il a tiré dans la tête d’un jeune homme de 19 ans — non armé et menotté —, à la suite d’une altercation avec un chauffeur de taxi à propos d’un tarif de 25 dollars. Il s’est enfui. Dès que le policier lui a demandé de s’arrêter, il a obéi et s’est retourné. Le policier lui a logé une balle dans la tête. Ce jeune homme s’appelait Anthony Griffith.

Marc, vous vous souvenez peut-être de cette histoire, qui remonte à 1987.

En y repensant, je me dis : « Qu’a fait Anthony pour mériter cela? Sérieusement. » Ce policier a eu deux procès et a été acquitté deux fois parce qu’il a prétendu qu’il s’agissait d’une erreur. Son arme s’est déclenchée par erreur. Je me suis demandé, déjà à l’époque, alors que j’étais encore jeune : « Avez-vous sorti par erreur le pistolet de votre étui? Avez-vous visé sa tête par erreur? » Si ce n’était pas un raciste, il était certainement incompétent.

Mesdames et messieurs, nous en avons vu beaucoup trop. Même aujourd’hui, 35 ans plus tard, c’est encore trop. Trop d’Autochtones dans ce pays sont arrêtés par les flics, alors qu’ils n’ont pas d’armes, et finissent par mourir entre leurs mains.

Soit nous avons un grave problème au sein des forces de police et les agents sont incompétents et mal formés, et il existe une sorte de culture qui conduit à un mauvais comportement systémique, soit la réalité est beaucoup plus sinistre et plus sordide que cela. À un moment donné, il faut que cela cesse.

Je suis d’accord avec la sénatrice Dyck. Le gouvernement avait annoncé en grande pompe la nomination d’une commissaire de police. On s’était engagé à apporter des changements substantiels. Quelques années plus tard, nous sommes revenus à la case départ.

En fin de compte, chers collègues, nous avons tous des expériences qui nous ont façonnés. Je pourrais continuer longtemps, mais le temps est limité. Nombreux sont ceux qui veulent participer au débat.

Voici ce que je pense : en tant que membres de cette institution, nous avons le devoir de poser de vraies questions, d’approfondir certains des problèmes institutionnels qui existent dans notre pays, de déterminer si le problème touche les services de police ou les systèmes qui sont en place et de voir à ce que ce problème soit réglé. Tant que nous n’aurons pas trouvé un moyen de faire en sorte que tous les Canadiens sentent qu’ils font partie intégrante du rêve canadien, nous n’aurons pas réussi comme société. Tant qu’il y aura des gens qui se sentiront laissés pour compte, à part, notre pays n’atteindra jamais toute sa grandeur. Nous devons poursuivre nos efforts à cet égard et rester vigilants. Merci, chers collègues.

L’honorable Patti LaBoucane-Benson : Honorables sénateurs, je suis Ukrainienne et Métisse. J’ai grandi et je vis sur le magnifique territoire du Traité no 6. Je tiens à remercier ma collègue la sénatrice Anderson d’avoir aimablement souligné notre présence sur un territoire traditionnel. Je suis également reconnaissante de pouvoir travailler sur un territoire algonquin.

Il y a plus de 10 ans, j’ai été chef de production d’une vidéo portant sur les concepts juridiques cris. Nous avions présenté un protocole à deux éminents aînés cris pour qu’ils produisent des enseignements et qu’ils nous aident à comprendre la philosophie à l’origine de la doctrine crie. Au cours de ce cercle, les aînés ont aussi parlé en long et en large de la colonisation et de la façon dont elle les avait touchés, eux, ainsi que leur famille et leur nation. Ils ont parlé des lois racistes qui avaient arraché des enfants à leur famille. Ces enfants étaient ensuite devenus des adultes aux prises avec de graves problèmes de santé mentale comme la toxicomanie. Certains d’entre eux n’étaient même jamais devenus adultes. Les aînés ont parlé des politiques économiques dévastatrices qui ont paralysé leur nation et réduit leur peuple à la pauvreté. Ces récits ont été tellement difficiles à entendre que tous les membres de mon équipe de recherche et de production et moi avons été submergés par l’émotion. Les aînés s’en sont rendu compte simplement en observant notre langage corporel. À un moment donné, un des aînés a levé la main et nous a dit qu’il fallait interrompre le tournage. Je vais paraphraser son enseignement.

Il a dit que le blâme, la honte et la culpabilité n’ont pas leur place dans la guérison. Il a dit que, si nous voulons résoudre les problèmes auxquels nous sommes confrontés aujourd’hui, nous ne pouvons pas constamment regarder en arrière et nous blâmer les uns les autres pour ce qui s’est passé. Il a dit que nous devons unir nos efforts en vue de bâtir une relation sacrée — une wahkohtowin — entre les peuples et les nations autochtones et non autochtones. Pour ce faire, nous devons comprendre notre histoire commune. Si nous ne comprenons pas comment le passé influence le présent, il nous sera impossible de créer un avenir meilleur.

Remarquez qu’il n’a pas parlé de la colère. J’ai entendu de nombreux aînés dire que la colère est un don du créateur. Lorsqu’elle est bien dirigée, la colère est l’émotion qui nous motive à agir et à faire des changements. Après des décennies de guérison au moyen de cérémonies, cet aîné a fini par comprendre que c’est seulement en faisant preuve de gentillesse, de respect et d’humilité que nous pouvons guérir notre relation collective et nous réconcilier. Le blâme, la honte et la culpabilité ne font que faire dérailler le processus.

Cet enseignement m’est resté, et il oriente mon travail. Depuis plus de dix ans, je dispense une formation qui décortique le droit colonial et les répercussions qu’il a eues sur les familles et les collectivités des Premières Nations et des Métis, et qui propose un cadre pour favoriser la guérison, la réconciliation et la résilience. Cette formation ne constitue pas une sensibilisation culturelle. Elle suscite plutôt une réflexion personnelle sur les préjugés coloniaux et notre relation collective avec les peuples autochtones. Qu’on me comprenne bien : la guérison est nécessaire tant pour les Autochtones que pour les non-Autochtones. Les profonds malentendus et les stéréotypes racistes envers les premiers peuples de l’île de la Tortue ont non seulement privé les Autochtones de leur humanité, mais également privé les non-Autochtones, partout au Canada, d’une culture et d’enseignements d’une grande beauté. Ainsi, des générations entières de Canadiens n’ont pas pu profiter d’une relation sacrée qui allait transformer notre pays.

J’ai aimé donner cette formation à des fournisseurs de services et à des organismes communautaires, mais mon intention première a toujours été de former des dirigeants au sein d’institutions — des juges, des procureurs de la Couronne, des directeurs généraux et des sous-ministres adjoints — afin d’instaurer un dialogue indispensable permettant de réfléchir aux préjugés colonialistes qui orientent de façon presque invisible les politiques et le processus décisionnel. Nous vivons dans un pays où il m’est impossible de trouver un seul exemple de maire, de ministre ou de premier ministre qui s’est fait arrêter violemment et placer en détention parce que sa plaque d’immatriculation était expirée; j’ai vérifié. Les élus reçoivent des honneurs, qu’ils les méritent ou non, et ils sont habituellement traités avec respect, voire avec déférence, par la police. C’est le racisme systémique qui a engendré la situation où la police a estimé, il y a quelques mois, qu’il était justifié d’exercer une violence extrême en interagissant avec un chef des Premières Nations élu démocratiquement pour la même infraction non criminelle.

Le fait que les gens qui occupent des postes de direction dans les forces de l’ordre ne peuvent pas définir le racisme systémique est un symptôme flagrant du problème. En réalité, les relations entre la police et les Premières Nations, les Métis et les Inuits sont complexes et coloniales. Il faut les analyser et les renouveler. Plus important encore, il faut des examens indépendants, accessibles, transparents et rapides des incidents de violence policière et, à tout le moins, il doit y avoir des conséquences sérieuses en cas d’atteinte à la dignité humaine et de comportement brutal.

Les cas des huit Autochtones tués par la police depuis le mois d’avril doivent faire l’objet d’une enquête transparente. Nous vivons dans un pays où, après avoir suivi ma formation, certains policiers m’ont admis en privé que lorsqu’ils sont appelés à intervenir dans un cas relevant de la protection de la jeunesse, si le nom laisse croire que les personnes sont de race blanche, leur approche est axée sur la manière d’aider la famille en question. Toutefois, dès que le nom sonne autochtone, ils explorent immédiatement les moyens de placer les enfants ailleurs. De toute évidence, les policiers arrivent sur les lieux ayant déjà décidé ce qu’ils feraient, parce que leur expérience leur a appris que lorsqu’il y a un appel concernant une famille autochtone, il n’est qu’habituel de prendre en charge les enfants. Les préjugés colonialistes permettent aux policiers d’être complaisants et de ne jamais remettre en question cette façon de faire. Le fait est que la plupart des travailleurs de première ligne ne sont pas formés pour offrir des services fondés sur des données probantes, qui tiennent compte des traumatismes historiques. On ne les renseigne pas du tout la colonisation et les conséquences qu’elle a à ce jour sur les peuples autochtones. Je le sais parce que j’ai donné cette formation.

Le racisme systémique est mortel parce qu’il entraîne l’apathie, l’indifférence et le désespoir dans la prestation des services. Il n’incite pas nos institutions à tirer des leçons, à s’adapter et à innover. Nous vivons dans un pays où les programmes éducatifs destinés aux enfants n’incluent pas de volet permanent ni satisfaisant sur le point de vue des Autochtones par rapport aux nombreux traités du Canada — des traités de paix et d’amitié, les traités nos 1 à 11, sur lesquels repose la Confédération canadienne, ainsi que les traités modernes. Des générations de Canadiens n’ont aucune idée de l’existence de ces contrats entre des nations souveraines, qui ont jeté les assises des obligations du Canada à l’égard des Premières Nations, et ce, en échange du partage des terres et des ressources. Par conséquent, la majorité des Canadiens ne comprennent pas que le Canada n’a pas respecté ses obligations fiduciaires ni assumé ses responsabilités telles qu’elles sont énoncées dans les traités.

Le racisme systémique crée un trou noir de connaissances, c’est-à-dire un vide où les malentendus, les préjugés et les mythes à propos des Autochtones sont plus facilement tolérés et propagés dans la société, au détriment de la vérité. Comme le dit l’adage, un mensonge fait la moitié du tour du monde avant que la vérité ait une chance de mettre son pantalon. Au minimum, nos programmes scolaires — de la maternelle à la fin du secondaire —, doivent enseigner la vérité.

Quand je réfléchis aux enseignements des aînés, je constate que, si je veux faire partie du mouvement de la réconciliation, je ne peux pas désigner des coupables et leur jeter le blâme en disant qu’ils devraient avoir honte quand je discute avec les gens du racisme institutionnel ou personnel. Ce n’est pas utile. En fait, il en résulte souvent l’opposé de l’effet voulu. Plutôt que d’amener les gens à changer d’avis, cela a comme effet de renforcer leur position, qu’ils défendent alors férocement. Lorsqu’un groupe crie que la vie des Noirs compte ou que la vie des Autochtones compte, l’autre groupe répond que toutes les vies comptent. Quand les Autochtones et les Noirs nous disent qu’ils ne se sentent pas valorisés par la société, nous devons les écouter. Ce n’est que grâce à la gentillesse, au respect et à l’humilité que nous comprendrons le point de vue les uns des autres, que nous réconcilierons nos différences et que nous concevrons des relations et des établissements plus humains et plus compatissants.

Honorables sénateurs, il est grand temps d’identifier et de démanteler les préjugés colonialistes qui existent dans les établissements canadiens. J’en ai assez d’organismes et de ministères qui se proclament les leaders de la réconciliation, mais qui ne veulent pas démanteler les préjugés colonialistes dans leurs propres pratiques et dans leurs processus de prise de décisions. J’en ai assez de la culture toxique et paramilitaire dans les forces de la sécurité publique, qui sont censées assurer la protection et favoriser la réadaptation des Canadiens. Leur incapacité de réaliser des changements importants frustre les peuples autochtones et leur nuit grandement. En fait, cela perpétue les traumatismes intergénérationnels.

J’en ai assez des formules de financement et des politiques qui donnent lieu au sous-financement des services chargés de la protection de la jeunesse, de l’éducation et du logement chez les Autochtones et qui font s’enraciner encore plus la pauvreté et le désespoir. J’en ai assez d’une société dont le racisme et l’apathie la pousse à blâmer, à couvrir de honte et à culpabiliser les gens pauvres pour leur misère, mais qui vient en aide aux entreprises et aux sociétés qui pâtissent de la crise. J’en ai assez des grandes idées, des tables rondes, des commissions d’enquête et des rapports qui restent sans suite. J’en ai assez de voir de nouveaux modèles, stratégies ou programmes qui sont élaborés sans perspective autochtone et qui ne favorisent nullement l’autodétermination. Honorables sénateurs, j’espère qu’il en va de même pour vous. Merci. Hiy hiy.

L’honorable Peter M. Boehm : Honorables sénateurs, j’interviens pour prendre part au débat d’urgence sur le racisme. J’aimerais remercier notre collègue, la sénatrice Moodie, d’avoir pris cette initiative importante. Vous avez toute mon admiration et tout mon respect.

En tant qu’homme blanc, je n’ai jamais été, personnellement, victime de racisme. J’ai parcouru la planète. Je n’ai jamais eu à remettre en question la raison pour laquelle on m’a embauché pour un emploi ou pour laquelle on m’a accordé ou refusé une promotion. Jamais mon véhicule n’a été intercepté par la police et jamais je n’ai fait l’objet d’un contrôle d’identité ou de profilage en raison de la couleur de ma peau. Dans cette enceinte, nous sommes nombreux, je dirais même beaucoup trop nombreux, à n’avoir jamais connu la douleur trop courante d’être victime de discrimination uniquement en raison de la couleur de notre peau. Voilà une chose qui devrait profondément déranger ceux d’entre nous qui n’ont jamais été la cible de racisme.

Cela dit, nous pouvons tous faire partie de la solution. La solution doit passer par nous tous et par l’ensemble des Canadiens, sans égard à la race.

Chers collègues, il y a bien urgence. Le racisme n’est pas un phénomène nouveau : il existe depuis toujours, aussi loin que l’on puisse remonter dans l’histoire. Cependant, maintenant, nous le constatons réellement, car, au XXIe siècle, nous pouvons filmer les actes racistes ou discriminatoires à l’aide de notre téléphone intelligent, et même les diffuser en direct. Nous ne pouvons plus prétendre que le racisme n’existe pas parce que nous ne le voyons pas.

Le racisme individuel, le racisme systémique et les mesures discriminatoires ne sont pas seulement des problèmes dans d’autres pays, ils existent aussi ici, au Canada, et ce, que l’on veuille bien l’admettre ou non.

Nous, en tant que Canadiens, du moins les Canadiens blancs, disons souvent que « le Canada n’est pas une société raciste », parce que nous accueillons à bras ouverts les immigrants et les réfugiés, et que nous considérons que le Canada n’a pas les mêmes problèmes de racisme que ceux qui prévalent dans d’autres pays.

Nous aimons beaucoup affirmer que notre diversité fait notre force. Nous avons réussi à transmettre ce message sur la scène internationale.

Au cours de ma carrière précédente, lors d’une affectation à Berlin, je me suis rendu compte que les Allemands me posaient le plus souvent des questions liées à notre diversité et à la manière dont le Canada avait en quelque sorte réussi à devenir le premier pays postmoderne du monde. Cette perception du Canada est très répandue, et elle nous permet de nous prendre pour des parangons de vertu, surtout lorsque nous nous comparons à notre voisin du Sud.

Nous savons toutefois que cette perception du Canada, aux yeux des Canadiens et du reste du monde, ne correspond pas à la réalité. Le racisme est présent et bien ancré au pays. Même si le racisme au Canada semble se manifester de façon un peu plus polie, comme on l’a entendu dans le Daily Show, cela ne veut pas dire que le racisme n’existe pas dans notre pays ou qu’il y est moins néfaste.

Les événements survenus aux États-Unis au cours des dernières semaines ont secoué le monde entier. Des manifestations pacifiques de soutien au mouvement Black Lives Matter ont été organisées partout dans le monde et témoignent d’une solidarité encourageante et inspirante à un moment où elle est le plus indispensable. Cette fois, le meurtre d’un autre Américain noir par un policier semble avoir généré un mouvement différent de lutte contre le racisme. J’ai l’impression qu’il est plus vaste, et il est vaste ici aussi, chers collègues.

Peut-être est-ce parce que nous sommes tous pris dans une crise sanitaire mondiale qui, paradoxalement, nous rapproche les uns des autres. Peut-être est-ce aussi parce que la pandémie fait ressortir comme jamais auparavant les terribles inégalités qui marquent la société. Peut-être est-ce enfin parce que les 8 minutes et 46 secondes pendant lesquelles George Floyd a suffoqué jusqu’à l’asphyxie parce qu’un policier maintenait son genou sur son cou ont été la goutte qui a fait déborder le vase. C’est cette vidéo mettant en scène la brutalité policière qui a déclenché les milliers de manifestations qui ont eu lieu de par le monde.

Ici, au Canada, pour chaque George Floyd, nous avons aussi nos propres victimes, dont la liste a d’ailleurs grossi depuis seulement deux mois. Je pense par exemple à D’Andre Campbell, qui a été tué par balle le 6 avril par un policier ontarien lorsque ses parents ont appelé à l’aide parce que D’Andre était en pleine crise schizophrénique. Ils espéraient obtenir l’aide; ils ont perdu leur fils.

Plus récemment, deux Autochtones du Nouveau-Brunswick se sont ajoutés à cette liste. Rodney Levi a été tué par balle le 12 avril par un agent de la GRC. Chantel Moore, morte le 4 juin, a elle aussi été tuée par balle, par un policier municipal. Le pire, c’est que la police avait été appelée sur place justement pour vérifier que Mme Moore se portait bien.

C’est sans parler de la terrible photo du visage tuméfié du chef Allan Adam après son arrestation brutale par la GRC, le 10 mars.

Nous avons l’occasion de discuter sérieusement du racisme au Canada et de tracer la voie à suivre. Nous devons saisir cette occasion, chers collègues. En tant que parlementaires, nous devons non seulement parler, mais aussi agir. Bref, il s’agit de nous servir des pouvoirs qui nous sont conférés pour prendre la parole et défendre les minorités.

C’est exactement la raison d’être du Sénat, chers collègues. En tant que sénateurs, nous avons l’obligation constitutionnelle et morale d’appuyer et de défendre les minorités et de faire entendre les voix des minorités de partout au pays.

De nos jours, on ne peut pas discuter du racisme au Canada sans examiner les raisons de son omniprésence. Pour comprendre où nous en sommes et où nous nous dirigeons, il nous faut comprendre d’où nous venons. Le fait est que le passé du Canada a souvent été marqué par le racisme et la discrimination. Toute discussion de l’histoire du racisme et de la discrimination raciale au Canada doit comprendre non seulement des Canadiens d’origine africaine, mais aussi des Canadiens d’origine asiatique, et, bien entendu, des Autochtones.

Parlons d’abord du racisme envers les Noirs au Canada, en commençant comme il se doit par le rôle du Canada dans la traite transatlantique des esclaves. Bien que le Canada y ait participé à titre de colonie britannique et non en tant que nation souveraine, il demeure que, pendant plus de 200 ans, soit du début des années 1600 jusqu’en 1834, des Africains ainsi que beaucoup d’Autochtones ont été achetés, vendus et forcés à travailler en tant qu’esclaves dans le territoire qui est devenu le Canada.

Lorsque les Anglais ont pris le contrôle de la Nouvelle-France en 1759, l’esclavage des Noirs s’est poursuivi. Après la Révolution américaine, les loyalistes de l’Empire-Uni ont acheminé des esclaves africains vers les provinces maritimes et les régions qui sont aujourd’hui le Québec et l’Ontario. Cette pratique était encouragée par les Anglais afin de favoriser la colonisation au Canada.

Lorsque nous pensons à la traite transatlantique des esclaves, nous l’envisageons — et ses séquelles cruelles qui sont encore très vives aujourd’hui — comme quelque chose qui est propre aux États-Unis.

Nous voyons le Canada comme la destination finale du chemin de fer clandestin, synonyme de liberté pour les esclaves qui s’étaient échappés.

Le Canada et les États libres des États-Unis étaient bel et bien des symboles d’espoir. Il demeure toutefois que notre pays comptait des milliers d’esclaves africains avant l’abolition de l’esclavage.

Si le Parlement britannique n’a aboli l’esclavage en Amérique du Nord britannique qu’en 1834, une disposition de la Loi visant à restreindre l’esclavage de 1793 prévoyait que les esclaves qui parvenaient à se rendre dans le Haut-Canada étaient affranchis.

Se libérer des chaînes de l’esclavage ne signifiait pas pour autant se soustraire au racisme et à la discrimination.

Les premiers Africains libres au Canada ont connu de nombreuses épreuves. Ils ont notamment eu de la difficulté à trouver un emploi, un logement convenable et une école pour leurs enfants, en plus de composer avec la ségrégation dans les espaces publics.

Malgré les obstacles, dont bon nombre — de nature juridique, sociale ou économique — persistent encore aujourd’hui, les Canadiens noirs ont énormément fait pour le Canada depuis des siècles dans toutes les sphères de la société, y compris ici même au Sénat en tant que sénateurs ou membres du personnel. Le manque de représentation en ces murs constitue d’ailleurs un autre élément d’une plus vaste discussion que nous devons avoir.

Sur ce, je recommande fortement à ceux qui ne l’ont pas déjà fait de lire l’excellente et réfléchie lettre d’opinion de Josh Dadjo dans l’Ottawa Citizen. M. Dadjo est un ancien page qui travaillait au bureau de la sénatrice Moodie.

Le Canada est plus riche grâce aux innombrables et constantes contributions de sa solide et résiliente communauté afro-canadienne.

Nous devons à nos concitoyens d’agir contre ce fléau qu’est le racisme, des microaggressions quotidiennes — le soi-disant racisme poli — à la brutalité policière en passant par tout ce qui peut exister entre les deux.

Les Canadiens d’origine asiatique ont aussi été victimes de racisme et de discrimination au Canada. Cela a commencé avec la construction du chemin de fer du Canadien Pacifique dans les années 1880, lorsque 15 000 Chinois ont été amenés en Colombie-Britannique pour participer aux travaux. Ils ont énormément souffert, victimes de mauvais traitements et assignés à des tâches dangereuses pour un salaire de misère. Environ 600 d’entre eux sont morts.

Le recours à des travailleurs provenant de la Chine a été controversé car le gouvernement provincial craignait un afflux d’immigrants chinois. On en avait besoin pour contribuer au développement de l’Ouest du pays, mais des mesures ont rapidement été prises pour prévenir toute immigration une fois le chemin de fer terminé.

En 1885, lorsque le chemin de fer Canadien Pacifique fut terminé, le gouvernement fédéral a fait adopter la Loi de l’immigration chinoise, qui imposait une taxe d’entrée aux Chinois qui désiraient venir au Canada. Durant les 38 années où cette taxe a été en vigueur, le taux a augmenté trois fois afin de dissuader les immigrants. Approximativement 82 000 Chinois ont réussi à payer la taxe afin de s’installer dans un pays qui les traitait odieusement. Lorsque le gouvernement a réalisé que la taxe d’entrée n’était pas efficace, il a simplement interdit l’immigration de personnes d’origine chinoise.

En 1923, la taxe d’entrée a été levée. Toutefois, une deuxième Loi de l’immigration chinoise — aussi appelée la Loi d’exclusion des Chinois —, a été adoptée. Cette loi bannissait carrément, sauf certaines exceptions, les immigrants en provenance de la Chine. C’était la première loi consignée dans les archives canadiennes qui interdisait l’immigration fondée sur la race. La loi n’a été abolie qu’en 1947.

Durant la Seconde Guerre mondiale, en décembre 1941, le Canada a déclaré la guerre au Japon, qui venait d’attaquer Pearl Harbor, et a emprisonné les habitants d’origine japonaise dans des camps d’internement, même si la plupart d’entre eux étaient des citoyens canadiens. On a pu le faire rapidement, car, en mars, le gouvernement avait commencé à exiger que les Japonais résidant au Canada s’inscrivent auprès du gouvernement, qu’ils soient citoyens canadiens ou non. Ainsi, ils étaient devenus essentiellement des ennemis étrangers.

En 1942, en raison de multiples politiques racistes et discriminatoires à l’égard des résidants japonais, le gouvernement a expulsé 21 000 de ces résidants de leurs maisons en leur ordonnant de se déplacer vers l’intérieur du continent pour qu’ils s’éloignent de la côte du Pacifique. La majorité de ces personnes étaient nées au Canada, et un nombre encore plus important étaient citoyens canadiens. Le gouvernement fédéral a saisi et vendu leurs maisons, leurs terres et leurs biens. À la fin de la guerre, en 1945, les Canadiens d’origine japonaise ont dû faire le choix d’être réinstallés en dehors de la Colombie-Britannique ou renvoyés au Japon.

Enfin, honorables collègues, je ne peux pas conclure cette intervention sur la longue et triste histoire du racisme au Canada sans parler de la façon dont ce pays a traité les peuples autochtones. Qu’il s’agisse des premières politiques racistes et paternalistes qui, dans bien des cas, sont toujours présentes sous une forme ou une autre, y compris la Loi sur les Indiens, ou qu’il s’agisse des pensionnats autochtones et du traumatisme intergénérationnel qu’ils ont causé, de la surreprésentation des Autochtones dans les prisons, de leur sous-représentation dans les institutions publiques, des inégalités généralisées en matière d’accès à un logement, aux soins de santé, et même à l’eau potable, les peuples autochtones du Canada ont grandement souffert du racisme sous toutes ses formes.

Même ici, au Sénat, lorsque nous avons eu l’occasion, au cours de la dernière législature, d’accomplir quelque chose de bien et de montrer aux peuples autochtones que le Canada est sérieux en matière de réconciliation, lorsque nous avons eu la possibilité d’agir et de ne pas nous contenter de belles paroles, nous avons échoué.

L’étude du projet de loi C-262, la Loi relative à la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones, s’est embourbée dans les querelles et les retards, sans parler du manque de sensibilité du Sénat et du Comité des peuples autochtones, qui l’ont étudié. Je ne peux m’empêcher de soupçonner la présence de préjugés inconscients, voire conscients, notamment en ce qui concerne la fausse supposition que les peuples autochtones se seraient opposés à notre fameux mode de vie. Notre incapacité à faire adopter le projet de loi C-262 et la manière dont nous avons échoué rendent d’autant plus important le fait que nous réussissions maintenant, peu importe à quoi ressemblera le visage du succès à court et à long terme.

Je veux revenir un instant sur ma vie antérieure. Il y a plus de 20 ans, en 1998, lorsque j’étais ambassadeur et représentant permanent du Canada auprès de l’Organisation des États américains à Washington, j’ai travaillé pour que le chef national de l’Assemblée des Premières Nations de l’époque, Phil Fontaine, s’adresse au Conseil permanent de l’Organisation des États américains. Il est le premier chef autochtone de l’hémisphère à l’avoir fait. Son discours éloquent portait sur la réconciliation et les efforts de l’Assemblée des Premières Nations pour rapprocher les groupes autochtones de tout l’hémisphère. C’était il y a longtemps, mais pour moi, c’est comme si c’était hier.

Je raconte cette histoire parce qu’elle me rappelle constamment que le Canada a encore un long chemin à parcourir. En fait, je crois fermement que l’urgence d’agir est devenue plus grande. Voilà pourquoi j’appuie autant la tenue de ces discussions dans le cadre d’un débat d’urgence et au-delà, que ce soit dans le cadre d’une enquête, d’un comité spécial ou d’un comité plénier. Nous devrions faire tout ce que nous pouvons.

Chers collègues, même si ce n’était que brièvement, j’ai fait l’historique du problème, puis l’état des lieux, mais ce n’est pas à moi de dicter la voie à suivre. Les gens qui ont la même apparence que moi ont la responsabilité d’écouter ceux qui n’ont pas leurs privilèges, ceux qui, pour reprendre les mots prononcés par une collaboratrice de la sénatrice Bovey, Christine Sentongo-Andersen, lors d’une activité sénatoriale organisée dans le cadre du Mois de l’histoire des Noirs, « n’ont pas le luxe de se défaire de leur peau comme d’autres de leur manteau d’hiver ».

En réalité, on nous l’a déjà montrée, la voie à suivre. Comme le dit sans équivoque la déclaration du Caucus des parlementaires noirs, que nous avons tous reçue et que j’appuie sans réserve :

Des rapports détaillés et des propositions sérieuses existent déjà. Le temps est venu de mettre en œuvre ces propositions et de consacrer des ressources financières suffisantes pour les appliquer efficacement.

Les Afro-Canadiens nous disent depuis années ce que nous devons faire. Les Autochtones aussi, et ils l’ont répété encore récemment dans le rapport final de l’Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées et celui de la Commission de vérité et réconciliation. Je suis d’ailleurs navré que son commissaire en chef, le sénateur Sinclair, ne soit pas parmi nous ce soir.

On nous a dit ce qu’il fallait faire, chers collègues. Nous avons entendu, mais nous n’avons pas écouté et nous n’avons rien fait. Ce soir est un excellent début, mais ce n’est que cela, un début. C’est le moment. Si ce n’est pas le cas, quand alors?

L’honorable Dennis Glen Patterson : Honorables sénateurs, je me sens privilégié de pouvoir prendre la parole dans cet important débat d’urgence sur une question qui est maintenant au premier plan et qui devrait toujours l’être, à savoir le racisme systémique. Comme la sénatrice Moodie, je regrette que, pour des raisons que nous comprenons tous, nombre de nos respectés sénateurs autochtones en particulier ne puissent faire entendre leur importante voix dans ce débat.

Dans ce contexte, j’ai eu le privilège de travailler en étroite collaboration avec les sénateurs autochtones au sein du Comité sénatorial permanent des peuples autochtones au cours des dix dernières années. Comme le sénateur Anderson l’a dit ce soir, ce travail n’a pas toujours été facile ni de tout repos. En fait, ce n’est pas un comité où les sénateurs se précipitent pour siéger.

Toutefois, je crois que le Comité a accompli un travail important de manière collaborative et non partisane afin de combattre le racisme systémique et ses répercussions négatives sur les peuples autochtones. L’une de nos réalisations notables dont je vais parler aujourd’hui est notre remise en question de l’approche tiède adoptée par le gouvernement pour mettre fin à des décennies et des décennies de discrimination flagrante et concertée en vertu de la Loi sur les Indiens, discrimination qui visait à réduire le nombre d’Indiens inscrits, ce qui était rendu possible par le mariage des femmes avec des non-Indiens. C’est ainsi qu’ont agi les gouvernements de toutes allégeances qui se sont succédé.

Nous avons fait obstacle à cette réponse tout à fait inadéquate à une contestation devant les tribunaux en demandant des changements dans la première version du projet de loi S-3, avec le soutien de nombreux sénateurs, dont le représentant du gouvernement de l’époque, Peter Harder. En refusant de présenter un rapport sur ce projet de loi imparfait, nous avons obligé le gouvernement à enfin prendre des mesures importantes pour s’attaquer de façon exhaustive à la question de la discrimination fondée sur le sexe liée à la Loi sur les Indiens.

Le travail du Comité des peuples autochtones, et de bien d’autres comités du Sénat, est bien loin d’être terminé face au racisme systémique. Notre devoir, tel que le voyaient les Pères de la Confédération, consiste à nous faire les champions et les porte-parole des régions et, plus particulièrement pour les fins de ce débat, des minorités. Sur la question de mettre fin au racisme systémique qui existe dans notre pays, nous ne pouvons pas continuer de simplement manifester un intérêt de pure forme. Le Sénat est le bon endroit pour s’attaquer à ce problème. Chers collègues, nous devons tout mettre en œuvre pour que les voix des Noirs, des Autochtones et des personnes de couleur soient prises en compte dans toutes les décisions du gouvernement fédéral.

J’aimerais attirer votre attention sur un exemple récent d’une décision qui a été prise à propos des Inuits sans qu’on leur ait demandé leur avis. J’avais d’ailleurs l’intention de faire une déclaration à ce sujet au Sénat aujourd’hui, mais puisqu’il est plutôt pertinent pour ce débat d’urgence, j’en parle ici.

Juin est le Mois national de l’histoire autochtone. J’aimerais attirer votre attention sur une tragédie qui se produit en même temps que la pandémie en cours. Les femmes et les enfants autochtones victimes de violence familiale n’obtiennent pas l’aide et le soutien dont ils ont besoin. Les quelques refuges existants disent accueillir un nombre beaucoup moins élevé de pensionnaires. Pour la première fois dans leur histoire, certains n’ont même pas un seul client. En raison du confinement, des femmes et des enfants sont isolés avec leur agresseur et sont donc dans l’impossibilité de fuir.

J’ai entendu parler de policiers qui refusent d’entrer dans une maison au cours d’une querelle de ménage à cause de la COVID-19. Les statistiques révèlent que les femmes et les enfants autochtones sont plus susceptibles d’être victimes de violence familiale que le reste de la population. Selon l’organisme Pauktuutit, les femmes inuites sont 14 fois plus susceptibles d’être victimes de violence que les autres femmes au Canada.

L’an dernier, les responsables de l’Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées ont présenté leur rapport final, qui comportait 231 appels à la justice. Comme les Inuits représentent 86 % de la population de mon territoire, le Nunavut, je me suis intéressé tout particulièrement aux appels à la justice ayant trait aux Inuits.

Chers collègues, aujourd’hui, j’aimerais attirer votre attention sur l’appel à la justice 16.19. Il demande au gouvernement « [...] de mettre sur pied des refuges, des maisons de transition et des maisons d’hébergement de deuxième étape sécuritaires pour les femmes, les filles et les personnes 2ELGBTQQIA inuites qui fuient la violence ».

Pauktuutit a demandé au gouvernement de répondre à cet appel à la justice en affectant immédiatement 20 millions de dollars à la construction de cinq refuges pour les Inuites dans des collectivités choisies par la communauté elle-même. Le 29 mai, le gouvernement a annoncé que 45 millions de dollars seraient consacrés à la construction de dix refuges dans les réserves et de deux refuges « dans les territoires ».

Le Canada ne peut pas continuer à prendre des décisions qui affectent la vie des populations autochtones, que ce soit les Premières nations, les Inuits ou les Métis, sans la pleine participation de ces communautés au processus décisionnel. J’ai été découragé d’apprendre que Pauktuutit avait fait part de ses préoccupations et de ses exigences à plusieurs ministres lors de réunions en personne avant cette annonce et que ces préoccupations n’avaient pas été prises en compte dans la décision ultime. Il est inquiétant de constater que seuls deux refuges sont prévus dans les territoires, sans que rien n’indique lequel des trois territoires en obtiendra un ni si l’on tiendra compte des besoins des Inuites du Nunatsiavut, du Labrador et du Nunavik, dans le Nord du Québec.

La sénatrice Anderson et moi travaillons ensemble et nous préparons une lettre aux ministres concernés pour soutenir les Inuites. Je sais que Pauktuutit souhaiterait que tous les sénateurs concernés la signent également.

Honorables sénateurs, voilà la déclaration que je tenais à faire aujourd’hui, et je tiens à souligner plusieurs points. D’abord, les appels à la justice de l’Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées, les appels à l’action de la Commission de vérité et réconciliation du Canada et bon nombre des discours du premier ministre et des ministres mettent l’accent sur la nécessité d’inclure la voix des Inuits, mais il ne suffit pas de discuter et de dialoguer avec les Autochtones. Je reconnais qu’on a beaucoup dialogué avec eux, mais il faut montrer que leurs interventions font la différence.

Nous avons donc un appel à la justice qui demande expressément au gouvernement de mettre sur pied des refuges pour les Inuites battues, ainsi qu’un organisme voué aux Inuites qui a présenté en personne un plan d’action aux ministres chargés de répondre à cet appel. Or, au lieu d’ajuster le tir en fonction de la rétroaction de ce groupe, le gouvernement est allé de l’avant avec une annonce pour le moins vague sur la façon dont il comptait répondre aux besoins des habitants du Nord.

Pour Derrick Johnson, président de l’Association nationale pour le progrès des personnes de couleur, le racisme systémique, aussi appelé racisme structurel ou institutionnel, désigne des systèmes et des structures où les procédures ou les processus désavantagent les Afro-Américains. À mon avis, on peut raisonnablement élargir cette définition aux Autochtones et aux personnes de couleur.

Glenn Harris, le président de Race Forward et éditeur de Colorlines, définit le racisme systémique comme une interaction complexe entre la culture, les politiques et les institutions qui perpétue les problèmes observés dans nos vies.

Ces deux définitions sont vraies lorsqu’on examine les politiques, les processus et les procédures qui rendraient superflues les interventions d’une organisation comme Pauktuutit lorsqu’il s’agit de prendre une décision concernant la création de nouveaux refuges pour les femmes. La décision prise aurait facilement pu être modifiée pour inclure ne serait-ce qu’un ou deux refuges pour les Inuites, ce qui aurait été une importante manifestation de bonne foi et de respect pour montrer que le gouvernement écoute les Autochtones et les femmes inuites et qu’il travaille fort pour répondre aux appels à l’action issus de l’Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées, appels auxquels le Parti libéral a souscrit dans sa dernière campagne électorale.

Honorables sénateurs, en tant qu’homme blanc, je ne peux pas prendre la parole devant vous en prétendant comprendre ce que cela signifie d’être un Noir, un Autochtone ou une autre personne de couleur. Je ne sais pas ce que c’est que de vivre constamment les mauvaises expériences qui sont le lot de ces gens, comme l’a décrit avec beaucoup d’éloquence la sénatrice Moodie dans son discours ce soir. Un exemple survenu récemment à Kinnigait, au Nunavut, a retenu l’attention de tout le pays.

Si j’ai souvent entendu parler de ce type de discrimination et que j’en ai été moi-même témoin, je n’ai pas vécu de telles expériences. Toutefois, en tant que sénateur, législateur et Canadien, je me permets de prendre position et de signaler des cas où nous aurions pu faire mieux. Je peux joindre ma voix à celles des Noirs, des Autochtones et des communautés de couleur pour militer pour des changements concrets.

J’espère sincèrement que le présent débat puisse éclairer nos actions futures et être instructif pour tout Canadien qui nie l’existence d’un racisme systémique au Canada.

Je tiens à remercier la sénatrice Moodie d’avoir amorcé une discussion importante qui s’imposait depuis longtemps au Sénat. C’est notre devoir sacré. Je serai votre allié dans cette cause fondamentale. Qujannamik. Je vous remercie.

L’honorable Kim Pate : Merci, sénatrice Moodie, d’avoir lancé ce dialogue important et vital ce soir.

Au cours des dernières semaines, nous avons vu les réalités découlant de décennies et de siècles de privilège raciste mises à mal. Comme vient de nous le rappeler le sénateur Boehm, nous avons également entendu nos collègues du Caucus des parlementaires noirs affirmer clairement : « Des rapports détaillés et des propositions sérieuses existent déjà. Le temps est venu de mettre en œuvre ces propositions et de consacrer des ressources financières suffisantes pour les appliquer efficacement. »

Je prends la parole aujourd’hui pour appuyer ce message ainsi que le leadership, le courage et la conviction extraordinaires du Caucus des parlementaires noirs ainsi que du Groupe de travail des sénateurs autochtones. Il est crucial que cet endroit réponde à leurs appels, non seulement dans ses travaux, mais également dans son fonctionnement. Chers collègues, à titre de parlementaires, nous avons la responsabilité d’examiner notre rôle et notre complicité dans la perpétuation du racisme systémique qui inspire l’actuel mouvement mondial antiraciste.

Des manifestants partout dans le monde dénoncent des exemples généraux et précis de l’attitude discriminatoire à laquelle se heurtent au quotidien ceux qui osent demander que les choses changent, en particulier en ce qui a trait à la race, y compris au Sénat et à l’autre endroit.

Étant donné les fondements historiques et les objectifs de la plupart de nos institutions étatiques, nul d’entre nous ne devrait s’étonner du fait que la discrimination raciste et misogyne se manifeste dans nos rues, de même qu’au sein des forces policières et de tous les services de l’État.

À titre de sénateurs au sein de la Chambre chargée du second examen objectif, nous avons la responsabilité de défendre les intérêts de ceux qui sont trop souvent ignorés ou, pire encore, réduits au silence. Depuis des siècles, c’est la réalité que vivent les personnes racialisées, en particulier les Noirs et les Autochtones. C’est un fait bien documenté. Nous n’avons pas besoin d’une autre enquête, d’une autre étude ou d’une autre commission pour savoir ce que nous devons faire.

Nous pourrions commencer par relire le rapport de l’Enquête publique sur l’administration de la justice et les peuples autochtones au Manitoba, à laquelle a participé le sénateur Sinclair, et voir quelles étaient les recommandations faites il y a déjà 30 ans. Nous pourrions aussi étudier les recommandations faites dans le cadre de l’étude menée par la Commission du droit du Canada et la Police provinciale de l’Ontario, à laquelle a participé la sénatrice Boniface, au sujet du travail des policiers et d’autres enjeux en matière de justice pénale. Nous pourrions revenir sur les observations faites par le sénateur Kirby et ses collègues concernant les injustices qui surviennent lorsqu’on demande aux services de police d’intervenir dans les cas de crises attribuables à des problèmes de santé mentale. De plus, nous pourrions suivre les sages conseils de la sénatrice Bernard prodigués dans le cadre de la lutte qu’elle a menée toute sa vie pour exposer le racisme à l’endroit des Noirs et y mettre fin.

Bref, nous pourrions nous servir des travaux menés depuis de nombreuses années par de nombreuses personnes, notamment par certains de nos collègues, en particulier ceux qui sont racialisés, pour attirer l’attention sur ces enjeux. Plus récemment, les appels à l’action de la Commission de vérité et réconciliation et les appels à la justice de l’Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées nous ont donné des orientations très claires, à l’instar de la déclaration faite cette semaine par le Caucus des parlementaires noirs.

Nous devons nous demander pourquoi nous nous retrouvons dans cette situation aujourd’hui en dépit du travail sérieux et réfléchi qui a été réalisé dans ce dossier. Honorables sénateurs, la réponse est très simple : un trop grand nombre de personnes ont peur de renoncer à leurs ressources, à leur pouvoir et à leurs privilèges. Nous devons nous attaquer à la présence croissante et inacceptable d’inégalités économiques, raciales et de genre au Canada. Nous devons prendre des mesures immédiatement pour régler la situation dans laquelle nous nous trouvons.

Alors, par où commencer?

Chacun d’entre nous a sans doute sa propre réponse, mais en ce qui me concerne, j’estime que nous devrions commencer par quelques choses toutes simples. Premièrement, nous devrions refuser d’adopter la moindre mesure législative ou de publier la moindre étude qui perpétue les vestiges colonialistes des préjugés de race, de classe et de genre. J’ai commencé à réfléchir aux privilèges énormes des sénateurs, mais aussi aux responsabilités qui vont de pair avec ces privilèges, bien avant d’être nommée ici, et je vous avouerai que ma réflexion s’est encore intensifiée depuis ma nomination. Nous devons écouter ceux qui sont incapables de faire entendre leur voix dans un régime politique fonctionnant à la majorité, nous devons les accompagner et nous devons leur donner justice. Nous devons demander des comptes à ceux qui détiennent le pouvoir et qui peuvent l’exercer au détriment d’autrui. Les sénateurs doivent veiller à ce que chaque Canadien puisse jouir de l’égalité réelle que lui garantit la Constitution. Nous devons en faire une réalité.

Deuxièmement, nous devrions refuser de nous cacher et de laisser les autres se cacher derrière le concept archaïque, élitiste et colonialiste du privilège parlementaire, car il arrive parfois qu’il serve à protéger les harceleurs au lieu des victimes et qu’il empêche les personnes traitées indûment d’obtenir justice. Il s’agit d’un problème institutionnel, et il est grand temps que nous en discutions franchement entre collègues, que nous établissions clairement ce qui est inacceptable dans une institution censée représenter les Canadiens et que nous allions de l’avant tous ensemble. Je remercie mes collègues qui, par leur travail ici même ou dans les comités, s’emploient à mettre ces problèmes en lumière et à les éradiquer.

Troisièmement, nous devrions emboîter le pas à nos collègues qui ont vécu des expériences de racisme tandis qu’ils tracent la voie à suivre.

Les appels à l’élimination du racisme systémique du Caucus des parlementaires noirs comprennent l’élimination des peines minimales obligatoires et la révision des restrictions qui s’appliquent aux peines avec sursis. Ils font écho à l’appel à l’action 32 de la Commission de vérité et réconciliation et à l’appel à la justice 5.14 de l’Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées. Il s’agit de deux mesures que le gouvernement s’est engagé à mettre en œuvre.

La commission et l’enquête, ainsi que bien d’autres études, commissions et rapports, ont établi des liens évidents entre les traumatismes et la marginalisation qui découlent des politiques racistes et coloniales et la surreprésentation actuelle des populations noires et autochtones parmi les victimes, les accusés et les prisonniers.

En février, j’ai présenté le projet de loi S-208, qui s’inspire d’un ancien projet de loi parrainé par l’ancien ministre de la Justice Irwin Cotler. Le projet de loi S-208 donnera aux juges le pouvoir de s’écarter des peines minimales obligatoires dans des situations appropriées. Il leur permettra de remplir leur obligation d’imposer des peines adaptées et équitables en fonction des circonstances et du contexte de chaque accusé, notamment leur histoire autochtone et leur histoire en tant que membre d’une communauté noire ou d’une autre communauté racialisée, et d’envisager des solutions de rechange communautaires à l’incarcération.

Lorsque Nelson Mandela est arrivé au pouvoir en Afrique du Sud, l’une de ses premières décisions a été de libérer toutes les femmes ayant des enfants de moins de 12 ans. Il était conscient que le fait d’emprisonner les mères condamnait les générations futures à l’oppression. Au Canada, 8 femmes emprisonnées sur 10 le sont parce qu’elles tentaient de composer avec la pauvreté et d’assurer la survie économique de leur famille; plus de la moitié d’entre elles sont racialisées. Les deux tiers des femmes dans les prisons fédérales sont des mères ayant la responsabilité principale des soins de leurs enfants. Leur emprisonnement perpétue des décennies de politiques de séparation forcée, particulièrement entre les enfants racialisés et leurs parents, le retrait des enfants, approuvé par l’État, et les politiques discriminatoires de protection de l’enfance.

Pour ceux qui ont été tenus responsables, qui ont purgé leur peine et qui travaillent fort pour pleinement réintégrer leur famille et leur communauté, les casiers judiciaires perpétuent trop souvent la marginalisation, les préjugés et la pauvreté. Ils empêchent d’accéder à des emplois, à des possibilités d’éducation, à des occasions de bénévolat et même à des logements. Tous ces aspects sont pourtant essentiels pour réduire la criminalisation et créer des collectivités plus sûres et plus justes. Le projet de loi S-214 propose de retirer les obstacles à l’élimination du casier judiciaire, y compris les coûts pouvant aller de 645 à 1 000 $ et les processus de demande excessivement complexes.

Chers collègues, après des décennies d’étude, nous savons ce qu’il faut faire. Nous connaissons les conséquences de l’inaction. Le temps des platitudes vides de sens et des justifications disculpatoires creuses est révolu.

Les données provenant de Toronto et de Montréal — deux des villes les plus durement touchées au Canada — révèlent des taux de COVID-19 plus élevés dans les quartiers plus pauvres. Ce n’est pas une coïncidence. C’est en partie à cause du racisme systémique que ces quartiers sont habités majoritairement par des membres de minorités raciales, notamment des Noirs. Beaucoup de ces habitants sont aussi chômeurs ou occupent des emplois précaires, aux conditions de travail médiocres et aux avantages sociaux inadéquats, voire inexistants.

Les réalités que reflètent ces données ne devraient pas nous étonner. Nous savons que les membres des minorités raciales au Canada doivent surmonter des obstacles pour avoir accès à une éducation supérieure. Nous savons que des études postsecondaires sont souvent requises pour accéder à des emplois autres que des petits boulots. Nous savons qu’une plus grande proportion de femmes, et en particulier des femmes des minorités raciales, occupent des petits boulots ou des emplois dans les services essentiels ou de première ligne qui permettent à notre économie de fonctionner. Il s’agit d’une économie caractérisée par des emplois qui, souvent, ne sont pas sécuritaires, sont mal payés, offrent de piètres avantages sociaux et où le pouvoir de négociation est nul. Par ailleurs, nous savons depuis longtemps que les candidats des minorités raciales font l’objet de racisme avant même d’être convoqués en entrevue, ainsi qu’en entrevue et au travail.

Pour ces raisons et bien d’autres encore, il était prévisible que les plus gravement touchés par la COVID-19 soient des personnes racialisées, pauvres, des femmes et des personnes vivant en marge de la société en raison de traumatismes passés, de l’absence de domicile fixe et de l’institutionnalisation. À mon avis, notre travail consiste à veiller à ce que, maintenant, pendant la deuxième vague très redoutée de la COVID-19 et après, nous utilisions notre immense pouvoir, nos privilèges et notre influence pour prévenir la mort de Noirs et d’Autochtones, de personnes âgées, de personnes handicapées, de celles qui sont institutionnalisées et de celles qui luttent pour se libérer des chaînes paralysantes de la pauvreté.

Honorables collègues, un revenu minimum garanti — ainsi que d’autres mesures de soutien social et de santé telles que la garde d’enfants, l’éducation, l’assurance-médicaments, les soins de santé mentale et les soins dentaires — pourrait nous aider à protéger tous les Canadiens, et pas seulement ceux qui nous ressemblent ou qui vivent comme nous. Grâce à une telle politique, ceux qui occupent un emploi précaire et qui rêvent de retourner aux études pourraient se le permettre. Ceux qui sont victimes de racisme et de sexisme sur leur lieu de travail auraient les moyens de quitter cet environnement et de trouver un autre emploi. Enfin, grâce à une telle politique, ceux qui doivent s’occuper d’autres personnes, qu’il s’agisse d’enfants, de personnes handicapées ou de personnes âgées, pourraient le faire, en particulier en période de crise. Elle permettrait d’uniformiser les règles du jeu et donnerait à chacun une chance de se battre, et surtout, elle donnerait aux gens la possibilité de faire des choix.

Chers collègues, l’histoire est en train de s’écrire tout juste de l’autre côté des portes de cette enceinte. Nous pouvons choisir d’entendre le message, de tirer des leçons et de lutter contre le racisme, ou perpétuer le bon vieux statu quo. En ce qui me concerne, je souhaite que nous soyons du bon côté de l’histoire et je crois que c’est ce que vous voulez tous aussi. Pour y arriver, nous avons du pain sur la planche. Nous devons utiliser nos ressources et notre pouvoir d’influence pour changer du tout au tout notre manière de fonctionner.

Pour reprendre les mots de nos collègues et amis, il n’est pas suffisant de « ne pas être racistes », nous devons être « anti-racisme ». Pour réussir, le Sénat doit permettre à des voix de s’exprimer, ces voix qui sont trop souvent réduites au silence dans notre société. Ce sont les idées, les stratégies et la vision qui nous feront progresser vers cette nouvelle ère. Ce n’est qu’à ce moment que nous pourrons réellement commencer à être une entité qui représente les Canadiens et qui défend leurs intérêts.

Je me réjouis de collaborer avec vous tous et de continuer à apprendre de chacun de vous. Merci, meegwetch.

L’honorable Ratna Omidvar : Je tiens à remercier chacun de mes collègues ayant pris la parole. Chacun d’entre vous m’a appris quelque chose, et j’ai appris quelque chose de nouveau sur chacun d’entre vous. Je veux féliciter la sénatrice Moodie d’avoir pris l’initiative de nous amener à tenir ce débat.

Je ne veux pas répéter ce qui a été dit, mais plutôt faire part de ma perspective sur la question. À maintes reprises, des anthropologues et d’autres personnes m’ont dit que tant qu’il y aura des personnes de différentes races, il y aura du racisme. On m’a également dit que le racisme fait partie de la nature et de la psyché humaines. On dit aussi que le racisme est une caractéristique de la condition et de la psyché humaines, et je me demande : « Faut-il qu’il en soit ainsi? »

C’est certainement vrai de notre histoire, comme l’a souligné le sénateur Boehm. Il y a eu des manifestations claires, transparentes et explicites de racisme dans notre passé, à l’époque où le racisme était légal. Je pense notamment à l’expression « sortir l’Indien de l’enfant », qui a entraîné l’héritage horrible des pensionnats. Je pense également à la privation du droit de vote et à l’internement des Canadiens d’origine japonaise qui sont peut-être quelques-unes des manifestations les plus virulentes du racisme dans notre histoire.

Il ne faudrait surtout pas nous pardonner le péché capital de l’esclavage — vous nous donnez une bonne leçon d’histoire, sénateur Boehm. N’oublions pas qu’avant la Confédération, il y avait environ 3 000 esclaves indigènes et environ 2 000 esclaves africains appartenant à des colons anglais et français.

Ces manifestations les plus brutales du racisme officiel appartiennent heureusement au passé, mais la maladie persiste. Elle est maligne. Non seulement le racisme existe encore, mais il prospère dans des recoins cachés que nous appelons aujourd’hui « racisme structurel ». Afin de ne pas seulement l’éclairer, mais de le mettre en pleine lumière, je crois que nous devons nous regarder dans le miroir et nous interroger : Comment avons-nous été complices? Comment pouvons-nous jouir de notre privilège de race et de classe alors que d’autres souffrent de son joug?

On dit qu’il faut être sans défaut pour critiquer autrui. Nous n’avons pas exactement été des champions de la lutte contre le racisme ou des mesures législatives qui auraient pu, si elles avaient été adoptées, apporter des améliorations, un changement important.

Prenons l’exemple des débats sur le projet de loi C-25 et de l’amendement proposé par le sénateur Massicotte pour accroître la reddition de comptes exigée des conseils d’administration en matière de diversité en utilisant des cibles, des mesures et des rapports fondés sur les définitions de l’équité en emploi plutôt que le seul modèle « se conformer ou s’expliquer ». Sachez que c’est le Sénat qui a voté contre.

Deux ans plus tard, les premières sociétés ont présenté leurs rapports selon le modèle « se conformer ou s’expliquer ». Pour ma part, je ne suis pas étonnée de voir que, selon ces rapports, un seul groupe a réalisé des progrès, à savoir les femmes. C’est un élément positif, mais il n’y a eu aucun progrès, c’est plutôt le contraire en fait, en ce qui a trait aux administrateurs noirs, autochtones ou membres d’une minorité visible. Une occasion ratée à mon avis.

Permettez-moi de citer un autre exemple. En 2018, le Sous-comité sur la diversité du Comité de la régie interne, des budgets et de l’administration a déposé un rapport contenant des suggestions concrètes pour faire progresser l’équité au Sénat, où on ne cesse de dire que nous sommes maîtres de nos travaux. La sénatrice Jaffer présidait ce comité, dont les membres comptaient notamment le sénateur Tannas et la sénatrice Marshall. J’ai assisté aux réunions de ce comité parce que je m’intéressais au sujet à l’étude. Le comité a formulé 10 recommandations. Je me souviens que nous avons appuyé avec beaucoup d’enthousiasme chacune de ces recommandations concrètes, qui pouvaient assez facilement être mises en œuvre. Nous étions tout particulièrement enthousiastes au sujet de l’une d’entre elles, qui visait à créer un programme de jeunes stagiaires autochtones au Sénat.

Un an plus tard, en juin 2019, la Direction des ressources humaines du Sénat a publié un rapport d’étape à l’intention du Comité de la régie interne, des budgets et de l’administration. Aujourd’hui, deux ans plus tard, la Direction des ressources humaines m’a dit que cette recommandation est encore à l’étape de la planification.

Chers collègues, je souligne cette situation non pas pour rejeter le blâme sur qui que ce soit, mais plutôt pour montrer qu’il y a trop de plans, trop de rapports, trop d’excuses et trop de retards. Je souhaite voir des jeunes stagiaires autochtones dans cette enceinte en septembre prochain. Je nous mets au défi de veiller à ce que cette aspiration se concrétise.

J’ai aussi été témoin d’incidents au Sénat qui ne sont peut-être pas de nature structurelle, mais que j’ai certainement trouvés, disons, « étranges », pour rester polie. En juin dernier, j’ai présenté une demande à un certain département de l’Administration du Sénat. On m’a répondu qu’approuver ma demande irait à l’encontre des pratiques établies. J’ai accepté l’explication parce que je trouvais cette pratique logique et j’ai répondu : « Bien sûr, je comprends. » Toutefois, quelques mois plus tard, quatre demandes semblables ont été présentées. Cette fois-ci, les quatre demandes provenaient de sénateurs blancs. Or, au mépris de la pratique habituelle du Sénat, que l’on m’avait expliquée en détail, on a accédé à ces demandes, qui étaient de la même nature et qui avaient été présentées au même département.

Chers collègues, je ne suis pas du genre à voir du racisme partout. Je pense que je suis, bêtement, trop sûre de moi. Or, cet incident m’a semblé étrange, et quand j’ai demandé une explication, on m’a répondu : « Désolé, sénatrice. Nous avons fait une erreur. »

Je suis prête à accepter une erreur, voire deux, mais trois ou quatre? Peut-être pas. Était-ce une microaggression? Suis-je paranoïaque? À vous de me le dire.

Honorables sénateurs, je suis d’avis que dans les mesures qui ont été proposées — et j’espère vraiment que quelqu’un va dresser la liste de toutes les mesures concrètes qui ont été proposées dans nos discours —, nous devons, oui, exiger que les Canadiens, nos institutions et notre gouvernement en fassent davantage, mais nous devons aussi exiger la même chose de nous-mêmes. Allons-nous véritablement nous pencher sur le racisme systémique ici, au Sénat? Examinerons-nous les mesures législatives et les autres questions à l’étude dans une perspective raciale? Est-ce que tous les comités sénatoriaux vont établir des protocoles axés sur la lutte contre le racisme et la discrimination? Est-ce que l’Administration du Sénat va mettre en œuvre les 10 recommandations du Sous-comité sénatorial sur la diversité? Demandons-nous d’abord ce que nous devons faire, ce que nous pouvons faire et à quel point nous pouvons le faire rapidement.

Chers collègues, la balle est dans notre camp, et uniquement dans notre camp. Je nous exhorte à prendre tout cela en considération. Merci.

Des voix : Bravo!

L’honorable Julie Miville-Dechêne : Tout d’abord, merci, sénatrice Moodie, d’avoir lancé ce débat. D’emblée, je salue les pistes d’action proposées par le Caucus des parlementaires noirs. Il faut colliger des données basées sur la race, car, c’est bien connu, il est difficile de changer ce qu’on ne peut pas mesurer. Des chiffres précis, des statistiques, c’est ce qui a permis au mouvement des femmes de dénoncer la discrimination systémique à leur endroit et d’être écoutées, d’être enfin prises au sérieux et de proposer des politiques ciblées.

Je veux profiter de cette tribune pour parler du débat sur le racisme qui secoue ma société. Je viens du Québec, une nation qui, au plus haut niveau politique, refuse jour après jour de se prononcer sur l’existence du racisme systémique sur son territoire et considère même que ces questions de sémantique sont une perte de temps et qu’elles divisent les Québécois. Il y a du racisme, soit, mais il ne serait pas systémique.

Ces derniers temps, on a eu droit également à l’opinion de tout un chacun sur les risques d’admettre l’existence du racisme systémique. Cela donnerait des arguments, a-t-on soutenu, à tous ceux qui cherchent une raison de plus d’attaquer le peuple québécois. Mais quel est ce peuple dont on parle ici? Est-il constitué seulement de la majorité blanche, de souche? Je suis très mal à l’aise par rapport à ce réflexe défensif sur cet enjeu précis, car, pour déboulonner le racisme systémique, le point de départ est de reconnaître qu’il existe, que des pratiques ou des comportements dans les structures sociales ou administratives nuisent aux minorités visibles, que ce soit dans leurs démêlés avec la police, leur recherche d’emploi ou leurs démarches pour trouver un logement.

À cet égard, nous ne sommes pas pires, mais pas mieux que les autres provinces.

S’il n’y a pas de racisme systémique, pourquoi un candidat portant un nom qui sonne québécois a-t-il au moins 60 % de chance de plus d’être appelé en entrevue qu’un postulant qui a un nom à consonance africaine, arabe ou latino-américaine? Il vaut mieux s’appeler André Tremblay qu’Abdoul El Said si l’on se cherche un emploi au Québec. Trouver un logement est une course à obstacles pour les Montréalais de race noire.

Notre grand écrivain Dany Laferrière, d’origine haïtienne, évoque ainsi son arrivée à Montréal, et je cite :

C’était l’hiver. Je cherchais une chambre à louer. J’arrivais toujours trop tard. On venait tout juste de la prendre. Il m’a fallu du temps avant de comprendre que c’était un refus poli. Je repassais deux jours plus tard pour voir toujours à la même place la petite pancarte qui annonçait qu’une chambre était à louer. Il faisait froid et j’étais découragé.

Dans le quotidien La Presse, on pouvait lire ce matin que le racisme systémique au Québec est une pure fabrication. Selon les auteurs, dans l’histoire du Canada, le peuple québécois, tout comme les Autochtones, a bel et bien été victime d’un racisme systémique nourri par les institutions canadiennes. Toutefois, les auteurs soutiennent que ce Québec, lui-même colonisé, a toujours été ouvert aux immigrants et aux autres cultures. Le racisme, il y en a, mais il resterait à la marge, selon la politologue Andrée Lamoureux et l’anthropologue Michèle Sirois. Je m’inscris en faux contre cet argumentaire que j’ai beaucoup, beaucoup entendu au cours de ma vie, dans tous les milieux.

Par exemple, une de mes ex-collègues au Conseil du statut de la femme était convaincue que les femmes autochtones au Québec étaient bien mieux traitées qu’ailleurs au Canada. Sur quoi se basait-elle? Sur rien. Le Québec est certes une petite société qui excelle dans toutes sortes de sphères : notre culture originale que nous exportons avec succès, le développement de l’hydroélectricité, un féminisme qui a donné lieu à de grandes avancées, comme les centres de la petite enfance, la reconnaissance avant-gardiste des droits des gais et des lesbiennes. Toutefois, à mon avis, le Québec est bel et bien aux prises — comme la plupart des sociétés occidentales — avec le racisme systémique.

Il l’est sur la question des femmes autochtones, notamment. Une enquête journalistique à Val-d’Or a mis au jour que des dizaines de femmes autochtones craignaient les policiers, car elles avaient accumulé de nombreux traumatismes : violence, intimidation, harcèlement, agressions sexuelles. Ces révélations troublantes ont donné lieu à une commission d’enquête qui a conclu que les Premières Nations étaient victimes de discrimination systémique. Le Bureau des enquêtes indépendantes a été mis sur pied pour faire la lumière sur les actions des policiers qui blessent ou tuent avec leurs armes à feu. C’est ce même bureau qui est justement en train d’enquêter sur la mort incompréhensible de Chantel Moore et de Rodney Levi, deux Autochtones du Nouveau-Brunswick.

On ne peut pas non plus passer sous silence la surreprésentation des minorités autochtones et noires dans la prostitution au Québec. Les femmes autochtones qui fuient leur communauté se retrouvent trop souvent en ville, sans ressource, itinérantes, et elles sont ciblées par les proxénètes à Montréal.

Il ne faut toutefois pas croire que seuls les milieux clandestins et marginaux sont infectés par ce virus. Les langues se délient. Sur les réseaux sociaux, une Québécoise blanche qui a épousé un Indo-Malgache se souvient d’incidents qui ont marqué son union, comme les douaniers qui prennent toujours son conjoint à part pour le questionner, les commentaires choquants de collègues de travail qui parlent de « salope » qui a épousé un Noir, des prédictions selon lesquelles un mariage pas « de notre race » ne fonctionnerait pas. Peu de choses ont changé depuis 30 ans. La journaliste Lucie Pagé raconte que, en circulant dans la rue avec son mari sud-africain, elle s’est fait lancer : « Y’é toasté, ton chum. » Le conjoint et la gardienne de Lucie Pagé, tous les deux Noirs, se faisaient talonner et respirer dans le cou quand ils faisaient des courses.

Malgré les programmes d’action positive, le secteur public québécois compte un déficit important pour ce qui est des membres de minorités visibles. Il y a eu des progrès depuis 10 ans, mais la représentation des personnes de couleur est de 6 %, alors que les membres de minorités visibles forment 13 % de la population québécoise. J’ai fait partie de ces gestionnaires qui n’ont pas réussi à atteindre leur cible. Les règles d’embauche sont rigides, il faut piger dans des bassins de candidats qui ont déjà passé des examens, où les minorités sont rares. Bref, il faut sans doute revoir ces règles et lier l’évaluation de la performance du gestionnaire à des efforts en vue de diversifier l’embauche.

Les services de police sont peu représentatifs du caractère multiethnique de Montréal. Huit pour cent des policiers sont issus des minorités visibles, alors que c’est la caractéristique du tiers des Montréalais. Selon un portrait dressé en 2019 par trois chercheurs indépendants, les Noirs et les Autochtones sont quatre et cinq fois plus susceptibles d’être interpellés par les policiers de Montréal que les Blancs. Pour les femmes autochtones, c’est 11 fois plus que les Blanches. Le même constat de profilage racial existe dans d’autres villes canadiennes.

Oui, le portrait est inquiétant, mais il y a des forces vives qui dénoncent le racisme au Québec.

Comme l’ont dit la sénatrice Seidman et le sénateur Dalphond, la mairesse de Montréal, Valérie Plante, vient d’admettre sans réserve qu’il y avait du racisme systémique à Montréal, dans la foulée d’un rapport sévère sur ses effets.

Cet enjeu grave me touche comme parlementaire, comme citoyenne et comme mère, car j’ai adopté ma fille au Vietnam. La première fois qu’elle est revenue de l’école en me disant qu’on l’avait traitée de « jaune », j’ai tenté de la rassurer et je lui ai plutôt affirmé qu’elle était dorée avec des yeux en amande.

Quand, plus récemment, elle a senti des regards soupçonneux sur elle durant la crise du coronavirus, en raison de ses traits asiatiques, nous avons beaucoup parlé de racisme systémique, de l’histoire des Noirs américains et des peuples asiatiques. Je ne suis certainement pas le seul parent qui s’inquiète du fait que son enfant puisse faire l’objet de discrimination plus ou moins subtile et insidieuse. Les stéréotypes associés aux femmes asiatiques sont moins meurtriers que le profilage racial envers les Noirs et les Autochtones, mais ils doivent néanmoins être combattus. Permettez-moi de terminer sur ces autres mots de Dany Laferrière :

Le racisme, c’est l’affaire de tout le monde. Et on se sent tous souillés en sa présence.

Merci.

L’honorable Frances Lankin : Honorables sénateurs, ce soir, j’ai l’honneur d’intervenir au nom de la sénatrice Bernard, qui ne peut pas être avec nous en raison des restrictions liées à la COVID. Chers collègues, je vais donc vous présenter les observations de la sénatrice Bernard.

Honorables sénateurs, j’interviens aujourd’hui dans le cadre du débat d’urgence réclamé par la sénatrice Moodie à la suite de la multiplication des actes de racisme signalés à l’endroit des Afro-Canadiens, des Canadiens autochtones et des Canadiens d’origine asiatique.

Nous sommes témoins d’une collision entre la pandémie de COVID-19 et la pandémie de racisme. Le racisme n’est pas un phénomène nouveau; il est simplement filmé et signalé plus souvent. Nous avons dépassé le stade du choc et de la surprise; nous sommes maintenant rendus au point où la seule manière de progresser, c’est de passer à l’action. Il est inutile de se demander si le racisme existe ou si des preuves en démontrent l’existence. Cette réalité fondamentale est déjà établie. J’exhorte chacun de mes collègues et le gouvernement fédéral à assumer leurs responsabilités à l’égard du problème actuel du racisme au pays. Les cas de violence et de discrimination n’existent pas en vase clos; ils existent dans l’écheveau complexe du racisme systémique.

Honorables sénateurs, le gouvernement du Canada et le Sénat du Canada existent également au sein de ce système. En posant des gestes concrets et en tenant nos promesses, nous avons le pouvoir de changer les choses pour les Canadiens noirs, autochtones et d’origine asiatique.

Les Nations unies ont déclaré que la période 2015-2024 serait la Décennie internationale des personnes d’ascendance africaine. Le 30 janvier 2018, le premier ministre Justin Trudeau a reconnu publiquement cette décennie au nom du gouvernement canadien. Lorsque le premier ministre s’est engagé à veiller à ce que les Canadiens noirs aient un meilleur avenir, nous avons espéré que les choses changeraient.

Les communautés noires me disent qu’elles en ont assez des promesses qui ne mènent à aucun changement concret. Le gouvernement fédéral a adhéré à l’initiative de la Décennie internationale des personnes d’ascendance africaine en 2018. Trois ans plus tard, où en sommes-nous?

Je crois comprendre que les fonds des budgets de 2018 et de 2019 pour les initiatives des communautés noires sont difficiles à obtenir. Je me rends dans de très nombreux organismes de communautés noires et on me dit qu’ils fonctionnent avec des fonds limités sans savoir s’ils pourront continuer même si leur travail a visiblement des effets positifs sur la jeunesse, les familles et les communautés noires. Manifestement, il faut faire plus.

Que peut-on faire? Je recommande qu’on utilise le cadre élaboré pour la Décennie internationale des personnes d’ascendance africaine, cadre qui est axé sur trois piliers visant à favoriser un avenir meilleur : la reconnaissance, la justice et le développement.

Le premier pilier, la reconnaissance, consiste notamment à reconnaître l’existence du racisme systémique et du racisme contre les Noirs au Canada. Le premier ministre a reconnu l’existence de ces formes de racisme, mais, afin de reconnaître les torts causés par le racisme systémique, nous devons assumer notre responsabilité pour ses causes profondes. Ce racisme remonte à l’époque de l’esclavage au Canada, et on peut même remonter plus loin encore, aux débuts de la colonisation des terres autochtones et des peuples autochtones. Afin de faciliter la guérison, il faut présenter des excuses officielles pour les torts causés aux Africains réduits à l’esclavage ainsi que pour les conséquences dont souffrent encore leurs descendants.

Le deuxième pilier, la justice, est une chose dont de nombreuses personnes ont souligné l’importance lors des manifestations des dernières semaines qui ont eu lieu dans des villes de l’ensemble du pays. Ce pilier consiste à réclamer des changements au système de justice pénale, notamment en ce qui concerne les prisons, les services de police et les pratiques du droit. Les Canadiens noirs et les peuples autochtones sont manifestement surreprésentés dans les prisons du pays. Il faut promouvoir l’accès à la justice pour commencer à réparer les torts intergénérationnels liés à la violence coloniale qui font en sorte que bon nombre de membres de ces communautés sont incarcérés au Canada.

Le troisième pilier, le développement, consiste à promouvoir l’accès à l’éducation, à l’emploi, à la santé et au logement. Nous devons renforcer et concevoir des programmes sociaux, mettre fin au pipeline école-prison, fournir des logements adéquats et sûrs, et apporter du changement pour que les Canadiens noirs et les peuples autochtones puissent s’épanouir. Nous devons offrir un financement stratégique équitable aux organismes communautaires qui soutiennent les Noirs et les Autochtones afin de mettre fin aux inégalités actuelles. Ces communautés savent ce dont elles ont besoin pour s’épanouir, et elles ont réclamé un tel soutien.

Dans une lettre publiée la semaine dernière, le Caucus des parlementaires noirs a formulé cinq appels à l’action clairs à l’intention de tous les ordres de gouvernement : mesurer l’ampleur de la discrimination systémique par la collecte de données axées sur la race; aider les Canadiens noirs en favorisant la prospérité de tous par des mesures de soutien des entreprises appartenant à des Noirs ou dirigées par des Noirs; éliminer les obstacles qui empêchent les Canadiens noirs ou autochtones d’avoir accès à la justice ou à la sécurité publique; rendre l’administration publique plus efficace et résiliente en veillant à ce qu’elle reflète la diversité de la population qu’elle dessert; reconnaître l’apport artistique et économique des Canadiens noirs et soutenir leur culture et leur patrimoine.

Honorables collègues, nous avons entendu parler du racisme anti-Noirs pendant l’interpellation sur le sujet lors de la dernière session parlementaire. Le premier ministre s’est engagé à de multiples reprises à changer les choses. Nous disposons du cadre de la Décennie internationale des personnes d’ascendance africaine, qui s’appuie sur trois piliers : la reconnaissance, la justice et le développement. Nous avons maintenant des lignes directrices provenant de parlementaires noirs qui représentent les Canadiens noirs de partout au pays. Les communautés noires et autochtones nous ont dit ce qui doit être fait pour que les choses changent. L’heure est à l’action collective.

Au nom de la sénatrice Bernard, merci.

L’honorable Josée Forest-Niesing : Honorables sénateurs, je prends la parole aujourd’hui afin d’ajouter ma voix à l’appel pressant que nous avons entendu aux quatre coins du monde à faire face au fléau que représente depuis bien trop longtemps le racisme systémique. Les injustices et la souffrance que vivent les Afro-Canadiens, les peuples autochtones et toutes les minorités visibles au Canada sont inadmissibles, surtout au sein d’une nation fondée sur des principes démocratiques, qui s’est dotée d’une charte des droits et libertés s’adressant à tous ses citoyens, une nation dont la composition sociale est d’une grande diversité ethnique et culturelle.

Le racisme systémique ne signifie pas que tous les Canadiens et Canadiennes sont des personnes racistes ou qui adoptent des comportements discriminatoires, mais il désigne le racisme sous toutes ses formes, qu’il soit conscient ou inconscient, qui fait en sorte que certains groupes sont confrontés à des difficultés additionnelles et à des défis insurmontables dans leur quotidien. Il est plus difficile pour eux de se trouver un logement et de décrocher un emploi, et ils sont perçus comme étant moins dignes de confiance. La méfiance à leur égard est plus grande. Ils risquent davantage de subir de la violence physique et psychologique et, nous le savons très bien, d’en mourir.

Au fil des ans, de nombreuses recherches, des commissions et d’autres initiatives ont été menées partout au pays afin de brosser un tableau de la situation.

Cela comprend les recommandations qui ont été formulées récemment dans la déclaration du Caucus des parlementaires noirs. Pas plus tard qu’en juin 2020, il y a eu une consultation publique au sujet du racisme systémique et de la discrimination dans la Ville de Montréal. En avril 2020, Black to the Future a lancé son initiative intitulée Communauté de pratique. En septembre 2019, le plan d’action intitulé Count Us In: Nova Scotia’s Action Plan in Response to the International Decade for People of African Descent a vu le jour. Une foule d’autres rapports ont été publiés, notamment Canada’s Colour Coded Income Inequality, en décembre 2019; Un impact collectif : Rapport provisoire relatif à l’enquête sur le profilage racial et la discrimination envers les personnes noires au sein du service de police de Toronto, en novembre 2018; Persistent Inequality: Ontario’s Colour-coded Labour Market, en décembre 2018; Making Real Change Happen for African Canadians, en 2017; Cost of Doing Nothing: Missing and Murdered Indigenous Women and Girls, en novembre 2017; Shameful Neglect: Indigenous Child Poverty in Canada, en novembre 2016; The Dirty War: The making of the myth of Black dangerousness, en octobre 2014; Our Schools/Our Selves, Smashing the Stereotypes: Challenging race and gender in the classroom, en juillet 2012; Canada’s Colour Coded Labour Market, en mars 2011; The Role of Race and Gender in Ontario’s Racialized Income Gap, en juin 2010.

Si cette énumération vous a paru longue et interminable, dites-vous qu’elle ne représente que quelques exemples parmi tant d’autres, et sachez que je me suis limitée à la dernière décennie. Nous analysons la question depuis fort trop longtemps, nous avons déjà une longue liste de recommandations claires et bien fondées. Si cette énumération vous a paru longue et interminable, pouvez-vous vous imaginer ce que vivent les populations qui ont fait l’objet de ces études? Imaginez-vous la frustration qu’elles ressentent chaque fois qu’une étude met en lumière les difficultés auxquelles elles font face et les solutions à adopter pour remédier à la situation, sans que rien ne change jamais en fin de compte. Imaginez-vous voir l’espoir se rétrécir au fur et à mesure que le temps passe sans que les choses s’améliorent.

Le temps de la cueillette d’information pour prendre le pouls de la situation et constater les différences est révolu. Il est maintenant temps d’agir. Des recommandations sont à notre disposition. La question est de savoir pourquoi ces recommandations n’ont pas été mises en place. Pourquoi la situation est-elle demeurée inchangée pendant tout ce temps? Comment pouvons-nous nous assurer que les conditions essentielles au changement seront enfin mises en place? Ne perdons plus de temps à discuter de la définition du racisme systémique. Passons à l’acte. La parole, les promesses, les constats doivent maintenant faire place à l’action, aux mesures qui favorisent le changement et, finalement, à l’élimination pure et simple du racisme systémique. Le Canada est un grand et beau pays, basé sur l’inclusion, l’égalité et la justice. Prenons les moyens pour y parvenir réellement. Meegwetch. Merci.

Des voix : Bravo!

L’honorable Brent Cotter : Honorables sénateurs, je livre aujourd’hui mon premier discours de fond dans cette enceinte, et j’aurais pensé qu’il aurait porté sur un tout autre sujet que celui-ci. J’avais l’intention d’y aller avec quelques observations teintées d’humour, mais ce sujet est trop sérieux. S’il y a un peu d’humour dans mes remarques aujourd’hui, ce ne serait que le fruit du hasard.

Je n’ai pas l’intention d’aborder les grands enjeux du racisme systémique au sein de notre société. Ceux-ci ont été explorés de manière réfléchie et approfondie par nombre d’entre vous, bien plus que ce que je pourrais moi-même apporter au débat. Mes remarques porteront principalement sur le maintien de l’ordre et sur le racisme systémique, non pas parce que c’est la plus importante des questions, mais parce que c’est à partir d’elle que nous avons amorcé les débats actuels. Il s’agit en effet des événements catalyseurs auxquels beaucoup d’entre vous ont fait référence, et que nous avons pu observer dans les vidéos horribles sur le traitement que certains policiers ont réservé à des Américains et à des Canadiens racialisés.

À l’instar du sénateur Boehm, j’aimerais faire une courte observation personnelle avant de commencer. Je suis un homme âgé de race blanche qui connaît un peu les difficultés auxquelles se heurtent les minorités, les personnes de couleur et les gens de cultures différentes, mais je ne les ai pas vécues personnellement. Autant que je sache, on ne m’a jamais fait subir de discrimination, pour quelque raison que ce soit. J’ai eu l’occasion de travailler comme avocat au service d’aide juridique de l’Université Dalhousie. La sénatrice Pate connaît bien cette institution. J’en ai été le directeur pendant un certain temps et j’ai eu l’honneur de travailler avec bon nombre de Noirs, de Micmacs et d’autres Autochtones en Nouvelle-Écosse, notamment à Halifax. J’ai eu l’occasion d’enseigner et de travailler au Native Law Centre à l’Université de la Saskatchewan, où beaucoup d’Autochtones canadiens ont la chance de poursuivre leur rêve de devenir avocat. C’est un des formidables établissements qui, au pays, contribuent à instaurer l’équité en matière de droit.

Quand j’occupais ces postes, je pouvais, à la fin de la journée, retourner vivre au sein de ma famille de la classe moyenne, en toute sécurité et sans trop craindre de manquer d’argent. Je n’avais pas à m’inquiéter du racisme ou des désavantages que subissent bon nombre de Canadiens, y compris beaucoup de gens avec lesquels je travaillais tous les jours.

Je le mentionne parce que j’hésite un peu à prendre la parole, même pour aborder seulement quelques éléments de cette question, qui est d’une grande importante et que nombre d’entre vous comprennent beaucoup mieux que moi.

Avant de parler des services de police, je voudrais vous raconter deux anecdotes que j’ai vécues et qui m’ont permis d’adopter une certaine perspective concernant le racisme systémique dans notre société. Lorsque j’enseignais au Native Law Centre de Saskatoon, un avocat autochtone invité est venu parler aux étudiants le midi. Il leur a dit ce qui suit, et j’aimerais que vous vous mettiez dans la peau d’un étudiant autochtone qui assistait à cette allocution : « Beaucoup parmi vous viennent des Premières Nations et ont étudié le droit des biens dans nos écoles de droit. Dans votre vision du droit des biens, c’est-à-dire du droit foncier, la terre ou la propriété foncière est fongible et inaliénable. Ce sont les expressions qu’emploient les avocats. Elles signifient que la terre est semblable partout. La topographie peut être différente, mais la terre est la même et elle est interchangeable. Elle est inaliénable. Elle ne peut être ni achetée ni vendue. Maintenant, vous allez apprendre, à l’école de droit, la conception européenne du droit foncier, conception qui n’est pas seulement différente de la vôtre, mais qui en est l’opposé. Dans la conception européenne, la terre n’est pas fongible. Chaque parcelle de terre est unique et aliénable. Elle peut être achetée ou vendue. »

Il est vrai que c’est plutôt représentatif de la façon dont nous voyons le territoire, y compris celui que nous avons pris sans gêne aux Autochtones canadiens il y a une centaine d’années. Là où je veux en venir, c’est qu’il y a une différence substantielle de culture; les Autochtones canadiens ont adopté des façons de voir européennes.

Ma deuxième anecdote n’est qu’un simple exemple, mais elle m’a profondément marqué. J’étais alors sous-ministre des Affaires intergouvernementales et autochtones au sein du gouvernement de la Saskatchewan. En poste depuis peu, j’ai été invité à faire une présentation devant le Cabinet de la province. Des collègues autochtones m’ont demandé de parler des différences avant de parler des stratégies. Sur une carte de la Saskatchewan, ils ont surligné quelque chose qu’ils m’ont ensuite montré. Les coffres de la Saskatchewan étaient dégarnis à l’époque. J’ai donc payé de ma poche 25 cartes de la province pour les ministres. Je leur ai demandé de trouver sur la carte le village de Herschel, en Saskatchewan. Ce village a une population de 43 personnes. Il est à environ une heure à l’ouest de Saskatoon. Le défi n’était pas grand, car le ministre dont je relevais venait de là. Il l’a trouvé, et peu à peu, les autres aussi.

Je leur ai ensuite demandé de trouver I.R. 41 sur la carte. Ils se sont regardés puis ont commencé à chercher cette mention. Ce sont des gens qui ont une connaissance approfondie de la province. Ils ont continué à chercher, et j’ai finalement dû leur donner quelques pistes : trouvez North Battleford en Saskatchewan, puis allez environ 50 kilomètres à l’ouest. I.R. 41 correspond à la Première Nation Poundmaker. Dans les cartes de la Saskatchewan, la Première Nation Poundmaker n’est identifiée que par un numéro plutôt que par son nom. Ce lieu où vivaient 1 043 personnes n’était pas nommé. C’était le cas pour toutes les Premières Nations figurant dans cette carte. Chacune était désignée par un numéro : la Première Nation de Keeseekoose, la Première Nation Kee, la Première Nation de Gordon et la Première Nation de Little Black Bear, d’où vient le chef national Bellegarde étaient toutes désignées par des numéros.

Personne n’avait élaboré de grande stratégie en vue d’ostraciser et de marginaliser les membres des Premières Nations de la région, mais c’est la désignation qui a été choisie et qui a ensuite perduré. Je dois dire que le premier ministre, et c’est tout à son honneur, a signalé cette situation au ministre de la Voirie et lui a dit de la rectifier, ce qui a été fait.

En écoutant cet exemple, vous avez peut-être remarqué, tout comme moi, combien il est facile de considérer comme normale une chose qui a pour effet de marginaliser d’autres personnes, particulièrement des communautés minoritaires.

Je souhaite maintenant aborder ces enjeux que sont le travail des policiers, le racisme systémique et les communautés racialisées. J’exposerai tout d’abord trois idées, si vous le permettez.

Premièrement, les policiers exercent une profession honorable. Nous connaissons tous quelqu’un qui travaille dans la police. Il s’agit parfois même d’un membre de notre famille. Certains policiers ici, au Sénat, comptent parmi nos membres les plus distingués. Ces agents de la paix travaillent honorablement au service de la communauté et le font bien et ce, de façon constante. Je dirais que ce n’est pas le cas de certains, heureusement peu nombreux.

Deuxièmement, les services de police relèvent en grande partie du champ de compétence des provinces. Certains se demanderont alors pourquoi nous en discutons dans une assemblée fédérale. Le fait est que la Gendarmerie royale du Canada est le plus grand service de police du Canada. Présente dans huit des dix provinces, elle assure les services de police à contrat sur de grands territoires dans ces provinces, ce qui rend notre débat et nos idées sur les services policiers et la Gendarmerie royale du Canada tout à fait pertinents dans l’optique d’une réorientation des services de police dans l’ensemble du pays. Il serait extrêmement utile que nous puissions recalibrer et réorienter correctement la Gendarmerie royale du Canada sur certaines de ces questions, structurellement parlant.

Troisièmement, nos collectivités et notre pays ont besoin des policiers. À certains égards, cela me fait penser aux avocats. Les gens ont une image plutôt négative des avocats, jusqu’au jour où ils ont vraiment besoin d’un avocat. C’est un peu la même chose pour les policiers. Nous avons cependant besoin de bons policiers et de bonnes pratiques policières, car, trop souvent, ce n’est simplement pas le cas présentement.

C’est un grave problème. C’est un grave problème pour les policiers. C’est un grave problème pour les collectivités canadiennes, surtout là où se trouvent les communautés minoritaires et vulnérables, mais c’est aussi un problème pour l’ensemble de la société, car le public perd confiance concernant le respect de la primauté du droit et ceux qui y veillent.

Le premier des deux points que je veux présenter concerne donc les services policiers axés sur la communauté. Il y a plus de 200 ans, Robert Peel établissait neuf principes des services de police professionnels. Un des principes les plus souvent cités est le suivant : « Les citoyens sont des policiers et les policiers sont des citoyens. » Les principes en question peuvent sembler dépassés et provenir d’une autre époque, et certains prétendent même que Peel ne les aurait pas rédigés lui-même. Quoi qu’il en soit, au cœur de ces principes est enchâssé un concept que nous avons perdu de vue et qui est fondamental dans la relation entre les policiers et les citoyens. Nous devons trouver le moyen de le raviver, de rétablir des services de police qui travaillent main dans la main avec la collectivité, avec toutes les collectivités, particulièrement celles qui sont les plus vulnérables.

Je pense que nous avons trop souvent laissé et confié aux autorités policières le soin de définir les besoins des collectivités en matière de police. C’est pourquoi une trop grande part de nos réponses à des questions, comme celles visant à déterminer le nombre de services de police requis et la façon dont ils seront assurés, sont axées sur la police et pas assez sur les collectivités. Honorables sénateurs, nous nous en sommes remis aux dirigeants de la police, qui sont des gens honorables, mais dont les perspectives sont naturellement axées sur la police, pour prendre ces décisions pour nous. À mon avis, il est temps de revoir cette vision du maintien de l’ordre centrée sur la police. C’est le moment pour les citoyens de reprendre en main les services de police et de participer davantage, mais de manière calme, ordonnée et respectueuse qui réduit la diabolisation et augmente la prise de mesures concrètes axées sur un seul objectif, à savoir la prestation de services de police dans les collectivités, par les collectivités et pour les collectivités.

Ces changements structurels peuvent être apportés à tous les aspects de la police, qu’on pense à l’engagement du public et des citoyens dans l’embauche des policiers que nous voulons, à la prestation d’une formation plus riche aux policiers, aux pratiques policières, aux politiques et à la culture propres au milieu policier et, enfin, à la surveillance de la police. Pour gagner du temps, je vais parler uniquement des deux derniers points, soit la culture et la surveillance.

Comme pour d’autres professions, notamment les avocats et les médecins, l’État confère aux policiers le droit de faire certaines choses dans notre société que nul autre n’est autorisé à faire. Dans le cas des forces de l’ordre, cela a une incidence immédiate sur le terrain dans leur relation avec chacun des citoyens au pays. Il est donc important que l’État, lorsqu’il confère ce pouvoir, s’assure que ce dernier soit exercé de manière responsable et dans notre intérêt à tous. En l’occurrence, je m’intéresse plus particulièrement aux policiers et au recours à la force.

J’aimerais parler de certaines vidéos parfois difficiles à regarder qui sont diffusées à la télévision ou qui circulent sur YouTube et qui nous donnent un aperçu très saisissant de la situation. Je parle, évidemment, des cas récents de recours à la force par des policiers à l’endroit de membres de communautés racialisées. Bien franchement, je ne m’intéresse pas tant à la tragédie de M. Floyd, bien qu’elle se soit avérée un événement catalyseur à l’échelle mondiale, qu’aux événements récents concernant des Canadiens autochtones et dont des sénateurs ont parlé ces derniers jours.

Je veux donner un exemple de difficulté en matière de surveillance du travail policier. Si vous avez regardé la vidéo tragique montrant l’arrestation de chef Allan Adam en relation avec l’incident dans le nord de l’Alberta en mars, vous devriez savoir que l’affaire a été examinée par des policiers de grades supérieurs siégeant à un comité sur l’usage de la force. Lorsque l’on a recours à l’usage de la force contre un citoyen, les agents de police ont le devoir de le signaler et l’incident est étudié à un niveau hiérarchique plus élevé. Or, les officiers supérieurs qui se sont penchés sur l’incident en question, et qui ont regardé la vidéo, ont conclu que le recours à la force avait été raisonnable.

Ce qu’il faut retenir par rapport à ce point, c’est que des citoyens devraient participer à ce processus sur l’usage de la force, non pas parce que nous nous méfions de la police, mais pour inclure la perspective des citoyens. Il nous faut aussi une perspective plus riche et citoyenne pour la surveillance de la police, laquelle devrait inclure — à mon avis et de l’avis de beaucoup d’autres personnes, je crois — des choses comme le port de caméras corporelles pour qu’il y ait des enregistrements vidéos des incidents. Aucun des incidents — pas un seul — n’aurait été porté à notre attention si quelqu’un, quelque part, ne nous avait pas présenté une vidéo. Il faut enrichir la participation des citoyens dans ces structures, afin de renforcer le travail des policiers pour nous tous, certes, mais surtout pour les Canadiens vulnérables et faisant partie des minorités raciales. Merci.

Des voix : Bravo!

L’honorable Lucie Moncion : J’aimerais commencer mon discours en parlant justement de M. Willie O’Ree. La Monnaie royale canadienne a créé une pièce de monnaie commémorative qu’elle a lancée en février dernier. Je trouvais l’histoire que vous avez présentée sur M. O’Ree très intéressante et à point en ce qui concerne l’hommage qui lui a été rendu cette année. À 84 ans, il s’est rendu à Ottawa pour recevoir cet hommage. Cette pièce de monnaie est offerte par la Monnaie royale canadienne, et pourrait intéresser les numismates.

De nombreux discours sur le racisme sous toutes ses formes ont été prononcés ce soir. Laissez-moi vous citer un adage que ma mère aimait bien. Lorsqu’elle parlait des humains, elle disait toujours, qu’il s’agisse du racisme ou de n’importe quelle forme de discrimination, que « l’étroitesse d’esprit est un défaut qui se corrige tous les jours ». J’ai toujours trouvé important d’avoir l’esprit ouvert face à tout ce qui m’est présenté.

Permettez-moi d’entrer dans le vif du sujet. Comme certains d’entre vous le savent, je suis plus pragmatique qu’éloquente dans mes façons de présenter les choses. Je vais aux faits sans passer de midi à 14 heures. Je soulèverai un élément que la sénatrice Moodie a mentionné d’entrée de jeu. Je vais y revenir, et ce n’est pas un long discours.

C’est en toute humilité que je prends la parole aujourd’hui en tant qu’alliée afin de joindre ma voix à celle des personnes autochtones, noires et issues de minorités visibles qui dénoncent la présence du racisme systémique au Canada. En tant qu’alliée, je dois être à l’écoute de mes collègues qui vivent le racisme au quotidien, que ce soit par le biais de discours haineux ou de micro-agressions. Je sais que je ne comprendrai jamais réellement votre réalité, mais je m’engage à agir contre le racisme et la discrimination systémique dans toutes les sphères de ma vie comme sénatrice, employeuse et citoyenne canadienne.

Dans cet esprit, j’aimerais reconnaître le travail exceptionnel de mes collègues du Caucus canadien des parlementaires noirs, de la sénatrice Moodie, de la sénatrice Mégie, du sénateur Ravalia, de la sénatrice Bernard et de tous les autres qui font partie de ce caucus et qui nous ont soumis une déclaration contre la discrimination et le racisme systémique.

Ce document constitue un plan d’action étoffé qui propose des solutions concrètes qui peuvent être mises en place dès maintenant par les gouvernements afin de créer une société plus égalitaire et respectueuse des différences. La sénatrice Mégie a tenté de déposer hier en cette enceinte cette déclaration contre les discriminations et le racisme systémique, mais, fort regrettablement, elle a essuyé un refus de la part de certains collègues.

L’une des recommandations du Caucus des parlementaires noirs porte en particulier sur la collecte de données, plus précisément sur la collecte et la gestion de données désagrégées.

Les données désagrégées sont extraites des données agrégées. Elles sont divisées en unités d’informations plus petites, ce qui est une étape essentielle pour tirer des connaissances des informations collectives. Autrement dit, elles contribuent à faire la lumière sur les tendances cachées et à mesurer l’étendue et l’ampleur des problèmes sociaux et institutionnels, y compris la discrimination et le racisme systémiques.

Je me joins à mes collègues pour presser le gouvernement fédéral de donner suite immédiatement à cette recommandation.

Le racisme et la discrimination systémiques se manifestent de différentes façons au Canada, notamment par l’impunité policière; la brutalité à l’égard des personnes racialisées; le taux d’incarcération anormalement élevé parmi les personnes racialisées, particulièrement les Noirs et les Autochtones; le profilage racial; le traitement différencié en matière d’emploi; les couvertures médiatiques différenciées des incidents impliquant des personnes racialisées, et j’en passe.

Cette recommandation du Caucus des parlementaires noirs a particulièrement suscité mon attention dans la foulée des incidents où des policiers et des personnes à la tête d’organisations importantes ont refusé de se prononcer ou d’utiliser l’expression « racisme systémique » pour décrire les problèmes de racisme qui sont présents au sein des institutions qu’ils servent et représentent. Cette hésitation ou ce désaveu témoigne d’une incompréhension et d’un manque de sensibilité envers les personnes racialisées au sein de la société canadienne. Les débats qui portent sur les définitions du racisme systémique sont une barrière à la reconnaissance de l’omniprésence du racisme dans notre société.

Par conséquent, à mon avis, la mise en œuvre de la recommandation sur la collecte et la gestion des données désagrégées est la meilleure façon de mettre un terme à ce débat sémantique qui a lieu ces dernières semaines. Nous serions ainsi en mesure d’étayer et de démontrer de façon claire et précise l’existence du racisme systémique et ses effets sur nos institutions. Cette approche exposerait aussi les véritables problèmes de racisme et de discrimination, en plus de renforcer l’appel à l’action. Les personnes influentes auraient ainsi l’occasion d’assumer une responsabilité et de demander des comptes aux institutions qu’elles représentent. Elles seront alors outillées pour réaliser de véritables progrès vers l’élimination du racisme au Canada. À la suite des événements des dernières semaines, nous observons un appel au changement, un cri du cœur collectif.

La question du racisme et les débats sémantiques qui entourent les définitions du racisme systémique sont superflus lorsqu’on constate les incidents violents que vivent à répétition les personnes noires, les Autochtones et les membres de minorités visibles au Canada. Ces personnes portent souvent seules le fardeau de ce dur combat.

Un des obstacles à la lutte contre le racisme est, par conséquent, le refus de reconnaître l’existence même du problème et de son étendue par les gens qui ont le pouvoir d’influencer les organismes gouvernementaux et non gouvernementaux. Nos dirigeants, nos politiciens et nos décideurs ont un devoir encore plus grand de se renseigner, de se sensibiliser à la situation et d’apprendre comment le racisme se manifeste dans leur milieu et leur institution.

Les institutions sont façonnées par les individus, et ceux-ci doivent prendre en main le changement culturel en matière de racisme dans leur milieu. Chacun doit faire sa part dans un effort concerté afin de répondre aux appels à l’action des personnes autochtones, noires et issues des minorités visibles. En ce sens, les lacunes en matière de collecte et de gestion de données désagrégées sont une réelle entrave au progrès. Les données probantes sur la présence du racisme systémique selon les différents milieux, les institutions et les groupes de population pourraient remettre les pendules à l’heure en montrant de manière tangible l’étendue du problème à ceux qui font la sourde oreille aux cris du cœur des personnes racialisées. Les données désagrégées permettraient notamment de mesurer les progrès selon les différentes mesures mises en place, de donner l’espoir aux personnes racialisées qu’il nous est possible de nous améliorer et de favoriser le changement au sein de nos institutions.

J’encourage donc le gouvernement à mettre en œuvre les recommandations de mes collègues et de permettre la collecte de données désagrégées afin que les personnes qui détiennent une grande influence sur nos institutions puissent reconnaître l’existence, l’étendue et la véritable nature du racisme au Canada.

Des voix : Bravo!

L’honorable René Cormier : Chers collègues, je prends la parole dans cette Chambre pour ajouter ma voix d’allié à ce débat d’urgence. Comme de nombreux citoyens et collègues, je reconnais ici la limite de mes connaissances et de ma compréhension de l’ampleur du racisme systémique dans notre société. Comme de nombreuses personnes, je reconnais que ma première action comme homme blanc et citoyen canadien est d’écouter, de prendre acte de cette réalité et de poursuivre l’approfondissement de mes connaissances par l’éducation.

Honorables sénateurs, le racisme systémique dont nous parlons ce soir est comme ce virus invisible avec lequel l’humanité vit depuis plusieurs mois; certains doutent de son existence, d’autres cherchent à minimiser son pouvoir destructeur, et d’autres, enfin, pensent qu’ils sont immunisés contre celui-ci, jusqu’au jour où près de nous ou à la télévision nous voyons quelqu’un mourir, tué par un autre être humain. Alors, ce virus, le racisme systémique, apparaît dans toute son horreur.

Ce débat d’urgence aurait dû avoir lieu l’an dernier ou il y a 10 ans ou il y a 150 ans. Ce débat constitue une urgence en soi depuis la création de notre pays. Je remercie la sénatrice Moodie d’avoir pris cette initiative, ainsi que tous les parlementaires impliqués dans ce processus et, particulièrement, les membres du Caucus des parlementaires noirs.

Deux situations troublantes survenues récemment dans ma province, le Nouveau-Brunswick, illustrent combien le racisme est ancré bien profondément dans nos systèmes de gouvernance, dans notre système judiciaire, dans notre histoire et au sein de la société tout entière. Il s’agit du décès à Edmundston de Chantel Moore, originaire de la Colombie-Britannique, et de Rodney Levi, de la région de Miramichi, tous deux tués à huit jours d’intervalle lors d’interventions policières.

Ce sont deux décès qui soulèvent de sérieuses et profondes questions sur les éléments suivants : les relations qu’entretiennent les forces policières au Nouveau-Brunswick et ailleurs au pays avec les communautés autochtones; les techniques d’intervention; la formation offerte aux corps policiers; le soutien dont ils disposent pour intervenir dans de telles circonstances; le biais inconscient ou conscient dont nous sommes tous pourvus; la répétition de tragédies; le déroulement des enquêtes qui s’ensuivent; la multiplication des recommandations laissées sans suite et sans action concrète.

Des questions se posent aussi sur les relations et le dialogue qu’entretiennent tous les Néo-Brunswickois et tous les Canadiens avec les communautés autochtones, et ce, depuis toujours. Chez moi, cette cohabitation entre les citoyens blancs et les membres des communautés autochtones n’a pas été et n’est toujours pas véritablement favorisée. Le développement de relations harmonieuses n’a jamais non plus été réellement encouragé, et je le déplore. Comment pouvons-nous améliorer ces relations et tisser des liens entre nos communautés? Un jour, je posai cette question à un ami autochtone. Il me donna la réponse suivante, et je paraphrase : pour améliorer les relations entre les Blancs et les Autochtones, il faudrait d’abord qu’il y ait une véritable relation entre les Blancs et les Autochtones.

Sa réponse m’a bouleversé, d’autant plus que j’avais toujours pensé que le peuple acadien et la nation micmaque avaient entretenu des liens étroits et solidaires depuis l’arrivée des premiers sur le territoire. Que s’est-il passé? Pourquoi ces liens ont-ils été interrompus et dans quelles valeurs ces liens étaient-ils ancrés pour qu’ils disparaissent ainsi?

Aujourd’hui, la Société nationale de l’Acadie, l’organisme porte-parole du peuple acadien sur les scènes nationale et internationale, a publié un communiqué exhortant les Acadiens et tous les Canadiens à amorcer un dialogue important avec les Premières Nations.

L’Acadie a un devoir moral de soutenir les membres des Premières Nations dans leurs efforts de reconnaissance et de résolution de problème systémique les affligeant [...]

— c’est ce qu’a indiqué la SNA —

Si nous espérons un jour achever le rêve d’une société équitable et juste pour tous, nous devons prendre le temps de les écouter pour faire toute la lumière sur cette affaire.

Le second événement que je souhaite souligner rapidement est le traitement infligé à l’un de mes concitoyens du Nouveau-Brunswick. M. Jean Robert Ngola a été placé au cœur d’une controverse concernant l’isolement requis après un déplacement à l’extérieur du Nouveau-Brunswick durant la pandémie. Je ne me prononcerai pas sur ses actions ni sur celles du gouvernement provincial. Ce n’est pas mon rôle. Par contre, le racisme dont M. Ngola a été victime me laisse sans voix. Celui-ci craint désormais pour sa santé mentale et sa sécurité. Une simple recherche de quelques secondes sur les réseaux sociaux est suffisante pour constater toute la haine et le racisme dont il a été victime.

Il est devenu trop facile de simplement fermer les yeux ou de détourner le regard, d’ignorer ces commentaires qu’on dit souvent provenir d’une poignée de citoyens. La pandémie de COVID-19 a fait ressurgir une forme de racisme pourtant pas nouvelle, mais cette discrimination et ce racisme insidieux et dormant qui émergent sans gêne en temps de crise, lorsque nous devons faire face à un inconnu, comme c’est le cas depuis quelques mois, sont évidents.

Vous savez, nous sommes tous la minorité d’une majorité. Nous sommes tous victimes de quelque chose et nous pouvons tous prétendre comprendre le racisme, puisque nous avons vécu de la discrimination. Force est de constater que ce n’est pas le cas.

Chaque prise de décision quant aux politiques publiques, chaque déclaration doit être faite en gardant en tête toutes les communautés et tous les individus qui risquent d’être victimes de racisme et de discrimination à cause de nos actions ou de nos propos. Je ne prétends absolument pas avoir les réponses à la question de ce que nous pouvons faire, mais je crois que le document du Caucus canadien des parlementaires noirs, que la sénatrice Mégie a tenté de déposer à deux reprises, offre de nombreuses pistes d’action. J’espère profondément que le gouvernement fédéral et nous, au Sénat, en prendrons acte et que nous agirons.

Permettez-moi de terminer en amenant un autre élément de réflexion, soit la place que joue l’art dans sa capacité de créer des espaces de dialogue et de rapprochement. L’art est un lieu de rencontre, d’inclusion, de dialogue, d’échange et de partage de nos cultures. L’art nous permet de transcender nos différends et d’aborder des sujets délicats, de partager nos émotions, nos blessures et nos fiertés. L’art est un vecteur d’apprentissage et de changement. Les artistes osent révéler ce qui est caché, enfoui dans notre subconscient collectif, et qui a besoin d’être nommé. L’art est guérisseur.

Comme le Caucus canadien des parlementaires noirs l’a bien décrit dans sa déclaration, reconnaître et célébrer la culture noire canadienne enrichit tous les Canadiens sur les plans spirituel et économique. Ajoutons à cela la culture des Premières Nations, des Métis et des Inuits du Canada. Soutenir les artistes dans tous leurs modes d’expression pour favoriser ces espaces de rencontre, c’est aussi une des responsabilités du gouvernement fédéral.

Chers collègues, en tant que sénateurs, nous avons un pouvoir et un privilège auxquels seulement une infime partie de la population peut prétendre, soit de contribuer à changer un système de gouvernance déficient, et ce, en interpellant le gouvernement, et surtout en étant à l’écoute des communautés racisées. Que ce soit grâce à notre pouvoir législatif, à notre capacité de créer ou de modifier des lois ou par le pouvoir d’influence que nous pouvons exercer sur nos communautés, nous pouvons agir. Nous devons prendre la mesure de ce pouvoir et le concrétiser. Il s’agit de notre devoir envers tous les citoyens que nous représentons. C’est la responsabilité la plus grande qui est la nôtre : être la voix des sans-voix, écouter et témoigner en toute solidarité.

Chers collègues, je ne suis ni Noir ni Autochtone. La parole doit d’abord leur être donnée, mais cela n’élimine en rien notre responsabilité de prendre la parole et d’agir en toute solidarité, ce que certaines et certains de nos collègues font déjà, d’ailleurs, de façon si exemplaire. Je vous remercie.

L’honorable Marie-Françoise Mégie : Je remercie le Président du Sénat, le sénateur Furey, d’avoir permis la tenue de ce débat d’urgence. Cela nous évitera de perdre le momentum.

Honorables sénateurs, le sénateur Plett a dit que quatre heures de débat ne suffisaient pas pour discuter d’un sujet aussi important que le racisme. Je suis bien d’accord avec lui. Il a proposé, de préférence, de lancer une interpellation. C’est vrai que cela pourrait nous permettre d’explorer différentes facettes du racisme, mais cela se ferait avec vous, chers collègues. Une interpellation nous permettrait de poursuivre le dialogue, mais seulement à l’automne. Aujourd’hui, il nous fallait absolument trouver un terrain, comme ce débat d’urgence, pour être en mesure d’amorcer réellement les opérations sur lesquelles nous comptons travailler. Je remercie la sénatrice Moodie.

Il nous faut aussi, chers collègues, une autre plateforme, comme un comité plénier, pour pouvoir interpeller le gouvernement fédéral afin qu’il nous dise quelles sont les actions déjà entreprises et pour qu’il nous écoute, afin d’être en mesure de prendre encore d’autres actions concrètes pour continuer la mise en place d’un terrain fertile pour essayer d’éradiquer le racisme autant que faire se peut.

Reporter cette amorce de dialogue à l’automne signifie tout simplement reporter ad vitam aeternam la question des violences policières contre la population racisée, cette violence qui a envoyé la population dans la rue d’un océan à l’autre. C’est le rôle du Sénat de donner une voix à ces personnes qui demandent justice, et il est de notre devoir, en qualité de sénateurs, d’agir. C’est dans cet objectif d’action que le Caucus des parlementaires noirs, dont les sénateurs Moodie, Jaffer, Ravalia et moi sommes membres, a publié une déclaration. Ce document, rendu public le 15 juin et envoyé à tous les sénateurs, n’a pas reçu l’autorisation d’être déposé au Sénat hier malgré deux tentatives.

Je vais quand même vous en lire quelques extraits, malgré l’heure tardive, seulement quelques sections. Cela permettra de laisser des traces dans les annales du Sénat pour que, quelques années peut-être après ma retraite, on puisse interpeller encore une fois le gouvernement si tout n’a pas été mis en place.

Une chose tenait beaucoup à cœur au caucus, et c’est la collecte de données. La sénatrice Moncion nous a expliqué, en long et en large, à quel point cette collecte de données est utile. Cette mesure est vraiment une priorité pour le caucus. Il demande aussi de recueillir des données identitaires croisées, comme le genre et les aptitudes. Lors de chaque intervention policière, il faudrait obtenir des données axées sur la race, colliger ces données et interpeller Statistique Canada, qui devrait être le dépositaire de ces données, compte tenu du fait que son mandat consiste à veiller à ce que ces données soient accessibles au public et à des fins d’étude et d’analyse.

Dans ce document, il y a aussi des recommandations sur le plan économique où tous les gouvernements devraient mettre en place des dispositions sur l’équité d’emploi et les renforcer. Comme vous le savez, il existe des liens évidents entre la prospérité économique, le statut social et le progrès. Bien que les Canadiens noirs bénéficient aujourd’hui d’un accès égal aux outils économiques dont disposent tous les Canadiens, cela n’a pas toujours été le cas. Des obstacles ont freiné leur avancement économique, ce qui a eu pour effet de perpétuer un préjugé inconscient à l’égard des entrepreneurs canadiens noirs et de limiter leurs options de carrière.

Qui plus est, selon les enquêtes menées par les associations d’entreprises noires canadiennes, la pandémie de COVID-19 a touché ces entreprises de manière disproportionnée.

Honorables collègues, comment le gouvernement fédéral devrait-il augmenter le nombre de marchés publics destinés aux entreprises appartenant à des Noirs ou dirigés par des Noirs? Comment le gouvernement peut-il aider les compagnies à les intégrer à la chaîne d’approvisionnement?

Il faut trouver des solutions. Cela fait aussi partie des recommandations. Sur le plan de la justice, les études démontrent que tous les Canadiens racisés ne sont pas plus susceptibles de commettre un crime que la population blanche. Pourtant, la surveillance policière et l’incarcération excessive des Canadiens noirs et autochtones sont bien attestées. C’est dans les domaines de la justice et de la sécurité publique que la discrimination systémique se fait le plus sentir.

Le Caucus des parlementaires noirs souhaite que le gouvernement fédéral, les provinces et les territoires réforment leur système de justice et de sécurité publique afin d’éliminer le racisme et les préjugés systémiques. Il faut rendre l’administration de la justice et de la sécurité publique plus représentative et plus sensible à la diversité canadienne. Il existe un grand nombre de programmes à cette fin, mais ils reçoivent rarement un financement adéquat dans le contexte des processus budgétaires actuels.

Dans le secteur de la fonction publique, la discrimination systémique et les préjugés inconscients existent partout. Il devient même de plus en plus évident, bien que la population soit largement favorable aux mesures de lutte contre le racisme, que le manque de diversité chez les hauts fonctionnaires constitue un obstacle important à la création et à la mise en œuvre rapide de mesures en ce sens.

D’ailleurs, ici au Sénat, combien y a-t-il d’employés au sein du personnel qui font partie de minorités visibles? Je vous laisse les compter. Combien d’entre eux acceptent de s’identifier comme membre d’une minorité visible? Est-ce que le Sénat reflète bien nos minorités, que nous devons défendre et représenter? C’est encore très difficile de travailler là-dessus.

Le moment est venu de s’engager réellement à l’égard des Canadiens noirs et des autres Canadiens racisés. Si la haute fonction publique était aussi diversifiée que le Canada, elle refléterait mieux la société que nous devons desservir.

Bien que le Canada soit un merveilleux pays pour de nombreux Noirs, le Canada n’a pas encore atteint son plein potentiel. Pendant plus de 400 ans, les Canadiens noirs ont contribué, en dépit des obstacles juridiques, sociaux et économiques, à faire de la société canadienne ce qu’elle est aujourd’hui. Pour que notre pays réalise tout son potentiel, il faut éradiquer la discrimination systémique que subissent de trop nombreux Canadiens. Cette éradication n’est pas l’affaire d’un groupe de personnes noires ou d’un groupe de personnes autochtones. C’est l’affaire de chacun et chacune d’entre nous en tant que citoyens. On doit commencer ici, en 2020, à prendre des mesures pour que notre pays devienne plus juste et plus équitable. Contribuons ensemble à bâtir un Canada encore meilleur. Merci.

L’honorable Marilou McPhedran : Chers collègues, je remercie la nation algonquine de nous laisser partager ses terres. Je prends la parole ce soir pour exprimer ma solidarité et ma sympathie envers nos communautés noires et autochtones et envers les personnes de couleur dans la lutte contre le système actuel de violence institutionnelle et de racisme, qui est devenu encore plus évident avec cette pandémie.

Chers collègues, la sénatrice Moodie nous a invités à participer à un débat d’urgence sur le racisme systémique parce qu’il y a en effet un état d’urgence, que la pandémie de COVID-19 a révélé et exacerbé, certes, mais qu’elle n’a pas suscité.

Au cours des dernières semaines, nous avons pu vu des milliers de personnes descendre dans la rue pour manifester contre nos systèmes et nos institutions actuels, qui privent de leurs droits les communautés noires et autochtones, ainsi que tous les peuples racialisés. En cette situation de pandémie, de nombreux Canadiens qui courent un risque plus élevé sur les plans de la santé et de la sécurité sont démesurément vulnérables parce que, depuis toujours, nos systèmes actuels ne leur assurent pas la même protection que celle sur laquelle les Canadiens plus favorisés, y compris de nombreux législateurs comme nous, ont le privilège de pouvoir compter. Trop de législateurs ont misé sur la militarisation des forces de police, avec pour conséquence les meurtres d’Autochtones, de Noirs et d’autres personnes racialisées dont ont parlé ce soir les intervenants précédents.

Chers collègues, les vies comptent, mais soyons plus précis. La vie des personnes noires compte, toujours. La vie des Autochtones compte, toujours. La vie des personnes racialisées compte, toujours.

Nous avons entendu plusieurs variantes inspirées de ces phrases dans cette enceinte, dans les médias, sur les réseaux sociaux ainsi qu’au sein de nos collectivités. Cependant, tant que ce principe fondamental ne sera pas ancré dans tous les aspects de nos institutions et systèmes démocratiques, aucun changement positif à la fois substantiel et durable ne saurait advenir. Il n’y aura pas de progrès. Les incarcérations et les meurtres ne vont que s’intensifier.

Chers collègues, soyons clairs : les actes de violence et les meurtres que nous avons vus récemment aux nouvelles n’ont rien de jamais vu. Ce n’est un secret pour personne : depuis toujours, les communautés noire et autochtones sont frappées de façon disproportionnée par la violence, l’oppression et l’aliénation systémiques et institutionnelles. Les membres de ces communautés et leurs alliés le disent depuis des décennies.

C’est la réalité actuelle et quotidienne que vivent les Canadiens noirs et les Autochtones, dont les revendications en matière de justice ne sont souvent pas entendues par les personnes qui détiennent le pouvoir et qui affectent les ressources, comme nous.

Le racisme systémique est un cancer pour notre démocratie. Nous sommes des législateurs. À ce titre, quand nous constatons que la répartition des pouvoirs et des ressources au titre des lois actuelles ne réussit de toute évidence pas à protéger tous les peuples du Canada, nous avons incontestablement le devoir de corriger ces lacunes, qu’elles soient systémiques ou personnelles, comme nous l’avons constaté avec les déclarations de certains des plus hauts fonctionnaires de l’État, dont Mme Lucki, commissaire de la GRC.

C’est évident, mais ce n’est pas simple. Il est de notre devoir, en tant que législateurs, non seulement d’examiner le texte des lois présentées, mais aussi de déterminer pourquoi les lois adoptées ne se traduisent toujours pas par des mesures efficaces de lutte contre le racisme qui permettraient d’opérer et de pérenniser des changements systémiques et individuels à la fois concrets et positifs.

Nous devons dénoncer haut et fort le racisme au Canada et mettre en œuvre les propositions, les projets et les initiatives que nous ont présentés les communautés noire, autochtones et racialisées. Ces communautés nous appellent à l’action.

Le Caucus des parlementaires noirs vient de nous présenter un plan bien documenté et réalisable qui énonce des mesures à prendre afin de remédier au racisme systémique et institutionnel qui persiste partout au Canada, ce qui nous rappelle que nous devons passer à l’action sans tarder. C’est ce même document dont nos collègues du côté conservateur de cette enceinte ont refusé de permettre le dépôt afin qu’il soit reconnu par le Sénat.

La pandémie qui sévit nous a menés, en tant que décideurs, à réagir promptement pour mettre en place des systèmes afin d’aider et de protéger les Canadiens tout au long de la crise. Aujourd’hui, nous devons agir tout aussi rapidement pour défendre les communautés marginalisées et racialisées dans notre pays.

Je suis une avocate spécialisée dans les droits de la personne. Depuis longtemps, on s’abstient de poser des questions sur la race pour tenter de protéger les droits des personnes racialisées, précisément à cause du racisme systémique et intentionnel des institutions et des entreprises. Toutefois, le manque de données à propos de la race nous a empêchés de bien comprendre dans quelle mesure les Noirs et les Autochtones sont touchés de façon disproportionnée par la pandémie. Si nous continuons d’exclure les données relatives à la race, et si nous n’effectuons pas d’analyses comparatives entre les sexes plus, alors nous échouons à évaluer l’ampleur des conséquences de la pandémie pour les communautés marginalisées comme les Noirs et les Autochtones au Canada.

Nous ignorons également comment l’identité interagit avec les facteurs que sont le sexe et les capacités pour accroître les iniquités pendant la pandémie actuelle. La collecte de données ventilées, avec un accent mis sur les données ventilées selon la race, est essentielle pour évaluer l’ampleur du racisme systémique — et souvent intentionnel — au sein des systèmes de police canadiens, qui sont de plus en plus militarisés. En tant que législateurs, nous pouvons créer, avec Statistique Canada, une base de données qui sera bien en vue et accessible au public.

Chers collègues, nous avons souvent entendu des sénateurs et le Caucus des parlementaires noirs nous dire que les Canadiens de race noire et les Autochtones sont arrêtés, inculpés et incarcérés de façon disproportionnée par le système de justice pénale. Les preuves sont accablantes. Ces personnes doivent subir une surveillance policière excessive, un taux d’incarcération disproportionné ainsi que le racisme, les préjugés et la violence inhérents aux systèmes et aux institutions qui rendent la justice et qui assurent la sécurité publique au Canada.

Le taux d’incarcération des personnes de race noire a augmenté de 70 % dans les établissements fédéraux entre 2005 et 2016. De 2007 à 2017, plus du tiers des personnes tuées par balle par la GRC étaient des personnes d’origine autochtone. Si je nommais les victimes et si je décrivais tous les meurtres commis par des policiers au cours des trois derniers mois seulement au Canada, tout mon temps de parole serait écoulé. Il s’agit d’une liste à fendre le cœur de violations révoltantes du droit le plus fondamental : le droit à la vie.

Comme je suis consciente qu’il reste de moins en moins de temps à la soirée, je ne répéterai pas toutes les pistes de réforme déjà présentées par mes collègues, dont l’idée d’un revenu de subsistance garanti, mais je prendrai quand même un instant pour répéter que la pauvreté contribue directement à la surreprésentation des Canadiens noirs et autochtones dans l’appareil de justice pénale. Je joins ma voix à celle du Caucus des parlementaires noirs pour réclamer de l’ensemble des ordres de gouvernement qu’ils prennent des mesures ciblées pour aider les entreprises détenues et exploitées par des Canadiens noirs, qu’ils sollicitent activement les propositions des regroupements de gens d’affaires noirs et y donnent suite et qu’ils fassent le nécessaire afin que des données désagrégées selon la race soient recueillies et utilisées pour suivre le développement économique de ces entreprises.

Honorables sénateurs, si nous voulons vivre dans une démocratie où chacun aura le pouvoir social, économique et politique de réussir sa vie, quels que soient son sexe, sa race ou ses capacités, nous devons agir dès maintenant. Sondage après sondage, les Canadiens désignent les valeurs d’égalité garanties par la Charte comme le cœur de l’identité canadienne.

En terminant, j’aimerais citer un bref passage de du livre 100 Ways White People Can Make Life Less Frustrating For People of Color, que l’on pourrait traduire par « 100 façons dont les Blancs peuvent rendre la vie des personnes de couleur moins frustrante », de Kesiena Boom. Personnellement, je vous les recommande toutes les 100, mais en voici déjà 10 qui m’ont été recommandées comme étant particulièrement pertinentes pour nous par une personne noire qui travaille au Sénat.

Un :

Ce n’est pas parce que vous ne voyez pas de racisme autour de vous qu’il n’y en a pas. Si une personne de couleur vous dit qu’il y en a, faites confiance à son jugement sur la situation.

Deux :

Considérez-nous comme des personnes autonomes et uniques et non comme des représentants de notre race.

Trois :

Faites connaître des articles rédigés par des personnes de couleur qui portent sur leur vécu quotidien par rapport aux questions raciales et au racisme.

Je vous recommande également d’en faire autant avec les livres, les œuvres d’art et les produits médiatiques créés par des personnes de couleur qui ne portent pas sur leur vécu quotidien par rapport aux questions raciales et au racisme.

En quatrième lieu :

Adoptez un point de vue critique lorsque vous regardez la télévision et des films. Comment y présente-t-on les personnes de couleur et pour quelle raison? Quel rôle y jouent-elles?

En cinquième lieu :

Versez de l’argent à des mouvements populaires de votre collectivité qui sont dirigés par des personnes de couleur et qui offre du soutien à ces personnes.

En sixième lieu :

Appuyez les petites entreprises dont les propriétaires sont des personnes de couleur.

En septième lieu :

Si quelqu’un vous demande de remplir un rôle qui, selon vous, conviendrait mieux à une personne de couleur, recommandez une personne de couleur talentueuse que vous connaissez et renoncez à ce poste.

Le huitième point tiré de l’article que je tiens à souligner, c’est qu’il faut se soucier des questions raciales tous les jours de l’année.

En neuvième lieu :

Songez aux rapports raciaux même lorsqu’il n’y a pas de personnes de couleur autour de vous. Soyez-en conscients où que vous soyez et dans n’importe quelle situation. Les personnes de couleur doivent le faire, et vous devriez en faire autant.

Enfin, Kesiena Boom nous implore de ne pas nous déclarer des alliés des personnes de couleur comme par magie, simplement en s’attribuant ce titre. J’ajouterais que pour être considérés comme de véritables alliés, nous devons le mériter en nous efforçant toujours d’évaluer consciemment nos propos et nos gestes, et en reconnaissant que certaines personnes sont loin de jouir de tous les avantages que nous tenons tellement pour acquis que nous n’en sommes pas conscients.

En conclusion, bien que le terme « réveillé » puisse rendre beaucoup d’entre nous perplexes et mal à l’aise, il faut en revenir. Concentrons-nous plutôt sur l’origine du terme. Il s’agit d’un appel à notre intention — oui, un appel à notre intention — ici dans cette enceinte; on nous demande de nous réveiller, d’être attentifs et d’agir en tant qu’allié consciencieux. C’est parce que, peu importe qui nous sommes, il existe une personne différente de nous qui a besoin d’un allié.

Pour nous, en tant que législateurs, cela signifie que nous devons intensifier la collecte de données probantes, écouter et suivre les conseils des sénateurs noirs, autochtones et membres de communautés racialisées. Merci. Meegwetch.

Son Honneur le Président : Honorables sénateurs, le débat d’urgence prendra fin dans 10 minutes.

L’honorable Yuen Pau Woo : Honorables sénateurs, je suis heureux de prononcer un discours au nom de notre collègue la sénatrice Rosa Galvez, la première personne originaire du Pérou à avoir été nommée sénatrice au Canada, une personne plutôt bien informée des questions concernant les Autochtones, puisqu’elle est une Autochtone du Pérou. Voici le discours de la sénatrice Galvez :

Je prends la parole aujourd’hui afin de contribuer au débat d’urgence concernant le racisme systémique au Canada. Comme l’ont montré les événements au cours de la dernière semaine, les Canadiens subissent encore les affres du racisme institutionnel qui sévit dans l’ensemble des ministères et organismes canadiens, notamment dans les services de police. Chaque semaine, on rapporte de nouveaux cas de brutalité policière, de retrait des accusations de violence à l’endroit de personnes racialisées et de morts brutales. Chaque semaine, on apprend qu’une femme autochtone a été tuée lors d’une vérification du bien-être ou qu’un homme noir a été abattu par la police.

Je me console en voyant que la conversation au sujet du racisme à l’endroit des Noirs et des Autochtones est hautement médiatisée, ce qui nous permet de travailler ensemble à régler ces problèmes, mais je me désole du fait que la société a échoué tellement de fois dans ses tentatives pour régler ces mêmes problèmes.

Je souhaite que les discussions portent sur les problèmes à l’étude et je tiens à souligner le travail de nos collègues du Caucus des parlementaires noirs et des parlementaires autochtones. Ce sont eux les spécialistes de cette question et je suis prête à soutenir les initiatives qu’ils proposent pour régler ce problème. Il faut le faire de toute urgence.

Mes collègues racialisés parleront du racisme incessant que subissent les membres des minorités visibles au Canada, alors je vais brièvement m’attarder à un aspect du racisme qui est lié à mon domaine de spécialisation et qui est souvent mal compris. Il s’agit d’un problème qui détruit la vie de communautés entières partout au pays et qui est étroitement lié à la violence policière. Je parle du racisme environnemental.

Il est bien connu que les communautés autochtones, noires et de couleur sont touchées de manière disproportionnée par l’insécurité financière, des infrastructures publiques de piètre qualité et un manque d’accès aux services publics. Ce que l’on sait moins, c’est que les industries extrêmement polluantes ont tendance à être situées très près de ces communautés, ce qui nuit à la qualité de l’air et de l’eau et compromet encore plus la santé et le bien-être des résidents.

Contrairement à d’autres pays, le Canada n’est pas tenu par la loi de faire respecter la « justice environnementale ». En conséquence, cet enjeu est peu connu et il n’a fait son apparition que tout récemment. Le documentaire There’s Something in the Water, qui vient de paraître, fait ressortir les liens qui existent entre l’eau de puits contaminée et les taux élevés de cancer dans la communauté noire située à l’extérieur de Shelburne, en Nouvelle-Écosse, et d’autres communautés de couleur qui ont subi les effets néfastes de la pollution de l’eau, comme Boat Harbour et les territoires mi’kmaqs. Je vous invite à regarder cette vidéo et d’autres documentaires, ainsi qu’à lire les articles que je vais mentionner.

Par souci de concision, je vais me concentrer sur certains problèmes auxquels doivent faire les communautés racialisées afin de montrer qu’il est nécessaire de se pencher sur l’aspect environnemental du racisme au pays. Cet enjeu est pertinent pour toutes les communautés de couleur et tous les Canadiens qui ont à cœur la justice et l’égalité.

Selon l’enquête menée par CBC sur l’emploi de la force létale, sur une période de 17 ans, les Autochtones ont représenté 16 % des personnes tuées par la police alors qu’ils ne comptent que pour 3 % à 4 % de la population. La GRC est le corps policier canadien qui a tué le plus grand nombre de personnes. Le Globe and Mail a pour sa part découvert que, sur une période de 10 ans, plus de 36 % des personnes tuées par la GRC étaient des Autochtones. D’après les spécialistes, le chiffre réel est probablement beaucoup plus élevé puisque la GRC ne recueille pas de données fondées sur la race.

Pourquoi parlons-nous de racisme systémique? Pour pouvoir comprendre les causes sous-jacentes de cette violence, il importe de connaître le rôle passé et actuel de la GRC au pays. Le premier premier ministre du Canada, John A. Macdonald, a créé le prédécesseur de la GRC en 1873 pour étendre le contrôle colonial du Canada sur les territoires autochtones dans la partie du pays qui deviendrait l’Ouest canadien. En 1885, ce corps de police s’est joint aux forces armées du Canada pour mener une guerre contre différentes communautés métisses, cries, assiniboines et saulteaux de l’Ouest. Par la suite, la police a joué un rôle important dans la réinstallation forcée des peuples autochtones dans des réserves dans le but de faire de la place pour la construction du chemin de fer du Canadien Pacifique.

Le livre Enough to Keep Them Alive décrit comment la cristallisation du régime des réserves et le recours au système judiciaire pour criminaliser les peuples autochtones ont donné lieu à un régime structurel créateur de pauvreté. Quel était le but? L’utilisation de leurs terres. Un nombre disproportionné de sites d’enfouissement des déchets dangereux, de dépotoirs, d’incinérateurs et d’industries polluantes sont situés dans les collectivités des Premières Nations, car le zonage de ces terres le permet. La ville de Sarnia, en Ontario, aussi appelée « la vallée des produits chimiques », présente la plus importante concentration d’industries pétrochimiques au Canada, avec toute la pollution que cela implique pour l’air et pour l’eau, compromettant la santé des Premières Nations Aamjiwnaang et de l’île Walpole. Depuis la contamination au mercure provenant de l’usine de pâtes et papiers de Grassy Narrows jusqu’à la contamination à l’E. coli dans la réserve Kashechewan, de nombreuses collectivités dépassent le point de saturation pour ce qui est de l’exposition à des polluants.

La pollution est également une forme de violence systémique à l’endroit des gens de couleur. Lorsque des Autochtones s’expriment pour protéger leur santé et leur relation avec la terre, on les criminalise. Ces dernières années, les Autochtones ont dirigé de nombreux mouvements de grande visibilité luttant pour la justice sociale et environnementale au Canada. Le professeur Monaghan, de l’Université Carleton, a décrit comment la police et les autres forces de l’ordre ont réagi, soit en mettant au point un régime de surveillance par profilage ciblant les mouvements autochtones, en tant que menaces à la sécurité nationale. La surveillance policière intensifiée à l’égard des peuples ou des groupes autochtones dans le cadre de la soi-disant « guerre contre le terrorisme » a été justifiée par la création de catégories et d’étiquettes telles que « extrémisme autochtone » et « infrastructure essentielle », dans l’unique but de criminaliser les mouvements autochtones qui s’opposent à l’exploitation des ressources, qui exigent l’autodétermination ou qui contestent les revendications des gouvernements fédéral ou provinciaux concernant des terres autochtones.

En 2013, la GRC a arrêté plus de 14 membres de la Première Nation d’Elsipogtog, au Nouveau-Brunswick, pour avoir bloqué une route afin d’empêcher l’exploitation du gaz de schiste et la fracturation hydraulique dans leur territoire. En janvier 2019, puis, de nouveau, en 2020, la GRC a envahi le territoire des Wet’suwet’en et a arrêté des défenseurs des terres au camp Unist’ot’en, ce qui a entraîné l’érection de barricades en guise de solidarité partout au pays.

Je vais me concentrer sur un seul exemple pour illustrer le problème et ce que nous pouvons faire pour le régler. Il s’agit de l’opposition des Autochtones au projet d’oléoduc Northern Gateway. En 2014, l’Association des libertés civiles de la Colombie-Britannique a déposé une plainte contre la GRC pour avoir illégalement espionné des membres du mouvement Idle No More et d’autres opposants à l’oléoduc Northern Gateway. Les communautés autochtones qui revendiquaient une compétence juridique sur les territoires convoités par Enbridge ont fait l’objet d’une surveillance accrue et ont été présentées comme des entités criminelles posant une menace pour la sécurité nationale.

Sous le prétexte d’assurer la « protection des infrastructures essentielles », notre police d’État fonctionne comme le bras armé du capitalisme extractif au pays. Des renseignements de surveillance classifiés ont été communiqués par la GRC et le SCRS au cours de réunions des parties prenantes du secteur de l’énergie organisées par Ressources naturelles Canada, où environ la moitié des 100 participants provenaient de sociétés énergétiques. Le déjeuner, le dîner et la pause-café de la réunion de mai 2013 ont été parrainés par Enbridge, le promoteur du projet d’oléoduc Gateway.

Nous ne connaissons pas encore le dénouement de cette affaire; une partie de celle-ci fait l’objet de batailles juridiques et de bâillons. Par ailleurs, le rapport de juin 2017 de la Commission civile d’examen et de traitement des plaintes relatives à la GRC n’a toujours pas été rendu public. La commission ne peut pas préparer de rapport public final tant que la commissaire de la GRC n’a pas répondu. Nous voici trois ans plus tard et elle ne l’a pas encore fait. Voilà une lacune évidente du système judiciaire.

Le projet de loi C-3, Loi modifiant la Loi sur la Gendarmerie royale du Canada, allait peut-être supprimer cette échappatoire avant que le Parlement mette fin à ses travaux à cause de la crise. Récemment, le projet de loi S-230 a également été présenté à l’autre endroit pour s’attaquer au racisme environnemental.

Je suis d’avis qu’aller de l’avant avec ces mesures législatives et assurer le fonctionnement de la Chambre de second examen objectif à l’aide de tous les outils technologiques disponibles est la chose la plus utile que nous puissions faire en tant que législateurs pour lutter contre le racisme systémique. Nous devons mettre de l’ordre dans le Règlement pour que le Sénat ne soit plus jamais l’endroit où d’importants projets de loi qui visent à inscrire la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones dans la loi canadienne viennent mourir au Feuilleton.

Honorables sénateurs, nous sommes privilégiés de siéger dans cette enceinte. J’espère sincèrement que nous nous servirons du privilège et de l’honneur qui nous sont accordés pour montrer que nous ne sommes pas que de simples symboles d’une société qui veut projeter une image d’équité et d’intégration de tous. J’espère que nous nous servirons de notre pouvoir pour créer vraiment une société équitable où tous ont leur place et pour favoriser les changements nécessaires dans l’intérêt général. Tâchons de jouer un rôle décisif pour veiller à ce que le Canada s’efforce de guérir les traumatismes et la souffrance humaine avec une empathie et une justice transformatrices, plutôt que d’accroître encore la violence.

Je viens de lire le discours de la sénatrice Galvez en entier. Elle termine en vous remerciant tous de votre attention.

Son Honneur le Président : Honorables sénateurs, le temps prévu pour le débat d’urgence est écoulé. Conformément à l’article 8-4(7) du Règlement, la motion d’ajournement de la sénatrice Moodie est réputée retirée.

Le consentement est-il accordé, honorables sénateurs?

Des voix : D’accord.

(La motion est retirée.)

(À 24 heures, le Sénat s’ajourne jusqu’au lundi 22 juin 2020, à 18 heures.)

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