En lien avec la lettre de mandat du Ministre du Patrimoine canadien (PCH), le ministère organise actuellement des consultations avec des intervenants clés pour informer l’élaboration de politiques ayant pour objectif d’assurer un partage plus équitable des revenus des géants du Web avec les créateurs et médias canadiens dans le but de contribuer à un écosystème de l’information sain au Canada.
B. Contexte et situation actuelle
Le marché de la publicité en ligne au Canada est estimé à 8,8 milliards de dollars. La publicité est la principale source de revenus des médias canadiens. Depuis 2008, l’industrie de la presse connaît une baisse importante de ses revenus globaux, qui sont passés de 5,5 milliards de dollars en 2008 à 2,7 milliards de dollars en 2018, soit une réduction de 51 % des revenus au cours des 10 dernières années. Les revenus publicitaires migrent vers les grandes plateformes en ligne connues sous le nom de GAFA (Google, Apple, Facebook et Amazon).
La crise actuelle de la COVID-19 a exacerbé la situation financière déjà difficile des médias. À cause de la COVID-19, 50 journaux communautaires ont cessé leurs activités et plus de 2 000 emplois ont été supprimés. On ne sait pas encore combien de temps durera la pandémie de COVID-19 et quelles seront les répercussions à long terme sur la publicité dans les médias canadiens.
Des rapports récents ont fait la demande au gouvernement d’examiner ou de prendre des actions sur l’enjeu de la rémunération des éditeurs de presse :
Dans le cadre de l’examen législatif de la Loi sur le droit d’auteur récemment terminé (2019), le Comité permanent de l’industrie, des sciences et de la technologie (INDU) a demandé une étude sur plusieurs enjeux liés au partage du journalisme en ligne, y compris la rémunération des journalistes, les revenus des éditeurs de presse et la concurrence sur les marchés en ligne (recommandation 15).
Dans son rapport de janvier 2020, le Groupe d’étude sur la radiodiffusion et les télécommunications a notamment recommandé de prélever des redevances sur certaines entreprises de radiodiffusion pour contribuer à la production de contenu d’actualité (recommandation 71), et de réglementer la relation entre les plateformes de médias sociaux qui diffusent du contenu de nouvelles et les créateurs de contenu de nouvelles (recommandation 72).
C. Considérations d’ordre stratégique
Les médias et les plateformes numériques d’information du Canada ont des points de vue très différents au sujet de l’enjeu de la rémunération des éditeurs de presse.
Les membres de Médias d’Info Canada soutiennent que les plateformes numériques, principalement Google et Facebook, ont eu un effet perturbateur de la concurrence sur le marché et ont exploité les lacunes de la réglementation pour obtenir davantage de pouvoir et d’influence dans ce domaine. Ces membres demandent au Canada de suivre l’exemple de l’Australie qui a mis en place un cadre qui permettrait aux médias d’information de négocier collectivement avec les plateformes numériques.
Plusieurs plateformes numériques ont affirmé qu’elles avantagent les médias d’information canadiens parce qu’elles offrent la distribution gratuite de leur contenu médiatique et qu’elles leur permettent de générer des revenus publicitaires en dirigeant le trafic numérique vers leurs sites de nouvelles respectifs. Cependant, de nombreux médias considèrent que ces pratiques entravent leur capacité à construire un modèle d’affaires en ligne durable. Ces critiques comprennent :
l’absence de pouvoir de négociation réel pour les médias sur la façon dont les éléments de leurs nouvelles sont présentés sur les plateformes numériques;
la divulgation des données des utilisateurs;
l’imprévisibilité et le manque de transparence dans les changements algorithmiques apportés par les plateformes numériques;
l’emprise duopole du marché de la publicité numérique par Google et Facebook.
Un certain nombre de pays aux vues similaires ont commencé à prendre des mesures pour appuyer les médias d’information nationaux. Patrimoine canadien surveille ces approches et collabore avec ces États pour recueillir les leçons apprises et déterminer les pratiques exemplaires. Voici les principales approches internationales en matière de rémunération équitable des médias d’information :
Australie : Le Code de négociation des médias d’information, adopté en février 2021, crée un cadre pour les médias d’information enregistrés et les plateformes numériques désignées afin de les contraindre à négocier de bonne foi une rémunération financière pour l’utilisation et la reproduction de contenu d’actualité. Un processus d’arbitrage de l’offre finale pourrait être utilisé advenant que les parties ne parviennent pas à une entente négociée sur la rémunération.
Google et Facebook considéraient qu’il s’agissait d’une intrusion excessive dans leurs activités commerciales, particulièrement les exigences relatives à la divulgation des données d’utilisateurs aux éditeurs et aux avis de changements algorithmiques. Après des réunions avec Google et Facebook, le gouvernement australien a accepté de modifier le Code pour donner aux plateformes numériques un mois de préavis avant qu’elles ne soient officiellement désignées en vertu du Code, ce qui leur donnerait du temps pour négocier des ententes en dehors du Code. En outre, les éditeurs seront payés sous forme de montants forfaitaires, plutôt que selon le nombre de clics sur les liens vers les articles de nouvelles.
France : En juillet 2019, la France a transposé un « droit voisin » au profit des éditeurs de presse dans sa législation nationale. Cela crée une obligation pour les agrégateurs de nouvelles d’indemniser les éditeurs de presse pour l’utilisation d’extraits de leurs articles en ligne, communément appelés des « bribes ». Google a réagi en refusant unilatéralement d’afficher des extraits d’articles et du contenu d’autres éditeurs, à moins que les éditeurs ne lui aient accordé la permission de le faire gratuitement.
En avril 2020, l’Autorité de la concurrence de l’État français a rendu une ordonnance provisoire (qui a, par la suite, été confirmée par la Cour d’appel de Paris) enjoignant Google à négocier de bonne foi avec les éditeurs de presse au sujet des paiements pour l’utilisation de contenu protégé par le droit d’auteur sur ses pages de nouvelles, de recherche et de découverte — cela inclut les paiements rétroactifs à l’entrée en vigueur de la loi. Google a signé une série d’accords de licence avec les plus grands éditeurs de presse français pour présenter leur contenu. Google fait encore face à une lourde pénalité pour ne pas avoir d’ententes avec d’autres éditeurs, comme l’Agence France-Presse (AFP).
Au Canada, il n’y a aucun droit comparable sous la Loi sur le droit d’auteur quant aux extraits ou aux « bribes » d’œuvres journalistiques diffusées en ligne.
Le Ministère mène en ce moment des consultations auprès des intervenants afin d’éclairer l’élaboration des politiques en ce qui a trait à l’engagement d’assurer un partage plus équitable des revenus des géants du Web avec les créateurs et médias canadiens. Ces consultations permettront aux fonctionnaires de Patrimoine canadien de recueillir de l’information, des faits et des données économiques auprès des personnes-ressources existantes, ainsi que de solliciter les points de vue d’un plus vaste échantillon d’intervenants, y compris les médias traditionnels et numériques, les diffuseurs, les éditeurs autochtones, les universitaires, les groupes en quête d’équité et les entreprises de technologie.