L’édition francophone au Canada : Principaux facteurs d’impact économique depuis 2005
Préparé par Stéphane Labbé, PhD
15 mars 2022
Le rapport représente l’opinion et les points de vue du chercheur et des gens interviewés seulement (et non pas celle de PCH) à un moment précis dans le temps.
Sur cette page
- Liste des figures
- Liste des tableaux
- Liste des acronymes et abréviations
- Contexte et mandat
- Introduction
- Démarche méthodologique
- Résultats
- Partie 1 : Analyse statistique
- Partie 2 : Les évolutions du marché du livre
- L’industrie du livre comme partie intégrante d’une filière
- Une concurrence à surveiller
- Le temps : une denrée rare chez les consommateurs
- Des réseaux de vente en évolution
- Des mouvements chez les diffuseurs-distributeurs conjugués à la « surproduction »
- La surproduction
- Un traitement médiatique maigre
- Une industrie qui fait écho aux phénomènes sociaux
- Des phénomènes propres à l’édition scolaire et universitaire (Partie 1)
- Autres éléments abordés par les éditeurs
- Partie 3 : Les évolutions technologiques
- L’environnement numérique comme concurrent
- L’environnement numérique : un coût additionnel pour les éditeurs
- La multiplication des formats numériques n’a pas produit de nouveaux revenus
- Des possibilités additionnelles pour les éditeurs
- Les avancées technologiques de production et d’impression : des outils pour mieux gérer les inventaires et les flux de production
- Le piratage des livres dans l’environnement numérique
- La faible valorisation des produits numériques
- L’édition en constante adaptation aux évolutions incessantes du numérique
- L’externalisation des activités numériques : une menace
- La migration des activités promotionnelles vers l’environnement numérique
- Des marchés étrangers plus accessibles
- Des phénomènes propres à l’édition scolaire et universitaire (Partie 3)
- Partie 4 : Les évolutions législatives et gouvernementales
- La Loi sur le droit d’auteur : des impacts inégaux selon le genre publié
- Les éditeurs hors Québec défavorisés
- Le programme de crédit d’impôt de la SODEC
- Les programmes de subvention du Conseil des arts du Canada
- Des programmes qui ne font pas écho aux nouvelles réalités de l’environnement numérique
- Les normes concernant le livre accessible
- Partie 5 : Les impacts de la COVID-19
- Partie 6 : Des compétences qui font défaut?
- Partie 7 : À propos de la viabilité des éditeurs
- Partie 8 : Quelles sont les informations non accessibles pour répondre adéquatement aux questions précédentes? Comment y remédier?
- Conclusion
Liste des figures
Liste des tableaux
- Tableau 1 – Production (en nbr de titres publiés) des éditeurs francophones canadiens de l’échantillon (n=9), 2018, 2019 et 2020
- Tableau 2 – Nombre d’employés à temps plein des éditeurs francophones canadiens, de l’échantillon (n=9), selon le type d’éditeur, 2018, 2019 et 2020
- Tableau 3 – Tableau de l’évolution de l’aide gouvernementale, des revenus totaux et de la marge bénéficiaire des éditeurs francophones canadiens, 2008 à 2020, selon les données du Fonds du livre du Canada
Liste des acronymes et abréviations
- B2C
- « Business-to-consumer » (La vente directe aux consommateurs par les éditeurs)
- CAC
- Conseil des arts du Canada
- COVID-19
- Maladie à coronavirus de 2020
- MOOC
- « Massive Open Online Courses » (Formation en ligne ouverte à tous)
- OBNL
- Organisme à but non lucratif
- « Portable Document Format » (Format de document portable)
- SEO
- « Search engine optimization » (L’optimisation des moteurs de recherche)
- SODEC
- Société de développement des entreprises culturelles
Format substitut
L’édition francophone au Canada : Principaux facteurs d’impact économique depuis 2005 [Version PDF - 1 Mo]
Contexte et mandat
Le mandat de recherche visait à dresser le portrait économique des éditeurs canadiens de langue française et à en expliciter l’évolution au fil des différents changements observés sur le plan des technologies, du législatif et de l’industrie en général.
L’objectif était alors de mieux comprendre les impacts économiques récents (2008 à ce jour) des évolutions technologiques, législatives et du marché en général sur les activités des éditeurs canadiens de langue française.
Pour y arriver, le mandat sous-tendait la réalisation de 5 à 10 entretiens individuels auprès d’éditeurs francophones canadiens (éditeurs québécois et éditeurs hors Québec, dont au moins un éditeur spécialisé dans le domaine scolaire) afin de documenter les réalités vécues de ceux-ci sur le plan des impacts économiques récents (2008 à ce jour) des évolutions technologiques, législatives et du marché en général sur leurs activités.
De façon plus spécifique, le mandat consistait à documenter les éléments suivants :
- Quels sont les changements technologiques, législatifs et les changements en général du marché du livre qui ont causé les impacts les plus significatifs au cours des dernières années?
- Dans quelle mesure la viabilité des éditeurs francophones canadiens est-elle menacée?
- Comment l’environnement numérique a-t-il affecté les éditeurs et auteurs? Quelles compétences font défaut et comment y remédier?
- Le contexte de la COVID-19 a-t-il modifié la façon dont les éditeurs travaillent? Dans l’affirmative, comment?
- Quelles sont les informations non accessibles pour répondre adéquatement aux questions précédentes? Comment y remédier?
Introduction
Au Canada, les éditeurs francophones constituent un écosystème fort diversifié, notamment en termes de genres publiés, de taille et d’âge d’entreprise. Si cette diversité sous-tend des réalités singulières, notamment sur le plan des marchés visés et des ressources disponibles, il demeure que les éditeurs francophones du Canada évoluent dans un environnement global relativement semblable. Dans le cadre de cette étude, nous avons considéré cet environnement global, nous avons enquêté auprès des éditeurs francophones du Canada afin d’identifier les changements dans celui-ci qui ont eu des impacts économiques sur les activités de ces entreprises.
Depuis 2005, la société a connu de nombreuses évolutions, qu’il s’agisse de l’environnement politique, économique, social, culturel, technologique, écologique ou législatif. Certaines de ces évolutions ont eu des impacts sur les activités des éditeurs francophones du Canada. Les éditeurs interrogés dans le cadre de cette étude ont évoqué les nombreux changements dans l’écosystème du marché du livre, notamment certains mouvements de concentration, des changements dans les réseaux de ventes de même qu’un contexte de « surproductionNote de bas de page 1 ».
À ces évolutions industrielles se sont conjugués d’importants changements technologiques qui ont impacté chacune des fonctions des éditeurs, qu’il s’agisse de la fonction éditoriale, celle de la production, celle de la fabrication ou encore celle de la communication et de la gestion. Si plusieurs de ces évolutions technologiques ont été bénéfiques pour les éditeurs, notamment en matière de gain de productivité, d’autres se sont avérées nuisibles. En effet, les différents formats de livres numériques qui sont apparus au fil de la période étudiée n’ont pas généré les ventes ni les profits escomptés, notamment du fait d’une faible valorisation économique du fichier numérique par les lecteurs.
D’autres évolutions ont également affecté les activités des éditeurs francophones du Canada depuis 2005, notamment sur le plan législatif (les exceptions adoptées à la Loi sur le droit d’auteur en 2012), et la pandémie de COVID-19 qui fait rage depuis mars 2020 s’est traduite par des changements relativement importants dont certains pourraient perdurer dans le temps, nommément la migration des modes d’approvisionnement.
Ainsi, les résultats de l’enquête menée auprès des éditeurs francophones du Canada sont présentés dans ce rapport sous ces grands thèmes, à savoir les évolutions du marché du livre, les évolutions technologiques, les évolutions législatives et les impacts de la COVID-19. À ces grands thèmes s’ajoutent des sections qui traitent spécifiquement du développement des compétences des éditeurs ainsi que de la viabilité financière de ceux-ci.
Démarche méthodologique
Notre démarche méthodologique s’est inscrite dans une approche générale inductive et a mobilisé la méthodologie générale de la théorisation enracinéeNote de bas de page 2 (MTE, Grounded Theory). Ainsi, notre démarche a consisté à élaborer le portrait économique sur la base des discours des participants. Il n’est ainsi pas question de généralisations statistiques, mais plutôt de parfaire notre compréhension des changements tels qu’ils ont été effectivement vécus par les participants à l’étude. De la même manière, il n’est pas question d’échantillonnage statistique, mais bien d’échantillonnage théorique dans le cadre duquel nous avons tenté de diversifier au mieux les participants afin de recueillir des données de plusieurs contextes différents.
La cueillette des données a été effectuée par la réalisation d’entretiens individuels auprès d’un échantillon théorique de 9 éditeurs francophones du Canada. Chaque entretien a été enregistré à des fins pratiques uniquement, c’est-à-dire afin de faciliter la transcription partielle des discours des participants en vue de leur analyse. Les fichiers audionumériques des entretiens demeureront strictement confidentiels et ne seront pas partagés d’aucune façon. Les transcriptions ont fait l’objet d’une analyse par codage à trois niveaux (unité de sens, catégorie et thématique), le tout selon les principes de la MTE. Par ailleurs, nous précisons que les analyses ont débuté dès la réalisation du premier entretien et les premiers résultats d’analyse ont permis d’aborder des éléments du discours ou des pistes d’analyse dans le cadre des entretiens suivants, et ainsi de suite. Aussi, nous n’avons pas utilisé de guides d’entretien, mais plutôt une liste de thèmes à aborder. Notre démarche a consisté à laisser l’interviewé parler à sa guise de ses réalités et, à la fin de l’entretien, dans l’éventualité où le participant n’avait pas évoqué certains thèmes, nous le relancions sur ceux-ci. Cette façon de faire permet de laisser émerger des réalités qu’un guide d’entretien aurait évacué.
Certaines données statistiques ont par ailleurs été demandées aux éditeurs participants, notamment les données de leur production (nombre de titres publiés) et celles concernant le nombre d’employés à plein temps, le tout pour les exercices financiers de 2018, 2019 et 2020. Ces données ont parfois été transmises de façon verbale, parfois par écrit. Dans tous les cas, les données des 9 éditeurs ont été collectées, agrégées et normalisées pour analyse. Toutes les autres données statistiques présentées dans ce rapport proviennent du Fonds du livre du Canada du ministère du Patrimoine canadien.
Échantillonnage théorique
De concert avec les équipes du ministère, nous avons convenu d’un échantillonnage théorique qui varie les contextes en tenant compte de la taille de l’entreprise, du genre littéraire principal et du lieu géographique de l’entreprise (au Québec ou hors Québec). L’échantillon théorique final est le suivant (tous les noms des entreprises et des interviewés ont été éliminés afin de respecter la confidentialité des participants) :
- Catégorie : Éditeurs littéraires
- 1 x éditeur de petite taille au Québec
- 1 x éditeur de grande taille au Québec
- 1 x éditeur hors Québec
- Catégorie : Éditeurs généralistes (non-fiction / guides pratiques)
- 1 x éditeur de petite taille au Québec
- 1 x éditeur de grande taille au Québec
- Catégorie : Éditeurs jeunesse
- 1 x éditeur de grande taille au Québec
- 1 x éditeur hors Québec
- Catégorie : Éditeurs scolaires
- 1 x éditeur peu importe la taille au Québec
- Catégorie : Presses universitaires
- 1 x éditeur peu importe la taille au Québec
Dans le reste de l’étude, les données sur les éditeurs des catégories 4 et 5 seront présentées de manière agrégées afin de respecter la confidentialité des participants.
Résultats
Les résultats de cette étude sont présentés sous de grands thèmes, notamment les évolutions du marché du livre, les évolutions technologiques, les changements législatifs et les impacts de la COVID-19. Dans une première section, nous procédons à l’analyse des statistiques des éditeurs de l’échantillon théorique (nombre de titres publiés et nombre d’employés à temps plein). Compte tenu des la non-représentativité statistique de l’échantillon, nous appelons le lecteur à une lecture vigilante. Nous présentons également une analyse de données statistiques fournies par le ministère (aide gouvernementale reçue, revenus totaux et marge bénéficiaire), ces dernières étant statistiquement représentatives.
Partie 1 : Analyse statistique
Type d’éditeur / Année | 2018 | 2019 | 2020 |
---|---|---|---|
Éditeur généraliste de petite taille au Québec | 14 | 14 | 7 |
Éditeur généraliste de grande taille au Québec | 293 | 274 | 243 |
Éditeur littéraire de petite taille au Québec | 13 | 17 | 11 |
Éditeur littéraire de grande taille au Québec | 85 | 66 | 80 |
Éditeur littéraire hors Québec | 15 | 16 | 20 |
Éditeur jeunesse hors Québec | 12 | 13 | 14 |
Éditeur jeunesse au Québec | 44 | 34 | 32 |
Presses universitaires et éditeur scolaire | 52 | 113 | 139 |
Total | 528 | 547 | 546 |
Moyenne | 58,67 | 60,78 | 60,67 |
Médiane | 20 | 31 | 28 |
Si l’on peut constater une évolution relativement importante du nombre de titres publiés par l’échantillon des éditeurs francophones du Canada pour la période étudiée, soit une médiane de 28 titres publiés par année en 2020 contre une médiane de 20 titres publiés en 2018, il appert que cette croissance ne s’est pas avérée pour tous les types d’éditeurs. En effet, on remarque une diminution significative de la production des éditeurs généralistes de l’échantillon théorique, laquelle est passée de 307 titres en 2018 à 250 titres publiés en 2020, soit une diminution de 18,5%. A contrario, on observe une hausse importante de la production des éditeurs du secteur scolaire (presses universitaires et éditeur scolaire), lesquels sont passés d’une production de 52 titres en 2018 à une production de 139 titres en 2020, soit une augmentation de 167%.
Type d’éditeur / Année | 2018 | 2019 | 2020 |
---|---|---|---|
Éditeur généraliste de petite taille au Québec | 3 | 3 | 3 |
Éditeur généraliste de grande taille au Québec | 68 | 68 | 64 |
Éditeur littéraire de petite taille au Québec | 2 | 2 | 2 |
Éditeur littéraire de grande taille au Québec | 47 | 38 | 40 |
Éditeur littéraire hors Québec | 3,25 | 4,25 | 4,25 |
Éditeur jeunesse hors Québec | 3 | 3 | 3 |
Éditeur jeunesse au Québec | 9 | 9 | 9 |
Presses universitaires et éditeur scolaire | 163 | 177 | 174 |
Total | 298,25 | 304,25 | 299,25 |
Moyenne | 33,14 | 33,81 | 33,25 |
Médiane | 6 | 6 | 6 |
Les résultats de nos analyses quant aux évolutions du nombre d’employés à temps plein de l’échantillon des éditeurs francophones nous amènent à conclure que, pour la période de 2018 à 2020, nous n’avons pas observé de changements significatifs. En effet, la médiane est demeurée identique et la moyenne n’a évolué positivement que de moins de 1% sur la période. Cela étant, on doit tout de même préciser que si les éditeurs de petite taille n’ont connu que de très faibles variations en la matière, les éditeurs de grande taille ont connu des évolutions plus remarquables. En effet, les presses universitaires et l’éditeur scolaire de l’échantillon ont vu leurs équipes passer globalement de 163 employés à temps plein à 174 alors que l’éditeur généraliste de grande taille a connu une diminution de son nombre d’employés à temps plein, lesquels sont passés de 68 à 64 individus.
Année | # d'éditeurs | Total de l’aide gouvernementale | Revenus totaux | Profit ou Perte (avant impôt sur le revenu et postes extraordinaires) | Pourcentage de marge bénéficiaire |
---|---|---|---|---|---|
2008 à 2009 (Total) | 106 | 28 952 441 $ | 320 537 053 $ | 21 474 709 $ | 6,7 % |
2008 à 2009 (Médiane) | - | 154 367 $ | 1 026 263 $ | 25 577 $ | - |
2012 à 2013 (Total) | 118 | 32 099 521 $ | 331 721 812 $ | 17 637 832 $ | 5,3 % |
2012 à 2013 (Médiane) | - | 164 261 $ | 802 559 $ | 17 156 $ | - |
2016 à 2017 (Total) | 124 | 32 041 391 $ | 325 937 975 $ | 13 604 062 $ | 4,2 % |
2016 à 2017 (Médiane) | - | 166 066 $ | 831 737 $ | 12 056 $ | - |
2019 à 2020 (Total) | 122 | 32 773 790 $ | 322 494 695 $ | 18 132 438 $ | 5,6 % |
2019 à 2020 (Médiane) | - | 188 499 $ | 1 041 333 $ | 39 604 $ | - |

Figure 1 – Graphique de l’évolution de l’aide gouvernementale, des revenus totaux et de la marge bénéficiaire des éditeurs francophones canadiens, 2008 à 2020, selon les données du Fonds du livre du Canada – version texte
Année | Total de l’aide gouvernementale | Revenus totaux | Profit ou Perte (avant impôt sur le revenu et postes extraordinaires) |
---|---|---|---|
2008 à 2009 (Médiane) | 154 367 $ | 1 026 263 $ | 25 577 $ |
2012 à 2013 (Médiane) | 164 261 $ | 802 559 $ | 17 156 $ |
2016 à 2017 (Médiane) | 166 066 $ | 831 737 $ | 12 056 $ |
2019 à 2020 (Médiane) | 188 499 $ | 1 041 333 $ | 39 604 $ |
Les données concernant l’évolution des revenus totaux, de la marge bénéficiaire et de l’aide gouvernementale reçue des éditeurs francophones du Canada ont été analysées à l’aide des médianes, le tout afin d’éliminer le biais du nombre d’éditeurs pour chaque période étudiée (2008 à 2009; 2012 à 2013; 2016 à 2017; 2019 à 2020).
Pendant cette période (2008 à 2020), les éditeurs francophones du Canada ont vu leurs revenus totaux augmenté de 1,4% alors que l’aide gouvernementale s’est accrue de 22,1%. Cette observation peut être interprétée de nombreuses façons et nécessiterait une analyse fine des données brutes afin de pouvoir émettre tout éventuelle conclusion.
On remarque également que pour cette même période, les profits avant impôts des éditeurs ont augmenté de 54,8%. Précisons toutefois ici que cette fulgurante augmentation apparaît moins importante à la lumière de l’observation des données chiffrées : la médiane des profits avant impôts des éditeurs étant passée de 25 577$ entre 2008 et 2009 à 39 604$ entre 2019 à 2020.
Partie 2 : Les évolutions du marché du livre
L’industrie du livre a connu de nombreux changements au fil des 15 dernières années. Les participants à l’étude en ont fait grand état, mais de façon très divergente selon le type d’éditeur. En effet, si certaines évolutions du marché du livre ont eu des impacts sur les activités de tous les éditeurs, d’autres n’auront impacté que certains des types d’éditeurs. C’est ainsi qu’au fil des grands thèmes abordés ici, nous préciserons les convergences et les divergences des impacts sur les différents éditeurs.
L’industrie du livre comme partie intégrante d’une filière
Le secteur du livre opère en collaboration avec d’autres industries et les évolutions de ces dernières ont des impacts indirects sur les acteurs du livre. La crise récente dans l’industrie papetière, et par le fait même chez les imprimeurs, a eu des impacts indirects importants sur la chaîne d’approvisionnement du livre, mais également sur la diversité littéraire.
C’est récent, mais la fermeture de certains moulins à papier et de certains imprimeurs s’est avérée une diminution importante de l’offre en la matière. Cela a engendré des défis de gestion des calendriers de production, des défis sur la gestion des inventaires de même que des défis en matière de viabilité des titres. Cette situation va forcer une augmentation des prix du livre.
Récemment, l’augmentation du prix du papier conjuguée à la diminution du temps de presse disponible a causé des problèmes de gestion des coûts et de gestion des inventaires.
Actuellement, nous ne pouvons plus imprimer à court tirage puisque les imprimeurs n’ont pas de temps de presse et le papier est rare. Ainsi, nous commandons des tirages élevés, ce qui cause des problématiques d’inventaires, des ruptures de stocks, des reports de publication et des problèmes de viabilité. Aussi, cela fait en sorte que nous publions moins de primo romanciers.
Si, au fil des évolutions technologiques (nous en discutons plus loin), les éditeurs ont pu augmenter leur efficience et continuer à croître sans augmenter significativement le prix du livre au fil des décennies, il semble que l’augmentation du prix des matières premières pourrait forcer les éditeurs à augmenter le prix public des livres.
Une concurrence à surveiller
Au cours des 15 à 20 dernières années, l’industrie a vu l’émergence de grandes chaînes de détaillants; un phénomène non pas unique au Québec, mais bien commun aux pays occidentaux. Au Canada francophone, dans le contexte d’un marché étroit qui a par ailleurs nécessité une intervention étatique en 1981 avec l’adoption de la Loi sur le développement des entreprises québécoises dans le domaine du livre (Loi du livre), laquelle intervention a permis la création d’un marché institutionnel qui allait rendre viable la vente au détail de livres dans toutes les régions du Québec, le phénomène de concentration des libraires demeure préoccupant. Au cours de la période étudiée, les deux plus grandes chaînes de librairies québécoises ont fusionné (Renaud-Bray a fait l’acquisition des librairies Archambault), qui plus est, le nouveau géant du livre francophone canadien a également fait l’acquisition en 2017 du diffuseur et distributeur de livres Prologue et cela a beaucoup préoccupé les éditeurs.
Le quasi-monopole de Renaud-Bray/Archambault, qui plus est intégré maintenant avec le diffuseur/distributeur Prologue, engendre des jeux de pouvoir : cela débalance l’écosystème du livre.
On a observé une augmentation du nombre de librairies indépendantes et le renforcement de la chaîne Renaud-Bray, notamment par le rachat de la chaîne Archambault. Cela ne nous a pas impacté, mais nous avons pu observer des pratiques commerciales qui nous semblent problématiques ….
Nous sommes inquiets de constater qu’un distributeur de livres est propriété de la plus importante chaîne de librairies au Québec. Il s’agit d’un glissement qui pourrait s’avérer dangereux pour l’écosystème du livre.
Le temps : une denrée rare chez les consommateurs
Les nombreuses évolutions de l’environnement numérique ont permis l’émergence d’offres de services et de produits culturels plus facilement accessibles et à faibles prix. Cette offre est venue s’ajouter à celle déjà existante : on peut maintenant visionner des milliers de films ou de séries sur Netflix, ICI TOU.TV, Apple TV+ ou autres plateformes semblables, et ce pour une fraction du prix en salle; on peut également écouter des milliers de chansons sur Spotify ou Google Play, également pour une fraction du prix d’un album; on peut également visionner de très nombreux concerts sur YouTube, qui plus est gratuitement. Ce ne sont pas les exemples qui manquent. Or, cette nouvelle et immense offre de produits et services culturels à prix modiques constitue une concurrence dans le marché de l’attention des consommateurs culturels. Le temps est devenu une denrée rare.
L’offre culturelle est grande et il est de plus en plus difficile de capter l’attention du consommateur : nous sommes en concurrence contre les autres secteurs culturels.
Les lecteurs n’ont plus le temps de lire des livres de 200 pages sur un sujet donné. Leurs agendas sont remplis à pleine capacité et ils font le choix d’aller chercher ces informations ailleurs, notamment sur Internet.
Au fil des 15 dernières années, nos tirages ont diminué. Cela est en partie causé par une concurrence plus grande des autres types de divertissements. On a connu une légère hausse dernièrement, pendant la COVID alors que ces autres divertissements étaient inaccessibles, et cela semble confirmer notre intuition à cet égard.
Des réseaux de vente en évolution
On distingue généralement trois réseaux de ventes de livres dans le marché, à savoir le réseau des librairies indépendantes (des librairies qui ne font pas partie d’une chaîne ou d’une bannière), le réseau des librairies à succursales (des librairies qui font partie d’une même chaîne), ainsi que le réseau de la « grande diffusion », lequel regroupe tous les détaillants qui vendent des livres, mais qui ne sont pas des libraires (Costco, Walmart, les pharmacies, les épiceries, les boutiques spécialisées tels les animaleries, etc.).
Au cours de la période étudiée, on a pu observer, malgré certaines périodes plus difficiles, un certain développement du réseau des librairies indépendantes ainsi qu’une consolidation du réseau des librairies à succursales (voir plus haut). Les participants à l’étude observent d’ailleurs une augmentation de leurs ventes de livres dans ces réseaux, et cela au détriment du réseau de la grande diffusion.
On a remarqué une augmentation de la fréquentation (et des ventes de livres) en librairie et cela s’est effectué en parallèle à une diminution des ventes de livres dans le réseau de la grande diffusion.
L’essor du nombre de librairies indépendantes a engendré une augmentation de nos ventes.
On observe une progression des librairies actuellement : nous n’avons pas d’informations pour mesurer l’impact de cette progression, mais cela crée plus d’opportunités de ventes.
Pour nous, Amazon n’a pas tant progressé. Toutefois, le réseau de la grande diffusion a connu une baisse des ventes alors que le réseau de la librairie a augmenté. Le fait que le réseau de ventes de la grande diffusion est en baisse implique que nous fassions des choix éditoriaux différents.
Ces évolutions d’ordre macroéconomiques sont accompagnées par des évolutions microéconomiques, lesquels ont des impacts importants sur certains types d’éditeurs. En effet, les librairies indépendantes, par nature de petite taille et ayant le plus souvent pignon sur rue et desservant une localité circonscrite, semblent avoir amorcé un changement majeur : les librairies indépendantes sont de plus en plus actives dans la médiation du livre; elles se remettent à la prescription du livre et cela a des impacts sur les éditeurs, notamment les éditeurs littéraires.
En édition littéraire, les librairies indépendantes sont importantes. Leurs évolutions ont des impacts sur nos ventes : ils font vivre le livre par des événements; certains libraires deviennent de véritables influenceurs sur le Web. On observe un retour vers la prescription du libraire.
Les libraires sont moins anonymes qu’avant : ils sont devenus de véritables médiateurs, ils sont actifs, ils jouent un rôle important dans un contexte de surproduction.
Cette mouvance des librairies indépendantes vers la prescription et la médiation s’opère dans un contexte où les librairies à succursales prennent un tout autre virage : celui de la diversification des produits, et cette stratégie s’accompagne d’impacts notables pour les éditeurs, notamment en matière de stratégie de commercialisation.
La transformation des chaînes de librairies vers des détaillants versés dans la commercialisation de toutes sortes de marchandises : cela rend la place plus difficile à prendre pour le livre.
Se superposent à ces évolutions dans les réseaux de ventes de livres d’autres enjeux spécifiques à certains éditeurs. En effet, chez les éditeurs hors Québec, on déplore de plus en plus de petites villes et localités sans librairie alors que chez les éditeurs généralistes, on observe l’imposition de nouvelles charges par les grandes chaînes de détaillants du réseau de la grande diffusion.
Le nombre de points de vente diminue dans les petites villes, notamment en contexte minoritaire.
La chaîne Walmart exige maintenant un surescompte de 2% de façon systématique pour développer sa chaîne. C’est l’éditeur qui assume ce surescompte.
Des mouvements chez les diffuseurs-distributeurs conjugués à la « surproduction »
Au cours de la période étudiée, la consolidation des diffuseurs/distributeurs de livres francophones, entamée il y a environ 20 ans, s’est poursuivie. Il importe ici de distinguer la diffusion de la distribution : la diffusion consiste à faire connaître le livre de l’éditeur représenté aux différents détaillants, d’établir de concert avec ces derniers de la quantité la plus adéquate à commercialiser et à négocier le maximum de visibilité pour le livre chez le détaillant. La distribution consiste à entreposer les inventaires, à traiter les commandes reçues, à expédier celle-ci chez les détaillants, à procéder à la facturation et à traiter les éventuels retours en provenance des détaillants. Cette consolidation a eu pour effet de diminuer l’offre en matière de diffusion et de distribution dans le marché. En parallèle à cette diminution de l’offre de diffusion et de distribution, les éditeurs interrogés ont constaté une augmentation du nombre de titres commercialisés sur le territoire. Au final, ces deux phénomènes conjugués ont engendré une situation critique chez les éditeurs. Le travail de diffusion n’est plus possible puisque les équipes de représentants des diffuseurs ont trop de titres à présenter aux libraires à chacune de leurs visites, et cela a engendré une réaction de la part des éditeurs : la surdiffusion, c’est-à-dire des activités de relations publiques élaborées par les éditeurs et dirigées vers les libraires pour mieux faire connaître leurs productions.
Certaines façons de faire de notre diffuseur en matière de diffusion du livre sont nouvelles. L’évolution est récente et nous ne pouvons prendre la mesure des impacts engendrés. Cela dit, nous croyons que les diffuseurs n’effectuent pas leur travail de diffusion et cela rend la tâche de faire connaître un nouvel auteur encore plus difficile. La « surproduction » participe à ces difficultés.
Il y a eu consolidation il y a 20 ans chez les diffuseurs/distributeurs : une diminution de l’offre. Aujourd’hui, le diffuseur fait le travail de base, mais il n’y a pas de véritable appui : pas beaucoup de temps pour chaque livre/chaque éditeur.
La surproduction
Le thème de la surproduction a été largement abordé par les participants. Nous n’avons pas pu documenter et valider ce discours faute de temps et de ressources. Toujours est-il qu’il y a convergence dans le discours des participants à cet effet : ceux-ci déclarent observer une surproduction, c’est-à-dire une forte quantité de titres francophones (d’ici et d’ailleurs) qui sont commercialisés au Québec. Cette surproduction, conjuguée à la problématique de non-diffusion par certains diffuseurs (voir ci-haut), impacte de façon importante les éditeurs de tous les types d’édition, notamment dans l’impérativité de mettre sur pieds des activités promotionnelles et communicationnelles qui « remplaceront » le travail du diffuseur auprès du libraire.
La surproduction a engendré la surdiffusion face à une diffusion problématique. C’est l’équipe de relations publiques [de notre maison d’édition] qui gère la surdiffusion.
La surproduction nous force à être proactif. Disparition des grands lecteurs conjuguée à l’amincissement du traitement médiatique et le fait que les diffuseurs ne font plus que de l’intendance. Tout cela nous pousse à faire de la surdiffusion. Cette activité de surdiffusion est couplée par le fait que nous avons été forcés de faire de l’événementiel en librairie pour nous démarquer et aller chercher les publics. D’ailleurs, ce sont les librairies indépendantes qui ont développé cette forme de médiation.
Devant le phénomène de surproduction et ce qu’il apporte, d’autres éditeurs évoquent la nécessité de se spécialiser, c’est-à-dire de centrer la production sur un genre spécifique.
On sent une tendance, voire une nécessité à se spécialiser pour aller chercher des publics : il est plus difficile pour les gros éditeurs généralistes de conserver leurs parts de marché devant les petits éditeurs spécialisés/nichés.
La surproduction engendre également d’autres impacts au sein de l’industrie. En effet, l’espace physique étant somme toute restreint chez les détaillants, notamment les librairies indépendantes, cela a causé des prises de commandes moins fortes par les détaillants (moins d’exemplaires par titre sont commandés par les détaillants au moment de sa première commercialisation) et, par le fait même, des tirages plus courts pour les éditeurs. La durée de vie commerciale du livre (la durée pendant laquelle le livre demeure visible et disponible chez les détaillants) est également diminuée. De la même manière, une plus faible quantité d’exemplaires par titre commandée par le détaillant sous-tend une plus faible visibilité du titre chez ce dernier, et par la même occasion de plus faibles chances d’être remarqué et acheté par les consommateurs.
La durée de vie d’un livre est limitée en magasin. C’est un phénomène moins récent mais qui s’accentue dans le temps. Les tirages ont ainsi diminué. Cette tendance nous force à une meilleure gestion des inventaires, à utiliser de meilleures technologies d’impression qui permettent des tirages courts et des réassorts plus rapides.
L’espace semble plus petit en librairie : difficile d’obtenir de la visibilité pour nos titres.
Un traitement médiatique maigre
Si l’espace en librairie semble, aux yeux des participants à l’étude, de plus en plus difficile à obtenir, ceux-ci évoquent également une certaine diminution de l’espace médiatique dédié à la lecture et au livre. Outre ses impacts directs sur la visibilité des œuvres dans l’espace public, la faible place réservée à la lecture et au livre dans les médias traditionnels participe à la marginalisation de la pratique de la lecture. En effet, moins la lecture est visible dans l’espace public, plus elle devient marginale dans la société.
Une industrie qui fait écho aux phénomènes sociaux
Le livre demeure un média social et culturel. Par cette nature, il est souvent le reflet de la société. C’est ainsi que les mouvements #MeToo ainsi que ceux de la diversité et de l’inclusion ont été traité par les l’industrie du livre.
Les mouvements sociaux ont des effets sur la production des éditeurs. On a pu observer de nouvelles maisons d’édition autochtones. Cela engendre une diversité de production, une augmentation de l’offre et par la même occasion des achats. Cela permet aussi une remise en valeur des fonds qui traitent de ces enjeux.
Cela a engendré des discussions, des réflexions : nous avons une responsabilité collective à cet égard.
Les mouvements d’équité et de diversité de la société orientent les décisions de publication et de recrutement de l’organisation. C’est bien, on fait plus d’efforts.
Des phénomènes propres à l’édition scolaire et universitaire (Partie 1)
Certaines évolutions provenant de l’industrie en général ne concernent que les éditeurs scolaires et les presses universitaires. Nous les présentons ici.
L’anglicisation de la recherche : une menace à la diversité éditoriale
La publication scientifique et universitaire en langue anglaise est davantage prisée par les chercheurs francophones (au détriment de la publication francophone). Cela vient notamment du fait que la littérature scientifique anglophone rejoint plus de lecteurs et est de facto plus utilisée. L’anglicisation de la recherche engendre une perte de diversité en matière de recherche et constitue un problème de viabilité pour les presses universitaires francophones.
Le marché scolaire anglophone stagne
Dans le marché anglophone canadien du livre scolaire destiné au primaire et au secondaire, on a constaté une absence complète du renouvellement continu et assidu des programmes de formation, et ce depuis 10 ans. Il y a inadéquation entre les programmes de formation des écoles anglophones canadiennes avec la réalité : les contenus sont désuets. Cette situation crée des enjeux de développement pour les éditeurs : il y a donc contraction du marché. Au Québec, et donc en édition francophone primaire et secondaire, la révision du curriculum a été plus assidu. L’absence de renouvellement engendre aussi une problématique de viabilité.
Le phénomène de la revente
Le modèle de la revente d’un livre au format papier existe depuis toujours, et ce pour tous les types de livres, incluant les manuels scolaires. Ainsi, le phénomène de la revente des manuels scolaires dans les écoles, les Cégeps et les universités n’est pas nouveau. Toutefois, au cours des dernières années, les participants à l’étude ont pu observer que le marché de la revente est devenu très organisé : les médias sociaux, les associations étudiantes et les coopératives en milieu scolaires (Réseau COOPSCO) sont autant d’acteurs qui ont participé à la facilitation à s’approvisionner en livres usagés, particulièrement en contexte collégial et universitaire. Cet état de fait a créé une dynamique négative pour l’éditeur et l’auteur, lesquels ne perçoivent aucune redevance sur ces ventes.
Autres éléments abordés par les éditeurs
Les éditeurs interrogés ont également évoqué des éléments singuliers ou spécifiques à leurs contextes. Nous les présentons ici dans une courte synthèse.
La lecture est une pratique culturelle et sociale dite active, par opposition à une pratique passive telle que l’écoute de la musique. La lecture nécessite une connaissance et une maîtrise du code de la langue afin de déchiffrer les textes, mais également de les comprendre. L’enquête sur la littératie et les compétences des adultes (ELCA) prend la mesure de cette compétence en lecture. Depuis des décennies, les résultats ne changent pas de façon significative : environ la moitié de la population francophone éprouve des difficultés à comprendre un texte complexe. Si l’on ne peut effectuer un lien causal entre le niveau de littératie d’un individu et l’achat de livres, il va de soi qu’un lien existe entre le niveau de littératie et la pratique de la lecture.
L’enjeu de la littératie perdure. L’impact à long terme sur la survie et la croissance de l’édition.
En édition scolaire, on a pu observer une nouvelle offre de location de livres collégiaux et universitaires (surtout du côté anglophone; elle est peu organisée du côté francophone). Le phénomène est devenu important, surtout hors Québec. On peut penser à Lexya à Québec et à uOttawa. Le modèle prévoit qu’un étudiant puisse louer le livre pendant une session pour une fraction du prix d’achat du livre. Or, aucune redevance n’est payée à l’auteur ni à l’éditeur sur ces revenus de location de l’œuvre. Un autre phénomène a été observé au collégial/universitaire : le non-achat du livre prescrit. Des élèves qui n’achètent pas et qui photocopient le livre à la bibliothèque.
Partie 3 : Les évolutions technologiques
Les évolutions technologiques ont été non seulement nombreuses au cours de la période étudiée, mais également rapides. Les participants les ont évoquées systématiquement, mais souvent de façon divergente. En effet, nous avons pu observer que les éditeurs ont été impactés différemment selon le genre de publication de l’entreprise.
L’environnement numérique comme concurrent
L’univers de l’Internet est riche d’éditoriaux de toutes sortes (blogues, médias sociaux, etc.) de même que de contenus informatifs traitant de tous les sujets, de l’astronomie à la santé en passant par la gastronomie. De fait, les internautes ont développé, au fil du temps, une habitude de consultation en ligne, et ce au détriment de l’obtention de ces renseignements par la consultation d’un livre sur le sujet. Cela a eu des impacts économiques chez les éditeurs de guides pratiques et de référence.
Pour un éditeur de guides pratiques, Internet s’est accaparé le rôle d’expert au détriment des auteurs de livres. Avant Internet, les auteurs faisaient cavalier seul en la matière.
Les revenus des titres de référence ont connu une forte diminution des ventes, notamment à l’international, et cela a notamment été causé par l’accès en ligne gratuit à ce genre d’information de référence (offre gratuite du Web en matière d’information de référence).
Les informations gratuites qui sont disponibles sur le Web cause une diminution des ventes de certains types de livres (documentaires) ainsi qu’une diminution des tirages.
L’éditeur scolaire de l’échantillon déclare également avoir été impacté par un phénomène similaire. En effet, on retrouve de plus en plus de formations gratuites en ligne, notamment celles développées par les universités. À ces Massive Open Online Courses (MOOC) se conjuguent les contenus développés par les professeurs et rendus disponibles gratuitement sur les plateformes des universités, c’est-à-dire les environnements numériques d’apprentissage (ENA).
On observe également l’arrivé des MOOC comme des concurrents aux livres scolaires collégial et universitaire.
Enfin, on a pu observer le développement de contenus scolaires par les professeurs sur les « Environnements numériques d’apprentissage » (ENA). Ces contenus concurrencent l’édition scolaire.
L’environnement numérique : un coût additionnel pour les éditeurs
La présence de l’entreprise d’édition, de ses œuvres et de ses auteurs dans l’environnement numérique est devenue nécessaire, voire incontournable, mais les éditeurs n’arrivent pas à prendre la mesure de l’impact de cette présence sur leurs ventes. En effet, les nouveaux comportements d’achats et de recherche en ligne de livres a engendré la nécessité d’être découvrable dans l’environnement numérique. Ces activités ont mobilisé les équipes des éditeurs de même que de nombreux investissements. Aujourd’hui, les éditeurs perçoivent ces investissements comme des coûts additionnels et ils ne sont pas en mesure d’y rattacher quelque bénéfice que ce soit.
Il faut être présent dans cet environnement et cela engendre des coûts et nécessite que nos équipes y consacrent du temps. Or, nous avons l’intuition que cela ne nous rapporte que peu : nous ne pouvons le quantifier, quel est impact d’y être ou pas? Quelle est la part de nos revenus qui est générée par ces activités, cette présence dans l’environnement numérique?
La transition numérique nous a amené à faire des déclinaisons d’une même œuvre en plusieurs formats, ce qui a nécessité une adaptation des flux de production, des canaux de diffusion et des contrats. Pour le format audio, par exemple, nous sommes même devenus producteur à l’Union des artistes (UDA). Cette transition numérique a profondément changé le métier d’éditeur.
C’est la prolifération des demandes qui concernent le numérique : cela demande beaucoup d’énergie, de temps et de ressources alors que l’effet commercial est minime. On doit quand même y être. C’est le même constat pour les médias sociaux : beaucoup d’énergie, d’efforts, de temps, mais quels en sont les effets? Le livre accessible constitue un exemple plus récent : c’est important, c’est complexe, ça demande beaucoup de ressources, ça ne rapporte pas : il n’y a pas de structure financière viable. Le livre audio, c’est pareil : c’est important culturellement, mais ce n’est pas viable.
Les métadonnées découlent d’une structure de vente de l’industrie. Les métadonnées et leurs structures évoluent en continu également et nous devons en faire l’apprentissage en continu. Malgré tous nos efforts, on ne peut prendre la mesure des impacts sur le lectorat et ou sur la découvrabilité de nos œuvres.
La multiplication des formats numériques n’a pas produit de nouveaux revenus
Au cours des 15 dernières années, l’industrie a vu émerger de nombreux nouveaux formats de livres numériques. De la première version du livre numérique au format PDF au format actuel qu’est le ePub3, les éditeurs ont connu les autres versions du format ePub de même que les nombreux formats propriétaires, notamment celui d’Amazon. À chaque fois, les éditeurs ont dû s’adapter, tant en matière de production que de diffusion. Or, ces nouveaux formats numériques, qu’il s’agisse des formats textuels tel que le ePub3 ou des formats audionumériques, se sont ajoutés au flux de production des éditeurs, avec tout ce que cela implique en termes d’adaptation, de formation, de coûts et d’investissements. Or, il appert que cette multiplication des formats n’ait pas produit les revenus tant attendus.
La production des nouveaux formats numériques s’est ajoutée au marché de base : nous sommes obligés, en quelque sorte, de s’outiller pour répondre aux nouveaux comportements, mais ces nouveaux formats n’ont pas eu un grand impact sur nos activités.
On observe une certaine obsession pour les nouveaux formats de livres numériques : le livre numérique en soi, le livre accessible, et maintenant le livre audionumérique. Or, chez nous, à peine 10% des titres publiés sous ces formats sont rentables (90% sont publiés à perte).
Le livre audio n’est pas rentable, malgré les subventions, mais nous sommes encore dans une phase test.
Des possibilités additionnelles pour les éditeurs
S’il est un phénomène des plus observables dans l’environnement numérique, c’est bien celui du rapprochement des individus. Outre l’image de deux individus de deux continents discutant via l’une des applications de discussion vidéo, l’Internet a résolument rapproché les individus et les entreprises et facilité les contacts de toute sorte. Les participants à l’étude ont évoqué cet état de fait par la possibilité de vendre en ligne directement aux consommateurs. En effet, la possibilité est bien réelle, mais plusieurs ne le font que peu ou pas, notamment pour protéger leur relation avec les libraires d’où la majorité de leurs revenus proviennent. De fait, le commerce en ligne, actuellement, n’est pas commun chez les éditeurs, mais il pourrait le devenir.
On remarque que les innovations technologiques, en matière de lecture, viennent des Pure PlayersNote de bas de page 3 : ces derniers accaparent les parts de marché des libraires et cela pourrait avoir des incidences dans l’avenir, possiblement le développement de la vente directe aux consommateurs par les éditeurs (B2C).
L’environnement numérique nous a rapproché du consommateur, ce qui a permis le développement des ventes directes en ligne, dans le respect de la chaîne du livre. Nous avons investi et développé les infrastructures pour le commerce en ligne.
Les avancées technologiques de production et d’impression : des outils pour mieux gérer les inventaires et les flux de production
Les évolutions technologiques en matière de fabrication des livres ont été nombreuses au cours des 15 dernières années. Celles-ci ont permis aux imprimeurs d’offrir des prix d’impression et de reliure relativement bas, suffisamment bas pour permettre aux éditeurs de maintenir le prix public du livre bien en deçà de l’indice des prix à la consommation. Ces évolutions technologiques, conjuguées à des progrès en matière de manutention et de traitement des commandes chez les diffuseurs/distributeurs, ont également permis l’instauration des courts tirages (diminution du risque et de la charge de l’inventaire).
Les presses numériques ont permis l’émergence de l’impression de courts tirages, ce qui a permis d’améliorer la gestion des inventaires et ainsi d’améliorer la rentabilité.
La numérisation des processus d’édition et de production du livre nous a permis de devenir plus efficients en la matière.
Les technologies d’impression qui ont permis l’impression à court tirage nous ont permis de répondre plus aisément à des demandes ponctuelles et a participé à une meilleure gestion des inventaires.
L’impression à court tirage a permis une meilleure gestion des inventaires.
Le piratage des livres dans l’environnement numérique
Nous observons que les étudiants partagent des ouvrages en ligne (piratage) et nous faisons face à des problèmes de juridiction étrangère en la matière (sites hébergés à l’étranger).
La faible valorisation des produits numériques
Le livre au format numérique, qu’il soit au format PDF, ePub ou audionumérique, n’est que trop faiblement valorisé par le consommateur. Pour les participants à l’étude, cette faible valorisation semble notamment sous-tendue par la possibilité d’accéder à d’autres produits culturels (séries, cinéma, musique) à faibles prix sur des plateformes telles que Netflix, Spotify et autres. Par ailleurs, on remarque que le livre numérique n’a pas été adapté aux consommateurs. On n’a qu’à penser au modèle d’emprunt de livres numériques dans les bibliothèques publiques, lequel apparaît absurde aux yeux des usagers : on ne peut emprunter un livre numérique si celui-ci fait l’objet d’un emprunt par un autre usager. Si cette situation va de soi pour un livre imprimé (le livre ne peut se retrouver à deux endroits à la fois), elle devient absurde, aux yeux du lecteur, pour le livre numérique. En l’absence d’un modèle d’affaires viable pour les éditeurs et adéquat pour les lecteurs, le livre numérique est aujourd’hui davantage vu comme un compagnon nécessaire au livre papier.
On a constaté que l’achat en ligne s’est démocratisé et cela engendre des changements profonds en matière de promotion du livre. On remarque également une faible valorisation du livre au format numérique : cela vient peut-être du fait que d’autres produits culturels sont accessibles à peu de frais (Netflix, Spotify).
Nous avons besoin de plus d’outils de mise en marché pour développer un modèle d’affaires viable pour les formats numériques. Et ces nouveaux outils nécessitent plus de connaissances.
Dans le secteur scolaire du primaire et du secondaire, on observe une valorisation du livre numérique très faible : il y a un décalage entre la valeur perçue par l’utilisateur et la valeur réelle du produit numérique. Aussi, le numérique n’est actuellement pas rentable lorsqu’on le publie « seul », c’est -à-dire sans son compagnon au format papier, et on ne veut pas acheter le livre au format papier si celui-ci n’est pas accompagné d’une version numérique. On peut dire que la valorisation du livre au format numérique est nulle : on ne valorise pas suffisamment les contenus.
L’édition en constante adaptation aux évolutions incessantes du numérique
Le flux incessant des innovations dans l’environnement numérique implique pour les éditeurs une adaptation en continu : adaptation des processus, formation du personnel, retraitement des titres du catalogue (parfois des milliers de titres) afin de les rendre disponibles au format le plus actuel. Ces adaptations nécessitent non seulement du temps et une forte résilience, mais également des investissements de taille.
L’émergence et le développement de l’environnement numérique a engendré la gestion d’importants changements dans l’organisation, qui plus est cette transformation numérique s’opère en continu et cela implique des investissements récurrents pour l’organisation. Parfois, nous sommes submergés par la gestion de ces changements.
Nous sommes dans un continuum d’évolution technologique et cela sous-tend une adaptation en continu. L’exemple de l’impression à la demande : nouvelle technologie en réponse au faible tirage et à l’exploration de nouveaux marchés (nous utilisons Ingram aux USA). Cette adaptation en continu nécessite une formation en continu, mais également le retraitement des fichiers dans des formats « à jour ».
Au moment de l’émergence du livre numérique, nous avons voulu les produire à l’interne et cela a nécessité l’acquisition des connaissances et compétences pour les produire.
Les métadonnées découlent d’une structure de vente de l’industrie. Les métadonnées et leurs structures évoluent en continu également et nous devons en faire l’apprentissage en continu.
L’environnement technologique nous a amené à nous adapter aux nouveaux contextes technologiques. En production : migration vers les formats numériques; en communication et commercialisation : migration des stratégies et activités dans l’environnement numérique; site transactionnel pour l’entreprise et donc nouvelle activité de B2C (nous avons d’ailleurs connu une augmentation de nos ventes directes via le site transactionnel).
L’externalisation des activités numériques : une menace
Les éditeurs de petite taille n’ont pas les structures organisationnelles et les ressources pour suivre le flux incessant des innovations technologiques et des apprentissages qu’elles sous-tendent. Devant cet état de fait, ces éditeurs n’ont d’autres choix que d’externaliser ces activités. Or, ce faisant, ces entreprises ne développement pas l’expertise nécessaire à leur développement dans l’environnement numérique et cela pourrait constituer une menace à leur survie à terme.
Les évolutions en matière technologiques sont rapides et incessantes. Cela fait en sorte qu’on ne peut pas tout apprendre ni tout faire. On doit sous-traiter à des entreprises ou des pigistes qui ont développé une expertise.
La migration des activités promotionnelles vers l’environnement numérique
Les habitudes des consommateurs ont évolué au rythme des propositions de l’environnement en ligne. L’achat en ligne de livres au format papier comme au format numérique s’est démocratisé et cela implique que les éditeurs élaborent des stratégies communicationnelles et commerciales spécifiquement destinées à augmenter leur visibilité en ligne. Ces activités promotionnelles s’ajoutent à celles qui sont encore nécessaires à positionner le livre au format papier chez les détaillants et dans les médias traditionnels.
La façon de promouvoir les livres est maintenant fort différente. L’auteur doit impérativement être sur les médias sociaux; les algorithmes d’Instagram, Facebook et TikTok sont importants et nous ont incité à faire migrer certains budgets vers ces nouveaux médias.
Les enjeux de découvrabilité du livre dans l’environnement numérique ont nécessité que les équipes de communication s’adaptent et développent de nouvelles stratégies.
Des marchés étrangers plus accessibles
Les nouvelles technologies de fabrication de livres, notamment l’impression à la demande, ont permis à certains éditeurs de développer et/ou de tester certains marchés étrangers. En effet, ces technologies permettent de rendre un catalogue d’œuvres disponible sur un marché sans pour autant y dédier un inventaire physique : le livre est accessible aux consommateurs en ligne et, sur commande de ce dernier, le livre est imprimé, relié et expédié directement au consommateur. Un webinaire organisé par Livres Canada Books a récemment été diffusé.
L’impression à la demande nous a permis de développer des marchés auparavant difficiles d’accès à l’étranger. Cela a nécessité le développement de compétences et de stratégies en matière de métadonnées afin d’améliorer la découvrabilité de nos titres.
Des phénomènes propres à l’édition scolaire et universitaire (Partie 3)
D’une organisation éditoriale vers l’organisation de contenus
Dans le secteur scolaire primaire et secondaire, le numérique a engendré la création de plusieurs nouveaux postes : en infrastructure numérique, en développement de contenus numériques, des postes aussi en édition des contenus numériques.
On a dû développer toutes les structures de l’organisation comme si nous étions une entreprise de développement de logiciels.
La migration numérique de l’édition scolaire
Si le livre au format numérique ne semble pas avoir pris son envol de façon viable dans le marché en général, on observe que l’édition scolaire destinée au primaire et au secondaire a résolument pris le virage numérique. Il semble d’ailleurs que cet important virage ait été motivé par un investissement massif en équipements permettant l’usage des contenus numériques en classe, des investissements en provenance des gouvernements.
Pour le primaire et le secondaire, c’est véritablement le numérique qui nous a le plus impacté. Ce fut une progression relativement lente : au début, les « early adopters » venaient surtout de l’enseignement des sciences. En 2010, le gouvernement du Québec a lancé un programme pour équiper les classes de tableaux numériques et d’ordinateurs : cela a constitué un catalyseur et a permis au numérique d’entrer dans les classes. Une démocratisation lente, toutefois. Un facteur qui a accéléré la démocratisation du numérique dans les classes est certainement le recours au iPad dans les écoles privées. Dans les écoles publiques, la transition vers le numérique s’est opérée plus récemment, il y a environ 5 ans.
Il importe également de mentionner que ce virage numérique dans l’édition scolaire a impliqué la production de contenus différents : d’une production de contenus statiques (livres au format papier), les éditeurs sont passés à une production de contenus dynamiques au format numérique. Si ce type de production nécessite des investissements plus importants qu’une production traditionnelle (statique, pour le format papier), celle-ci est plus adaptée à l’environnement numérique et plus en adéquation aux besoins des lecteurs/étudiants/enseignants.
Précisons aussi que les investissements nécessaires pour produire un livre scolaire numérique sont plus importants que ceux qui sont nécessaires pour développer un livre scolaire au format papier.
L’édition collégiale et universitaire n’a pas pris le virage numérique
Selon les participants à l’étude, la technologie a eu moins d’impacts sur l’édition collégiale et universitaire qu’elle en a eu sur l’édition scolaire primaire et secondaire. Le numérique est moins utilisé qu’au primaire et secondaire. Il y a moins d’investissements par le gouvernement dans le collégial et universitaire en numérique. Par exemple, on ne fournit pas d’iPads aux étudiants au collégial et à l’université. Les participants évoquent aussi le fait que certains professeurs du collégial et de l’université sont plus réticents face au numérique, ce qui ralentit l’adoption du numérique au collégial et universitaire.
Le libre accès : une menace plus grande que son économie
Le virage vers le libre accès pour les presses universitaires constitue un enjeu de taille. Si les titres rendus disponibles sous ce modèle connaissent un grand succès, ils ne participent pas à la rentabilité des entreprises et menacent leur viabilité à terme.
Nous avons actuellement 103 titres disponibles en libre accès et ces titres ont généré 270 000 téléchargements depuis leur mise en ligne. C’est un problème de viabilité pour les presses universitaires.
Partie 4 : Les évolutions législatives et gouvernementales
Certains programmes de subvention ont été évoqués par les participants à l’étude sous le thème des évolutions législatives. Pour cette raison, nous les présentons ici au côté des véritables évolutions législatives.
La Loi sur le droit d’auteur : des impacts inégaux selon le genre publié
Les modifications apportées en 2012 à la Loi sur le droit d’auteur ont eu des impacts d’une amplitude différente selon le genre publié par les éditeurs. Sur un continuum d’amplitude, les éditeurs littéraires ont été les moins impactés, les éditeurs généralistes (pratique, référence, essais) ont été plus ou moins impactés, alors que les presses universitaires et les éditeurs scolaires déclarent des impacts importants sur la viabilité de leur secteur.
Voici quelques extraits du discours des éditeurs littéraires et généralistes de l’échantillon :
Pour un éditeur de guides pratiques, les changements législatifs, incluant les changements à la Loi sur le droit d’auteur, n’ont eu aucun impact.
Depuis l’adoption des exceptions à la Loi sur le droit d’auteur, nos revenus en provenance des écoles ont diminué (compensations versées par les écoles à l’éditeur). Nous ne savons pas trop si cela a impacté sur nos revenus en provenance de Copibec.
Les exceptions adoptées à la Loi sur le droit d’auteur font en sorte que nos revenus en provenance de Copibec ont connu une baisse.
Au Québec, tout le monde (sauf l’Université Laval) s’est engagé à continuer avec Copibec. Pas trop d’impact : ça n’a pas paru chez nous. Les revenus se sont maintenus.
Nous n’avons pas ressenti l’impact des changements sur la Loi sur le droit d’auteur. Il faut dire que nous nous sommes inscrits tardivement à Copibec et Access Copyright.
Chez nous, les impacts des changements à la Loi sur le droit d’auteur ont été minimes. Enfin, cela est difficile à mesurer autrement qu’en analysant l’évolution des revenus en provenance de Copibec.
Si les impacts économiques de ces nouvelles exceptions à la Loi sur le droit d’auteur, pour ces éditeurs littéraires et généralistes, ont été relativement minimes, il importe d’évoquer les changements éventuels dans l’attitude (entendu ici comme les perceptions des individus envers le droit d’auteur) des enseignants envers les contenus publiés par les éditeurs.
Le dommage qui a possiblement été causé par ces changements est probablement à trouver dans la perception des enseignants sur le fait qu’on peut faire ce qu’on veut avec les contenus des éditeurs.
Pour les éditeurs scolaires et les presses universitaires, les dommages économiques sont réels, mesurables et importants. En effet, les exceptions permettent à un enseignant d’utiliser les contenus des éditeurs sans pour autant avoir à rémunérer ni l’auteur ni l’éditeur. Or, ces contenus sont développés spécifiquement pour la formation des étudiant(e)s : il va de soi qu’ils sont pertinents, davantage que les contenus des éditeurs littéraires et généralistes, et il va également de soi que devant l’option d’acheter ces contenus ou de les utiliser sous l’une des exceptions adoptées, la seconde s’impose. Par ailleurs, outre les impacts économiques de ces exceptions, on observe des dommages collatéraux. Les auteurs, devant l’impossibilité d’être justement rémunérés pour leurs œuvres, publient de moins en moins et cela laisse la part belle aux contenus des éditeurs étrangers : au final, les étudiants utilisent des contenus de l’étranger.
Les exceptions adoptées à la Loi sur le droit d’auteur font en sorte que nos revenus en provenance d’Access Copyright sont en chute libre.
La Loi sur le droit d’auteur, pour un éditeur au primaire et secondaire, est vitale. Or, actuellement, compte tenu notamment des exceptions adoptées sous les conservateurs, la Loi n’est pas bonne. Cette loi a des impacts négatifs sur la viabilité des éditeurs scolaires : les contenus peuvent être reproduits sans que l’auteur et l’éditeur en tire rétribution. Cela fait en sorte que les auteurs sont moins intéressés à développer des contenus et, de fait, cela fait en sorte qu’on publie de moins en moins de contenus canadiens, le tout au profit des éditeurs étrangers.
Pour l’édition collégiale et universitaire, c’est le même enjeu que pour l’édition primaire et secondaire. Un enjeu de rentabilité, de viabilité, de vitalité du secteur.
Les éditeurs hors Québec défavorisés
Le Québec a adopté en 1981 la Loi sur le développement des entreprises québécoises dans le domaine du livre. Cette loi avait pour objectif de rendre accessible le livre partout sur le territoire ainsi que de professionnaliser les acteurs du milieu. Si le secteur du livre au Québec constitue un écosystème en équilibre, et ce malgré la concurrence étrangère et l’avenue des Pure Players, on peut en octroyer le mérite en partie à cette loi qui a su en quelque sorte protéger les acteurs québécois du secteur. Cela étant, cette loi est unique au Québec : on n’en retrouve pas de similaire dans les autres provinces, notamment dans les provinces limitrophes que sont le Nouveau-Brunswick et l’Ontario. Or, les participants à l’étude évoquent un déséquilibre engendré par cette loi entre les éditeurs du Québec et les autres, hors Québec.
Les différentes lois de la province de l’Ontario ne favorisent pas le maintien et le développement de la langue française, et à terme cela peut avoir des impacts sur nos activités. Il y a par ailleurs sous-financement des écoles en Ontario : pas d’achat de livres. Il n’y a pas non plus de Loi du livre, comme au Québec, ce qui donne lieu par exemple à des négociationsNote de bas de page 4 avec les libraires lors d’achats par les écoles. Les acteurs du livre sont moins bien protégés en Ontario qu’au Québec.
La Loi du livre du Québec a des effets délétères pour les éditeurs du Nouveau-Brunswick : les écoles du Nouveau-Brunswick commandent directement chez les éditeurs du Québec alors que l’inverse n’est pas possible (à cause de la Loi). Les éditeurs hors Québec souffrent d’un manque de visibilité en général au Québec : sur notre propre territoire, nous sommes moins visibles que les Québécois. Cela crée comme deux réalités où les éditeurs du Québec peuvent faire des choses que ceux du Nouveau-Brunswick ne peuvent pas et l’inverse.
Le programme de crédit d’impôt de la SODEC
De nombreux programmes de subvention soutiennent la production du livre, au provincial comme au fédéral. Au Québec, l’un de ces programmes les plus importants demeure le programme de Crédit d’impôt remboursable pour l’édition de livres. Si, pendant la période étudiée, le programme a connu une modification afin de rendre admissible les livres numériques, celui-ci considère comme non admissibles les livres numériques qui n’ont pas de compagnon au format papier. Dit autrement, le programme ne reconnaît pas l’édition d’un livre au format numérique autrement que dans sa version adaptée du livre au format papier. Cela pourrait freiner le développement de l’édition numérique au Québec.
Le programme de crédit d’impôt de la SODEC ne subventionne pas le livre au format numérique autrement que s’il est accompagné de sa version au format papier. Cela engendre l’impossibilité de saisir des occasions de publier des contenus uniquement au format numérique.
Les programmes de subvention du Conseil des arts du Canada
Les programmes de subvention aux éditeurs du Conseil des arts du Canada ont connu une refonte en profondeur peu après 2015. Les critères d’admissibilité des œuvres comme la nature des projets admissibles ont été considérablement revus et cela a eu des impacts majeurs pour certains éditeurs, notamment les éditeurs qui publient des essais.
Les presses universitaires ont été exclues de certains programmes de subvention du Conseil des arts du Canada. Aujourd’hui, aucun programme ne soutient la traduction d’un ouvrage universitaire.
Les changements au programme du Conseil des arts du Canada (ils sont passés du mérite artistique vers le développement de la carrière des artistes) : ça nous a aidé puisque c’est ce que nous faisions déjà. Cela a augmenté considérablement nos revenus de subvention du Conseil et cela nous a permis d’embaucher du personnel. On a toutefois remarqué que les revenus de subvention en provenance des autres organismes ont stagné au fil du temps.
Les investissements du Conseil des arts du Canada dans de nombreux programmes numériques profitent surtout aux grandes organisations. Cela oblige les petites structures à externaliser plutôt qu’à embaucher puisque l’expertise est absente à l’interne.
Des programmes qui ne font pas écho aux nouvelles réalités de l’environnement numérique
Les participants ont également évoqué l’absence de programmes permettant aux éditeurs de livres d’investir dans le développement de contenus purement numériques (sans compagnon au format papierNote de bas de page 5). En effet, outre le programme de crédit d’impôt de la SODEC (voir plus haut), les participants évoquent un certain désert en la matière.
Le développement des contenus de référence et de logiciels de référence n’est pas subventionné ni par le Fonds du livre ni par le Fonds des médias. Cela freine notre développement au national et à l’international.
Les normes concernant le livre accessible
Les participants ont peu évoqué les nouvelles normes à venir en matière d’accessibilité qui seront éventuellement adoptées (d’ici 2025) en Europe. À compter de 2025, en principe, l’Union européenne imposera à tous les éditeurs souhaitant vendre des livres au format numérique sur le territoire européen des normes minimales en matière d’accessibilité. Cela occasionnera, comme pour tout nouveau format de livres, plusieurs impacts : adaptation technique de tous les titres des catalogues des éditeurs; formation du personnel commercial et du personnel d’édition et de production; adoption éventuelle d’un nouveau format (ePub4). Ces adaptations nécessiteront des investissements lourds pour les éditeurs et il y a fort à parier que, devant la faible rentabilité du livre numérique en général, plusieurs cesseront la vente de livres numériques en Europe, faute de ressourcesNote de bas de page 6.
On surveille de près l’obligation concernant le livre accessible en Europe en 2025. Cela ajoutera plus d’étapes dans le flux de production, et donc plus de temps de production, et cela nous désavantagera sur le plan du rapport coûts/bénéfices.
Partie 5 : Les impacts de la COVID-19
Depuis mars 2020, la planète est plongée dans un contexte de pandémie. Pour y faire face, les gouvernements ont adopté des règles sanitaires, lesquelles ont eu de nombreux impacts sur les individus et sur les entreprises. Les éditeurs n’y ont pas échappé.
Indisponibilité des ressources humaines
De façon indirecte, les pénuries de main d’œuvre engendrées par la COVID-19 ont impacté les éditeurs. En effet, ce sont les pénuries de main d’œuvre qu’ont connues les imprimeurs qui ont le plus impacté les éditeurs, ceux-ci n’étant pas en mesure de maintenir leur capacité de production habituelle. Cette diminution de la capacité de production des imprimeurs a causé des retards de production chez les éditeurs.
Les pénuries de personnel qu’a engendrée la COVID chez nos fournisseurs, notamment les imprimeurs, a eu des impacts sur nos calendriers de production : nous avons connu des retards.
Réorganisation de la production et du calendrier des parutions
À certains moments, depuis l’avènement de la pandémie, de nombreux commerces ont dû fermer leurs portes, notamment les librairies. Cela a fait en sorte que les éditeurs ont reporté la publication de certains livres et ajusté le calendrier de production. Ces ajustements ont été faits devant notamment l’impossibilité de faire la promotion des œuvres d’une façon traditionnelle, c’est-à-dire par le biais des événements, lesquels ont lieu souvent en librairie, mais également à l’occasion de lancements (restaurants) et de salons et foires. Par ailleurs, on a évoqué le fait que plusieurs librairies ont profité de la fermeture de leur commerce pour élaguer leurs inventaires et, par le fait même, effectuer de nombreux retours vers les éditeurs, ce qui a eu des impacts sur les revenus nets de ces derniers.
Cela dit, la COVID n’a pas eu d’impact sur nos activités en général, mais nous avons tout de même dû temporairement réorganiser notre programme éditorial et sa production et cela est surtout dû au fait de l’impossibilité de les promouvoir par les événements, les salons, etc. Aussi, nous n’avons pas bénéficié de beaucoup de soutien gouvernemental, mais nos dépenses promotionnelles ont été beaucoup moins élevées.
Nous avons dû réorganiser nos programmes de parution (abandon parfois).
Nous avons observé que les librairies qui ont dû fermer leurs portes pendant la COVID ont procédé à plusieurs retours de livres : ils ont fait en quelque sorte un gros ménage de leurs inventaires, ce qui a impacté nos revenus nets.
Migration des modes d’approvisionnementNote de bas de page 7
La migration des modes d’approvisionnements des consommateurs des lieux physiques vers l’environnement numérique a été largement évoqué par les participants à l’étude. En effet, devant l’impossibilité de s’approvisionner en livres dans leurs commerces habituels, de nombreux consommateurs se sont tournés vers de nouveaux modes d’approvisionnement, notamment l’achat en ligne de livres au format numérique et l’achat en ligne de livres au format papier. Cette migration a forcé les éditeurs à adapter leurs stratégies de commercialisation et de communication afin de saisir les impacts de cette migration des ventes vers l’environnement numérique. La pandémie n’étant pas terminée, on est en droit de se demander si les comportements adoptés par les consommateurs en matière d’approvisionnement perdureront.
Aujourd’hui, le chiffre d’affaires que nous réalisons chez Amazon est égal à celui que nous réalisons chez Costco, et ce n’est pas peu dire, qui plus est le chiffre d’affaires réalisé chez Amazon l’est sans aucune promotion, alors que celui de Costco nécessite des investissements importants. Nous croyons que les achats en ligne et les achats de proximité se sont largement développés pendant la COVID.
Nous avons aussi constaté une augmentation de la vente de livres au format numérique en parallèle à une diminution de la vente des livres au format papier :
Vente de livres au format numérique Avant COVID Pendant COVID Après COVID (actuel) 70 % des ventes (papier) 30 % des ventes (papier) 70 % des ventes (papier) 30 % des ventes (num) 70 % des ventes (num) 30 % des ventes (num)
Ça a affecté la promotion du livre (les communications) ainsi que la commercialisation en milieu scolaire. Nous avons mis plus d’efforts dans l’environnement numérique ainsi que dans les médias traditionnels.
Il est possible que la COVID nous force à voir les salons du livre différemment par la suite. Peut-être qu’on y participera de façon plus modeste.
La COVID a engendré une augmentation des ventes de livres numériques chez nous.
La COVID a fait migrer nos activités promotionnelles vers l’environnement numérique (activités virtuelles); elle a fait diminuer le nombre d’événements, mais autrement, nos activités n’ont pas beaucoup changé.
On a pu observer une augmentation de l’utilisation de l’environnement numérique ainsi que l’augmentation des achats en ligne. Nous croyons que cela nous a désavantagé puisque nous croyons être moins visible en ligne (en milieu minoritaire francophone, c’est pire).
Moins de concurrence culturelle pour le livre
Les différentes fermetures de commerces imposées par les gouvernements depuis le début de la pandémie ont beaucoup concerné les lieux culturels que sont les théâtres, les musées, les cinémas, etc. Ces fermetures ont diminué l’offre de produits et services culturels auxquels ont normalement accès les consommateurs. Devant cette offre limitée, il semble que les consommateurs se soient largement tournés vers la lecture et cela a eu des impacts positifs sur les revenus des éditeurs.
Nous avons profité de la COVID en ce que les individus se sont tournés vers la lecture faute d’avoir accès à d’autres loisirs culturels.
Il semble que le livre ait pris plus de place (par rapport aux autres pratiques culturelles) dans la vie des gens au Québec, mais pas au Nouveau-Brunswick : les achats scolaires n’ont pas eu lieu comme à l’habitude; les salons ont été annulés de même que la présence dans les bibliothèques; la diffusion des livres a été sommaire, ce qui nous a rendu encore moins visibles en librairies.
Aussi, de façon générale, les deux années de la COVID ont été deux excellentes années sur le plan des revenus de subvention, mais aussi sur le plan des ventes. Il y a eu moins de concurrence des autres secteurs culturels (ce qui nous a laissé la place belle) et nos frais de promotion (événements, notamment) ont été considérablement réduits.
De la même manière, à plusieurs moments, les écoles, collèges et universités ont été fermés et cela a également impacté positivement les éditeurs scolaires.
Pendant la COVID, à plusieurs moments, les collèges et universités ont été fermés, et cela a eu un impact positif sur nos revenus : en effet, les étudiants éprouvaient plus de difficultés à se procurer des éditions usagées des livres (collégial et universitaire) et se sont alors tournés vers les éditions neuves, ce qui a engendré une hausse de nos ventes.
Il semble toutefois que ces augmentations des ventes n’aient pas été généralisées à tous les types d’éditeurs. En effet, certains participants déclarent avoir connu des diminutions significatives des ventes de certains types d’ouvrages pendant la pandémie.
Si les ventes des éditeurs littéraires ont connu une forte augmentation, nos ventes (de livres pratiques) ont connu une baisse significative. Évidemment, cette diminution des ventes vient également du fait que nous avons dû diminuer la production.
Notre collection « théâtre » a été fortement affectée : on publiait lorsque la pièce était jouée en salle. Forcément, la fermeture des salles a forcé l’arrêt de la production de ce genre littéraire chez nous.
Partie 6 : Des compétences qui font défaut?
Devant les multiples changements de toute nature qui ont impacté les éditeurs au fil des 15 dernières années, il appert que certains apprentissages restent à faire pour nombre d’éditeurs. Ces apprentissages concernent tous l’environnement numérique et les participants ont évoqué ces apprentissages à faire comme des apprentissages en continu devant l’incessant flux d’innovations de l’environnement numérique.
Les compétences communicationnelles et de commercialisation en ligne
Les éditeurs souhaitent communiquer au mieux avec les lecteurs. Ceux-ci ayant adopté des comportements de recherche et d’achat en ligne au fil des dernières années, les éditeurs canalisent de plus en plus d’efforts communicationnels sur Internet, mais cela exige des ressources qui font parfois défaut. Les participants évoquent également un manque de compétences pour développer le commerce en ligne :
Sur le plan promotionnel, c’est-à-dire les façons et les outils pour promouvoir un livre, le changement a été radical. Il s’agit d’un tournant majeur en la matière. Si les compétences sur le sujet ne nous manquent pas, c’est l’expérience qui nous fait défaut. Aussi, les nouvelles façons de faire en matière de promotion n’évacuent pas les « anciennes », notamment les relations avec les médias. D’ailleurs, nous manquons de ressources pour faire des relations médias efficaces : notre objectif est d’y remédier d’ici trois ans.
L’environnement numérique a recours de plus en plus à la photo et à la vidéo : cela nécessite de nouvelles compétences pour nos équipes. Par exemple, le réseau social TikTok : on doit faire son apprentissage. Nous avons besoin d’un responsable de toutes les activités numériques (SEO, production numérique, site transactionnel, médias sociaux), mais cela nécessite des investissements importants.
Ce sont les compétences pour le commerce en ligne qui nous font défaut.
Ce ne sont pas les compétences qui nous font défaut, mais bien le temps. Le temps nécessaire pour gérer les produits et les activités numériques : on l’a fait pour le livre numérique dans le passé, et maintenant on le fait pour le livre dit accessible. On a besoin d’embaucher et nous avons aussi besoin d’un ratio coût/bénéfices avantageux, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui.
Partie 7 : À propos de la viabilité des éditeurs
Si les participants à l’étude déclarent voir poindre certaines menaces à leur viabilité, notamment le libre accès chez les presses universitaires, tous demeurent enthousiastes pour le futur et considèrent que la viabilité de leur entreprise n’est pas actuellement menacée.
L’influence de la nature, de la taille et de l’âge de l’organisation
La structure organisationnelle de l’entreprise a été évoquée comme un facteur d’influence en matière de viabilité. En effet, un éditeur relevant d’une université ou du secteur public évolue dans un contexte différent de celui qui relève d’une entreprise privée ou d’un propriétaire unique.
Nous sommes propriété d’un centre universitaire et par le fait même non éligible aux subventions. Cela nous amène à réfléchir à notre structure organisationnelle. Nous réfléchissons, pour assurer notre viabilité à long terme, à transformer l’organisation en une OBNL.
Nous avons accès à une trésorerie (siège social) et cela permet de traverser les tempêtes.
Aussi, les revenus des éditeurs proviennent généralement de trois sources : la vente de nouveautés, la vente des titres du catalogue et les revenus de subvention. Si tout nouvel éditeur peut bénéficier des revenus de la vente de nouveautés comme des revenus de subvention, son catalogue de titres reste à développer et il ne pourra en tirer une bonne part de ses revenus qu’après plusieurs années de publication. L’âge de la maison d’édition influence la viabilité d’un éditeur.
Notre viabilité n’est pas menacée. On a un fonds (catalogue) important et cela constitue un coussin (de revenus) important pour l’entreprise. Le livre est en bonne santé, notamment en comparaison aux autres secteurs culturels. Le numérique n’a pas eu les effets qu’on a pu observer dans d’autres secteurs, notamment celui de la musique. Enfin, les subventions sont nécessaires : elles nous aident beaucoup.
L’aide gouvernementale
L’aide gouvernementale, qu’elle soit sous forme de subventions, de crédit d’impôt remboursable ou autre, demeure indispensable à la viabilité des éditeurs, et ce quelque soit le genre publié.
La perspective est plus lumineuse qu’il y a 15 ans, malgré les défis. Les augmentations des revenus en provenance du CAC ont changé la donne pour nous. Les autres revenus sont demeurés stables.
Enfin, les subventions sont nécessaires : elles nous aident beaucoup.
Les ressources humaines et la relève comme des piliers de la viabilité
Les participants à l’étude ont identifié des enjeux qui concernent le transfert des connaissances et des compétences comme capital à la viabilité de leurs organisations. En effet, l’édition relève à la fois de l’art et de la science et le transfert des connaissances et compétences, que l’on soit en contexte de remplacement ou de relève entrepreneuriale, constitue un facteur de succès de l’organisation.
Cela dit, la main d’œuvre se fait rare et nous perdons des compétences (départ à la retraite) : cela soulève l’enjeu du transfert des connaissances et des compétences, c’est un véritable gros enjeu pour nous.
Je sens que l’entreprise est toujours vulnérable, bien que nous soyons en bonne santé et qu’il y ait toujours du potentiel de développement. Nous connaissons des enjeux concernant la succession : des enjeux de relève. Il est très difficile à trouver une relève lorsqu’une entreprise est dans un équilibre fragile et cet enjeu est décuplé en contexte minoritaire.
Partie 8 : Quelles sont les informations non accessibles pour répondre adéquatement aux questions précédentes? Comment y remédier?
Les statistiques sur les industries culturelles sont rares et le secteur du livre n’y échappe pas (le dernier portrait économique de l’édition date de 1998 à 1999Note de bas de page 8). Les participants à l’étude le déplorent, notamment sur l’impossibilité de comparer leurs résultats financiers aux moyennes de l’industrie.
Ce sont toutefois les données statistiques qui concernent leurs activités en ligne qui sont identifiées comme les données dont ils auraient le plus besoin. En effet, les éditeurs souhaitent mieux comprendre les impacts de leurs activités de communication et de commercialisation en ligne et ils souhaitent également mieux comprendre :
Malgré tous nos efforts, on ne peut prendre la mesure des impacts sur le lectorat et ou sur la découvrabilité de nos œuvres.
C’est le même constat pour les médias sociaux : beaucoup d’énergie, d’efforts, de temps, mais quels en sont les effets?
Nous avons besoin de données qui documentent le piratage des livres en ligne.
Les participants évoquent également le besoin de mieux comprendre les impacts des évolutions des réseaux de vente et ils évoquent aussi le besoin d’outils pour mieux analyser et mieux comprendre le marché.
On observe une progression des librairies actuellement : nous n’avons pas d’informations pour mesurer l’impact de cette progression, mais cela crée plus d’opportunités de ventes.
Nous avons beaucoup de difficultés à estimer nos tirages comme le potentiel des ventes de nos titres et cela vient du fait que nous manquons d’outils pour mieux analyser et comprendre le marché.
Conclusion
En guise de conclusion à une telle étude, dont l’objectif rappelons-le était d’identifier les évolutions qui ont impacté les activités des éditeurs francophones du Canada, il n’est pas utile d’avoir recours à un second effort de synthèse, mais plutôt d’ouvrir plus largement une réflexion prospective, notamment afin de souligner les thèmes qui sont à surveiller.
Si les évolutions du marché du livre qui ont influé les éditeurs, au fil des 15 dernières années, ont surtout concerné la diffusion du livre dans un contexte de surproduction, il est probable que des changements structurels puissent s’opérer dans un futur relativement proche. En effet, depuis le début des années 80, l’industrie francophone du livre s’est développée principalement autour de l’augmentation de la production francophone nationale et de sa mise en accessibilité partout sur le territoire par la structuration de réseaux de vente efficients. Cette augmentation incessante de la production est nommée aujourd’hui par les éditeurs comme un contexte de « surproduction », nous l’avons abordé largement dans les résultats. C’est cette « surproduction » qui pourrait induire des changements structurels à l’industrie, notamment en matière de diffusion : on observe déjà des éditeurs qui se diffusent eux-mêmes et d’autres qui ont débuté des activités de « surdiffusion », c’est-à-dire des activités de relations publiques menées auprès des libraires afin de mieux faire connaître leurs œuvres et obtenir pour elles une meilleure visibilité chez les détaillants.
De la même manière, les évolutions technologiques qui sont de tous les discours des éditeurs concernent surtout les difficultés des éditeurs à suivre l’évolution des comportements des lecteurs dans l’environnement numérique, qu’il s’agisse des habitudes d’achat en ligne ou des stratégies de communication dans l’environnement numérique. Or, les données qui pourraient permettre aux éditeurs de mieux comprendre les lecteurs et leurs comportements et habitudes en ligne sont rares, voire inexistantes, qui plus est les éditeurs ne sont pas outillés pour procéder à leur collecte, leur traitement et leur analyse. Les études de publics, lecteurs comme non-lecteurs, pourraient certainement s’avérer utiles pour les éditeurs, notamment pour le développement éventuel de modèles d’affaires B2C où l’éditeur développerait ses ventes directes auprès des consommateurs par l’intermédiaire de l’environnement numérique.
Enfin, d’autres éléments demeurent à surveiller dans un proche avenir et ceux-ci ont été évoqués par certains des éditeurs interrogés dans le cadre de cette étude. Il s’agit d’une éventuelle modification à la Loi sur le statut de l’artiste au Québec ainsi que de l’émergence de l’intelligence artificielle dans le domaine de l’édition, notamment l’édition scolaire. En effet, le gouvernement du Québec envisage, depuis déjà plus de deux années, une révision en profondeur de la Loi sur le statut de l’artiste. Parmi les éléments à réviser, il est probable que le gouvernement force les éditeurs à adopter un contrat type envers les auteurs. Différents mémoires ont été déposés, dont celui de l’Association nationale des éditeurs de livres (format PDF). D’éventuelles modifications pourraient en effet impacter les éditeurs, notamment sur le plan financier.
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