Page 10 : Recommandations pour la qualité de l'eau potable au Canada : document technique – l'arsenic
Chez les humains, la toxicité aiguë des diverses formes et valences de l'arsenic dépend surtout de leur taux d'élimination de l'organisme. L'arsenic métallique (valence 0) n'est pas absorbé dans l'estomac et n'a donc pas d'effets secondaires. Certains composés de l'arsenic, comme le AsH3, ne se trouvent ni dans les aliments ni dans l'eau. En outre, certains composés organiques de l'arsenic sont peu ou pas toxiques, ou sont éliminés rapidement de l'organisme par l'urine. Les doses létales des composés d'arsenic les plus courants (AsH3, As203, As205, AMMAV et ADMAV) varient de 1,5 mg/kg p.c. (As2O3) à 500 mg/kg p.c. (ADMAV) (Buchet et Lauwerys, 1982). AsH3, As203 et As205 sont des formes gazeuses de l'arsenic que l'on retrouve dans l'air, alors que les composés AMMA et ADMA constituent des formes organiques de l'arsenic que l'on retrouve dans l'eau.
On a signalé l'apparition de symptômes d'intoxication aiguë par l'arsenic après l'ingestion d'eau de puits contenant des concentrations d'arsenic de 1,2 et 21,0 mg/L (Feinglass, 1973; Wagner et coll., 1979). Les premiers symptômes cliniques de cet empoisonnement sont des douleurs abdominales, des vomissements, une diarrhée, des douleurs dans les extrémités et les muscles et de la faiblesse avec rougeur de la peau. Ces symptômes sont souvent suivis d'engourdissements et de picotements au niveau des extrémités, de crampes musculaires et d'érythème papuleux après deux semaines (Murphy et coll., 1981). Après un mois, les symptômes peuvent inclure des paresthésies brûlantes des extrémités, une hyperkératose palmo-plantaire, l'apparition de lignes de Mee sur les ongles et une détérioration progressive des réponses motrices et sensorielles (Fennell et Stacy, 1981; Murphy et coll., 1981; Wesbey et Kunis, 1981).
On a observé des signes d'arsénicisme chronique, qui comprennent la pigmentation et l'apparition de kératoses, la neuropathie périphérique, le cancer de la peau, la vasculopathie périphérique, l'hypertension cardiaque, des cancers d'organes internes (vessie, reins, foie et poumons), des altérations de la fonction gastro-intestinale (hypertension non cirrhotique) et un risque accru de mortalité liée au diabète, chez les populations qui boivent de l'eau potable contaminée par l'arsenic dans le sud-ouest de Taïwan (Chen et coll., 1985, 1992; Wu et coll., 1989), au Bangladesh (Smith et coll., 2000), au Chili (Borgono et Greiber, 1971; Zaldívar, 1980; Zaldívar et Ghai, 1980), en Inde (Mandal et coll., 1998), aux États-Unis (Valentine et coll., 1982; NRC des États-Unis, 1999; U.S. EPA, 2001a), au Mexique (Cebrian et coll., 1983) et au Canada (Hindmarsh et coll., 1977). Les lésions cutanées, notamment l'hyperpigmentation, les verrues et l'hyperkératose de la paume des mains et de la plante des pieds, étaient les symptômes les plus couramment observés chez des adultes de 70 kg après une exposition de 5 à 15 ans à l'équivalent de 700 µg/jour ou après une exposition de 6 mois à 3 ans à l'équivalent de 2 800 µg/jour (U.S. EPA, 2001a).Note de bas de page 2
On a établi un lien entre de nombreux effets indésirables, particulièrement chez les enfants, et la consommation d'eau contaminée par l'arsenic à Antofagasta, au Chili (concentration moyenne d'arsenic de 0,6 mg/L). Des effets sur la peau (leucomélanoderme, hyperkératose), sur l'appareil respiratoire (coryza chronique, toux, bronchopneumopathies), sur l'appareil cardiovasculaire (infarctus du myocarde, vasculopathies périphériques comme l'ischémie de la langue, la maladie de Raynaud, l'acrocyanose) et sur l'appareil digestif (douleurs abdominales, diarrhée chronique) ont été observés chez des enfants de moins de 16 ans (Zaldívar, 1980; Zaldívar et Ghai, 1980). La prévalence de ces symptômes a diminué après la construction d'une usine de traitement de l'eau en 1972 (concentration moyenne d'arsenic de 0,08 mg/L), mais elle restait quand même plus élevée que dans la population témoin (Zaldívar et Ghai, 1980). On a aussi signalé ailleurs des lésions cutanées chez de jeunes personnes buvant de l'eau potable contenant de fortes concentrations d'arsenic (Tseng et coll., 1968; Cebrian et coll., 1983).
L'étude épidémiologique la plus importante réalisée à ce jour sur l'arsenic a été menée dans une région limitée du sud-ouest de Taïwan (bien connue pour son incidence élevée de la « maladie du pied noir »). Les données produites ont été analysées par de nombreux auteurs (p. ex. Tseng, 1977; Chen et coll. 1985, 1992; Wu et coll. 1989; U.S. NRC, 1999, 2001) afin d'évaluer les effets sur la santé d'une exposition à l'arsenic par ingestion d'eau potable contaminée à l'arsenic. Tseng (1977) a réparti une population de 40 421 personnes en trois groupes selon la teneur en arsenic de leur eau de puits (élevée = 0,60 mg/L; moyenne : 0,30 à 0,59 mg/L; faible : 0,01 à 0,29 mg/L). Il existait une relation dose-effet claire entre l'exposition à l'arsenic et la fréquence des lésions cutanées, de la « maladie du pied noir » (une vasculopathie périphérique grave) (Yu et coll., 1984) et du cancer de la peau. Même si cette étude précoce comporte certaines faiblesses méthodologiques, on reconnaît maintenant en général que l'exposition à des concentrations élevées d'arsenic est une cause de vasculopathie périphérique. On utilise parfois aussi la maladie du pied noir comme indicateur de l'exposition à l'arsenic (U.S. EPA, 2001b).
Une étude réalisée dans une zone limitée située dans le sud-ouest de Taïwan a donné d'autres indications épidémiologiques de l'existence d'un lien entre l'incidence de divers cancers des organes internes et l'ingestion d'eau contaminée à l'arsenic. Les ratios standardisés de mortalité (RSM) mesurés dans cette étude pour les cancers de la vessie, du rein, de la peau, du poumon, du foie et du côlon étaient nettement plus élevés dans la région contaminée par l'arsenic. On a aussi établi un lien solide entre les RSM pour les cancers de la vessie, du rein, de la peau, du poumon et du foie et la prévalence de la maladie du pied noir (Chen et coll., 1986). D'après une étude cas- témoins supplémentaire portant sur la mortalité attribuable à 69 cancers de la vessie, 76 cancers du poumon et 59 cancers du foie, ainsi que sur 368 témoins de la collectivité jumelés en fonction de l'âge et du sexe, le rapport de cotes pour le cancer de la vessie, du poumon ou du foie chez des personnes ayant consommé de l'eau de puits artésien pendant 40 ans et plus comparativement à celles qui n'en avaient jamais consommé s'établissait à 3,90, 3,39 et 2,67 respectivement. On a constaté l'existence de relations dose-effet pour les trois types de cancer en fonction de la durée d'exposition, et la prise en considération de plusieurs autres facteurs de risque dans une analyse de régression logistique n'a pas modifié le rapport de cotes de façon significative (Chen et coll., 1986).
Dans le cadre d'une analyse écologique où l'on a étudié la mortalité attribuable au cancer en fonction des concentrations d'arsenic dans l'eau potable des villages des régions du sud-ouest de Taïwan caractérisées par une incidence élevée de la maladie du pied noir, Chen et coll., (1985) ont trouvé un lien entre de l'eau de puits artésien contenant des concentrations élevées d'arsenic (allant de 0,35 à 1,14 mg/L, avec une médiane de 0,78 mg/L) et les cancers de la vessie, du rein, du poumon, de la peau, du foie et du côlon. Le RSM et le taux de mortalité cumulé étaient bien plus élevés pour les cancers de la vessie, du rein, de la peau, du foie et du côlon que les taux observés chez la population générale du sud-ouest de Taïwan. Les RSM pour les cancers de la vessie, du rein, de la peau, du poumon, du foie et du côlon étaient de 1 100, 772, 534, 320, 170 et 160 respectivement chez les hommes et de 2 009, 1 119, 652, 413, 229 et 168 respectivement chez les femmes. Une relation dose-effet a été observée entre les RSM des cancers et le taux de prévalence de la maladie du pied noir dans les villages et localités des régions touchées par l'endémie. Au cours d'une analyse écologique supplémentaire portant sur la même population du sud-ouest de Taïwan, Wu et coll. (1989) ont également constaté des relations dose-effet significatives pour les taux de cancer de la vessie, du rein, de la peau et du poumon ajustés en fonction de l'âge chez les deux sexes, et des cancers de la prostate et du foie chez les hommes (le nombre total de cancers par site était de : 181 cancers de la vessie chez les deux sexes, 59 cancers du rein chez les deux sexes, 36 cancers de la peau chez les deux sexes, 9 cancers de la prostate chez les hommes, 123 cancers du foie chez les hommes et 268 cancers du poumon chez les deux sexes) (Wu et coll., 1989). Une étude portant sur les corrélations écologiques entre les concentrations d'arsenic dans l'eau de puits et la mortalité attribuable à divers néoplasmes malins dans le sud-ouest de Taïwan a montré qu'il existait un lien significatif entre la concentration d'arsenic dans l'eau de puits et les cancers du foie, de la cavité nasale, du poumon, de la peau, de la vessie et du rein chez les deux sexes, ainsi que le cancer de la prostate chez l'homme (Chen et Wang, 1990). Au cours d'une analyse ultérieure effectuée sur la même population du sud-ouest de Taïwan, Chen et coll. (1992) ont calculé les indices du risque de cancer du foie, du poumon, de la vessie et du rein. La population étudiée a été divisée en quatre groupes, en fonction du niveau d'arsenic médian dans l'eau de puits de chaque village. Treize villages présentaient des niveaux médians d'arsenic de < 0,10 mg/L, huit villages des niveaux de 0,10 à 0,29 mg/L, 15 villages des niveaux de 0,30 à 0,59 mg/L et six villages des niveaux =0,60 mg/L. Le nombre total de décès reliés au cancer observés pendant la période de l'étude était comme suit : 140 décès chez les hommes et 62 chez les femmes attribuables à un cancer du foie, 169 décès chez les hommes et 135 chez les femmes attribuables à un cancer du poumon, 97 décès chez les hommes et 105 chez les femmes attribuables à un cancer de la vessie, et 30 décès chez les hommes et 34 chez les femmes attribuables à un cancer du rein. On a constaté que le taux de mortalité augmentait de façon significative avec l'âge pour tous les cancers chez les hommes et les femmes. On a également observé des relations dose-effet significatives entre le niveau d'arsenic ingéré et la mortalité attribuable au cancer du foie, du poumon, de la vessie et du rein dans la plupart des groupes d'âge, chez les hommes et les femmes.
Deux études plus récentes, l'une de Ferreccio et coll. (2000) et l'autre de Chiou et coll. (2001) sont venues confirmer elles aussi l'existence d'un lien entre l'incidence accrue de cancers du poumon et de la vessie et l'exposition à l'arsenic. Ces deux études diffèrent de celles réalisées dans le sud-ouest de Taïwan (Chen et coll., 1985; Wu et coll., 1989), car elles portent sur les facteurs de risque de cas nouvellement diagnostiqués de cancer de la vessie (Chiou et coll., 2001) et de cancer du poumon (Ferreccio et coll., 2000) plutôt que sur les décès. Dans leur étude, Chiou et coll. (2001) ont établi l'existence d'un lien dose-effet significatif entre le risque de cancer des voies urinaires et l'exposition à l'arsenic, compte tenu de l'âge, du sexe et du tabagisme. L'envergure de cette étude était toutefois limitée. Ferreccio et coll. (2000) ont révélé l'existence d'un lien clair entre le rapport de cotes relatif au cancer du poumon et les concentrations d'arsenic dans l'eau potable. Même si ces travaux viennent apporter une preuve supplémentaire de l'existence d'un lien entre le cancer et la présence d'arsenic dans l'eau potable, on les a jugés d'application limitée en raison des méthodes utilisées pour la sélection des témoins (NRC des États-Unis, 2001).
Dans une étude cas-témoins portant sur 270 enfants qui avaient des cardiopathies congénitales et sur 665 enfants en bonne santé, on a établi un lien entre la consommation par la mère d'eau renfermant des concentrations décelables d'arsenic pendant la grossesse et le triplement des cas de coarctation aortique. Le rapport de cotes ajusté en fonction de tous les contaminants mesurés et de la source d'eau potable s'établissait à 3,4, avec un intervalle de confiance à 95 % de 1,3 à 8,9 (Zierler et coll., 1988). On n'a toutefois effectué aucun rajustement pour tenir compte de l'âge de la mère, de son statut socioéconomique ou de son histoire génésique. On a calculé l'exposition en jumelant les résultats d'analyses disponibles sur l'eau des approvisionnements alimentant les mères jusqu'à la date de la conception. Pour 101 des mères habitant des collectivités desservies par plusieurs sources d'approvisionnements en eau, il a toutefois fallu établir la moyenne des concentrations de contaminants provenant de plus d'une source dans la collectivité. L'intervalle moyen entre la date de l'analyse et la date de la conception s'établissait à 227 jours pour l'ensemble de la population étudiée.
Dans le contexte d'une étude cas-témoins réalisée au Massachusetts sur 286 femmes ayant subi un avortement spontané et 1 391 ayant mené leur grossesse à terme, on a établi un lien entre des rapports de cotes élevés en matière d'avortement spontané et l'exposition à l'arsenic présent dans l'eau potable (Aschengrau et coll., 1989). Les rapports de cotes rajustés en fonction de l'âge de la mère, de son niveau d'instruction et des antécédents d'avortement spontané chez les femmes exposées à l'arsenic dans leur eau potable en concentrations non décelables, soit de 0,0008 à 0,0013 mg/L et de 0,0014 à 0,0019 mg/L, étaient de 1,0, 1,1 et 1,5 respectivement. On a déterminé l'exposition en jumelant chaque femme aux résultats de l'analyse d'un échantillon d'eau du robinet prélevé dans la ville où elle habitait pendant la grossesse. L'intervalle médian entre la date du dosage du métal dans l'échantillon jumelé et la date de conception était toutefois de 2,1 ans, tandis que la variabilité des concentrations des métaux dans 20 villes du Massachusetts pendant la période de sept ans comprise entre 1978 et 1985 variait d'un facteur de 10 à 100. Il serait souhaitable d'approfondir ces résultats préliminaires dans le cadre d'études conçues pour évaluer l'exposition avec plus de précision.
Bien qu'on ait observé certains effets chez les enfants et les femmes enceintes, le NCR des États-Unis a conclu qu'il n'y avait pas de données scientifiques suffisantes pour évaluer séparément le risque de cancer chez d'éventuelles sous-populations telles que les femmes enceintes, les mères allaitantes et les enfants, et que les facteurs déterminant l'apparition de cancers ou autres effets attribuables à l'arsenic et la sensibilité à ces effets devaient être mieux définis (U.S. EPA, 2001a).
La majorité des études disponibles sur l'exposition à l'arsenic par l'eau potable ont signalé des liens entre le cancer et des concentrations élevées d'arsenic. Toutefois, de nouvelles études effectuées aux États-Unis n'ont trouvé aucun lien clair entre les risques de cancer du poumon et de la vessie et des concentrations d'arsenic dans l'eau potable inférieures à celles relevées à Taïwan (350-1 140 µg/L). Dans une étude cas-témoins historique, Steinmaus et coll. (2003) ont étudié l'ingestion d'arsenic et l'incidence du cancer de la vessie chez des habitants de sept comtés de l'ouest des États-Unis exposés à des concentrations d'arsenic allant de 0 à plus de 120 µg/L. L'incidence du cancer a été suivie de 1994 à 2000, et on a recueilli des données sur les sources d'eau utilisées, les habitudes de consommation d'eau, le tabagisme et d'autres facteurs pour 181 sujets et 328 témoins. Aucun risque accru de cancer de la vessie n'a été observé pour des doses d'arsenic supérieures à 80 µg/jour (l'équivalent de l'ingestion quotidienne de 1,5 L d'eau contenant une concentration d'arsenic de 53 µg/L) au bout de 5 ans (rapport de cotes = 0,94, intervalle de confiance à 95 % = 0,56-1,57). Pour des doses similaires absorbées 40 ans ou plus avant le diagnostic de cancer (période de latence de 40 ans ou plus), le rapport de cotes était supérieur à 1 (rapport de cotes = 1,78, intervalle de confiance à 95 % = 0,89-3,56). Toutefois, comme les intervalles de confiance étaient relativement importants et tenaient compte de l'hypothèse nulle (rapport de cotes de 1,0), les auteurs ont conclu qu'il n'y avait pas de lien significatif entre le cancer de la vessie et une exposition à l'arsenic supérieure à 80 µg/jour. Pour les fumeurs exposés à plus de 80 µg/jour 40 ans avant le diagnostic de cancer, on a signalé un rapport de cotes de 3,67 (intervalle de confiance à 95 % = 1,43-9,42), ce qui indique que les fumeurs exposés par ingestion à des niveaux d'arsenic supérieurs à 80 µg/jour pourraient présenter un risque accru de cancer de la vessie. Les résultats de cette étude suggèrent que la période de latence de la cancérogénicité de l'arsenic peut être de 40 ans ou plus. Les conclusions tirées de cette étude doivent toutefois être traitées avec prudence, étant donné que l'analyse statistique des auteurs comporte certains points faibles : catégorisation arbitraire des niveaux d'arsenic (pouvant masquer d'éventuelles relations dose-effet), échantillons de très petite taille dans les catégories de plus de 10 µg/L, et utilisation de rapports de cotes au lieu d'années-personnes pour calculer les taux d'incidence du cancer (les rapports de cotes donnent uniquement l'incidence du cancer à un moment et une dose donnés).
Une étude effectuée par Lamm et coll. (2004) a signalé l'absence d'augmentation de la mortalité du cancer de la vessie attribuable à l'arsenic chez 2,5 millions d'hommes blancs (de 1950 à 1979) pour des expositions allant de 3 à 60 µg/L dans l'eau potable dans 133 comtés de 26 États des États-Unis, 65 % des comtés et 82 % de la population ayant été exposés à la plage de 3-5 µg/L. Il faut cependant noter que la portée d'une analyse des risques de cancer fondée sur les données de mortalité du cancer de la vessie est limitée, vu que le cancer de la vessie n'est généralement pas mortel (U.S. EPA et Awwa Research Foundation, 2004).
Une étude similaire menée par la U.S. EPA et l'Awwa Research Foundation (2004) a porté sur l'incidence du cancer du poumon et de la vessie et a examiné les taux de mortalité dans 32 comtés de 11 États des États-Unis (population étudiée de près de 1,5 millions de personnes); les concentrations moyennes d'arsenic dans l'eau potable étaient de 10 µg/L ou plus et la période étudiée concernait les années 1950 à 1999. Aucun lien n'a été observé entre la présence d'arsenic dans l'eau potable à des concentrations supérieures à 10 µg/L et l'incidence des cancers de la vessie ou du poumon ou la mortalité liée à ces cancers. Les auteurs ont cependant averti qu'il était possible qu'il y ait quand même des risques élevés d'incidence et de mortalité accrues du cancer du poumon et de la vessie, même si l'analyse ne les a pas révélés, vu les limites d'une analyse des risques de cancer fondée sur les données de mortalité du cancer de la vessie, car ce type de cancer n'est généralement pas mortel; de plus, la période de latence entre l'exposition à l'arsenic et la mort causée par un cancer est relativement longue, ce qui fait que les migrations et la mort résultant d'autres causes pourraient masquer les conséquences sur la santé d'une exposition à l'arsenic; enfin, l'étude écologique examine l'exposition et ses conséquences chez des groupes de personnes qui peuvent ne pas être représentatifs des réponses individuelles à l'exposition à l'arsenic. Les auteurs ont également indiqué que des recherches plus poussées étaient en cours pour confirmer les résultats obtenus.
L'arsenic présente des problèmes bien spécifiques en matière d'évaluation quantitative des risques, car on ne peut utiliser aucune espèce animale pour des études de sa cancérogénicité en laboratoire. Il est en effet apparu que les animaux de laboratoire ne répondaient pas à une exposition à l'arsenic inorganique de manière à pouvoir servir de modèles pour une étude des risques de cancer chez les humains. Le métabolisme de l'arsenic inorganique est également différent sur le plan quantitatif entre les animaux et les humains (U.S. EPA, 2001a).
On ne connaît pas la forme et la valence spécifiques de l'arsenic qui sont responsables de la tératogénèse chez les animaux, même si certaines données portent à penser qu'il s'agit de l'arsénite (As(III)) plutôt que de l'arséniate (As(V)) (Hanlon et Ferm, 1986b).
On a constaté des réductions importantes du débit cardiaque et du débit systolique chez des rats Wistar mâles et chez des lapins femelles de Nouvelle-Zélande qui ont consommé de l'eau potable contenant 50 µg/mL de As(III) pendant 18 et 10 mois respectivement. Par contre, on n'a décelé aucun effet sur la fonction cardiaque de rats ayant ingéré la même concentration d'As(V) pendant 18 mois (Carmignani et coll., 1985).
Dans une étude d'initiation-promotion de tumeurs dans plusieurs organes, Yamamoto et coll. (1995) ont signalé des résultats positifs au niveau de la vessie, des reins, du foie et de la thyroïde chez le rat. L'ADMA a considérablement augmenté l'induction des tumeurs dans la vessie, les reins, le foie et la glande thyroïde des rats exposés à 400 mg/L d'ADMA dans l'eau potable. L'induction de lésions prénéoplastiques (foyers positifs de glutathione S-transférase de forme placentaire dans le foie et tubules atypiques dans le rein) a également augmenté de façon significative chez les rats exposés à l'ADMA. L'activité de l'ornithine décarboxylase dans les reins de rats traités à des doses de 100 mg d'ADMA/L a augmenté significativement par rapport aux témoins (P < 0.001). Des études ultérieures ont également donné des résultats positifs pour la promotion de la cancérogenèse, examinée dans un seul protocole initiateur-promoteur dans le foie (Wanibuchi et coll., 1997) et la vessie (Wanibuchi et coll., 1996) du rat.
D'autres études ont démontré des effets cancérogènes chez les souris et les rats (PISC, 2001), même si de nombreuses études sur la cancérogénicité de l'arsenic pour les animaux ont donné des résultats négatifs (ATSDR, 2000). Le U.S. NRC (1999), Kitchin (2001) et Wang et coll. (2002) présentent une revue détaillée de modèles animaux de cancérogénicité de l'arsenic.
Il est reconnu que l'arsenic provoque la rupture des chromosomes, des aberrations chromosomiques et l'échange de chromatides soeurs de façon linéaire et liée à la dose dans toutes sortes de types de cellules de culture, y compris les cellules humaines (Jacobson-Kram et Montalbano, 1985; U.S. EPA, 1988). La plupart des aberrations chromosomiques sont létales. Les cellules ne survivent pas plus d'une ou deux générations (U.S. EPA, 1988). La puissance de l'arsenic trivalent dépasse d'à peu près un ordre de grandeur celle de l'As(V) à cet égard. L'effet clastogène de l'arsenic semble être attribuable au fait qu'il perturbe la synthèse de l'ADN puisqu'il induit l'échange des chromatides soeurs et des aberrations chromosomiques uniquement lorsqu'il est présent pendant la réplication de l'ADN (Crossen, 1983). On a démontré aussi que l'arsenic bloquait la division des cellules au cours des phases S et G2 (Petres et coll., 1977). On ne connaît toujours pas les mécanismes exacts de la génotoxicité de l'arsenic, mais on a avancé des hypothèses à cet égard telles que les espèces qui réagissent à l'oxygène et l'inhibition de la réparation de l'ADN (PISC, 2001; OMS, 2003). Kitchin (2001) a passé en revue plusieurs modes d'action possibles en ce qui concerne la cancérogénèse de l'arsenic, y compris les suivants : anomalies chromosomiques, stress oxydant, altération de la réparation de l'ADN, altération des profils de méthylation de l'ADN, altération des facteurs de croissance, prolifération, promotion/progression accrue des cellules, amplification génique et suppression de l'antigène p53.
Au cours d'études antérieures, on a signalé des effets tératogènes de l'arsenic chez les poussins, les hamsters dorés et les souris (Hood et Bishop, 1972; Zierler et coll., 1988). On a constaté que l'arséniate était tératogène chez les descendants de hamsters femelles enceintes à la suite d'une exposition, pendant les jours 4 à 7 de la gestation, par implantation d'une mini-pompe (Ferm et Hanlon, 1985). La concentration seuil dans le sang pour la tératogénèse était de 4,3 µmol/kg (Hanlon et Ferm, 1986a). Des études effectuées sur des souris et des hamsters ont révélé que l'AMMAV et l'ADMAV étaient beaucoup moins tératogènes que l'As(III) ou l'As(V). On n'a toutefois pas observé de tératogénicité chez des souris ou des lapins auxquels on a administré par voie orale de l'acide arsénique à raison de 48 mg/kg p.c. par jour pendant les jours 6 à 15 de la gestation et 0-3 mg/kg p.c. par jour pendant les jours 6 à 18 (Nemec et coll., 1998).
Des études antérieures ont signalé que les formes organiques de l'arsenic (AMMAV, ADMAV, AMMAIII et ADMAIII) étaient moins toxiques que leurs homologues inorganiques (As(III) et As(V)) (U.S. NRC, 1999), mais des données probantes récentes indiquent que la conversion de l'arsenic inorganique en arsenic organique ne représente pas nécessairement un processus de détoxication. Chez les humains, l'AMMAV et l'ADMAV, ainsi que l'AMMAIII et l'ADMAIII proviennent de la réduction séquentielle et de la méthylation de l'arsenic inorganique par le foie (Buchet et Lauwerys, 1985; Lovell et Farmer, 1985). L'arsenic inorganique qui n'est pas immédiatement éliminé de l'organisme subit une réduction et une méthylation dans le foie. On a toutefois isolé récemment de l'AMMAIII dans l'urine humaine, ce qui a permis de procéder à des tests qui ont indiqué que, contrairement à ce que l'on croyait auparavant, l'AMMAIII était en fait plus toxique pour les hépatocytes que l'AMMAV et l'arsénite (As(III)) (Aposhian et coll., 2000; Petrick et coll., 2000; Styblo et coll., 2000; NRC des États-Unis, 2001). Les travaux effectués par Petrick et coll. (2000) sur des hépatocytes humains ont établi un ordre relatif de toxicité : AMMAIII > arsénite (+3) > arséniate (+5) > AMMAV = ADMAV. Une étude menée par Mass et coll. (2001) indique que la forme organique de l'arsenic est plus efficace que sa forme inorganique pour altérer l'intégrité chromosomique de l'ADN de phage et des lymphocytes humains en culture, et que l'AMMAIII et l'ADMAIII sont plus efficaces que l'As(III) pour induire des lésions de l'ADN. Bien que ces études fournissent des indications premières que l'arsenic organique peut être plus toxique que l'arsenic inorganique, des recherches plus poussées sont nécessaires pour confirmer ces résultats.
Détails de la page
- Date de modification :