Page 9 : Recommandations pour la qualité de l'eau potable au Canada : document technique – le sélénium

Partie II. Science et considérations techniques (continué)

8.0 Cinétique et métabolisme

8.1 Absorption

Il existe très peu de données quantitatives sur l'absorption des composés séléniés par les poumons ou la peau. L'absorption intestinale après ingestion constitue la principale voie d'entrée du sélénium dans l'organisme (Thiry et coll., 2012). Chez les animaux de laboratoire et chez l'humain, la plupart des formes organiques de sélénium (sélénométhionine et sélénocystéine) et la plupart des formes inorganiques (sélénite et sélénate) sont facilement absorbées par l'iléon et le duodénum (Patterson et Levander, 1997; Fairweather-Tate et coll., 2010; U.S. EPA, 2010). La vitesse d'absorption dépend de la forme du sélénium, de la quantité de sélénium dans le corps et de la présence de certains acides aminés et composés sulfurés ou de certains métaux lourds comme le mercure dans l'intestin (Patterson et Levander, 1997; PISSC, 2006). Le sélénium sous forme élémentaire et les composés sélénosulfurés sont faiblement absorbés (U.S. EPA, 1991a). Les formes organiques de sélénium font l'objet d'un transport actif, alors que le sélénite subit une diffusion passive dans l'intestin. Le sélénate est absorbé par le petit intestin grâce à l'activité d'un transporteur du sulfate dépendant du sodium.

Dans une étude cinétique comparative, on a administré deux doses de 150 µg de sélénométhionine ou de sélénite à des adultes en bonne santé vivant aux États-Unis et présentant des concentrations plasmatiques normales de sélénium (80 à 160 µg/L). Une proportion de 97 % de la sélénométhionine a été absorbée, contre 60 % de sélénite (Wastney et coll., 2011). Les résultats de cette étude ont été confirmés par une autre étude interventionnelle menée aux États-Unis (Burk et coll., 2006). L'ingestion de la sélénométhionine a entraîné une augmentation de la concentration plasmatique de sélénium deux fois plus élevée que l'ingestion du sélénite administré aux mêmes doses (200, 400 ou 600 µg). L'ingestion de sélénite administré par voie orale à la dose unique de 81,7 µg s'est soldée par une grande absorption (89 %) chez les hommes en bonne santé (Martin et coll., 1988). On croit que la composition du régime alimentaire influence l'absorption.

Chez l'humain, l'ingestion de 1 700 mg de sélénite a entraîné une concentration plasmatique de sélénium de 2,7 mg/L trois heures après l'ingestion (en général, la concentration dans le sang varie entre 0,060 et 0,150 mg/L) (Gasmi et coll., 1997).

Le sélénite est faiblement absorbé par les ruminants, en raison des conditions réductrices présentes dans la panse (Wright et Bell, 1966; Gunter et coll., 2003). En général, les composés organiques sont mieux absorbés par les ruminants et sont transformés en sélénoprotéines (Gunter et coll., 2003). Le sélénate et le sélénite ajoutés à la nourriture sèche à raison de 0,3 mg/kg étaient absorbés en quantité égale par les moutons, les bovins et les chevaux, et les deux substances ont induit une élévation de la concentration sanguine de sélénium (Podoll et coll., 1992).

On a recensé des cas d'inhalation d'aérosols contenant du sélénium insolubles dans l'eau au cours d'une exposition professionnelle, par exemple des travailleurs des fonderies de cuivre ou des personnes travaillant dans des usines produisant des redresseurs au sélénium (U.S. EPA, 2010), mais ces cas ne seront pas pris en compte, car ils ne se rapportent pas à l'eau potable. On n'a pas constaté d'absorption cutanée chez les souris ou les humains exposés au sulfure de sélénium ou à la sélénométhionine (ATSDR, 2003).

8.2 Distribution

Une fois parvenu dans la circulation sanguine, le sélénium est distribué dans tout l'organisme. La majeure partie du sélénite, de la sélénométhionine et de la sélénocystéine absorbés est acheminée aux organes qui synthétisent rapidement des sélénoprotéines : foie, muscles, cerveau et, dans une moindre mesure, testicules et reins (Deagen et coll., 1987; Willhite et coll., 1992; Thiry et coll., 2012). Le sélénium résiduel demeure dans le plasma ou pénètre dans les tissus lymphatiques avant d'être distribué à d'autres organes (Wastney et coll., 2011).

Les composés séléniés sont transportés dans le sang vers divers organes par l'albumine et d'autres protéines présentant des groupes sulfhydryles, tels que les lipoprotéines de faible densité, la sélénoprotéine P et la glutathion peroxydase (CIRC, 1975; Schrauzer, 2000; Thiry et coll., 2012).

Le sélénite et la sélénométhionine marqués par un isotope radioactif et administrés par voie orale à des rats pendant quatre semaines se retrouvent distribués dans tous les tissus analysés, la plus grande proportion étant dans les muscles et le foie (Beilstein et Whanger, 1988). Les érythrocytes, la rate, les poumons et les muscles présentaient une activité glutathion peroxydase accrue, ce qui indique que le sélénium était distribué dans ces tissus et utilisé pour synthétiser cette enzyme. Après avoir administré à des moutons et à des porcs des concentrations élevées de sélénium par voie orale ou intraveineuse, on a constaté que le foie, le rein et le cœur étaient les organes contenant les concentrations de sélénium les plus élevées (Blodgett et Bevill, 1987).

8.3 Métabolisme

Le sélénium est métabolisé principalement en séléniure, un intermédiaire, avant d'emprunter d'autres voies métaboliques. Le sélénate, le sélénite et la sélénocystéine subissent directement des réactions de réduction pour donner du séléniure, alors que la sélénométhionine est intégrée de façon non spécifique dans des protéines contenant de la méthionine ou est transformée par l'enzyme sélénocystéine-β-lyase pour donner du sélénium à l'état élémentaire, qui peut être réduit en séléniure dans l'organisme (Esaki et coll., 1982; Fairweather-Tate et coll., 2010; Wastney et coll., 2011). Si le sélénium est présent à de fortes concentrations, le séléniure est méthylé et excrété, mais s'il est présent à des concentrations faibles ou normales, le séléniure sert à la synthèse des protéines séléniées dans lesquelles il est intégré sous forme de cystéine, un acide aminé (Suzuki, 2005; Suzuki et coll., 2005; Gromadzińska et coll., 2008; Wastney et coll., 2011).

Les formes organiques de sélénium induisent des concentrations élevées de sélénium dans le sérum et le foie comparativement au sélénium inorganique à des doses équivalentes, et stimulent la glutathion peroxydase du sang, ce qui explique sa grande intégration dans les protéines séléniées (Kim et Mahan, 2001; Wastney et coll., 2011).

Dans un essai clinique dans lequel on a administré du sélénium à 120 volontaires chinois à des quantités pouvant aller jusqu'à 75 µg/jour pendant 20 semaines, le sélénium organique (sélénométhionine) et le sélénium inorganique (sélénite) ont tous deux stimulé l'activité de la glutathion peroxydase et entraîné une augmentation de la concentration sanguine de sélénium. La forme organique a induit une activité enzymatique maximale à une dose plus faible (37 µg/jour) que le sélénite (66 µg/jour) (Xia et coll., 2005). Dans un essai clinique effectué en Nouvelle-Zélande dans lequel on avait administré 90 µg de sélénite ou 100 µg de sélénométhionine à des sujets pendant 17 semaines, on a obtenu des résultats semblables (Thomson et coll., 1982). Chez les animaux, on a observé des résultats similaires chez six singes rhésus femelles ayant été exposés par l'alimentation au sélénite à des concentrations variant entre 0,25 et 0,5 µg/mL pendant 11 mois (Butler et coll., 1990).

À des doses fortes (plus élevées que les besoins nutritionnels recommandés), la sélénométhionine et la méthylsélénocystéine sont métabolisées par la méthioninase et des β-lyases, respectivement. Les voies métaboliques empruntées produisent du méthylsélénol, qui peut réagir avec le glutathion, à l'instar du sélénite (Zhang et Spallholz, 2011). On pense que le méthylsélénol constitue la pierre angulaire du mode d'action anticancérogène du sélénium (Sanmartin et coll., 2008). Le méthylsélénol peut être oxydé en acide méthyséléninique.

8.4 Excrétion

Le rein est le principal organe jouant un rôle dans l'excrétion du sélénium (Zachara et coll., 2001). Chez les animaux de laboratoire et les humains, le sélénium est principalement excrété dans l'urine, suivi des excréments et de l'haleine, dans des proportions variant en fonction de l'apport (Lopez et coll., 1969; Martin et coll., 1988). L'apport total de sélénium détermine le degré de méthylation et de déméthylation, mécanisme qui régule la quantité excrétée (Thiry et coll., 2012). Après avoir administré des doses de sélénite par voie orale ou intraveineuse à des hommes en bonne santé, on a mesuré des concentrations élevées dans l'urine et, dans une moindre mesure, dans les selles (Martin et coll., 1988). À des concentrations faibles et normales, le monométhylsélénium et les glucides séléniés constituent les principaux composés excrétés dans l'urine. Cependant, la quantité de triméthylsélénium expiré augmente avec la dose (ATSDR, 2003; Francesconi et Pannier, 2004; U.S. EPA, 2010).

La demi-vie du sélénite dans l'organisme est plus courte que celle de la sélénométhionine (Patterson et Levander, 1997), car cette dernière est un acide aminé recyclé par l'organisme (Swanson et coll., 1991; Wastney et coll., 2011). La demi-vie de la sélénométhionine dans l'organisme est de 252 jours et celle du sélénite est de 102 jours (Schrauzer, 2000).

Des souris auxquelles on a injecté 2,25 µg de sélénite ont excrété le sélénium en excès dans les excréments et l'urine principalement sous la forme de 1-β-méthylsélénol-N-acétyl-D-galactosamine (glucide sélénié) (Suzuki et coll., 2010). Ce glucide sélénié était le principal composé excrété dans l'urine par des rats auxquels on avait administré de l'eau contenant du sélénite à volonté à des concentrations pouvant aller jusqu'à 1 µg/mL pendant sept jours. Lorsque la concentration de sélénite était supérieure à 2 µg/mL, l'excrétion de monométhylsélénium et de triméthylsélénium augmentait (Suzuki, 2005; Suzuki et coll., 2005; Thiry et coll., 2012). Des rats exposés à des doses élevées de sélénite excrétaient du triméthylsélénium dans les urines et les excréments et expiraient du diméthylséléniure dans l'air (Suzuki, 2005; Zhang et Spallholz, 2011).

La méthylation du séléniure produit du diméthylséléniure ou du triméthylsélénium, qui sont excrétés; ce phénomène est considéré comme un processus de détoxification (Gailer et coll., 2002). Lorsqu'on a administré du sélénite par voie orale à des humains à une dose considérée normale (81,7 µg), le triméthylsélénium représentait uniquement 2,2 % du sélénium total présent dans l'urine (les auteurs n'ont pas donné de détails sur d'autres métabolites) (Martin et coll., 1988). Dans une autre étude, on a administré 300 µg de sélénite par voie orale à un homme. Le diméthyséléniure était l'unique composé sélénié expiré, et sa concentration a culminé une heure et demie après l'administration. Après 10 jours, l'élimination par l'expiration constituait 11 % de l'excrétion totale, alors que l'urine représentait 18 %. On a observé un autre pic de la concentration sanguine de sélénium après 20 heures, ce qui laisse penser qu'il existe une autre voie, plus lente (Kremer et coll., 2005).

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