Page 11 : Recommandations pour la qualité de l'eau potable au Canada : document technique – les trihalométhanes

9.0 Effets chez les êtres humains

9.1 Épidémiologie du cancer

Les études épidémiologiques réalisées avant 1993 sur les liens entre les SPCD et les effets indésirables sur la santé comportaient souvent des limitations, surtout en ce qui concerne la mesure de l'exposition. Au cours des études épidémiologiques cas-témoin réalisées avant 1993, on a constaté l'existence de liens entre l'ingestion d'eau potable chlorée et les incidences de cancer du côlon chez les 60 ans et plus (Cragle et coll., 1985) et de cancer de la vessie chez les non-fumeurs (Cantor et coll., 1985, 1987). L'étude de Cantor et coll. (1985), qui regroupait 1 244 cas et 2 500 témoins jamais exposés au travail à des risques élevés de cancer de la vessie et dont on connaissait en détail la mobilité géographique, la source d'eau potable (souterraine non chlorée ou de surface chlorée pendant 50 % de leur vie) et les facteurs possibles de confusion, a démontré l'existence d'un lien positif entre le risque de cancer de la vessie, l'importance de la consommation d'eau du robinet et la durée de l'exposition, surtout chez les sujets qui avaient vécu longtemps dans des collectivités alimentées par de l'eau de surface chlorée (NAS, 1987). Chez les non-fumeurs, on a établi un lien entre la consommation d'eau et le risque relatif. Le rapport de cotes chez les plus de 60 ans dont la consommation d'eau de surface dépassait la médiane comparativement aux personnes qui avaient consommé de l'eau souterraine pendant toute leur vie s'établissait à 2,3.

On s'efforce continuellement depuis 1993 d'améliorer la conception de ces études épidémiologiques afin de déterminer plus clairement à la fois les substances d'intérêt qui pourraient se trouver dans l'eau potable chlorée et leurs effets indésirables sur la santé. Le cancer de la vessie a fait l'objet d'études épidémiologiques analytiques plus récentes au Colorado (McGeehin et coll., 1993), en Ontario (King et Marrett, 1996) et en Iowa (Cantor et coll., 1996). Les données signalées jusqu'à maintenant à la suite d'une étude réalisée en Iowa indiquent que l'on n'établit aucun lien entre le risque de cancer de la vessie et des estimations de l'exposition antérieure aux sous-produits de la chloration, sauf chez les fumeurs masculins de longue date, chez lesquels le risque de cancer de la vessie augmente avec la durée de l'exposition compte tenu du tabagisme. On n'a établi aucun lien entre le risque relatif accru de cancer de la vessie et l'exposition à des approvisionnements municipaux chlorés d'eau de surface, au chloroforme ou à d'autres espèces de THM dans une cohorte de femmes, mais la période de suivi d'une durée de huit ans était très courte, ce qui a produit peu de cas à étudier. En Ontario, King et Marrett (1996) ont constaté un risque accru de cancer de la vessie lié à l'augmentation de la durée de l'exposition et des concentrations de THM. Le lien était statistiquement significatif et de plus grande ampleur seulement après 35 ans ou plus d'exposition. Les auteurs utilisent un concept de THM-années pour exprimer l'exposition cumulative aux THM, qui intègre les niveaux d'exposition aux THM ainsi que la durée de l'exposition, et qui est exprimé en µg/L-années. L'incidence du cancer de la vessie était plus élevée d'environ 40 % chez les personnes exposées à plus de 1 956 µg/L-années de THM dans l'eau comparativement à celles qui étaient exposées à moins de 584 µg/L-années. Même si les données disponibles ne permettent pas de conclure qu'il existe un lien de cause à effet, on ne peut rejeter facilement les liens observés au cours d'études bien réalisées où les expositions étaient les plus élevées. Il est en outre impossible d'attribuer ces dépassements au chloroforme en soi, même s'il s'agit en général du SPD dont la concentration est la plus élevée dans l'eau potable (PISC, 2000). En 2002, un groupe d'experts réuni par Santé Canada afin de déterminer les points finaux critiques pour évaluer les risques sanitaires reliés à la présence de THM dans l'eau potable a reconnu que les THM servaient dans les études épidémiologiques comme substitut de l'exposition aux SPCD de façon plus générale, et qu'à cause de la complexité des mélanges de SPCD dans l'eau potable, il était extrêmement difficile d'établir un lien de cause à effet avec un seul composant ou une même catégorie de composants (Santé Canada, 2003a).

En 2002, Santé Canada a commandé une étude sur l'épidémiologie de cancers autres que celui de la vessie reliés à la présence de THM dans l'eau potable (SENES Consultants Ltd., 2002). Les études analysées portaient avant tout sur les cancers du côlon, du rectum, du pancréas, des reins, du cerveau et sur des cancers hématologiques/lymphoréticulaires. Quelques études seulement comportaient un rapport de cotes significatif dans le cas du cancer du côlon, du rectum, du cerveau et du pancréas. Les études n'étaient pas significatives dans le cas des cancers du rein et du sang.

Dans le cas du cancer du côlon, deux études ont révélé un lien entre un risque statistiquement accru de cancer du côlon et l'exposition à l'eau potable chlorée. King et coll. (2000) ont démontré l'existence d'un lien important seulement chez la cohorte masculine, tandis que Doyle et coll. (1997) en ont démontré l'existence seulement chez les femmes, seul sujet de leur étude. Les résultats de l'étude de King et coll. (2000a) indiquent qu'il peut y avoir des profils de facteur de risque différents pour les deux sexes, dans la mesure où il n'y avait pas de risque important chez les femmes. La cohorte de l'Iowa (Doyle et coll., 1997) indique toutefois que ce n'est peut-être pas le cas.

Les résultats tirés des études sur le cancer du rectum n'étaient pas concluants. Parmi les études analysées, la seule qui a produit des résultats significatifs a été une étude cas-témoin sur la population réalisée par Hildesheim et coll. (1998) qui, comme Doyle et coll. (1997), ont utilisé la population de l'Iowa et le registre du cancer. Leur méthodologie différait cependant : Hildesheim et coll. (1998) ont utilisé un concept cas-témoin et étudié les cancers du rectum et du côlon autant chez les hommes que chez les femmes, tandis que Doyle et coll. (1997) ont utilisé un concept de cohorte et soumis seulement les femmes de la population à un examen prospectif de dépistage du cancer du côlon et du rectum. Doyle et coll. (1997) ont constaté l'existence d'un lien seulement dans le cas du cancer du côlon, tandis que Hildesheim et coll. (1998) en ont constaté un dans le cas du cancer du rectum.

La seule étude récente portant sur le lien entre le cancer du cerveau et l'exposition aux THM indique qu'il existe un tel lien (Cantor et coll., 1999). Cette étude a porté sur la même cohorte de l'Iowa que celle qu'ont utilisée Hildesheim et coll. (1998) et Doyle et coll. (1997).

En résumé, même si des études récentes indiquent qu'il existe un certain lien entre le cancer du côlon, du rectum et du cerveau et l'exposition à des SPD dans l'eau potable, les données présentées dans les études ne sont pas suffisantes pour confirmer de façon fiable l'existence d'un lien dose-réponse ou d'un lien de cause à effet (SENES Consultants Ltd., 2002).

Une étude écologique portant sur 56 localités de la Finlande, réalisée en 1950 par Koivusalo et coll. (1995), a été la seule à révéler l'existence d'un lien important entre l'eau traitée et le cancer du pancréas. À cause des limites et des incertitudes inhérentes aux études écologiques, il est difficile de tenir compte des résultats de cette étude et de s'y fier.

Au cours de plusieurs études, on a essayé d'estimer des expositions aux THM ou au chloroforme et aux autres types de THM, mais sans tenir compte de l'exposition à d'autres SPD ou à d'autres contaminants de l'eau, qui peuvent différer entre les eaux de surface et les eaux souterraines. Comme on n'a pas accordé suffisamment d'attention à l'évaluation de l'exposition aux contaminants de l'eau dans le contexte des études épidémiologiques, il est impossible d'évaluer convenablement les risques relatifs accrus signalés. Des risques particuliers peuvent être attribuables à d'autres SPD, à des mélanges de sous-produits ou à d'autres contaminants de l'eau, ou bien à d'autres facteurs dont l'eau potable chlorée ou les THM peuvent constituer un substitut (OMS, 1998; PISC, 2000).

9.2 Épidémiologie de la reproduction

Les études épidémiologiques ont soulevé des préoccupations au sujet des effets que l'exposition à des SPCD présents dans l'eau potable pourrait avoir sur la reproduction et le développement. Ces préoccupations s'appuient en partie sur des constatations indiquant que certains SPCD sont toxiques pour des animaux de laboratoire sur les plans de la reproduction et du développement, mais à des doses beaucoup plus élevées que celles auxquelles les êtres humains sont exposés. En 1997, Santé Canada et l'EPA des États-Unis ont organisé des ateliers scientifiques à la suite desquels les participants ont conclu que les données probantes existant à l'époque ne suffisaient pas pour établir un lien de cause à effet entre l'eau chlorée ou les THM et des issues défavorables de la grossesse (Mills et coll., 1998; PISC, 2000).

Reif et coll. (2000) ont procédé à un examen critique des données probantes épidémiologiques les plus récentes. Cet examen critique a porté sur des études au cours desquelles on a utilisé soit 1) une évaluation qualitative de l'exposition, qui a examiné les liens entre la source d'approvisionnement en eau potable ou la méthode de désinfection et les risques d'effets néfastes sur la reproduction, soit 2) une évaluation quantitative de l'exposition reposant avant tout sur des concentrations signalées de THM dans les approvisionnements d'eau potable. Les conclusions de Reif et coll. (2000) sont les suivantes :

  1. Effets sur la croissance du foetus : Les données probantes épidémiologiques portant sur l'existence d'un lien entre les THM et des effets sur la croissance du foetus ne sont pas cohérentes. Des études épidémiologiques ont relevé des liens faibles mais statistiquement significatifs (rapport de cotes : 1,2-2,6) entre le poids à la naissance, le faible poids à la naissance et le retard de croissance intra-utérine à des concentrations de ≥61 µg de THM/L (Gallagher et coll., 1998), de >80 µg de THM/L (Bove et coll., 1992), et de >100 µg de THM/L (Bove et coll., 1995). On a aussi signalé des augmentations du risque de retard de la croissance intra-utérine à des concentrations de ≥10 µg/L de chloroforme et de BDCM, même si le lien n'était pas statistiquement significatif dans ce dernier cas (Kramer et coll., 1992). Par ailleurs, deux études (Savitz et coll., 1995; Dodds et coll., 1999) n'ont pu démontrer l'existence d'un lien statistiquement significatif avec aucun de ces résultats connexes. Toutes ces études ont tenu compte d'un indicateur de la situation socio-économique et de la race, ou ont limité l'analyse aux Blancs. On a tenu compte du tabagisme dans toutes les études sauf une (Bove et coll., 1995). Les deux études les plus importantes, et dont le coefficient d'efficacité statistique était solide, ont atteint des conclusions différentes malgré une évaluation de l'exposition et des méthodes relativement semblables (Bove et coll., 1995; Dodds et coll., 1999).

    À la suite d'une étude en milieu hospitalier réalisée en Italie, Kanitz et coll. (1996) ont signalé des poids moyens à la naissance plus faibles chez les mères âgées de plus de 30 ans qui consommaient de l'eau chlorée. Kallen et Robert (2000) ont aussi signalé un effet des réseaux traités au chlore sur les paramètres somatiques représentés par la taille et la circonférence du crâne, ainsi qu'un lien avec le faible poids à la naissance et l'accouchement prématuré. Jaakkola et coll. (1999) n'ont toutefois signalé aucun lien entre la consommation d'eau chlorée et les mesures de croissance du foetus ou la prématurité. Yang et coll. (2000) n'ont trouvé aucune preuve de liens entre le faible poids à la naissance et la chloration à Taïwan, mais le taux d'accouchements prématurés était beaucoup plus élevé dans les municipalités utilisant la chloration.
  2. Effets sur la viabilité du foetus : Les données épidémiologiques n'indiquent pas de façon uniforme l'existence d'un lien entre les SPCD et un risque accru de fausse couche et de mortinatalité. On a regroupé ces points finaux dans le rapport de Reif et coll. (2000), mais leurs mécanismes de provocation peuvent différer. Waller et coll. (1998) ont signalé des taux accrus de fausses couches dans une cohorte qu'ils ont étudiée en Californie et qui consommait beaucoup d'eau (cinq verres ou plus d'eau froide du robinet par jour) contenant ≥75 µg/L de THM. Lorsqu'on a étudié certains THM en particulier, on a établi un lien seulement entre la consommation importante d'eau contenant du BDCM (≥18 µg/L) et le risque de fausse couche (PISC, 2000). L'existence d'un lien entre un risque accru de fausse couche et la formation de SPD a été confirmé par Aschengrau et coll. (1989), qui ont signalé que la consommation d'eau de surface posait un risque double par rapport à la consommation d'eau souterraine ou d'eau mixte. Savitz et coll. (1995) ont constaté l'existence d'un lien statistiquement significatif entre une augmentation de la concentration de THM et le sextile d'exposition le plus élevé, mais n'ont trouvé aucun lien avec la dose ingérée ou la source d'eau.

    On a signalé un risque accru de mortinatalité chez les femmes de la Nouvelle-Écosse exposées à de l'eau contenant plus de 100 µg de THM/L (Dodds et coll., 1999). À la suite d'une analyse plus poussée de ces données, King et coll. (2000) ont constaté des augmentations liées à la dose du risque corrigé de mortinatalité posé par l'exposition aux THM, au chloroforme et au BDCM. On a établi un lien entre une exposition à des concentrations de ≥20 µg/L de BDCM et un risque deux fois plus élevé. Au New Jersey, Bove et coll. (1992, 1995) ont trouvé peu de preuves de l'existence d'un lien avec les THM à une dose de 80 µg/L, mais ils ont signalé un faible lien entre la mortinatalité et la consommation d'eau provenant d'approvisonnements en eau de surface. Aschengrau et coll. (1993) ont constaté l'existence d'un lien entre la mortinatalité et l'utilisation d'un approvisionnement en eau de surface chlorée plutôt que chloraminée.
  3. Effets sur le risque de malformations du foetus : Bove et coll. (1992, 1995) ont décrit des liens relativement solides entre plusieurs types d'anomalies congénitales et les THM. On a constaté les risques les plus élevés dans le cas du système nerveux central, de la fissure palatine et de malformations cardiaques majeures à des concentrations de THM de plus de 80 ou 100 µg/L. D'autres études portant sur les malformations du tube neural (Dodds et coll., 1999; Klotz et Pyrch, 1999) et les anomalies cardiaques (Shaw et coll., 1991; Dodds et coll., 1999) ont révélé des risques plus faibles ou n'ont trouvé aucune preuve de l'existence de liens avec les THM. Les documents publiés jusqu'à maintenant présentent un tableau non cohérent de liens avec les anomalies congénitales en général, et on constate un manque d'uniformité concernant certaines anomalies en particulier entre les quelques études qui se sont penchées sur le sujet.

Une étude publiée par l'Awwa Research Foundation a été conduite en 2005 pour vérifier l'hypothèse selon laquelle l'exposition aux SPCD causerait un arrêt de grossesse (Savitz et coll., 2005). Pour que les concentrations de SPCD et la spéciation soient représentatives de celles prévalant à travers les États-Unis, trois sites d'études ont été choisis, qui présentaient soit des concentrations très faibles de tous les types de SPCD, soit des concentrations moyennes de tous les types de SPCD, ou alors de faibles niveaux de sous-produits chlorés joints à des niveaux moyens de sous-produits bromés. Les femmes vivant dans ces trois régions qui planifiaient une grossesse ou étaient enceintes de moins de 12 semaines ont été recrutées pour l'étude. À la différence de l'étude de Waller et coll. (1998), celle de Savitz et coll. (2005) a trouvé que les femmes qui buvaient 5 verres ou plus d'eau du robinet contenant >75 µg/L de THM couraient le même risque d'arrêt de grossesse (rapport de cotes de 1,0) que toutes les autres femmes, et qu'il n'y avait aucun lien entre l'exposition et les arrêts de grossesse. Ils ont trouvé cependant des indications d'un lien entre le BDCM et le DBCM et un risque accru d'arrêt de grossesse. Dans l'ensemble, cependant, les résultats obtenus n'appuyaient pas l'existence d'un lien entre l'arrêt de grossesse et une exposition aux SPCD.

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