ARCHIVÉ : Annexe G : Manuel de pratique sensible à l'intention des professionnels de la santé : Leçons tirées des personnes qui ont été victimes de violence sexuelle durant l'enfance – Comment collaborer avec les Autochtones

 

Appendix G : Comment collaborer avec les Autochtones, rédigé par Rose Roberts, inf. aut., Ph.d.

Les Autochtones du Canada : quelques mots d'histoire

Il existe une foule de documents qui relatent l'histoire des Premières nations, des Métis et des Inuits du Canada. En bibliographie, le présent document propose une liste abrégée d'ouvrages recommandés. Le texte qui suit a pour but de donner un aperçu qui, en matière de pratique sensible, pourra servir de point de départ aux praticiens et praticiennes de la santé qui travaillent auprès des membres des Premières nations, des Métis et des Inuits.

Au Canada, les Autochtones forment une population variée. La volonté de classer les peuples autochtones en un seul groupe a poussé de nombreux auteurs à proposer de nouveaux termes, susceptibles de désigner un tel groupe ; c'est le cas notamment des appellations « Aborigènes », « Indigènes » et « Indiens ». Au sens que lui prête la Constitution du Canada, le mot Autochtones désigne les Indiens inscrits, les Indiens non inscrits, les Métis et les Inuits. Les Indiens inscrits sont ceux dont les ancêtres ont conclu des traités alors que les Indiens non inscrits sont les descendants d'Indiens qui n'ont conclu aucun traité ou qui étaient absents au moment de la signature. Un sous-groupe d'Indiens non inscrits a également vu le jour après que des Indiens aient perdu leurs droits issus de traités, notamment parce qu'ils avaient servi dans les forces armées, exercé leur droit de vote, obtenu un diplôme d'études secondaires ou (dans le cas d'une femme) épousé un homme non autochtone. La plupart des éléments de ce sous-groupe ont cependant recouvré leurs droits issus de traités à la suite d'une modification apportée en 1984 à la Loi sur les Indiens (projet de loi C-31).

On sait peu de choses sur l'histoire des peuples autochtones du Canada avant l'arrivée des Européens. La plupart des données disponibles proviennent de travaux réalisés par des archéologues ou des anthropologues. Selon la théorie la plus répandue en Occident, les ancêtres des Premières nations seraient venus d'Asie et auraient franchi le détroit de Béring pour gagner l'Amérique. Les Premières nations disent souvent qu'elles occupent le territoire de toute ancienneté, ce qui ferait référence à un peuplement remontant grossièrement à la période entre l'an 50 000 et l'an 15 000 avant Jésus-Christ49. Le détroit de Béring aurait pu servir de pont continental en trois occasions distinctes, ce qui donne lieu à des théories concernant l'existence d'autant de vagues migratoires indépendantes49. Des découvertes archéologiques donnent à penser qu'au fil des générations, les premiers migrants auraient parcouru le littoral du Pacifique pour gagner l'Amérique du Sud. Plus tard, avec le retrait des glaciers, certains de ces individus auraient repris la voie du nord. La seconde vague migratoire aurait permis aux Athapascan (des Dénés) de s'établir au nord du continent, avant qu'une éruption volcanique ne les pousse à se déplacer vers le sud. Enfin, la troisième vague aurait vu les Inuits occuper progressivement tout le nord, en procédant d'ouest en est49.

La catégorisation des membres des Premières nations du Canada a fait l'objet de nombreuses tentatives. Ainsi, selon l'une des méthodes courantes de classification, les Autochtones se diviseraient en onze groupes, définis d'après la famille de langues qu'ils utilisent : algonquienne, athapascane, inuite-aléoute, haida, tlingit, sioux, tsimshian, wakash, salish, kutenai et iroquoise175. D'aucuns croient qu'entre cinquante et soixante langues prévalaient à l'époque du premier contact entre Autochtones et Européens. De nos jours, les langues les plus répandues sont la langue crie, l'ojibwa et l'inuktitut. De nombreuses Premières nations s'appliquent à préserver leur langue175. Une autre méthode de classification repose sur le concept de zone culturelle. Ainsi, compte tenu des secteurs géographiques et des similitudes observées entre les cultures, il existerait sept zones culturelles : la zone arctique, la zone subarctique occidentale, la zone subarctique orientale, les régions boisées du Nord-Est, la zone des plaines, la zone des plateaux ainsi que la côte du Nord- Ouest175. Fait digne de remarque, les frontières des zones culturelles s'apparenteraient aux frontières séparant les différents groupes linguistiques. Aujourd'hui, le Canada compte plus de six cent dix collectivités de Premières nations, et l'on recense au pays plus de sept cent trente-trois mille Autochtones qui vivent dans les réserves ou à l'extérieur des réserves11.

Pour les Premières nations du Canada, le premier contact entre Européens et Autochtones a marqué le début d'une période ponctuée de nombreux changements. Parmi eux figure la naissance d'un nouveau peuple, les Métis, essentiellement constitué des descendants d'unions entre femmes des Premières nations et hommes de France. Pour leur part, les personnes issues d'unions entre femmes des Premières nations et hommes d'Écosse ou d'Angleterre étaient plus couramment désignées par l'épithète sang-mêlé. Le Ralliement national des Métis, organisme gouvernemental national qui représente les Métis, a adopté la définition suivante123, qui sert aujourd'hui à désigner les membres de ce peuple : « Est métisse une personne qui se reconnaît comme tel, qui descend d'ancêtres métis de vieille souche, qui se distingue des autres Autochtones et qui est reconnue par la nation métisse » [traduction]. Par « Métis de vieille souche », on entend les Autochtones autrefois appelés Métis ou Sang-Mêlé qui peuplaient le territoire historique de la nation métisse, à savoir le territoire traditionnel du Centre-Ouest de l'Amérique du Nord qu'occupaient et qu'exploitaient les Métis ou les Sang-Mêlé. Selon le Ralliement national des Métis, le Canada compterait entre trois cent cinquante mille et quatre cent mille Métis123.

Les Inuits peuplent les terres arctiques du Canada, de l'Alaska et du Groenland. En dépit de l'immensité de ce territoire, ces Autochtones présentent des caractéristiques physiques et culturelles qui varient peu d'une région à l'autre. Depuis plus de cinq mille ans, les Inuits survivent dans l'un des milieux les plus hostiles qu'offre notre planète90. On les retrouve surtout sur le littoral, le long de bassins peu profonds qu'irriguent des rivières et où percent de nombreuses îles couvertes de glaciers de montagne et de glaces pérennes. Sur ces terres sans arbres, il est impossible d'échapper au vent. Bon an, mal an, le mercure se maintient sous le point de congélation pendant huit ou neuf mois, et les précipitations totales dépassent à peine les seuils observés en milieu désertique. Selon le Recensement de 2001, le Canada compterait plus de quarante-cinq mille Inuits qui constitueraient environ cinq pour cent de toute la population autochtone du pays159. À l'échelon national, ces peuples sont représentés par l'Inuit Tapiriit Kanatami.

Le legs des pensionnats

L'exercice du droit à l'instruction issu des traités a mené à la création, entre 1892 et 1969, de quelque cent trente-cinq pensionnats66. Les chefs des Premières nations voulaient que des écoles soient construites dans les réserves. Cependant, par souci d'économie, le gouvernement fédéral a plutôt mis sur pied des pensionnats dont il a confié l'administration, par voie d'ententes, à l'Église catholique romaine, à l'Église anglicane, à l'Église méthodiste et à l'Église presbytérienne. Presque tous situés dans les provinces de l'Ouest, ces pensionnats auraient, croit-on, accueilli plus de cent cinquante mille élèves. L'Assemblée des Premières nations évalue à plus de cent cinq mille le nombre actuel de personnes ayant survécu à l'expérience des pensionnats12.

Les pensionnats étaient fondés sur une doctrine qui prévoyait l'assimilation par l'instruction, l'endoctrinement religieux et l'appauvrissement culturel (pratique qui consiste à inculquer aux enfants la honte de leur patrimoine). La violence physique, psychologique et sexuelle sévissait dans ces établissements qui, souvent, offraient des conditions de vie inférieures au niveau normal. Selon d'anciens élèves, la faim marquait souvent le quotidien des enfants, à qui les parents refilaient de la nourriture lors des visites le weekend72. D'autres témoignages font état d'enfants contraints de voler aux cuisines pour manger à leur faim. En outre, l'instruction des élèves était de qualité inférieure. À la fin des années 1950, les pensionnats comptaient encore plus de quarante pour cent d'enseignants qui plus d'un milliard trois cent millions de dollars, et l'organisme évalue qu'il faudra six cents millions de dollars sur trente ans pour s'attaquer n'avaient reçu aucune formation professionnelle66. L'appauvrissement culturel passait par l'imposition de sévices physiques et émotionnels aux élèves qui pratiquaient une langue traditionnelle, par la coupe des cheveux (auxquels les Autochtones confèrent une grande importance sur le plan culturel et spirituel), par l'imposition de pratiques religieuses étrangères ainsi que par la mise à l'écart délibérée des enfants lors des visites de leurs parents.

Encore aujourd'hui, l'expérience des pensionnats a des répercussions néfastes sur les collectivités autochtones. Ces « conséquences intergénérationnelles font référence aux effets des abus sexuels et physiques subis dans les pensionnats et qui ont été transmis aux enfants, aux petits-enfants et aux arrière-petits-enfants de ceux qui ont fréquenté le réseau des pensionnats indiens »65. Il s'agit notamment :

  • de consommation excessive d'alcool et d'autres drogues ;
  • de violences physiques, psychologiques et sexuelles, passées et présentes ;
  • de dévalorisation ;
  • de familles dysfonctionnelles et de relations interpersonnelles perturbées ;
  • de problèmes liés à l'exercice du rôle parental ;
  • de suicide ;
  • de grossesses chez les adolescentes.

La Fondation autochtone de guérison (FAG) a été créée en 1998 dans la foulée de la Commission royale sur les peuples autochtones. Son mandat consiste à financer et à soutenir des initiatives axées sur la guérison des Autochtones. En date de novembre 2005, le gouvernement fédéral avait engagé mille trois cent quarante-six subventions d'une valeur totale de trois cent soixante-dix- huit millions de dollars. De plus, il avait promis l'octroi, au cours des cinq années suivantes, d'une allocation supplémentaire totalisant cent vingt-cinq millions de dollars. Les demandes de financement reçues par la FAG s'élèvent à pleinement au legs des pensionnats. Pour tout renseignement, les lecteurs et lectrices sont priés de consulter le site Web de la FAG : <www.fadg.ca/ > L'Indian Residential School Survivors' Society sur Internet : <www.irsss.ca> (en anglais seulement) est un autre organisme qui offre des ressources aux personnes ayant survécu à l'expérience des pensionnats de même qu'aux personnes qui travaillent dans le domaine de la guérison. Entre autres services, l'organisme dispose d'un service de ligne d'écoute téléphonique sans frais, disponible tous les jours vingt-quatre heures sur vingt-quatre (1-866-925-4419).

En ce qui touche la pratique sensible, les praticiens et praticiennes de la santé qui travaillent auprès des clients ou clientes autochtones doivent être à l'affût des traits de personnalité suivants, qui pourraient dénoter des traumas passés, liés à l'expérience des pensionnats : (a) l'intériorisation inconsciente des comportements appris dans les pensionnats (p. ex., la politesse feinte, l'absence de revendication, la complaisance passive, l'excès de propreté ou l'obéissance irréfléchie) ; (b) les flashbacks et les traumas associatifs (p. ex., les rappels d'images, l'accès d'anxiété, les symptômes physiques ou les réactions de peur provoqués par la vue de certaines choses ou par des odeurs, des aliments, des sons et des personnes en particulier) ; (c) l'aversion ou le sentiment d'infériorité intériorisés à l'égard des Blancs, surtout ceux qui sont en situation d'autorité65.

Les praticiens et praticiennes de la santé sont invités à aborder les personnes d'origine autochtone avec respect et ouverture d'esprit ainsi qu'à prévoir plus de temps que d'ordinaire pour faire les présentations et établir avec ces personnes un rapport fondé sur la confiance. Pour collaborer avec des clients ou clientes autochtones, il est approprié de recourir aux protocoles de pratique sensible qu'énonce le Manuel de pratique, surtout si ces protocoles se doublent d'efforts concertés pour que le praticien ou la praticienne s'éveille aux cultures autochtones et parvienne à mieux les comprendre.

Ressources et ouvrages recommandés Ouvrages sur les Autochtones (tout particulièrement les déclarations de principe produites par Janet Smylie)

Systèmes de santé

Les traités conclus entre le Canada et les Premières nations et Inuits n'abordent pas nommément la question des soins de santé. La seule mention directe du sujet apparaît dans le Traité no 6, signé en 1876 dans les moyennes prairies de la Saskatchewan et de l'Alberta. On y lit « [q]u'il sera tenu un buffet à médicaments au domicile de tout agent des Indiens pour l'usage et l'avantage des Indiens, à la discrétion de tel agent »37. Ce traité a fait l'objet d'actions en justice ultérieures qui ont statué qu'à l'époque de la signature du document, les chefs tentaient de conclure l'entente la plus favorable qui soit pour leurs membres et que, dans cette optique, la clause du traité pouvait signifier la prestation d'un ou de chacun des services nécessaires au maintien de la santé des Premières nations117. L'esprit de la clause « du buffet à médicaments » a été respecté pour l'ensemble des membres des Premières nations et des Inuits.

Par l'entremise de la Direction générale de la santé des Premières nations et des Inuits de Santé Canada, le gouvernement fédéral dispense des services de santé complets aux Premières nations et aux Inuits. La Direction générale prodigue directement des soins aux populations qui vivent dans les réserves. Par ailleurs, elle rembourse aux organismes de santé, provinciaux ou autres, les frais qu'ils engagent pour dispenser des services aux populations qui vivent à l'extérieur des réserves. Ces derniers temps, la reconquête de certaines fonctions d'autonomie gouvernementale par les Premières nations s'accompagne d'un transfert de pouvoirs. Ainsi, le versement de transferts relatifs à la santé à des conseils de Premières nations ou à des conseils tribaux permet aux Premières nations d'administrer les ressources et leur donne le loisir de définir leurs propres besoins sanitaires et de planifier des programmes en conséquence. Ces mesures ne s'appliquent pas aux Indiens non inscrits et aux Métis, qui reçoivent des soins de la part du système de santé de leur province ou territoire.

Croyances des Autochtones en matière de santé

Le cercle d'influences (illustré à la figure 2) est le modèle de santé qu'évoquent le plus souvent la tradition orale des Autochtones de même que les auteurs qui se sont penchés sur la question. Le sol de l'Amérique du Nord est parsemé d'agencements circulaires de pierres qui ont inspiré le concept de cercle d'influences, lequel s'applique autant aux théories concernant la santé qu'à d'autres facettes des traditions autochtones. En raison de sa forme, le cercle d'influences n'a ni début, ni fin, et il en va ainsi de l'état de santé d'une personne. Le cercle compte quatre secteurs : l'intellectuel, l'émotionnel, le spirituel et le physique. Certains Autochtones croient qu'une santé optimale passe par le maintien d'un bon équilibre entre les quatre secteurs. Autrement dit, la personne tombe malade dès qu'un déséquilibre frappe l'un des secteurs. Par ailleurs, en raison des liens et de l'interdépendance qui existent entre les quatre secteurs, il est impossible de dissocier le corps de l'esprit, contrairement à ce qu'avancent de nombreux paradigmes qui régissent les milieux de la santé en Occident. Bon nombre de collectivités et d'organismes autochtones ont conçu des programmes précis fondés sur le modèle du cercle d'influences. Il suffit de parcourir Internet pour constater tout l'éventail des situations et des entités morbides auxquelles peut s'appliquer ce dernier.

FIGURE 2.: Le cercle d'influences
Figure 2 - texte équivalent
  • Physique
  • Spirituel
  • Émotionnel
  • Intellectuel

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