ARCHIVÉ : Chapitre 9 : Leçons de la crise du SRAS – Renouvellement de la santé publique au Canada – Questions d'ordre éthique et juridique soulevées par le sras et les maladies infectieuses au Canada

 


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L'épidémie de SRAS et ses répercussions ont soulevé un certain nombre de questions d'ordre juridique et éthique. Nous commençons par les questions d'ordre juridique, car elles sont plus proches du mandat du Comité et d'un certain nombre de groupes, comme l'Association canadienne des soins de santé, l'Association médicale canadienne et l'Association des pharmaciens du Canada, qui ont exprimé la nécessité de réformes législatives particulières. Les questions d'ordre juridique soulevées par le SRAS militent effectivement en faveur d'un examen approfondi d'un cadre constitutionnel et législatif plus large qui régit la gestion des maladies infectieuses au Canada. Il s'agit notamment de l'efficacité de la législation fédérale et provinciale en vigueur régissant les interventions face aux épidémies de maladies transmissibles, des liens juridiques entre les responsables locaux et provinciaux de la santé publique (voir la demande de précision des responsabilités dans le chapitre précédent), de la constitutionnalité de l'isolement obligatoire, de la quarantaine et des ordres de traitement en vertu des lois fédérales et provinciales à la lumière des garanties de la Charte canadienne des droits et libertés en matière de liberté physique et d'équité de la procédure, de la législation et des règlements en milieu de travail par rapport aux droits de refuser un travail dangereux et la continuation de la rémunération en période de quarantaine ou d'isolement, ainsi que du cadre juridique régissant la protection des renseignements personnels sur la santé en vertu de la Charte, les lois provinciales sur la protection des renseignements personnels et la santé et autres lois régissant le secteur de la santé. Tous ces aspects mériteront notre attention, mais nous nous intéresserons ici à un ensemble plus étroit de questions.

Premièrement, nous revenons, à la suite de l'analyse des chapitres 3 et 4, à certains des instruments juridiques dont nous disposons pour la création d'une infrastructure nationale de détection et de gestion des épidémies de maladies infectieuses. Deuxièmement, une ébauche de document de travail sur la législation fédérale portant sur la surveillance nationale sanitaire (la Loi canadienne sur la protection de la santé) a récemment été diffusée. Nous examinons les incidences de ce projet de loi et les incidences de la législation fédérale en vigueur (la Loi sur la protection des renseignements personnels et la Loi sur la protection des renseignements personnels et les documents électroniques) ainsi que la législation fédérale proposée sur la création d'une base de données nationale pour la surveillance des maladies infectieuses et les rapports des professionnels de la santé. Nous examinons ensuite les aspects des lois en vigueur sur la santé publique dans trois provinces (Colombie-Britannique, Ontario et Québec) qui traitent des épidémies de maladies infectieuses et nous évaluons cette législation par rapport à la Model State Emergency Health Powers Act des Centers for Disease Control and Prevention (CDC) des États-Unis. Le dernier domaine juridique à étudier est la législation fédérale sur les situations d'urgence. Dans la conclusion de ce chapitre, nous revenons aux questions d'éthique et aux leçons retenues de la flambée du SRAS.

9A. Questions générales touchant la législation et la gouvernance

9A.1 Législation et réglementation en tant qu'éléments de l'infrastructure nationale de santé publique

Au chapitre 4, nous avons souligné les éléments fondamentaux de l'infrastructure de santé publique, en montrant qu'il était essentiel de se doter d'un cadre législatif et réglementaire approprié pour donner au Canada une plus forte capacité de coordination et de gestion des interventions face à des épidémies comme celle du SRAS. Actuellement, il existe des systèmes séparés dans chaque province et territoire, ainsi qu'un système fédéral qui fonctionne essentiellement aux frontières internationales du Canada. Ces systèmes sont reliés par un nombre limité d'ententes intergouvernementales, plutôt que par un ensemble systématique d'ententes intergouvernementales axées sur un plan stratégique convenu ou des instruments juridiques officiels qui permettent aux systèmes d'être utilisés collectivement et de détecter les problèmes communs et d'y faire face.

En termes juridiques, nous parlons de la nécessité de se doter de règles de conduite (règles de santé publique) susceptibles d'orienter le comportement de tous les acteurs au sein du système de santé publique - prestataires de soins de santé (médecins, infirmières), établissements de soins (hôpitaux, laboratoires), responsables de la santé publique à tous les paliers de gouvernement (fédéral, provincial et local) et des particuliers pouvant être soumis à des ordonnances de quarantaine et d'isolement. En ce qui concerne la surveillance, citons les règles régissant les éléments suivants : identification des cas (critères uniformes de diagnostic et tests de laboratoire), partage des données (rapidité et procédures de déclaration des nouveaux cas et normes régissant la protection des renseignements personnels) et diffusion des renseignements (responsabilisé de la communication aux auditoires nationaux et internationaux et le contenu de ces communications). Les règles nationales de santé publique sont particulièrement importantes en ce qui concerne la surveillance car elles permettent de donner une image en temps réel de la propagation des maladies infectieuses au niveau national.

Bien évidemment, une infrastructure nationale implique aussi la création de nouvelles institutions de santé publique aux niveaux fédéral et F/P/T. Nous avons déjà abordé ce sujet dans les chapitres précédents. Dans chaque cas, il faudra déployer des efforts considérables pour déterminer comment ces institutions fonctionneront et nous avons supposé, que sur le plan financier, cela représentera un coût non négligeable bien que limité dans le temps.

Au chapitre 4, nous avons examiné le rôle de trois moyens d'action qui sont liés les uns aux autres - contributions, contrats et ententes intergouvernementales. Compte tenu de la nature sensible de la santé publique et de la nécessité d'une véritable cohérence et transparence au sujet des différentes responsabilités, le Comité revient nécessairement ici à un quatrième moyen d'action essentiel - la législation et la réglementation.

Encore une fois, en termes juridiques simples, le parlement fédéral ou une législature provinciale peuvent : a) établir des règles; ou b), déléguer le pouvoir de faire des règles à des entités administratives à l'intérieur du gouvernement (Cabinet, ministères de la santé) ou à l'extérieur de gouvernement (l'agence canadienne de santé publique ou le Réseau canadien des centres de lutte contre les maladies transmissibles). Les règles promulguées par des assemblées législatives prennent la forme de lois, alors que les règles qui sont promulguées par autorité publique exerçant des pouvoirs délégués prennent la forme de mesures règlementaires, de règlements, d'arrêtés, etc. C'est ainsi que la législation peut déterminer les règles de fonctionnement et fixer les responsabilités nécessaires à l'établissement d'une liste de maladies à déclaration ou à désignation obligatoires, tandis que les mesures réglementaires vont déterminer la liste des maladies pertinentes.

L'avantage de la législation est qu'elle régit la conduite des responsables publics, des institutions privées et des particuliers avec ou sans leur consentement. Mais sa limite est d'abord qu'une législature ne peut promulguer que des lois dans des domaines relevant de sa compétence et ensuite, que la législation représente le recours visible par le gouvernement à un pouvoir qui implique des coûts politiques - en particulier dans une fédération comme le Canada où il existe des tensions et des forces centripètes depuis de nombreuses décennies. Comme nous l'avons vu dans les chapitres précédents, au Canada, la division constitutionnelle des responsabilités ne correspond pas toujours au pouvoir de taxation, d'où le recours par les gouvernements fédéraux successifs au pouvoir de dépenser plutôt qu'à l'autorité législative dans le domaine de la santé.

Jusqu'à présent, nos recommandations vont dans le sens de cette tradition. En fait, nous recommandons que le gouvernement fédéral utilise les contributions pour inciter les provinces, les municipalités et les prestataires de soins de santé à participer à une infrastructure et une infostructure nationales (p. ex., fixer des normes relatives à la rapidité et à l'exactitude des renseignements comme conditions, convenir de l'interopérabilité pour créer une capacité d'intervention face à une nouvelle épidémie, partager les ressources des laboratoires, etc.), sans chercher à établir sa propre compétence sur les aspects de santé publique et de la gestion des maladies infectieuses. Ce nouvel apport de fonds s'appuierait sur des structures visant à faciliter la réalisation d'un consensus F/P/T et la création de multiples ententes intergouvernementales sur les paramètres d'une infrastructure de santé publique renouvelée et intégrée. Toutefois, le Comité estime qu'il demeure une question de gouvernance et de pouvoir législatif qui exigera un examen à moyen terme.

9A.2 La gouvernance

Théoriquement, les normes de santé publique pourraient être fixées par le gouvernement fédéral ou par la nouvelle agence agissant sous l'autorité du Parlement. La loi établissant l'agence pourrait établir un ensemble complet de normes de santé publique ou déléguer la promulgation des normes de santé publique au Cabinet, au ministre de la Santé ou à la nouvelle Agence de santé publique du Canada. La Loi l'emporterait sur les lois provinciales de santé publique divergentes, à moins d'être contestée devant les tribunaux et déclarée inconstitutionnelle.

Le projet de loi C-56, la Loi concernant la procréation assistée, est un exemple de ce genre d'approche. Le projet de loi C-56 criminalise certaines conduites (p .ex., le clonage humain). Il permet également certaines « activités réglementées » (p. ex., le traitement du sperme) qui peuvent être accomplies uniquement par des personnes ou des installations autorisées, conformément aux modalités énoncées dans le règlement. Le règlement doit préciser comment les « activités réglementées » seront exercées, réglementant ainsi le travail des professionnels de la santé en rapport avec la procréation assistée. Le projet de loi C-56 peut exiger également des titulaires qu'ils déclarent certains renseignements sur la santé à une nouvelle agence fédérale, l'Agence canadienne de contrôle de la procréation assistée, qui doit tenir un registre des renseignements médicaux personnels pouvant être utilisé pour administrer et faire appliquer la Loi. Bien que ce mécanisme prévoie une contribution provinciale et une délégation de son application aux provinces, l'agence projetée est clairement un organisme fédéral.

Le modèle fédéral serait le moyen le plus efficace d'établir des règles de santé publique uniformes au niveau national, mais il présente des inconvénients dont nous avons déjà parlé. À moins que ses modalités se rapprochent étroitement des mécanismes en collaboration présentés ailleurs dans ce rapport et à moins qu'il s'accompagne d'un mécanisme de financement, le modèle fédéral risquerait d'imposer des mandats fédéraux non financés et susciter une forte opposition de la part des provinces. D'un point de vue stratégique, l'uniformité fédérale pourrait se faire aux dépens de l'innovation et de l'expérimentation provinciales. Les mesures énoncées dans le rapport du Comité devraient permettre au gouvernement fédéral et à ses partenaires provinciaux et territoriaux de regrouper les régimes de santé publique locaux, provinciaux et fédéral actuels en un régime national et d'harmoniser ainsi les règles provinciales et locales en matière de santé publique. Le système imposé par le fédéral pourrait plutôt être considéré comme un moyen de dernier recours si les mécanismes en collaboration et concertés échouaient.

Plutôt que de créer des normes et des règles systémiques, tous les paliers de gouvernement pourraient déléguer leurs pouvoirs à un nouveau groupe directeur. Dans ce cas, les normes de santé publique pourraient être fixées par les gouvernements fédéral, provinciaux et territoriaux agissant collectivement ou par la nouvelle agence canadienne de santé publique. Les autorités locales de santé publique demeureraient en place pour mettre en ouvre des normes de santé publique nationales. Il existe déjà un mécanisme de coopération F/P/T à cette fin, mais il est très informel.

Comment ce mécanisme peut-il être mis en place? Comme nous l'avons vu au chapitre 4, la nouvelle agence financerait et faciliterait la mise en ouvre de normes nationales dans le cadre de diverses initiatives faisant partie du Programme des partenariats en santé publique. Les nouveaux fonds de la Stratégie nationale d'immunisation pourraient servir aux même fins.

Le Réseau F/P/T de lutte contre les maladies transmissibles représente un autre outil, faisant appel à une gouvernance conjointe pour faciliter une concertation d'urgence dans le domaine de la surveillance des maladies et la gestion des foyers épidémiques, lorsqu'une capacité locale et provinciale est essentielle. Il est théoriquement possible mais peu probable que les législateurs fédéraux, provinciaux et territoriaux délèguent des pouvoirs à ce réseau, qui pourrait ensuite réglementer les interventions provinciales et locales en santé publique. En revanche, du fait que la structure de gouvernance du nouveau réseau s'appuie sur des décisions concertées F/P/T, nous nous attendons à ce que le Réseau facilite un processus d'harmonisation des normes de santé publique dans les lois fédérales, provinciales et territoriales. Le processus pourrait à son tour conduire à un renouvellement et une harmonisation des lois.

Toutes ces initiatives supposent que la législation provinciale reste en vigueur et soit modifiée au besoin pour respecter les conditions fédérales ou, idéalement, un nouveau consensus F/P/T. Elles supposent que ni Santé Canada ni la nouvelle agence fédérale n'ont l'autorité légale de réglementer les interventions provinciales, territoriales et locales en santé publique. Et surtout, elles supposent que le SRAS a fait prendre conscience à tous les gouvernements F/P/T que les questions de santé publique devraient être séparées des autres tensions en matière de compétence et réglementées conjointement.

Le Comité accepte le fait que toutes ces entreprises pourraient être compromises si les provinces et les territoires refusaient de se concerter. Il faudra prendre des décisions difficiles au tout début du fonctionnement du réseau, par exemple, sur la question de savoir si la règle de la majorité l'emporte ou si l'on doit adopter une nouvelle norme à l'unanimité. Comme il est expliqué au chapitre 5, il existe déjà depuis de nombreuses années un processus F/P/T concernant la surveillance des maladies, mais qui n'a réalisé que des progrès limités sur un certain nombre d'importantes questions. On peut donc se poser la question suivante : quelle est la solution de rechange si ces nouveaux investissements ne permettent pas de réaliser des progrès?

À cet égard, l'option évidente est « la loi fédérale par défaut ». Les normes de santé publique « par défaut » seraient fixées par le gouvernement fédéral en tenant compte des conseils de la nouvelle agence. Les règles provinciales s'appliqueraient si elles étaient « très semblables » ou « équivalentes » aux normes de santé publique nationales, permettant ainsi à l'innovation et à l'expérimentation provinciales de s'exercer tout en garantissant l'existence de normes nationales. La législation fédérale comprendrait sans doute une liste des maladies à déclaration obligatoire et stipulerait les conditions dans lesquelles l'information serait partagée pour que le gouvernement fédéral respecte ses obligations nationales et internationales. Les autorités locales de santé publique resteraient en place pour mettre en ouvre les normes nationales. La Loi sur le tabac, le projet de Loi sur la procréation assistée, la Loi sur la protection des renseignements personnels et les documents électroniques et la Loi canadienne sur la protection de l'environnement offrent des exemples d'une législation fédérale qui établit une position fédérale par défaut à laquelle ne correspond pas aucun mécanisme semblable ou équivalent dans les provinces. Ce modèle permettrait aux lois provinciales de l'emporter sur la loi fédérale en cas de chevauchement - une inversion de la norme selon laquelle la loi fédérale l'emporte sur les lois provinciales en cas de chevauchement des compétences. Les tribunaux n'ont pas étudié la constitutionnalité de ces dispositions.

La législation fédérale par défaut ouvre une voie médiane qui garantit à la fois la création d'un minimum national et permet des variantes provinciales. Toutefois, du fait que la législation fédérale imposerait des obligations légales aux autorités provinciales et locales de santé publique, cette stratégie susciterait encore une opposition des provinces et des territoires à moins de réaliser suffisamment de progrès dans l'application des nouveaux mécanismes de financement et dans l'établissement de stratégies et de réseaux pour permettre l'émergence d'un consensus sur une législation provinciale de référence et des responsabilités fédérales connexes qui seraient contenues dans les dispositions fédérales par défaut. En revanche, si l'on ne fait pas suffisamment de progrès malgré l'investissement de millions de dollars, nous croyons que les Canadiens s'attendront à ce que le gouvernement fédéral établisse un cadre plus précis pour définir son propre rôle et adopter la législation par défaut correspondante pour les interactions F/P/T.

Mais cette analyse laisse une question en suspens : mises à part les diverses questions d'ordre politique et pratique abordées ci-dessus, le gouvernement fédéral dispose-t-il d'une base constitutionnelle pour légiférer dans le domaine de la santé publique?

9B. Questions de compétence

9B.1 Contexte

Comme nous l'avons indiqué au chapitre 3, les quelques références explicites contenues dans la Constitution du Canada sur les questions touchant la santé accordent une compétence aux deux paliers de gouvernement. La Constitution confère une compétence sur les « hôpitaux » et les « asiles » aux provinces et la compétence sur la « quarantaine » et les « hôpitaux de marine » au gouvernement fédéral. Étant donné que l'objectif des rédacteurs de la Constitution de 1867 était de créer deux paliers de gouvernement ayant des domaines de compétence indépendants, ces dispositions peuvent être interprétées comme une division de la compétence sur la santé publique, les provinces régissant les questions de santé publique locales et le gouvernement fédéral s'occupant des risques pour la santé publique présents aux frontières internationales du Canada (d'où les références à la quarantaine et aux hôpitaux de marine).

Au fil du temps, les décisions des tribunaux ont confié la compétence sur de nombreux aspects de la réglementation en matière de soins de santé aux provinces. Les tribunaux ont soutenu que les provinces possèdent une compétence sur la santé publique, notamment les lois pour la prévention des épidémies de maladies transmissibles et l'hygiène. Les provinces ont exercé cette compétence pour effectuer une surveillance sanitaire (y compris les rapports et le suivi), des enquêtes sur les foyers épidémiques, les quarantaines, l'isolement et les traitements obligatoires. Les tribunaux ont également accordé aux provinces une compétence sur d'autres domaines connexes : toxicomanie (notamment les lois sur le traitement non volontaire), la santé mentale (notamment les lois sur l'enfermement non volontaire), la profession médicale (notamment l'exercice de la médecine), la santé et la sécurité au travail, la réglementation des aliments pour des raisons sanitaires, la sécurité des patients et les hôpitaux. La Cour suprême a déclaré que les provinces ont compétence sur « les soins de santé dans la province en général, y compris les questions de coût et d'efficience, la nature du système de prestation des soins de santé et la privatisation de la prestation des services médicaux », ainsi que « les programmes d'assurance hospitalière et médicale ».

Ces domaines de compétence provinciale sont bien établis. Le fondement de la compétence provinciale est le pouvoir de la province de réglementer « les droits civils et de propriété ». Les tribunaux ont interprété ce pouvoir de façon très large en y incorporant les droits dont jouissent les personnes en vertu de la common law en matière de responsabilité civile délictuelle (p. ex., le droit à l'intégrité corporelle, qui est en jeu dans les cas de négligence médicale et de coups et blessures), de contrat et de propriété. Toute loi de santé publique qui empiète sur ces droits de common law relève de la compétence provinciale.

Malgré ces pouvoirs importants accordés aux provinces pour réglementer en matière de santé publique, les tribunaux ont également sanctionné clairement le rôle du gouvernement fédéral. En fait, la Cour suprême a déclaré que « les questions liées à la santé » ne relèvent pas exclusivement de la compétence fédérale ou provinciale » et que « le Parlement et les législatures provinciales peuvent légiférer en toute validité » dans le domaine de la santé.

Le fondement le plus solide de la compétence fédérale sur la gestion des épidémies de maladies infectieuses est le pouvoir fédéral en matière de droit criminel, mais on peut également invoquer valablement l'argument du pouvoir fédéral de légiférer pour la « paix, l'ordre et le bon gouvernement » du Canada (le pouvoir en matière de POBG). Pour beaucoup, les instruments du droit pénal - portant traditionnellement sur les interdictions criminelles, la police, les poursuites judiciaires et les sanctions criminelles - ne semblent pas adaptés à la collecte de renseignements et aux objectifs de traitement qui sous-tendraient une infrastructure nationale de surveillance des maladies infectieuses. Cela renvoie au concept du dix-huitième siècle selon lequel les praticiens de la santé publique jouent le rôle de « police médicale » comme nous l'avons vu au chapitre 3! Le pouvoir en matière de POBG, qui a été interprété de façon à permettre au gouvernement fédéral de traiter des questions ayant des « dimensions nationales », semble convenir davantage à une intervention fédérale. Toutefois, l'importance du pouvoir en matière de droit pénal par rapport à la compétence fédérale est fonction de l'histoire constitutionnelle du Canada.

9B.2 Santé publique et pouvoir en matière de droit pénal

Bien que la Constitution attribue au gouvernement fédéral de vastes pouvoirs, comme le pouvoir en matière de POBG et le pouvoir de réglementer « le trafic et le commerce », les tribunaux ont traditionnellement interprété ces pouvoirs de façon extrêmement étroite, contrairement au pouvoir fédéral en matière de droit pénal qui a été interprété de façon très large et, par voie de conséquence, est devenu le fondement constitutionnel d'un large éventail de lois fédérales. C'est ainsi que le pouvoir fédéral en matière de droit pénal est le fondement constitutionnel d'une grande diversité de lois en dehors du contexte traditionnel du droit pénal, notamment l'ancienne Loi relative aux enquêtes sur les coalitions, la Loi sur la concurrence, la Loi canadienne sur la protection de l'environnement et les lois sur la santé comme la Loi sur les aliments et drogues, la Loi sur les produits dangereux, la Loi sur le tabac et le projet de loi C-56, Loi concernant la procréation assistée. L'intervention de la Cour suprême face au recours fréquent du gouvernement fédéral au pouvoir en matière de droit pénal a consisté dans bien des cas à en élargir encore le champ d'application.

Les applications antérieures du pouvoir fédéral en matière de droit pénal aux questions sanitaires ont concerné les produits qui posent un risque pour la santé humaine. Mais par le biais du pouvoir en matière de droit pénal, le Parlement a déjà émis des règlements qui visent les risques pour la santé humaine que posent d'autres personnes (p. ex., les interdictions du Code criminel concernant les agressions et les meurtres). Par analogie, le Parlement pourrait régir les personnes qui compromettent le bien-être de la population en ayant contracté une maladie infectieuse.

La Cour suprême a déclaré que « le champ d'application du pouvoir fédéral de créer une législation pénale concernant les questions de santé est étendu », et a établi un critère à trois volets pour déterminer si une loi fédérale est dans les limites du pouvoir fédéral en matière de droit pénal : (a) La loi interdit-elle une activité? (b) Le fait de contrevenir à cette interdiction entraîne-t-il des conséquences pénales? et (c) L'interdiction est-elle motivée par le droit pénal?

Autrement dit, du point de vue de la politique publique, la principale limite au pouvoir en matière de droit pénal est qu'il exige la création d'infractions criminelles. Les infractions au droit pénal font normalement partie du modèle traditionnel de la réglementation du droit pénal qui consiste à (a) interdire une conduite qui est (b) clairement énoncée dans la loi et (c) appliquée au moyen de poursuites criminelles après coup, (d) devant un tribunal pénal. Ce modèle ne convient pas pour des lois de santé publique.

Toutefois, la Cour suprême a récemment confirmé, en vertu du pouvoir en matière de droit pénal, des lois qui lient les interdictions criminelles à des régimes de réglementation étendus, dans le cas des armes à feu et de la protection environnementale. Ces mécanismes sont très éloignés du modèle traditionnel du droit pénal et permettent d'éviter de recourir aux poursuites criminelles. Le projet de loi C-56, Loi concernant la procréation assistée (traité plus en détail plus haut) est un exemple de loi relevant du droit pénal qui réglemente les soins de santé et prévoit un régime de réglementation étendu.

Bien entendu, la législation sur la santé publique n'a pas les mêmes objectifs que ce qui est visé traditionnellement par le droit pénal. Mais pour être une loi pénale, une loi doit être promulguée pour l'une des raisons suivantes : « paix publique, ordre, sécurité, santé ou moralité ». Les lois de santé publique sont évidemment promulguées à des fins sanitaires. La Cour suprême a même récemment assoupli encore le critère : la loi doit avoir maintenant été promulguée pour affermir les « valeurs fondamentales », une norme que toute loi de santé publique respecterait sans aucun doute.

Un des avantages possibles de fonder la législation fédérale sur le pouvoir en matière de droit pénal est que l'on peut réglementer des activités strictement intraprovinciales, contrairement à la dimension nationale du pouvoir en matière de POBG (analysé plus loin) qui permet à la législation fédérale de réglementer les activités interprovinviales. Le principal exemple est le Code criminel lui-même, qui régit évidemment la criminalité dans n'importe quelle province. La Loi sur les aliments et drogues et le projet de loi C-56 interdisent également les activités à l'intérieur d'une province.

Cependant, les tribunaux qui examineront la législation fédérale vérifieront s'il ne s'agit pas d'une tentative déguisée du gouvernement fédéral de réglementer des domaines de compétence provinciale (p. ex., la pratique de la médecine). La législation devrait donc être rédigée de façon à éviter les domaines dans lesquels le gouvernement fédéral ne peut prétendre à une compétence concurrente.

9B.3 Santé publique et pouvoir en matière de POBG

Deux aspects du pouvoir du gouvernement fédéral en matière de paix, d'ordre et de bon gouvernement (POBG) sont applicables à la santé publique et aux maladies infectieuses : (a) l'aspect « situation d'urgence », qui donne au parlement fédéral la compétence de promulguer, de façon temporaire, des lois qui seraient normalement de compétence provinciale en cas de crise nationale et (b) l'aspect « dimensions nationales », qui donne au parlement fédéral la compétence de promulguer des lois dans des domaines qui concernent le Canada en général.

L'aspect situation d'urgence du pouvoir en matière de POBG prévoit la division des pouvoirs au moment d'une crise, en conférant une autorité de « commandement et de contrôle » au gouvernement fédéral. Cela s'applique à la santé publique, dans la mesure où les tribunaux ont désigné les épidémies et la pestilence comme des situations sanitaires permettant d'invoquer ce pouvoir, mais le seuil est très élevé et n'est donc pas applicable dans la plupart des situations. Surtout, l'aspect situation d'urgence du pouvoir en matière de POBG ne peut être exercé que pendant la durée de la crise. Par conséquent, cet aspect du pouvoir en matière de POBG ne pourrait pas servir de fondement constitutionnel pour imposer la production de rapports dans un système de surveillance nationale et d'autres éléments d'une infrastructure nationale de santé publique.

L'aspect dimensions nationales du pouvoir en matière de POBG est séduisant sur le plan intuitif. C'est lui que la plupart des personnes interrogées ont invoqué, en termes non juridiques, lorsqu'elles se sont adressées au Comité au sujet de l'obligation du Canada de légiférer dans le domaine de la santé publique. Les tribunaux n'ont eu recours que très rarement à cet aspect du pouvoir en matière de POBG pour confirmer la législation fédérale, mais il offre un certain potentiel comme fondement d'une réglementation fédérale renouvelée de santé publique, en particulier pour la gestion des maladies infectieuses. Les critères pour l'aspect dimensions nationales est que (a) le domaine à réglementer doit posséder un caractère unique, distinctif et indivisible qui le distingue clairement des questions de compétence provinciale et (b) le domaine à réglementer doit avoir une incidence sur la compétence provinciale telle qu'elle est conciliable avec la répartition des pouvoirs.

Lorsqu'ils ont interprété l'aspect dimensions nationales du pouvoir en matière de POBG, les tribunaux ont énoncé un certain nombre de principes qui concernent d'éventuelles lors sur la santé publique. La Cour suprême a invoqué l'idée « d'incapacité provinciale » qui, prise littéralement, laisse à penser que le pouvoir en matière de POBG permet au gouvernement fédéral d'agir lorsque les provinces ne le peuvent pas. Mais l'interprétation privilégiée est que le pouvoir en matière de POBG permet au gouvernement fédéral d'agir seul lorsque les provinces pourraient légiférer mais ne le souhaitent pas. Deux situations de ce genre sont (a) les débordements interjuridictionnels et (b) les mesures collectives fédérales-provinciales. Chacune de ces situations pourrait s'appliquer à la surveillance des maladies infectieuses et la gestion des épidémies. Un débordement est une situation où le fait qu'une province n'a pas réglementé une activité comme elle l'aurait dû a des effets négatifs dans d'autres provinces, dans les territoires fédéraux ou dans d'autres pays. Selon la Cour suprême, le parlement fédéral peut légiférer si « l'incapacité d'une province à traiter efficacement des aspects intraprovinciaux d'un problème pourrait avoir un effet négatif sur des intérêts extra-provinciaux » (italiques ajoutés). Aucune explication n'est nécessaire ici dans le contexte du SRAS.

Les cas d'actions collectives se produisent quand (a) des problèmes de politique publique chevauchent les compétences fédérales et provinciales et exigent une intervention fédérale-provinciale concertée et (b) le mécanisme conjoint serait inefficace dans toutes les parties du pays si une province devait refuser de participer. On peut soutenir que l'incapacité continue du gouvernement fédéral et des provinces de se mettre d'accord sur un système national de surveillance (voir le chapitre 5) est un exemple de ce genre de problème d'action collective fédérale-provinciale.

La principale limitation de l'aspect dimensions nationales du pouvoir en matière de POBG est le fait que le domaine à réglementer doit être relativement étroit et confiné, de façon à ne pas trop empiéter sur la compétence provinciale. Cela soulève d'importantes questions de conception pour une législation nationale en matière de santé publique.

9B.4 L'impératif international

Le SRAS nous a fait prendre conscience de la dimension internationale de la lutte contre les maladies infectieuses et, selon le conseiller juridique du Comité, donne du poids à l'argument constitutionnel pour la promulgation d'une loi fédérale de santé publique dans le cadre de l'aspect dimensions nationales du POBG : la Cour suprême a établi que lorsqu'un traité international stipule qu'une question stratégique chevauche les compétences provinciales et fédérales, l'argument en faveur de la compétence fédérale est beaucoup plus fort. Pour le moment, les traités internationaux sur la santé publique qui traitent de la gestion des maladies infectieuses sont de faible portée. Le Règlement sanitaire international de l'Organisation mondiale de la santé (OMS) impose un certain nombre d'obligations juridiques contraignantes aux États membres de l'OMS pour limiter la progression internationale des maladies infectieuses, mais ce règlement ne vise que la fièvre jaune, la peste et le choléra.

Ce Règlement sanitaire international était en cours de révision avant le SRAS et est en train d'être réexaminé à la lumière de cette épidémie. Les propositions provisoires n'ont pas encore été publiées. Toutefois, un document de travail de l'OMS indique que le nouveau Règlement sanitaire international exige des États membres qu'ils se dotent d'un système national de surveillance :

Pour une détection rapide de risques à l'échelle nationale qui peuvent devenir des crises de santé publique ayant des répercussions internationales, chaque pays devrait se doter d'un système national de surveillance qui fournit très rapidement des données de la périphérie aux gouvernements centraux. ... Le système devrait pouvoir également analyser ces données et faciliter une prise de décision rapide.

L'accent mis par l'OMS sur l'importance d'obtenir des données nationales exactes et complètes, recueillies en temps réel sans égard aux frontières provinciales, vient renforcer l'argument en faveur d'une compétence fédérale au Canada. De plus, dans un autre document, l'OMS propose que le Règlement sanitaire international révisé prévoie les « exigences de base minimum » pour ces systèmes nationaux de surveillance. L'obtention rapide de données exacte et complètes est d'une importance primordiale :

Détection et rapports : Les maladies inhabituelles et/ou inattendues ou risques pour la santé publique dans toutes les collectivités doivent être détectées et tous les renseignements essentiels doivent être immédiatement déclarés au niveau d'intervention de santé publique approprié (p. ex., salle de crise, travailleur de la santé dans les villages, etc.).

Intervention- le premier niveau d'intervention de santé publique : doit avoir la capacité de vérifier l'événement ou le risque signalé et commencer à mettre en ouvre immédiatement des mesures de contrôle préliminaires. Chaque événement ou risque doit être évalué immédiatement et s'il s'agit d'une urgence, tous les renseignements disponibles et essentiels doivent être immédiatement signalés au centre de coordination national désigné.

Intervention- niveau national et international : Tous les rapports d'événements ou de risques urgents doivent être évalués au niveau national dans les 24 heures. Si l'événement ou risque répond à un des paramètres suivants concernant les crises de santé publique ayant des répercussions internationales, l'OMS doit être avertie immédiatement au moyen du centre de coordination national :

  • Un événement grave et inhabituel ou inattendu.
  • Un risque important de progression à l'échelle internationale.
  • Un risque important de restriction du libre mouvement des personnes, des transmissions ou des marchandises dans le cadre des voyages ou du trafic internationaux.

L'OMS stipule également que les systèmes nationaux de surveillance sanitaire devraient posséder un « centre de coordination unique » chargé de communiquer en permanence l'information à l'OMS. Cette structure de communication internationale ne ferait que souligner la nécessité d'une infrastructure nationale dans laquelle toute l'information est collectée de façon centralisée. Cela milite encore une fois en faveur de la compétence fédérale.

9B.5 Autres bases de la législation fédérale

Le gouvernement fédéral exerce une compétence sur « la quarantaine et l'établissement et l'entretien des hôpitaux de marine ». Ce pouvoir est le fondement constitutionnel de la Loi sur la quarantaine fédérale. Le champ d'application de ce pouvoir n'est pas précis car il n'a pas fait l'objet d'un litige constitutionnel. On a d'abord considéré qu'il était limité à la quarantaine maritime, étant donné la juxtaposition de « quarantaine » et « hôpitaux de marine ». Même si les moyens de transport internationaux ont changé, on continue de penser qu'il est confiné à la quarantaine à l'entrée et à la sortie du Canada. Un nouveau règlement en vertu de la Loi sur la quarantaine a déjà été publié pour répondre à la crise du SRAS (voir également le chapitre 11). Il reste à voir si cette Loi pourrait être élargie en se fondant sur l'argument des voyages interprovinciaux.

Le dernier fondement de la compétence fédérale sur la santé publique est son pouvoir de réglementer les échanges et le commerce. Cette disposition donne au gouvernement fédéral le pouvoir de réglementer l'activité économique interprovinciale et internationale, y compris l'interdiction du commerce interprovincial. Sous réserve de la Charte, cela permettrait au gouvernement fédéral d'interdire l'importation d'articles qui transportent des maladies infectieuses (si les maladies étaient transportées par des animaux ou des produits, par exemple).

9B.6 L'analogie américaine

Le Comité a demandé aux CDC de dire s'ils avaient compétence pour enquêter de lui-même sur une flambée épidémique ou si sa participation n'intervenait que sur la demande d'aide d'un État ou d'un territoire. Nous avons également demandé quels pouvoirs le gouvernement fédéral américain possédait pour pouvoir intervenir de lui-même, en l'absence d'une invitation de l'État ou des États touchés. Les CDC ont répondu comme suit :

« Normalement, les CDC demande au département de la santé de l'État l'autorisation de mener des activités à l'intérieur de ses frontières. Les CDC demande cette autorisation que l'activité ait lieu dans un État ou plusieurs, que la présence du personnel des CDC soit réelle ou virtuelle et que l'invitation à participer vienne de l'État ou d'une agence ou d'un organisme extérieur. Cette politique se fonde sur le lien constitutionnel entre les gouvernements fédéral et des États. Alors que les états détiennent les pouvoirs de police, c'est-à-dire l'autorité pour tous les gouvernements des États de promulguer des lois et de promouvoir des règlements pour protéger la santé, la sécurité et le bien-être de ses citoyens à l'intérieur de ses frontières, le gouvernement fédéral se réserve l'autorité de réglementer les questions de commerce entre les États. »1

9B.7 Législation fédérale par défaut

L'adoption anticipée d'une loi fédérale imposant des obligations non financées aux provinces et aux territoires ou retirant aux provinces leur autorité sur la santé publique, irait à l'encontre du cadre de concertation qui sous-tend nos recommandations. Le Comité se veut optimiste en pensant que si la surveillance sanitaire et la gestion des épidémies étaient laissées aux professionnels de la santé travaillant à Santé Canada et aux ministères de la Santé provinciaux et territoriaux, l'entente serait raisonnablement rapide et complète. Ces questions peuvent et doivent être séparées du reste des relations F/P/T par la création d'une Agence de santé publique du Canada et du Réseau F/P/T de lutte contre les maladies transmissibles.

La nécessité d'une législation fédérale pourrait être diminuée non seulement par l'assemblage fragmentaire d'un système de règles nationales au moyen des mécanismes décrits, mais par des initiatives intergouvernementales visant à actualiser et harmoniser la législation. Pour ce faire, nous croyons que le gouvernement fédéral devrait mettre en ouvre une initiative intergouvernementale limitée dans le temps afin de renouveler le cadre législatif de la surveillance des maladies et de la gestion des épidémies au Canada, en l'élargissant idéalement à des crises sanitaires plus importantes pour commencer.

Ce n'est que si ces initiatives ne réussissaient pas à produire un système national de normes et de règles de santé publique que nous recommanderions que le gouvernement fédéral adopte une législation allant dans le sens de la « loi fédérale par défaut » présentée plus haut. Nous supposons que de nombreuses provinces seront d'accord avec l'essentiel de ces réformes législatives et l'objectif de création d'un système national et que la loi par défaut ne s'appliquerait ainsi qu'aux provinces qui n'ont pas encore entrepris la modernisation et l'harmonisation nécessaires.

Notre hésitation découle non seulement d'une croyance profonde (et peut-être naïve) dans le fédéralisme fiscal coopératif, mais également de deux autres observations.

Premièrement, les épidémies sont combattues au niveau local. Le SRAS n'a pas été contenu par Santé Canada mais par les organismes de santé publique et les établissements de soins locaux. En raison de sa vaste étendue et de son hétérogénéité culturelle, le Canada ne peut pas gérer les maladies infectieuses comme Hong Kong ou Singapour. C'est pourquoi une loi fédérale risquerait d'être inefficace si elle était générale et plus préjudiciable qu'utile si elle était exagérément prescriptive.

Deuxièmement, et en corollaire, nous ne croyons pas que le gouvernement fédéral pourrait ordonner aux responsables de la santé publique provinciaux et municipaux d'administrer une loi fédérale de santé publique. Les lois fédérales confèrent en effet aux responsables provinciaux beaucoup de discrétion ou une discrétion assujettie à des critères spécifiques, et la Cour suprême a confirmé les lois fédérales qui emploient les deux approches. Mais dans ce cas-ci, nous envisageons une loi fédérale de santé publique qui imposerait des obligations aux autorités de la santé publique provinciales et municipales (p. ex., l'obligation de partager les renseignements sur la surveillance des maladies avec leurs homologues des autres provinces et du fédéral). Le meilleur exemple d'une loi fédérale qui impose des obligations aux autorités provinciales est le Code criminel, qui impose un nombre considérable d'obligations de ce genre à la police aux procureurs généraux provinciaux, en passant par les avocats de la Couronne. Il existe d'autres précédents en dehors du Code criminel d'une réglementation fédérale imposant des obligations aux responsables provinciaux. Lors de contestations antérieures de la constitutionnalité des lois fédérales par les provinces, l'imposition des obligations aux responsables provinciaux n'a pas été en soi remise en cause. Par conséquent la Cour suprême n'a jamais abordé de front cette question. Mais la très grande majorité des arrangements de co-administration ou de co-gestion a été établie de façon consensuelle, en partant du principe que les gouvernements provinciaux ne sont pas subordonnés au gouvernement fédéral. Sur le plan politique, la notion selon laquelle les responsables provinciaux et locaux de santé publique devraient exécuter des politiques fédérales sans y avoir consenti s'attaque à l'idée même du fédéralisme.

9C. Législation fédérale existante et proposée

9C.1 Le projet de Loi canadienne sur la protection de la santé

Santé Canada a récemment fait connaître les propositions d'une nouvelle Loi canadienne sur la protection de la santé. La protection de la santé est actuellement régie par onze lois fédérales. Santé Canada a estimé que le mécanisme actuel n'est pas satisfaisant pour plusieurs raisons. La révision des lois est en cours depuis 1998. Les consultations publiques commenceront cet automne pour se terminer en décembre 2003 au plus tôt et pourraient se prolonger jusqu'en mars 2004. À partir des résultats de ces consultations, Santé Canada rédigera un texte qui sera rendu public en 2005, avant de passer par le processus législatif.

La révision a pour but d'abroger et de remplacer quatre lois - Loi sur les aliments et drogues, Loi sur les produits dangereux, Loi sur la quarantaine et Loi sur les dispositifs émettant des radiations - par une seule loi, la Loi canadienne sur la protection de la santé.

Le document de travail contient les procédures permettant d'intervenir en cas de maladies transmissibles dont pourraient être porteurs des personnes qui entrent au Canada ou en sortent, ainsi que les garanties pertinentes pour assurer la conformité à la Charte des droits et libertés. Compte tenu de l'autorité constitutionnelle du gouvernement fédéral sur les déplacements interprovinciaux, le document de travail laisse à penser que les dispositions régissant la quarantaine s'appliqueraient également aux mouvements traversant les limites provinciales et territoriales du Canada, en apportant certaines modifications. Toutefois, le document ne revendique pas d'autres prétentions à la compétence fédérale sur cette base.

Le document de travail contient également la suggestion que la Loi canadienne sur la protection de la santé « pourrait définir le rôle du gouvernement fédéral dans le cadre d'une collaboration avec d'autres autorités publiques au Canada ou à l'étranger pour créer un cadre national de surveillance coordonnée de la santé publique. » Plus précisément, Santé Canada pourrait, « en coopération avec d'autres parties intéressées » créer un système national de surveillance sanitaire. La surveillance sanitaire et la recherche comprendraient les activités suivantes :

  • créer et appuyer des réseaux nationaux et internationaux et y participer;
  • promouvoir l'utilisation de techniques, d'outils analytiques, de modèles, de définitions et de protocoles normalisés;
  • assurer la surveillance des phénomènes de santé qui relèvent de plusieurs compétences;
  • lancer des programmes pour répondre à des nouvelles urgences ou priorités;
  • établir, maintenir et administrer des systèmes d'échange de renseignements;
  • réaliser des enquêtes nationales.

La Loi autoriserait le ministre de la Santé à conclure des ententes avec les provinces au sujet de ces questions, notamment des ententes concernant la délégation des pouvoirs d'exécution aux responsables provinciaux.

Par conséquent, le document de travail laisse la réglementation intra-provinciale de la santé publique aux systèmes de santé publique existants. L'infrastructure nationale serait créée dans le cadre de négociations et d'une collaboration, les liens intergouvernementaux étant régis par les ententes fédérales-provinciales. Ces ententes constitueraient des documents officiels précisant les modalités de coopération et qui seraient accessibles au public et dont le contenu pourrait être dicté dans les lois.

Les mesures prévues dans la Loi canadienne sur la protection de la santé proposée visant à officialiser l'approche intergouvernementale à l'égard de la surveillance nationale et de la rendre plus transparente sont très louables. La disposition sur les ententes d'exécution entre les gouvernements fédéral et provinciaux en particulier représente une évolution positive. Ces ententes sont conformes aux mécanismes recommandés dans ce rapport et donnent l'autorité juridique voulue pour les mettre en place. Malheureusement, il n'est pas fait mention dans le document ni d'un organisme ni d'un réseau du type proposé aux chapitres 4 et 5. Au minimum, l'option de l'agence pourrait être mise de l'avant pour les raisons déjà invoquées.

9C.2 Législation fédérale sur la protection des renseignements personnels et la santé publique

Le système national de surveillance sanitaire impliquerait la collecte d'un volume considérable de renseignements médicaux personnels. Par conséquent, il risquerait de déclencher l'application de la législation sur la protection des renseignements personnels régissant les secteurs privé et public.

LPRPDE : La Loi sur la protection des renseignements personnels et les documents électroniques (LPRPDE) est une nouvelle loi qui réglemente la collecte, l'utilisation et la communication des « renseignements personnels » par diverses entités non gouvernementales, dont des sociétés, des associations, des partenariats, des syndicats et des particuliers. Il n'est pas précisé clairement où et comment la LPRPDE s'applique aux prestataires de soins de santé. Dans la mesure où la LPRPDE s'applique, ses dispositions semblent conçues pour assurer la pérennité des obligations de rendre compte propre aux professionels de la santé en vertu des lois fédérales et provinciales. Toutefois, la LPRPDE pourrait encore entraver la surveillance en raison des sévères restrictions à la collecte sans consentement des renseignements. Nous traitons de cet aspect plus en détail ci-dessous.

La LPRPDE est entrée en vigueur le 1er janvier 2001 et ne s'applique actuellement qu'au secteur privé réglementé au niveau fédéral (compagnies aériennes, banques, radiodiffusion, etc.), ainsi qu'aux transferts de renseignements interprovinciaux (p. ex., communication de renseignements personnels sur la santé par les professionnels de la santé aux assureurs privés) et aux transferts de renseignements internationaux. Mais elle s'appliquera à toutes les entités visées par son champ d'application le 1er janvier 2004.

Le principe fondamental de la LPRPDE est qu'une personne doit donner son consentement à la collecte, l'utilisation et la communication de ses renseignements personnels. La principale cible de la LPRPDE est l'entreprise privée. Mais la LPRPDE a suscité la controverse dans le secteur de la santé car sa définition de renseignements personnels comprend les « renseignements personnels sur la santé », qui sont définis comme suit :

  1. tout renseignement ayant trait à la santé physique ou mentale d'une personne;
  2. tout renseignement relatif aux services de santé fournis à la personne;
  3. tout renseignement relatif aux dons de parties du corps ou de substances corporelles faits par la personne, ou tout renseignement provenant des résultats de tests ou d'examens effectués sur une partie du corps ou une substance corporelle de la personne;
  4. tout renseignement recueilli dans le cadre de la prestation de services de santé à la personne;
  5. tout renseignement recueilli fortuitement lors de la prestation de services de santé à la personne.

Cette définition extrêmement large des renseignements sur la santé vise tout renseignement sur la santé d'une personne, quel que soit le mode de collecte des renseignements. Les autres renseignements obtenus fortuitement lors de la prestation de services de santé - p. ex., le nom, l'adresse ou le numéro de la carte de santé - seraient également visés.

Si la LPRPDE s'applique au secteur de la santé sans but lucratif, elle remet éventuellement en cause la légalité d'une grande diversité de pratiques actuellement utilisées pour collecter les renseignements. L'Association canadienne des soins de santé, par exemple, a fait valoir qu'il pourrait être ainsi difficile de mesurer les résultats et la qualité des soins. L'Association des pharmaciens du Canada a indiqué que la LPRPDE risque d'empêcher les prestataires de présenter des demandes de remboursement au nom des patients. Les intervenants ont également indiqué que l'exigence du consentement risque de nuire à la communication entre les membres d'une équipe qui traite un patient (Association médicale canadienne) ou entre les différents professionnels de la santé (Ministère de la Santé et des soins prolongés de l'Ontario). Les IRSC ont dit craindre que certaines des dispositions de la LPRPDE imposent un fardeau trop lourd aux chercheurs.

Ces préoccupations laissent à penser que les rédacteurs de la LPRPDE n'ont pas prêté suffisamment attention aux problèmes particuliers au secteur de la santé. Le gouvernement du Canada n'a pas abordé clairement ces préoccupations ces derniers mois - ce qui n'est guère propice à susciter la confiance dans sa capacité à légiférer prudemment en matière de santé publique. Les principaux intervenants ont demandé à la place de la LPRPDE une loi qui s'appliquerait au secteur de la santé ou que le règlement de la LPRPDE en précise l'application au secteur de la santé. Il est urgent de répondre à ces préoccupations, car la Loi entrera bientôt pleinement en vigueur.

À ces préoccupations nous ajoutons le fait que la LPRPDE pourrait nuire aux déclarations des professionnels de la santé dans le cadre d'un système de surveillance des maladies infectieuses. Ces obstacles pourraient surgir non seulement à l'égard des nouvelles obligations de faire rapport imposées par la législation fédérale, mais également à l'égard des obligations de faire rapport déjà en vigueur dans la législation provinciale.

Le rapport préparé pour le Comité par le professeur Choudhry traite plus en détail de ces questions. Nous aborderons ici trois points seulement. Premièrement, les professionnels de la santé sont peut-être en partie protégés par le fait que la LPRPDE vise essentiellement les activités commerciales et que les renseignements en cause doivent être recueillis, utilisés ou communiqués « dans le cadre » de l'activité. Toutefois, les professionnels de la santé sans but lucratif qui concluent des contrats commerciaux impliquant le transfert de renseignements personnels sur la santé (p. ex., hôpitaux concluant un contrat avec des laboratoires et des pharmacies appartenant à un investisseur) pourraient déclencher l'application de la LPRPDE à l'égard de ces liens. Deuxièmement, il semble que la forme du consentement demandée par la LPRPDE est susceptible de varier, les renseignements sensibles exigeant un consentement explicite. La LPRPDE désigne clairement les « dossiers médicaux » comme des renseignements sensibles. Troisièmement, la LPRPDE permet la communication sans consentement si elle est nécessaire « aux fins du contrôle d'application du droit canadien, provincial ou étranger » ou « pour l'application du droit canadien ou provincial. » Ces exceptions s'étendraient probablement aux communications exigées par les textes législatifs provinciaux ou fédéraux en matière de santé publique à condition que ces lois imposent cette obligation. La communication sans consentement est également permise « pour répondre à une situation d'urgence mettant en danger la vie, la santé ou la sécurité de tout individu ». Cela pourrait s'appliquer aux déclarations de maladies infectieuses lors d'une épidémie, mais pas à la surveillance normale des maladies.

Si une obligation de déclaration en vertu de lois provinciales en vigueur entrait en conflit avec la LPRPDE, celle-ci prévaudrait. Une province ne peut pas « se retirer » de la LPRPDE à moins que le gouvernement fédéral conclut qu'elle a promulgué un texte de loi qui est « essentiellement similaire » à la LPRPDE. Du fait que la LPRPDE n'est pas encore entrée pleinement en vigueur dans les provinces, on ne s'est pas encore penché sur la façon dont le gouvernement fédéral abordera la question de savoir si les lois provinciales sont essentiellement similaires. Toutefois, l'interprétation que donne le Commissaire à la protection de la vie privée de « essentiellement similaire » est que la législation provinciale doit assurer la protection des renseignements personnels de façon « égale ou supérieure » à ce qui est prévu dans la LPRPDE.

En conclusion, la LPRPDE pourrait compliquer considérablement la collecte de renseignements pour la surveillance des maladies en vertu des textes de loi sur la santé publique, en particulier la législation provinciale, et son incidence sur les déclarations de maladies infectieuses par les prestataires doit être expliquée.

Loi sur la protection des renseignements personnels et le projet de la Loi canadienne sur la protection de la santé. Une fois que les renseignements sur la santé sont transmis à un nouvel organisme fédéral, ou au gouvernement fédéral, ils peuvent être assujettis à la Loi sur la protection des renseignements personnels fédérale ou aux mesures de protection des renseignements personnels proposées dans le document de travail provisoire sur la Loi canadienne sur la protection de la santé.

Les renseignements personnels sur la santé signalétiques sont ceux qui identifient une personne ou dont on peut raisonnablement s'attendre à ce qu'ils l'identifient (par des croisements de données). Ces renseignements sont en jeu dans la surveillance des maladies infectieuses. La Loi canadienne sur la protection de la santé proposée accorderait à Santé Canada le pouvoir de recueillir des renseignements personnels signalétiques sur la santé. Le système national de surveillance des maladies infectieuses administré par Santé Canada ou par un organisme indépendant devrait également s'appuyer sur une base législative pour recueillir les renseignements personnels signalétiques sur la santé.

La Loi canadienne sur la protection de la santé proposée énonce les principes qui devraient régir la collecte et l'utilisation des renseignements signalétiques. Le consentement informé est la norme présomptive fondée sur la divulgation des raisons pour lesquelles les renseignements sont recueillis. La collecte, l'utilisation et la communication sans consentement des renseignements personnels signalétiques sur la santé sont assujetties à des critères de nécessité. Ils ne sont permis que si (a) cette utilisation sans consentement est nécessaire pour promouvoir un objectif légitime de santé publique, (b) l'objectif ne peut être atteint au moyen de renseignements personnels non signalétiques sur la santé et (c) l'intérêt public en matière de santé publique l'emporte sur tout préjudice causé à la personne concernée. La collecte, l'utilisation et la communication des renseignements personnels signalétiques sur la santé ne doivent empiéter sur le principe de la protection des renseignements personnels que dans la mesure voulue pour répondre à l'objectif de santé publique. Ce principe de proportionnalité comporte plusieurs dimensions : recueillir ou communiquer aussi peu de renseignements signalétiques que possible pour répondre à l'objectif de santé publique; convertir le plus rapidement possible les données pour qu'elles n'identifient plus la personne et limiter l'accès aux renseignements personnels signalétiques sur la santé; interdire l'utilisation de renseignements personnels signalétiques sur la santé pour prendre des décisions sur une personne dans d'autres contextes (p. ex., prestations d'invalidité, crédits d'impôt sur le revenu, etc.) et prendre des précautions à propos de ceux à qui Santé Canada communique des renseignements pour prévenir l'utilisation inappropriée ou toute autre communication à des fins non autorisées.

La Loi sur la protection des renseignements personnels actuellement en vigueur ne répond pas complètement à ces principes. Comme nous l'avons vu au chapitre 4, une nouvelle agence fédérale de santé publique serait assujettie à la Loi si un règlement le prescrivait. Les dispositions sur le consentement sont plus faibles que celles envisagées dans la nouvelle loi et il n'existe pas de critère particulier de nécessité pour la collecte, l'utilisation ou la communication des renseignements personnels. La communication sans consentement est permise « aux fins auxquelles ils ont été recueillis ...ou pour les usages qui sont compatibles avec ces fins, » ou « aux fins qui sont conformes avec des lois fédérales ou ceux de leurs règlements ». Par conséquent, l'importance de l'objectif, la nécessité d'utiliser des renseignements signalétiques et la pondération des avantages obtenus par rapport au préjudice causé à la personne ne sont pas mentionnés ni envisagés. La Loi sur la protection des renseignements personnels n'impose pas l'obligation juridique de recourir aux mesures qui protègent le mieux la vie privée, comme la dépersonnalisation, le principe de l'accès sélectif, etc.

Le document de travail sur la Loi canadienne sur la protection de la santé traite également de la question de la communication des renseignements personnels signalétiques sur la santé entre différents gouvernements. On y indique que Santé Canada pourrait recueillir et utiliser les renseignements qui lui sont fournis par d'autres gouvernements sans le consentement de la personne, lorsque ces renseignements sont fournis par un autre gouvernement « exécutant une fonction de santé publique » et si l'autre gouvernement est autorisé au départ par la loi à recevoir des renseignements sans consentement. La communication sans consentement de Santé Canada à d'autres gouvernements ou institutions publiques serait permise dans des cas bien particuliers - lorsque le consentement serait impraticable ou irait à l'encontre de l'objectif législatif et lorsque l'intérêt public en matière de santé publique l'emporterait sur le préjudice causé à la personne.

La loi fédérale proposée est donc liée à certains égards aux lois provinciales sur la protection des renseignements personnels et les renseignements sur la santé. Les incohérences dans les lois provinciales conduiront à leur tour à un manque d'uniformité dans les renseignements communiqués au gouvernement fédéral. Ce sont des préoccupations de ce genre qui ont conduit le Conseil consultatif sur l'infostructure de la santé à demander dans son Rapport final (1999) l'harmonisation des lois provinciales et fédérales sur la protection des renseignements personnels.

9C.3 Sommaire

Deux textes de lois fédéraux essentiels sur la protection des renseignements personnels se retrouvent de chaque côté d'une ligne de partage. L'une est trop générale et restrictive, alors que l'autre ne respecte pas les principes de protection qui ont été énoncés dans la proposition de la Loi canadienne sur la protection de la santé. La législation fédérale sur la protection des renseignements personnels doit être modifiée pour permettre la création d'un système national de surveillance des maladies infectieuses. Il n'est pas certain que la LPRPDE s'applique aux prestataires de soins de santé. Si elle s'applique, elle risque de remettre en question l'obligation de rapport imposée aux professionnels de la santé par les lois fédérales et provinciales, en raison de ses restrictions sévères à l'égard de la collecte sans consentement des renseignements. Il serait facile de surmonter les difficultés que pose la LPRPDE en ce qui concerne les obligations fédérales de rapport en utilisant une formulation appropriée. Mais, selon le cas, la LPRPDE l'emporterait sur les lois de santé publique provinciales. De plus, les provinces n'ont pas la capacité de « se retirer ». Les difficultés que risque de poser la LPRPDE à la santé publique et à la surveillance des maladies font partie d'un ensemble plus vaste de préoccupations concernant son application au secteur de la santé. Il y a lieu de procéder le plus rapidement possible à un examen de son application au secteur de la santé qui aboutirait à une loi fédérale séparée sur la protection des renseignements sur la santé ou des modifications à la LPRPDE.

D'autre part, la collecte, l'utilisation et la communication sans consentement de renseignements personnels signalétiques sur la santé par le gouvernement fédéral ou par des organismes fédéraux devraient respecter les principes de nécessité et de proportionnalité. La Loi sur la protection des renseignements personnels ne tient pas compte de ces principes. La Loi canadienne sur la protection de la santé proposée les respecterait, sauf pour ce qui est du traitement des données communiquées au gouvernement fédéral par les provinces lorsque les incohérences dans la législation provinciale sur la protection des renseignements personnels deviendraient problématiques.

Mais de toute façon, au moment où le Canada se décide à mettre en ouvre un système national de surveillance des maladies plus rigoureux, il y a lieu d'examiner la législation fédérale sur la protection des renseignements personnels sur la santé et de la modifier ou d'en préciser l'applicabilité.

9D. Législation provinciale sur les épidémies de maladies infectieuses

9D.1 Contexte

Un grand nombre de lois et de règlements fixent le cadre juridique dans lequel les autorités provinciales, les professionnels de la santé et les particuliers agissent pour gérer les épidémies de maladies. Dans la foulée du SRAS, on doit se poser la question de savoir si ce cadre juridique donne aux autorités de la santé publique les outils nécessaires pour s'attaquer aux épidémies de maladies infectieuses, tout en respectant les droits à la protection des renseignements personnels et à la liberté physique des personnes assujetties à la législation sur la santé publique.

Un rapport récent préparé pour Santé Canada et intitulé "A Compendium of the Canadian Legislative Framework for the Declaration and Management of infectious Diseases"contient un résumé des dispositions pertinentes dans plusieurs lois provinciales. Le Comité a demandé au professeur Choudhry d'évaluer la législation sur la santé publique de la Colombie-Britannique, de l'Ontario et du Québec par rapport au Model State Emergency Health Powers Act (Modèle de loi sur les pouvoirs d'urgence sanitaire) des Centers for Disease Control and Prevention (CDC) des États-Unis. Ce modèle n'est sans doute pas luimême exempt de défauts, mais il constitue un point de repère possible et une base d'analyse.

9D.2 Le Model State Emergency Health Powers Act

Les CDC ont récemment publié le Model State Emergency Health Powers Act qui se veut un modèle que peuvent utiliser les législatures des états pour moderniser et mettre à jour leur législation sur la santé publique. Le Model Act fait partie d'un projet plus vaste visant à examiner l'infrastructure de santé publique aux États-Unis à la suite des attaques terroristes du 11 septembre 2001. Même avant le 11 septembre, une étude universitaire faisant autorité avait conclu que les lois de santé publique des États avaient un besoin pressant de révision car elles n'étaient plus adaptées aux idées contemporaines sur la surveillance des maladies, la prévention et les interventions, n'accordaient pas suffisamment d'importance à la vie privée et à la liberté, étaient souvent fragmentées (plusieurs lois en vigueur dans un même État appliquant différentes normes à différentes maladies) et n'exigeaient pas de planification des situations d'urgence en santé publique (notamment des mécanismes de communication et de coordination entre États et à l'intérieur des états et une attribution précise des responsabilités).

L'examen du conseiller juridique a porté sur les dispositions du Model Act traitant des déclarations de maladies et du partage des renseignements avec d'autres juridictions. Les dispositions en question sont résumées ci-dessous.

  • Rapports : Les éléments pertinents des rapports sont notamment les suivants : (a) le déclarant, (b) l'événement déclencheur de la déclaration, (c) les maladies à déclarer, (d) le moment de la déclaration, (d) les renseignements à fournir et (e) le destinataire de la déclaration..
    • Le déclarant : Le Model Act impose l'obligation de déclaration aux « prestataires de soins de santé », qui comprennent les institutions (hôpitaux, cliniques et cabinets de médecins, installations spéciales de soins, laboratoires médicaux) et des personnes (médecins, pharmaciens, dentistes, aides médecins, infirmières praticiennes, infirmières autorisées et autres, personnel paramédical, techniciens ambulanciers ou de laboratoire et ambulanciers et urgentistes) qui assurent les services de soins de santé. La définition n'est pas exhaustive - elle pourrait s'appliquer à d'autres personnes et institutions qui ne figurent pas sur la liste du Model Act et qui offrent ces services. Les coroners et les médecins légistes sont également obligés de faire rapport.
    • Événement déclencheur du rapport : Il doit y avoir un rapport dans « tous les cas de personnes qui sont porteuses d'une maladie ou dont l'état de santé est susceptible de provoquer une situation d'urgence de santé publique ». Le Model Act n'exige pas que la personne souffre de la maladie et vise donc des personnes qui ont été simplement exposées ou infectée par la maladie. Mais il exige que la personne soit porteuse de la maladie. Un « soupçon raisonnable » ou la possibilité que la personne « puisse » être porteuse de la maladie ne semble pas suffisant.
    • Maladies à déclaration obligatoire : L'obligation de rapport s'étend à « toute maladie ou état de santé susceptible de provoquer une situation d'urgence de santé publique ». Les maladies à déclaration obligatoire comprennent notamment une liste de biotoxines publiée par le gouvernement fédéral américain et toute maladie ou état de santé désigné par les autorités de santé publique. Une crise de santé publique - un concept clé du Model Act - est définie comme suit :

      Un événement ou une menace imminente de maladie ou état de santé qui :
      1. est considéré comme étant causé par :
        1. le bioterrorisme; (N.B. : bioterrorisme est également défini);
        2. l'apparition d'un agent infectieux ou d'une toxine biologique nouveaux ou déjà contrôlés ou éradiqués;
        3. une catastrophe naturelle;
        4. une attaque chimique ou un rejet accidentel;
        5. une attaque ou un accident nucléaire;
      2. implique la forte probabilité d'un des dommages suivants :
        1. un grand nombre de décès dans la population touchée;
        2. un grand nombre de handicaps graves ou prolongés dans la population touchée;
        3. une exposition généralisée à un agent infectieux ou toxique qui représente un risque important pour un grand nombre de personnes dans la population touchée.
    • Moment de la déclaration : Dans les 24 heures.
    • Destinataire de la déclaration : La déclaration doit être faite à « l'autorité de santé publique », qui est l'autorité de santé publique de l'État ou toute autorité de santé publique locale.
    • Les renseignements à fournir : La déclaration doit comprendre : la maladie ou l'état de santé; le nom, la date de naissance, le sexe, la race, la profession et les adresses au domicile et au travail du patient, le nom et l'adresse de la personne qui fait la déclaration et tout autre renseignement requis pour retrouver le patient aux fins d'un suivi.
    • Partage des renseignements avec d'autres compétences : Le Model Act exige qu'une autorité publique de l'état avertisse les autorités fédérales si elle « est informée d'une maladie à déclaration obligatoire ou d'un état de santé, d'un groupe d'infections inhabituel ou d'un événement suspect susceptibles de provoquer une crise de santé publique ». La portée des renseignements à partager est limitée par un critère de nécessité - soit des « renseignements nécessaires au traitement, à la maîtrise, à l'enquête et à la prévention d'une crise de santé publique ».

9D.3 Évaluation initiale des lois provinciales à la lumière du Model Act

Nous examinons plus loin les différences observées entre le Model Act et les lois de santé publique de la Colombie-Britannique, de l'Ontario, et du Québec.

Le déclarant : Le Model Act impose l'obligation de déclaration à une grande diversité de personnes et d'institutions dans le secteur de la santé. La législation de Colombie-Britannique, de l'Ontario et du Québec suit généralement ce modèle, mais par des moyens légèrement différents. La loi de l'Ontario est très semblable au Model Act, en ce sens qu'elle dresse une liste exhaustive de ceux qui sont obligés de faire une déclaration. Par contre, la Colombie-Britannique impose cette obligation à « toute personne ». Cette dernière disposition a l'avantage de la souplesse et de l'adaptabilité à un contexte en évolution constante de professionnels de la santé institutionnels et individuels, mais au dépens de la précision et de la responsabilisation. La loi du Québec (qui a été adoptée récemment) soulève un autre type de préoccupation - les seuls professionnels de la santé obligés de faire une déclaration sont les médecins. Les infirmières et autres professionnels de la santé susceptibles d'être les premiers à identifier un cas d'infection semblent n'avoir aucune obligation en ce sens. De même, les administrateurs d'hôpitaux ne semblent pas non plus être obligés de faire rapport, malgré leur responsabilité générale à l'égard des institutions qu'ils gèrent.

Événement déclencheur : Dans le cadre du Model Act, l'événement déclencheur est une personne qui est porteuse d'une maladie, ce qui comprend les personnes qui ont été infectées et souffrent de la maladie. En Colombie-Britannique, seuls les médecins sont obligés de signaler les cas d'infection; les autres obligations s'appliquent à une personne qui souffre d'une maladie transmissible ou qui en est morte. Il semble que les autres prestataires de soins de santé n'ont pas à signaler les cas d'infection. De même, en Ontario, seuls les médecins et les administrateurs d'hôpitaux semblent être obligés de signaler les cas d'infection. Les laboratoires peuvent avoir à le faire, selon les résultats d'un test. Il est à supposer que le libellé assez vague de la loi du Québec sur les déclarations en cas de soupçon « d'une menace pour la santé de la population » comprendrait les infections.

Liste des maladies à déclaration obligatoire : Le Model Act ayant été rédigé dans le contexte du 11 septembre 2001, il vise plus particulièrement les crises de santé publique, en particulier celles causées par le bioterrorisme. En ce sens, ce n'est pas un bon modèle pour une loi de santé publique générale. La Colombie-Britannique, l'Ontario et le Québec semblent exiger la déclaration de maladies très sembables. Un des problèmes réside dans le fait que les événements déclencheurs ne sont pas toujours définis. Par exemple, en Ontario, on ne définit pas « épidémie de maladies transmissibles » tout comme on ne définit pas « épidémie de maladie ou événement » en Colombie-Britannique. L'absence de définition favorise la flexibilité, mais peut conduire à une insuffisance ou à un excès de rapports.

Moment de la déclaration : Le Model Act exige les rapports dans les 24 heures, sans doute parce qu'il vise surtout les menaces biologiques. En Colombie-Britannique, on prévoit des délais précis qui vont de 24 heures à 7 jours. Le Québec a une norme uniforme de 48 heures à l'échelle de la province. En Ontario et au Québec, le libellé est vague : « le plus tôt possible » et « promptement », ce qui nuit à la précision et à la responsabilisation.

Destinataire du rapport : Le Model Act exige que les rapports soient adressés à l'autorité de santé publique de l'État afin de faciliter la centralisation des données. En Colombie- Britannique, en Ontario et au Québec, les renseignements doivent être adressés dans leur grande majorité au médecin hygiéniste (Colombie-Britannique, Ontario) ou au directeur de la santé publique (Québec). Par conséquent, les lois de santé publique dans ces provinces facilitent également la centralisation des données.

Les renseignements à fournir : Les lois des trois provinces donnent une description assez détaillée de ce qui doit être déclaré.

Obligation de partager les renseignements avec d'autres compétences : Le Model Act exige que les autorités fédérales soient averties d'une crise de santé publique. Les lois provinciales ne régissent pas les situations de crise, mais elles devraient prévoir une certaine obligation de la part des responsables provinciaux de fournir des renseignements à leurs homologues provinciaux et fédéraux. Selon les renseignements contenus dans le « A Compendium of the Canadian Legislative Framework for the Declaration and Management of Infectious Diseases », ces obligations n'existent pas. Mais cela ne veut pas dire que dans la pratique, ces communications ne se produisent pas.

En conclusion, les lois provinciales de santé publique se comparent assez bien au modèle du CDC. Certains écarts sont probablement attribuables au fait que le Model Act se concentre sur les nouvelles possibilités. Il y a lieu cependant d'envisager une certaine normalisation entre les provinces en ce qui concerne les délais et les obligations juridiques de partager des données avec les homologues fédéraux et provinciaux dans le contexte de l'examen intergouvernemental de la législation sur la santé publique recommandé plus haut.

9E. Crises sanitaires fédérales

Au chapitre 5, nous avons évoqué la Loi sur la protection civile (R.S. 1985, c. 6 (4e supp.) adoptée en 1988. Cette loi impose aux ministres des obligations rigoureuses pour « établir les grandes orientations et les programmes nécessaires pour assurer un état de préparation convenable à l'échelon national ». Elle stipule également une responsabilité de liaison avec les provinces et un rôle de coordination du gouvernement fédéral. Elle s'harmonise avec la Loi sur les mesures d'urgence fédérale (R.S. 1985, c. 22 (4e supp.) qui a reçu la sanction royale en 1989 et a remplacé la Loi sur les mesures de guerre controversée.

La Loi sur les mesures d'urgence décrit diverses catégories de crises. La plus notable est la sous-catégorie de sinistre : «Situation de crise comportant le risque de pertes humaines et matérielles, de bouleversements sociaux ou d'une interruption de l'acheminement des denrées, ressources et services essentiels d'une gravité telle qu'elle constitue une situation de crise nationale, causée par les événements suivants ou par l'imminence de...maladies affectant les humains, les animaux ou les végétaux...» Une « crise nationale » est à son tour définie comme un « concours de circonstances critiques à caractère d'urgence qui met gravement en danger la vie, la santé ou la sécurité des Canadiens et échappe à la capacité ou aux pouvoirs d'intervention des provinces. »

On peut avancer que l'efficacité du gouvernement fédéral à coordonner des crises sanitaires de portée nationale est compromise par l'absence de législation spécifique. Lors d'une véritable crise sanitaire nationale, Santé Canada dispose de deux options très différentes pour assurer la fonction de commandement et de contrôle nécessaire à une intervention nationale. Les responsables y voient avec une certaine frustration des options trop extrêmes. La première, la mise en ouvre de la Loi sur les mesures d'urgence, ne peut être utilisée que dans des cas d'une très grande gravité, comme nous l'avons vu. La Loi sur les mesures d'urgence confère de très vastes pouvoirs au gouvernement fédéral et n'a pas été invoquée depuis son adoption. La deuxième option consiste essentiellement à « demander » la collaboration des partenaires de la santé publique.

L'Association médicale canadienne a fait valoir dans un mémoire détaillé que les gestionnaires des crises ont besoin d'une plate-forme législative en matière de santé publique qui se situe entre ces deux extrêmes et facilite une intervention concertée à tous les paliers de gouvernement. Elle propose une Loi sur les situations d'urgence sanitaire spécifique prévoyant des paliers successifs de responsabilité et de compétence pour le fédéral à mesure que la crise s'étend et s'aggrave. En se fondant sur son mémoire et un document technique confidentiel, le Comité estime que la proposition implique une consultation des provinces et des territoires à toutes les étapes et un consentement provincial et territorial pour une demande de compétence limitée aux urgences sanitaires de faible niveau. Le Comité convient avec certains répondants qui ont indiqué que le seuil établi par l'Association médicale canadienne pour une compétence fédérale sans consentement devrait être revu à la hausse, mais cette modification n'invalide pas le concept sous-jacent.

En étant le palier de gouvernement chargé de protéger l'intérêt national, le gouvernement fédéral a toute légitimité pour agir seul lorsqu'une épidémie de maladies infectieuses risque d'avoir des ramifications interprovinciales et internationales. De plus, il bénéficie d'un avantage institutionnel comparatif pour régler les questions de nature interprovinciale ou internationale. De même, l'action des autorités de santé publique provinciaux est tout à fait légitime face à des épidémies qui ont des incidences essentiellement locales. Un mécanisme d'intervention progressive du fédéral compléterait, plutôt que de remplacer, les structures provinciales, territoriales et municipales de santé publique actuelles et contribuerait encore une fois à les réunir en un système national.

Plus tôt dans ce chapitre, nous avons exprimé notre réticence face à l'idée qu'un responsable fédéral de la santé publique commande les autorités de santé publique provinciales, territoriales et locales pour des questions de surveillance des maladies par exemple. Mais en cas de crise de santé publique, lorsque ces pouvoirs ne seraient exercés que temporairement et seulement après avoir constaté que la gravité de la situation pose un véritable danger pour la santé des Canadiens et qu'elle ne peut pas être gérée autrement, ces objections ne tiennent plus.

Tel qu'elle est proposée, la Loi canadienne sur la protection de la santé ne contient aucune disposition sur les crises sanitaires. Cela est dû en partie au fait qu'elle découle d'une interprétation assez étroite de la compétence fédérale, à savoir la compétence sur le mouvement des personnes au niveau international et interprovincial, alors que les crises de santé publique peuvent avoir une ampleur plus considérable. L'Association médicale canadienne dans sa proposition permet au gouvernement fédéral d'empiéter sur la compétence provinciale en cas de crise très grave. Le fondement constitutionnel d'une législation fédérale sur les situations d'urgence serait l'aspect situation d'urgence des pouvoirs en matière de POBG.

Le Comité croit que la proposition de l'Association médicale canadienne est intéressante et recommande que dans le cadre du renouvellement législatif déjà en cours, deux mesures soient prises. Premièrement, l'initiative intergouvernementale en matière de législation de santé publique devrait tenir compte de la législation de crise existante dans le contexte des crises de santé publique dans un but d'harmonisation entre les provinces et les territoires. Deuxièmement, on devrait envisager d'activer une loi fédérale sur les crises sanitaires concurremment aux lois de crise provinciales en cas d'urgence sanitaire pan-canadienne. Nous laissons aux experts le soin de décider si cela relève de la Loi canadienne sur la protection de la santé proposée, d'une loi établissant la nouvelle agence canadienne de santé publique, des deux ou d'une loi complètement séparée.

9F. Questions d'ordre éthique soulevées par le SRAS

L'épidémie de SRAS a provoqué un certain nombre de problèmes d'éthique. Les décideurs ont dû faire la part entre les libertés personnelles et le bien commun, les craintes pour la sécurité personnelle et l'obligation de traiter les malades et les pertes économiques et la nécessité de contenir la propagation d'une maladie mortelle. Des décisions ont souvent été prises en ne disposant que d'une information limitée et dans des délais très courts.

Un groupe de travail du Joint Centre for Bioethics de l'Université de Toronto a décidé de tirer les leçons sur le plan éthique des difficultés de la crise et des réponses aux SRAS à Toronto2. Ce groupe de travail a défini les cinq catégories générales de questions d'éthique soulevées par le SRAS :

  • Santé publique et libertés civiles : Dans certains cas, la protection de la santé publique l'emporte sur certains droits de la personne, comme la liberté de mouvement. En santé publique, la forme la plus extrême est la mise en quarantaine non volontaire.
  • La protection des renseignements personnels et le besoin du public d'être informé : Chacun a droit à sa vie privée, mais l'État peut temporairement suspendre ce droit en cas de graves risques pour la santé publique, lorsque la communication de renseignements médicaux personnels contribuera à protéger la santé publique.
  • Obligation de soigner : Les professionnels de la santé ont l'obligation de soigner les malades tout en réduisant la possibilité de transmettre les maladies à ceux qui ne sont pas infectés. Les institutions ont quant à elles l'obligation réciproque de soutenir les travailleurs de la santé et de les protéger pour les aider à faire face à la situation et reconnaître leur contribution.
  • Le problème des dommages collatéraux : En raison des restrictions imposées à l'entrée dans les hôpitaux touchés par le SRAS, certains n'ont pas reçu les soins médicaux dont ils avaient besoin, parfois pour des maladies graves. Les visites aux patients dans les hôpitaux touchés par le SRAS étaient également limitées. Les décideurs étaient confrontés à des obligations d'équité et de proportionnalité au moment de prendre des décisions devant tenir compte du préjudice possible causé par ces restrictions et de l'avantage de contenir la propagation du SRAS par une intervention rapide et définitive.
  • Interdépendance mondiale : Le SRAS montre clairement le risque croissant des nouvelles maladies et leur propagation rapide et l'obligation notamment de renforcer le système de santé mondial pour lutter contre les maladies infectieuses pour le bien de tous les pays.

Le groupe de travail propose d'élaborer un cadre de travail sur l'éthique qui porterait sur les cinq questions ci-dessus et ferait en sorte que le Canada soit mieux préparé à faire face aux futures crises sanitaires impliquant des maladies très contagieuses.

Quatre de ces points méritent d'être développés.

Libertés civiles : Au cours des deux épidémies de SRAS, on a demandé aux praticiens de la santé, aux patients et aux familles de se placer en quarantaine chez eux pendant dix jours afin de réduire le risque de contaminer la collectivité par une maladie infectieuse. La fourniture généralisée de masques jetables, l'auto-surveillance et la quarantaine à la maison (limiter les contacts à ceux qui sont nécessaires pour assurer les soins) et les restrictions apportées aux rassemblements sont parmi les autres stratégies qui ont été utilisées. Bien que la Loi sur la protection et la promotion de la santé3 accorde aux responsables le pouvoir d'imposer la quarantaine, on n'a pas eu à recourir à cette solution une seule fois.

Appliquant le principe de réciprocité, la société a le devoir de donner son soutien et de trouver d'autres solutions pour ceux dont on a enfreint les droits dans le cadre d'une quarantaine. Il est intéressant de noter qu'à la suite de leur quarantaine, certains praticiens de la santé ont dit se sentir déconnectés de la situation de l'organisation4. Des groupes de réflexion de travailleurs de première ligne ont également révélé que certaines personnes en quarantaine voulaient contribuer à la lutte contre le SRAS en communiquant avec les patients et les familles pour les soutenir et répondre aux questions ou en les aidant à entrer en contact avec d'autres.

La protection des renseignements personnels : Les déclarations de maladies lors d'une épidémie comportent un risque de divulgation de renseignements confidentiels. Les frontières de la vie privée varient d'une personne à l'autre. Pour certains, le risque d'atteinte à la vie privée n'existe que si la confidentialité n'est pas assurée et que cela conduit à une dépréciation sociale ou à une perte d'emploi. Pour d'autres, l'atteinte à la vie privée est inacceptable qu'il en résulte un préjudice ou non5. Quoi qu'il en soit, selon le principe de proportionnalité, les autorités doivent utiliser la méthode la moins importune pour atteindre leur objectif. Des lois comme la Loi sur la protection et la promotion de la santé interdisent la communication de renseignements personnels sauf dans des circonstances très précises pour le bien public ou si la divulgation du nom d'une personne permet de renforcer la protection.

Pendant l'épidémie du SRAS, les services de santé publique de Toronto ont divulgué le nom de deux personnes seulement - ceux du cas de référence de Toronto décédé et de son fils décédé, et avec le consentement éclairé des membres de la famille survivants, étant entendu que cette mesure exceptionnelle était nécessaire pour protéger la santé publique. Un nombre inconnu de gens avaient assisté à une veillée funéraire au domicile du cas de référence décédé et les autorités de santé publique n'avaient aucun moyen de communiquer avec eux personnellement pour les informer qu'ils avaient été exposés, pour surveiller les symptômes possibles et leur enjoindre de rester chez eux pendant dix jours. La plupart des autres membres de la famille étaient déjà hospitalisés et trop malades pour donner suffisamment de détails. Deux cas probables de SRAS se sont présentés eux-mêmes aux services de santé publique de Toronto à la suite de cette annonce. Les deux étaient des travailleurs de la santé qui auraient pu propager le virus avec les résultats catastrophiques que l'on imagine. Ces anecdotes montrent bien les conditions difficiles dans lesquelles ces décisions sont prises.

Devoir de soigner : Les prestataires de soins de santé ont constamment pesé les divers risques pour leur propre santé et celle de leurs familles par rapport à leur obligation de soigner les patients atteints du SRAS. Un pourcentage important de cas probables de SRAS étaient des prestataires de soins de première ligne. Les infirmières et les médecins étaient particulièrement vulnérables. Environ 168 praticiens de la santé ou plus de 40% des personnes infectées étaient des travailleurs de la santé. Le code de déontologie de l'Association médicale canadienne demande aux médecins de « tenir compte d'abord du mieux-être du patient »6, alors que le code de déontologie de l'Association des infirmières et infirmiers du Canada stipule que « les infirmières doivent veiller à la promotion de la santé et du bien-être des personnes, des familles ou des collectivités dont elles s'occupent »7. D'autres professions de la santé au Canada ont envisagé ou adopté des codes semblables. Mais le SRAS nous a appris que ces devoirs déontologiques doivent être contrebalancés par un devoir compensatoire : celui de ne pas faire courir de risques aux autres en venant travailler malade ou potentiellement contagieux. Les limites de ce devoir restent toutefois imprécises : à quel moment le devoir de soigner est-il contrebalancé par le droit de refuser des tâches dangereuses? En quoi le devoir de soigner est-il modifié par les circonstances et les obligations professionnelles des différents travailleurs de la santé?

Tout comme les praticiens de la santé doivent traiter les malades, les organismes de la santé ont le devoir réciproque de soutenir et de protéger leurs travailleurs. Pour ce faire, il faut fournir l'équipement de sécurité nécessaire et la formation voulue sur son utilisation, donner de l'information sur les risques et la nécessité de prendre des précautions et assurer un milieu de travail sûr. Malgré les efforts considérables que de nombreux établissements ont déployés en matière de communication interne et de garanties pour les travailleurs de la santé, la question de la santé et de la sécurité au travail a suscité de graves tensions. Celles-ci auraient pu être évitées en grande partie car elles faisaient suite aux directives sur les masques N95 et les essais d'ajustement qui étaient plus rigoureuses qu'il n'était nécessaire ou jugées comme tel. Les organismes de soins ont offert divers soutiens psychologiques à leur personnel, mais bon nombre de ces mesures ont été prises après le SRAS, plutôt que pendant l'épidémie elle-même. Ce qui est également ressorti très clairement de cette expérience est que les travailleurs de la santé assiégés dans une crise de ce genre appréciaient énormément et méritaient tout le soutien de la collectivité et des dirigeants politiques ainsi que des collègues et des administrateurs.

Effets secondaires : Les problèmes d'ordre déontologique posés par les effets secondaires des soins apportés aux patients du SRAS sont nombreux. Par exemple, l'Association catholique canadienne de la santé a fait remarquer dans son mémoire les graves effets sur de nombreux patients, leurs amis et leurs familles causés par les restrictions imposées aux heures de visite. Il était particulièrement difficile de prendre ce genre de décision dans les unités de soins intensifs8. Selon le principe d'équité, les décideurs devaient établir un équilibre entre d'une part contrôler la propagation de la maladie et d'autre part les droits des patients non infectés d'obtenir des soins médicaux, en particulier des services d'urgence. Les énormes souffrances humaines causées par la perturbation du système se cachent derrière les statistiques du chapitre 8. Ces effets sont compensés par la très grande probabilité que la propagation incontrôlée du SRAS aurait pu tuer des milliers de gens. Ces compromis rendent très difficile l'application d'un formalisme excessif aux décisions prises en rétrospective. Il n'en reste pas moins qu'un cadre déontologique quelconque pourrait s'avérer utile à l'avenir aux décideurs.

À cette liste le Comité aimerait ajouter deux autres questions.

Premièrement, l'Association canadienne des médecins microbiologistes a souligné les problèmes d'éthique soulevés dans le cadre de la recherche sur l'épidémie de SRAS. Les questions soulevées recoupent les institutions et les organismes et nécessitent une coordination sans précédent pour des examens accélérés de l'éthique des protocoles de recherche et des projets d'enquête sur les épidémies.

Deuxièmement, la réputation du milieu scientifique et la collaboration des chercheurs pose également des difficultés sur le plan de l'éthique pendant une épidémie. Par exemple, alors que de nombreux cliniciens universitaires luttaient contre l'épidémie de SRAS à Toronto, les chercheurs testaient les échantillons qui inondaient le Laboratoire national de Winnipeg et collaboraient avec le Centre for Disease Control et les experts en génomique de Colombie- Britannique rémunérés par l'agence du cancer de Colombie- Britannique pour séquencer la souche du coronavirus de Toronto. L'Université de Colombie-Britannique a ensuite acheté une page entière de publicité pendant l'épidémie pour s'attribuer le mérite de la découverte. Nous avions donc une situation où certains universitaires menaient une bataille pour tout le Canada contre un nouvel agent infectieux, pendant que d'autres s'occupaient de donner des conseils scientifiques pour éviter la propagation de l'épidémie et d'autres encore profitaient brillamment de la présence des spécimens et des données pour le bien de tous, s'appropriant une gloriole scientifique par la même occasion. Comme peut-on attribuer équitablement le mérite scientifique dans ces conditions difficiles? Il nous faut des lignes directrices pour faciliter la concertation dans la recherche et les publications scientifiques pendant des épidémies de maladies infectieuses, en particulier au sein d'un milieu relativement restreint comme celui du Canada.

Le SRAS a également soulevé une question de déontologie connexe, à savoir la demande de brevets sur le coronavirus du SRAS. Les chercheurs des États-Unis, du Canada et de Hong Kong9 ont fait la demande de brevets sur le coronavirus et sa séquence génétique. Les CDC des États- Unis et l'agence du cancer de Colombie-Britannique ont publiquement reconnu avoir pris des mesures pour que le virus et sa séquence demeurent dans le domaine public (il est important de noter que les séquences ont été publiées dans la revue Science au début de mai 2003)10. Dans un nouvel article dans le numéro du 20 juin 2003 de The Lancet, on indiquait que le National Institute of Allergy and Infectious Diseases mettait gratuitement à la disposition des chercheurs du monde entier une « puce » du génome du SRAS afin d'encourager la recherche. La « puce » contient les 29 700 paires de base d'ADN du coronavirus du SRAS conçue à partie des données des instituts aux États-Unis, au Canada et en Asie qui avaient séquencé la totalité du génome du coronavirus du SRAS.

Cet aspect positif ne doit pas occulter le fait que l'obtention de brevets pour des organismes et des gènes comme le SRAS soulève toute sorte de préoccupations11,12. Le système actuel des brevets au Canada n'a pas été conçu pour l'obtention de brevets d'ADN ni la commercialisation du génome humain. En général, les produits bruts de la nature ne sont pas brevetables. Mais un brevet peut être accordé au processus général de découverte et d'isolement, dans un laboratoire, de chaînes d'ADN qui n'étaient pas évidentes auparavant, plutôt qu'à un gène tel qu'il existe dans la nature. Pour breveter un gène, une séquence ou autre élément semblable, l'inventeur doit modifier ou identifier les nouvelles séquences génétiques. Le produit de la séquence doit être modifié et la fonction dans la nature doit être expliquée. Ces questions ont pris de l'importance au Canada à la suite de la décision (5-4) adoptée de justesse par la Cour suprême, en décembre 2002, de rejeter le brevet de la 'Onco-mouse' de Harvard, non pas par opposition par principe au concept, mais du fait que la législation canadienne sur les brevets ne vise pas ce genre de demande. Au Canada, des brevets ayant déjà été accordés pour des organismes unicellulaires, il existe de nombreux précédents pour breveter le génome d'un virus. Toutefois, les ramifications de ces pratiques sont importantes, en particulier lorsque les fonds publics ou la santé publique sont en jeu. Cette question ne relève pas du mandat du Comité, mais souligne l'incertitude et les préoccupations que continuent de susciter dans certains milieux le brevetage d'organismes et de gènes en général. Le Comité exhorte à la vigilance et à un débat sur l'application de la Loi sur les brevets et des structures correspondantes entourant le processus des brevets aux problèmes particuliers que représente le brevetage des microorganismes et autres entités vivantes.

9G. Recommandations

Compte tenu de ce qui précède, le Comité propose les recommandations suivantes :

9.1 

Le gouvernement du Canada devrait mettre en ouvre une initiative intergouvernementale limitée dans le temps afin de renouveler le cadre législatif de la surveillance des maladies et la gestion des épidémies au Canada et harmoniser la législation sur les situations d'urgence qui concernent les crises de santé publique.

9.2 

Si un système coordonné de règles de surveillance des maladies infectieuses et de gestion des épidémies ne peut être établi par les effets combinés du Réseau de lutte contre les maladies transmissibles F/P/T, le Programme des partenariats en santé publique et l'examen législatif intergouvernemental mentionné plus haut, le gouvernement du Canada devrait entreprendre la rédaction d'une loi par défaut pour établir un système de règles de ce genre et préciser les interactions fédérales, provinciales et territoriales concernant les questions de santé publique et plus particulièrement les maladies infectieuses.

9.3 

Dans le cadre du renouvellement législatif en cours à Santé Canada, le gouvernement du Canada devrait envisager d'incorporer dans la loi un mécanisme de gestion des crises sanitaires qui serait activé conjointement aux lois provinciales correspondantes en cas de crise sanitaire pan-canadienne.

9.4 

Le gouvernement du Canada devrait immédiatement entreprendre un vaste examen de l'application de La Loi sur la protection des renseignements personnels et les documents électroniques au secteur de la santé, afin d'édicter des règlements qui expliqueraient l'applicabilité de cette nouvelle loi au secteur de la santé et/ou de créer une nouvelle loi sur la protection des renseignements personnels visant spécialement les questions de santé.

9.5 

Le gouvernement du Canada devrait lancer un vaste examen du traitement des renseignements personnels sur la santé en vertu de la Loi sur la protection des renseignements personnels, afin d'édicter des règlements ou une loi propre au secteur de la santé.

9.6 

L'Agence de la santé publique du Canada devrait mettre sur pied un groupe de travail chargé de l'éthique en santé publique qui élaborerait un code de déontologie pour orienter les systèmes de santé publique et les établissements de santé pendant les crises sanitaires comme des épidémies de maladies infectieuses . Outre les questions d'éthique habituelles, le groupe de travail devrait élaborer des lignes directrices sur la collaboration et la copaternité en répartissant équitablement la paternité et les mérites connexes aux participants universitaires aux enquêtes sur les épidémies et autre recherche ainsi que des modèles pour des examens éthiques accélérés des protocoles de recherche face aux épidémies et crises de santé publique semblables.

9.7 

Les ministères F/P/T de la Santé devraient favoriser le dialogue avec les travailleurs de la santé, leurs syndicats et associations, les organes de réglementation professionnels, les experts en droit du travail et éthique et les ministères pertinents au sujet du devoir de soigner les personnes porteuses de maladies contagieuses et les droits compensatoires de refuser les tâches dangereuses dans des installations de soins.

Références

  1. Communication personnelle : Morris GD. Centers for Disease Control and Prevention's Public Health Infrastructure. Préparé en août 2003.
  2. Singer P, Benatar SR, Bernstein M, Daar AS, Dickens BM, MacRae SK, Upshur REG, Wdroit L, Shaul RZ, "Ethics and SRAS: Learning Lessons from the Toronto Experience,"18 juin 2003, présenté au Conseil concultatif national sur le SRAS et la santé publique. Voir http://www.yorku.ca/igreene/sars.html
  3. R.S.O. 1990, c. H-7.
  4. Maunder R., et autres, "The immediate psychological and occupational impact of the 2003 Outbreak of SRAS in a teaching hospital,"Journal de l'Association médicale canadienne, 2003: 168:1245-1251.
  5. Kass N., "An Ethics Framework for Public Health,"Publis Health Matters, 2001: 91(11):1776-1782.
  6. Association médicale canadienne, Code de déontologie (www.cma.ca).
  7. Association des infirmières et infirmiers du Canada , Code de déontologie, page 10 (http://cna-aiic.ca/cna/default_f.aspx).
  8. Bernstein M, Hawryluck, L., "Challenging beliefs and ethical concepts: the collateral damage of SRAS,"Critical Care, 2003: 7: 269-271.
  9. Gold, Richard, "SRAS genome patent: symptom or disease?,"The Lancet, 2003: 361(9374) 2002-2003.
  10. Stagg-Elliott, Victoria, "SRAS spurs race for a cure - and for patents, AMNEWS, 26 mai 2003.
  11. Ibid.
  12. Ministère de la Santé et des Soins de longue durée, Gouvernement de l'Ontario, Canada, "Ontario Report to Premiers: Genetics, Testing & Gene Patenting: Charting New Territory in HealthCare,"janvier 2002.

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