Relevé des maladies transmissibles au Canada

décembre 2008

Volume 34
numéro 12

Rapport mensuel

Prise en charge des patients atteints du syndrome respiratoire aigu sévère (SRAS) dans les établissements de soins actifs de la région du grand Toronto

Lindsay E. Nicolle, MD (1), Peggy Perkins, Rnn (2), Denise Gravel, BScN MSc CIC (2), Shirley Paton, RN, MN (2), Michael Christian, MD (4), Marianna Ofner, RN, MPH (2), Bonnie Henry, MD (3), Allison McGeer, MD (4), Mary Vearncombe, MD (5), Andrew Simor, MD (5), Claire Barry, RN (5) et Barbara Mederski, MD(6)

  1. University of Manitoba, Winnipeg, Manitoba
  2. Centre for Communicable Diseases and Infection Control, Infectious Disease and Emergency Preparedness Branch, Public Health Agency of Canada, Ottawa, Ontario
  3. Toronto Public Health, Toronto, Ontario
  4. Mt. Sinai Hospital, Toronto, Ontario
  5. Sunnybrook Health Sciences Centre, Toronto, Ontario
  6. North York General Hospital, North York, Ontario

Introduction

La région du Grand Toronto (RGT) a été la seule, en dehors de l'Asie, à être touchée par une éclosion étendue du syndrome respiratoire aigu sévère causée par le coronavirus (SRAS-CoV), au printemps 2003(1) . Chez le premier cas signalé dans la RGT, les symptômes cliniques sont apparus le 23 février 2003. L'alerte mondiale initiale a été donnée par l'Organisation mondiale de la santé (OMS) le 12 mars 2003, mais l'éclosion avait déjà été établie dans la RGT avant cette alerte. Cette éclosion s'est déroulée en deux phases(2) . La première phase a débuté par suite de l'importation du virus par une femme ayant contracté l'infection alors qu'elle était en voyage à Hong Kong(3) . La seconde phase fait suite à une recrudescence de cas chez les travailleurs de la santé, après un relâchement des mesures de prévention lié au fait que l'on croyait avoir maîtrisé la première phase de l'éclosion, lors même que des cas de transmission nosocomiale non reconnus se multipliaient dans un établissement de santé(4) . Au cours de l'éclosion, la RGT et les municipalités avoisinantes ont détecté 358 cas, le taux de létalité étant de 17 %(5). Des 225 cas recensés dans la RGT, 88 (39 %) étaient des travailleurs de la santé, 49 (22 %), des patients, et 25 (11 %), des personnes ayant effectué une visite à l'hôpital(5) . Les symptômes chez le dernier cas de SRAS diagnostiqué dans la RGT se sont manifestés le 12 juin 2003.

Une éclosion de maladie infectieuse aiguë de cette ampleur, causée par un nouveau virus et accompagnée d'un taux de mortalité élevé, n'avait pas été observée au Canada depuis longtemps. Ainsi, au moment où elle a pu être décelée, l'infection se propageait déjà dans plusieurs établissements de santé(3,6) , et beaucoup parmi les premiers cas étaient des travailleurs de la santé. La réponse à cette éclosion a été dirigée et coordonnée par le comité du SRAS du centre des opérations provinciales (COP) de Mesures d'urgence Ontario. Des directives émanant à la fois du président de ce comité et du médecin hygiéniste provincial (MHP) ont donné mandat à l'établissement de santé de prendre des mesures pour freiner l'éclosion. Les établissements de soins actifs de la RGT ont dû renforcer leur capacité, pratiquement du jour au lendemain, afin d'assurer la prestation de soins à des patients présentant une maladie clinique bénigne à grave. Avant l'éclosion, la plupart des établissements de santé ne disposaient pas des conditions matérielles requises pour accueillir ces patients. En plus de devoir dispenser des soins aux patients, ces établissements ont dû mettre en oeuvre des mesures spéciales pour prévenir la transmission de l'infection à d'autres patients, employés et visiteurs. En outre, il a fallu identifi er et mettre en quarantaine les personnes ayant eu une exposition non protégée. Tous ces événements se sont déroulés avant même que l'agent infectieux n'ait pu être décelé et caractérisé, ou que son mode de transmission n'ait été bien compris. Cette étude rétrospective a été entreprise pour explorer les aspects liés à la prestation de soins aux patients atteints du SRAS au cours de cette expérience particulière dans les établissements de soins actifs de la RGT.

Méthodologie

Établissements de santé

La RGT regroupe un vaste éventail d'établissements médicaux offrant des soins actifs, qui va des hôpitaux communautaires, de petite taille, aux grands centres universitaires de soins tertiaires. À l'époque de l'éclosion, les services de soins de santé dans la RGT n'étaient pas régionalisés, même si certains établissements desservaient plus d'un site. Chaque établissement était régi par son propre conseil d'administration et fi nancé par un budget distinct. Au cours de la phase initiale de l'éclosion, vingt hôpitaux de soins actifs de la RGT avaient été désignés pour assurer la prestation des soins aux patients atteints du SRAS, en se conformant aux directives provinciales. Ces hôpitaux n'ont pas tous pris des patients en charge par la suite. Lors de la seconde phase de l'éclosion, les directives ne visaient plus que quatre hôpitaux de soins actifs pour l'admission des nouveaux patients atteints du SRAS. Cependant, seuls deux de ces hôpitaux ont ensuite admis des patients souffrant du SRAS, pendant que les autres hôpitaux administraient des soins à la majorité des patients non atteints du SRAS. Notre étude a porté sur un échantillon de commodité de huit hôpitaux de soins actifs de la RGT (tableau 1).

Tableau 1. Certaines caractéristiques des hôpitaux ayant participé à l'étude

Hôpital
Taille* Petit Moyen Grand Grand Moyen Moyen Moyen Moyen
Administration de soins aux pagients atteints du SRAS + + + + + + + +
Membre du apersonnel ayant reçu un diagnostic de SRAS + + + + - + - +
Endroits dédiés aux soins des patients atteints du SRAS + + + + - + + +
– unités du SRAS                
– unités de soins critiques                
Chambre d'isolement contre la transmission aérienne - + + + + + + +
Évaluation clinique + + + + - - + +
Patients faisant l'objet de précautions contre le SRAS† 33 28 90 121§ 32 40 50 71
Chirurgie élective‡                
– annulation 28/03 20/03 20/03 31/03 31/03 27/03 31/03 31/03
– reprise 05/05 15/04 15/05 21/04 05/06 15/04 09/06 05/05
* Petit : < 200 lits; moyen : 200 à 600 lits; grand : > 600 lits † Numérateurs diff érents d'un hôpital à l'autre : certains signalent les cas de SRAS confi rmés et soupçonnés, d'autres, tous les patients pour qui on a appliqué les mesures de précaution liées au SRAS. ‡ Jour/mois en 2003 § Un seul site

Collecte des données

À la demande du MHP de la RGT, des entrevues ont été menées de juillet 2003 à juin 2004 dans le cadre d'une enquête sur l'expérience du SRAS. Ainsi, un certain nombre d'employés dont les commentaires étaient pertinents pour l'enquête ont été interviewés dans sept des hôpitaux, notamment des membres du personnel de l'administration, des directeurs et des médecins responsables de la prévention des infections, des intervenants en santé au travail, des employés des ressources humaines, de l'entretien et du génie, des gestionnaires d'unité, des responsables des services d'assurance de la qualité et de gestion des risques, d'approvisionnement et de soutien, des enseignants cliniques, des responsables des services de nutrition et des médecins spécialisés en maladies infectieuses. Pour ce qui est des hôpitaux restants, tous les renseignements ont été fournis par l'entremise du directeur de la gestion de l'information.

Des questions normalisées et un ensemble uniformisé de données électroniques ont été utilisés. Des questions précises portaient sur la prestation des soins, notamment sur les caractéristiques des unités du SRAS, la dotation au personnel, la formation, la signalisation, les fournitures, l'utilisation d'un équipement de protection individuel (EPI), les pratiques d'entretien, les directives à l'égard des visiteurs, la structure organisationnelle et la capacité en matière de prévention des infections. Une dernière question ouverte invitait les participants à faire part de leurs commentaires, de leurs craintes personnelles ou des expériences positives ou négatives vécues au cours de l'éclosion.

Analyse

L'analyse reposait avant tout sur un résumé descriptif de l'expérience des hôpitaux. Ce résumé tenait compte de la variabilité des réponses entre les différents hôpitaux, des pratiques particulières de prestation de soins aux patients atteints du SRAS, ainsi que de la structure et du fonctionnement des unités du SRAS. L'information recueillie était souvent incomplète, refl étant la non-disponibilité des données, la collecte de renseignements différents d'un hôpital à l'autre, et le refus de certains hôpitaux de fournir une partie des renseignements. Les réponses à la question ouverte contenant des commentaires personnels ont été évaluées de façon qualitative, afin de pouvoir en cerner les grands thèmes, puis elles ont été résumées et classées en fonction de ces thèmes.

Résultats

Unités du SRAS

Création des unités : La directive émise en mars faisait état de la nécessité de mettre sur pied une unité dédiée au SRAS et précisait la taille de cette unité : 30 lits pour les hôpitaux dotés de plus de 500 lits, 20 lits pour ceux dotés de 400 à 500 lits, et 15 lits pour les hôpitaux possédant moins de 400 lits. Sept hôpitaux ont créé des unités du SRAS; deux d'entre eux avaient établi des unités à deux endroits différents. Les premières unités ont ouvert leurs portes entre le 23 mars 2003 et le 3 avril 2003; 3 à 18 jours s'étaient alors écoulés entre la réception de la directive et l'ouverture d'une unité du SRAS fonctionnelle. La taille de ces unités variait, allant de 4 à 25 lits (tableau 2). Deux hôpitaux ont remplacé la première unité par une autre pour remédier au manque de lits ou satisfaire aux exigences en matière de ventilation. Quatre hôpitaux ont fermé leur unité du SRAS après la première phase de l'éclosion, lorsque celle-ci a été déclarée maîtrisée. Au cours de la seconde phase, trois de ces unités ont dû rouvrir leurs portes en vue d'y accueillir des patients, mais seulement deux de ces unités ont admis des patients par la suite.

Plan d'aménagement : Chaque hôpital a désigné un espace pour l'unité en tenant compte de facteurs comme la taille, la sûreté, la sécurité et les exigences techniques. Le plan d'aménagement des unités variait d'un hôpital à l'autre (tableau 2). La plupart des chambres des unités du SRAS n'avaient pas d'antichambre, mais elles étaient dotées d'une salle de bains séparée. En règle générale, il n'y avait qu'un seul patient par chambre; dans un des hôpitaux, deux patients pouvaient occuper une même chambre s'ils étaient membres de la même famille. Une majorité d'unités disposaient de leur propre ascenseur dont l'accès était limité. L'entrée de ces unités, habituellement unique, était surveillée par les services de sécurité. L'emplacement du poste de soins infirmiers et des locaux réservés au personnel, de même que la présence ou l'absence d'une ventilation en pression négative à l'intérieur de ces locaux, variaient d'un établissement à l'autre (tableau 2).

Caractéristiques de la ventilation : Toutes les unités étaient dotées d'un système de ventilation permettant de rejeter 100 % de l'air vicié à l'extérieur et de le remplacer par de l'air frais de l'extérieur (tableau 2). Pour créer une ventilation en pression négative, trois hôpitaux ont placé un appareil HEPA portable dans chacune des chambres, deux autres étaient dotés d'un système centralisé permettant d'évacuer l'air vicié à l'extérieur, et deux autres avaient installé l'unité dans des aires déjà dotées d'un système de ventilation en pression négative. Dans certains hôpitaux, les appareils HEPA portables étaient également utilisés pour créer une ventilation en pression négative dans les aires de soins critiques et dans les salles d'urgence. La fréquence de renouvellement de l'air des locaux variait de 9 à 18 fois l'heure; les directives précisaient une fréquence minimale de 6 fois l'heure. Le 24 avril 2003, de nouvelles directives ont été émises : elles exigeaient qu'une surveillance bihebdomadaire soit assurée, mais cinq des sept hôpitaux assuraient cette surveillance tous les jours, un hôpital, deux fois par jour, et un autre, une fois par semaine. Cette surveillance était assurée au moyen de dispositifs électroniques déjà en place ou, lorsque de tels dispositifs n'étaient pas disponibles, par des essais à la fumée ou au tissu.

Tableau 2. Caractéristiques matérielles des unités du SRAS créées dans sept hôpitaux de soins actifs

  1 2 3 4 (1)* 4 (2)* 6 7 7 (1)*(a)† 7 (1)*(b)† 7 (2)* 8 (a)+ 8 (b)+
Taille (lits) 8-11 20 20 12 19 25 4 4 14 7(?) 16 49
Antichambre Toutes, séparées par un panneau de plastique aucune 10 0 0 4 toutes - 14 NP NP 3
Salles de bains 11 20 20 7 12 25 partagées au départ 2 (non utilisées) 14 NP NP NP
Ventilation                        
100 % d'air frais + + + + + + + + + + + +
HEPA portable Toutes les chambres - 10 chambres - - + + all rooms     - Dans la salle d'urgence
Centralisée, à air pulsé + + + + + + + ? + +   +
En pression négative, déjà en place     10 chambres 1 0 4 chambres un endroit 4   7    
Fréquence du renouvellement de l'air par heure 8 9 12 9 9 9 9 NP 9 9 9-12 16
Surveillance                        
- Fréquence Quotidienne Hebdomadaire Quotidienne Quotidienne Quotidienne Quotidienne Quotidienne Quotidienne Quotidienne     Déjà en place, deux fois par jour
- Méthode Essais à la fumée et au tissu Essai à la fumée et ventilation mécanique Essai à la fumée Ventilation mécanique et essai au bâton de fumée Ventilation mécanique et essai au bâton de fumée Ventilation mécanique et essai à la fumée Essais à la fumée et au tissu, ou moniteurs déjà en place   Essais à la fumée et au tissu Moniteurs déjà en place   Ventilation mécanique et essais à la fumée
Poste de soins infirmiers                        
- Emplacement Central Central Central Central Central Central Central Extérieur Central     En avant, centra
- Ventilation en PN non oui non PN par rapport à l'extérieur   non oui non oui     Non (séparé par des panneaux)
Salle de repos                        
- Emplacement Derrière le poste de soins infirmiers Derrière le poste de soins infirmiers Au bout du corridor Dans l'unité similaire au poste de soins infirmiers À l'extérieur de l'unité À l'entrée de l'unité À l'ex-térieur de l'unitét   À l'ex-térieur de l'unite      
- Ventilation en PN non oui non     non non         oui
Abréviations : PN, en pression négative; NP, non précisé * Hôpitaux dotés d'une unité du SRAS à plus d'un endroit; désignés par (1) et (2) † Unité de départ (a) remplacée par une autre unité (b)

 

Dotation en personnel

Personnel : Les unités du SRAS avaient habituellement leur propre personnel infirmier, employés d'entretien, commis d'unité et brancardiers. Au besoin, d'autres employés apportaient leur aide, dont des membres du personnel en prévention des infections, des physiothérapeutes, des ergothérapeutes, des inhalothérapeutes, des aumôniers, des intervenants en santé mentale, en éducation, en santé publique et en services sociaux, ainsi que des diététiciennes et des technologues. Les étudiants n'étaient pas autorisés à travailler dans les unités; néanmoins, dans l'une d'elle, des stagiaires en maladies infectieuses diplômés de deuxième ou troisième cycle ont administré des soins. Le nombre d'infirmier(ère)s par patient et la durée des quarts de travail variaient d'un établissement à l'autre (tableau 3). Dans la plupart des centres, seule une petite poignée de médecins, pouvant être joints 24 heures sur 24, 7 jours sur 7, administrait les soins aux patients atteints du SRAS. La fatigue des médecins a d'ailleurs été un problème important. À l'exception des soins administrés aux patients admis aux soins intensifs, les soins médicaux étaient habituellement dispensés par des médecins spécialisés en maladies infectieuses qui, bien souvent, se consacraient entièrement à l'unité. D'autres professionnels de la santé ont également prêté mainforte, notam-ment des internistes (dans trois unités), des spécialistes des troubles respiratoires (dans deux hôpitaux), des spécialistes en orthopédie et en chirurgie plastique (dans un hôpital aux prises avec une grappe de cas en salles de chirurgie) et un psychiatre.

Gestion du stress : Sept hôpitaux ont décrit des mesures visant à gérer la fatigue et le stress du personnel travaillant auprès des patients atteints du SRAS. Parmi ces mesures, citons des pauses fréquentes, la fourniture d'aliments et de rafraîchissements gratuits, un système de jumelage, l'accès à des professionnels de la santé mentale et à des services de counseling en gestion du stress. Une autre mesure consistait à ne faire appel qu'à du personnel qui s'était prêté volontaire pour être affecté à l'unité. Quatre des hôpitaux ont décrit des avantages supplémentaires, comme la remise de billets gratuits pour des musées, des loisirs, des repas et des chambres d'hôtel. Trois hôpitaux offraient des congés supplémentaires au personnel affecté à l'unité, et un hôpital a mentionné que les membres de son personnel travaillant auprès des patients atteints du SRAS étaient rémunérés à taux double. Dans ce dernier cas, le syndicat des infi rmières et infirmiers a par la suite empêché cette rémunération supplémentaire(7) .

Situation du personnel : Six hôpitaux ont déclaré au total 73 cas diagnostiqués de SRAS parmi le personnel (intervalle : 1 à 48); deux établissements n'ont eu aucun cas de SRAS parmi les membres de leur personnel. La majorité de ces infections étaient dues à une exposition non protégée à des patients, avant qu'on ait pu déterminer que ces patients présentaient un risque de transmission du SRAS. Certains cas d'infection survenus parmi le personnel après l'introduction de mesures de prévention avaient déjà été signalés(8-10). Le nombre de membres du personnel en quarantaine, à la maison ou au travail, variait considérablement lui aussi, se situant entre 2 et un nombre estimatif de 4 000.

Équipement et fournitures

Chambres des patients : Tous les hôpitaux avaient limité l'équipement et les fournitures dans les chambres des patients atteints du SRAS, conformément à la directive émise par le COP. Chaque chambre était dotée de meubles (lit, table, chaise, panier à blanchissage et poubelle) et de l'équipement nécessaire à l'administration de soins directs au patient, selon les besoins (potences et pompes pour intraveineuses, tensiomètre artériel, stéthoscope, oxymètre, thermomètre, glucomètre et oxygène). Dans certains hôpitaux, l'utilisation d'un téléviseur, d'un ordinateur et d'un téléphone était également permise, tandis que la literie, le matériel de prélèvement pour les analyses de laboratoire et l'équipement de protection individuel étaient gardés à l'extérieur de la chambre.

Protection oculaire : Au cours de la première phase de l'éclosion, des lunettes à coques étaient généralement utilisées comme protection oculaire et, occasionnellement, des lunettes de sécurité, des écrans faciaux et des masques fi xés à des écrans faciaux. Les lunettes à coques étaient retraitées de façon uniforme par les membres du personnel, entre chaque patient, habituellement à l'aide de peroxyde d'hydrogène accéléré. Au cours de la seconde phase, à la suite des directives du COP, les écrans faciaux jetables sont devenus une constante de l'équipement de protection oculaire. Un seul des établissements utilisait des écrans faciaux portés par-dessus des lunettes à coques.

Essais d'ajustement des masques N95 : Avant l'éclosion, aucun des hôpitaux n'avait établi de programme d'essais d'ajustement. Les sept hôpitaux dispensant des soins aux patients au cours de la seconde phase de l'éclosion ont tous instauré un programme d'essai d'ajustement après avoir reçu la directive du COP. La plupart des hôpitaux ont commencé les essais d'ajustement au début de mai 2003, soit à l'une des dates suivantes : 1er, 5 (2 hôpitaux), 6, 25 et 29 mai 2003. Les taux d'échecs initiaux de ces essais ajustement ont été décrits par 5 hôpitaux comme étant de « 6 à 8 % », « quelques-uns », « nombreux au début », « 18 % avec le premier masque », pour atteindre jusqu'à « 30 %. L'hôpital ayant obtenu les taux d'échecs initiaux les plus élevés de tous a résolu le problème en modifi ant la procédure utilisée pour les essais d'ajustement et en offrant un choix accru de types de masques. Dans certains hôpitaux ce taux d'échec initial élevé a compromis la capacité de continuer à fournir des soins aux patients atteints du SRAS et a avivé les inquiétudes du personnel quant à sa propre sécurité.

Prévention des infections

Les compétences et les ressources déjà en place pour la prévention des infections variaient (tableau 3). Les hôpitaux dont les ressources en matière de prévention des infections étaient limitées avant l'éclosion se sont, pour la plupart, dotés de ressources additionnelles pendant l'éclosion. L'hôpital no 1 a ajouté une infi rmière en santé du travail et une autre infi rmière en prévention des infections a été affectée à la surveillance de la fi èvre. L'hôpital no 6 s'est doté de deux éducateurs en soins cliniques et d'une autre infi rmière et, vers la fi n de l'épidémie, il comptait un médecin travaillant à 50 % en infectiologie et 2,6 professionnels en prévention des infections. L'hôpital no 7 a embauché un autre médecin et augmenté la capacité de ses services administratifs. Tous les hôpitaux, à l'exception d'un seul, ont déclaré que toutes les autres activités liées à la prévention des infections avaient été suspendues pendant la durée de l'éclosion du SRAS. Les membres des équipes de prévention des infections avaient déjà fort à faire, devant répondre à des besoins particuliers associés au SRAS, comme la formation (p. ex. la formation continue), l'élaboration de politiques et, dans certains cas, la prestation de conseils d'experts pour venir en aide à d'autres hôpitaux.

Tableau 3. Effectifs des unités du SRAS et ressources en matière de prévention des infections dans les établissements de santé, au début de l'éclosion du SRAS

Hôpital 1 2 3 4 5 6 7 8
Ratio infi rmière-patient                
- Unités du SRAS 1:1 1:1 1:3 1:2 - 1:1 1:2 1:1
- Unité des soins intensifs 1:1 1:1 1.4:1 1:2 1:2 1:1 1:3 2:1
Durée du quart de travail des infi rmières (h) 8 12 12 8 or 12 12 8 or 12 12 12
Nombre maximal de jours de travail 7 3 3 5† 3 3† 3 3
Consécutifs       3‡   2‡    
Médecins                
Spécialistes des maladies infectieuses aff ectés à l'unité + + + - + + - +
Personnel spécialistes en prévention des infections 1 3 5 6 2 1 3 2
–Professionnels en prévention des infections (PPI)
173 274 278 258 225 500 332 213
– Lits/PPI 1 1 5 1 1 0 1 1
– Personnel agréé 20 6.5 60 26 5 2   19
–Années d'expérience des PPI (cumulatives) 0 3 2 1 1 0 0 1
– Médecins - 1 1 1 - -   -
–Autres membres du personnel                
Surveillance des sites opératoires avant l'éclosion du SRAS non oui oui oui oui oui oui non
* CIC: certified in infection control
† 8 hour shifts
‡ 12 hour shifts

 

Examen qualitatif de l'expérience du personnel

Les thèmes principaux exprimés dans les commentaires des participants aux entrevues étaient constants d'un hôpital à l'autre (tableau 4). Il était entre autres question des problèmes liés aux ressources limitées, aux restrictions touchant la prestation des soins aux patients, au manque de cohérence des directives, à la communication inadéquate tant au sein qu'à l'extérieur de l'hôpital, au manque de préparation pour faire face à la situation d'urgence, à l'interaction entre les établissements de soins actifs et les régions, aux connaissances et à la formation insuffi santes du personnel, et au stress excessif. Ces commentaires témoignent de la frustration et du stress intense ressentis alors que les établissements de santé et les personnes devaient faire face à des exigences sans précédent, dans un environnement où les connaissances et l'équipement étaient limités, où les priorités changeaient, et où les relations au sein des organismes et des établissements évoluaient rapidement.

Analyse

Il ressort clairement de cette étude que l'intervention face au SRAS n'était pas statique, mais dynamique. Les directives du COP et la réponse des établissements ont constamment évolué tout au long de l'éclosion du SRAS, alors que des directives nouvelles ou revues étaient émises chaque jour, parfois même, plusieurs fois par jour, obligeant les établissements à revoir leurs mesures et à en appliquer sans cesse de nouvelles. À mesure que l'épidémie progressait, les politiques et les pratiques changeaient continuellement. Les hôpitaux ont dû modifi er leurs pratiques presque chaque jour, pendant toute la durée de l'épidémie, pour surmonter leurs limites de capacité, répondre aux directives venant de l'extérieur et tenir compte des connaissances acquises en cours de route.

Avant l'éclosion, les caractéristiques et les capacités des établissements de santé différaient considérablement. Des directives normalisées émanant d'une autorité centrale devaient être mises en oeuvre dans chaque établissement, sans égard aux infrastructures ou aux ressources préexistantes. Au début de l'éclosion, les ressources ou l'équipement, les protocoles de soins aux patients et les ressources ou pratiques en matière de prévention des infections n'étaient pas normalisés à l'échelle régionale. Ainsi, un ensemble d'établissements dotés d'administrations, de ressources matérielles, de politiques, de systèmes d'information et de ressources diverses ont reçu des directives centralisées et normalisées exigeant une intervention uniforme face au SRAS. Il n'est pas surprenant, dans ce contexte, que l'un des principaux thèmes abordés soit la grande variabilité de la réponse des établissements de santé aux directives, notamment sur le plan des pratiques particulières, de la dotation, de la structure des unités du SRAS ou des procédures de nettoyage.

Tableau 4. Observations des personnes interviewées décrivant leur propre perception de l'éxperience du
SRAS

Ressources limitées
  • Installations de capacité insuffi sante pour loger les personnes infectées.
  • Fournitures non disponibles pour répondre aux besoins.
  • Essais d'ajustement compromis en raison de l'absence de techniciens qualifi és pour procéder à ces essais.
  • Mise à disposition d'installations appropriées pour les patients.
  • Fourniture de moyens de protection physiques suffi sants.
  • Masques inadéquats pour le soin des patients atteints de SRAS.
  • Essais d'ajustement nécessitant beaucoup de temps et, en cas d'échec, aucun autre masque de remplacement. Le personnel infirmier refusait de travailler dans les unités de SRAS muni d'une protection en deçà des normes.
  • Signalisation appropriée et suffi sante pour tenir compte de la diversité linguistique de la collectivité (en 4 ou 5 langues).
Restrictions relatives aux soins
  • Chirurgies et traitements électifs non accessibles au grand public.
  • Erreur de jugement : utilisation de chambres d'isolement satellites. Mis à l'écart, le personnel recevait moins d'information, moins de soutien et était anxieux. En outre, cette décision a eu une incidence négative sur la continuité des soins aux patients.
  • Capacité très faible des établissements de faire face à la demande de soins grandissante.
  • Appauvrissement des soins administrés aux patients découlant de la fermeture des lits de soins critiques, une décision qui avait pour but de répondre aux cas urgents provenant de l'extérieur de la région de l'éclosion. – Gestion de l'affl uence des patients.
  • Ralentissement et alourdissement des soins administrés aux patients en raison de l'utilisation d'EPI.
Incohérence des directives
  • Directives fréquentes et souvent contradictoires.
  • Directives sans fondement scientifi que, bien souvent émises pour maîtriser les mouvements de panique.
  • Fréquents changements de directives, pas toujours fondées sur le plan scientifi que.
  • Directives mises en oeuvre indépendamment des conséquences, comme l'obligation de procéder à des essais d'ajustement alors que les établissements n'avaient pas suffi samment de masques et encore moins de techniciens qualifi és pour procéder à de tels essais (cette directive a d'ailleurs soulevé un vent de panique, chacun craignant pour sa propre sécurité).
  • Méfi ance du personnel à l'égard des conseils dispensés par les PPI, parce que les directives étaient changées trop souvent et que l'on observait ce que les autres faisaient.
  • Directives relatives au SRAS modifi ées si souvent que le personnel mettait leur validité en doute.
  • Directives pas nécessairement élaborées par des cliniciens.
  • Connaissances insuffi santes pour maîtriser l'éclosion. Dans une unité, la salle de repos du personnel infirmier était située dans le corridor d'une aire non ventilée en pression négative et séparée par des demi-cloisons (ne touchant pas le plafond et non mur à mur).
Communications
  • Conférences de presse quotidiennes intimidantes pour le personnel.
  • Lourde tâche d'expliquer au personnel pourquoi certains parmi eux étaient tombés malades.
  • Le personnel ne lisait pas les courriels reçus et écoutait les rumeurs.
  • Réception de 50 à 120 appels par jour, de partout dans le monde, pour des demandes de renseignements.
  • Journalistes exerçant une surveillance de tous les instants.
  • Manque de communication entre les hôpitaux, le COP et les autorités sanitaires.
  • Information lente à descendre jusqu'au personnel.
  • Décisions fondées sur l'expérience de la haute direction plutôt que sur l'expérience clinique, sans rétroaction du personnel chargé de soigner les patients, et communication médiocre vers les échelons supérieurs.
  • Gestion des relations avec les médias.
État de préparation et interactions régionales
  • État de préparation et interactions régionales
  • Établissements du milieu médical non préparés à affronter une pandémie.
  • Aucun réseau prévu entre les établissements.
  • Aucun plan d'urgence applicable à l'échelle de la ville.
  • Échec du système des hôpitaux de l'Alliance. Aucun réseau communautaire ou de santé publique en place pour faire face à une telle éclosion.
  • Processus de dépistage pour le personnel, les patients, ainsi que les patients admis en provenance d'autres établissements.
  • Deux régions avaient un système de santé publique dont les priorités et les méthodes diff éraient.
Formation et connaissances du personnel
  • Personnel infirmier ne disposant ni des connaissances ni des compétences nécessaires pour appliquer des techniques d'isolement rigoureuses.
  • Attitude incrédule des médecins et du public à l'égard de l'évaluation du personnel infirmier. Même lorsqu'un patient montrait des signes et des symptômes du SRAS, ceux-ci n'étaient pas pris en compte si le patient n'avait pas eu de contact connu avec un cas infecté.
  • Ressources humaines : personnel restreint et dossiers mal tenus.
  • Résistance de la part de certains membres du personnel à respecter les directives en matière de protection physique. Ils voulaient en faire trop et ont ainsi gaspillé des ressources.
  • Dès le début de l'éclosion, le personnel n'a pas appliqué les bonnes pratiques en matière de prévention des infections et s'est montré réticent à l'égard de l'information reçue au moment de l'admission du premier patient.
  • Le personnel n'a pas dispensé de conseils aux familles des premières vagues de patients pour les aider à se protéger.
  • Le personnel, surmené et épuisé, n'avait pas le temps de lire ou d'écouter des bandes sonores, de regarder des vidéos, etc. , ou l'énergie pour le faire.
  • Aucun accès à du personnel bien informé.
  • Des préposés à l'entretien ont été vus en train de nettoyer cinq chambres avec le même seau d'eau, plutôt que de remplacer l'eau entre chaque chambre d'isolement.
Stress et moral du personnel
  • Maintien du moral des membres du personnel en dépit d'une situation qui risquait d'être dangereuse pour eux, surtout dans le contexte où beaucoup d'entre eux étaient en quarantaine.
  • Besoins en eff ectifs et besoins de nature physique, mentale, sociale et émotionnelle. – Diffi culté de soigner les patients et de protéger la famille tout en essayant de rester soi-même en santé.
  • Longues heures de travail dans des conditions diffi ciles, fatigue.
  • Peur : trop de membres du personnel malades ou dont on étudiait le cas.
  • Difficile de recruter du personnel ou de le maintenir en place (des membres du personnel ont quitté leur poste en raison du stress).
  • Beaucoup de membres du personnel ont contracté le SRAS en dépit de l'utilisation d'un EPI et du respect des directives.
  • Renforcement positif nécessaire. Le SRAS a frappé lourdement le personnel, pendant l'éclosion, mais aussi après, sous la forme du syndrome de stress post-traumatique.
  • Certains employés ont reçu des primes, alors que d'autres n'en n'ont pas reçues; cela a causé des problèmes avec le complément d'eff ectifs et le ministre du Travail.
Autres commentaires
  • Ouvriers de la construction refusant d'entrer dans l'établissement.
  • Élimination des déchets dans les unités non dotées de salles de bains (salles d'urgence).
  • Lorsque l'alerte a été déclenchée, la haute direction n'a pas apporté son soutien, et l'on a perdu la maîtrise de l'éclosion dans cet établissement.
  • Dans bien des cas, les PPI n'étaient pas consultés pour obtenir des renseignements ou des conseils. Les gestionnaires ont suivi leur propre feuille de route.
  • Des patients dont on présumait qu'ils étaient atteints du SRAS étaient soignés alors qu'il s'agissait probablement de cas de pneumonie acquise dans la collectivité ou d'insuffi sance cardiaque congestive.
  • Aucun contrôle au niveau du personnel.
  • Certains membres du personnel ont travaillé au début de l'éclosion alors qu'ils étaient malades.
  • Les médecins ne tenaient pas compte de l'évaluation du personnel infirmier ou n'étaient pas à l'écoute des préoccupations de leurs patients.
  • Plaintes de la part du personnel concernant les conditions d'hygiène du milieu.
  • Désordre, trop de choses dans trop peu d'espace, ce qui rendrait le nettoyage difficile.

L'accès à des ressources limitées sur le plan des compétences, du personnel, des fournitures et d'une aide extérieure est un autre des grands thèmes abordés. Les hôpitaux devaient mettre en oeuvre les directives émises par le COP, mais ils ne disposaient pour ce faire d'aucune aide fi nancière ni de soutien. Cette situation est compréhensible, dans la mesure où le gouvernement provincial était submergé par les demandes en personnel et en ressources nécessaires pour maîtriser l'épidémie. Les hôpitaux avaient reçu instruction de « faire tout ce qui était nécessaire », étant entendu que des ententes seraient prises une fois la crise passée pour rembourser les dépenses imputables à l'éclosion. Partout dans la RGT, les ressources étaient insuffi santes pour mettre en oeuvre, dans les délais prévus, certaines directives, comme l'établissement d'un programme universel d'essais d'ajustement pour les masques. Les établissements manquaient de toutes sortes de fournitures, en particulier d'écrans faciaux et de masques. La plupart des hôpitaux n'avaient pas de plan établi pour accéder, à court préavis, à tout le matériel dont ils avaient besoin, ou n'avaient pas pris d'entente avec des fournisseurs pour s'assurer d'une capacité de pointe. Certains hôpitaux n'avaient même pas de liste de fournisseurs potentiels. Ces contraintes ont obligé les hôpitaux à adapter les directives en tenant compte des ressources dont ils disposaient, ce qui a contribué à la mise en oeuvre de mesures et de pratiques non uniformes d'un hôpital à l'autre. Les limites auxquelles la RGT a été confrontée ont été analysées du point de vue de leur incidence sur l'établissement des priorités pendant l'éclosion(11) .

Selon les directives émises par le COP pendant la seconde phase de l'éclosion, un nombre limité d'établissements de soins actifs – les quatre hôpitaux de « l'Alliance du SRAS » – étaient désignés pour accueillir et traiter les nouveaux patients atteints du SRAS. Cependant, cette stratégie, qui visait à restreindre les activités liées au SRAS à un nombre limité d'hôpitaux dans l'intention de maintenir les soins aux patients non atteints du SRAS dans les autres hôpitaux, s'est avérée ineffi cace. Quelques-uns des hôpitaux désignés n'ont pas admis de patients atteints du SRAS pendant la deuxième phase de l'éclosion, tandis que des hôpitaux ne faisant pas partie de l'Alliance ont examiné et soigné la majorité des patients. Il n'existait aucune autorité régionale capable de contraindre les hôpitaux désignés à accepter des patients. Cette situation met de nouveau en évidence l'absence de plan d'intervention régionalisé et coopératif préexistant visant à assurer la prestation des soins de santé.

Tous étaient d'accord pour dire que les directives du COP elles-mêmes posaient des problèmes, notamment sur le plan de leur élaboration, de leur diffusion et de leur contenu précis. Les directives ont été uniformément décrites comme étant trop fréquentes, incohérentes et sans fondement scientifi que, contribuant ainsi à ce qu'une personne a qualifi é de « réponse chaotique et incontrôlée, sous le coup de la panique ». Le fl ux d'information était essentiellement unidirectionnel, du centre des opérations vers les établissements, lesquels ne pouvaient qu'en de rares occasions formuler des commentaires ou demander des éclaircissements sur l'interprétation ou l'effi cacité des directives émises. À l'occasion, les directives contenaient des erreurs évidentes, mais aucun processus n'avait été mis en place pour les signaler afin que l'on y remédie. La frustration suscitée par cette situation a poussé quelques établissements à élaborer leurs propres pratiques en s'inspirant de directives nationales et internationales, d'où la grande variabilité des pratiques d'un hôpital à l'autre, malgré l'uniformité des directives émises.

Une question importante à résoudre est la suivante : quelles sont au juste les interventions précises nécessaires pour limiter la transmission du SRAS en milieu de soins? À la lumière des données en main, il semble que la majorité des cas de transmission du SRAS en milieu de soins sont liés à la propagation de gouttelettes(12) . Il est probable que la ventilation en pression négative ne soit pas nécessaire pour limiter la transmission lors de l'administration de soins courants aux patients. Cependant, il demeure que les exigences en matière de ventilation sont probablement pertinentes pour les interventions provoquant la mise en suspension dans l'air. Des rapports d'analyse sur l'effi cacité de l'équipement de protection individuel (EPI) destiné aux travailleurs de la santé ont été publiés partout dans le monde(13-19) . Ces rapports laissent entendre que le port d'un masque, d'une blouse et de gants de protection est avantageux. Par contre, rien n'indique que les masques N95 soient nettement supérieurs aux masques chirurgicaux(13,16) . La directive émise entre la première et la seconde phase de l'éclosion voulant que les mesures de protection du personnel soient intensifi ées a été qualifi ée à plusieurs reprises comme un sujet de préoccupation. Ces recommandations relatives à l'intensifi cation des mesures de protection individuelles n'étaient pas fondées sur les caractéristiques de la maladie ni sur l'expérience pratique. Le port de deux paires de gants et de deux blouses superposées l'une à porter dans l'unité et l'autre, dans la chambre du patient, le port de tenues de type chirurgical, ou toute autre mesure de protection individuelle autre que le port d'un masque, d'une blouse, de gants et d'une protection oculaire, constituaient des mesures excessives par rapport aux pratiques observées dans d'autres pays lors d'éclosions de SRAS ayant également été maîtrisées. Point important, l'intensifi cation du port de l'EPI n'a fait que compliquer davantage le port et l'enlèvement de cet équipement, de telle sorte que cette directive n'a peut-être en fait qu'augmenté le risque de contamination.

En insistant sur l'utilisation de l'EPI, on souhaitait protéger les travailleurs de la santé. Beaucoup de ces travailleurs ont sous-estimé le double objectif associé à la protection des patients, et des écarts de pratique, comme de passer d'un patient à l'autre sans changer d'EPI, se sont produits. Cela est en partie probablement lié à la diffi culté grandissante de mettre et d'enlever l'EPI, comme nous l'avons souligné précédemment. Il est probable que le fait d'avoir omis de tenir compte de la sécurité du patient tout autant que de celle du travailleur ait en quelque sorte permis de prolonger la chaîne de transmission d'un patient à l'autre dans un hôpital et, partant, précipité la seconde phase de l'éclosion(4) . Cela pourrait également expliquer que l'on ait paradoxalement observé, dans la RGT(20) et ailleurs(21,22) , une recrudescence de la transmission du Staphylococcus aureus résistant à la méthicilline (SARM), malgré l'application de mesures de prévention uniformes pour tous les soins dispensés aux patients.

Une autre pratique rendue obligatoire et uniformément qualifi ée comme étant problématique découle de la directive émise au cours de la seconde phase de l'éclosion au sujet des essais d'ajustement. La raison d'être de ces essais d'ajustement et leur pertinence pour les travailleurs de la santé du domaine de la prévention des maladies infectieuses suscitent encore la controverse(23) . Rien ne prouve que les masques N95 ou les essais d'ajustement puissent effi cacement prévenir les infections acquises en milieu de soins, mais la législation en matière de santé au travail exige que des essais d'ajustements soient effectués lorsque le port de masques N95 est requis. Avant la directive émise en mai, aucun des établissements de soins actifs de la RGT n'avait de programme d'essais d'ajustement. Cette situation était compréhensible, puisque les lignes directrices canadiennes précisaient que de tels essais ne devaient être faits que dans le cas où le port d'un « masque N95 ou l'équivalent » était requis. Dans un hôpital, l'évaluation d'une grappe de cas attribuable à une intubation mettait l'accent sur le fait que l'on n'avait pas procédé à des essais d'ajustement, excluant ainsi une multitude d'autres facteurs contributifs probables(8) . Aucun des hôpitaux, ni même la région, ne disposait des ressources nécessaires pour mettre sur pied, pratiquement du jour au lendemain, un programme approprié d'essais d'ajustement. Les taux d'échec initiaux élevés attribuables à des lacunes dans les procédures d'essais et au choix limité de types de masques ont fait en sorte que le personnel a craint davantage pour sa sécurité. Cette question demeure un problème au lendemain du SRAS et continue d'affecter certaines relations de travail.

Lorsqu'il s'agit de prendre en charge un grand nombre de patients nécessitant des soins particuliers, la création d'unités dédiées à ces patients améliore l'effi cacité des soins administrés et facilite la dotation et la formation du personnel, en plus de permettre d'isoler les patients infectieux. Au moins un hôpital parmi ceux visés par cette étude a fourni des soins à des patients atteints du SRAS sans avoir créé d'unité du SRAS, en continuant d'utiliser les chambres dotées d'une ventilation en pression négative dont l'hôpital était déjà équipé. Il ne semble pas que cette façon de procéder ait infl ué sur les résultats pour les patients ou le personnel de cet hôpital, bien qu'on n'y ait soigné qu'un petit nombre de patients atteints du SRAS. Comme il a été signalé à Taïwan(24) , l'accès à des unités dédiées n'a pas, à lui seul, permis de prévenir toute transmission de l'infection(8,9) . Quoi qu'il en soit, l'expérience de la RGT montre la véritable capacité du système et de chaque établissement à adapter rapidement ses installations à des exigences techniques spécialisées. Il semble que les soins administrés aux patients atteints du SRAS et la protection des membres du personnel aient été adéquats, quelles que soient les caractéristiques matérielles des unités, comme l'accessibilité ou l'emplacement de l'unité de soins infirmiers ou de l'aire de repos.

L'éclosion du SRAS de 2003 a été une expérience collective et individuelle hors du commun, tant pour les établissements de santé que pour les personnes qui ont collaboré lors de l'éclosion dans la RGT. Les observations tirées de cette expérience décrites dans la présente étude sont limitées en raison de l'information incomplète et de la variabilité des méthodes de rapport des établissements de santé. Même si cette étude ne décrit que huit hôpitaux, ceux-ci sont probablement représentatifs de l'expérience de l'ensemble de la RGT. L'expérience de chaque hôpital était certes unique, mais les tensions et les problèmes importants qu'il a fallu régler pour maîtriser l'éclosion n'en étaient pas moins remarquablement similaires au sein de ce groupe diversifi é. Les commentaires des personnes témoignent du stress vécu et de la récurrence des sujets de préoccupation des personnes concernées. D'autres rapports ont abordé certains aspects liés au stress intense vécu(12,25,26) . Dans un environnement caractérisé par de nombreux éléments inconnus, imposant aux personnes et aux établissements un stress intense, les établissements de santé et leur personnel ont néanmoins joué un rôle essentiel dans l'atteinte de l'objectif ultime, soit la maîtrise de l'éclosion de SRAS dans la RGT.

L'expérience décrite dans la RGT et d'autres régions urbaines aux prises avec des éclosions de SRAS de grande ampleur est exceptionnelle. Le personnel responsable de la prévention des infections doit sans doute espérer ne plus avoir à revivre une telle situation. À un autre niveau, l'étude de cette expérience a permis d'explorer les aspects qui pourraient être améliorés par une compréhension et un état de préparation accrus(27,28) . Entre autres, elle permet de constater que la prestation des soins de santé est un processus entièrement intégré, et qu'aucun établissement ne peut fonctionner isolément. Ensuite, que l'observance des pratiques en matière de prévention des infections, fondées sur les connaissances, doit être au coeur de toute intervention, si l'on veut promouvoir des pratiques rationnelles et réalistes. La formation normalisée et continue des travailleurs de la santé spécialisés en prévention des infections doit demeurer une priorité.

Remerciements

Les auteurs tiennent à souligner la contribution des personnes suivantes, qui ont rendu possible la réalisation de ce projet : Katie Cassidy, John Koch, Stéphanie Leduc, Louise Marasco, Melinda Piecki et le personnel des hôpitaux participants.

Références

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