Recherche d’Agriculture et Agroalimentaire Canada sur la résistance aux antimicrobiens

RMTC

Volume 43-11, le 2 novembre 2017 : La résistance au antimicrobiens et l’approche « Une Santé »

Aperçu

Programme de recherche d’Agriculture et Agroalimentaire Canada sur la résistance aux antimicrobiens

E Topp1

Affiliation

1 Centre de recherche et de développement de London, Agriculture et Agroalimentaire Canada, London (Ontario)

Correspondance

ed.topp@agr.gc.ca

Citation proposée

Topp E. Programme de recherche d’Agriculture et Agroalimentaire Canada sur la résistance aux antimicrobiens. Relevé des maladies transmissibles au Canada. 2017;43(11):254-8. https://doi.org/10.14745/ccdr.v43i11a03f

Résumé

L’une des stratégies clés pour atténuer le développement de la résistance aux antimicrobiens (RAM) consiste à assurer une utilisation judicieuse des antimicrobiens en médecine humaine et vétérinaire et en agriculture. La recherche sur la résistance aux antimicrobiens en agriculture comprend l’évaluation et la gestion des risques, ainsi que la détermination du rôle des pratiques agricoles dans le développement de la résistance aux antimicrobiens. L’évaluation des risques consiste à évaluer l’incidence de l’utilisation des antimicrobiens chez les animaux d’élevage et dans l’environnement, du fait notamment que de nombreux antimicrobiens sont excrétés sous forme inchangée et qu’ils se retrouvent ainsi dans l’environnement lors de l’épandage de fumier, ce qui crée un risque que la résistance aux antimicrobiens se transmette par la chaîne de transformation des aliments, de même que dans les écosystèmes agricoles qui reçoivent les déchets agricoles. La gestion des risques consiste à évaluer des méthodes qui présentent un bon rapport coût-avantage et qui permettent de garder les animaux en bonne santé sans avoir recours à des antimicrobiens; il peut s’agir, par exemple, de la vaccination, de la prise de suppléments nutritifs, de prébiotiques, probiotiques ou symbiotiques, ou encore de stratégies de gestion des déchets visant à éviter la transmission de la résistance aux antimicrobiens. Nos connaissances actuelles sur le degré d’exposition des humains à la résistance aux antimicrobiens résultant de l’agriculture, sur le fardeau des maladies humaines causées par des agents pathogènes résistants aux antimicrobiens, ainsi que sur la relation entre l’exposition et le fardeau des maladies, comportent de grandes lacunes. Il est important que les recherches sur les différents volets de la résistance aux antimicrobiens liés à l’agriculture, à la médecine environnementale et à la médecine humaine ne soient pas menées de manière cloisonnée, et c’est la raison pour laquelle les Nations Unies et des pays du monde entier ont choisi d’adhérer au concept « Une seule santé » qui tient compte de l’interdépendance entre les humains, les animaux et l’environnement.

Introduction

La résistance aux antimicrobiens (RAM) est un très important problème de santé publique à l’échelle mondiale, qui deviendra une catastrophe mondiale de santé publique si les prédictions concernant la résistance à tous les médicaments devaient se concrétiserNote de bas de page 1 . Face à cette menace, des gouvernements nationaux, dont celui du Canada, ont entrepris d’élaborer et de mettre en œuvre des plans d’action nationaux pour lutter contre la résistance aux antimicrobiens. Ces plans s’articulent généralement autour de quatre piliers, soit : la surveillance, la lutte contre les infections, la gestion et l’innovation. Afin d’optimiser les résultats, les activités menées dans le cadre de chacun de ces piliers devraient être fondées sur le concept « Une seule santé » qui reconnaît le continuum entre les humains, les animaux et l’environnement.

Contexte

L’une des stratégies clés pour atténuer le développement de la résistance aux antimicrobiens (RAM) consiste à assurer une utilisation judicieuse des antimicrobiens en médecine humaine et vétérinaire et en agriculture. En ce qui concerne l’agriculture, le degré d’utilisation de certains antimicrobiens est fortement lié à la résistance à ces antimicrobiens observée dans des isolats d’Escherichia coli générique provenant de bovins, de porcs ou de volaille Note de bas de page 2 . Ce type de données probantes montre clairement l’importance de réduire l’utilisation des antimicrobiens en agriculture, dans le but d’atténuer le fardeau des bactéries porteuses des gènes conférant la résistance aux antimicrobiens dans les systèmes d’élevage d’animaux destinés à l’alimentation Note de bas de page 3 . Cela devrait permettre de réduire l’exposition des humains aux agents pathogènes (p. ex. Salmonella) qui ont acquis une résistance aux antimicrobiens dans le système de production alimentaire, ainsi qu’aux bactéries commensales qui portent les gènes de résistance aux antimicrobiens et qui peuvent devenir des agents pathogènes dans l’appareil digestif des humains.

Un certain nombre de changements en cours réduiront l’utilisation des antimicrobiens dans l’élevage des animaux destinés à l’alimentation. Mentionnons entre autres les pressions exercées par le marché, les consommateurs étant de plus en plus à la recherche de poulet et de bœuf « sans antibiotique ». On observe également un resserrement de la réglementation régissant la vente et l’utilisation des médicaments, que l’on pense notamment au renforcement de la surveillance, par les vétérinaires, de l’utilisation des antimicrobiens, ainsi qu’au retrait des allégations relatives à l’utilisation d’antimicrobiens importants sur le plan médical pour stimuler la croissance des animaux destinés à l’alimentation. Cependant, la réduction de l’utilisation des antimicrobiens chez les animaux destinés à l’alimentation représente un défi pour les producteurs qui comptent sur ces produits pour maintenir leurs animaux en bonne santé. Les problèmes de santé précis susceptibles de résulter d’une réduction de l’utilisation des antimicrobiens, ainsi que les solutions de rechange efficaces et souhaitables à l’utilisation d’antimicrobiens, varieront selon le secteur visé (c.‑à-d. volaille, porcins, bovins laitiers ou bovins de boucherie). De façon générale, la modification des pratiques agricoles et la mise en œuvre efficace de technologies assurant le maintien de la santé et du bien-être des animaux, de la qualité et de la salubrité des produits alimentaires, de la sécurité alimentaire et de la prospérité économique des producteurs sont deux mesures essentielles pour réduire l’utilisation des antimicrobiens en agriculture.

De tous les ministères et organismes fédéraux à vocation scientifique au Canada, Agriculture et Agroalimentaire Canada (AAC) est unique du fait qu’il a le mandat, l’expertise et l’infrastructure nécessaires pour mener des recherches sur tous les principaux systèmes d’élevage d’animaux destinés à l’alimentation et systèmes de production végétale. Des recherches sont menées pour appuyer l’ensemble du système agroalimentaire canadien, lequel représente 6,6 % du produit intérieur brut national et emploie un Canadien sur huit. Depuis de nombreuses années, la Direction générale des sciences et de la technologie d’Agriculture et Agroalimentaire Canada mène des recherches sur la résistance aux antimicrobiens en agriculture. Les centres de recherche d’Agriculture et Agroalimentaire Canada situés à Sherbrooke, Guelph, London, Lethbridge, Lacombe et Summerland ont notamment mis sur pied des programmes actifs sur la résistance aux antimicrobiens chez les bovins laitiers, le porc, la volaille et les bovins de boucherie et sur les aspects environnementaux de la résistance aux antimicrobiens.

Le présent article donne un aperçu des recherches menées par Agriculture et Agroalimentaire Canada dans trois domaines généraux, soit l’évaluation des risques, la gestion des risques, ainsi que la détermination du rôle de la production animale dans le développement et la transmission de la résistance aux antimicrobiens et l’importance de l’adhésion de la collectivité internationale au concept « Une seule santé ». Aux fins du présent article, un agent antimicrobien s’entend d’un médicament utilisé expressément pour traiter ou prévenir une infection bactérienne, mais non virale, fongique ou protozoaire.

Recherche sur la résistance aux antimicrobiens et l’agriculture

Évaluation des risques

L’évaluation du risque de la résistance aux antimicrobiens dans le contexte de l’agriculture consiste à examiner le lien entre l’utilisation des antimicrobiens et la probabilité d’apparition d’une résistance aux antimicrobiens dans le système de production agricole. L’approche expérimentale compare souvent les effets de la variation de l’utilisation des antimicrobiens sur le fardeau lié à la résistance aux antimicrobiens dans le microbiome intestinal des animauxNote de bas de page 4 Note de bas de page 5 . Le devenir des bactéries résistantes aux antimicrobiens dans la chaîne de transformation des aliments est un élément déterminant de l’exposition des humains à ces bactéries par la consommation d’aliments Note de bas de page 6 . De nombreux antimicrobiens sont excrétés sous forme inchangée et, de ce fait, se retrouvent dans l’environnement lors de l’épandage de fumier. Les cultures, y compris les produits frais cultivés dans des sols fertilisés au fumier, constituent donc une voie d’exposition potentielle pour les humains ou les animaux ravageurs. On étudie actuellement l’écologie des bactéries entériques résistantes aux antimicrobiens dans les systèmes de production végétale utilisant la fertilisation au fumier, afin d’évaluer le risque que le fardeau lié à la résistance aux antimicrobiens augmente dans les cultures au moment de la récolteNote de bas de page 7 Note de bas de page 8 . On s’intéresse plus particulièrement au devenir des antimicrobiens dans le sol et à leurs répercussions possibles sur les microorganismes du solNote de bas de page 9 Note de bas de page 10 . L’objectif global est de comprendre la dynamique du développement de la résistance aux antimicrobiens dans les systèmes de production animale et végétale, ainsi que le risque de transmission de la résistance aux antimicrobiens par la chaîne de transformation des aliments et dans les écosystèmes agricoles qui reçoivent les déchets agricoles. Ces renseignements pourront ensuite être utilisés pour étayer des modèles quantitatifs examinant les liens entre l’utilisation d’antimicrobiens et la résistance aux antimicrobiens, l’évaluation quantitative du risque microbiologique lié à la résistance aux antimicrobiens chez les humains, ainsi que les meilleures pratiques de gestion réduisant l’exposition des humains aux bactéries résistantes aux antimicrobiens.

Gestion des risques

Dans le présent document, la gestion des risques s’entend de la mise en œuvre de pratiques de production qui réduisent le recours aux antimicrobiens, tout en maintenant ou en améliorant le rendement du système de production. Son objectif est de mettre en œuvre des méthodes rentables qui permettent de garder les animaux en bonne santé et de réduire l’utilisation d’antimicrobiens à des fins prophylactiques ou thérapeutiquesNote de bas de page 11 . Parmi les options disponibles à cette fin, mentionnons la vaccination, l’utilisation de suppléments nutritifs, de prébiotiques, probiotiques ou symbiotiques, la sélection visant à produire des animaux plus robustes et l’amélioration de la conception des bâtiments dans les systèmes d’élevage en bâtiments clos. Il serait peut-être également possible d’optimiser les microbiomes de jeunes animaux par inoculation (une approche semblable à la bactériothérapie fécale chez les humains) ou par des interventions nutritionnelles imitant les effets de stimulation de la croissance associés aux antimicrobiens. Les innovations efficaces et rentables en matière de technologie et de méthodes d’élevage varieront en fonction du secteur visé.

Une autre stratégie de gestion des risques consiste à réduire l’exposition dans l’environnement aux bactéries résistantes aux antimicrobiens et aux résidus d’antimicrobiens qui sont excrétés par les animaux de ferme. Dans certains systèmes d’élevage en bâtiments clos, le fumier peut être traité par digestion ou compostage afin de réduire le fardeau lié à la résistance aux antimicrobiens avant d’appliquer le fumier sur le solNote de bas de page 12 . La recherche fondamentale et la recherche translationnelle dans ce domaine offrent de grandes possibilités de développer et de valider des moyens de réduire l’utilisation des antimicrobiens en agriculture et, par conséquent, l’exposition des humains à la résistance aux antimicrobiens par la chaîne alimentaire ou dans les divers environnements qui reçoivent des déchets agricoles.

Importance relative de l’agriculture dans le développement de la résistance aux antimicrobiens

La détermination de l’importance de l’utilisation des antimicrobiens en agriculture par rapport à d’autres domaines susceptibles de contribuer au développement et à la transmission de la résistance aux antimicrobiens chez les humains selon le concept « Une seule santé » représente un défi de taille. En ce qui a trait à la transmission d’origine hydrique, il est difficile de distinguer la pollution entérique attribuable au bétail de celle due aux humains dans un paysage qui réunit à la fois d’importantes populations humaines et animalesNote de bas de page 13 Note de bas de page 14 . Bien que les programmes de surveillance (p. ex. le Programme intégré canadien de surveillance de la résistance aux antimicrobiens [PICRA]) et diverses initiatives de recherche aient permis jusqu’à maintenant de recueillir une abondance d’information sur le fardeau de la résistance aux antimicrobiens dans les aliments et dans les environnements touchés par l’élevage d’animaux destinés à l’alimentation, les données de surveillance ne contiennent généralement pas de renseignements sur ce qui se produit lorsque des personnes sont exposées à des bactéries résistantes aux antimicrobiens. Il existe donc des lacunes importantes dans notre compréhension du lien entre l’exposition des humains à la résistance aux antimicrobiens provenant de l’agriculture et le fardeau global des agents pathogènes résistants aux antimicrobiens dans les populations humaines. L’élaboration de méthodes permettant de recueillir de telles informations (p. ex. une solide évaluation des risques pour la santé humaine)Note de bas de page 15  serait essentielle pour comparer les avantages potentiels d’une réduction de l’utilisation des antimicrobiens en agriculture aux avantages résultant d’une réduction de leur utilisation en médecine humaine pour atténuer l’apparition d’une résistance aux antimicrobiens chez les agents pathogènes pour l’humain.

Cadre fondé sur le concept « Une seule santé »

Les bactéries circulent facilement entre les personnes, les animaux et l’environnement. Il est donc important d’éviter que les recherches portant sur les différents aspects de la résistance aux antimicrobiens liés à l’agriculture, à l’environnement et à la médecine humaine soient menées de façon cloisonnéeNote de bas de page 3 . Dans cette optique, le programme de recherche sur la résistance aux antimicrobiens d’Agriculture et Agroalimentaire Canada est fortement axé sur la collaboration. La Direction générale des sciences et de la technologie d’Agriculture et Agroalimentaire Canada sollicite ouvertement les conseils de l’industrie agricole et d’intervenants en matière de réglementation (p. ex. la Direction des médicaments vétérinaires de Santé Canada) pour définir des priorités responsables et percutantes pour la recherche sur la résistance aux antimicrobiens. Agriculture et Agroalimentaire Canada collabore également largement avec des collègues du milieu universitaire à l’échelle nationale et internationale, ainsi qu’avec d’autres ministères et organismes fédéraux à vocation scientifique qui ont un intérêt pour la résistance aux antimicrobiens. L’Initiative de recherche et développement en génomique sur la résistance aux antimicrobiens (IRDG-RAM) est un projet interministériel qui offre un excellent exemple de la façon de tirer profit de l’expertise et des ressources de tous les ministères et organismes à vocation scientifique concernés (Agriculture et Agroalimentaire Canada, Agence de la santé publique du Canada, Agence canadienne d’inspection des aliments, Santé Canada et Conseil national de recherches du Canada) pour atteindre un objectif communNote de bas de page 16 . L’Initiative de recherche et développement en génomique sur la résistance aux antimicrobiens vise deux objectifs globaux. Le premier objectif est de mieux comprendre les principales activités qui contribuent à l’apparition de la résistance aux antimicrobiens dans les systèmes de production alimentaire, ainsi que les principales voies par lesquelles les humains sont exposés à des bactéries résistantes aux antimicrobiens. Cette information permettra de déterminer les principaux points d’intervention à cibler pour atténuer les effets. Le deuxième objectif est de valider des technologies, des pratiques et des politiques économiquement viables pour atténuer le développement de la résistance aux antimicrobiens dans les systèmes de production alimentaire. Ces renseignements aideront à déterminer la meilleure façon de prendre en charge les points d’intervention critiques. Enfin, de récentes déclarations de principe de l’Organisation mondiale de la Santé, de l’Organisation mondiale de la santé animale et de l’Organisation des Nations Unies en faveur du concept « Une seule santé » ont récemment été intégrées au cadre pancanadien sur la résistance aux antimicrobiensNote de bas de page 17 .

Conclusion

La résistance aux antimicrobiens représente aujourd’hui une menace très importante pour la santé publique. Nous devons faire une utilisation plus judicieuse et plus responsable des antimicrobiens dans les systèmes d’élevage d’animaux destinés à l’alimentation afin de réduire au minimum la sélection pour la résistance et, par conséquent, le risque que la résistance se transmette aux humains par la chaîne alimentaire ou l’environnement. Le rôle d’Agriculture et Agroalimentaire Canada dans le cadre pancanadien sur la résistance aux antimicrobiens et sur l’utilisation des antimicrobiens est de collaborer à l’élaboration de stratégies de production animale et de gestion des déchets novatrices qui permettront de réduire la résistance aux antimicrobiens dans les systèmes de production alimentaire, tout en maintenant la productivité et la rentabilité des systèmes, le bien-être des animaux, la salubrité et la sécurité des aliments et la qualité de l’environnement. Grâce à des partenariats établis avec des collaborateurs et des intervenants de l’extérieur, les recherches menées par Agriculture et Agroalimentaire Canada fourniront aux agriculteurs canadiens les outils dont ils ont besoin pour relever ce défi.

Conflit d’intérêt

Aucun.

Remerciements

L’auteur tient à remercier ses nombreux collègues d’Agriculture et Agroalimentaire Canada dont les travaux visent à atténuer la résistance aux antimicrobiens dans l’intérêt de la collectivité agricole et de tous les Canadiens. Il remercie également vivement C. Carson, J. Gracia-Garza, A. Lamoureux, X.-Z Li et R. Menassa pour leur examen critique de l’article.

Détails de la page

Date de modification :