Améliorer la santé des Autochtones à l'aide de la syndémie
Publié par : L’Agence de la santé publique du Canada
Numéro : Volume 43-6 : Santé des Autochtones
Date de publication : 1er juin 2017
ISSN : 1719-3109
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Volume 43-6, le 1er juin 2017 : Santé des Autochtones
Commentaire
Les éclosions dans l'optique de la syndémie : de nouvelles notions pour améliorer la santé des Autochtones
A Andermann1,2,3*
Affiliations
1 Direction générale de la santé des Premières nations et des Inuits, Santé Canada, Montréal (Québec)
2 Département de médecine familiale, Département d'épidémiologie, de biostatistique et de santé au travail, Université McGill, Montréal (Québec)
3 Département de santé publique, Conseil Cri de la santé et des services sociaux de la Baie James, Montréal (Québec)
Correspondance
Citation proposée
Andermann A. Les éclosions dans l’optique de la syndémie : de nouvelles notions pour améliorer la santé des Autochtones. Relevé des maladies transmissibles au Canada. 2017;43(6):140-8. https://doi.org/10.14745/ccdr.v43i06a02f
Résumé
Les approches classiques en matière de prévention et de contrôle des maladies transmissibles en milieux autochtones pourraient tirer profit des nouvelles notions découlant de l'intérêt croissant pour la syndémie. La « syndémie » est un terme utilisé pour décrire un cadre conceptuel visant à comprendre les maladies ou problèmes de santé et la façon dont ils sont exacerbés par le milieu social, économique, environnemental et politique dans lequel vit une population. Encore aujourd'hui, les interventions dans le domaine des maladies transmissibles reposent sur des approches classiques en matière de prévention et de contrôle des éclosions; or, ces stratégies ne sont pas toujours fructueuses à elles seules, en particulier auprès des populations marginalisées et défavorisées. Il faut privilégier une approche plus large qui tient compte des facteurs systémiques en cause, qui comprend comment les divers systèmes et politiques contribuent ou nuisent à l'efficacité des interventions et qui détermine les changements structurels nécessaires pour créer des milieux plus favorables et accroître la résilience de la population. Dans le contexte autochtone, que l'accent soit mis sur l'hépatite C, la tuberculose, le VIH ou les maladies d'origine hydrique, il est important de reconnaître a) que les déterminants sociaux contribuent à l'émergence et à la persistance des éclosions, b) que les approches classiques en matière de contrôle des maladies transmissibles sont nécessaires, mais ne suffisent pas à elles seules et c) que l'utilisation d'une approche « syndémique » pourrait permettre de tirer profit d'une action à plusieurs niveaux visant à s'attaquer aux causes profondes du mauvais état de santé et à favoriser l'élaboration de stratégies plus efficaces pour améliorer la santé des Autochtones et réduire les inégalités en matière de santé.
Introduction
Un consensus de plus en plus large se dégage au Canada sur la nécessité d'améliorer l'état de santé des Autochtones. Il est bien connu que les Autochtones ont, en moyenne, une espérance de vie plus courte et un fardeau de maladies chroniques plus lourd que le reste de la population canadienne. Les maladies transmissibles touchent également les Autochtones du Canada de façon disproportionnée. À titre d'exemple, la population autochtone représente environ 4,3 % de la population totale du Canada, mais elle supporte 17 % du fardeau de la tuberculose. Autre disparité, les nouvelles infections sont 270 fois plus susceptibles de se manifester chez des Inuits que chez des non-Autochtones nés au Canada Note de bas de page1. Plusieurs facteurs contribueraient à ces écarts, notamment des facteurs historiques, les conditions de vie dans les logements surpeuplés et les défis liés au système de santé. De plus, la coexistence de problèmes de santé tels que le VIH, le diabète et la consommation d'alcool et de drogues augmente le risque qu'une infection tuberculeuse latente évolue en tuberculose active Note de bas de page2.
Il existe depuis peu un intérêt croissant pour la notion de syndémie au sein de la communauté mondiale de la santé publique. La « syndémie » est un terme utilisé pour décrire un cadre conceptuel visant à comprendre les maladies ou problèmes de santé et la façon dont ils sont exacerbés par le milieu social, économique, environnemental et politique dans lequel vit une population. Cette notion décrit la manière dont des problèmes de santé coexistants peuvent s'exacerber les uns les autres et ainsi accroître la vulnérabilité des populations marginalisées et défavorisées et aggraver les effets sur leur santé Note de bas de page3. Il serait certainement bénéfique de repenser les stratégies actuelles de prévention et de contrôle des maladies transmissibles dans l'optique de la « syndémie », afin d'élaborer des interventions qui vont au-delà des approches classiques (c.-à-d. la vaccination et le suivi des contacts), de manière à inclure des politiques et des programmes qui s'attaquent aux causes profondes sous-jacentes, et souvent structurelles.
La notion de syndémie est étroitement liée à l'équité en matière de santé et aux déterminants sociaux de la santé Note de bas de page4. L'Organisation mondiale de la Santé définit les déterminants sociaux comme « les circonstances dans lesquelles les individus naissent, grandissent, vivent, travaillent et vieillissent ainsi que les systèmes mis en place pour faire face à la maladie » Note de bas de page5, comme les politiques économiques, les normes sociales et les régimes politiques. Les personnes qui vivent dans des conditions défavorables sont souvent davantage exposées aux facteurs externes qui menacent leur santé et sont moins en mesure de s'en protéger, ce qui se traduit souvent par de pires résultats sur la santé. À titre d'exemple, selon une étude multi-cohortes et une méta-analyse récemment publiées dans The Lancet, et portant sur plus de 1,7 million de patients suivis durant une période moyenne de 13 ans, les participants âgés de 40 à 85 ans de statut socioéconomique inférieur présentaient un taux de mortalité prématurée d'environ 40 % plus élevé et mouraient en moyenne deux ans plus tôt que les participants d'un statut socioéconomique plus élevé Note de bas de page6.
Les déterminants sociaux de la santé incluent un large éventail de facteurs, dont le revenu, le soutien social, le développement durant la petite enfance, l'éducation, l'emploi, le logement et le sexe Note de bas de page7. Dans le contexte autochtone, en plus de ces facteurs explicatifs sociaux, d'autres facteurs encore plus profondément ancrés, comme les antécédents de colonisation, l'ambiguïté quant au partage des compétences, le racisme structurel, les traumatismes intergénérationnels et même le droit à la propriété foncière et l'émancipation, peuvent tous exercer une grande influence sur la santé de la population, et ce, d'une façon souvent insidieuse Note de bas de page8. De fait, il existe de nombreux cadres qui tentent d'expliquer ce que sont les déterminants sociaux, comment ces facteurs interagissent et influent sur la santé et les moyens à prendre pour réduire les inégalités en matière de santé Note de bas de page9. En ce qui a trait à la santé des Autochtones, l'un des cadres les plus souvent utilisés est le Modèle holistique de planification et de politique des Premières nations élaboré par l'Assemblée des Premières nations Note de bas de page10. Ce modèle souligne l'importance de l'autonomie gouvernementale et de la continuité culturelle, deux éléments que Chandler et Lalonde ont décrits comme étant les fondements de la résilience et du bien-être Note de bas de page11. Une collectivité forte est essentielle au maintien d'une bonne santé, et les rapports (au sein d'une collectivité, entre les collectivités ainsi qu'avec les institutions officielles) sont essentiels au renforcement du capital social Note de bas de page12. Dans ce modèle, la roue médicinale exerce une grande influence holistique (c.-à-d. accent sur les aspects physique, mental, émotionnel et spirituel de la santé), tout comme la prise en compte de la santé durant toutes les étapes de la vie (c.-à-d. chez les enfants, les jeunes, les adultes et les aînés).
Bien que l'on puisse admettre intuitivement que des facteurs plus vastes entrent en jeu, on peut se demander concrètement comment cette nouvelle approche syndémique pourrait contribuer à réduire la morbidité et la mortalité associées aux maladies transmissibles. Le présent article a pour but d'explorer comment l'application d'une approche syndémique peut aider à améliorer la prévention et le contrôle des maladies infectieuses chez les populations autochtones du Canada.
Analyse
L'utilité de l'approche syndémique pour renforcer la prévention et le contrôle des maladies infectieuses en milieux autochtones repose sur trois hypothèses fondamentales : les déterminants sociaux de la santé contribuent largement à l'émergence et à la persistance des éclosions; un certain nombre de menaces que posent les maladies infectieuses ne pourront être maîtrisées de façon optimale qu'en tenant compte des déterminants sociaux de la santé, et l'utilisation d'une approche syndémique peut favoriser l'élaboration de nouvelles approches en matière de soins cliniques, de santé de la population et de politique publique visant à promouvoir la santé de la population autochtone et à réduire les inégalités.
Les déterminants sociaux qui contribuent aux éclosions
Il est de plus en plus admis que (traduction) « la pauvreté, le surpeuplement, le déplacement des populations, les systèmes de santé déficients, l'accès inadéquat à de l'eau salubre et à des mesures d'hygiène et l'état de santé de populations précises sont tous des facteurs qui contribuent aux épidémies et à l'éclosion de maladies émergentes » Note de bas de page 13. Les personnes qui vivent dans des milieux physiques et sociaux dégradés sont plus à risque de contracter des maladies transmissibles, de les propager et même d'en mourir Note de bas de page 14.
Ce constat vaut également pour les populations autochtones, chez qui il a été démontré que « vivre dans un logement qui a besoin de réparations majeures; ne pas avoir terminé ses études secondaires; être sans emploi… vivre en situation d'insécurité alimentaire (au cours des 12 mois précédents et) n'avoir personne sur qui compter en période de besoin » sont associés à des résultats négatifs en matière de santéNote de bas de page 15. Or, il est bien documenté que les conditions de vie de bon nombre d'Autochtones au Canada sont beaucoup plus précaires que celles de leurs homologues non autochtones. En 2011, au Canada, « 28 % des Premières Nations vivant dans une réserve et 30 % des Inuits habitaient dans un logement surpeuplé », comparativement à 4 % des Canadiens non autochtonesNote de bas de page 16. De même, parmi les adultes autochtones âgés de 25 à 64 ans, « 28,9 % n'avaient aucun certificat, diplôme ou grade », alors que la proportion correspondante chez les non-Autochtones était de 12,1 %Note de bas de page 17. Hors réserve, « environ un ménage (autochtone) sur cinq (20,9 %) était en situation d'insécurité alimentaire, dont 8,4 % en situation d'insécurité alimentaire grave », ce qui est trois fois plus élevé que les proportions observées chez les ménages non autochtones, dont 7,2 % étaient en situation d'insécurité alimentaire et 2,5 % en situation d'insécurité alimentaire graveNote de bas de page 18.
Il existe une corrélation manifeste entre ces conditions de vie et les taux plus élevés de maladies transmissibles, notamment de tuberculose,de Staphylococcus aureus résistant à la méthicilline(SARM) acquis dans la communauté et d'infections transmissibles sexuellement et par le sang (ITSS) chez les Autochtones que chez les non-Autochtones du Canada Note de bas de page 19. De fait, une documentation abondante établit un lien entre les taux plus élevés de VIH chez les populations autochtones et des facteurs tels que la violence, la stigmatisation et la discrimination, combinés à la méfiance envers le système de santé, (traduction) « ce qui contribue à la situation défavorable vis-à-vis du VIH et aux mauvais résultats en matière de santé observés chez les peuples autochtones » Note de bas de page 19. La récente éclosion de VIH chez les peuples autochtones de la Saskatchewan, où les taux d'incidence sont 11 fois supérieurs à la moyenne nationale, témoigne bien de ce fait Note de bas de page 20. L'élaboration d'interventions et de modèles de soins efficaces exige l'adoption d'approches à facettes multiples qui permettent de s'attaquer aux divers aspects en cause Note de bas de page 21 notamment la prise en compte des expériences de vie traumatiques Note de bas de page 22 y compris la violence sexuelle Note de bas de page 23 ainsi que la prise en charge des comorbidités, y compris les autres infections transmissibles sexuellement comme la chlamydia qui, selon les estimations, « est près de sept fois plus fréquente chez les adultes des Premières Nations que dans la population générale » Note de bas de page 24. Il serait possible de créer des approches adaptées à la réalité culturelle pour lutter contre les éclosions de VIH dans les populations autochtones, grâce auxquelles 90 % des personnes vivant avec le VIH connaîtraient leur état sérologique, seraient traitées et obtiendraient une suppression virale. Selon un chef autochtone, (traduction) « la communication et la confidentialité sont la clé » Note de bas de page 25.
Cependant, un rapport récent intitulé First Peoples, Second Class Treatment décrit les obstacles structurels qui nuisent à l'accès à des soins de qualité et avec lesquels bon nombre de peuples autochtones doivent encore composer sur une base quotidienne Note de bas de page 26. D'autres obstacles structurels nuisent à la satisfaction d'un éventail de besoins fondamentaux tels que l'accès à la nourriture, à un logement de qualité et à l'eau potable. La difficulté chronique d'avoir accès à de l'eau potable dans les réserves, et l'attention que cette question a suscitée dans les médias Note de bas de page 27 ont amené certaines personnes à utiliser d'autres sources d'eau non salubres, ce qui a causé l'apparition de maladies d'origine hydrique Note de bas de page 28. Cette situation complexe causée par la multitude d'épidémies coexistantes représente une véritable syndémie où « les effets cumulatifs de multiples facteurs engendrant un désavantage social accentuent les résultats négatifs dans la vie » Note de bas de page 15. En plus des programmes verticaux (c.-à-d. approches axées sur une maladie unique pour la prévention et le contrôle de maladies transmissibles), il serait utile de privilégier davantage les approches « axées sur la personne » et fondées sur des systèmes pour s'attaquer à cet ensemble étroitement lié de problèmes de santé et problèmes sociaux.
Les approches classiques sont nécessaires mais insuffisantes à elles seules
Il ne fait aucun doute que les approches classiques d'intervention en cas d'éclosion (p. ex. le suivi des contacts et le traitement des cas infectieux) et la promotion des pratiques de prévention (p. ex. l'hygiène des mains, la vaccination et les pratiques sexuelles à risques réduits) demeurent le fondement des mesures de prévention et de contrôle des maladies transmissibles Note de bas de page29. Cependant, pour réduire vraiment l'incidence des maladies et la mortalité qui y est associée, il faut recourir à d'autres outils pour mieux comprendre non seulement les facteurs du système de santé, mais aussi les systèmes sociaux, économiques et politiques plus vastes qui sont en place, et pour mieux y répondre Note de bas de page30. Il est depuis longtemps reconnu que la clé du succès de la prévention des éclosions et des interventions en cas d'éclosion est de (traduction) « travailler avec diligence, de tisser des liens avec des collègues et d'assurer une communication efficace des idées et de l'information entre les différents niveaux de compétence et diverses disciplines scientifiques » Note de bas de page29.
En raison de l'augmentation des voyages internationaux et de l'interconnectivité de notre société mondiale, il devient de plus en plus important d'adopter des approches plus larges qui tiennent compte des préoccupations géopolitiques et de l'évolution des programmes politiques pour assurer la sécurité sanitaire à l'échelle nationale et mondiale Note de bas de page31. Il a été soutenu que, malgré la révision en 2005 du Règlement sanitaire international, la prévention des urgences de santé publique de préoccupation internationale (p. ex. les virus Ebola et Zika) nécessitera un rehaussement des investissements dans les systèmes de santé, en particulier dans les pays à revenu faible ou intermédiaire Note de bas de page32. Au cours des derniers mois, les Nations Unies ont fait de l'augmentation de la résistance aux antimicrobiens l'une de leurs priorités, soulignant ainsi la nécessité d'adopter une approche mondiale unifiée pour réduire les menaces que présentent les maladies transmissibles pour la santé Note de bas de page33. Il est de plus en plus manifeste que la prévention ne peut pas viser uniquement l'individu, par des messages tels que « Lavez-vous les mains », « Portez le condom » et « Évitez de partager des aiguilles », car la modification des comportements individuels n'est qu'une des pièces d'un casse-tête beaucoup plus grand.
En fait, les occasions manquées en matière de prévention et l'accès inéquitable aux soins de santé ont été cités comme d'importants facteurs expliquant l'inefficacité du système de santé Note de bas de page34, ce qui mène à des résultats négatifs sur la santé. Les dirigeants des systèmes de soins de santé sont de plus en plus conscients de la nécessité d'adopter une approche axée sur les déterminants sociaux et sur la santé de la population, non seulement pour améliorer la santé, mais aussi pour équilibrer les budgets, notamment en (traduction) « réduisant la demande de soins de santé et en contribuant à la viabilité du système de santé » Note de bas de page35. Le secteur de la santé peut jouer un important rôle de premier plan dans l'élimination des inégalités en matière de santé, en faisant de la prise en compte des déterminants sociaux une priorité du secteur, ainsi qu'en intégrant la réduction des disparités dans les politiques, programmes et services de santé Note de bas de page36.
En ce qui a trait à la santé des Autochtones, les appels à l'action de la Commission de vérité et réconciliation peuvent servir d'importants points de départ et de catalyseurs pour amorcer de tels changements Note de bas de page37. La Commission de vérité et réconciliation propose « d'adopter et de mettre en œuvre la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones dans le cadre de la réconciliation », laquelle stipule que « les peuples autochtones sont égaux à tous les autres peuples, tout en reconnaissant le droit de tous les peuples d'être différents, de s'estimer différents et d'être respectés en tant que tels » Note de bas de page38. Les appels à l'action de la Commission de vérité et réconciliation et la Déclaration des Nations Unies soulignent la nécessité de promouvoir une plus grande autodétermination ainsi qu'une amélioration de la protection de l'enfance, du développement économique, de la justice, de la culture, de la langue et de l'éducation pour les peuples autochtones, tous d'importants déterminants sociaux de la santé. Dans ses appels à l'action, la Commission de vérité et réconciliation demande notamment « d'établir des objectifs quantifiables pour cerner et combler les écarts dans les résultats en matière de santé entre les collectivités autochtones et les collectivités non autochtones (…), dont la mortalité infantile, la santé maternelle, le suicide, la santé mentale, la toxicomanie, l'espérance de vie, les taux de natalité, les problèmes de santé infantile, les maladies chroniques, la fréquence des cas de maladie et de blessure ainsi que la disponibilité de services de santé appropriés ». Puisque le rôle du secteur de la santé est d'améliorer la santé (et pas seulement de créer des services de santé) Note de bas de page39, les mesures axées sur les déterminants sociaux s'inscrivent parfaitement dans ce mandat. De plus, les outils nécessaires à l'atteinte de ces objectifs sont à portée de main si l'on adopte une approche syndémique.
Une approche fondée sur la syndémie pour s'attaquer aux causes fondamentales
Des stratégies efficaces qui tiennent compte des déterminants sociaux de la santé ont été élaborées au cours des dernières décennies à l'intention des travailleurs de la santé de première ligne qui interviennent dans des milieux cliniques occupés Note de bas de page 40 des professionnels de la santé publique travaillant auprès de la population Note de bas de page 41 et même des décideurs qui élaborent les politiques publiques Note de bas de page 42. Dans l'analyse qui suit, nous examinons comment appliquer certaines de ces pratiques exemplaires à une approche syndémique, dans le but d'améliorer la santé globale et de réduire les inégalités chez les populations autochtones.
Pratiques cliniques exemplaires pour l'intégration de la syndémie auprès des peuples autochtones
Il existe aujourd'hui des pratiques exemplaires bien définies permettant d'agir sur les déterminants sociaux de la santé dans la pratique clinique, que ce soit au niveau des soins aux patients, de la pratique ou de la collectivité (tableau 1). Ces pratiques peuvent servir de compléments utiles aux stratégies classiques visant à prévenir et à gérer les maladies transmissibles chez les populations autochtones.
Approche | Pratiques exemplaires |
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Au niveau des soins aux patients |
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Au niveau de la clinique ou du poste de soins infirmiers |
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Dans la collectivité |
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Par exemple, une infirmière travaillant dans une collectivité autochtone éloignée peut constater que des infections transmissibles sexuellement sont très courantes dans la population locale, en particulier chez les jeunes. Elle note cependant que peu de jeunes se rendent spontanément au poste de soins infirmiers et qu'ils n'y viennent qu'en cas de blessure aiguë ou d'une autre urgence nécessitant des soins immédiats. L'infirmière essaie donc une approche différente pour établir une relation de confiance avec les jeunes de la collectivité, en organisant chaque semaine un « café » et une soirée cinéma. Ces activités deviennent très populaires et, peu à peu, les jeunes commencent à se confier à l'infirmière et à lui faire part de leurs problèmes; l'infirmière est alors en mesure de les conseiller sur des questions telles que de saines relations, la planification familiale, la consommation d'alcool et de drogues et la prévention de la violence. Au fil du temps, plus de jeunes se rendent à la clinique pour recevoir des conseils sur la santé en matière de sexualité et sur le dépistage des maladies infectieuses ou encore des traitements, et ils sont dirigés au besoin vers divers services de santé et services sociaux. Lorsque l'infirmière comprend mieux les principales difficultés et la dynamique du milieu local, elle commence à réfléchir à ce qui pourrait être fait à l'échelle communautaire pour créer des environnements plus positifs en matière de santé; elle entame un dialogue avec le chef du conseil des jeunes, le directeur de l'école, des aînés, des aidants naturels et d'autres membres de la communauté et ces efforts mènent à la tenue d'une réunion sur la santé des jeunes où l'on discute de la voie à suivre en vue d'amorcer de plus grands changements à l'échelle communautaire. Bien qu'il n'existe pas de solutions « universelles », les travailleurs de la santé de première ligne peuvent être d'importants catalyseurs de changements pour agir sur les déterminants sociaux de la santé à plusieurs niveaux.
Approches syndémiques en matière de santé publique et de politiques visant les populations autochtones
Outre la mise en œuvre des domaines d'action de la Charte d'Ottawa pour la promotion de la santé Note de bas de page43, l'élaboration de politiques en matière de santé publique et la création d'environnements positifs pour la santé, les efforts plus récents visant à réduire les inégalités en matière de santé ont été axés principalement sur l'action intersectorielle et sur l'intégration de « la santé dans toutes les politiques ». L'action intersectorielle requiert la collaboration de multiples secteurs, dont ceux de l'éducation, de la justice et de l'emploi, pour s'attaquer aux problèmes complexes. L'approche de « la santé dans toutes les politiques » requiert la participation et le soutien de tous les ordres de gouvernement, ainsi qu'un solide leadership aux plus hauts niveaux Note de bas de page44. Les exemples de pratiques exemplaires sur la façon de créer des changements structurels sont de plus en plus nombreux, même dans le contexte des maladies transmissibles, qu'il s'agisse d'établir les objectifs en matière de politiques, de renforcer les capacités, de promouvoir les partenariats à plusieurs niveaux entre les secteurs ou de tenir la direction responsable d'amorcer de réels changements Note de bas de page45.
Un élément clé du travail intersectoriel et de l'approche de « la santé dans toutes les politiques » est la participation significative des personnes qui seront les plus touchées par les décisions qui seront prises. Que les décisions visent une population ou une politique, les choix éthiques exigent non seulement que les avantages globaux l'emportent sur les préjudices, et que ces avantages et préjudices soient répartis équitablement Note de bas de page46, mais également que la prise de décisions repose sur un processus équitable et transparent Note de bas de page47. La participation des peuples autochtones à la prise des décisions qui ont une incidence sur leur santé exige la mise en place d'un processus permanent qui permet de (traduction) « créer des occasions pour la collectivité de se faire entendre et d'agir pour modifier les conditions sociales et structurelles reconnues pour exercer un large éventail d'effets sur la santé de la collectivité » Note de bas de page48. Les peuples autochtones devraient être consultés sur chaque aspect de la prise de décisions qui a une incidence sur leur vie de tous les jours. Selon la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones, « Les peuples autochtones ont le droit de participer à la prise de décisions sur des questions qui peuvent concerner leurs droits, par l'intermédiaire de représentants qu'ils ont eux-mêmes choisis conformément à leurs propres procédures, ainsi que le droit de conserver et de développer leurs propres institutions décisionnelles » Note de bas de page38. Il y a un dicton qui dit que, même avec les meilleures intentions du monde, « rien pour nous sans nous ». La participation, l'autonomisation et l'autodétermination dans l'élaboration et la définition de solutions à des problèmes complexes sont en soi d'importants résultats (p. ex. un processus équitable et transparent fait partie intégrante de la solution).
Par comparaison avec le milieu clinique, les décisions qui touchent des populations ou des politiques publiques sont plus complexes et font intervenir un nombre beaucoup plus important d'intervenants Note de bas de page49. Il est particulièrement important que les nombreux partenaires différents travaillent de concert à l'atteinte des objectifs communs, qui sont d'améliorer la santé et de réduire les inégalités, lorsqu'il s'agit de questions de compétence partagée, ce qui est très fréquent lorsque les questions concernent la santé des Autochtones Note de bas de page50. La documentation fournit quelques exemples d'une telle collaboration intersectorielle axée sur l'amélioration de la santé des Autochtones du Canada Note de bas de page51; cette collaboration commence à s'établir mais, avant que l'on observe une véritable réduction des inégalités en matière de santé des Autochtones, elle devra faire partie intégrante du mode opératoire.
Outre les structures tripartites officielles (réunissant des représentants des gouvernements fédéral, provinciaux et autochtones, comme l'autorité sanitaire des Premières nations de la Colombie-Britannique et le Comité intergouvernemental de la santé des Premières nations du Manitoba) Note de bas de page52 qui sont de plus en plus utilisées, il existe de nombreuses façons d'établir des partenariats intersectoriels et pluri-institutionnels pour dissiper les ambiguïtés sur le partage des compétences. À titre d'exemple, la prévention des maladies transmissibles d'origine hydrique dans les réserves est un défi de taille qui exige la collaboration de nombreuses personnes et organisations différentes. Les lois qui régissent l'accès à l'eau potable ne sont pas sans lacunes Note de bas de page53. La crise de Walkerton nous a en effet enseigné que, même dans des milieux non autochtones, des défaillances dans la surveillance de la qualité de l'eau et la communication peuvent mener à l'éclosion de maladies d'origine hydrique et même à des décès, tous potentiellement évitables. L'enquête sur Walkerton a fait ressortir l'importance de procéder régulièrement à des analyses de l'eau, d'en consigner les résultats et de communiquer rapidement les résultats anormaux aux responsables de la santé publique, afin d'assurer la mise en place de mesures préventives appropriées, p. ex. les avis concernant la qualité de l'eau potable et systèmes adéquats de traitement de l'eau Note de bas de page54. Ces mesures s'inscrivent dans une approche à barrières multiples qui vise à protéger les citoyens contre les préjudices et qui s'applique également au contexte autochtone Note de bas de page55.
Il est important que l'élaboration de solution pour protéger les peuples autochtones contre les maladies d'origine hydrique se fasse en présence d'Autochtones et d'autres partenaires réunis autour d'une même table (ou durant une même téléconférence), afin que tous puissent convenir des détails de leur application « sur le terrain ». Il faut réunir le médecin hygiéniste régional et le gestionnaire régional du Programme de santé environnementale de la Direction générale de la santé des Premières nations et des Inuits de Santé Canada, le directeur du logement et de l'infrastructure du bureau régional d'Affaires autochtones et du Nord Canada, l'équipe du ministère provincial de l'Environnement responsable de l'application de la réglementation provinciale sur l'eau, la personne relevant du médecin hygiéniste en chef au ministère provincial de la Santé qui est responsable de la protection de la santé de l'environnement et, bien sûr, des représentants des collectivités autochtones ou des organismes de gouvernance autochtone - afin que tous travaillent ensemble dans le cadre d'une première étape nécessaire pour dégager une compréhension commune des problèmes complexes en jeu et proposer des stratégies visant à faciliter la communication et la transparence dans l'atteinte d'objectifs communs.
L'adoption d'une telle approche de collaboration pour résoudre ces problèmes complexes pourrait aider à éviter de créer l'impression qu'il existe « deux poids deux mesures » lorsqu'il s'agit de la gestion de la qualité de l'eau, selon qu'on se trouve sur une réserve ou hors réserve. Si des exemptions sont accordées à certaines municipalités (p. ex. elles ne sont pas tenues d'envoyer chaque mois le nombre requis d'échantillons d'eau aux laboratoires accrédités en raison de leur éloignement et des problèmes de transport), des exemptions comparables pourraient être accordées à des collectivités autochtones qui font face aux mêmes problèmes d'éloignement. La réglementation devrait toutefois être appliquée uniformément, sans égard à l'ethnicité ou aux antécédents culturels des habitants. Si les usines de traitement de l'eau doivent satisfaire à des normes d'agrément précises, ou que les contrôleurs communautaires de la qualité de l'eau doivent posséder une accréditation précise reconnue par les organismes de réglementation, tous devraient travailler à l'atteinte de ces objectifs précis pour s'assurer que tous sont protégés également en vertu de la loi. De cette façon, il sera possible de surmonter les nombreux obstacles organisationnels et structurels qui nuisent aux changements au sein de la population ou des politiques, y compris « le manque de temps ou de ressources, la rigidité des politiques, le manque de soutien de la part de la direction et les cloisonnements ministériels » Note de bas de page56. Une telle solution ne sera peut-être pas rapide; cependant, en allant de l'avant ensemble, il est probable qu'on trouvera des solutions plus efficaces et plus durables aux problèmes complexes et que cela mènera certainement à un processus plus inclusif et plus équitable. En effet, il existe des exemples provenant d'autres provinces et territoires qui illustrent la façon dont la voix des Autochtones a été prise en compte dans les processus de prise de décisions et dont nous pourrions nous inspirer Note de bas de page57.
Comme les changements climatiques marquent le début d'une progression vers le nord des vecteurs de maladies transmissibles, comme les tiques porteuses de la maladie de Lyme au Canada, les connaissances traditionnelles et la sagesse des aînés peuvent être très utiles. Selon un dicton autochtone, « Nous n'héritons pas de la Terre de nos parents, nous l'empruntons à nos enfants Note de bas de page58 ». Ce dicton fait ressortir la sagesse d'une prise de décision qui tient compte des répercussions sur les générations futures. Nous avons beaucoup à apprendre des approches autochtones en matière de santé et de bien-être, non seulement pour notre propre santé, mais aussi pour la santé des animaux et de la Terre, et pour nous acquitter de notre responsabilité fiduciaire envers le bien-être de notre planète Note de bas de page59,Note de bas de page60.
Conclusion
Les approches classiques en matière de prévention et de contrôle des maladies transmissibles ne suffisent plus à traiter certaines menaces graves que posent les maladies infectieuses, au Canada et dans le monde entier. Bien que le milieu médical et celui de la santé publique s'intéressent de plus en plus à l'importance d'une approche axée sur les déterminants sociaux, ce n'est que depuis peu que l'on s'intéresse aux inégalités en matière de santé au Canada. Nous avons encore beaucoup à apprendre sur la façon d'évaluer ces inégalités et d'amener les différents ministères et secteurs à mieux collaborer, pour trouver des solutions efficaces aux problèmes de santé et aux problèmes sociaux.
La Commission de vérité et réconciliation souligne la nécessité pour les peuples autochtones de participer davantage à la création de leurs propres systèmes et structures et au façonnement de leur avenir. L'utilisation d'une approche syndémique et la prise en compte des déterminants sociaux pourraient nous aider à mieux comprendre les causes profondes du mauvais état de santé ainsi qu'à mieux agir pour réduire la vulnérabilité et accroître la résilience de tous les Canadiens, y compris les peuples autochtones du Canada. Comme il s'agit d'un nouveau domaine d'action, nous devons mettre en commun nos pratiques exemplaires et nos réussites - tant sur le plan clinique que sur celui de la santé de la population ou des politiques publiques - et en rendre compte, afin de progresser vers la création d'une société en meilleure santé, qui soit plus équitable et plus durable.
Déclaration de l'auteur
Les points de vue exprimés dans cet article sont ceux de l'auteur et ne reflètent pas nécessairement ceux du gouvernement du Canada.
Conflit d'intérêt
Aucun.
Remerciements
Je tiens à remercier le directeur administratif régional, région du Québec, de la Direction générale de la santé des Premières nations et des Inuits de Santé Canada, Richard Budgell, pour son leadership sans prétention dans la mise en œuvre des appels à l'action de la Commission de vérité et réconciliation ainsi que pour ses efforts visant à accroître la sécurisation culturelle et la sensibilisation aux cultures dans son cercle d'influence, sans oublier la Dre Patricia Huston et mes collègues pour leurs suggestions utiles concernant les versions préliminaires de cet article.
Financement
Mon programme de recherche sur la prise en compte des déterminants sociaux en milieux cliniques (CLEAR Collaboration) est appuyé par Grands Défis Canada (GDC), les Instituts de recherche en santé du Canada (IRSC), le Fonds de recherche du Québec - Santé (FRSQ), la Fédération des médecins spécialistes du Québec (FMSQ) et le Centre de recherche St Mary's de Montréal (Canada).
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