Éclosions de streptocoque invasif du groupe A en milieu non hospitalier

RMTC

Volume 45-1, le 3 janvier 2019 : Défis liés au contrôle des infections

Rapport d’éclosions

Éclosions d’infections invasives à streptocoque du groupe A type emm118 dans un centre d’hébergement et de soins de longue durée et type emm74 dans la population en situation d’itinérance, Montréal, Québec

PA Pilon1,2, N Savard1,3, J Aho1,4, J Caron1, A Urbanek1, R Paré1, P Le Guerrier1,2, C Savard1, K Hammond-Collins4, C Dung Tran1, R Allard1,3, MC Domingo5

Affiliations

1 Secteur Prévention et contrôle des maladies infectieuses, Direction régionale de santé publique, Centre intégré universitaire de santé et de services sociaux du Centre-Sud-de-l’Île-de-Montréal, Montréal (Québec)

2 École de santé publique, Université de Montréal, Montréal (Québec)

3 Département d’épidémiologie, de biostatistique et de santé au travail, Université McGill, Montréal (Québec)

4 Agence de la santé publique du Canada, Ottawa (Ontario)

5 Laboratoire de santé publique du Québec, Sainte-Anne-de-Bellevue (Québec)

Correspondance

pierre.a.pilon.ccsmtl@ssss.gouv.qc.ca

Citation proposée

Pilon PA, Savard N, Aho J, Caron J, Urbanek A, Paré R, Le Guerrier P, Savard C, Hammond-Collins K, Dung Tran C, Allard R, Domingo MC. Éclosions d’infections invasives à streptocoque du groupe A type emm118 dans un centre d’hébergement et de soins de longue durée et type emm74 dans la population en situation d’itinérance, Montréal, Québec. Relevé des maladies transmissibles au Canada 2019;45(1):26-33. https://doi.org/10.14745/ccdr.v45i01a03f

Mots-clés : invasif, infection, streptocoque du groupe A, centre d’hébergement et de soins de longue durée, population itinérante, sans-abri, SGA, iSGA

Résumé

Contexte : Deux éclosions d’infections invasives à streptocoque du groupe A (iSGA) sont survenues en 2016 et 2017 à Montréal : une dans un centre d’hébergement et de soins de longue durée (CHSLD) (type emm118) et une dans la communauté, touchant principalement des personnes en situation d’itinérance (type emm74).

Objectif : Décrire deux éclosions récentes d’iSGA à Montréal et mettre en lumière les enjeux liés à la gestion et la nécessité d’adapter les interventions de santé publique pour les contrôler.

Méthodologie : Tous les cas d’iSGA ont fait l’objet d’une enquête et les isolats ont été acheminés au laboratoire pour typage emm. Dans les deux éclosions, une recherche des cas d’infection superficielle à SGA (streptocoque du groupe A) a aussi été faite, soit 1) une recherche systématique accompagnée d’une recherche de porteurs asymptomatiques chez les résidents et les employés du CHSLD, soit 2) par la surveillance sentinelle chez les personnes en situation d’itinérance. Des visites de milieux et services pour les personnes en situation d’itinérance ont été effectuées et une analyse des réseaux sociaux a été réalisée pour établir les liens entre les cas d’infections à SGA (invasives ou non) et les milieux fréquentés. Dans les deux contextes, des recommandations ont été formulées aux prestataires de services pour rehausser les mesures de prévention et de contrôle des infections.

Résultats : Dans le CHSLD, cinq cas d’iSGA type emm118 sont survenus sur une période de 22 mois, dont un décès. Tous les résidents ont été dépistés et aucun porteur n’a été identifié. Parmi les employés, 81 (65%) ont été dépistés. Quatre étaient porteurs du SGA dont un du type emm118. Tous ont reçu un traitement et les résultats de prélèvement de suivi pour trois porteurs étaient négatifs (incluant le porteur d’emm118).

Dans la communauté, 23 cas d’iSGA type emm74 ont été détectés sur une période de 16 mois, dont quatre décès. La moitié (n = 12) était en situation d’itinérance et six autres fréquentaient des services en itinérance. La surveillance sentinelle des infections superficielles a permis d’obtenir 64 cultures avec SGA, la plupart de la peau, dont 51 (80 %) type emm74. L’analyse des réseaux montre la variété et le grand nombre de ressources en itinérance fréquentées par les cas. Les visites des milieux et services pour les personnes en situation d’itinérance ont montré l’hétérogénéité des services offerts d’une ressource à l’autre, la précarité de certaines ressources, les difficultés à appliquer les mesures d’hygiène et de salubrité ainsi que la mobilité des personnes qui fréquentent ces services.

Conclusion : La détection et le contrôle des éclosions d’iSGA dans les établissements de soins prolongés et dans les ressources pour les personnes en situation d’itinérance s’avèrent complexes. Une éclosion d’iSGA peut évoluer à bas bruit sur une période prolongée et passer facilement inaperçue malgré la présence de cas hospitalisés. Le typage emm et la recherche systématique des cas antérieurs d’iSGA sont des outils essentiels pour la détection et la caractérisation d’éclosion. Une collaboration étroite entre la santé publique, les équipes cliniques, les milieux communautaires et les laboratoires est nécessaire pour surveiller et réduire la transmission du SGA lors d’éclosions dans la communauté et les milieux de soins.

Mots-clé : invasif, infection, streptocoque du groupe A, centre d’hébergement et de soins de longue durée, population itinérante, sans-abri

Introduction

Le streptocoque β-hémolytique du groupe A (SGA) (Streptococcus pyogenes) est une bactérie qui se transmet principalement de personne à personne par l’inhalation de gouttelettes respiratoires ou par contact cutané. Des sites comme l’oropharynx et la peau peuvent être colonisés de façon asymptomatique. Un éventail d’infections peut être causé par le SGA : des infections bénignes comme la pharyngite ou l’impétigo jusqu’à des infections invasives comme la bactériémie, la fasciite nécrosanteou le choc toxique streptococcique Note de bas de page 1. Le séquençage d’une portion du gène emm qui code pour la protéine M, un facteur de virulence, permet d’identifier plus de 220 variétés distinctes appelées types emm Note de bas de page 2.

Parmi les facteurs de risque pour les infections invasives à SGA (iSGA), on compte l’âge avancé, les lésions ou les bris cutanés, les infections virales respiratoires, certaines maladies chroniques comme le diabète, l’immunodépression, l’utilisation de drogues intraveineuses et la consommation excessive d’alcool Note de bas de page 1Note de bas de page 3Note de bas de page 4Note de bas de page 5.

Les iSGA sont des maladies à déclaration obligatoire au Québec. La Direction régionale de santé publique du Centre intégré universitaire de santé et de services sociaux du Centre-Sud-de-l’Île-de-Montréal (DRSP) reçoit les déclarations pour les résidents de la région socio-sanitaire de Montréal, couvrant une population d’environ deux millions d’habitants. Les cas d’iSGA déclarés par les laboratoires et les médecins à la DRSP sont systématiquement enquêtés afin d’identifier la gravité de l’infection, les facteurs de risques associés et les contacts étroits pouvant recevoir une prophylaxie selon les recommandations québécoises Note de bas de page 6. Depuis 2010, les souches isolées de site stérile sont envoyées au Laboratoire de santé publique du Québec (LSPQ) puis au Laboratoire national de microbiologie (LNM) qui réalise le typage du gène emm. Un antibiogramme est effectué, testant la sensibilité à la pénicilline, à la ceftriaxone, à l’érythromycine, à la clindamycine et à la vancomycine. Les données de surveillance montrent que l’incidence des iSGA est en hausse à Montréal, dans la province du Québec et au Canada (figure 1) Note de bas de page 6Note de bas de page 7Note de bas de page 8Note de bas de page 9.

Figure 1 : Taux d’incidence des infections invasives à SGA, au Canada, dans la province du Québec et à Montréal, de 2000 à 2017

Figure 1 : Taux d’incidence des infections invasives à SGA, au Canada, dans la province du Québec et à Montréal, de 2000 à 2017

Description textuelle : Figure 1

Figure 1 : Taux d’incidence des infections invasives à SGA, au Canada, dans la province du Québec et à Montréal, de 2000 à 2017

Cette figure est une superposition de trois diagrammes à ligne brisées qui montrent le taux d’incidence des infections invasives à SGA, au Canada, dans la province du Québec et à Montréal, de 2000 à 2017.

Année Montréal Québec Canada
2000 3,16 2,66 2,81
2001 2,43 2,08 2,68
2002 3,11 2,15 2,76
2003 3,77 3,69 3,28
2004 2,88 2,73 2,68
2005 2,24 2,55 3,18
2006 2,35 2,46 3,67
2007 3,69 3,47 4,32
2008 3,50 3,50 4,42
2009 4,34 3,74 4,03
2010 3,36 3,77 4,14
2011 4,28 4,36 4,79
2012 4,54 4,70 4,64
2013 4,49 4,30 4,72
2014 4,65 4,89 5,14
2015 4,92 4,67 5,28
2016 3,94 4,87 Non disponible
2017 6,13 5,32 Non disponible

En 2016 et 2017, la DRSP a détecté deux éclosions d’iSGA dans des populations très différentes : des résidents d’un centre d’hébergement et de soins de longue durée (CHSLD) et des personnes en situation d’itinérance. Les objectifs de cet article sont de décrire ces deux éclosions ainsi que d’illustrer les défis rencontrés et la nécessité d’adapter les interventions à la population touchée.

Éclosion en CHSLD

Contexte

Les personnes âgées en milieu d’hébergement ont un risque plus élevé de contracter et de décéder d’une iSGA en raison de la combinaison des facteurs de risque reliés à l’hôte et à l’environnement Note de bas de page 10Note de bas de page 11. Plusieurs éclosions d’iSGA, la plupart sur des périodes de quelques mois, ont été rapportées dans ce milieu de vie au Canada et ailleurs dans le monde Note de bas de page 3Note de bas de page 12Note de bas de page 13Note de bas de page 14Note de bas de page 15.

Au Québec, il est recommandé d’effectuer une surveillance de 30 jours suivant la déclaration d’un cas d’iSGA chez un résident en CHSLD. S’il s’agit d’un cas d’iSGA grave (méningite, pneumonie, nécrose des tissus mous, choc toxique ou décès), une prophylaxie antibiotique est offerte à ses contacts étroits et une recherche rétrospective de cas est effectuée pour les 30 jours précédents Note de bas de page 6. Si un excès de cas est identifié, il est recommandé de rechercher des porteurs asymptomatiques et d’établir pour un à deux mois une surveillance prospective des infections invasiveset non invasives à SGA Note de bas de page 6Note de bas de page 7.

Méthodologie

Détection de l’éclosion

En juillet et en août 2016, deux cas d’iSGA type emm118 ont été rapportés à la DRSP par un CHSLD hébergeant près de 200 résidents. L’enquêteur de santé publique a noté que d’autres cas d’iSGA étaient survenus dans ce CHSLD dans les deux années précédentes. La période visée par l’investigation a donc été élargie au-delà de la période rétrospective de 30 jours habituellement recommandée.

Définition de cas

Un cas confirmé d’iSGA est défini comme étant un employé ou résident du CHSLD pour lequel le SGA type emm118 a été isolé d’un site normalement stérile à partir du 1er janvier 2014. Un porteur asymptomatique ou un cas d’infection superficielle à SGA sont définis comme étant un employé ou résident pour lequel le SGA type emm118 a été isolé d’un site non stérile (oropharynx, plaie) à partir du 1er janvier 2014.

Recherche de cas

Tous les cas d’iSGA déclarés par ce CHSLD à la DRSP ont été révisés. Une revue rétrospective des résultats de laboratoire positifs pour le SGA (débutant le 1er janvier 2014) pour les résidents du CHSLD et de son hôpital de référence a été effectuée afin d’identifier des cas d’iSGA qui n’auraient pas été déclarés et des cas d’infection non invasive à SGA. Une surveillance active a débuté en août 2016 et s’est poursuivie jusqu’en avril 2017 pour détecter des cas d’infection à SGA type emm118, invasive ou non.

Une recherche de porteurs asymptomatiques a été proposée à tous les résidents et à tous les membres du personnel soignant à l’aide de prélèvements de gorge et de plaie (si applicable). Cette offre de dépistage a débuté à l’été 2016 et s’est poursuivie pendant 12 semaines.

Analyses microbiologiques

Le LNM a effectué le typage emm des isolats provenant de sites stériles et non stériles. Le LSPQ a procédé à une électrophorèse sur gel en champ pulsé (EGCP) des isolats provenant des cas d’iSGA pour confirmer la similitude des souches invasives en attendant le résultat du typage emm.

Analyse des données

Les analyses descriptives et la courbe épidémique ont été réalisées à l’aide du logiciel MicrosoftMC Excel 2010.

Résultats

Cinq cas confirmés d’iSGA type emm118 ont été identifiés grâce à la revue systématique des cas déclarés à la DRSP. Les analyses par EGCP ont indiqué un même profil pour ces souches. Tous les isolats type emm118 étaient sensibles aux antibiotiques testés. La revue des dossiers de l’établissement et la surveillance prospective n’ont permis de retrouver aucun cas additionnel.

Tous les cas d’iSGA type emm118 étaient des hommes âgés entre 71 et 84 ans. Tous souffraient de comorbidités (insuffisance rénale, maladie pulmonaire obstructive chronique, immunodépression ou cirrhose). Aucun ne présentait de plaie chronique, d’infection cutanée ou de maladie de la peau. Quatre cas présentaient une infection grave (un décès par choc toxique streptococcique et trois pneumonies) et un cas présentait une bactériémie. Les cas sont survenus entre novembre 2014 et août 2016 (figure 2). Aucun contact étroit entre les cas d’iSGA type emm118 n’a été identifié.

Figure 2 : Courbe épidémique des cas d’infection invasive à SGA type emm118 d’un CHSLD à Montréal, de 2014 à 2016 (n = 5)

Figure 2 : Courbe épidémique des cas d’infection invasive à SGA type emm118 d’un CHSLD à Montréal, de 2014 à2016 (n = 5)

Description textuelle : Figure 2

Figure 2 : Courbe épidémique des cas d’infection invasive à SGA type emm118 d’un CHSLD à Montréal, de 2014 à 2016 (n = 5)

Cette figure montre la courbe épidémique des cas d'infection invasives à streptocoque du groupe A de type emm118 dans un centre hospitalier de soins de longue-durée à Montréal entre 2014 et 2016. Cinq cas ont été diagnostiqués au cours de cette période:

  • Un décès en novembre 2014
  • Une infection invasive grave en février 2015
  • Une infection invasive grave en mars 2016
  • Une infection invasive grave en juillet 2016
  • Une infection invasive non grave en août 2016

L’éclosion a été détectée en août 2016.


Tous les résidents ont été dépistés. Aucun n’était porteur de SGA. Quant aux employés, 81/125 (65%) ont été testés. Quatre étaient porteurs de SGA dont un avec la souche emm118. Cette personne travaillait dans l’établissement au moment où les cinq cas d’iSGA sont survenus. Tous les employés porteurs ont été retirés du travail pendant les premières 48 heures de traitement (dix jours de pénicilline V, d’amoxicilline ou de céfadroxil per os). Le succès du traitement a pu être vérifié par une culture de l’oropharynx chez trois des quatre employés, dont celui porteur de la souche emm118 Note de bas de page 6.

Éclosion dans une population en situation d’itinérance

Contexte

Les personnes en situation d’itinérance sont à risque accru d’iSGA en raison du cumul de facteurs de risque Note de bas de page 16Note de bas de page 17. Elles sont surreprésentées parmi les cas déclarés à Montréal (données non publiées), mais aucune éclosion dans cette population n’avait été documentée dans le passé à Montréal. Ailleurs, des éclosions d’iSGA ont été rapportées chez des utilisateurs de drogues intraveineuses Note de bas de page 18Note de bas de page 19Note de bas de page 20Note de bas de page 21Note de bas de page 22Note de bas de page 23 et plus récemment dans des populations en situation d’itinérance Note de bas de page 24Note de bas de page 25Note de bas de page 26Note de bas de page 27Note de bas de page 28.

Méthodologie

Détection de l’éclosion

Entre mars et mai 2017, la DRSP a reçu la déclaration de deux cas d’iSGA dans un même refuge. Ces cas rapprochés ont mené à la révision tous les cas chez des personnes en situation d’itinérance déclarés en 2017. Un nombre plus élevé de cas était survenu dans cette population depuis janvier 2017 (n = 7), comparativement à la même période lors de l’année précédente (n = 3). Les cinq premiers cas pour lesquels le type emm a été obtenu étaient de type emm74. Ce type emm n’avait jamais été détecté à Montréal.

Définitions de cas

Un cas d’iSGA de l’éclosion est défini comme une personne résidant à Montréal, avec l’isolement de SGA type emm74 d’un site normalement stérile entre le 1er mars 2017 et le 31 juillet 2018. Un cas d’infection superficielle (non invasive) de l’éclosion est défini comme étant une personne identifiée par la surveillance sentinelle mise en place durant l’éclosion, ayant au moins une culture positive à SGA type emm74 provenant d’un site non stérile.

Enquête des cas

Suite à la détection de l’éclosion, les cas d’iSGA ont été enquêtés à nouveau pour identifier les milieux et services en itinérance fréquentés durant le mois précédant les symptômes ou, lorsqu’une précision dans le temps était impossible, les milieux généralement fréquentés. Pour les nouveaux cas, plusieurs enquêtes ont été effectuées en personne auprès des cas afin d’obtenir des renseignements plus complets sur les facteurs de risque, les milieux fréquentés et les contacts étroits.

Surveillance des infections non invasives

Une surveillance sentinelle des cas d’infection superficielle a été amorcée en juillet 2017. Les principales équipes cliniques œuvrant auprès de la population en situation d’itinérance ont été invitées à détecter les plaies présentant des signes d’infection, à les prélever pour culture et à remplir un questionnaire court documentant les refuges et autres services en itinérance fréquentés dans les deux semaines précédentes. Les souches de SGA cultivées étaient acheminées au LSPQ puis au LNM pour typage emm.

Analyse de données

Les statistiques descriptives et la comparaison avec les cas sporadiques d’iSGA à Montréal ont été effectuées avec les logiciels IBMMC Cognos Business Intelligence 10.2.2 (International Business Machines Corp., Armonk, New York, É-U), MicrosoftMC Excel 2010 et StataMC15 (StataCorp, College Station, Texas, É-U). L’analyse des réseaux sociaux a été réalisée avec le logiciel Pajek 5.04. Le réseau produit inclut les cas d’iSGA, leurs contacts étroits connus tels que définis dans leslignes directrices québécoises Note de bas de page 6, les cas d’infection superficielle à SGA détectée par la surveillance sentinelle ainsi que les milieux fréquentés, soit des refuges et autres milieux d’hébergements, des centres de jour, des services cliniques en itinérance et des milieux de rassemblement.

Intervention

L’intervention de la DRSP s’est faite en collaboration étroite avec le Service régional en itinérance, les équipes cliniques œuvrant auprès des personnes en situation d’itinérance et plusieurs dizaines d’organismes communautaires opérant des refuges, des centres de jours et autres services en itinérance.

En juin, une alerte a été envoyée au réseau de la santé et des recommandations sur les mesures d’hygiène de base ont été acheminées aux organismes communautaires œuvrant en itinérance. La détection précoce des plaies infectées, leur prélèvement pour culture et leur traitement ont été encouragés dès juin, avant la mise en place du système de surveillance sentinelle des plaies en juillet.

En juin et juillet, la DRSP a visité neuf refuges et trois centres de jour afin d’évaluer la situation et d’émettre des recommandations plus spécifiques visant la prévention et le contrôle des infections, l’hygiène et la salubrité, et le contrôle des infestations par des ectoparasites pouvant mener à des lésions de grattage et des plaies. En octobre, des visites de suivi ont été effectuées et des affiches d’information vulgarisée à l’intention des usagers des services en itinérance ont été diffusées. La prophylaxie antibiotique des contacts étroits des cas d’iSGA graves, telle que recommandée dans leslignes directrices québécoises Note de bas de page 6, était offerte lorsque possible.

Résultats

Le premier cas d’iSGA de l’éclosion est survenu en mars 2017. L’éclosion a été considérée terminée le 31 juillet 2018, soit après huit mois consécutifs sans excès de cas d’iSGA chez les personnes en situation d’itinérance. L’éclosion compte 23 cas d’iSGA, dont 19 entre mars et novembre 2017. Les cas d’iSGA comprennent 14 hommes et neuf femmes de 34 à 80 ans (médiane = 54).

Les présentations cliniques les plus communes durant cette éclosion étaient une infection des tissus mous (n = 14, incluant cinq cas de fasciite nécrosante) et une bactériémie sans (n = 7). Tous ont été hospitalisés, huit cas ont fait un choc toxique et quatre sont décédés. La moitié (n = 12) était en situation d’itinérance au moment de l’infection, six n’étaient pas itinérants mais fréquentaient les services en itinérance, et trois avaient un lien épidémiologique avec cette population. Deux personnes n’avaient aucun lien avec cette population. Douze personnes avaient une consommation excessive d’alcool et trois utilisaient des drogues intraveineuses.

Les cas d’iSGA de l’éclosion diffèrent significativement des cas sporadiques déclarés à Montréal durant la même période (tableau 1). Tous les isolats des cas d’iSGA type emm74 étaient sensibles aux antibiotiques testés.

Tableau 1 : Comparaison des cas de l'éclosion d'infections invasives à streptocoque du groupe A type emm74 avec les autres cas pour la même période
Caractéristiques Type emm74
mars 2017 à juillet 2018
Type emm autre ou inconnu
mars 2017 à juillet 2018
Valeur pTableau 1 note a
N = 23 % N = 167 %
Âge médian 54 s. o. 46 s. o. s. o.
Sexe masculin 14 60,9 93 55,7 0,662
Hospitalisation 23 100,0 153 91,6 0,225
Décès 4 17,4 10 6,0 0,072
Types d’infection
Tissus mousTableau 1 note b 14 60,9 64 38,3 0,045Tableau 1 note d
RespiratoiresTableau 1 note c 3 13,0 28 16,8 1,000
Bactériémie 7 30,4 35 21,0 0,295
Choc toxique 8 34,8 19 11,4 0,007Tableau 1 note d
Facteurs de risque
Itinérance 12 52,2 8 4,8 < 0,001Tableau 1 note d
Drogue 4Tableau 1 note e 17,4 11 6,6 0,090
Alcoolisme 12 52,2 17 10,2 < 0,001Tableau 1 note d
Diabète 5 21,7 20 12,0 0,195
Maladies pulmonaires chroniques 6 26,1 11 6,6 0,008Tableau 1 note d

La surveillance sentinelle a permis de détecter, sur un total de 156 prélèvements soumis, 63 plaies et une gorge infectées ou colonisées par le SGA dont 51 (80%) type emm74. L’analyse de réseaux sociaux révèle huit composantes, dont une composante principale comprenant 68% des cas d’iSGA et 81% des cas d’infection superficielle (figure 3). Certains milieux sont en lien avec davantage de cas (quatre cas d’iSGA pour un milieu, 17 cas non invasifs pour un autre), mais aucun milieu particulier n’est en lien direct avec la majorité des cas.

Figure 3 : Analyse des réseaux sociaux pour les cas d’infections invasives et non invasives à streptocoque du groupe A type emm74 Figure 3 footnote a

Figure 3 : Analyse des réseaux sociaux pour les cas d’infections invasives et non invasives à streptocoque du groupe A type emm74

Description textuelle : Figure 3

Figure 3 : Analyse des réseaux sociaux pour les cas d’infections invasives et non invasives à streptocoque du groupe A type emm74 Figure 3 footnote a

Cette figure illustre les réseaux sociaux pour les cas d’infections invasives à streptocoque du groupe A (iSGA) et d’infections non-invasives à streptocoque du groupe A (SGA) de type emm74 qui sont survenus durant l’éclosion chez la population itinérante de Montréal entre 2016 et 2017. L’analyse illustre les relations entre les cas ainsi qu’entre les cas et les milieux ou services fréquentés. Différents types de cas sont inclus :

  • Cas iSGA féminin
  • Cas iSGA masculin
  • Cas iSGA sexe autre ou inconnu
  • Cas SGA non invasif féminin
  • Cas SGA non invasif masculin
  • Cas SGA non invasif sexe autre ou inconnu
  • Contact féminin
  • Contact masculin
  • Contact sexe autre ou inconnu
  • Décès féminin
  • Décès masculin
  • Décès sexe autre ou inconnu

Certains milieux sont en lien avec davantage de cas (quatre cas d’iSGA pour un milieu, 17 cas non invasifs pour un autre), mais aucun milieu particulier n’est en lien direct avec la majorité des cas.


Pour les neuf cas d’iSGA graves fréquentant des services en itinérance ou ayant un lien épidémiologique, seulement quatre contacts étroits ont pu être identifiés pour la prophylaxie antibiotique. Les directions des organismes communautaires étaient sensibles à l’importance des mesures de prévention, mais les ressources nécessaires n’étaient pas toujours disponibles et l’application des mesures de prévention et de traitement était variable. Les défis principaux observés concernaient les fréquences d’entretien ménager, le nettoyage des lits et de la literie, le lavage des vêtements et la disponibilité de vêtements de rechange. Lors des visites de suivi, des améliorations notables ont été remarquées pour certains organismes.

Discussion

La gestion de ces deux éclosions a comporté des défis communs ainsi que des défis propres à chacun des contextes. La détection de l’éclosion a été un défi dans les deux situations. Pour l’éclosion en CHSLD, le temps prolongé entre les cas a mené à un délai de 21 mois entre la survenue du premier cas et la détection de l’éclosion. Quant à celle dans la population en situation d’itinérance, la détection a été plus rapide mais aurait possiblement tardé s’il n’y avait pas eu deux cas rapprochés dans le même refuge. L’absence d’une surveillance spécifique par type emm est un facteur limitant dans la détection de ces deux éclosions.

Les particularités de l’éclosion en CHSLD comprennent son caractère prolongé et la présence d’un porteur du même type emm parmi le personnel soignant. En l’absence de contacts étroits entre les différents cas d’iSGA, l’hypothèse la plus probable est la transmission par un porteur asymptomatique, possiblement l’employé identifié comme porteur. Toutefois, cet employé pourrait aussi être un cas secondaire d’un porteur non identifié. L’élaboration d’un protocole opérationnel pour le dépistage, le traitement et le suivi des personnes dépistées pourrait faciliter le travail du personnel en CHSLD dans des éclosions similaires. La DRSP a recommandé au CHSLD de poursuivre la surveillance prospective des infections à SGA pour un minimum de six mois après le dernier cas identifié même si une période de surveillance prospective optimale est actuellement inconnue Note de bas de page 29. Il est à noter qu’aucun cas supplémentaire d’iSGA n’a été détecté au CHSLD au cours de cette période additionnelle de surveillance. Le rehaussement des mesures de prévention et de contrôle des infections ainsi que le dépistage et le traitement du porteur identifié de SGA type emm118 pourraient avoir contribué à ce résultat, comme cela a été rapporté dans d’autres éclosions Note de bas de page 5Note de bas de page 12Note de bas de page 29Note de bas de page 30.

Pour la population en situation d’itinérance, l’analyse de réseau et les résultats de la surveillance sentinelle montrent que l’éclosion n’était pas limitée à un milieu en particulier, mais plutôt que la souche en cause circulait plus largement au sein de cette population. Il s’agit d’une population mobile qui peut dormir à différents endroits et fréquenter différentes ressources sur une courte période, ce qui expliquerait une transmission répandue et qui représente un défi de taille pour l’intervention. D’autres défis rencontrés comprennent les ressources humaines et financières limitées pour l’application des recommandations en hygiène et salubrité, les problèmes de santé mentale de plusieurs usagers rendant difficiles l’application de certaines mesures d’hygiène personnelle et le traitement des infestations, les difficultés d’accès aux soins et la variété d’organismes communautaires impliqués. De plus, on ne peut pas évaluer l’efficacité des interventions de santé publique et distinguer l’effet de ces interventions de l’évolution naturelle de l’éclosion.

Ces éclosions d’iSGA ont permis d’identifier un besoin de bonifier les moyens de détection mais le typage emm des iSGA et la recherche systématique des cas antérieurs d’iSGA sont des outils essentiels pour détecter et caractériser une éclosion. Elles ont aussi permis de développer des façons de collaborer avec les partenaires cliniques, communautaires et les laboratoires pour faciliter une intervention adaptée au milieu. Le développement de stratégies d’interventions pour détecter et contrôler des éclosions d’iSGA dans des populations vulnérables, que ce soit dans la communauté ou en milieu de soins, est particulièrement pertinent dans un contexte où l’incidence d’iSGA est en augmentation au Canada.

Déclaration des auteurs

Tous les auteurs - PAP, NS, JA, JC, AU, RP, PLG, CS, KHC, CDT, RA, et MCD.- ont participé à différents aspects de la gestion d’une ou des deux éclosions.
Les auteurs - JA, PAP et RP - ont rédigé les premières versions portant sur l’éclosion en CHSLD et les autres auteurs - CDT, RA et MCD - ont contribué à la version finale en ajoutant des précisions, des commentaires et des suggestions.
Les auteurs - NS et PAP - ont rédigé les premières versions portant sur l’éclosion dans la population en situation d’itinérance et les autres auteurs - JC, AU, PLG, CS, KHC et MCD - ont contribué à la version finale en ajoutant des précisions, des commentaires et des suggestions.

Conflit d’intérêts

Aucuns.

Remerciements

Nous remercions les enquêteurs qui ont investigué les cas, en particulier M. Guy Lapierre, infirmier, pour sa vigilance et son excellent travail ainsi que le personnel de la saisie de la Direction régionale de santé publique. Nous remercions Mme Johanne Sicotte et Mme Annie Parisien en prévention et contrôle des infections et Mme Manon Aubé en santé au travail de l’établissement auquel était rattaché le Centre Hospitalier de soins de longue durée pour leur collaboration indispensable.

Nous remercions le Service régional en itinérance et activités communautaires du Centre intégré universitaire de santé et de services sociaux (CIUSSS)du Centre-Sud-de-l’Île-de-Montréal; le personnel clinique des refuges, les équipes cliniques du CIUSSS du Centre-Sud-de-l’Île-de-Montréal et du CIUSSS-du-Centre-Ouest-de-l’Île-de-Montréal, les laboratoires hospitaliers (Centre Hospitalier Universitaire de Montréal, Centre universitaire de santé McGill) et Médecins du Monde qui ont participé à la surveillance sentinelle; et le personnel des ressources en itinérance qui ont collaboré étroitement à la mise en place des recommandations de santé publique.

Nous remercions également les personnes suivantes qui ont contribué aux travaux à un moment donné : Dre Carole Morissette, Mme Maryse Lapierre, Dre Marie Munoz-Bertrand, Dre Marie-Jo Ouimet, Mme Manon Dugas, Mme Karyne Daigle, Mme Deboray Bonney, Mme Mélanie Tailhandier, Mme Mireille Carpentier, M. Chérif Trabelsi, Dr David Kaiser, Mme Isabelle Rouleau et Dr Richard Massé.

Finalement, nous remercions Mme Cindy Lalancette du Laboratoire de santé publique du Québec pour l’analyse des profils d’électrophorèse sur gel en champ pulsé; Dre Irene Martin et le personnel du Laboratoire national de microbiologie pour leur collaboration aux analyses de laboratoire.

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