Pseudo-éclosion de Mycobacterium tuberculosis due à une contamination croisée en laboratoire

RMTC

Volume 50-12, décembre 2024 : Tuberculose

Science de la mise en œuvre

Pseudo-éclosion de Mycobacterium tuberculosis due à une contamination croisée en laboratoire : une investigation d'éclosion en épidémiologie moléculaire

Nayla Léveillé1, Floriane Point2, Josée Houde3, Michael Hall4,5, Hafid Souhaline6, Marie-Andrée Leblanc7, Pierre-Marie Akochy8, Simon Grandjean Lapierre2,9

Affiliations

1 Faculté de Médecine, Département de Médicine, Université de Montréal, Montréal, QC

2 Axe Immunopathologie, Centre de recherche du Centre hospitalier de l'Université de Montréal, Montréal, QC

3 Département de microbiologie, Centre hospitalier de l'Université de Montréal, Montréal, QC

4 Institut européen de bioinformatique (EMBL-EBI), Cambridgeshire, Royaume-Uni

5 Peter Doherty Institute for Infection and Immunity, Université de Melbourne, Melbourne, Australie

6 Laboratoire national de microbiologie, Agence de la santé publique du Canada, Winnipeg, MB

7 Direction générale adjointe de la protection de la santé publique, ministère de la Santé et des Services sociaux, Québec, QC

8 Département de mycobactériologie, Laboratoire de santé publique du Québec (LSPQ), Québec, QC

9 Département de Microbiologie, infectiologie et immunologie, Faculté de médecine, Université de Montréal, Montréal, QC

Correspondance

simon.grandjean.lapierre@umontreal.ca

Citation proposée

Léveillé N, Point F, Houde J, Hall M, Souhaline H, Leblanc MA, Akochy PM, Grandjean Lapierre S. Pseudo-éclosion de Mycobacterium tuberculosis due à une contamination croisée en laboratoire : une investigation d'éclosion en épidémiologie moléculaire. Relevé des maladies transmissibles au Canada 2024;50(12):470–5. https://doi.org/10.14745/ccdr.v50i12da03f

Mots-clés : tuberculose, séquençage de nouvelle génération, contamination, éclosion, transplantation

Résumé

Contexte : La culture mycobactérienne est effectuée de façon systématique pour diagnostiquer la tuberculose (TB) au Canada. Mondialement, les méta-analyses suggèrent que jusqu’à 2 % des cultures positives de Mycobacterium tuberculosis sont des faux positifs en raison d’événements de contamination croisée en laboratoire. Cinq patients provenant d’institutions cliniques distinctes à Montréal ont été diagnostiqués avec une TB à culture positive lorsque leurs échantillons cliniques ont été traités dans un laboratoire centralisé de mycobactériologie. Une contamination croisée a été suspectée en raison de la positivité de la culture chez un donneur d’organes ayant une faible probabilité prétest de TB. Nous décrivons une pseudo-éclosion de TB due à une contamination croisée en laboratoire et évaluons le rôle du typage conventionnel (i.e., génotypage par la méthode des unités répétitives dispersées sur le génome mycobactérien – nombre variable de répétions en tandem [MIRU-VNTR]) et du séquençage du génome entier (WGS) pour étayer l’enquête.

Méthodes : Les facteurs de risque épidémiologiques et les présentations cliniques des patients ont été évalués. Les trajectoires des échantillons pré- et per-analytiques ont été retracées afin d’identifier d’éventuels événements de contamination croisée. Les isolats de TB ont été caractérisés par MIRU-VNTR et WGS à l’aide du séquençage d’Oxford Nanopore Technologies (ONT). Le pipeline bioinformatique tbpore cluster (v0.7.1) a été utilisé pour les analyses phylogénétiques.

Résultats : Deux patients avaient déjà été exposés à des environnements endémiques et présentaient des symptômes cliniques compatibles avec la TB. L’inoculation des milieux de culture a eu lieu au même moment pour quatre patients, dont un avec une suspicion de maladie cavitaire pulmonaire et un donneur d’organes dont les organes avaient été transplantés à trois receveurs différents. Les typages MIRU-VNTR et WGS ont confirmé que les isolats de ces quatre patients étaient identiques.

Conclusion : Les données cliniques, de laboratoire et de typage moléculaire, y compris les résultats du séquençage d’ONT, ont été jugées suffisamment fiables pour confirmer une contamination croisée en laboratoire. Le traitement antituberculeux a été interrompu, y compris chez tous les receveurs de greffes d’organes.

Introduction

Selon l'Agence de la santé publique du Canada, 1 971 cas de tuberculose (TB) active ont été signalés en 2022, avec une incidence associée de 5,1 cas de TB par 100 000 personnes, qui est restée stable au cours des 20 dernières années Note de bas de page 1Note de bas de page 2. Dans chaque province et territoire du Canada, la TB est une maladie à déclaration obligatoire et le traitement obligatoire est appliqué par les autorités de santé publique en cas de maladie respiratoire active contagieuse Note de bas de page 3Note de bas de page 4. Le diagnostic de la TB en laboratoire a donc des implications cliniques et de santé publique importantes.

La contamination croisée en laboratoire est connue comme une cause de culture faussement positive de Mycobacterium tuberculosis. Une revue systématique publiée en 2019, comprenant 31 articles regroupant 29 839 cultures de TB, a suggéré que 2 % des résultats de culture positifs étaient des faux positifs. Pour les cultures positives provenant de patients ayant un échantillon antérieur négatif ou un échantillon de suivi négatif, le taux de faux positifs était de 15 % Note de bas de page 5. Les événements de contamination sont de plus en plus souvent rapportés en raison de la plus grande disponibilité du génotypage bactérien qui facilite leur investigation Note de bas de page 6. De même que pour l'investigation de la transmission de personne à personne et les enquêtes sur les éclosions, les méthodes de polymorphisme de longueur de fragments de restriction (RFLP) et de génotypage par la méthode des unités répétitives dispersées sur le génome mycobactérien – nombre variable de répétions en tandem (MIRU-VNRT) sont de plus en plus remplacées par le séquençage du génome entier (WGS) à plus haute résolution comme méthode de choix pour le génotypage moléculaire Note de bas de page 6Note de bas de page 7Note de bas de page 8Note de bas de page 9Note de bas de page 10.

Nous rapportons un événement de contamination croisée en laboratoire et de pseudo-éclosion de M. tuberculosis qui a eu des répercussions importantes sur le plan clinique et en santé publique, notamment chez des patients ayant subi une transplantation d'organe. Nous détaillons notre approche d'investigation épidémiologique et moléculaire, qui comprenait l'évaluation clinique des patients et le séquençage de l'ADN bactérien à l'aide de la plateforme de séquençage de nouvelle génération d'Oxford Nanopore Technologies (ONT) et de l'outil d'analyse bioinformatique adapté, tbpore cluster (version 0.7.1), accessible au public Note de bas de page 11. Des moyens pour diminuer le risque de contamination croisée à l'avenir sont également proposés.

Résultats

Cadre et participants

Le Centre hospitalier de l'Université de Montréal (CHUM) est un hôpital de soins quaternaires de 700 lits qui fournit des soins à des populations particulières présentant un risque plus élevé d'infections mycobactériennes, notamment les patients atteints de fibrose kystique, les patients ayant subi une greffe de poumons ou d'autres organes, et les patients d'oncologie. Notre laboratoire de mycobactéries clinique de niveau de biosécurité 3 traite des milliers d'échantillons chaque année et effectue des microscopies de frottis mycobactériens, des cultures et des tests d'amplification des acides nucléiques (TAAN) pour les espèces du complexe M. tuberculosis. Toutes les cultures positives sont transmises à notre laboratoire provincial de référence (Laboratoire de santé publique du Québec, LSPQ), où l'on procède à une spéciation basée sur le séquençage et à des tests phénotypiques de sensibilité aux médicaments, si nécessaire.

Enquête

Un résultat faussement positif de culture de M. tuberculosis a été initialement suspecté par un médecin spécialiste des maladies infectieuses du CHUM en 2023. L'échantillon positif avait été recueilli lors d'un prélèvement de poumons sur un donneur d'organes décédé. Ces cultures sont systématiquement réalisées pour évaluer la colonisation des organes du donneur avant la transplantation et pour guider le traitement antimicrobien empirique du receveur après la transplantation. Ce donneur d'organes avait fait l'objet d'un dépistage clinique et, en l'absence de facteurs de risque épidémiologiques, avait été considéré comme ayant une probabilité pré-test nulle de TB. Le dépistage de la tuberculose par test cutané à la tuberculine ou par test de libération de l'interféron gamma (IGRA) n'est pas fait de façon systématique chez les donneurs d'organes en raison de la faible incidence de la TB chez les donneurs au Québec. Le délai minimum de 48 heures pour les analyses est également souvent trop long dans le contexte d'un prélèvement urgent d'organes après le décès. Ce donneur avait été impliqué dans une transplantation pulmonaire, cardiaque et rénale chez trois patients distincts recevant des soins médicaux post transplant dans trois établissements différents.

Vue la suspicion clinique d'un résultat faussement positif, des enquêtes de laboratoire, clinique et de santé publique ont été menées en collaboration avec Transplant Québec, les médecins traitants des patients, les autorités régionales et provinciales de santé publique et le laboratoire de référence LSPQ. Tous les échantillons ayant une cuture ou un TAAN positifs reçus, inoculés ou traités dans notre laboratoire dans un délai de trois jours autour du signal de culture positive de l'échantillon de poumon du donneur ont été identifiés comme des échantillons potentiellement co-contaminés ou comme cas index. De plus, les patients ayant eu une culture positive qui ont été retraités avec l'échantillon suspect d'être un faux positif durant l'étape de remanipulation du milieu de culture positive, ainsi que les patients dont les cultures étaient positives et qui ont été traités pour référence vers le LSPQ en même temps que l'échantillon suspect d'être faussement positif ont également été identifiés comme des échantillons potentiellement co-contaminés ou comme des cas index. Cette approche a mis en évidence des potentiels événements de contamination croisée pré-analytique (avant la réception de l'échantillon au laboratoire) et per-analytique (pendant le traitement de l'échantillon au laboratoire), y compris ceux décrits précédemment dans la littérature lorsque divers échantillons sont manipulés en même temps (i.e., l'inoculation de la culture, la manipulation du milieu positif du Mycobacterial Growth Indicator Tube [MGIT], l'aliquotage et l'expédition) Note de bas de page 5Note de bas de page 12. Ceci nous a permis d'identifier quatre patients supplémentaires comme possibles cas co-contaminés ou cas index. Les caractéristiques cliniques, les facteurs de risque épidémiologiques et les trajectoires des échantillons de ces cinq personnes (n = 1 donneur d'organe, n = 4 échantillons contemporains positifs) ont été évalués à partir des dossiers cliniques et de santé publique et des systèmes d'information des laboratoires. Le Laboratoire national de microbiologie (LNM) a procédé au typage MIRU-VNTR et le CHUM a effectué séquençage génomique complet par ONT pour chacun de ces échantillons Note de bas de page 11Note de bas de page 13Note de bas de page 14.

Résultats de l'enquête

La capacité et la résolution relative des deux systèmes de typage moléculaire à confirmer ou à réfuter la contamination croisée en laboratoire ont été évaluées. Les procédures de laboratoire présentant un risque plus élevé de contamination croisée ont également été identifiées. La contamination croisée a été initialement suspectée lorsque des patients sans présentation cliniques et sans profils épidémiologiques compatibles avec la TB ont eu des échantillons positifs (patients 1, 2 et 3). Malgré une culture positive, les échantillons primaires de ces patients étaient tous négatifs à l'examen microscopique du frottis et, lorsqu'ils étaient disponibles, leurs échantillons de suivi avaient tous une culture négative, ce qui réduit la probabilité d'un résultat de culture réellement positif. En revanche, les résultats obtenus pour les patients 4 et 5 ont été considérés comme de potentiels vrais positifs, étant donné que ces patients avaient déjà transité ou vécu dans des régions où la TB est endémique et présentaient des symptômes cliniques compatibles avec cette maladie. De plus, les échantillons primaires du patient 5 étaient également positifs à l'examen microscopique du frottis (n = 3) et positifs au TAAN (n = 2, un échantillon n'ayant pas été testé), et toutes leurs cultures de suivi étaient également positives, ce qui augmente la probabilité d'un véritable résultat positif. Les caractéristiques cliniques et les trajectoires des échantillons de tous les patients sont présentées dans le tableau 1. L'analyse phylogénétique de la séquence du génome entier et les résultats du typage MIRU-VNTR sont présentés dans la figure 1.

Tableau 1 : Présentation clinique des patients et résultats des tests de laboratoire pour la pseudo-éclosion de Mycobacterium tuberculosis
Patient Présentation clinique Échantillon Trajectoire de l'échantillon en laboratoire (jour) Résultats de laboratoire complémentaires
Échantillonnage Inoculation des milieux de culture Croissance positive Milieux de culture positifs Envoi au laboratoire de référence ACP Coloration résistante à l'acide Cultures de suivi et ACP
1 Donneur d'organes Culture mycobactérienne pré-transplantation 0 1Note de bas de page a 20 21Note de bas de page a 24Note de bas de page a Non effectuée Négative Négative
2 Utilisateur de drogues intraveineuses avec un abcès cutané Culture de plaie superficielle −1 1Note de bas de page a 43 32 52 Non effectuée Négative Négative
3 Pneumonie chronique Aspiration bronchique −3 1Note de bas de page a 17 18 24Note de bas de page a Positive Négative Négative
4 Nodules pulmonaires hypermétaboliques au TEP/TDM Lavage broncho-alvéolaire −12 −12 16 21Note de bas de page a 24Note de bas de page a Négative Négative Négative
5 Consolidation et cavitation pulmonaire apicale Expectorations provoquées (a, b, c) −3 0Note de bas de page a 6 (a, b) et 7 (c) 8 (a, b) et 9 (c) 10 Positive (b, c) Positive (a, b, c) Positive
6 s.o. Échantillon d'os costal 2013 2013 2013 2013 2013 Négative Négative s.o.

Abréviations : ACP, amplification en chaîne par la polymérase; s.o., sans objet; TEP/TDM, tomographie par émission de positons/tomodensitométrie

Note de bas de tableau
Note de bas de page a

Possibilité de contamination croisée en raison du chevauchement des procédures de laboratoire. Les échantillons des patients 1, 2, 3 et 5 ont été reçus, traités et inoculés sur des milieux de culture au cours de la même période. Les milieux de culture des tubes indicateurs de croissance de mycobactéries (MGIT) positifs des patients 1 et 4 ont été ouverts, aliquotés et étalés le même jour. Les échantillons des patients 1, 3 et 4 ont été aliquotés et envoyés au Laboratoire de santé publique du Québec (LSPQ) le même jour. Le patient 6 a été inclus dans l'enquête à un stade ultérieur, car son isolat bactérien partageait le même type d'unité répétitive intercalaire mycobactérienne (MIRU) que l'agrégat et l'échantillon de ce patient avait déjà été traité dans notre laboratoire

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Figure 1 : Séquençage du génome entier et typage MIRU-VNTR des isolats de contamination croisée supposésNote de bas de page aNote de bas de page b
Figure 1. La version textuelle suit
Figure 1 : Équivalent textuel

Cette figure montre l'arbre phylogénique du séquençage du génome entier (WGS) des isolats impliqués (1, 2, 3, 4, 5a, 5b, 5c, 6) et d'une souche de référence de Mycobacterium tuberculosis (H37Rv M. tuberculosis), les séquences de typage par la méthode des unités répétitives dispersées sur le génome mycobactérien – nombre variable de répétions en tandem (MIRU-VNTR) à 24-loci de ces isolats ainsi qu'une matrice de distance du séquençage génomique représentant le nombre de polymorphismes de nucléotidiques (SNP) entre ces isolats et la souche de référence de M. tuberculosis. Il démontre que les isolats 1, 2, 3, 5a, 5b et 5c ont la même phylogénie selon le WGS, la même séquence MIRU-VNTR à 24 loci (223326153325242334223642) et ont une différence de 0 SNP entre eux dans la matrice de distance. Il montre également que l'isolat 4 a une phylogénie selon le WGS différente de celle des autres isolats mentionnés, une séquence MIRU-VNTR de 24 loci différente (274225223633245273243461) et des différences importantes de SNP avec les autres isolats sur la matrice de distance; 1 486 SNP avec l'isolat 1, 1 483 SNP avec l'isolat 2, 1 471 SNP avec l'isolat 3, 1 487 SNP avec l'isolat 5a, 1 502 SNP avec l'isolat 5b et 1 501 SNP avec l'isolat 5c. L'isolat 6 présente une phylogénie selon le WGS différente de celle des autres isolats, mais possède la même séquence MIRU-VNTR que les isolats 1, 2, 3, 5a, 5b et 5c (223326153325242334223642). Cependant, sur la matrice de distance, il présente une différence de 16 SNP avec l'isolat 1, 13 SNP avec l'isolat 2, 15 SNP avec l'isolat 3, 15 SNP avec l'isolat 5a, 15 SNP avec l'isolat 5b, 16 SNP avec l'isolat 5c et 1 423 SNP avec l'isolat 4. Enfin, il montre que la souche de référence H37Rv de M. tuberculosis présente une phylogénie selon le WGS différente de celle des autres isolats, ainsi que des différences de SNP avec les autres isolats : 394 SNP avec l'isolat 1, 396 SNP avec l'isolat 2, 392 SNP avec l'isolat 3, 398 SNP avec l'isolat 5a, 402 SNP avec l'isolat 5b, 407 SNP avec l'isolat 5c, 1 529 SNP avec l'isolat 4 et 385 SNP avec l'isolat 6.

Notes de bas de page

Abréviations : M., Mycobacterium; MIRU-VNTR, nombre variable de répétitions en tandem de l'unité répétitive intercalaire mycobactérienne; WGS, séquençage du génome entier

Note de bas de page a

Un arbre phylogénétique de type MIRU et dérivé du séquençage du génome entier, ainsi qu'une matrice de distance basée sur le polymorphisme d'un seul nucléotide pour tous les isolats de contamination présumée. Les isolats agrégés sont mis en évidence en orange pour les deux systèmes de typage

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Note de bas de page b

H37Rv est la souche de référence de la lignée 4 de M. tuberculosis

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Les isolats des patients 1, 2, 3 et 5 ont eu un type MIRU identique et le WGS a confirmé que ces isolats sont génétiquement identiques (différence de 0 polymorphisme de nucléotide simple [PNS]). L'isolat du patient 4 a eu un type MIRU différent et le WGS a confirmé une distance génétique importante par rapport aux autres isolats. Nous avons identifié rétrospectivement un seul isolat bactérien de notre laboratoire qui partage le même type MIRU que l'agrégat (patient 6). L'isolat de ce patient a été cultivé en 2013 à partir d'un échantillon d'os costal. Bien qu'il partage un type MIRU, le WGS a montré que cet isolat avait une distance de 13 à 16 PNS avec les autres isolats agrégés. Les mesures de la qualité du séquençage sont disponibles dans le matériel supplémentaire. Il est intéressant de noter que le patient 6 avait immigré du même pays endémique pour la tuberculose que le patient 5. Le regroupement des données épidémiologiques, cliniques et génomiques a permis de confirmer la présence d'un événement de contamination croisée. Compte tenu du contexte épidémiologique convaincant, des manifestations cliniques, de la positivité du frottis et des cultures de suivi, les échantillons du patient 5 ont été considérés comme de véritables échantillons positifs et ce patient a été considéré comme le cas index et la source de contamination. Avec un génotype identique, mais une absence de symptomatologie ou une symptomatologie incompatible et des résultats négatifs subséquents pour la tuberculose, les patients 1, 2 et 3 ont été considérés comme ayant une culture faussement positive due à une contamination croisée. En revanche, le patient 4 a été considéré comme positif à la TB, compte tenu des résultats distincts du typage MIRU et du WGS.

Le patient 2 n'a jamais débuté de traitement antituberculeux en raison de l'amélioration clinique rapide avec le traitement anti staphylococcique. Le patient 3 a initialement été mis sous traitement antituberculeux qui a été discontinué après quatre semaines, dès que l'hypothèse d'une contamination croisée en laboratoire a été soulevée. Comme mentionné plus haut, trois patients avaient reçu des organes du patient 1 (poumons, cœur et rein). Tous ont d'abord été présumés comme atteints de TB active lorsque l'échantillon du donneur s'est révélé positif à la culture. Compte tenu du risque élevé d'évolution défavorable dans le contexte de l'immunosuppression, ils ont ensuite été mis sous traitement pour la TB active et ont été suivis par des cliniciens spécialisés dans les maladies infectieuses. Aucun d'entre eux n'a développé de symptômes de TB. Trois mois plus tard, lorsque le typage moléculaire a été disponible, les résultats de cette enquête ont été jugés suffisamment convaincants par les cliniciens pour interrompre le traitement antituberculeux chez ces receveurs de greffe d'organes.

Discussion

Comme rapporté précédemment, la contamination croisée des cultures de M. tuberculosis n'est pas rare Note de bas de page 5Note de bas de page 6. Une approche complète et moderne de l'investigation de la contamination croisée de M. tuberculosis en laboratoire est présentée, incluant le typage moléculaire, qui s'est avéré être la pierre angulaire pour confirmer l'événement de contamination croisée. Dans le groupe d'échantillons positifs évalués, le WGS a montré une résolution de typage plus élevée que le MIRU-VNTR, comme précédemment rapporté Note de bas de page 15Note de bas de page 16. Notre enquête a permis d'interrompre des traitements antituberculeux potentiellement toxiques pour de nombreux patients, y compris des patients immunosupprimés ayant reçu une greffe et pour lesquels les implications d'un diagnostic positif de TB sont encore plus importantes Note de bas de page 16Note de bas de page 17.

La contamination croisée des cultures de M. tuberculosis peut résulter de sa capacité intrinsèque à créer des aérosols qui survivent pendant de longues périodes dans l'air et dans des environnements difficiles, ainsi que de certaines techniques de laboratoire précises. Dans un article publié en 2019, les trois principales causes de contamination croisée dans les cultures de M. tuberculosis étaient les erreurs techniques humaines commises par les techniciens de laboratoire, la contamination des réactifs et la production d'aérosols Note de bas de page 5. La décontamination est une étape importante du processus de culture. Au cours de cette étape, des agents tampons bactéricides sont ajoutés à l'échantillon clinique pour tuer la flore bactérienne et fongique Note de bas de page 18. Cette technique est particulièrement susceptible à la contamination croisée. Elle est généralement effectuée sur des lots d'échantillons, car elle implique de multiples étapes chronométrées. La contamination de l'un des réactifs, souvent le tampon de neutralisation, entraîne l'inoculation de M. tuberculosis dans les échantillons traités ultérieurement Note de bas de page 19. Dans notre laboratoire, 14 échantillons peuvent être décontaminés en même temps et nous avons établi que la contamination du flacon tampon était le vecteur le plus probable. Ce flacon peut être utilisé sur plusieurs jours, pouvant entrainer une contamination entre des échantillons décontaminés au cours de journées distinctes, comme nous le soupçonnons dans notre enquête actuelle. Les deux autres étapes où une contamination peut se produire sont à l'ouverture des milieux MGIT positifs pour la confirmation de la croissance par frottis acido-résistant et l'aliquotage avant l'envoi des échantillons au laboratoire de référence. Des aérosols peuvent être générés au cours de ces procédures, en raison de la réouverture des bouteilles à proximité les unes des autres. Différentes méthodes peuvent être utilisées pour réduire le risque de contamination croisée, comme la réduction du nombre d'échantillons traités par lot, la désinfection du flacon tampon commun entre chaque échantillon, l'utilisation de matériel et de réactifs à usage unique, l'utilisation de bouchons de centrifugeuse pour limiter la production d'aérosols, la formation régulière du personnel et l'intégration d'un contrôle négatif dans chaque lot d'échantillons testés Note de bas de page 12.

D'autres rapports de contamination croisée de M. tuberculosis et leur investigation sont disponibles dans la littérature Note de bas de page 6Note de bas de page 7Note de bas de page 8Note de bas de page 10. La revue systématique publié en 2019 a recensé 31 articles décrivant des événements de contamination croisée par M. tuberculosis et a décrit les différentes méthodes de génotypage utilisées. La plupart de ces études ont utilisé des méthodes de typage moléculaire conventionnelles, telles que le IS6110-RFLP, le MIRU-VNTR, le spoligotypage et le typage RFLP par séquence répétée directe. Toutefois, aucun article dans la littérature n'avait utilisé la plateforme de séquençage génomique complet par ONT pour cette application précise. Dans notre groupe d'échantillons, cette dernière a montré une plus grande résolution de typage, étant donné qu'un patient atteint de TB signalé en 2013 avait le même type MIRU que le groupe, mais présentait des différences dans son séquençage génomique complet de moins de 20 PNS. Ce patient avait immigré du même pays d'Afrique subsaharienne que le patient index de la pseudo-éclosion, mais aucun lien épidémiologique n'a pu être établi entre les deux patients.

Limites

Comme dans de nombreux cas de contamination croisée en laboratoire, le succès de notre enquête a reposé sur la suspicion clinique initiale que des résultats faussement positifs avaient été rapportés. Notre enquête s'est ensuite appuyée sur des méthodologies modernes de génotypage, qui sont de plus en plus disponibles, mais qui ne sont pas encore facilement accessibles partout. Cet enjeu est encore plus important dans les pays à faible revenu, où le M. tuberculosis est plus répandu et où les technologies de séquençage sont sous-utilisées Note de bas de page 20. Notre laboratoire dessert une population où l'incidence de M. tuberculosis est faible. Dans les régions où le fardeau de la maladie est important, les infections mixtes et la transmission active plus fréquentes pourraient rendre plus difficile l'identification clinique d'événements de contamination potentiels Note de bas de page 21Note de bas de page 22.

Conclusion

Cette enquête met en évidence le risque continu de contamination croisée par M. tuberculosis dans les laboratoires de mycobactéries, y compris dans les pays à revenu élevé. La combinaison des données épidémiologiques, cliniques et moléculaires permet de détecter les cas de contamination et d'optimiser les soins aux patients. Le WGS de M. tuberculosis présente une résolution de typage plus élevée que le MIRU-VNTR, mais les résultats de typage des deux méthodes peuvent améliorer notre compréhension de la contamination entre des échantillons positifs groupés. Différentes approches et méthodes doivent être adoptées pour réduire le risque de contamination.

Déclaration des auteurs

  • N. L. — Conceptualisation, méthodologie, analyse formelle, enquête, visualisation, rédaction de la version originale
  • F. P. — Analyse formelle, rédaction–révision et édition
  • J. H. — Analyse formelle, rédaction–révision et édition
  • M. H. — Logiciels, visualisation, rédaction–révision et édition
  • H. S. — Méthodologie, logiciels, analyse formelle, rédaction–révision et édition
  • M. A. L. — Conceptualisation, méthodologie, enquête, rédaction–révision et édition
  • P. M. A. — Méthodologie, analyse formelle, rédaction–révision et édition
  • S. G. L. — Conceptualisation, méthodologie, validation, ressources, conservation des données, administration du projet, acquisition des fonds, visualisation, supervision

Intérêts concurrents

Aucun.

Remerciements

Tous les auteurs remplissent les conditions requises pour être auteurs selon les recommandations de l'ICMJE.

Financement

Aucun.

Références

Notes de bas de page 1

Agence de la santé publique du Canada. Surveillance de la tuberculose au Canada rapport sommaire : 2012 à 2021. Ottawa, ON : ASPC; 2021. [Consulté le 29 mai 2024]. https://www.canada.ca/fr/sante-publique/services/publications/maladies-et-affections/surveillance-tuberculose-canada-rapport-sommaire-2012-2021.html

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Notes de bas de page 2

Agence de la santé publique du Canada. Tuberculose au Canada : Infographie (2022). Ottawa, ON : ASPC; 2022. [Consulté le 29 mai 2024]. https://www.canada.ca/fr/sante-publique/services/publications/maladies-et-affections/tuberculose-canada-infographie-2022.html

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Notes de bas de page 3

Agence de la santé publique du Canada. Tuberculose : Pour les professionnels de la santé. Ottawa, ON : ASPC; 2024. [Consulté le 29 mai 2024]. https://www.canada.ca/fr/sante-publique/services/maladies/tuberculose/professionnels-sante.html

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Notes de bas de page 4

Ministère de la Santé et des Services sociaux. Tuberculose. Québec, QC : MSSS; 2024. [Consulté le 29 mai 2024]. https://www.msss.gouv.qc.ca/professionnels/maladies-infectieuses/tuberculose/

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Notes de bas de page 5

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Notes de bas de page 6

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