(In)stabilité avertie

Publié : lundi 07 mai 2012

Faits saillants d'une conférence organisée par le Service canadien du renseignement de sécurité (SCRS) en collaboration avec Horizons de politique Canada dans le cadre du Global Futures Forum et tenue les 21 et 22 février 2012 à Ottawa.

Le présent rapport est fondé sur les opinions exprimées par les experts qui ont présenté des exposés et par les autres participants à la conférence organisée par le Service canadien du renseignement de sécurité dans le cadre de son programme de liaison-recherche. Le rapport est diffusé pour nourrir les discussions. Il ne s'agit pas d'un document analytique et il ne représente la position officielle d'aucun des organismes participants. La conférence a été dirigée selon les règles de Chatham House; de ce fait, on n'attribue ni ne divulgue l'identité des conférenciers et des participants. Publié en novembre 2010.
© Sa Majesté la Reine en droit du Canada

Conférence et objectifs connexes

Les 21 et 22 février 2012, la Liaison-recherche du Service canadien du renseignement de sécurité (SCRS), en partenariat avec Horizons de politiques Canada, a tenu une conférence à l'administration centrale du SCRS à Ottawa afin d'examiner l'évolution du domaine des nouvelles et des médias à l'échelle mondiale et de discuter des conséquences connexes sur la sécurité. La conférence a attiré plus de 100 fonctionnaires et spécialistes d'organisations non gouvernementales. Elle s'inscrivait dans le cadre du Global Futures Forum, un réseau multinational de recherche et de prospective axé sur la sécurité qui établit un lien entre des organisations chargées de la sécurité dans plus de 20 pays.

La technologie de l'information n'est plus qu'un simple outil d'appui pour effectuer des tâches plus rapidement et efficacement. Elle est devenue une véritable force pour les mouvements sociaux, politiques et économiques de toutes sortes, comme en témoigne en partie la crise politique qui sévit dans le monde arabe depuis le début de 2011. Depuis le milieu des années 1990, la notion traditionnelle du reportage médiatique a été de plus en plus mise à l'épreuve : la montée d'Internet, qui permet à tout le monde de diffuser du contenu et de participer directement au « discours public », a remis en question la notion d'expertise. Personne ne lutte en faveur d'un retour aux jours précédant l'arrivée de l'ordinateur personnel et des réseaux, dont les avantages sont largement compris. Mais y a-t-il un mauvais côté à tout ça? Ce milieu de l'information en évolution constante, qui a sa propre dynamique, a-t-il aussi une dimension sécuritaire? L'expression d'un individualisme plus profond et « toujours actuel » rendra-t-il de plus en plus difficiles les choix à faire pour assurer la sécurité collective?

La hausse exponentielle du contenu sur le Web rend les informations requises pour comprendre les menaces davantage accessibles à grande échelle. Cependant, elle peut aussi marquer le commencement d'une période de chaos informationnel au cours de laquelle les citoyens et les gouvernements auront de la difficulté à trouver des sources d'information, à les créer et à les influencer ouvertement, ce qui rendra la culture numérique d'autant plus importante pour la stabilité d'un pays. En l'absence du soidisant « récit commun » qui a enraciné les sociétés en Occident depuis le XIXe siècle, de quelle façon les gouvernements mobiliseront-ils l'opinion publique pour faire face à de nouveaux problèmes de sécurité? Comment les pays pourraient-ils devenir plus vulnérables à la manipulation et à d'autres types d'influence? Comment la relation entre les gouvernements et l'information pourrait-elle évoluer? Ces questions constituent l'assise à partir de laquelle la conférence s'est déroulée.

La conférence a réuni divers participants et a pu compter sur d'éminents spécialistes de l'Asie, du Canada, d'Europe et des États-Unis. Elle a porté sur une série de thèmes majeurs et ouvert la voie à un dialogue permanent sur les plus marquants. Les principales idées qui ont été présentées par les spécialistes et dont les participants ont discuté sont résumées dans le présent compte rendu. Les opinions et les idées exprimées dans le présent rapport ne sont pas celles du SCRS et elles visent uniquement à encourager la poursuite de la discussion.

Sommaire

Les technologies de l'information et les vastes changements qu'elles entraînent dans les médias révolutionnent le monde dans lequel nous vivons. La période de transition et de bouleversements que connaît l'industrie des médias, provoquée par l'évolution des technologies de l'information, est le présage des défis que toutes les institutions traditionnelles auront à relever. Toute institution qui, au XXe siècle, croyait qu'il suffisait de créer des informations et de les contrôler pour accroître son pouvoir et affirmer son autorité est maintenant aux prises avec un nouvel écosystème de l'information mondial qui, comme l'eau, s'infiltre dans les fondements mêmes des systèmes hiérarchiques.

Dans le monde des affaires, les perturbations et la destruction créatrice constituent des facteurs positifs qui, ensemble, favorisent l'innovation. Ainsi, dans la sphère médiatique, les jeunes entreprises Internet font directement concurrence au New York Times. Malgré la longue réputation d'excellence de ce dernier dans le domaine du journalisme, il n'est pas inconcevable qu'un concurrent sur Internet, n'ayant pas à assumer les coûts traditionnels associés, par exemple, aux presses à imprimer, aux camions de livraison et aux syndicats, puisse un jour remplacer, en totalité ou en partie, ce que ce journal a à offrir.

Les services de renseignements sont semblables aux agences de presse et aux services de nouvelles à bien des égards. Leur utilité tient à leur capacité à obtenir rapidement des informations sur les événements qui surviennent et à les analyser correctement. Les institutions gouvernementales sont cependant confrontées à un singulier défi. Les services de renseignements eux ne peuvent pas être supplantés par de jeunes entreprises étant donné le rôle particulier des gouvernements souverains. Dans leur cas, les profonds changements doivent venir de l'intérieur : ils doivent amorcer des réformes, déterminer dans quels secteurs ils sont vraiment utiles et éliminer ceux où ils ne le sont pas. Les ministères et organismes gouvernementaux et les services de renseignements ont tout à gagner des innovations dans les domaines de l'information, de la technologie et des données, puisqu'elles les obligent à s'adapter à de nouvelles fonctions et à repenser leur relation avec le public.

Les discussions menées au cours de la conférence ont porté sur une vaste gamme de sujets. Toutefois, le présent rapport ne résume que les quatre principaux thèmes qui ont été abordés, c'est à dire :

  • les changements récents sur les plans historique et théorique à l'origine de l'avènement d'un monde mû tout entier par l'information;
  • le rôle primordial de la technologie de l'information dans cette nouvelle réalité;
  • les défis auxquels sont confrontés les régimes tant démocratiques qu'autocratiques;
  • les nouvelles façons de faire des institutions gouvernementales dans ce nouvel écosystème.

Fondements théoriques du nouveau monde

Les nouvelles technologies de l'information sont en train de transformer radicalement nos relations, nos communications, notre comportement ainsi que notre façon de comprendre le monde, et ce, sur tous les plans. Ce phénomène répandu menace le fondement même des institutions d'État, comme toutes les organisations hiérarchiques du XXe siècle d'ailleurs. Les sociétés, les organisations internationales, les entreprises médiatiques et les organismes gouvernementaux ont vu le jour dans un monde où le pouvoir reposait sur la capacité de contrôler l'information. Une connaissance approfondie des tendances du marché, de l'opinion publique, des événements internationaux et de l'actualité offrait un avantage stratégique aux grandes institutions capables de recueillir ces informations et de les traiter.

La transformation des modes de création, de distribution, de consommation et de partage des nouvelles est donc à la fois un signe de la transition qui s'opère dans le monde (les agences de presse ont autant de difficulté à s'adapter que les autres institutions traditionnelles) et le fondement même de cette transition (l'évolution de l'accès à l'information influe sur toutes les autres institutions). L'analyse de ces changements à travers le prisme des médias offre donc deux avantages parallèles : elle fait ressortir, d'une part, les réformes profondes que les institutions gouvernementales telles que les services de renseignements pourraient devoir apporter afin de demeurer pertinentes et, d'autre part, les caractéristiques du nouveau contexte technologique dans lequel elles doivent maintenant évoluer.

Trois approches théoriques ont été retenues pour cette analyse. Premièrement, l'analogie avec la « parenthèse Gutenberg », qui permet d'inscrire clairement notre monde connecté dans un contexte historique. Nous sortons d'une époque caractérisée par les restrictions linéaires de la presse à imprimer et nous orientons vers une ère de communication semblable à celle de l'avant-Gutenberg, c'est-à-dire fondée essentiellement sur l'oralité. Deuxièmement, les identités sociales multiples que l'autonomie conférée par la technologie et l'état de connexion permanent sont en train de créer chez l'être humain. En fait, on pourrait soutenir que nous avons maintenant des identités multiples concomitantes, selon que nous sommes en ligne ou hors ligne, ce qui ne peut qu'avoir des effets sur notre perception des notions d'individualité et de société. Troisièmement, l'émergence du « cinquième pouvoir », détenu par un groupe social qui se sert des technologies de l'information pour remettre en question l'ordre social actuel en tentant d'obliger les institutions et les individus à rendre des comptes.

Rôle de premier plan des médias et des technologies de l'information

Si la société est en voie de passer de l'ère de l'imprimé à celle du numérique, quelles sont alors les caractéristiques fondamentales de ce monde adapté au numérique? Les technologies de l'information jouent maintenant un rôle de premier plan dans le commerce, la politique, la culture et la société et influent sur la façon dont les gens pensent et agissent. Plus particulièrement, elles sont en train de modifier à bien des égards les notions traditionnelles de pouvoir, d'autorité, de cohésion et de transparence.

Premièrement, le monde est de plus en plus connecté, mais le déséquilibre des pouvoirs traditionnels à l'échelle mondiale s'est transposé à l'utilisation d'Internet, le pouvoir à cet égard étant mesuré en fonction de la participation à la production du savoir. Une importante question se pose : comment faire pour que plus de gens participent à l'expansion du numérique dans le monde malgré les différences culturelles, économiques, régionales et technologiques? Les pays occidentaux, par ailleurs, qui jusqu'à maintenant ont influé de façon disproportionnée sur le développement d'Internet, risquent de voir leur accessibilité à l'information diminuer à mesure que les locuteurs de langues non occidentales accapareront une part de plus en plus importante de l'espace Web.

Deuxièmement, plus le contrôle de l'information se décentralise, plus il devient difficile pour les institutions d'asseoir leur autorité uniquement sur leur crédibilité. Il est maintenant facile de miner la légitimité d'une institution hiérarchique à moins que-celle ci n'arrive à convaincre un public de plus en plus sceptique de son utilité. Dans le nouvel environnement médiatique, l'autorité se mérite. De plus, l'érosion de l'autorité politique s'accompagne d'une intensification de la propagande globale, promue souvent par des États et quelques fois par des acteurs non-étatiques, comme le démontre la concurrence accrue pour l'attention de tous dans le domaine des nouvelles internationales.

Troisièmement, le nouveau monde de la technologie de l'information est fragmenté. Bien que les gens se tournent encore vers les médias offerts par les fournisseurs de contenus traditionnels, la gamme des contenus créés et consommés sur d'autres plateformes augmente rapidement. Cette expansion mène à une fragmentation du discours à grande échelle, la propagation d'un discours universel, national ou historique, devenant alors presque impossible, et soulève de nouvelles questions au sujet de la cohésion sociale. Comme l'a déclaré un des exposants et faisant allusion à l'évolution de la participation des citoyens à la vie politique : « Avec Internet, il est facile de dire non [de contester]; reste à voir s'il permettra de creer de nouveaux consensus » Par surcroît, comme tous, tant les individus que les organisations, deviennent non seulement des utilisateurs mais aussi des producteurs potentiels d'informations et de savoir, la question de la fiabilité de la source se pose de plus en plus, et les risques de désinformation sont plus grands que jamais.

Quatrièmement, à une époque où n'importe qui peut avoir accès n'importe quand à de vastes quantités d'informations, il devient de plus en plus difficile de distinguer les informations du domaine public des informations protégées ou relevant de la vie privée. La sécurité de l'information est aussi menacée par la prolifération d'organisations telles qu'Anonymous et Wikileaks, dont l'objectif même est de rendre publiques des informations protégées.

L'approche des gouvernements face à ces grands mouvements de société en dira long sur leur capacité à établir une relation avec leurs citoyens et à gagner leur confiance.

Défis auxquels sont confrontés les régimes démocratiques et autocratiques

La nouvelle architecture des technologies de l'information présente un défi pour toutes les organisations hiérarchiques, qu'il s'agisse d'agences de presse, de sociétés de premier ordre ou d'organisations multinationales telles que les Nations Unies. Les gouvernements modernes n'y échappent forcément pas. Un public mieux renseigné formule de nouvelles demandes à l'État et a de nouvelles attentes en ce qui a trait à la relation entre le gouvernement et ses citoyens. Les pays démocratiques sont aux prises avec des questions de protection de la vie privée, de perception publique, d'autorité et de gestion des données. Quant aux États autocratiques, leur existence même pourrait être menacée vu les plus grands moyens d'agir dont dispose leur population.

Comment un État démocratique peut-il offrir des soins de santé lorsque l'autodiagnostic devient monnaie courante? Comment un gouvernement peut-il assurer l'instruction publique lorsque les citoyens peuvent suivre et évaluer la qualité de l'enseignement en temps réel? Cela devient plus complexe encore lorsqu'il est question de l'appareil de sécurité de l'État. Comme toutes les grandes organisations, les services de renseignements ainsi que les forces policières et militaires ploient de plus en plus sous le poids de la surcharge des données, d'attentes plus grandes du public en matière de transparence ainsi que de la réalité, à savoir qu'ils n'ont plus le monopole de l'information sur la sécurité, mais font plutôt partie d'un monde axé sur l'information.

Si les technologies de l'information présentent surtout des défis liés à la gestion dans les pays démocratiques, les occasions de promouvoir la démocratie qu'elles offrent aux régimes autocratiques peuvent être révolutionnaires. Une autocratie est la manifestation absolue du pouvoir de contrôler l'information. Toutefois, il faut résister à la tentation d'envisager un avenir linéaire ou de tirer des conclusions faciles : les nouvelles technologies ne deviennent pas automatiquement le gage d'une démocratie équilibrée. Les régimes autocratiques sont eux aussi en train d'adopter la technologie et de bénéficier de l'innovation.

Comment fonctionner dans ce nouvel écosystème?

Les organisations hiérarchiques traditionnelles sont à la croisée des chemins : les technologies de l'information et les organisations réseautées sont en train de remettre en question leur existence même et de perturber leurs activités. Dans le cas d'une entreprise privée, telle qu'une agence de presse ou un constructeur de véhicules automobiles, la destruction créatrice peut en fait avoir un effet positif net. Les sources et agrégateurs de nouvelles en ligne The Huffington Post et ProPublica pourraient très bien remplacer le New York Times, et Ford pourrait devoir céder sa place au constructeur de voitures électriques Tesla Motors. La destruction créatrice est toutefois plus difficile dans le secteur public. Les ministères des Affaires étrangères, les forces policières et les services de renseignements ne vont pas simplement disparaître et être remplacés par de jeunes organismes. Le nouveau contexte axé sur l'information pourrait toutefois les obliger à adopter certaines des caractéristiques de ces jeunes entreprises.

Il s'agit d'une tâche énorme, et il y a plusieurs secteurs dans lesquels les institutions gouvernementales en général peuvent commencer à repenser leurs contrats sociaux et leurs méthodes d'exploitation afin de pouvoir continuer à remplir leur mandat.

Repenser les organisations : Les gouvernements doivent trouver les moyens de rebâtir, de réformer et de repenser leurs institutions de manière à ce qu'elles demeurent pertinentes et puissent fonctionner efficacement à l'ère numérique. Il ne suffit pas simplement de faire passer les vieilles institutions au numérique. Il faut plutôt examiner la dynamique d'Internet et les formes de communication et d'action qu'offre cette plateforme afin de s'en inspirer pour planifier l'évolution future des institutions existantes ou la création de nouvelles.

Protéger les systèmes : La protection des systèmes sociologiques et juridiques fondamentaux ainsi que de l'infrastructure matérielle est une des principales priorités des pouvoirs publics. Cela devient encore plus important dans un contexte où les réalités d'ordre social, politique et économique existent aussi dans le monde virtuel, qui lui n'est pas réglementé.

Profiter de l'abondance des données : Pour l'appareil du renseignement, l'abondance des données est à la fois un bienfait et un fléau. D'une part, elle permet de mieux connaître le milieu, de prédire la taille de manifestations, de comprendre ce que certains groupes pensent de questions particulières, de déceler les actes spontanés et de surveiller les menaces. D'autre part, cependant, elle n'est pas aussi utile qu'elle le pourrait, ne serait ce que parce que le traitement de ces volumes massifs de données représente tout un défi, sans parler des questions éthiques liées à la façon dont les gouvernements devraient les utiliser.

Repenser le système d'éducation : Enfin, dans le nouveau monde de la technologie de l'information, l'alphabétisation prend un tout autre sens. Il ne suffit plus d'apprendre à nos citoyens à lire, à écrire et à effectuer des calculs de base. Ils doivent aussi se familiariser avec l'univers numérique et cultiver la pensée critique pour évaluer les contenus auxquels ils accèdent et les technologies utilisées pour leur communiquer ces contenus.

1 - Résumé de la conférence

Il est tentant d'établir une distinction entre les changements et les défis auxquels font face les médias d'information et le secteur du journalisme et les transformations qui s'opèrent dans le monde du renseignement, mais en réalité, les deux phénomènes s'inscrivent dans un mouvement de société beaucoup plus vaste. Toute institution qui, au XXe siècle, croyait qu'il suffisait de créer des informations et de les contrôler pour accroître son pouvoir et affirmer son autorité est maintenant aux prises avec un nouvel écosystème de l'information mondial qui, comme l'eau, s'infiltre dans les fondements mêmes des systèmes hiérarchiques. Ce nouvel écosystème est caractérisé, entre autres choses, par l'abondance d'informations, les réseaux sociaux, de nouvelles définitions de la notion d'autorité et la libre circulation des données entre noeuds de réseaux. Pour déterminer le rôle d'un service de renseignements dans ce contexte, il faut comprendre les origines et les principales caractéristiques de cet écosystème ainsi que les principaux défis et possibilités qu'il présente.

La première partie du rapport présente un résumé des quatre principaux thèmes abordés pendant la conférence : 1) les fondements théoriques du nouveau monde; 2) le rôle de premier plan des médias et des technologies de l'information; 3) les défis auxquels sont confrontés les régimes démocratiques et autocratiques; 4) comment fonctionner dans ce nouvel écosystème. La deuxième partie du rapport résume chacun des exposés présentés par les experts lors de la conférence.

Le rapport présente donc un aperçu thématique de ce qui s'est révélé être une conférence de deux jours dynamique. Il donne aussi une idée des questions à approfondir pour établir une vision d'avenir pour les services de renseignements.

Fondements théoriques du nouveau monde

Les nouvelles technologies de l'information sont en train de transformer radicalement nos relations, nos communications, notre comportement ainsi que notre façon de comprendre le monde, et ce, sur tous les plans. Ce phénomène répandu menace le fondement même des institutions d'État, comme toutes les organisations hiérarchiques du XXe siècle d'ailleurs. Les sociétés, les organisations internationales, les entreprises médiatiques et les organismes gouvernementaux ont vu le jour dans un monde où le pouvoir reposait sur la capacité de contrôler l'information. Une connaissance approfondie des tendances du marché, de l'opinion publique, des événements internationaux et de l'actualité offrait un avantage stratégique aux grandes institutions capables de recueillir des informations, de les traiter et de les contrôler.

La profonde transformation des modes de création, de distribution, de consommation et de partage des nouvelles est donc à la fois un reflet des nouvelles politiques de l'information (les agences de presse ont autant de difficulté à s'adapter que les autres institutions traditionnelles) et le fondement même de cette transition (l'évolution de l'accès à l'information influe sur toutes les autres institutions). L'analyse de ces changements à travers le prisme des médias offre deux avantages parallèles : elle fait ressortir, d'une part, les pressions croissantes qui s'exercent sur les institutions comme les services de renseignements pour qu'elles demeurent pertinentes et, d'autre part, les caractéristiques du nouveau contexte mondial axé sur l'information.

Trois approches théoriques ont été retenues pour cette analyse. Premièrement, l'allégorie de la « parenthèse de Gutenberg », qui permet d'inscrire notre monde connecté dans un contexte historique. Nous sortons d'une époque caractérisée par les restrictions linéaires de la presse à imprimer et nous orientons vers une ère de communication semblable à celle de l'avant Gutenberg, donc fondée essentiellement sur l'oralité. Deuxièmement, les identités sociales multiples que l'autonomie conférée par la technologie et l'état de « connexion permanente » sont en train de créer chez l'être humain. En fait, on pourrait soutenir que nous avons maintenant des identités multiples concomitantes, selon que nous sommes en ligne ou non, ce qui ne peut qu'avoir des effets sur notre perception des notions d'individualité et de société. Troisièmement, l'émergence du « cinquième pouvoir », détenu par un groupe social qui se sert des technologies de l'information pour remettre en question l'ordre social actuel en tentant d'obliger les institutions et les individus à rendre des comptes.

La parenthèse de Gutenberg

Selon la parenthèse de Gutenberg, nous nous approchons aujourd'hui du point culminant d'une révolution qui connaîtra son dénouement une fois que tous les produits culturels et fruits du savoir auront été numérisés, c'est-à-dire lorsque tous les livres jamais écrits auront été numérisés, que toutes les oeuvres d'art auront été reproduites et que toutes les nouvelles seront diffusées en ligne. Lorsque notre principal mode d'interaction, de communication et de production passera au numérique, nous aurons mis fin à une période de l'histoire de l'humanité rendue possible par la presse à imprimer de Gutenberg. Cette dernière a permis de réunir l'information, qui tend naturellement à se disperser.

Grâce à la presse à imprimer, la société est passée de la tradition orale chaotique à la tradition écrite, plus linéaire. Les oeuvres de William Shakespeare, par exemple, ont permis d'ancrer la langue anglaise dans cette nouvelle tradition. L'alphabet et l'écrit ont pris une toute autre importance dans la société. Cette transformation a atteint son apogée au XVIe siècle lorsque le nombre de copies imprimées a dépassé le nombre de manuscrits originaux en Europe.

L'invention de la presse à imprimer a ainsi eu de vastes conséquences. En plus de permettre la diffusion à grande échelle de l'information, cette machine a contribué à façonner la conception même de l'information. Quiconque voulait diffuser une information devait respecter une forme particulière, qui était linéaire et restrictive. Les textes écrits devaient avoir une introduction, un corps et une conclusion. Les idées étaient construites selon cette forme, et le savoir a évolué en fonction des contraintes qu'elle imposait. La société est passée d'une tradition orale décentralisée de partage du savoir à une ère de centralisation, de contrôle et de production en masse de l'information.

La presse à imprimer a servi à définir l'ère moderne et à la caractériser. C'est donc dire que sa portée et ses conséquences sont énormes. Pendant à peu près trois siècles et demi, la relation de l'homme avec la technologie de l'information a guidé les efforts dans les domaines de la gouvernance, de la conception d'institutions, de l'évolution politique, des médias et de la culture. Nous nous orientons maintenant vers un nouveau mode de production de l'information fondé sur le numérique dont les répercussions sont tout aussi déstabilisatrices.

Cette nouvelle évolution marque la fin de la parenthèse de Gutenberg. Plusieurs éléments qui caractérisaient le monde avant Gutenberg refont surface. Les histoires des anciens conteurs laissaient place à l'interprétation et n'étaient pas toujours racontées de la même façon. En ce sens, elles partagent les mêmes caractéristiques que celles des conteurs virtuels qui, eux aussi, sont de moins en moins encombrés par le cadre structuré de l'écrit.

(GUTENBERG)
1500 CE               2000 CE

Prenons par exemple les médias. Pendant la parenthèse de Gutenberg (des années 1500 à 2000 environ), les gens se référaient à des mots alignés dans de belles colonnes droites dans des volumes rangés dans des bibliothèques. Dans le monde de l'avant-parenthèse, l'information était transmise de bouche à oreille et les réseaux se formaient progressivement. Dans le monde de l'après-parenthèse, les médias sont passés à l'ère technologique de sorte que l'information est transmise au moyen d'hypertextes et de liens complexes. En tant que mode de médiation culturelle alimenté par l'écrit, la parenthèse de Gutenberg correspond à une période bien définie de l'histoire.

Ainsi, les changements qui s'opèrent dans le monde des médias, bien qu'ils soient engendrés par l'avènement de technologies plus sophistiquées, nous ramènent aux anciennes façons de communiquer « moins structurées ». Cette analogie entre le monde ancien et le monde moderne a trois répercussions majeures sur la technologie de l'information et le renseignement.

Premièrement, on assiste à une transformation profonde de la production de nouvelles, celle-ci n'étant plus la chasse gardée de quelques experts seulement. Pendant la parenthèse de Gutenberg, la presse écrite était le moyen standard de transmettre les nouvelles. Le journal représentait en quelque sorte un contenant que l'on remplissait de nouveautés chaque jour. Les journalistes et les rédacteurs en chef étaient les gardiens des « nouvelles ». De nos jours, nous sommes en présence d'une avalanche continuelle de reportages mis à jour qui brisent cette linéarité. Les nouvelles ont maintenant davantage tendance à être cumulatives et le fruit d'un effort collectif. N'étant plus propriétaire des informations, le journaliste est devenu un navigateur sur la mer de l'information.

Deuxièmement, l'idée que nous nous faisons de la menace ne se limite plus à la définition traditionnelle de pouvoir, de contrôle et de comportement. D'une part, le pirate informatique à l'ère faisant suite à la parenthèse de Gutenberg et le terroriste d'avant la parenthèse ont plus de choses en commun entre eux qu'avec leurs homologues nés pendant la parenthèse. Le contexte de la sécurité actuel et futur sera ponctué de rencontres, d'affrontements et de conflits entre les illettrés de l'ère avant la parenthèse, les lettrés de l'ère pendant la parenthèse et les nouveaux lettrés de l'ère après la parenthèse. Dans ce contexte, l'insurgé de l'ère avant la parenthèse et le nouveau lettré de l'ère après la parenthèse auront plus de valeurs en commun entre eux qu'avec les institutions modernes, y compris les organismes de sécurité. D'autre part, l'État-nation demeure l'acteur politique le plus puissant, même si on prédit depuis longtemps son érosion et son effondrement. Comme les individus et d'autres organisations, les États maîtrisent la technologie et sont parfois à l'origine de son développement.

Certains représentent aussi de nouvelles menaces et parrainent le piratage informatique et d'autres activités en ligne pour recueillir des informations auprès de leurs citoyens ou d'États étrangers.

Enfin, l'évolution des médias modifie non seulement nos pensées, mais notre mode de pensée. Ce changement ouvre un domaine du savoir qui n'a pas été suffisamment étudié et qui est mal compris : l'incidence de la technologie numérique sur nos vies. La façon dont nous imaginons notre corps, l'espace, le temps et la société est en train de changer aussi rapidement que les moyens que nous employons pour communiquer et partager des informations.

Identités sociales multiples

La transformation de notre société et de l'organisation technologique du monde, qui est en train de passer de l'ère de l'imprimerie à l'ère du numérique, ne peut qu'avoir des effets sur l'être humain. Que signifie pour l'individu le fait de vivre dans un monde de réseaux d'information? Quelle incidence ce phénomène a-t-il sur son sens de l'identité et de la place qu'il occupe dans le monde physique et métaphysique? Comment peut-il se définir dans un monde qui s'écarte de la linéarité qui caractérisait l'ère de Gutenberg?

Certains soutiendront que nous avons atteint la fin de l'époque où nous nous percevions comme ayant une seule identité et que nous comptons maintenant, en ligne et hors ligne, de multiples identités, de multiples « moi » dans de multiples réalités simultanées. Prenons l'exemple d'un chauffeur de taxi qu'un conférencier a rencontré à Calcutta. En rentrant en ville à partir de l'aéroport, le chauffeur a attiré son attention sur un village où il vit une vie parallèle dans le monde virtuel. Dans une itération de ce village sur Internet, il est marié avec une autre femme. Il a expliqué que dans cette autre vie, il « s'est marié par amour ».

Qu'est-ce que cela révèle au sujet des identités multiples? L'une est-elle plus réelle que l'autre? L'une est-elle virtuelle et donc coupée de la réalité? Nous assistons peut-être bien à la fin d'une époque et à l'émergence progressive d'une nouvelle réalité qui est caractérisée par des identités sociales multiples, où mondes réel et virtuel se fondent, et qui reflète les mondes multiples dans lesquels nous vivons simultanément. Bien que nous ayons toujours eu des identités multiples, elles ne pouvaient pas évoluer en parallèle. Nous pouvons maintenant exister à plusieurs endroits en même temps et développons de plus en plus le don d'ubiquité.

Par conséquent, non seulement nous avons des identités multiples, mais nous vivons simultanément des réalités distinctes. Ces réalités sont interdépendantes, c'est à-dire que ce qui arrive dans l'une d'elles peut avoir des répercussions sur une autre. Les informations diffusées à l'aide des médias sociaux nous touchent tous que nous choisissions ou non d'utiliser ces applications. D'un point de vue sociétal, les sujets qui animent les discussions sur Twitter un jour influent sur notre comportement le lendemain.

Il va sans dire que le fait d'avoir des identités sociales multiples et le don d'ubiquité a de vastes répercussions. Premièrement, cette conception de la réalité rend encore plus complexe notre analyse de l'allégorie de la parenthèse de Gutenberg, qui est elle-même assez linéaire. La fin de cette parenthèse nous amène à nous demander si elle est le présage d'un retour à un ordre ancien ou si elle annonce le début d'une nouvelle phase. Elle donne aussi à penser que la transformation pourrait se faire progressivement et par étapes. En fait, il y aurait peut-être lieu de concevoir la transition vers le nouveau monde de l'information plutôt comme une explosion, davantage assimilable à un changement de paradigme qu'à un passage ordonné d'une façon de communiquer à une autre.

Le fait d'exister simultanément dans de multiples réalités remet en question notre sens de l'espace que nous occupons. Il n'est plus logique d'opposer « cyberespace » et réalité de penser que ce premier existe ailleurs que dans la réalité. Même si cette notion n'a pas encore fait totalement consensus, sauf pendant quelques brèves périodes peut-être, le cyberespace est effectivement en train de faire partie de notre réalité. Si les pouvoirs publics et les élites politiques ont déployé de grands efforts au XXe siècle pour amener les gens à entrer dans un même moule afin de pouvoir mieux répondre à leurs besoins et les contrôler, au XXIe, les organisations et les individus sonderont nos identités multiples à travers l'espace et le temps afin de mieux communiquer avec elles.

La notion d'identités sociales multiples suppose-t-elle nécessairement un mode de pensée complètement différent, c'est-à-dire une véritable modification des circuits du cerveau? Les spécialistes des neurosciences posent comme postulat que les humains sont malléables et que leur système nerveux peut s'adapter. Cette plasticité neuronale peut influer sur la perception que nous avons de nous mêmes, de sorte que nous pourrions être sur le point de voir la disparition du concept du soi moderne (c'est-à-dire de l'individu autonome et isolé qui se livre à l'introspection). Toutefois, le rythme auquel nous pouvons nous adapter est un grand sujet de discussion parmi les scientifiques. Bien que la technologie séduise par ses promesses d'ubiquité incontestablement fascinantes, il faut opposer l'héritage de millions d'années de développement neuronal aux quelques décennies de développement de la technologie des réseaux.

Il y a trois façons de considérer les répercussions liées à cette nouvelle conception de l'identité. Certains croient qu'elle est sans conséquences, qu'il s'agit d'un phénomène culturel comme bien d'autres qui l'ont précédé et que l'on s'y adaptera facilement sur les plans social et psychologique. D'autres sont plus inquiets et craignent que l'être humain ne soit submergé par des voix multiples, dont aucune n'est authentique. Entre les deux, il y a ceux qui croient que le fait d'adopter des identités sociales multiples devient une façon de faire face aux problèmes personnels liés à la modernité et de passer maître dans l'art de se présenter et de se réinventer.

Le cinquième pouvoir

L'analogie avec la parenthèse de Gutenberg nous aide à conceptualiser la transformation sociale en cours, et l'adoption d'identités sociales multiples témoigne de l'influence que cette transformation a sur nous en tant qu'individus. Le concept du « cinquième pouvoir », lui, sert à désigner les groupes sociaux qui voient le jour dans le monde de la technologie numérique. Au XXVIIIe siècle, Edmund Burke avait fait valoir qu'en plus des trois principaux acteurs dotés de pouvoir et d'autorité dans la société (le clergé, la noblesse et le peuple), la presse était en train de créer une nouvelle force, c'est-à-dire un quatrième pouvoir. De nos jours, l'interconnexion confère aux gens un pouvoir qui n'est ni passager ni le signe d'une société civile fragmentée. Il s'agit en fait d'un cinquième pouvoir qui permet aux gens d'être des acteurs sociaux capables d'exercer une influence sur la scène politique. Ce pouvoir trouve son impulsion dans le système d'information dont il est issu et autour duquel il s'articule.

Étant donné que de par sa nature même le cinquième pouvoir menace les quatre autres, il présente un paradoxe singulier en ce qu'il pourrait en fait contribuer à leur disparition. Par contre, il pourrait ne pas survivre et être intégré par des institutions existantes qui ne sont pas disposées à apporter des réformes. Sentant leur existence même menacée, ces institutions pourraient utiliser leur pouvoir pour contrôler les politiques régissant la société civile, comme des autocrates ont tenté de le faire en Iran et en Syrie.

Dans ce contexte, quel sort réserve-t-on aux institutions du XXe siècle ou aux équivalents modernes des quatre pouvoirs (intellectuels, gens d'affaires, politiciens, journalistes et médias de masse) dans un monde où les gens sont interconnectés et arrivent ainsi à exercer une influence?

Ensemble, ces trois approches théoriques permettent de comprendre comment nos relations avec l'information sont en train de changer et ce que cela signifie pour les institutions publiques. Parlons maintenant des caractéristiques du nouveau monde axé sur les technologies de l'information.

Rôle de premier plan des médias et des technologies de l'information

Si la société est en voie de passer de l'ère de l'imprimé à celle du numérique, quelles sont alors les caractéristiques fondamentales de ce monde adapté au numérique? Les technologies de l'information sont devenues indispensables à l'activité humaine et influent sur la pensée et le comportement des gens. Elles sont en train de modifier les notions traditionnelles de pouvoir, d'autorité, de cohésion et de transparence.

Pouvoir

Makmende (un dur à cuire) a été le premier personnage fictif à connaître un succès viral sur Internet au Kenya. Toutefois, lorsque les Kényans tentaient de créer une entrée sur lui dans Wikipédia, celle-ci était toujours supprimée. Les éditeurs de Wikipédia, dont la plupart se trouvaient en Occident, ne connaissaient pas Makmende et supprimaient le contenu parce qu'ils pensaient que le personnage n'était pas suffisamment important ou qu'il n'existait tout simplement pas.

Bien que l'utilisation d'Internet se répande rapidement, la majorité des gens, surtout dans l'hémisphère Sud, n'y ont toujours pas accès. Toutefois, le fossé numérique est en train d'être comblé à mesure que l'accès au réseau s'étend.

Malgré ce progrès, la répartition des pouvoirs demeure la même. Les personnes ou organisations qui se sont toujours fait entendre et ont toujours été visibles et actives ont l'avantage. Le pouvoir sur Internet n'est donc pas dicté par l'accès, l'infrastructure technologique étant loin d'être le gage d'une plus grande présence sur le Web. Il a plutôt tendance à être mesuré comme il l'était avant l'avènement de cette plateforme, c'est à dire en fonction de la production du savoir. Par exemple, les pays les plus riches ont plus de journaux par habitant en circulation que le reste du monde. De même, les États Unis et le Royaume-Uni produisent la majorité des revues spécialisées indexées.

Des tendances très semblables se dessinent lorsque nous évaluons les nouvelles formes de production du savoir sur Internet. Par exemple, si nous répartissions les articles de Wikipédia en fonction de la population, de la langue et de l'accès, nous constaterions que l'Afrique demeure sous représentée. Ainsi, le pouvoir ne se mesure pas uniquement en fonction de la répartition géographique inéquitable de l'accès. Un facteur dont il faut tenir compte est l'accès à l'aide d'appareils mobiles. Les pays en développement se connectent surtout à l'aide de tels appareils, ce qui influe sur leur comportement en ligne.

À l'ère des réseaux, il faut également analyser la notion de pouvoir politique du point de vue de l'État. Malgré l'évolution organique d'Internet et l'originalité de l'utilisation qu'en font les personnes, des gouvernements continueront de vouloir employer nouvelles et vieilles technologies pour communiquer activement leur propre vision du monde. La création, en peu de temps, de plusieurs services internationaux de nouvelles (par exemple par la Russie, la Chine et l'Iran) pouvant diffuser des messages à l'appui d'objectifs politiques annonce l'arrivée d'un nouveau type de conflits internationaux.

Autorité

Ipaidabribe.com est un site Web indien qui permet aux utilisateurs d'y verser des rapports détaillés sur des bureaucrates cherchant à obtenir des paiements illicites. Au moment de la rédaction du présent document, il y avait plus de 400 000 signalements de pots-de-vin touchant toutes les formes de services gouvernementaux courants. Les rapports sont produits de façon anonyme et ne peuvent être ni corroborés ni réfutés. Le site Web ne permet pas de traduire les coupables en justice, mais donne aux citoyens indiens l'occasion d'exprimer leur opinion et ainsi d'humilier leur gouvernement et de remettre son autorité en question.

Plus le contrôle de l'information perd de son efficacité, plus il est difficile pour les institutions d'asseoir leur autorité uniquement sur leur crédibilité. Il est maintenant facile de miner la légitimité d'une institution hiérarchique à moins que celle-ci n'arrive à convaincre un public de plus en plus sceptique de son utilité. Dans le nouvel environnement médiatique, l'autorité se mérite et n'est plus tenue pour acquise.

Dans un monde où les gens n'acceptent plus inconditionnellement les systèmes existants et l'autorité abstraite, on peut penser à trois scénarios possibles pour l'avenir. Dans le premier, des individus farouchement attachés à un raisonnement qu'ils jugent fondé pourraient bloquer l'accès à d'autres discours et arguments (dans le cas, par exemple, d'un nationalisme ou d'une religiosité extrême et irrationnel). Il s'agit d'une forme de sectarisme que l'on trouve dans les communautés idéologiques en ligne. Dans le deuxième scénario, comme on a de plus en plus tendance à considérer tous les raisonnements comme arbitraires, on pourrait assister à la dissolution complète du concept d'expertise et à l'avènement du relativisme absolu. Ce phénomène commence d'ailleurs à s'observer dans l'industrie des médias d'information. Enfin, selon le troisième scénario, dans un monde où la contestation de l'autorité risque d'être démocratisée et de devenir monnaie courante, on pourrait assister à la remise en question et à l'effondrement des structures traditionnelles et à l'émergence d'institutions dotées de nouvelles formes d'autorité. Le mode de communication n'est plus un gage d'autorité (« si c'est dans un livre, c'est que ça doit être vrai » ou « si le gouvernement l'a fait, c'est qu'il doit s'agir du meilleur moyen de procéder »). L'autorité change constamment en fonction des évaluations en temps réel et de la rétroaction des masses, comme ce qu'on voit sur ipaidabribe. com. Ce dernier scénario présente d'importants défis aux institutions gouvernementales si elles veulent continuer, du moins dans le cas des régimes démocratiques, à représenter les intérêts de l'État, y compris à assurer la sécurité de tous.

Cohésion

Le nouveau monde de la technologie de l'information est fragmenté. Bien que les gens se tournent encore vers les médias offerts par les fournisseurs de contenus traditionnels, la gamme des contenus créés et consommés sur d'autres plateformes augmente rapidement. Cette expansion mène à une fragmentation du discours à grande échelle.

Par exemple, dans le cadre d'une récente étude du Pew Research Center citée par un conférencier, on a analysé les façons dont les citoyens américains obtiennent leurs informations locales. Les chercheurs ont constaté qu'il s'agissait d'un écosystème complexe, puisque les gens comptent sur différents supports médiatiques selon le sujet sur lequel ils veulent se renseigner. Il ne semble pas y avoir de concurrence entre les anciens et les nouveaux médias, les diverses sources d'informations semblant plutôt se fondre continuellement les unes dans les autres. En outre, 41 % des adultes ont déclaré être eux-mêmes des producteurs de nouvelles locales, c'est à dire qu'ils partagent des liens, créent du contenu, publient des nouvelles, jouent un rôle dans leur diffusion ou fournissent leur propre contenu. On constate que l'important fossé qui sépare le producteur de contenu et le consommateur est également en train de disparaître. C'est donc dire que les médias ne sont plus seulement fragmentés sur le plan de la forme. C'est le cas non seulement des nouvelles locales, mais aussi des nouvelles régionales et des informations diffusées en différentes langues partout dans le monde.

Transparence

À une époque où n'importe qui peut avoir accès n'importe quand à de vastes quantités d'informations, il devient plus difficile de distinguer les informations du domaine public des informations protégées. La sécurité de l'information est aussi menacée par des organisations dont l'objectif même est de rendre publiques à tout prix des informations classifiées, comme l'ont montré de façon alarmante Wikileaks et Anonymous au cours des trois dernières années. Si certains ont apprécié la plus grande transparence, qui leur permettait de comprendre par exemple la stabilité politique en Irak, bien d'autres ont jugé qu'on était allé trop loin en publiant en masse des messages diplomatiques du Département d'État américain.

Les trois situations suivantes illustrent non seulement le besoin continu de contrôler l'information, mais aussi les défis constants associés à ce besoin compte tenu des répercussions sur le plan de la sécurité. De nombreuses ONG collaborent avec les gouvernements dans les zones de conflit. Ainsi, la diffusion de documents par Wikileaks a suscité de vives craintes au sujet de la sécurité de certaines personnes. Par ailleurs, comme les diplomates documentent des atrocités et des situations politiques délicates, ils sont souvent appelés à entretenir des relations avec des sources dissidentes dans des pays répressifs. La mise au jour d'identités dans ce contexte met des vies en danger et nuit à la conduite normale de la diplomatie, où la confidentialité est essentielle. Enfin, les organisations, les ONG, les journalistes et les chercheurs qui travaillent dans des contextes de sécurité complexes ont souvent d'importantes bases de données renfermant les noms de contacts. Le fait de rendre ces noms publics, même par inadvertance, peut de toute évidence créer des risques et des menaces.

Toutefois, ce qui pose problème pour les pouvoirs publics, c'est que selon une partie de l'opinion publique, tous les citoyens devraient avoir un droit d'accès à toutes les informations recueillies ou créées par le gouvernement, et bien d'autres gens, qui citent des exemples de documents officiels ayant peut-être été trop caviardés ou mal classifiés, commencent à remettre en question le besoin de maintenir le secret et la confidentialité.

Une solution pour les gouvernements pourrait être de prendre comme position que le public devrait savoir presque tout. La seule façon de répondre aux demandes de transparence accrue du public serait peut-être de diffuser des informations de façon plus proactive tout en insistant sur le fait que certaines catégories d'informations, comme les dossiers médicaux ou les documents d'une importance primordiale pour l'intérêt national, ne soient pas rendues publiques.

Défis auxquels sont confrontés les régimes démocratiques et autocratiques

La nouvelle architecture des technologies de l'information présente un défi pour toutes les organisations hiérarchiques, qu'il s'agisse d'agences de presse, de sociétés de premier ordre ou d'organisations multinationales telles que les Nations Unies. Un public mieux renseigné formule de nouvelles demandes à l'État et a de nouvelles attentes en ce qui a trait à la relation entre le gouvernement et ses citoyens. Il vaut mieux toutefois examiner les deux types de régimes séparément. Les pays démocratiques sont aux prises avec des questions de protection de la vie privée, de perception publique, d'autorité et de gestion des données. Quant aux États autocratiques, qui peuvent manipuler la technologie de manière à servir leurs intérêts nationaux et à retarder les progrès démocratiques, leur existence même est menacée vu que leurs habitants sont mieux renseignés, ce qui leur donne plus d'assurance.

Comment donc un État démocratique peut-il offrir des soins de santé lorsque l'autodiagnostic devient monnaie courante? Comment un gouvernement peut-il assurer l'instruction publique lorsque les citoyens peuvent suivre et évaluer la qualité de l'enseignement? Il s'agit là de problèmes liés à la politique intérieure, mais la question devient encore plus délicate lorsqu'il est question de l'appareil sécuritaire de l'État. Il convient donc d'examiner les répercussions sur les services de renseignements, les organismes d'application de la loi et les forces armées.

Défis pour les services de renseignements

L'ère de l'information entraîne des menaces, mais offre aussi des possibilités aux services de renseignements, dont l'objectif principal est de traiter des informations et d'être à l'affût de tout élément manquant à leur compréhension. Il leur incombe littéralement de faire sens d'échanges d'informations de façon continue. Un service de renseignements est utile lorsqu'il trouve des pistes et des informations dont d'autres parties ne sont pas au courant ou, du moins, lorsqu'il les trouve avant les autres. De plus en plus, à cette époque caractérisée par l'abondance de données, c'est la capacité d'effectuer de meilleures analyses et non de recueillir plus d'informations qui procure un avantage tactique et stratégique à un service de renseignements. Cette nouvelle optique entraîne d'importants changements pour le milieu du renseignement, dont la fonction particulière consiste à informer le gouvernement à partir d'informations publiques et de données obtenues par des moyens secrets.

Dans le monde des médias sociaux, les informations fusent de toutes parts. Cette abondance offre d'énormes possibilités aux services de renseignements : il est possible d'exploiter les données partagées ouvertement afin d'en extraire des informations, de les analyser afin de relever des tendances, de les examiner attentivement pour en déterminer les sources et de les suivre de près en prévision d'enquêtes. Il est aussi possible d'utiliser ces données pour déterminer si un élément d'information est valable. Au même titre qu'elles se propagent rapidement sur Internet, les informations peuvent faire avancer rapidement une enquête.

L'abondance d'informations présente aussi de réels défis. D'abord, il faut apprendre à traiter une quantité monumentale et grandissante d'informations en temps réel. Lorsqu'il est question de la gestion de l'information, de nombreux services de renseignements parlent de « boire à même un tuyau d'incendie ». La recherche d'indices probants est extrêmement difficile. C'est pourquoi les services de renseignements collaborent de plus en plus entre eux et s'échangent d'énormes volumes de renseignements. Ils ne veulent pas que les sources d'informations se tarissent, mais tiennent aussi à ne pas perdre de données précieuses. Il s'agit essentiellement d'un problème de filtrage : comment extraire les informations pertinentes du flux de données.

Deuxièmement, à une époque de remise en question de l'autorité qui nécessite des analyses plus complexes, il est difficile pour un service de renseignements d'établir un équilibre entre son besoin de certitude et les réalités associées à la fluctuation des données en temps réel. Comme toutes les organisations, les services de renseignements ne pouvaient pas par le passé éliminer l'imprévisibilité, mais l'absence relative de données leur permettait d'atteindre plus facilement un certain degré de certitude. De nos jours, il devient très difficile d'être vraiment certain de quoi que ce soit en raison des importantes campagnes de désinformation menées sur Internet.

Troisièmement, le renseignement, tout comme les informations qui ont servi à sa production, est un bien, ce qui signifie que certaines fonctions traditionnelles des services de renseignements peuvent parfois être remplies par d'autres entités. L'abondance d'informations signifie aussi que les services de renseignements se font concurrence pour obtenir l'attention de leurs clients, qui jouissent d'un meilleur accès à une panoplie grandissante de sources. Dans certains cas, des organisations privées (la Economist Intelligence Unit, le New York Times, la BBC, la Brookings Institution) peuvent fournir des informations et des analyses de haute qualité.

De toute évidence, les services de renseignements ne sont pas simplement des organisations de collecte de données publiques. Ils ont une fonction bien particulière : remplir leur mandat en produisant les analyses les plus pertinentes possible à partir de sources publiques et secrètes. Ils doivent donc acquérir une plus grande aptitude à faire face aux risques pour la sécurité à l'échelle nationale et mondiale qui se confondent de plus en plus, tout en demeurant des institutions publiques responsables dans des sociétés libres, démocratiques et ouvertes.

Défis pour les services de police

Les forces policières ont à bien des égards les mêmes défis et possibilités que les services de renseignements. La principale différence, c'est qu'elles sont appelées dans une plus grande mesure à traiter directement avec le public, puisque la police est une institution davantage tournée vers l'extérieur.

Dans un contexte où les nouvelles sont diffusées 24 heures sur 24 à l'aide des médias sociaux et des chaînes d'information en continu sur le câble et où les activités sur Internet sont diversifiées, les attentes du public face à la police ont changé. On constate une accélération du processus judiciaire, alors qu'il faudrait plus de temps pour analyser de vastes quantités d'informations et les situer dans un contexte.

Les services de police ont de nouveaux défis à relever à toutes les étapes du processus d'enquête traditionnel. Premièrement, la collecte de données de base devient une tâche énorme en raison de l'abondance d'informations. L'intelligence artificielle permettra peut-être de surmonter cette difficulté, mais pour l'instant, en plus de leurs outils d'enquête et d'intervention traditionnels, les policiers doivent mettre à l'essai des outils en ligne. Deuxièmement, les policiers ne peuvent plus s'en tenir à leurs façons de faire traditionnelles qui consistent à évaluer chaque source d'informations et à corroborer chaque donnée.

Troisièmement, l'analyse de la provenance des informations est plus difficile dans le monde des médias sociaux, où la source est souvent ambigüe. Enfin, les services de police utilisent de plus en plus les médias sociaux pour diffuser des informations au public à différentes étapes d'une enquête. Reste à déterminer jusqu'où cela devrait aller. Comment la surveillance policière devrait-elle être effectuée sur le Web? À quoi ressemblerait un poste de police virtuel? Devrait-il y en avoir un sur Twitter ou dans Second Life? Ce sont là autant de questions que se posent les services de police du XXIe siècle.

Défis liés à l'état de guerre

Dans un pays démocratique, la guerre transforme le paysage de l'information. Ce n'est pas un phénomène nouveau. Que ce soit à l'époque des affiches de propagande de guerre ou à celle de l'intégration des journalistes dans des unités militaires, l'information et la désinformation ont toujours été des instruments de guerre. Toutefois, étant donné la puissance militaire écrasante de certains pays, ce sont les perceptions et non les victoires militaires à proprement parler qui permettent maintenant plus que jamais de gagner une guerre. En raison de la capacité meurtrière de l'État moderne, les combats ont tendance à s'enliser dans l'impasse. Il ne suffit plus seulement de savoir qui est le plus puissant, mais quel récit de la violence sera jugé acceptable par le public. Autrement dit, à l'ère de l'information, la guerre est une forme d'exercice de relations publiques. Dans un monde où il faut restreindre l'exercice de la force, la guerre devient un moyen de communication.

Trois exemples illustrent ce point. Premièrement, malgré son énorme force militaire, Israël doit se limiter à des instruments de guerre jugés acceptables par l'opinion publique internationale. Par exemple, à l'arrivée de la seconde flottille turque soupçonnée de transporter des armes et des vivres, les forces spéciales israéliennes sont montées à bord des navires munies de fusils à balles de peinture, en sachant que si elles faisaient des victimes, les réactions du public leur feraient plus de tort que de bien. Israël avait la force militaire nécessaire pour arrêter les navires, mais les mesures prises étaient plus qu'un acte militaire au sens strict du terme : il s'agissait d'un exercice de relations publiques.

Deuxièmement, pendant la guerre en Irak, un vendeur de Bagdad aurait été tué parce qu'il avait vendu des tomates et des concombres dans le même panier. Son acte aurait été qualifié d'affront parce que les symboles masculin et féminin se trouvaient côte à côte. Bien des gens ont cru à cette histoire, qui a été hautement médiatisée, ce qui a déclenché une réaction contre l'extrémisme religieux jugée en partie responsable de l'éveil sunnite. Au bout du compte, elle s'est révélée fausse.

Enfin, il suffit de prendre l'exemple bien connu d'une frappe aérienne de l'OTAN contre un convoi en Afghanistan pour bien comprendre cette dynamique. Quelques instants après la frappe, les talibans diffusent souvent de faux rapports quant au nombre important de victimes « civiles ». Par contre, il faut des jours, avant que l'OTAN ne soit en mesure de répondre à cette désinformation. En ce sens, l'OTAN est en train de perdre la guerre de l'information. On peut appliquer cet exemple à toute la gamme des défis associés à la contre-insurrection.

Occasions d'habilitation démocratique

Si les technologies de l'information présentent surtout des défis liés à la gestion dans les pays démocratiques, les occasions de promouvoir la démocratie qu'elles offrent aux régimes autocratiques peuvent être révolutionnaires. Une autocratie est la manifestation absolue du pouvoir de contrôler l'information. Le fait que ce contrôle soit devenu de plus en plus insoutenable ouvre de nouvelles perspectives sur le plan de l'activisme, des manifestations politiques et de la révolution.

Les médias sociaux se sont révélés d'une grande efficacité pour briser l'emprise sur l'information qu'exercent les régimes autocratiques. Par le passé, ceux ci pouvaient créer un problème d'action collective, la moindre prise de position entraînant des coûts incroyablement élevés (mort, torture, emprisonnement). En s'opposant publiquement, les citoyens misaient le tout pour le tout. C'était soit la révolution, soit la soumission. Le risque était absolu. Les médias sociaux ont éliminé ce problème en créant un autre moyen de participer au processus politique tout en courant beaucoup moins de risques. Selon la « cute cat theory » (littéralement la « théorie du chat mignon ») proposée par Ethan Zuckerman, par exemple, des plateformes telles que Facebook peuvent servir d'abri aux dissidents politiques. Une fois que l'échange de photos de chats est devenu monnaie courante, il est possible de partager une gamme beaucoup plus vaste d'informations d'ordre politique. Il existe plusieurs exemples des façons dont les technologies de l'information et les médias sociaux sont utilisés pour dénoncer les autocrates.

En Syrie, les mesures de répression brutales du régime al-Assad sont transmises en continu. Toutefois, on se demande vraiment si cela contribue de quelque manière à modérer ses actions. C'est peut être plutôt l'inverse. Comme ses crimes sont documentés en détail, al-Assad n'a d'autre choix que de remporter une victoire absolue. Ailleurs dans le monde, risque-t-on de devenir tout simplement insensibilisés aux images de la répression violente exercée par al Assad, comme on l'est devenu face à celles d'enfants qui meurent de faim?

En Égypte, pendant les manifestations contre le président Moubarak, tous les camps ont tiré partie de la technologie de diverses façons. Pendant que Moubarak coupait l'accès à Internet et envoyait ses hommes de main à dos de chameau contre les manifestants sur la place Tahrir, un petit groupe de jeunes dans la vingtaine partout dans le monde coordonnait les opérations d'approvisionnement et de dotation en personnel de dix hôpitaux de campagne pour venir en aide aux manifestants, le tout à l'aide d'Internet.

Rami Jarrar, un blogueur syrien, est passé à deux doigts de ne pas pouvoir s'enfuir de la Syrie. Une fois rendu à Doha, il a été intercepté par un douanier qui a menacé de le renvoyer en Syrie à cause d'un problème de passeport. Il a lancé un appel à l'aide sur Twitter, et quelqu'un qui a vu son message a communiqué avec un cheik au Qatar qui est venu à sa rescousse à l'aéroport. Il s'agissait donc d'un problème propre au XXIe siècle qui nécessitait une solution propre au XVIIe siècle : l'intervention d'un cheik.

Bien sûr, plusieurs réserves s'imposent. Nous assistons à une course aux armes technologiques entre des États autocratiques, qui utilisent la technologie pour surveiller, repérer et réprimer les mouvements de protestation (souvent à l'aide de technologies mises au point dans des pays démocratiques), et des manifestants, qui cherchent à utiliser les technologies de l'information pour humilier les gouvernements qui les oppriment, documenter leurs atrocités et miner leur autorité. Nous sommes aux débuts de cette nouvelle escalade et nous devrions donc nous garder d'envisager un avenir linéaire ou de tirer des conclusions trop rapidement : les nouvelles technologies n'amèneront pas automatiquement tous les gouvernements à adopter un régime démocratique. Les régimes autocratiques sont eux aussi en train d'adopter la technologie et sont libres de recueillir des informations sur leur population et de la contrôler.

Comment fonctionner dans ce nouvel écosystème

Les organisations hiérarchiques traditionnelles sont à la croisée des chemins : les technologies de l'information et les organisations réseautées sont en train de remettre en question leur existence même et de perturber leurs activités. Dans le cas d'une entreprise privée, telle qu'une agence de presse ou un constructeur de véhicules automobiles, la destruction créatrice peut en fait avoir un effet positif net. Les sources et agrégateurs de nouvelles en ligne The Huffington Post et ProPublica pourraient très bien remplacer le New York Times, et Ford pourrait devoir céder sa place au constructeur de voitures électriques Tesla Motors. La destruction créatrice est toutefois plus difficile dans le secteur public. Les ministères des Affaires étrangères, les forces policières et les services de renseignements ne vont pas simplement disparaître et être remplacés par de jeunes organismes. Le nouveau contexte axé sur l'information pourrait toutefois les obliger à adopter certaines des caractéristiques de ces jeunes entreprises.

Il s'agit de toute évidence d'une tâche énorme. Il y a toutefois plusieurs secteurs dans lesquels les organisations du secteur public peuvent commencer à s'écarter des chemins battus et repenser les contrats sociaux et les méthodes d'exploitation qui limitent leur capacité de faire la transition vers l'ère du numérique.

Repenser les organisations

Dans le contexte de la révolution numérique et du monde de l'aprèsparenthèse de Gutenberg, les institutions traditionnelles ont tendance à se lancer sur le Web. Pendant 15 ans, les agences de presse se sont contentées de rendre leur contenu accessible sur un site Web, qui, pour elles, ne représentait qu'un autre mécanisme de distribution. Ce n'est que lorsque leur existence même a été menacée qu'elles ont commencé à réfléchir à ce qu'entraînait vraiment la transmission de nouvelles en ligne. Certaines d'entre elles semblent avoir compris et commencent à innover. Pour d'autres, il est trop tard.

Le défi pour les gouvernements est de trouver les moyens de rebâtir, de réformer, de repenser et de remanier leurs propres institutions de manière à ce qu'elles demeurent pertinentes et puissent fonctionner à l'ère numérique. Une façon de faire novatrice consiste à ne pas simplement faire passer les vieilles institutions sur le Web, mais plutôt à examiner les formes de communication et d'action sur cette plateforme et à voir si elles peuvent être adaptées ou utilisées comme modèles pour de nouvelles institutions.

Si l'objectif au XXe siècle était de répondre aux besoins de l'individu, selon une seule définition commune du terme, nous devons maintenant apprendre à bâtir de nouvelles institutions qui reflètent nos multiples réalités sociales. Par exemple, de quoi pourrait avoir l'air une institution qui tient compte de ces réalités? Nous devons créer des institutions qui sont adaptées aux nouveaux comportements et se fondent sur de nouvelles conventions. À quoi ressemblent les institutions issues du cyberespace et quelles leçons pouvons-nous en tirer?

Prenons, par exemple, les institutions qui font la promotion du multiculturalisme et sont conçues pour assurer la cohésion entre les groupes. Comment peut-on imaginer leur évolution dans un contexte d'identités multiples et concomitantes qui se chevauchent? Comment, par exemple, les pouvoirs publics pourraient-ils favoriser l'apparition de valeurs partagées?

Protéger les systèmes

Si les technologies de l'information sont essentielles au fonctionnement des organisations et des institutions gouvernementales, les gouvernements ont intérêt à jouer un rôle dans la protection des systèmes sociologiques et juridiques ainsi que de l'infrastructure matérielle sur lesquels elles reposent. Cette protection devient plus importante encore lorsque l'opposition entre le monde virtuel non réglementé et le monde réel ne tient plus, parce que les mêmes réalités d'ordre social, politique et économique existent dans les deux mondes.

Au Canada, ce mandat de protection s'observe d'abord dans le secteur du droit et de la réglementation. Par exemple, une plus grande concurrence dans le secteur du sans-fil au Canada pourrait contribuer à une réduction des tarifs de la téléphonie mobile et des tarifs Internet pour les Canadiens qui, à l'heure actuelle, figurent parmi ceux qui paient le plus au monde. Une telle réduction des tarifs permettrait à plus de gens d'avoir accès à un service que beaucoup jugent essentiel dans le monde moderne. Aux États Unis, la tempête de protestations qu'a soulevée l'adoption de la Preventing Real Online Threats to Economic Creativity and Theft of Intellectual Property Act (PIPA) et de la Stop Online Piracy Act (SOPA) a montré à quel point le public était sensibilisé aux tentatives visant à brimer la liberté que leur offre Internet.

Ensuite, les entreprises privées sont à l'origine d'une bonne partie de la nouvelle géographie numérique d'Internet. Ce sont elles qui innovent et perturbent le monde des communications, qui autrefois était surtout contrôlé par le gouvernement. Elles expérimentent de nouveaux modèles financiers, logiciels ouverts (open source) et plateformes d'externalisation ouverte (crowdsourced), tels que Firefox, et mettent sur pied des institutions qui transcendent les classifications intuitives traditionnelles. Les pouvoirs publics doivent s'efforcer de mieux comprendre ces nouveautés et inciter leurs fonctionnaires à imiter les entreprises privées.

Enfin, les gouvernements partout dans le monde peuvent jouer un grand rôle dans la préservation de la liberté sur Internet. Le Département d'État américain a d'ailleurs pris des mesures en ce sens dans le but précis de démocratiser la plateforme afin de venir à bout de l'autoritarisme. Cette question comporte toutefois un aspect plus controversé. Par exemple, quelles mesures devraient prendre les États Unis pour empêcher des entreprises américaines de vendre de la technologie à des dictatures répressives qui s'en servent pour surveiller ou cibler leurs citoyens? Et si cette utilisation était préjudiciable à d'autres aspects de la politique étrangère américaine? Dans le même ordre d'idées, on se demande si la gouvernance d'Internet devrait être confiée aux Nations Unies. Bien qu'il s'agisse à bien des égards de l'organisation internationale la plus légitime, elle est composée d'États nations et a pour mandat de protéger leurs intérêts. Internet, par contre, est un réseau d'information transnational qui réunit des individus de toutes provenances. Pouvons-nous nous attendre à ce que des États protègent pleinement un système qui facilite la contestation de leur autorité, surtout lorsque certains d'entre eux ne se conforment pas au droit international?

Exploiter les données volumineuses

Le volume de données produites de nos jours est inconcevable pour l'esprit humain. Même les métaphores ne suffisent plus. Par exemple, nous produisons toutes les cinq minutes l'équivalent du contenu de la Bibliothèque du Congrès, et cinq exaoctets de données sont créés chaque jour.

En règle générale, on entend par « données volumineuses » des ensembles de données que l'ordinateur classique ne peut arriver à gérer. Ce phénomène, qui est rapidement en train de devenir la norme, crée petit à petit une nouvelle loi de la production selon laquelle plus nous consommons, produisons et utilisons des données, plus les coûts baissent. Autrement dit, les données ne sont pas visées par des compressions budgétaires. Dans un monde de « données volumineuses », il y a lieu de considérer de plus en plus la cybersécurité comme une question d'intérêt public.

Il va sans dire que ces données s'avèrent utiles à bien des égards. Elles ont permis, par exemple, de mobiliser l'aide internationale après les séismes au Japon et à Haïti. Elles permettent aux entrepreneurs de prendre des décisions plus éclairées et d'effectuer des analyses plus efficaces. Certains soutiennent que les détaillants américains peuvent accroître leur marge de profit de 60 %, alors que d'autres affirment que d'ici vingt ans, l'économie virtuelle aura atteint la taille de l'économie réelle.

Pour l'appareil du renseignement, l'abondance des données est à la fois un bienfait et un fléau. D'une part, elle permet de mieux connaître le milieu, de prédire la taille de manifestations, de comprendre ce que certains groupes pensent de questions particulières, de déceler les actes spontanés et de surveiller les menaces. D'autre part, le traitement d'un volume aussi massif de données en atténue l'utilité. Il y a aussi des défis sur le plan de l'analyse. L'utilisation de données volumineuses oblige les gouvernements à consacrer plus de ressources aux sciences sociales. Les algorithmes ne sont utiles que s'ils ont été bien conçus ou que si le sens des données n'a pas été mal interprété.

De réels défis sur le plan éthique se posent également : comment les gouvernements devraient-ils utiliser les données volumineuses qu'ils recueillent? Un certain nombre de principes pourraient les guider. D'abord, ils devraient avoir des motifs légitimes de recueillir de telles données. Leur utilisation devrait être raisonnable, nécessaire et dûment autorisée, et la surveillance d'un organisme de l'extérieur devrait être prévue. Les enquêtes fondées sur l'exploration de données devraient avoir de bonnes chances de réussir. Enfin, pour déterminer s'il fait une utilisation judicieuse des données, il faudrait que le gouvernement se demande s'il est prêt à justifier sa décision devant la population.

Repenser le système d'éducation

Enfin, dans le nouveau monde de la technologie de l'information, l'alphabétisation prend un tout autre sens. Il ne suffit plus d'apprendre à nos citoyens à lire, à écrire et à effectuer des calculs de base. Ils doivent aussi se familiariser davantage avec l'univers numérique et comprendre les contenus qu'ils consomment et les technologies qui les sous-tendent. Autrement dit, ils doivent cultiver la pensée critique de manière à être mieux en mesure d'évaluer la crédibilité et l'exactitude des contenus et de savoir s'il y a lieu de s'y fier. Pour y arriver, il faudrait que la sensibilisation aux raisonnements dépourvus de logique fasse partie de l'enseignement. Le public doit également comprendre l'infrastructure matérielle et logicielle sur laquelle repose le monde numérique; il doit savoir quel est le rôle des algorithmes dans la diffusion des informations, comment fonctionnent les logiciels ouverts d'édition et comment la répartition démographique et les partis pris des programmeurs informatiques influent sur le monde qui les entoure. Au bout du compte, il faudrait que, tout comme l'apprentissage des langues, la programmation informatique de base fasse partie de tous les programmes d'enseignement. Les pièges de la désinformation et la dynamique propre à un environnement en réseau exigeront dans un avenir rapproché qu'on enseigne prioritairement la programmation informatique de base et des connaissances nécessaires pour protéger sa vie privée.

Conclusion

Les technologies de l'information et les vastes changements qu'elles entraînent dans les médias révolutionnent le monde dans lequel nous vivons. La période de transition et de bouleversements que connaît l'industrie des médias, provoquée par l'évolution des technologies de l'information, est le présage des défis que toutes les institutions traditionnelles auront à relever. Toute institution qui, au XXe siècle, croyait qu'il suffisait de créer des informations et de les contrôler pour accroître son pouvoir et affirmer son autorité est maintenant aux prises avec un nouvel écosystème de l'information mondial qui s'infiltre dans les fondements mêmes des systèmes hiérarchiques.

Ainsi, les services de renseignements sont très semblables aux agences de presse. Leur utilité tient à leur capacité à obtenir rapidement des informations sur les événements qui surviennent et à les analyser correctement. Les institutions gouvernementales sont cependant confrontées à un défi singulier. Si, dans le monde des affaires (des médias, par exemple), les perturbations et la destruction créatrice constituent des facteurs positifs qui, ensemble, favorisent l'innovation, ces effets positifs laissent planer la possibilité que les institutions traditionnelles soient remplacées. Dans la sphère médiatique, cela signifie que de jeunes entreprises Internet font directement concurrence au New York Times. Malgré la réputation d'excellence de ce dernier, il n'est pas inconcevable qu'un concurrent sur Internet, n'ayant pas à assumer les coûts traditionnels associés, par exemple, aux presses à imprimer, aux camions de livraison et aux syndicats, puisse un jour le remplacer.

Les services de renseignements eux ne peuvent pas être supplantés par de jeunes entreprises. Dans leur cas, les profonds changements devront venir de l'intérieur et des réformes devront être envisagées. Ils devront déterminer dans quels secteurs ils sont vraiment utiles et éliminer ceux où ils ne le sont pas. Ils ont tout à gagner des innovations dans les domaines de l'information, de la technologie et des données, même si elles les obligent à faire des choix difficiles, c'est-à-dire, par exemple, à s'adapter à de nouveaux mandats et à repenser leur relation avec le public.

2 - Compte rendu des modules

Évolution de la définition du savoir faire

Conclusion de l'ère de Gutenberg

Le premier conférencier a situé l'actuelle révolution informationnelle dans un contexte historique. Établissant des parallèles avec les changements que l'invention de la presse à imprimer a suscités dans la société, il a affirmé que les nouvelles technologies révolutionnent notre société. L'ère de Gutenberg se caractérise par un discours universel totalement linéaire. Toutes les connaissances et les informations sont présentées sous une forme confinée : les mots sont alignés dans de belles colonnes droites, dans des livres rangés dans des bibliothèques. Les connaissances sont donc statiques et présentées sous une forme restrictive.

Si l'invention de la presse à imprimer par Gutenberg a inauguré une ère de « restriction », les nouvelles technologies en ouvrent une autre que le conférencier a appelée l'ère de la « connectivité ». Dans cette nouvelle ère, l'information est dynamique et connective : elle est communiquée sur une série de plateformes et elle est ouverte. Un plus grand nombre d'acteurs s'échangent des informations, qui évoluent à chaque intervention. Cette ère de la connectivité présente des similitudes avec celle de l'avant Gutenberg, lorsque les membres d'une communauté se transmettaient oralement l'information. Les informations transmises dans ces communautés étaient ouvertes et évoluaient en fonction de l'interprétation que chacun donnait à l'histoire. Étant donné les similitudes entre ces deux ères, l'ère de Gutenberg n'est qu'une brève interruption, une parenthèse dans le cours de l'histoire de l'humanité dans laquelle l'information est connective.

D'après le conférencier, ces diverses ères d'échange d'informations ont des répercussions considérables sur la société et la façon de penser des gens. Pendant l'ère de Gutenberg, il existait une relation étroite entre la façon dont les informations étaient présentées à la communauté et le mode de vie de cette dernière. Le journaliste était le gardien de l'information, et le contenu du journal influençait les convictions des gens et leur permettait de compartimenter la réalité. Maintenant que cette ère prend fin et que l'information redevient incontrôlable, les catégories disparaîtront et il est possible que les capacités cognitives de l'être humain soient « recâblées ».

Le conférencier a mentionné quelques répercussions éventuelles de ce recâblage hypothétique sur la société et la sécurité. Les gens qui vivent encore comme à l'ère d'avant Gutenberg, par exemple les membres de tribus nomades au Moyen Orient, pourraient avoir plus en commun avec ceux de l'après-Gutenberg que les personnes de l'ère pendant laquelle les informations et les connaissances étaient confinées. Un conflit risque d'éclater lorsque ceux qui pensent en fonction de catégories se retrouveront en présence de ceux de l'avant et de l'après-Gutenberg dont la façon de penser ne respecte aucune catégorie. Des problèmes de nature sociale, religieuse ou ethnique pourraient se transposer dans les moyens de communication et dans la façon dont les gens comprennent le monde qui les entoure. Le conférencier a conclu en répétant que, comme les nouvelles technologies habilitent peu à peu les acteurs de l'après-Gutenberg, il y aura inévitablement des conflits parce que la société devra évoluer et s'adapter.

Internet est comme l'eau

Le conférencier suivant a aussi parlé des conséquences de l'évolution de la dynamique de l'information. À partir d'une description du siècle dernier, il a démontré comment la technologie permettait de structurer l'information de façon à favoriser les élites. Il fallait débourser beaucoup d'argent pour être propriétaire d'un moyen de communication, qu'il s'agisse d'un journal ou d'une station de radio ou de télévision, mais cela permettait à un petit groupe de personnes de transmettre des informations à de grandes masses de gens. Ces obstacles vertigineux à l'entrée permettaient à l'élite de contrôler les moyens d'information et de dicter quelles informations étaient importantes et sur quoi le public devrait se concentrer.

Internet et les révolutions technologiques ont énormément changé la structure d'échange d'informations. Ainsi, il suffit d'un téléphone mobile de 80 $ pour avoir accès à la technologie d'une station de radio, d'une station de télévision et d'un journal. En balayant les obstacles à l'accessibilité aux moyens d'échanger l'information, Internet et les révolutions technologiques ont compromis le pouvoir des élites de contrôler l'information.

Lorsqu'il a parlé des conséquences de ces changements pour la société, le conférencier a indiqué qu'ils ont réduit le champ d'attention des gens. Maintenant qu'il est possible de choisir à quelles informations prêter attention, cela diffère de plus en plus des attentes des élites. La technologie confère donc de moins en moins de légitimité, et les particuliers, les institutions et les médias doivent redoubler d'efforts pour attirer l'attention des masses. Cet ébranlement de la légitimité a des conséquences plus profondes encore pour la société.

Les élites n'étant plus en mesure de déterminer ce que la population générale consomme intellectuellement, il leur est beaucoup plus difficile de tenir leurs discours de vérité et d'identité. D'après le conférencier, les discours contradictoires maintenant disponibles grâce à la technologie pourraient déboucher sur deux scénarios différents : un premier dans lequel les gens se raccrochent farouchement au discours qu'ils considèrent comme correct et essaient de bloquer l'accès à d'autres « vérités » ou arguments; un deuxième dans lequel tous les discours sont considérés comme arbitraires par les citoyens. Internet a donc la redoutable capacité de détruire les systèmes de croyances et de démembrer les institutions. La plus grave conséquence de cette révolution de l'information, c'est qu'Internet est plus adapté à ceux qui disent non qu'à ceux qui disent oui. Autrement dit, il est plus facile de démolir et de contester des réalités existantes que d'en fabriquer de nouvelles.

Discussion

Malgré quelques effets négatifs éventuels, la révolution de l'information offre d'énormes avantages, comme la possibilité pour la population de contester les régimes autoritaires. Une des répercussions à long terme de la conclusion de l'ère de Gutenberg est que le moyen ne confère plus automatiquement une autorité (« si c'est dans un livre, ça doit être vrai »). Si cette révolution rend toujours plus laborieuse – voire impossible – la quête d'un discours commun, comment les notions de sécurité collective (nationale ou autre) et de progrès social pourraient-elles évoluer?

Évaluer la nouvelle ère de l'information

Internet, le cinquième pouvoir

Utilisant l'analogie historique de l'ordre des pouvoirs au sein du royaume, le premier conférencier de ce module a expliqué qu'Internet devient un nouvel acteur dans la société, capable de s'attirer la confiance et le respect des citoyens. Sous l'Ancien Régime en France, le pouvoir était subdivisé entre trois ordres : le clergé, la noblesse et le peuple. Au XVIIIe siècle, l'homme politique et philosophe Edmund Burke a qualifié la presse libre et indépendante de quatrième pouvoir. Pour le conférencier, chaque pouvoir a son équivalent moderne : les intellectuels, les élites du monde des affaires, le gouvernement et les journalistes. Si le pouvoir était subdivisé entre ces quatre ordres au siècle dernier, a soutenu le conférencier, la technologie a permis à Internet de se hisser à leur niveau, de devenir le « cinquième pouvoir ». À l'appui de cet argument, il a expliqué que les gens comptent de plus en plus sur Internet pour s'informer sur le monde, autant sinon plus que sur la télévision et les journaux.

Une des principales caractéristiques de ce nouveau pouvoir, c'est qu'il permet aux protestataires d'être des acteurs dont il faut tenir compte davantage dans la société. Au moyen d'exemples comme l'opposition récente aux projets de modification de la Loi sur la protection des renseignements personnels du Canada, le conférencier a expliqué que le cinquième pouvoir permet de se ménager les appuis d'une masse critique d'individus pour soulever des questions et influencer les politiques gouvernementales. Il s'est toutefois dit sceptique face aux chances de survie du cinquième pouvoir parce qu'il est contesté par tous les autres acteurs de la société qui ne veulent pas voir leur pouvoir remis en question. Il ne faut pas tenir pour acquis la fluidité d'Internet et la liberté d'action qu'il offre. Nous pouvons de même nous interroger quant aux effets qu'auront sur la qualité de la politique d'un pays la facilité grandissante de s'opposer à des mesures ou des projets quelconques. La contestation superficielle pourrait à son tour ne donner lieu qu'à des résultats superficiels, nourrissant une génération insatisfaite en tout temps.

S'informer sur sa communauté

Le conférencier suivant a présenté les résultats d'un sondage sur la façon dont les communautés locales aux États-Unis se tiennent au courant de ce qui se passe dans leur milieu immédiat. Le sondage, qui portait sur 16 sujets différents abordés dans les nouvelles locales, a permis d'analyser l'évolution des habitudes des gens. À partir des constatations qui ont été faites, le conférencier a brossé un tableau complexe selon lequel les gens comptent sur de multiples plateformes pour s'informer sur différents sujets.

Aucune technologie ou plateforme médiatique n'est ressortie clairement gagnante du sondage, mais d'importantes tendances ont été dégagées. Pour les adultes âgés de moins de 40 ans, Internet était la source la plus utilisée pour 11 des 16 sujets sondés, ce qui pourrait révéler une préférence générationnelle. De plus, la majorité des gens ont dit que leur journal local était important, même si 67 % d'entre eux estimaient que cela n'aurait pas de conséquence s'il cessait d'être publié : le journal est peut être important, mais il n'est pas valorisé. Enfin, les applications des téléphones mobiles ont très peu de « pouvoir de rétention », les gens n'ayant aucune loyauté envers les applications médias, qui sont supprimées aussi rapidement qu'elles sont téléchargées.

Géographie d'Internet

Le troisième conférencier de ce module a présenté des données sur la participation sur Internet des économies émergentes ou pays du Sud. Internet et l'amélioration de l'accès à l'information pourraient notamment donner voix au chapitre à des groupes marginalisés depuis toujours. Il faudra cependant éliminer plusieurs obstacles pour que cela puisse se produire. Ainsi, il faut s'attaquer au nombre relativement peu élevé d'utilisateurs d'Internet dans les pays du Sud et combler ce qu'il est convenu d'appeler le fossé numérique entre les économies riches et les économies moins avancées.

Le conférencier s'est demandé si les habitants des pays du Sud, une fois connectés, utilisent Internet pour se tailler une place sur la scène politique. Afin de jauger le niveau de participation, il a étudié le nombre de contributions à Wikipédia provenant de personnes vivant dans des régions historiquement marginalisées. Son étude lui a permis de constater que les habitants des pays du Sud sont significativement sous représentés et que l'inégalité d'accès à Internet ne peut pas à elle seule expliquer cette sous représentation. Après avoir retiré cette variable, il a constaté que les pays sous représentés sont ceux dont les citoyens ont été traditionnellement écartés du processus politique.

Discussion

Pendant la période de discussion, un participant a attiré l'attention sur le fait que, pour avoir accès à Internet, la majorité des habitants des pays en voie de développement utilisent aujourd'hui des téléphones portables, qui ne conviennent peut être pas pour modifier des entrées dans Wikipédia. Aux États-Unis, les non-Blancs se servent beaucoup plus de dispositifs mobiles pour avoir accès à Internet que les Blancs. Il est certain que la plateforme technologique a son importance, mais il reste encore beaucoup de questions sans réponse au sujet de la représentation : qui représente qui sur Internet et cela pourrait-il susciter des problèmes de sécurité?

L'avalanche de données

Données volumineuses : une arme à double tranchant

La première conférencière de ce module a parlé des « données volumineuses » d'un point de vue économique et soutenu qu'elles peuvent à la fois faciliter et perturber la croissance. Elle a expliqué qu'on entend par données volumineuses des ensembles de données qui excèdent la taille type considérée comme facile à gérer. Elle a dégagé diverses tendances découlant de ce concept, dont la démocratisation des données, qui a mis à la portée de la majorité des informations qui n'étaient auparavant accessibles qu'à une poignée de personnes. Pour donner une idée de l'énormité de ce phénomène, elle a indiqué que cinq exaoctets (1 000 000 000 000 000 000 d'octets) de données sont créées chaque jour à l'échelle mondiale.

La conférencière a ensuite présenté trois caractéristiques des données volumineuses. Premièrement, elles rendent la mobilisation beaucoup plus facile. Citant en exemples l'intervention à la suite du tremblement de terre au Japon en 2011 et le mouvement Occupons Wall Street, elle a démontré que ces données peuvent rallier les gens à cause de leur disponibilité. Deuxièmement, il faut en reconnaître la valeur en tant que nouveau facteur économique de production. Selon elle, ces données permettent d'améliorer l'analyse et la prise de décisions, générant 600 milliards de dollars en surplus du consommateur à l'échelle planétaire. Enfin, les données volumineuses donnent naissance à une économie virtuelle qui, d'après les estimations, atteindra la taille de l'économie réelle d'ici vingt ans. La conférencière a conclu son exposé en répétant que les données volumineuses peuvent avoir des effets à la fois positifs et négatifs sur la société, facilitant et perturbant la croissance en même temps.

Données volumineuses : de nombreuses sources, un seul environnement

Le conférencier suivant a cité deux exemples pour illustrer l'incidence des données volumineuses sur la société. Il a d'abord parlé du lancement d'une fusée iranienne dont on avait trafiqué les photographies afin de présenter cet échec en réussite. En Occident, beaucoup de médias d'information grand public n'ont pas détecté la fraude et ont annoncé que le lancement avait été couronné de succès. De nombreux observateurs avaient pourtant révélé la supercherie en ligne des heures avant la parution du premier reportage. Le conférencier estimait que la presse n'avait pas su profiter de l'abondance des données puisqu'elle n'avait pas élargi l'éventail de ses sources et détecté une photographie manipulée.

Le deuxième cas décrit les tentatives des amis d'un marin perdu en mer de le retrouver en utilisant l'imagerie satellitaire, l'imagerie numérique et des programmes comme Mechanical Turk d'Amazon (place du marché virtuelle permettant de proposer à des particuliers de s'acquitter de petites tâches contre rémunération). Pour le conférencier, cet exemple montrait bien qu'il faut maîtriser une multitude de disciplines pour profiter pleinement des données volumineuses. Les services de sécurité peuvent tirer d'utiles leçons de ces cas.

L'analyse des médias sociaux au service du renseignement

L'exposé suivant portait sur la nécessité d'intégrer l'analyse des médias sociaux dans les pratiques de sécurité et du renseignement. Le conférencier a fait allusion à une étude menée sur l'English Defence League, groupe politique qui manifeste publiquement contre les musulmans au Royaume-Uni; cette étude a obtenu des données sur les membres et les sympathisants de la League à partir des médias sociaux et, en faisant des recoupements avec les endroits où ils vivaient, a réussi à déterminer combien de personnes étaient susceptibles de participer à une manifestation donnée. Grâce à ces données, les services policiers étaient mieux en mesure de décider combien de ressources déployer pour être efficaces. Faisant de cette histoire la toile de fond du reste de son exposé, le conférencier a plaidé en faveur d'une utilisation plus créative des médias sociaux par les services de sécurité. Citant l'exemple des émeutes de 2011 en Angleterre, il a prétendu que, si la police avait prêté plus attention aux médias sociaux, elle aurait remarqué une hausse alarmante de l'activité avant les événements.

Le conférencier a insisté sur la nécessité de respecter la vie privée et énoncé six principes qui devraient guider toute analyse poussée de ces médias : 1) il faut avoir des motifs suffisants pour recourir à ce type d'analyse contre un groupe afin de pouvoir expliquer clairement pourquoi, quand et comment on le fait; 2) il faut être intègre dans ses motivations pour effectuer une telle analyse; 3) la collecte des données doit être nécessaire et proportionnelle à la menace; 4) le recours à l'analyse des médias sociaux doit faire l'objet d'une approbation et être validé par un organisme de surveillance externe; 5) il faut pouvoir raisonnablement s'attendre à ce que les données recueillies révèlent quelque chose d'utile et d'utilisable; et enfin 6) il ne faut se tourner vers le renseignement secret qu'en dernier recours.

Discussion

Un participant a demandé ce qu'il fallait faire pour lutter contre la désinformation et s'il est utile d'essayer de corriger les faussetés. On lui a répondu qu'il est effectivement important d'avoir des gens en place pour réagir aux faits nouveaux dans les médias sociaux, contrer les rumeurs et repérer des sources de confiance pour propager d'autres informations. Un expert a cité un exemple pour montrer que les gouvernements peuvent se servir des médias sociaux pour améliorer leurs programmes : un gouvernement a publié un formulaire de demande de prêt hypothécaire en ligne et invité les gens à en commenter la conception. Il a insisté sur la nécessité que les gouvernements soient plus conscients des tendances dans les médias sociaux et trouvent des façons d'établir un dialogue avec la population au moyen de ces réseaux.

Les médias sociaux dans le monde politique : les joueurs changent, mais le jeu reste le même

La conférencière estime important que les gouvernements aient recours aux sciences sociales pour interpréter les données qui circulent dans les médias sociaux. Des données isolées de leur contexte peuvent facilement induire en erreur, et les spécialistes des sciences sociales sont les mieux placés pour comprendre les éléments nouveaux. Elle a insisté sur l'importance de distinguer le rôle des médias sociaux dans les démocraties avancées et dans les sociétés autocratiques, comme celles du Moyen-Orient. En se servant des révoltes arabes comme toile de fond, elle a démontré que les médias sociaux sont de plus en plus utilisés pour résoudre le problème de l'action collective lorsque des régimes autoritaires sont contestés. Ils fournissent un mode de coordination établissant une voie secrète pour rallier les gens quand vient le temps de résister aux régimes autocratiques.

Pour illustrer ses réflexions, elle a comparé le soulèvement survenu en Tunisie en 2009, qui n'a jamais vraiment pris, à celui de 2011, au cours duquel les médias sociaux ont galvanisé la population contre le gouvernement, le pays comptant alors deux millions d'utilisateurs de Facebook. Nous commençons à peine à comprendre les profondes répercussions de ces changements sur la politique et la société civile.

Dilemmes et vulnérabilités : que signifie l'évolution constante de l'information pour les gouvernements et le renseignement?

Les services de renseignements à l'ère de l'information

En cette ère de l'information, les services de renseignements doivent relever de nouveaux défis. Leur image en est un : ils doivent de plus en plus justifier leur existence et contrer les stéréotypes négatifs qui leur sont trop facilement accolés. La nécessité d'offrir des produits qui sont exceptionnels et utiles aux gouvernements et à leur public en est un autre. À une époque où les données sont peu coûteuses et faciles à obtenir, les services de renseignements doivent constamment s'efforcer de demeurer pertinents et de fournir des informations utiles à leurs clients.

Le conférencier a aussi parlé des avantages et des inconvénients de l'utilisation des médias sociaux. Ces derniers offrent une profusion de données constamment mises à jour qu'il est possible d'étudier en profondeur et d'exploiter. Ils permettent aussi aux gens de réseauter plus largement. Ils présentent cependant aussi des inconvénients, dont celui qu'il est convenu d'appeler « boire à même un tuyau d'incendie », c'est-à-dire la difficulté qu'ont les services de renseignements à gérer des volumes massifs de données et à filtrer les informations sans perdre d'éléments importants.

Les services policiers à l'ère de l'information

L'évolution du contexte de l'information présente à la fois des défis et des possibilités aux services d'application de la loi. La collecte d'informations est un de ces défis : le volume des données est tel qu'il est difficile de recueillir des informations pertinentes et utiles. Le conférencier a dit espérer qu'un jour l'intelligence artificielle facilitera la collecte des informations; les activités de collecte seraient alors un mélange de fonctions policières traditionnelles et de travail en ligne. La responsabilisation et la transparence constituent un autre défi pour les services policiers : lorsqu'on recueille des informations, il faut documenter quand on en a pris connaissance et pouvoir répondre de la façon dont elles ont été obtenues. L'analyse (confirmer qu'une source est indépendante) et la diffusion (transmettre les messages des services policiers) sont d'autres défis importants. Le conférencier a aussi brièvement passé en revue les possibilités futures pour les services policiers, comme la création de postes de police virtuels ou d'autres mécanismes permettant de surfer sur Internet sans danger.

Les secrets sont-ils nécessaires?

Si « le public a le droit de savoir presque tout », a dit le prochain exposant, il faut reconnaître également que certaines informations doivent être protégées par l'État. Dans le milieu des organisations non gouvernementales (ONG), on croit généralement que tout devrait être rendu public, certains jugeant quasi hérétique toute nuance à l'égard de cette position. Il y a une certaine logique dans ce raisonnement parce que les ONG ont besoin d'informations pour faire leur travail, mais il existe tout de même des limites à ce qui doit être publié. En se servant de quatre exemples de situations où des informations n'auraient pas dû être rendues publiques, le conférencier a démontré que, dans de nombreux cas, la diffusion d'informations peut être préjudiciable à des gens (comme dans le cas de Wikileaks) ou peut nuire à la réputation de certaines ONG (lorsqu'elles sont perçues comme collaborant avec certains gouvernements, même s'il peut être raisonnable de le faire). Il a conclu en demandant aux gens de traiter les ONG avec compréhension et de reconnaître la position unique qu'elles occupent dans la société et les responsabilités que cela suppose.

Discussion

Un participant a demandé s'il était plus difficile de recruter des sources depuis l'avènement de Wikileaks. Un exposant a répondu que certaines sources sont conscientes du risque mais la plupart sont convaincues que l'information qu'ils partagent aura une incidence positive en permettant de contrecarrer la menace. Un conférencier a indiqué qu'il est inefficace et imprudent de confier la direction d'opérations de renseignements aux seuls fournisseurs de services Internet et a insisté sur la nécessité d'une démarche transparente et réglementée.

Contenu et contenants : le lent divorce des nouvelles et des médias traditionnels

Regard sur l'industrie de la presse aux États Unis

Le premier conférencier a souligné l'importance de la survie des journaux pour le maintien d'une démocratie saine. Il a expliqué que la partie la plus importante d'un journal est le « noyau dur », c'est-à-dire les 15 % environ du contenu du journal qui permettent de procéder à des vérifications dans des domaines comme la politique, les affaires et la société civile.

Le secteur de la presse des États-Unis diffère de celui du reste du monde en ce qu'il est fortement tributaire des recettes publicitaires. La récession de 2008-09 a ainsi causé de sérieuses pertes et de graves problèmes financiers; cependant, ces difficultés pourraient avoir aussi sauvé l'industrie. Les énormes profits réalisés au cours des décennies antérieures ont permis aux journaux de prendre d'importants engagements financiers à long terme (pensions, dividendes), nourrissant une certaine complaisance et restreignant leur capacité d'innovation. Le choc de la récession a obligé les journaux à repenser leur modèle d'affaires et à se concentrer sur les marchés locaux qu'ils sont exceptionnellement bien placés pour desservir. Le conférencier a conclu sur une note d'optimisme en affirmant que les journaux peuvent survivre dans cette nouvelle ère s'ils se concentrent sur les nouvelles locales et mettent fortement l'accent sur le « noyau dur ».

Comment les journaux s'en tirent-ils à l'échelle internationale?

Les journaux sont bien des entreprises, mais ils jouent un rôle unique dans la société, et les craintes que les journaux disparaissent sont exagérées. Le conférencier a fait remarquer que les journaux sont encore ceux qui ont les plus grandes équipes de reporters, malgré les compressions récentes. Ailleurs qu'en l'Amérique du Nord, où les journaux tentent de rembourser leurs dettes, l'industrie investit dans les technologies numériques et élabore peu à peu des structures dans lesquelles les activités numériques comptent pour la moitié des revenus.

En dehors de l'Amérique du Nord, les revenus proviennent à parts presque égales du tirage et de la publicité, les consommateurs étant prêts à payer davantage pour leurs nouvelles, ce qui explique la résilience de la presse en Europe et en Asie. Le conférencier a fait ressortir deux points en terminant : le tirage des journaux augmente encore à l'échelle internationale, et la fusion continue des médias numériques et imprimés sera un important facteur dans le succès de l'industrie à l'avenir.

Trouver l'équilibre entre couverture de l'information et réalités commerciales

Le troisième conférencier a décrit quelques caractéristiques de l'évolution du secteur de la presse et affirmé qu'il survivrait grâce à sa capacité à s'adapter. Les médias sociaux prennent de plus en plus de place mais ne sont pas pleinement exploités par les journaux, qui semblent mal à l'aise de les utiliser.

Les médias sociaux ont notamment eu pour effet de multiplier considérablement les sujets que les journalistes sont appelés à traiter, même si moins de ressources sont consacrées à chacun. Internet a aussi permis d'approfondir plus que jamais les reportages. Auparavant, un journal était une publication abordant un grand nombre de questions, mais dans laquelle une quantité limitée d'informations était présentée comme couvrant la totalité du sujet. L'utilisation d'Internet permet maintenant de fouiller beaucoup plus ses reportages et de présenter un sujet sous une multitude d'angles.

L'industrie nord-américaine fera face à des défis de taille qui pourraient ralentir sa modernisation. Les coûts importants (pensions et avantages sociaux) hérités de l'époque précédente formeront un des plus gros obstacles à l'introduction de nouvelles plateformes et technologies.

Discussion

Une question a été posée sur la viabilité des journaux qui utilisent des « murs à péage » pour contrôler l'accès à leur contenu en ligne, étant donné l'abondance des données auxquelles il est possible d'avoir accès gratuitement ailleurs dans le Web. Les réponses des experts n'étaient pas unanimes. L'un d'eux a affirmé que très peu de journaux utiliseront le mur à péage avec succès (p. ex. le New York Times), et que beaucoup de journaux moins connus vont tout simplement échouer s'ils le font. Les deux autres experts ont dit que l'utilisation de diverses méthodes pour faire payer pour le contenu en ligne est le seul moyen durable pour les journaux de réussir à l'avenir, et qu'il est impérieux qu'un tel modèle soit mis en place.

Influence des médias sur l'évolution des gens et de la société

Cet exposé portait sur les conséquences de tendances qui se dessinent dans la société civile en raison des médias sociaux. La conférencière a commencé par raconter deux anecdotes démontrant que les gens utilisent de plus en plus les médias sociaux et la communauté en ligne pour s'exprimer comme ils ne l'auraient jamais fait dans la vraie vie. Il en ressortait que les gens se servent de plus en plus des médias sociaux pour projeter une identité qu'ils ne peuvent révéler dans le monde réel.

Lorsqu'elle a commencé à présenter ses réflexions sur les médias sociaux, la conférencière est revenue sur l'allégorie de la parenthèse de Gutenberg en soutenant qu'elle était trop linéaire. À son avis, les changements sociaux provoqués par les médias à l'heure actuelle se comparent davantage au « big bang », une rupture totale avec le passé. S'inspirant des neurosciences, elle a affirmé que la pensée humaine s'adapte rapidement à la nouvelle réalité parce qu'elle est infiniment malléable. Grâce à cette plasticité, nous arrivons à adapter d'une multitude de façons nos modes de pensée et d'interaction. Opposant les nouvelles tendances à la notion moderne du concept de soi qui les a précédées, elle a soutenu qu'alors que l'individu était auparavant limité à certaines identités qu'il projetait successivement, les nouvelles technologies lui permettent de projeter de multiples identités en même temps. Nous entrons dans une ère d'identités sociales multiples, dans laquelle les mondes virtuel et réel se fondent sans heurt, ce qui a pour conséquence de nous conférer le don d'ubiquité : nous pouvons vivre plusieurs identités amplifiées à l'intérieur de différentes réalités. En conclusion, la conférencière a insisté sur l'importance d'aborder ces changements avec prudence. Nous devons permettre cette amplification du soi bien sûr, mais nous ne devons pas perdre nos valeurs de vue.

Discussion

Un des principaux points soulevés pendant la discussion était que les mondes réel et virtuel peuvent parfois sembler se fusionner, mais que le cyberespace existe bel et bien séparément. L'infrastructure matérielle sur laquelle repose le cyberespace est contrôlée par des sociétés privées, ce qui a de sérieuses conséquences sur les plans de la vie privée et de la surveillance. En réponse, un expert a affirmé qu'il est important de renoncer à la dichotomie entre le réel et le virtuel parce qu'en parlant du cyberespace on sous-entend que le monde virtuel n'est pas réglementé. On effleure ici un paradoxe important : alors que le XXe siècle visait à « mouler les individus dans une identité structurée » (pour créer des nations, des catégories, etc.), la technologie nous permet de nouveau d'assumer de multiples identités. Cependant, le pouvoir de surveillance et de sondage sans précédent de cette même technologie ne risque-t-il pas de devenir un nouveau moyen de mouler les individus?

Les grandes puissances se disputent elles l'attention internationale?

La guerre est-elle la continuation de la politique par d'autres moyens? Le conférencier a affirmé que cet axiome n'est plus vrai et qu'il faudrait plutôt dire « la guerre est la continuation des relations publiques par d'autres moyens ». La capacité de tuer de l'humanité a tellement grandi qu'elle a pratiquement perdu sa pertinence. Résultat, les conflits visent à contrôler l'opinion publique internationale et à rallier des appuis à sa cause, sa société ou son pays. Pour illustrer cet argument, il a avancé qu'Israël a la capacité militaire d'anéantir l'Iran mais qu'il ne peut pas le faire, bien que cela puisse être dans son intérêt, parce que l'opinion publique internationale détermine les comportements internationaux acceptables. De plus en plus, la réussite d'une guerre sera fonction de la capacité de convaincre la communauté internationale que des moyens légitimes sont employés pour défendre une cause légitime.

Les pays occidentaux doivent donc faire tout ce qu'ils peuvent pour contrer la désinformation. À titre d'exemple, après chaque frappe de drones en Afghanistan ou au Pakistan, les Talibans affirment instantanément que les victimes étaient toutes des civils innocents. Les Talibans peuvent rapidement propager de fausses rumeurs, mais il faut des jours aux États Unis ou à leurs alliés pour vérifier et démentir cette désinformation. En conclusion, le conférencier a réitéré qu'il était impérieux que les États libres et démocratiques fassent tout ce qu'ils peuvent pour corriger tout énoncé de désinformation susceptible d'être dommageable.

Discussion

Un participant a fait remarquer que le rôle des médias est de corriger la désinformation et de présenter la vérité. Le conférencier lui a répondu que les médias doivent examiner d'un oeil plus critique ce qu'ils présentent comme étant « la vérité ». Il a indiqué qu'il existe des « communautés de désinformation », c'est à dire des groupes d'intérêts qui propagent de fausses informations, et que les médias doivent être plus sceptiques face à ces communautés parce que le fait de rapporter des conclusions biaisées pourrait avoir d'importantes conséquences politiques pour d'autres groupes de la société.

Géopolitique des médias d'information

Guerre en sourdine et discours stratégiques

Le premier conférencier de ce module s'est penché sur l'utilisation des médias pour atteindre des objectifs politiques et sur les conséquences de cet état de fait pour l'éthique et les normes internationales. Il a étudié les différences entre la puissance douce et la guerre en sourdine dans le contexte d'une « course à l'armement silencieuse », certains pays parvenant à infiltrer les médias d'un autre pays. La guerre en sourdine, a-til expliqué, est l'utilisation stratégique et ciblée de moyens non militaires pour atteindre des objectifs, comme un changement de régime, pour lesquels il aurait normalement fallu recourir à des moyens conventionnels.

Lorsqu'elle atteint son but, une guerre en sourdine amène un régime de gouvernement à se désintégrer de l'intérieur. En utilisant les médias pour remettre en cause les opinions d'autres personnes et ébranler les valeurs d'une société donnée, un pays peut déstabiliser un gouvernement et atteindre ses objectifs politiques. Il faut cependant que le message présenté réussisse à miner les valeurs internes. Ainsi, le cabinet iranien a déjà élaboré une stratégie pour repousser les attaques de la guerre en sourdine.

Al-Jazira : union et division

L'exposé suivant portait sur la création et l'essor de la chaîne d'information qatarie Al-Jazira. Le conférencier a d'abord retracé brièvement l'historique de la chaîne pour ensuite expliquer que cette dernière a permis aux populations moyen-orientales de voir leur région de leur propre point de vue, plutôt que par le bias d'organisations occidentales. Le Qatar en a financé la création pour se faire reconnaître comme une puissance de premier plan dans le monde arabe. La chaîne a permis à de nombreux sujets tabous ou non conventionnels d'occuper le devant de la scène et d'être abordés ouvertement, ce qui a eu d'énormes conséquences et a contribué à modifier la dynamique politique et sociale dans la plupart des États arabes.

L'Occident a d'abord exprimé une méfiance à l'égard d'Al-Jazira, laquelle n'a fait que commencer à s'estomper depuis que la chaîne a diffusé d'indispensables reportages au sujet des révoltes arabes au début de 2011. Étant donné la croissance et la popularité phénoménales d'Al- Jazira, les pays occidentaux devraient peut-être renforcer leur visibilité sur ce réseau. Si les dirigeants occidentaux étaient plus disponibles pour réaliser des entrevues visant à expliquer leurs politiques et à favoriser le dialogue, l'Occident pourrait composer avec l'influence qu'exerce cette nouvelle force médiatique non occidentale. La concurrence croît rapidement, cependant, et de nombreuses chaînes locales indépendantes voient le jour dans la région. Le conférencier a répété que le discours d'Al-Jazira sur des sujets de sécurité devrait être surveillé attentivement.

Les ambitions de la Chine en matière de diffusion

Le conférencier suivant a affirmé que la montée d'Al-Jazira a suscité beaucoup d'intérêt en Chine et influencé considérablement les ambitions de diffusion de ce pays. La vision qu'avait Mao Zedong des médias comme étant le mégaphone du parti communiste n'avait pas changé depuis 1942 et que c'était toujours le rôle que les médias jouent en Chine de nos jours. Ils constituent également des instruments de ceuillette de renseignements pour les autorités chinoise.

La Chine est obsédée par le besoin d'acquérir une puissance douce, ou « soft power », qui corresponde à son influence économique et militaire. Ses ambitions n'ont connu qu'un succès mitigé; la crédibilité ne se fabrique pas, elle croît organiquement. Les Chinois cherchent à combler leurs lacunes au moyen d'investissements considérables. Au moment où de nombreuses plateformes médiatiques occidentales ferment leurs bureaux à l'étranger et réduisent leurs activités, les Chinois accroissent leur présence médiatique partout dans le monde et investissent dans des services internationaux de nouvelles pour véhiculer la nouvelle image du pays.

La politique des nouvelles et de l'accès à l'ère de la connexion permanente

L'attrait des complots et de la désinformation

Le premier conférencier de ce module s'est intéressé à la prolifération des théories du complot dans le monde virtuel. La théorie du complot type présente deux particularités : elle crée un « groupe d'initiés » et un « groupe d'exclus » et elle positionne l'individu dans une bataille existentielle permanente contre le groupe des initiés. Le problème, a-t-il soutenu, c'est qu'une personne persuadée que son peuple est oppressé par une menace méconnue peut en venir à penser qu'un choc, un spectacle est nécessaire pour secouer les gens, les tirer de leur torpeur et leur faire voir la « réalité ». Cela explique certains actes de violence massive (p. ex. les opinions antigouvernementales et les activités terroristes de Timothy McVeigh).

Les groupes minoritaires sont les plus susceptibles de se laisser séduire par les théories du complot, ce qui a de vastes conséquences parce que les gouvernements doivent souvent travailler avec ces communautés et qu'ils se heurtent à énormément de méfiance. Le conférencier a insisté sur l'importance d'enseigner aux jeunes la pensée critique, pour permettre aux futurs citoyens de détecter les faux raisonnements plus facilement. De plus, toute l'éducation devrait viser à faire mieux connaître la technologie aux jeunes pour les aider à comprendre le fonctionnement des logiciels ouverts d'édition et à évaluer les forces et les faiblesses des sources.

La culture numérique a ses limites et l'attrait émotionnel et l'inégalité structurelle seront toujours des facteurs déterminants dans la multiplication des théories du complot. Bien que ces facteurs soient difficiles à neutraliser, il est important de s'attaquer à la désinformation sur les plateformes que les tenants des théories du complot utilisent eux-mêmes (p. ex. YouTube) et de mettre au jour les faux raisonnements logiques qu'elles contiennent.

Réglementation des médias et d'Internet

Le conférencier suivant a décrit quelques unes des conséquences de la réglementation d'Internet pour les gouvernements nationaux, les sociétés et les particuliers. Lorsqu'il a abordé la question du système des médias numériques, il a expliqué que l'écosystème des médias change notre vision de la politique et de la démocratie. Selon lui, la concentration des médias aux États Unis nuit à la démocratie et le « noyau dur » des nouvelles perd de l'importance à mesure que la valorisation des faits objectifs diminue.

Étant donné l'évolution du paysage médiatique, les communautés locales recommencent à présenter un intérêt pour la gouvernance, laissant ainsi place à ce que le conférencier a appelé « la montée de la politique de sources ouvertes ». La géographie d'Internet est à la fois privée et commerciale, et des intérêts commerciaux tentent aujourd'hui de monopoliser l'infrastructure numérique. Le conférencier prévoit une lutte croissante pour démocratiser cette infrastructure, évoquant en ce sens l'exemple du service de téléphonie mobile de poste à poste.

Sécurité, concurrence et techniques de recherche

L'animateur de la conférence a tenté de tirer quelques conclusions. Il a reconnu que les institutions doivent automatiser de plus en plus les tâches pour réussir dans cette nouvelle époque de données volumineuses, mais il a aussi prévenu que cela a pour effet de rendre les humains plus redondants. Vu l'importance d'Internet et de la révolution informationnelle, le succès ou l'échec de la prochaine génération à interagir avec ce nouvel espace d'information dépendra de la culture numérique de chacun et de sa capacité de porter un regard critique sur l'information qu'il consomme. Nous touchons au terme d'un « âge d'or de l'information » et entrons dans une ère dans laquelle les gens doivent faire montre de plus de discernement lorsqu'ils trouvent de l'information. Il sera de plus en plus difficile de trouver certaines données précises parce qu'il y en aura toujours plus de disponibles. Pour profiter vraiment de la révolution informationnelle, nous devons crever ce qu'il a appelé la « bulle des filtres », c'est-à-dire la tendance naturelle des utilisateurs d'Internet à chercher des idées qui renforcent leurs convictions existantes. Cela nuit au véritable apprentissage.

Annexe A

Ordre du jour de la conférence

(In)stabilité avertie
L'incidence de l'évolution des nouvelles et des médias sur la sécurité

Les 21 et 22 février 2012
Une conférence du Service canadien du renseignement de sécurité en partenariat avec Horizons politiques Canada Administration centrale du SCRS, Ottawa
Le mardi 21 février
8 h 45 - 9 h Structure et objectifs de la conférence
9 h - 9 h 15

Mot d’ouverture

9 h 15 - 10 h 15

Module 1 - Évolution de la définition du savoir-faire

Conclusion de l'ère de Gutenberg et début de la jungle de l'information
Comme de l'eau : mesurer les effets d'Internet sur les organisations et la société

10 h 15 - 10 h 30 Pause
10 h 30 - 12 h

Module 2 - Évaluer la nouvelle ère de l'information

Avènement du cinquième pouvoir : impartialité, intérêt public, identité nationale et démocratie
S'informer sur sa communauté
Cartographier et mesurer la production et la représentation des connaissances locales : la géographie d'Internet

12 h - 13 h

Déjeuner

13 h - 14 h

Module 3 - Abondance des données

Données volumineuses : une arme à double tranchant De nombreuses sources, un seul environnement
L'abondance des données au service de la sécurité et du renseignement

14 h - 15 h

Exposé - Fonctionnement des médias sociaux dans le monde politique d'aujourd'hui

15 h - 15 h 30

Pause

15 h 30 - 17 h

Module 4 - Dilemmes et vulnérabilités : que signifie l'évolution constante de l'information pour les gouvernements et le renseignement

Les obstacles pratiques aux services de sécurité à l'ère de l'information – le point de vue du milieu du renseignement
Les obstacles pratiques aux services de sécurité à l'ère de l'information – le point de vue du milieu policier
Les secrets sont ils nécessaires? Explorer l'ouverture par rapport à la fermeture du monde de l'information

17 h Levée de la séance

Le mercredi 22 février
9 h - 9 h 15 Retour sur la première journée
9 h 15 - 10 h 45

Module 5 - Contenu et contenants : le lent divorce des nouvelles et des médias traditionnels

Panique justifiée? Regard sur l'industrie de la presse aux États-Unis L'envers de la médaille : comment les journaux s'en tirent-ils dans le reste du monde?
Comprendre le monde (avec peu de moyens) : trouver l'équilibre entre couverture de l'information et réalités commerciales

10 h 45 - 11 h Pause
11 h - 12 h Exposé - De nombreuses sources, de nombreux visages : l'influence des médias sur l'évolution des gens et de la société
12 h - 13 h Déjeuner
13 h - 13 h 45

Exposé - Les grandes puissances se disputentelles l'attention internationale?

13 h 45 - 15 h 00 Module 6 - Elle vaut mille mots : géopolitique des médias d'information

Guerre en sourdine, discours stratégiques et remodelage de la presse internationale
Al-Jazira : union et division
Signaux de Beijing : les ambitions de la Chine en matière de diffusion
15 h - 15 h 15

Pause

15 h 15 - 16 h 45 Module 7 - Le pouvoir des réseaux : la politique des nouvelles et de l'accès à l'ère de la connexion permanente

Vrai ou faux : l'attrait des complots et de la désinformation L'évolution de la réglementation des médias et d'Internet à l'échelle mondiale : ce qu'elle représente pour les gouvernements, les entreprises et les particuliers
Sécurité, concurrence et techniques de recherche
16 h 45 - 17 h Récapitulation
17 h - 17 h 15 Conclusion
17 h 15 Levée de la séance

 

Annexe B

Qu'est-ce que le GFF?

Le Global Futures Forum (GFF) est un groupe multinational créé en 2005 qui se sert d’informations non classifiées pour comprendre les nouvelles menaces transnationales et les enjeux mondiaux liés à la sécurité. Son objectif premier est d’encourager l’échange d’idées et le recours à des outils d’analyse collaboratifs afin de permettre à ses membres d’obtenir davantage d’informations et de mieux se préparer à toute éventualité.

Qui sont les membres du GFF?

Le GFF réunit des experts provenant de milieux variés des secteurs public et privé afin de stimuler les réflexions interdisciplinaires et transculturelles et de remettre en question les hypothèses courantes. Seules des organisations gouvernementales de renseignements et d’autres organisations dont les activités sont axées sur des enjeux liés à la sécurité à l’échelle nationale et internationale et à l’étranger peuvent être membres du GFF. Toutes ces organisations s’efforcent, sur une base régulière, de surveiller, de comprendre et de prévoir les menaces pour la sécurité nationale et internationale, soit dans le cadre de leur champ d’activité principal, soit dans le cadre d’une fonction auxiliaire correspondant à l’élaboration de politiques ou aux opérations. Le GFF compte entre autres des analystes de services de renseignements, du milieu diplomatique, du secteur de la défense et d’organismes de la sécurité intérieure, ainsi que des experts d’universités, d’organisations non gouvernementales et de l’industrie. À ce jour, plus de 1 500 représentants et spécialistes de plus de 50 pays ont participé aux activités du GFF.

Liste des pays

  • Afrique du Sud
  • Allemagne
  • Argentine
  • Australie *
  • Autriche **
  • Bangladesh
  • Belgique *
  • Brésil
  • Brunei
  • Bulgarie
  • Cambodge
  • Canada *
  • Chili
  • Corée du Sud
  • Danemark *
  • Émirats arabes unis
  • Espagne *
  • Estonie
  • États-Unis *
  • EUROPOL **
  • Finlande *
  • France *
  • Grèce
  • Hongrie *
  • Inde
  • Indonésie
  • Irlande
  • Israël
  • Italie *
  • Japon *
  • Jordanie
  • Lettonie *
  • Lituanie
  • Luxemburg
  • Malaisie
  • Mexique *
  • Norvège
  • Nouvelle-Zélande
  • Panama
  • Pays-Bas *
  • Philippines
  • Pologne *
  • Portugal *
  • République tchèque *
  • Roumanie *
  • Royaume-Uni *
  • Singapour *
  • Slovaquie
  • Suède *
  • Suisse *
  • Turquie
  • Vietnam

* Membres
** Observateur

Comment fonctionne le GFF?

Réunions générales tous les deux ans : Washington (novembre 2005); Prague (décembre 2006); Vancouver (avril 2008) et Singapour (septembre 2010); Washington, DC (novembre 2012).

Ateliers et autres activités organisés par des communautés d’intérêt : Réunions tenues périodiquement dans divers pays membres afin de discuter de sujets précis.

Que sont les communautés d'intérêt du GFF?

À l’heure actuelle, les sept communautés d’intérêt s’intéressent respectivement :

  • aux technologies nouvelles et perturbatrices;
  • à la sécurité des ressources humaines et naturelles;
  • au trafic illicite;
  • à la pratique et à l’organisation du renseignement;
  • à la compréhension de l’extrémisme violent;
  • à la prolifération;
  • à la prévision et à l’alerte stratégiques.

Annexe C

La liaison-recherche au SCRS

Le renseignement dans un monde en évolution

On dit souvent que le monde évolue de plus en plus rapidement. Analystes, commentateurs, chercheurs et autres – associés ou non à un gouvernement – acceptent peut-être ce cliché, mais la plupart commencent seulement à comprendre les conséquences très réelles de ce concept pourtant abstrait.

La sécurité mondiale, qui englobe les diverses menaces pour la stabilité et la prospérité géopolitiques, régionales et nationales, a profondément changé depuis la chute du communisme. Cet événement a marqué la fin d’un monde bipolaire organisé selon les ambitions des États-Unis et de l’ancienne URSS et les tensions militaires en résultant. Détruisant rapidement la théorie de « fin de l’histoire » des années 1990, les attentats terroristes contre les États-Unis en 2001, ainsi que des actes terroristes subséquents dans d’autres pays, ont depuis modifié ce qu’on entend par sécurité.

La mondialisation, l’évolution rapide de la technologie et la sophistication des moyens d’information et de communication ont eu une incidence sur la nature et le travail des gouvernements, y compris des services de renseignements. En plus des conflits habituels entre États, il existe désormais un large éventail de problèmes de sécurité transnationale découlant de facteurs non étatiques, et parfois même non humains. Ces problèmes vont du terrorisme, des réseaux illégaux et des pandémies à la sécurité énergétique, à la concurrence internationale pour les ressources et à la dégradation mondiale de l’environnement. Les éléments de la sécurité mondiale et nationale sont donc de plus en plus complexes et interdépendants.

Notre travail

C’est pour mieux comprendre ces enjeux actuels et à venir que le SCRS a lancé, en septembre 2008, son programme de liaison-recherche. En faisant régulièrement appel aux connaissances d’experts au moyen d’une démarche multidisciplinaire, axée sur la collaboration, le Service favorise une compréhension contextuelle des questions de sécurité pour le bénéfice de ses propres experts ainsi que celui des chercheurs et des spécialistes avec qui il s’associe. Ses activités visent à établir une vision à long terme des différentes tendances et des divers problèmes, à mettre en cause ses hypothèses et ses préjugés culturels, ainsi qu’à affiner ses moyens de recherche et d’analyse.

Pour ce faire, nous :

  • nous associons activement à des réseaux d’experts de différents secteurs, dont le gouvernement, les groupes de réflexion, les instituts de recherche, les universités, les entreprises privées et les organisations non gouvernemen­tales (ONG), tant au Canada qu’à l’étranger. Si ces réseaux n’existent pas déjà, nous pouvons les créer en collaboration avec différentes organisations;
  • stimulons l’étude de la sécurité et du renseignement au Canada, favorisant ainsi une discussion publique éclairée à propos de l’histoire, de la fonction et de l’avenir du renseigne­ment au Canada.

Dans cette optique, le programme de liaison-recherche du Service emprunte de nombreuses avenues. Il soutient, élabore, planifie et anime plusieurs activités, dont des conférences, des séminaires, des études, des exposés et des tables rondes. Il participe aussi activement à l’organisation du Global Futures Forum, un appareil multinational du renseignement et de la sécurité qu’il soutient depuis 2005.

Nous n’adoptons jamais de position officielle sur quelque question, mais les résultats de plusieurs de nos activités sont publiés sur le site Web du SCRS au www.scrs-csis.gc.ca. Par la publication des idées émergeant de nos activités, nous souhaitons alimenter le débat et favoriser l’échange d’opinions et de perspectives entre le Service, d'autres organisations et divers penseurs.

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