La nouvelle place de la Chine dans le monde
Publié : mardi 02 février 2010
Conférence du Service canadien du renseignement de sécurité conjointement parrainée par le Centre de recherches pour le développement international.
Points saillants de la conférence - 28 et 29 septembre 2009, Ottawa
Rapporteur : Pascale Massot, Université de la Colombie‑Britannique
Le présent rapport est fondé sur les opinions exprimées par les experts qui ont présenté des exposés et par les autres participants à la conférence organisée par le Service canadien du renseignement de sécurité dans le cadre de son programme de liaison‑recherche. Le présent rapport est diffusé pour nourrir les discussions. Il ne s’agit pas d’un document analytique et il ne représente la position officielle d’aucun des organismes participants. La conférence s’est déroulée conformément aux règles de Chatham House; les intervenants ne sont donc pas cités et les noms des conférenciers et des participants ne sont pas révélés.
Table des matières
- La conférence et ses objectifs
- Sommaire
- Points saillants des exposés des spécialistes
- Politique nationale chinoise
- Puissance de la Chine à l’extérieur
- Réalités intérieures chinoises
- Débats économiques en Chine et impacts futurs sur l’ordre mondial
- Influence financière et monétaire montante de la Chine
- Horizon 2015 : Qu’est-ce que le Canada doit surveiller ?
- Débat d’experts : La Chine au lendemain de la crise financière mondiale
- Les voisins de la Chine
- Géopolitique de la Chine
- Annexes
- Annexe A - Ordre du jour de la conférence
- Annexe B - La liaison-recherche au SCRS
La conférence et ses objectifs
Les 28 et 29 septembre 2009, en partenariat avec le Centre de recherches pour le développement international, le Service canadien du renseignement de sécurité a été l’hôte d’une conférence sur la Chine. Cette conférence d’une durée de deux jours, qui s’est déroulée conformément aux règles de Chatham House, avait un triple objectif : continuer de nourrir l’intérêt de la communauté d’Ottawa pour la Chine, aider les participants à mieux comprendre l’influence que ce pays exerce dans le monde et étudier certaines des orientations que la République populaire de Chine pourrait prendre au cours des cinq prochaines années.
Les débats d’experts ont été organisés autour de six modules thématiques. Les deux premiers modules étaient axés sur les réalités intérieures qui façonnent le programme politique de la Chine d’aujourd’hui. Le troisième portait sur la situation économique probable de la Chine au lendemain de la crise financière mondiale de 2008‑2009 et étudiait la possibilité que la Chine exerce une influence économique mondiale croissante. Le quatrième module s’intéressait aux répercussions sur le Canada de la position mondiale actuelle de la Chine. Enfin, les deux derniers modules situaient la Chine dans un contexte régional plus large, au moyen d’un examen de ses dilemmes les plus tenaces en matière de politique étrangère.
La conférence visait à expliciter les éléments moteurs de l’influence de la Chine dans le monde. Elle a réuni divers participants et s’appuyait sur des spécialistes du Canada, de la Chine, de l’Europe, de l’Inde et des États‑Unis. La liste des questions examinées ne pouvait pas couvrir tous les aspects importants de la Chine contemporaine. La conférence a plutôt abordé un assortiment de thèmes clés et jeté les bases d’un dialogue suivi sur ceux qui ressortaient. Le présent compte rendu contient un résumé des principales idées présentées par les spécialistes et discutées avec les participants pendant la conférence.
La Chine et sa nouvelle place dans le monde
Sommaire
Depuis que la Chine a amorcé des réformes économiques internes à la fin des années 1970, le monde entier surveille avec beaucoup d’intérêt la situation et étudie soigneusement ce que peut faire la communauté internationale pour nouer réellement des relations avec une Chine en pleine essor, une Chine qui se dessine comme une éventuelle puissance mondiale. Les réformes économiques en Chine ne se limitaient pas à l’économie. Elles marquaient le début d’un virage important dans les relations de la Chine avec le reste du monde, soit un recul calculé du nationalisme anti-impérialiste de Mao Zedong, qui avait fermé la Chine au reste du monde. La stature de la Chine – considérable dans tous les sens importants – a entraîné avec raison de nombreuses analyses chez les spécialistes et les décideurs et a suscité des débats parmi les médias et dans les conversations de tous les jours. En effet, l’essor en apparence inexorable de la Chine et l’intégration de ce pays dans la communauté internationale ont donné lieu à bien des hypothèses chez les spécialistes quant à la nature de cet essor et ses répercussions. Beaucoup considèrent l’essor de la Chine comme équivalant à l’émergence d’une menace chinoise, faisant écho aux théories réalistes de transition du pouvoir. Pour cette raison, les politiques étrangères à l’égard de la Chine ont eu tendance à vaciller entre l’ambiguïté stratégique et l’engagement stratégique. Fondamentalement, ces politiques font ressortir l’incertitude générale quant à l’essor de la Chine et ce que cela signifie.
La crise économique mondiale actuelle a apporté, à certains égards, des précisions au sujet de la place de la Chine et des répercussions de son essor. Malgré les vues opposées concernant la capacité de la Chine de poursuivre sa croissance fulgurante en situation de crise, la récession mondiale a révélé une situation économique défaillante aux États-Unis et une robuste économie chinoise, qui est imbriquée dans une Asie qui se rétablit rapidement. Elle a aussi fait ressortir qu’il est essentiel pour la Chine de jouer davantage un rôle de premier plan dans les affaires internationales, notamment d’assumer un leadership en ce qui concerne l’environnement, les marchés mondiaux, le commerce, la sécurité et la diplomatie. La possibilité d’un G2 ne peut être facilement écartée. La crise s’est donc avérée un moment important dans les affaires internationales, une sorte de point d’exclamation analytique dans le long développement économique de la Chine. Elle vient faire le point sur i) ce qu’on sait au sujet de la Chine, mais aussi ii) sur ce qu’on ignore toujours sur l’émergence de la Chine et iii) sur les raisons pour lesquelles l’essor de ce pays et ses conséquences demeurent marquées par l’incertitude.
Ce que l’on sait
Les observateurs et les commentateurs savent avec certitude que la Chine « est arrivée ». L’essor de ce pays a été facilité par une croissance économique fulgurante et par des prévisions de croissance à moyen terme qui dépassent celles d’une grande partie du monde industrialisé. Or, tel qu’il a été mentionné précédemment, l’essor de la Chine ne s’en tient pas à l’économie. D’après les discussions des spécialistes lors de la conférence du SCRS, trois autres facteurs ont présidé au parcours de la Chine.
D’abord, la croissance économique rapide et soutenue de la Chine au cours des dernières décennies lui a procuré une plus grande part du pouvoir économique dans le système mondial. Sa taille lui apporte un avantage comparatif considérable : une main-d’œuvre de plus en plus compétente qui ne coûte pas cher, une capacité financière et la certitude d’un marché intérieur énorme. La capacité financière de la Chine et ses réserves de change constituent également une source d’influence importante dans le secteur financier international, même si les dirigeants chinois considèrent les avoirs démesurés en devise américaine comme une contrainte et même si l’impossibilité de convertir le yuan empêche la Chine d’assumer un rôle financier plus actif à l’échelle mondiale. Malgré tout, l’arrivée de la Chine, du moins sur le plan économique, signifie que ce pays jouit d’une plus grande autonomie au sein de l’économie mondiale et que les décideurs chinois disposent d’un plus vaste éventail d’instruments économiques stratégiques.
Deuxièmement, la participation de la Chine du système international est vraiment planétaire. En Chine, la gestion géostratégique des relations avec les États-Unis, l’Union européenne, l’Inde et le reste du Sud mondial ainsi qu’avec les autres pays d’Asie devient de plus en plus complexe, nécessitant une plus grande finesse diplomatique. La Chine entretient un dialogue différent avec diverses régions du monde, ce qui explique la complexité de ses relations extérieures. Par exemple, elle gère sa dépendance énergétique en usant de « diplomatie du pétrole » avec la Russie, l’Amérique latine et l’Eurasie. Elle pratique la diplomatie axée sur l’aide avec des pays moins développés ou encore remet en question le statu quo au sein d’organismes internationaux, comme les Nations Unies, qui régissent la sécurité, le commerce et l’environnement à l’échelle mondiale. Même si elle doit gérer ses relations géostratégiques globales de manière complexe et variée, et selon la région ou le pays, la Chine demeure invariablement attachée à ses principes de souveraineté et d’intégrité territoriale. Elle voit de la même façon Taïwan, le Tibet, le Xinjiang, Hong Kong et Macao : ils font partie, ou devraient faire partie, du territoire d’une Chine souveraine. En outre, les moyens militaires de la Chine augmentent, bien que cette dernière soit encore loin de la puissance militaire des États-Unis. On sait aussi que, mis à part les efforts concertés en matière de diplomatie publique internationale, la Chine projette toujours une image de puissance souple en Occident et même chez ses voisins du continent asiatique.
Troisièmement, il est très peu probable que la Chine se démocratise dans un avenir rapproché. Il est bien connu maintenant que la croissance économique et le développement politique rapide de la Chine ont donné naissance à des mouvements de protestation dans les régions rurales et dans les villes. Les cibles des manifestations varient, tout comme les répercussions de ces mouvements sur la politique et l’économie. De même, la réaction de l’État varie. Autrement dit, la société civile chinoise n’en est qu’à ses premiers pas et n’est pas organisée, affaiblissant ce qui pourrait constituer selon certains les éléments précurseurs d’un changement démocratique. Même si la démocratie libérale n’est pas instaurée de sitôt en Chine, les observateurs ont maintenant une meilleure idée du pluralisme social, économique et politique en Chine. Le Parti communiste chinois (PCC) et l’appareil étatique ne sont pas des organisations monolithiques. L’élaboration de politiques repose sur de vastes consultations, en particulier avec les groupes de spécialistes et les organisations non gouvernementales (ONG). L’État prend au sérieux la participation sociétale, même s’il s’agit seulement de donner une légitimité non démocratique au régime. Les élites du PCC sont loin de s’entendre entre elles, et les factions connues argumentent, négocient, s’accommodent et font des compromis ouvertement entre elles.
Ce que l’on ignore toujours
S’il est évident que la Chine est devenue un acteur important de l’échiquier international, que ce soit sur le plan politique, économique ou diplomatique, on ignore toujours exactement vers quoi se dirige la Chine. Cette incertitude se manifeste dans les analyses d’éminents spécialistes au sujet du rétablissement de la Chine au lendemain de la crise économique. D’aucuns estiment que les décideurs chinois ont mis en place de saines politiques économiques pour garantir la croissance du pays à long terme. L’équilibre macroéconomique, l’approche stratégique en matière de privatisation, la saine gestion des finances et de la trésorerie ainsi que les efforts déployés afin de permettre aux entreprises d’élargir davantage leur champ d’activité économique à valeur ajoutée, y compris dans de nouveaux secteurs de haute technologie, sont de bon augure pour la croissance de la Chine. Les investissements accrus dans la politique sociale, en particulier les soins de santé, contribueront également à soutenir l’économie de la consommation de la Chine puisque la population verra son revenu disponible augmenter. Par contre, des arguments tout aussi valables, mais plus négatifs, laissent présager un avenir plus sombre en ce qui concerne le développement économique à long terme de la Chine. Les détracteurs des réformes économiques de ce pays remettent en question l’exactitude et la fiabilité des données économiques. En outre, ils soutiennent que des goulots d’étranglement socioéconomiques graves se dessinent à l’horizon, citant entre autres les inégalités de plus en plus marquées, les déséquilibres entre les régions, une crise ouvrière chez les migrants, l’augmentation des salaires, la dégradation ahurissante de l’environnement, la corruption locale et l’absence de freins et de contrepoids institutionnels.
On ne sait pas non plus exactement quel rôle une Chine enhardie jouera au sein de la communauté internationale. Bon nombre imaginent que celle-ci jouera un rôle plus important dans les affaires internationales, mais nombreux sont ceux qui continuent de douter de la volonté de la Chine de devenir un chef de file international et qui se demandent si la Chine est prête à jouer ce rôle. Par exemple, la Chine semble pusillanime lorsqu’il s’agit du changement climatique et de la finance internationale. Dans ces domaines, elle conserve davantage une attitude de preneur que de leader stratégique mondial. Par contre, les efforts déployés par la Chine pour accroître son arsenal militaire, plus particulièrement pour renforcer sa flotte de haute mer, sont considérés comme défiant la domination des États‑Unis en matière de sécurité régionale, sinon comme un plan ambitieux visant à assumer un rôle prépondérant en ce qui a trait à la sécurité mondiale. L’incertitude planant autour de la « stratégie globale » de la Chine pour ce qui est des affaires internationales contribue de façon importante à façonner les relations de ce pays avec les États-Unis.
En effet, on connaît très peu l’ordre mondial qu’envisage la Chine. Selon la thèse de la menace chinoise, l’essor de la Chine est vu clairement comme le fondement d’une transition du pouvoir : soit le passage d’un ordre mondial dominé par une seule puissance (les États-Unis) à un nouvel ordre où un pays contestataire (la Chine), insatisfait du système international actuel, devient la nouvelle puissance dominatrice. L’attitude intransigeante de la Chine sur certaines questions internationales – comme les revendications territoriales, l’accroissement de l’arsenal militaire et son opposition à un régime qui tient beaucoup plus compte des droits de la personne – vient prouver ce point de vue réaliste. Or, la transition du pouvoir n’est pas encore terminée, et nombreux sont ceux qui considèrent la montée en puissance de la Chine et la remise en question de la domination américaine comme la preuve d’un nouveau système international bipolaire. Pourtant, les relations de la Chine avec l’Association des Nations de l’Asie du Sud-Est (ASEAN), son intégration économique croissante à l’échelon régional et mondial, sa participation accrue au sein d’organismes internationaux, plus particulièrement au réseau de l’ONU, et le rôle de premier plan joué par la Chine dans les négociations avec la Corée du Nord laissent présager une participation plus multilatérale en ce qui concerne la gestion des affaires internationales. Bref, le comportement de la Chine sur la scène politique, économique et diplomatique internationales laisse place à diverses interprétations de l’image que se fait la Chine du système international.
Ce que l’on sait ou non au sujet de la place de la Chine dans le monde a une incidence sur le Canada. Même s’il constitue une puissance économique et politique relativement mineure dans le monde, le Canada entretient depuis des années de bonnes relations avec la Chine. Le Canadien Norman Bethune, hissé au rang de héros par Mao en tant que grand révolutionnaire et admirateur de la Chine communiste, continue de parler à l’imagination des Chinois et des dirigeants de l’empire du milieu. Mais tout cela est du passé. L’avenir des relations sino-canadiennes semble plutôt incertain.
L’économie canadienne est étroitement liée à celle des États-Unis. Donc, si les relations entre la Chine et nos voisins du Sud sont incertaines, il en va de même pour les relations sino-canadiennes. Le Canada possède quelques avantages économiques certains dans la mesure où sa capacité d’extraire et de produire des produits de base (énergie, minéraux) a son attrait pour un pays comme la Chine qui doit importer l’énergie. Par ailleurs, les voies navigables de l’Arctique canadien pourraient susciter un intérêt logistique pour les expéditeurs chinois et le transport de marchandises en provenance et à destination de la Chine. Par contre, l’essor de la Chine a également fait ressortir les points faibles du Canada. La taille et le pouvoir d’achat de la Chine par exemple peuvent avoir une incidence sur le prix des produits de base, ce qui peut tout aussi bien nuire qu’avantager les producteurs canadiens. Qui plus est, au cours des dernières années, le gouvernement du Canada a adopté une position plus critique à l’égard de la Chine en raison du bilan de cette dernière en matière de respect des droits de la personne et de lenteur du développement démocratique. Cette position a été remarquée à Beijing et pourrait nuire aux relations sino‑canadiennes. En résumé, s’il est peu probable que le Canada occupe une place centrale dans la stratégie globale de la Chine en ce qui concerne les affaires internationales, il demeure que l’influence grandissante de la Chine a une incidence considérable, sinon indirecte, sur les relations sino-canadiennes.
Les causes de l’incertitude
Les participants à la conférence du SCRS visée par le présent rapport ont fourni des données empiriques sur une partie de ce que l’on sait de la Chine et ce que l’on ignore. Les analyses des spécialistes expliquent également pourquoi il y a toujours, à bien des égards, une grande incertitude en ce qui concerne l’essor de la Chine, la place de ce pays dans le monde et les répercussions sur les affaires internationales. La situation est encore plus incertaine en raison des relations entre les programmes économiques et politiques, en évolution, en Chine et les impératifs internationaux dynamiques et les autres objectifs associés à une communauté internationale de plus en plus intégrée.
D’abord, l’incertitude entourant le rôle futur des États-Unis dans la géopolitique explique en grande partie pourquoi on sait peu de choses sur l’incidence du nouvel essor de la Chine. Dans les faits, le marché américain a joué le rôle de consommateur mondial de dernier recours pendant la majeure partie de l’après‑guerre, ancrant les économies axées sur l’exportation des pays en développement. Le cadre de sécurité américain, miroir de la domination militaire des États-Unis, a également contribué à la stabilité en Asie. Personne n’a remis en question la suprématie des États-Unis depuis la fin de la guerre froide. Les États-Unis continueront-ils de jouer ce rôle? Est-ce que l’on peut continuer à s’en remettre aux États-Unis pour ce qui est de la sécurité et de l’économie mondiales? L’essor de la Chine et son incidence dépendent en bonne partie de la position relative des États-Unis et de ses objectifs au sein du système international.
Deuxièmement, l’empreinte de plus en plus importante de la Chine dans les affaires mondiales est révélatrice des débats qui ont cours dans ce pays au sujet du nationalisme. Très contesté, le nationalisme chinois est un mélange peut‑être explosif d’identité nationale à caractère ethnique, de discours de victimisation bien enraciné et de sentiment de désespoir face aux dix années perdues de la Révolution culturelle. Le nationalisme chinois est parfois marqué par l’agressivité et par un sentiment de fierté face à l’essor extraordinaire de la Chine. À l’inverse, les experts chinois se méfient des motifs des pays étrangers et voient des complots, se tournant de nouveau vers un nationalisme maoïste opportun aux étrangers. Certains nationalistes chinois déplorent même la faiblesse de la Chine. Or, ces différentes formes d’identité nationale orientent différemment la participation de la Chine au sein du système international.
Troisièmement, on ne sait pas exactement comment les Chinois et leurs dirigeants voient la position de la Chine dans le système international. Les analystes remarquent parfois la Chine adopter une politique étrangère qui démontre un véritable leadership mondial, comme dans le cas de la Corée du Nord et, dans une certaine mesure, sur le marché financier mondial. La Chine comprend qu’elle est puissante sur le plan économique et ne craint pas d’exercer des pressions, par exemple dans la diplomatie du pétrole, pour atteindre ses objectifs en matière de politique étrangère. Cependant, les dirigeants chinois soutiennent avec véhémence que la Chine est encore un pays en développement et qu’il faut lui faire des concessions, en particulier dans le cadre des négociations commerciales et des mesures de lutte contre le changement climatique. Autrement dit, malgré son essor, la Chine représente à la fois l’un des plus grands marchés économiques mondiaux, mais aussi une économie en développement. La façon dont la Chine se voit en tant que puissance économique mondiale ou pays en développement a une incidence sur la manière dont elle gère son influence croissante et sa participation dans les affaires internationales.
Enfin, même si les observateurs comprennent beaucoup mieux les débats stratégiques en Chine et l’apparition d’un processus davantage pluraliste, ils en savent encore très peu sur la façon dont les Chinois établissent leurs politiques. Le processus d’élaboration des politiques en Chine demeure obscur en l’absence de la transparence institutionnelle caractéristique d’une démocratie. Selon les analyses des spécialistes, nonobstant un appareil étatique central solide, l’élaboration et la mise en œuvre des politiques reposent sur des interactions complexes sur le plan horizontal (entre les organisations étatiques) et vertical (relations pouvoir central‑régions). Les analyses révèlent également des processus décisionnels bureaucratiques extrêmement complexes, caractérisés par des structures incitatives diverses, de même que des contraintes et des débouchés institutionnels. Bref, on sait que les processus d’élaboration des politiques en Chine sont devenus de plus en plus complexes, mais il n’est pas clair dans quelle mesure cette complexité mène à l’établissement de politiques concrètes.
Points saillants des exposés des spécialistes
Politique nationale chinoise
Le nationalisme et son impact sur l’élaboration des politiques en Chine
Il peut se révéler précieux de disposer d’une perspective temporelle pour mieux comprendre la relation que la Chine entretient avec son propre passé. Une stratégie utile pour concevoir les sentiments d’identité nationale des Chinois de l’intérieur même des structures imaginaires de la Chine consiste en effet à séparer l’expérience historique du pays en trois catégories : le millénaire, le siècle et la décennie.
La catégorie du millénaire englobe la fierté de cinq millénaires de civilisation chinoise. Véritable processus d’instrumentalisation, cette fierté est profondément enracinée dans la population chinoise aujourd’hui; elle évoque une image idéalisée et romantique de la Chine impériale, dont plusieurs peuples et régimes ont été tributaires dans l’histoire. Cependant, cette fierté historique d’un ordre asiatique sino‑centriste va encore plus loin de nos jours. Certains relèvent des allusions révisionnistes dans le discours chinois, à mesure que la Chine adhère de nouveau à des éléments de son passé, notamment en recommençant à mettre l’accent sur ses valeurs confucianistes et sur le respect de l’ordre existant. La Chine quitte lentement sa position de puissance du statu quo et devient peu à peu plus audacieuse en proposant au moins des éléments d’un nouveau type de système pour les relations internationales d’aujourd’hui.
Le siècle se résume en une période d’humiliation. Il a commencé avec les Guerres de l’opium (de 1839 à 1842 et de 1856 à 1860) et a pris fin avec la guerre de Corée (de 1950 à 1953). La psyché chinoise établit un lien entre ce siècle d’humiliation et la colère soutenue d’aujourd’hui. Les récits de victimisation et d’humiliation aux mains de puissances impérialistes étrangères sont mêlés aux récits d’héroïsme et de victoire sur les forces impérialistes sous Mao pendant la Deuxième Guerre mondiale.
Enfin, la décennie est associée plus précisément au sentiment d’une « décennie perdue » exprimé dans les souvenirs du radicalisme extrême qui subsistent encore aujourd’hui. La période en question est la décennie de 1966 à 1976 de la Révolution culturelle, au cours de laquelle le pays a sombré dans le chaos et a été écrasé par le radicalisme de la Garde rouge. Ce qui est frappant, c’est que ce style radical est toujours vivant de nos jours, comme en ont témoigné les réactions furieuses de certains citoyens, transmises sur Internet, aux événements symboliques menaçant l’image de la Chine à l’échelle internationale. Ce mécanisme de mobilisation et cette mentalité de révolution culturelle efficaces et informatisés ont des conséquences stratégiques de nature tant nationale qu’internationale.
Sur la scène intérieure, la légitimité du régime dépendra de plus en plus d’une vision commune du patriotisme. Ce dernier sera de plus en plus l’instrument utilisé par la population pour exprimer son mécontentement, comme ce fut le cas à la suite du tremblement de terre au Sichuan en mai 2008. Le discours national sur Internet et dans la presse a aussi de plus en plus de relents distincts d’un nationalisme chauvin axé sur les Han. Pourtant, ce nationalisme ne remet pas en question le système dans lequel il s’inscrit; l’ardeur nationaliste est devenue partie intégrante du système politique lui‑même.
Au niveau international, aucun élément solide ne corrobore les hypothèses selon lesquelles les structures autoritaires sont avantagées parce qu’elles ne sont pas entravées par l’opinion publique, comme celles des démocraties. Il semble que le gouvernement chinois puisse être plus redevable des élans nationalistes qu’un gouvernement démocratique le serait, ce qui, par exemple, limite considérablement la latitude des dirigeants chinois sur le plan de la politique étrangère. Les observateurs ont effectivement été témoins du passage d’un nationalisme plus défensif à un nationalisme plus assuré sur la scène internationale. Faisant mieux ressortir le sentiment populaire qui pourrait peser sur les chefs politiques de la Chine, les sondages ont montré que la peur de l’humiliation est considérée comme ayant plus de poids dans les perceptions des étudiants chinois que la menace militaire américaine.
Leadership : composer avec la Chine – le choc des idées
Il y a beaucoup de continuité à l’intérieur des structures de gouvernance et de direction de la Chine de nos jours. Par exemple, rien n’indique qu’un système multipartite se profile en Chine, il n’existe aucun équilibre des pouvoirs entre les trois branches du gouvernement, et le Parti communiste chinois (PCC) continue d’encadrer strictement l’armée, la bureaucratie, les médias ainsi que les systèmes juridiques et judiciaires. Il y a, cependant, des signes d’un nouveau modèle chinois de pluralisme à l’intérieur des structures politiques existantes.
Un spécialiste de la politique factionnelle a présenté aux participants le modèle « un parti, deux coalitions », formule utile pour se colleter à la différenciation croissante des antécédents et des priorités stratégiques des dirigeants chinois : les coalitions populiste et élitiste.
La coalition populiste est la faction de la Ligue de la jeunesse ou Tuanpai. La plupart des représentants de la Tuanpai sont d’origines relativement modestes ou viennent de zones rurales, particulièrement des régions intérieures. Ils ont souvent gravi les échelons des structures de direction des partis provinciaux ou de la Ligue de la jeunesse (le président Hu Jintao était l’un d’eux) et ont pour la plupart acquis des compétences dans les domaines de la culture, de l’agriculture, de la propagande et du parti. Les intérêts de la Tuanpai sont généralement axés sur la cohésion sociale, une attention particulière étant accordée aux migrants, aux paysans et aux pauvres des zones urbaines. Les hauts dirigeants du parti qui appartiennent à cette coalition ont exprimé leurs préférences stratégiques pour l’augmentation de l’offre de travail, les soins de santé, le logement à prix abordable et le développement durable, par exemple.
De son côté, la coalition élitiste est formée surtout de petits princes, c.‑à‑d. de fils et de filles d’anciens hauts dirigeants. Ils viennent de milieux bien nantis, souvent des zones côtières et des grandes zones urbaines, et ils concentrent leurs compétences surtout dans les industries de la finance, du commerce et des banques ainsi que dans le secteur privé et les domaines liés à la sécurité publique. Sur le plan des priorités stratégiques, ils ont tendance à favoriser plutôt une plus vaste libéralisation du marché, une forte croissance, la poursuite de l’intégration dans l’économie mondiale et l’assurance que Shanghaï restera le centre des activités financières et économiques chinoises.
Ce système a créé son propre ensemble de forces d’équilibrage, les deux coalitions se complétant l’une l’autre sur les plans des compétences et des aptitudes au leadership. Elles portent toutes les deux un intérêt particulier à la stabilité du système politique et sont donc disposées à collaborer sur certains points. Elles font aussi toutes les deux parties de la « génération perdue », qui a été envoyée travailler dans les champs pendant la Révolution culturelle, ce qui fait qu’elles ont une série d’expériences communes. Comme les deux coalitions sont aussi puissantes l’une que l’autre, leurs membres respectifs sont soigneusement répartis aux plus hauts échelons de la direction.
Parmi les étoiles montantes de la cinquième génération de dirigeants chinois (Hu Jintao fait partie de la quatrième), chaque coalition a placé trois de ses plus importants membres dans des postes stratégiques. Plus important encore, pour la première fois dans l’histoire du Parti communiste chinois, Hu Jintao a désigné non pas un mais deux successeurs, un de chacune des coalitions. Ce que l’on croit comprendre à l’heure actuelle, c’est que Xi Jinping, vice‑président de la Chine et membre éminent de la coalition élitiste, a été désigné comme prochain président de la République populaire, tandis que Li Keqiang, vice‑premier ministre exécutif du pays et membre de la coalition populiste, aurait été choisi comme futur premier ministre, remplaçant Wen Jiabao le moment venu. Cela signifiera, entre autres, que Shanghaï est susceptible de redevenir une priorité stratégique de premier plan si Xi Jinping parvient au sommet comme prévu.
Cette double nomination est censée être une question d’équilibre. Si les deux factions sont fortes, leurs dirigeants sont faibles comparativement à Mao Zedong et à Deng Xiaoping, qui ont exercé un pouvoir extrêmement concentré par le passé. Il en résulte un processus stratégique qui est aujourd’hui beaucoup plus compliqué et moins souple, ce qui pourrait gêner la prise de réactions adéquates et à point nommé en périodes de crise. Cela a amené certains politiciens à aller au devant du grand public pour pouvoir compter sur son appui et pourrait encourager des réactions nationalistes en cas de crise liée à la politique étrangère, par exemple.
La présence de divergences stratégiques selon les modalités relativement claires de l’appartenance aux deux coalitions pourrait éventuellement jeter les bases d’une nouvelle forme de pluralisation à l’intérieur des structures du parti existant en Chine. Ce système pourrait devenir un processus de pluralisation plus institutionnalisé au cours des prochaines années, et certains indices donnent à penser que plusieurs dirigeants du parti sont ouverts à l’idée.
La montée de la cinquième génération de dirigeants en Chine oblige les gouvernements étrangers à adopter une démarche différente. Les représentants étrangers de passage ne doivent pas oublier qu’ils doivent consacrer des périodes égales aux membres des deux coalitions lorsqu’ils rencontrent les dirigeants chinois et ne pas privilégier ostensiblement l’une par rapport à l’autre.
Relations de Beijing avec les provinces
S’il y a déjà eu une époque où il était possible de comprendre la politique chinoise sans jamais quitter la capitale, elle est révolue depuis longtemps. De plus en plus, les relations entre le centre et les collectivités locales sont une pièce essentielle du puzzle. En fait, depuis 1957, il est préférable de concevoir la politique chinoise comme une série d’expériences de décentralisation.
La dernière tendance à la décentralisation a commencé en 1979, lorsque les partisans du processus de réforme ont délégué aux gouvernements locaux les pouvoirs décisionnels en matière d’économie et de politique. Ce processus de décentralisation a été décrit comme une dynamique réactionnelle continuelle dans laquelle le centre établit les politiques qu’il préfère et les collectivités locales mettent en œuvre leurs contre‑mesures. Cependant, un certain nombre de dynamiques plus prévisibles peuvent aider les observateurs à comprendre ces mouvements de décentralisation qui peuvent sembler d’une « complexité inouïe » à première vue.
L’« imbroglio matriciel » des relations entre le centre et les collectivités locales en Chine a été décrit par Kenneth Lieberthal et Michel Oksenberg. Dans leur conceptualisation, chaque unité du gouvernement en Chine entretient un certain nombre de relations, tant verticales qu’horizontales, avec les unités de la bureaucratie et du parti. Certaines sont des relations de direction contraignantes — celles par lesquelles les affectations de personnel et de ressources sont faites —, tandis que d’autres sont des relations professionnellement non contraignantes. Ce réseau vertigineux de liens n’est pas représenté sur les organigrammes officiels et constitue un défi pour les observateurs occasionnels qui veulent comprendre les relations de pouvoir en jeu dans le système chinois d’aujourd’hui.
Ainsi, il est crucial de déterminer l’orientation des relations de direction pour comprendre les mécanismes de fonctionnement des bureaucraties importantes. Peu d’entre elles, comme l’Administration générale des douanes, sont centralisées. La plupart sont décentralisées, comme les bureaux agricoles répartis à la grandeur du pays, qui n’ont pas de relations de direction communes avec le ministère de l’Agriculture à Beijing, mais plutôt avec les gouvernements provinciaux. Cette structure décentralisée, endémique dans le système, appuie un « préjugé de mise en œuvre » favorable aux intérêts locaux plutôt qu’à la politique nationale. Cette tendance à la décentralisation semble se renforcer avec le temps, augmentant la complexité des relations entre les unités.
Beijing a fait des tentatives de recentralisation, qui ont échoué pour la plupart en raison de la perte graduelle d’influence de la capitale sur l’économie planifiée. Celles qui ont réussi ne sont pas allées jusqu’à ramener les relations de direction jusqu’au centre. Dans de nombreux cas, la centralisation ne s’étend que jusqu’au niveau provincial. Cela a créé une concentration de pouvoirs au niveau provincial, alors que le centre maintient la discipline au moyen de l’appareil du parti, en nommant les titulaires des principaux postes par exemple.
Ce système tarabiscoté qui régit les mécanismes d’exécution a au moins trois conséquences pour les modèles d’élaboration des politiques en Chine de nos jours. Premièrement, la Chine a toujours un maximum de deux ou trois politiques hautement prioritaires, qui mobilisent une énorme quantité de ressources sur une période prolongée. Deuxièmement, ces secteurs stratégiques sont souvent ceux dans lesquels le rendement des cadres est évalué en vue d’une promotion. Or, ces priorités absorbent une part tellement considérable de la capacité de l’État qu’il ne reste le plus souvent aucune ressource pour les questions moins prioritaires, comme faire respecter les droits d’auteurs. Troisièmement, dans le contexte économique et politique d’aujourd’hui, toute politique qui vise à maintenir ou à réaffirmer la stabilité sociale ou politique est susceptible de l’emporter sur tout ce qui se trouve sur son chemin.
Dans certains cas cependant, des acteurs novateurs des secteurs non gouvernemental ou commercial ont ciblé certains secteurs stratégiques avec succès et exercé des pressions pour que les gouvernements locaux se conforment davantage aux politiques centrales qui n’étaient pas mises en œuvre localement auparavant. De tels acteurs servent de médiateurs entre les désirs de certains segments de la population et ceux du gouvernement.
Discussion - Politique nationale chinoise
Les conférenciers et les participants à la conférence ont parlé de la difficulté pour le régime chinois de prendre des décisions et de mettre en œuvre des politiques de façon constante et ont tenté de déterminer les principaux enjeux qui monopolisent actuellement les ressources de Beijing. Un conférencier a répondu qu’à l’heure actuelle, trois grappes de politiques bénéficient d’une très haute priorité, à savoir :
- développer la partie occidentale du territoire;
- surmonter les difficultés créées par la crise financière mondiale tout en encourageant le développement économique en général;
- élaborer une stratégie exhaustive et efficace d’acquisition et de gestion des ressources.
Une deuxième série de questions visaient à clarifier dans quelle mesure les deux coalitions sont des partis politiques naissants ou le début d’une rivalité interne durable. Les différences sont‑elles suffisamment flagrantes pour que les coalitions puissent envisager un processus de pluralisation dans un proche avenir et comment géreraient‑elles cette transition? Sur quelles séries précises de politiques les deux coalitions s’entendent‑elles? Un conférencier a indiqué qu’il s’agit là de questions extrêmement délicates. Il a réitéré que les deux coalitions sont prêtes à faire des compromis pour préserver la stabilité et le maintien du développement de la Chine. Il a aussi dit que les dirigeants penchent sérieusement vers une politique plus intransigeante sur la question des minorités. Il y a un début de consensus sur le fait que le centre a été « trop gentil » par le passé et qu’une démarche nationaliste pourrait unifier les dirigeants sur cette question. L’adoption d’une attitude plus libérale à l’égard du Xinjiang et du Tibet, soutenue par le premier ministre Wen Jiabao, ne suscite plus que très peu de sympathie. Le conférencier a insisté sur le fait que le modèle à deux coalitions est dynamique et qu’il ne restera pas tel quel pour toujours. D’ici dix ou quinze ans, le parti pourrait se diviser, paisiblement on l’espère, sur ce modèle. Même les membres du politburo disent maintenant que 20 ans, c’est loin.
Un participant a ensuite demandé si les mouvements nationalistes qui ont suivi le relais de la flamme olympique en Europe en 2008 étaient spontanés ou s’ils avaient été manipulés jusqu’à un certain point par l’État-parti chinois, attirant l’attention sur le fait que les manifestations populaires semblaient culminer et se dissiper en quelques minutes. Un premier conférencier a répondu qu’il arrive effectivement que l’État utilise des mouvements à son avantage, comme certaines personnes sautent sur toutes les occasions pour renforcer leurs intérêts personnels. Cependant, il y a aussi eu une composante très spontanée de la base dans les manifestations nationalistes des dernières années. En fait, Internet permet l’épanouissement d’un nationalisme moins axé sur le leadership et l’expression d’identités profondément ressenties.
Puissance de la Chine à l’extérieur
Les commentateurs se demandent souvent quelle influence le monde extérieur exerce sur la Chine et considèrent cette influence comme une variable dépendante. De plus en plus maintenant, ils retournent cette logique et méditent sur l’influence de la Chine sur le reste du monde. Nous avons donc tenté de relever le défi intéressant d’évaluer la puissance de la Chine à l’extérieur. Il est toujours difficile de mesurer la puissance douce. Une des premières étapes pour essayer d’y arriver serait de retourner à la définition originale qu’en a donnée Joseph Nye, étant donné la confusion que ce concept suscite dans les publications et les médias de nos jours. Pour Nye, la puissance douce c’est la capacité d’une société d’inciter les autres à vouloir ce qu’elle veut. Suivant cette interprétation, il ne s’agit ni de diplomatie publique ni de la capacité de persuasion d’un gouvernement. En fait, la puissance douce n’a pas grand-chose à voir avec les gouvernements et beaucoup à voir avec la société.
La puissance douce d’un pays peut être abordée et évaluée sous de multiples angles : bilatéral, multilatéral, culturel, militaire et commercial. Le conférencier s’est concentré sur la dimension culturelle. Les messages de la Chine à l’étranger étaient de la propagande intérieure à l’origine. Ils ne sont pas élaborés tout spécialement pour des publics étrangers, mais sont plutôt le reflet à l’extérieur de messages internes. C’est pourquoi, il faut d’abord se familiariser avec la propagande interne pour comprendre le discours externe de la Chine. Certains des messages transmis à l’étranger sont des mythes, que 60 ans de propagande ont renforcés sur la scène intérieure et qui constituent, en fait, une part importante de l’auto‑identification et de l’auto‑perception de la Chine.
Parmi ces mythes qui peuplent la psyché chinoise, figurent les suivants :
- le développement actuel de la Chine est le « sixième essor » dans l’histoire de la Chine;
- la Chine est un pays en développement;
- les communistes se sont battus contre les Japonais pendant la Deuxième Guerre mondiale, mais pas les nationalistes;
- la Chine est une puissance mondiale historique;
- la Chine est un pays pacifique historiquement;
- la Chine ne s’immisce pas dans les affaires internes des autres pays;
- le modèle « un pays, deux systèmes » fonctionne bien à Hong Kong et fonctionnera donc bien à Taïwan aussi;
- la militarisation de la Chine ne représente pas une menace pour le reste du monde; et
- la Chine a subi une agression et n’en fera donc pas subir à d’autres.
En règle générale, ces divers mythes sont largement approuvés par la population chinoise.
Le conférencier a soutenu que la Chine n’exerce pas de puissance douce telle que définie par Joseph Nye. Autrement dit, la Chine n’est pas un aimant; les autres ne veulent pas l’émuler et il n’existe pas de modèle chinois qui puisse être reproduit à l’étranger.
Trois raisonnements pourraient être tenus à l’appui de la proposition selon laquelle la Chine exerce une puissance douce.
- la culture est au cœur de la puissance douce de la Chine (confucianisme, taoïsme, bouddhisme).
- l’économie est au cœur de la puissance douce de la Chine (nature hybride de l’économie).
- la politique est au cœur de la puissance douce de la Chine (stabilité et régime unipartite).
Mais qu’en pensent les autres? Le Chicago Council on Global Affairs a effectué en 2008 un sondage sur la puissance douce en Asie de l’Est. Selon ce sondage, les cotes de la Chine sont relativement élevées sur les thèmes de la culture traditionnelle et de la puissance économique. Cependant, sur la possibilité qu’elle soit un leader de l’Asie, l’influence diplomatique positive qu’elle pourrait avoir sur la région, son style de négociation, ses marques commerciales, sa littérature, ses émissions de télévision, son système judiciaire, son régime politique et d’autres aspects, elle a obtenu de très faibles cotes.
En effet, l’attrait de la puissance douce de la Chine n’est pas aussi grand qu’elle le souhaiterait. La République populaire a investi énormément de ressources au cours des dernières années pour améliorer son image à l’étranger. Ses efforts de propagande sont soutenus, elle invite de plus en plus d’étudiants étrangers à venir étudier en Chine, elle distribue des sommes considérables en aide officielle au développement, elle a ouvert plus de 270 Instituts Confucius à l’échelle internationale, elle investit dans l’aide humanitaire et les missions de maintien de la paix à l’étranger et plus encore. Toutefois, ces initiatives sont des instruments de la diplomatie publique de l’État; ils ne constituent pas une puissance douce.
Il manque à la Chine les valeurs sociales intrinsèques, normatives de la puissance douce, a affirmé le conférencier. La gestion de l’image internationale et la puissance douce sont deux choses distinctes. Si la société chinoise elle‑même n’a pas de pouvoir d’attraction, il lui est impossible de faire passer efficacement ses messages. Il y a un écart constant entre l’image que la Chine projette à l’intérieur et à l’extérieur. Il est difficile de concilier le 60e anniversaire de la fondation de la République populaire de Chine en octobre 2009, qui présentait sa puissance militaire, et l’insistance de Beijing sur le concept de l’essor pacifique, par exemple. Ces deux concepts ne vont pas dans le même sens et semblent contradictoires à l’observateur. Il existe un haut niveau d’incertitude, tant au sein de la communauté des érudits que dans l’appareil de propagande de la Chine, sur la façon de positionner le message destiné à ses propres citoyens.
Discussion
Un participant a demandé si les limites de la puissance douce de la Chine sont endémiques dans la civilisation et la culture chinoises ou propres au régime actuel. Un autre a demandé comment la Chine pourrait faire évoluer son régime politique pour parvenir à décupler sa puissance douce. Le conférencier a répondu que les limites sont propres à l’État et au régime actuels. Par exemple, un régime multipartite concurrentiel, qui pourrait habiliter les huit partis existants, au moins au niveau local même si le Parti communiste chinois gagne toujours au niveau national (régime qui ressemblerait davantage à celui de Singapour), exercerait plus d’attrait en Asie de l’Est et dans le reste du monde, tout comme un modèle de type hong‑kongais (où un tiers des membres de l’exécutif sont nommés, un tiers viennent de circonscriptions fonctionnelles et un tiers sont élus). Tel qu’il est à l’heure actuelle, le régime politique chinois ne fait pas d’adeptes à l’échelle internationale.
Un deuxième participant a demandé si la géographie ou des variantes régionales entrent en jeu dans la réceptivité au modèle chinois. Le conférencier a répondu qu’il serait plus facile de transférer un éventuel modèle chinois au Moyen‑Orient et à l’Afrique, mais que l’Amérique latine ne considère pas la Chine comme un modèle, plutôt comme un marché. Un autre fait frappant qui est ressorti du sondage effectué par le Chicago Council on Global Affairs est qu’aucun pays asiatique n’exerce une puissance douce en Asie. En revanche, la puissance douce des États‑Unis a obtenu une cote beaucoup plus élevée que prévu. Autrement dit, si un véritable changement de paradigme se produit et si les chercheurs étudient de plus en plus l’influence de la Chine à l’extérieur, cela ne signifie pas que la Chine exerce une puissance douce sérieuse. Même la projection de sa puissance militaire est extrêmement limitée à l’échelle internationale, exception faite de sa capacité de cyberguerre. La Chine exerce davantage d’influence, bien qu’elle soit encore limitée, dans le secteur commercial.
Un troisième participant a demandé si les Chinois réagissaient différemment à l’approche du 60e anniversaire de la fondation de la République (1er octobre 2009), qu’ils l’avaient fait aux Jeux olympiques de 2008. Le conférencier a répondu que leur réaction était totalement différente. Alors que la population avait exprimé sa joie et sa fierté nationale en 2008, cette année, le sentiment général à Beijing en était un d’apathie et d’ennui face aux préparatifs.
On ne peut que se demander quels mécanismes permettraient à la société chinoise de générer une puissance douce sérieuse et ensuite de la projeter, compte tenu de la situation politique actuelle dans le pays.
Réalités intérieures chinoises
Tibet, Xinjiang et minorités
La population de la Chine est presque homogène sur le plan ethnique. D’après les estimations, elle est composée à 92 % de Han. Malgré la diversité régionale, culturelle et linguistique qu’elle peut offrir, il est clair que cette ethnie domine la scène politique et économique en Chine.
Des 55 nationalités minoritaires de la Chine, représentant 8 % de la population totale, deux retiennent davantage l’attention depuis quelques années : les Tibétains et les Ouïghours. Le Tibet et le Xinjiang, où se trouvent la plus forte concentration de Tibétains et de Ouïghours, respectivement, vivent des réalités différentes. Par exemple, les Ouïghours sont une minorité à l’intérieur d’une région autonome, alors que les Tibétains constituent la vaste majorité de la population du Tibet, mais que la plupart des Tibétains de Chine vivent à l’extérieur des frontières de leur région autonome (dans les provinces voisines). La situation au Xinjiang – caractérisée par une répartition extrêmement complexe des groupes ethniques – complique la tâche des gouvernements étrangers qui cherchent à influer sur les droits des minorités dans la province.
La situation des deux minorités présente aussi des similitudes. La politique de bilinguisme de Beijing a marginalisé la langue ouïghoure et menacé la tibétaine. Les tensions ont monté au Xinjiang parce que les Ouïghours sont aussi marginalisés sur le marché du travail, et que la concurrence pour les postes entre Han et Ouïghours est aussi vive juste à l’extérieur de la région autonome. Au Tibet, l’économie urbaine de Lhassa a provoqué une migration spontanée de Han. Ils sont maintenant majoritaires à Lhassa, et les meilleurs postes sont offerts à ceux qui parlent mandarin.
Le gouvernement chinois pourrait prendre des mesures pour aider à apaiser les tensions en attribuant le poste de secrétaire du parti à un membre d’une minorité ethnique de la région autonome. Les postes de président dans les deux régions autonomes sont déjà comblés de cette façon.
Les craintes de Beijing face aux deux régions autonomes peuvent être séparées en deux catégories. La première est liée à la préoccupation générale de Beijing pour la stabilité sociale et politique. Le gouvernement central craint les conséquences de l’agitation ethnique et de la fragmentation politique. La deuxième est fondée sur la réalité que ces minorités vivent dans deux des parties les plus stratégiques du pays. Le Xinjiang joue un rôle essentiel dans la géopolitique du pétrole dans la région, tandis que le Tibet joue un rôle essentiel dans la géopolitique de l’eau.
Beijing et des puissances étrangères, dont le Canada, ont des intérêts directs dans la stabilisation de la situation au Xinjiang. Comme l’approvisionnement en énergie des marchés chinois passe par cette province, sa stabilité est un pilier de la sécurité énergétique de la région et du monde. Le refus de satisfaire aux demandes des Ouïghours pourrait donner lieu à des actes de violence politique, ce qui nuirait à tous les intéressés.
Le plateau tibétain est la source de bon nombre des plus grands réseaux fluviaux du monde et est au cœur de ressources vitales pour les peuples du monde. Les répercussions du changement climatique sur les réseaux fluviaux pourraient avoir des conséquences pour plus de deux milliards de personnes qui vivent en aval.
Mouvements sociaux dans la Chine contemporaine
Des considérations d’ordre méthodologique peuvent nuire à la compréhension qu’ont les observateurs des mouvements sociaux dans la Chine contemporaine. Les chiffres indiquent une augmentation régulière du nombre d’incidents en Chine au cours des dernières années, mais il existe très peu d’informations plus précises sur la nature des mouvements, leurs demandes ou les conséquences des événements.
Des préjugés et des idées préconçues peuvent nuire à la lecture que font les observateurs de la contestation sociale en Chine. Les médias chinois tentent surtout de limiter l’impact des manifestations et utilisent les événements à des fins politiques. De leur côté, les médias occidentaux ont tendance à dépeindre les manifestations sous le seul éclairage des pressions pour un changement de régime; ils sont enclins à voir derrière chaque manifestation un objectif politique unificateur d’instaurer la démocratie. De plus, les médias occidentaux présentent surtout les manifestations comme une lutte entre deux camps radicalement opposés, le gouvernement central étant décrit comme réagissant à la société civile. Très peu de journalistes étrangers ont envisagé la possibilité, par exemple, que différents groupes de manifestants se battent l’un contre l’autre.
Il faut aller au‑delà de ces analyses médiatiques et s’abstenir de voir les manifestations automatiquement comme des efforts pour renverser le régime. Dans la Chine d’aujourd’hui, les chercheurs ne peuvent pas distinguer le « pouvoir » de la « société ». En fait, l’État‑parti chinois n’a pas de position uniforme sur les mouvements de protestation. Les différences entre les mouvements de protestation sont aussi frappantes : résidents de la campagne et de la ville manifestant contre la pollution, citadins manifestant contre des violations liées à la propriété, propriétaires manifestant contre les travailleurs migrants, travailleurs de l’État manifestant contre la privatisation, fermiers manifestant contre la confiscation de terres, etc. Il n’existe, à l’heure actuelle, aucune raison convaincante de voir une convergence dans les mouvements de protestation. Il existe davantage de raisons de les voir comme opposés les uns aux autres à de nombreux égards.
La mise en œuvre graduelle de la règle de droit n’empêche pas certains groupes de rivaliser pour l’adoption de politiques précises. Par exemple, les propriétaires réussissent généralement mieux que les travailleurs migrants à obtenir un changement au niveau municipal.
La distinction entre pouvoir et société est floue et changeante en Chine. Les demandes de la plupart des manifestants sont en accord avec les règlements existants et sont formulées conformément à la politique et au discours officiels. L’opposition ne se situe donc pas entre le pouvoir et la société, mais entre les bureaucraties locales et centrales.
Les membres du Parti communiste chinois ont des opinions divergentes sur les manifestations. Certains disent qu’elles devraient être carrément réprimées, tandis que d’autres soutiennent qu’elles devraient être normalisées sous des formes plus acceptables. Cela témoigne d’un équilibre entre les dirigeants qui défendent les droits à la manifestation et ceux qui les nient. Les rôles s’entremêlent aussi souvent : on voit de plus en plus de membres de la classe moyenne jouer un rôle médiateur entre les manifestants et le PCC ou encore des membres du parti entrer dans le système ou en sortir, en manipulant le parti ou en étant manipulés par lui.
Bref, il n’existe pas deux camps – le pouvoir et la société civile – luttant l’un contre l’autre. Nous sommes plutôt en présence d’un champ de bataille complet de tensions sociales en cours de règlement et de frictions perpétuelles entre les partisans de deux conceptions d’une société stable : ceux qui aspirent à une société marquée par une absence totale de conflit et ceux qui estiment que les conflits sont harmonisés dans une société idéale.
S’il existe un consensus entre les manifestants, cependant, c’est de ne pas changer le régime actuel, de créer et de ménager de l’espace pour manifester, et d’établir des mécanismes de recours ancrés dans les lois et les règlements. La perspective de la démocratie et d’un système électoral populaire est perçue comme un facteur de désordre par les manifestants eux‑mêmes.
Réponses aux défis environnementaux
Si l’on examine les récentes initiatives de gestion de l’environnement du gouvernement chinois, y compris sa reconnaissance des lacunes du modèle de développement actuel, on est tenté de croire qu’il prend des mesures adéquates pour résoudre la crise environnementale à laquelle il fait face. C’est peut‑être partiellement vrai, mais il faut se rappeler l’importance de la crise environnementale en Chine à l’heure actuelle pour comprendre l’ampleur des problèmes auxquels elle fait face. Ainsi, la Chine perd de 8 % à 15 % de son produit intérieur brut (PIB) annuellement à cause de la pollution (selon des estimations de 2006), si l’on exclut les dépenses en santé; 60 % des eaux de ses fleuves et 71 % des eaux de ses lacs ne sont pas potables; le tiers des habitants des villes respirent un air malsain.
La réaction de la Chine a été décidée principalement par le système traditionnel de commandement et de contrôle, et comprend des efforts de réglementation considérables. La phase de mise en œuvre n’a cependant pas été efficace et ce, pour de multiples raisons. Premièrement, le ministère de la Protection de l’environnement nouvellement créé n’est pas un ministère fort et souffre d’un manque de financement. Il incombe donc aux bureaux de protection de l’environnement (BPE) locaux de trouver les fonds nécessaires pour prendre des mesures environnementales, auxquels le gouvernement central peut suppléer pour atteindre des objectifs précis, ce qu’il ne fait que rarement par contre. Ce manque de crédits directs est aussi lié au fait que la protection de l’environnement ne fait pas explicitement partie des objectifs d’une « société harmonieuse » énoncés par Hu Jintao, qui sont axés sur le développement économique assorti d’une plus grande équité sociale. Si les gouvernements locaux sont sensibles aux pressions « d’en bas », les revendications sont axées sur les besoins économiques de base. S’ils sont sensibles aux pressions « d’en haut », les directives mettent l’accent sur le développement et la stabilité sociale, pas sur les préoccupations environnementales. Ces dernières sont ainsi relativement banalisées, malgré les efforts de réglementation.
La courbe de Kuznets prédit que la situation environnementale d’un pays s’améliore lorsque les niveaux de richesse franchissent un certain seuil. Si c’est exact, la Chine pourrait se concentrer exclusivement sur l’augmentation de son PIB par habitant. Cependant, la difficulté dans le cas de la Chine c’est qu’une éventuelle stratégie de développement qui ne tiendrait pas compte des problèmes environnementaux détruirait tout simplement la planète à un moment donné.
Les dirigeants et la société civile reconnaissent avoir tous deux intérêt à voir à ce que les problèmes environnementaux soient réglés. Ils semblent en ce sens partager un objectif.
Il serait possible d’envisager un rôle constructif pour les organisations non gouvernementales de l’environnement (ONGE) de la Chine. En partie parce que le gouvernement central sait que la communauté internationale est plus susceptible que ne le sont ministères et agences du gouvernement de financer des ONG chinoises, qui peuvent servir d’exutoires dans une certaine mesure au niveau local, les ONGE seraient une bonne façon pour la communauté mondiale d’avoir une incidence positive sur la situation environnementale en Chine. Tant que les ONGE adopteraient une position de coopération à l’égard de l’État chinois, cette façon de procéder pourrait aider à atteindre les objectifs environnementaux de l’État. À l’heure actuelle, les ONGE demeurent solidement contrôlées par l’État et leurs moyens sont limités. Cependant, comme l’environnement de la Chine continue de se détériorer, il faudra repenser les mesures incitatives. Le soutien international des ONGE peut revêtir la forme de financement, de transferts technologiques et de formation. Les ONGE chinoises tireraient également avantage d’une couverture dans les médias internationaux, parce qu’elle leur assurerait une légitimité et une reconnaissance qui feraient qu’il serait difficile pour le gouvernement chinois de ne pas en tenir compte.
Discussion
Un participant a demandé si la dynamique de la réaction du gouvernement aux crises du Xinjiang et du Tibet pouvait avoir des répercussions systémiques, qui touchent l’ensemble du pays. Autrement dit, pourrait‑il y avoir un risque de contagion? Les griefs exprimés par différents groupes pourraient‑ils amener les Chinois han à s’unir pour faire valoir leurs propres griefs? Un conférencier a répondu que les Han manquent clairement d’empathie pour les Ouïghours et les Tibétains. De plus, le Tibet et le Xinjiang peuvent difficilement être mis dans le même panier. La relation affective avec le Tibet, associée à une opinion favorable du bouddhisme dans la société en général, n’existe pas à l’égard du Xinjiang par exemple.
Lorsqu’il s’est fait demander s’il considère le secteur privé comme un intervenant important dans la lutte des ONGE chinoises contre les changements environnementaux, un conférencier a répondu que le secteur des entreprises est mobilisé à certains niveaux, mais que le pays souffre de graves problèmes au niveau local qui nécessitent davantage d’appuis. Il est essentiel de faire découvrir les ONGE à la communauté internationale, parce que celle-ci les immuniserait en partie contre les pressions de Beijing en les faisant connaître. Il serait aussi utile de soutenir des projets‑pilotes : les usines voudront se lancer dans les projets qui sont assortis d’incitatifs technologiques. Ce serait plus efficace que de simplement fournir des capitaux. Par ailleurs, il est plus onéreux pour un gouvernement soucieux de la qualité de l’environnement d’éliminer les 5 % de pollution résiduelle dans une entreprise occidentale (comme une usine au Canada) que d’éliminer 95 % de la pollution produite par une entreprise comparable en Chine. Cela s’explique par le fait que la technologie actuelle pour régler cette première tranche est efficiente. S’il existe une véritable volonté mondiale de réduire la pollution généralement, se concentrer sur ce « 95 % » représente donc un meilleur investissement.
Un participant s’est dit d’avis que, dans certains cas, une plus grande couverture pourrait aller à l’encontre du but recherché par les ONGE chinoises. Le conférencier lui a répondu qu’il faut étudier la situation de chaque ONGE séparément : les représentants de l’organisation sont les mieux à même de dire clairement comment ils souhaitent être dépeints dans les médias internationaux. Un autre conférencier a ajouté qu’en Union européenne, la situation environnementale avait commencé à s’améliorer lorsque les ONG se sont mises à collaborer avec l’État. L’étape finale est celle de l’intégration, pour ainsi dire, de ces ONG dans les structures officielles du gouvernement européen. Il serait effectivement utile de disposer de davantage de comparaisons entre la situation de la Chine et celle d’autres pays industrialisés.
Débats économiques en Chine et impacts futurs sur l’ordre mondial
Élaboration des politiques économiques en Chine
Les spécialistes occidentaux ont tendance à décrire l’élaboration des politiques en Chine comme un exemple d’autoritarisme fragmenté (fragmentation verticale et horizontale) et d’autoritarisme pragmatique (processus rationnel d’élaboration des politiques). L’interprétation des Chinois est différente, spécialistes et érudits jouant un rôle important dans la présentation d’idées aux dirigeants chinois. Cette vision a contribué à définir le concept actuel du PCC de « l’élaboration démocratique et scientifique des politiques » (méthode de prise des décisions politiques après consultation des « spécialistes »). La réalité se situe probablement quelque part entre les deux. Lorsque, comme c’est le cas en Chine, le processus graduel et décousu d’élaboration des politiques devient plus résolu et empirique, les idées se retrouvent en plein centre.
Les idées sont davantage au cœur de l’élaboration des politiques en Chine depuis qu’un processus d’institutionnalisation et de normalisation a été mis en branle il y a une vingtaine d’années. Lorsque Deng Xiaoping a pris le pouvoir en 1978, il a instauré des mesures pour professionnaliser la structure de l’État‑parti, et des gens plus jeunes et plus instruits ont été promus pour remplacer les idéologues du parti. L’application d’un processus semblable à l’armée a eu un effet de stabilisation. Une différenciation fonctionnelle plus claire entre le parti, l’État et les entreprises d’État s’en est suivi. La quatrième génération de chefs du parti, dirigée par l’équipe Hu Jintao-Wen Jiabao, a mis l’accent sur « l’institutionnalisation, l’officialisation et l’uniformisation des procédures de la démocratie socialiste » ainsi que sur le renforcement de la démocratie au sein du parti.
On constate en Chine l’émergence d’un système de consultation fondé sur les institutions existantes. Par exemple, l’Assemblée populaire nationale (APN) est maintenant considérée comme un endroit où les différends stratégiques sont arbitrés, plutôt que validés comme c’était le cas par le passé. Des groupes de réflexion participent au processus d’élaboration des politiques; ils recueillent des données, les présentent de façon attrayante et les envoient au gouvernement, et ils essaient d’influencer le processus d’élaboration des politiques. De plus, une multitude de liens s’établissent entre des étrangers ayant des compétences spéciales et le gouvernement chinois, y compris des ONG. Il y a constamment des conférences, et des spécialistes communiquent avec les dirigeants sur certaines questions. Les observateurs peuvent donc difficilement présumer comment le gouvernement chinois voit ses propres problèmes.
La Chine a également des défis de taille à relever, dont une diminution éventuelle de la légitimité du PCC, diverses questions relatives au travail, l’aggravation de la pollution environnementale, la corruption et des disparités croissantes. Deux courants intellectuels en Chine essaient de s’y attaquer. Ils sont essentiellement en désaccord sur la question de savoir si le rythme des réformes doit être ralenti ou, au contraire, accéléré. Ces deux visions divergentes sont souvent décrites comme celles de la nouvelle gauche et des néolibéraux, quoique la réalité comprenne plusieurs nuances de gris.
En fait, de multiples équilibres ont été créés (entre populistes et partisans de la croissance, entre technocrates et politiciens, etc.) qui ont débouché sur des démarches stratégiques plus centristes. Un grand nombre de courants de pensée s’incarnent dans les nouvelles orientations stratégiques (les concepts du « développement scientifique » et de la « société harmonieuse »), l’objectif étant de concilier développement économique et social.
La réforme et le processus connexe se sont poursuivis malgré le ralentissement économique causé par la crise financière de 2008. L’idée d’un « nouveau pacte » mise de l’avant par Hu Jintao et Wen Jiabao prévoit davantage d’attention à la campagne et aux services sociaux ainsi qu’un développement plus durable sur le plan environnemental. Les mesures de stimulation de 2008 témoignent de cette démarche exhaustive et équilibrée, les investissements ayant été répartis entre l’infrastructure et les dépenses relatives aux programmes sociaux. En réalité, certaines règles ont été mises en œuvre depuis la crise pour veiller à ce que les investissements de l’État soient dirigés vers la demande intérieure et l’amélioration des services sociaux.
Cette nouvelle démarche plus équilibrée a des répercussions concrètes. Les spécialistes internationaux ont accès aux réseaux informels de spécialistes chinois, et il est possible d’influencer les débats tenus en Chine de nos jours.
Diplomatie du crédit de la Chine
Dans le sillage de la crise financière mondiale de 2008, la Chine a décidé de consentir des prêts de plusieurs milliards de dollars à des producteurs d’énergie aux prises avec des difficultés en échange d’un accès à leurs ressources énergétiques. Ce n’était pas la première fois qu’elle accordait de tels prêts, mais ceux de 2009 étaient différents par leur taille, leur nombre et leur fréquence à l’intérieur d’une période relativement courte. Il était clair qu’il s’agissait d’une stratégie.
Deux facteurs méritent que l’on s’y attarde en ce qui a trait aux accords qui ont été signés jusqu’ici entre la Chine et des emprunteurs de partout dans le monde. Premièrement, la Banque chinoise de développement (CDB) finance la plupart de ces accords; deuxièmement, la majorité des prêts ont été consentis à des sociétés pétrolières nationales. Les prêts accordés en 2009 s’élèvent à un total de plus de 50 milliards de dollars américains et touchent plusieurs pays, dont le Brésil, la Russie, le Kazakhstan et le Turkménistan. Le prêt russe est probablement le plus important d’entre eux.
Étant donné l’effondrement du prix du pétrole au cours des six derniers mois de 2008 et le tarissement des mouvements mondiaux de capitaux, de nombreux producteurs de pétrole se sont retrouvés à court de capitaux. Ils doivent maintenir leurs programmes d’investissement, rembourser leurs dettes ou surmonter leur crise bancaire intérieure. Cependant, bon nombre de ces pays veulent aussi rester maîtres de leurs sociétés pétrolières nationales et, par conséquent, sont réticents à faire appel à des sociétés pétrolières privées mondiales. C’est ainsi que la crise financière mondiale a fourni des occasions à la Chine.
Il est essentiel de comprendre qui est Chen Yuan, le gouverneur de la CDB, pour comprendre le rôle de cet organisme dans les politiques de prêts contre pétrole de la Chine. Le but de la CDB pourrait être résumé ainsi : soutenir de manière enrichissante les intérêts de l’État, objectif rendu de plus en plus clair après l’arrivée Chen Yuan à la tête de la banque. Sa relation avec l’ancien premier ministre Zhu Rongji, qui l’a nommé et lui a confié le mandat de réduire la proportion de prêts non rentables (PNR), et sa filiation avec Chen Yun, un des plus éminents membres de la première génération de dirigeants de la Chine, lui ont conféré la stature nécessaire pour transformer la banque en un organisme plus commercial. Effectivement, la proportion de PNR de la banque a nettement diminué depuis son arrivée en 1998. Principal bailleur de fonds des grands projets d’infrastructure nationaux, la CDB se concentre aussi de plus en plus depuis quelques années sur la sécurisation de l’approvisionnement en énergie et en ressources naturelles de la Chine. Ainsi, elle a financé beaucoup de grands projets miniers et énergétiques à l’étranger. Par exemple, elle était le principal bailleur de fonds de Chinalco pour l’acquisition initiale d’une participation de 9 % dans la société minière Rio Tinto en 2008.
La demande de pétrole de la Chine a augmenté considérablement et devrait encore croître (p. ex. l’Agence internationale de l’énergie prévoit que, d’ici 2030, les importations de pétrole de la Chine représenteront 75 % de sa consommation totale). Ces ententes s’inscrivent dans le cadre de sécurité énergétique à long terme de la Chine. La plupart des accords pétroliers dans le monde sont habituellement pour de courtes périodes, mais la Chine signe des accords d’une durée de 10 et de 20 ans. Elle a signé une entente de 20 ans avec la Russie pour 300 000 barils de pétrole par jour (barils/jour) et une autre de 10 ans avec le Brésil pour 150 000 à 200 000 barils/jour. Elle a aussi conclu un autre accord important en vue de financer l’oléoduc Sibérie‑Pacifique, reliant la Sibérie orientale à la Chine. Elle a travaillé patiemment à cette entente, qu’elle considère comme une victoire dans ses efforts pour diversifier son approvisionnement en pétrole. Ces ententes aident aussi à établir de bonnes relations avec d’importants producteurs d’énergie, ce qui pourrait déboucher sur de futurs accords pour les sociétés pétrolières nationales chinoises.
Les pertes financières subies par diverses sociétés d’État d’investissement chinoises à la suite de la crise financière (p. ex. la perte de la China Investment Corporation dans Morgan Stanley ou celle de la CDB dans Barclays) sont un autre facteur important pour comprendre la récente impulsion de la Chine à accorder des prêts en échange de pétrole. Elles pourraient avoir convaincu la CDB de se concentrer sur les investissements matériels dont l’économie chinoise a besoin, comme l’énergie et les minéraux. Ces investissements s’inscrivent également dans une stratégie plus large de diversification en vue de moins dépendre des titres de créance américains.
Les répercussions géopolitiques de ces ententes sont multiples, mais les plus importantes sont peut‑être celles qui a trait aux accords conclus avec la Russie et le Turkménistan. Si la Chine accorde une importance particulière aux prêts consentis à des sociétés russes (15 milliards de dollars américains à Rosneft et 10 milliards de dollars américains à Transneft), c’est parce qu’elle a été contrariée au cours des dernières années par la lenteur de l’établissement des relations énergétiques entre les deux pays. La construction d’un oléoduc transfrontalier ne garantit pas nécessairement des relations commerciales productives, cependant. Les différends au sujet des prix, l’incompréhension et la méfiance mutuelles, la peur de la Russie de devenir un simple appendice de ressources de la Chine et les changements imprévisibles sur le marché du pétrole aggravent les incertitudes.
L’accord avec le Turkménistan est probablement le plus important de tous sur le plan géopolitique (4 milliards de dollars américains à Turkmengaz). Ce prêt aidera la China National Petroleum Corporation à consolider sa position dominante au Turkménistan et mettra bientôt la société dans une position avantageuse pour participer au développement du gisement de Yolotan Sud, qui est probablement le quatrième plus grand champ gazier du monde. De plus, le projet de gazoduc en Asie centrale qui reliera les producteurs de l’Asie centrale à la Chine (le premier tronçon doit entrer en opération en 2010 et bénéficie de capitaux de CDB) a donné aux producteurs le poids nécessaire pour exiger une hausse des prix du pétrole et du gaz qu’ils vendent à la Russie. Cela risque de rapprocher ces pays d’Asie centrale de la Chine, aux dépens de l’influence politique et économique de la Russie dans la région.
Empreinte de la Chine sur la gouvernance mondiale
La façon dont la Chine aborde les responsabilités internationales, surtout dans le secteur économique, est un aspect important du nouveau rôle qu’elle joue sur la scène mondiale. Les Chinois ont de la difficulté à faire la distinction entre les politiques économiques, géopolitiques et même intérieures. La sécurité économique et la légitimité du régime sont les deux éléments à l’origine des décisions de la Chine, et pourtant les tensions suscitées par les politiques économiques internationales de la Chine s’accentueront probablement, indépendamment de sa volonté de se ranger du côté des pays en développement ou d’apprendre les méthodes des institutions internationales (et parfois de réussir à les adapter à son avantage).
La Chine se heurte à deux contradictions de base sur le plan économique. La première est liée au statut que lui a conféré l’Organisation mondiale du commerce (OMC) de pays en développement bénéficiant d’un certain nombre de privilèges, dont le droit de protéger ses industries en croissance ou d’exercer un contrôle sur les mouvements de capitaux (privilèges qui lui ont été accordés jusqu’en 2028). Pourtant, les accords sur les quotes-parts et la protection des marchés occidentaux eux prendront fin d’ici 2015, soit beaucoup plus tôt. Selon les prévisions, le PIB de la Chine dépassera celui des États-Unis entre 2017 et 2030, ce qui créera une situation intenable dans laquelle le premier pays du monde est aussi considéré comme « en développement ». La période exceptionnelle pendant laquelle la Chine pourra protéger son développement pourrait donc être plus courte que prévue à l’origine; sa capacité de l’utiliser de façon optimale dépendra du succès de ses politiques intérieures ainsi que de sa capacité de tirer plein avantage de la fin des mesures protégeant les marchés occidentaux en 2015.
La deuxième contradiction sur le plan économique est liée à la montée éventuelle de la devise chinoise aux dépens du dollar américain. Le yuan (RMB) est une devise opaque, et 60 % de ses mouvements passent par des marchés hors‑frontière. Il est difficile de concevoir qu’il pourrait jouer un rôle monétaire de premier plan sur la scène internationale dans un avenir prévisible. Pendant ce temps, la Chine essaie de diversifier ses investissements, actuellement concentrés sur les capitaux et les bons du Trésor américains (que les bailleurs de fonds en Chine ont entassés), pour se tourner davantage vers les ressources.
Contrairement à ce que croyaient bien des Occidentaux, le passage à l’économie de marché n’a pas entraîné l’effondrement du régime politique autoritaire de la Chine. Nous sommes témoins pour la première fois dans l’histoire de la montée d’un État léniniste qui est à la fois fort et riche, peut‑être pas aussi cohérent que certains de ses admirateurs le souhaiteraient, mais certainement capable d’assurer la continuité.
Les Occidentaux s’attendaient à ce que l’économie de marché vienne à bout du régime parce qu’ils croyaient que la Chine avait un plan stratégique et une politique étrangère cohérente. C’était peut‑être juste à l’égard des relations avec l’« étranger proche » (p. ex. Taïwan), mais pas au niveau international. Si la Chine essaie de ne plus concentrer son attention strictement sur les préoccupations intérieures, pour se doter d’une politique étrangère plus claire, il faut toujours tenir compte des circonstances intérieures pour la comprendre. Du point de vue de ses dirigeants, la Chine s’ouvre effectivement vers l’extérieur, pour répondre à ses propres besoins, principalement économiques. Ainsi, les observateurs pourraient mal interpréter le revirement stratégique de la Chine au sujet de son rôle au Soudan, à moins de savoir que cette période avait coïncidé avec une augmentation du nombre de menaces pour la sécurité qui pèsent sur les travailleurs chinois au Soudan. Un raisonnement semblable peut être tenu à l’égard de la présence de la marine chinoise dans le golfe Persique. Le fait qu’elle ne communique pas du tout avec les autres puissances dans la région ne correspond pas tout à fait à la vision optimiste qu’ont les Américains du rôle des Chinois dans la région. En fait, il pourrait s’agir d’une tentative pour montrer le drapeau chinois et légitimer le déploiement de ressources chinoises de grande valeur très loin de leur zone de confort habituelle. La participation de la Chine à la mission en Afghanistan et au Pakistan est encore incertaine et dépendra de l’importance de cette mission pour la sécurité énergétique de la Chine et ses projets de développement à long terme.
Dans un certain nombre de secteurs à l’échelle internationale, la Chine se comporte vraiment comme le partenaire qui vise le plus petit dénominateur commun, et qui n’envisage certainement pas d’assumer des responsabilités majeures. C’est vrai des négociations sur le changement climatique, du cycle de négociations commerciales de Doha, de l’élargissement du Conseil de sécurité de l’ONU et du désarmement nucléaire.
La Chine est le seul pays qui a réussi à conserver son indépendance sur les questions internationales et intérieures, ce qui n’en fait pas une puissance agressive en soi. Il ne faut toutefois pas écarter naïvement toutes les nouvelles possibilités stratégiques qui s’ouvrent à elle, étant donné surtout le déclin relatif des États‑Unis.
Discussion
Un premier participant a souligné les investissements actuels de la Chine dans des pays en développement et a demandé si une pénétration semblable des marchés de l’Union européenne et des États-Unis pourrait être envisagée dans un proche avenir. Le conférencier a répondu que la Chine avait appris de l’expérience des Japonais et qu’elle faisait ses investissements discrètement. Elle conclut des accords complexes, touchant plus d’un intervenant ou d’une banque, souvent de concert avec des acteurs économiques étrangers, afin que ses investissements ne soient pas qualifiés d’achats stratégiques.
Un autre participant s’est informé du pourcentage des ententes prêts-contre-pétrole prévues qui ont été conclues cette année par rapport au total des importations futures de pétrole et de gaz de la Chine, étant donné que les échanges de la Chine avec l’Asie centrale représentent environ 1 % de son commerce extérieur. Le conférencier a attiré l’attention sur le fait que, d’ici 2030, la Chine importera environ 16 millions de barils par jour, soit l’équivalent de 70 % de sa consommation. Environ 1,4 million de barils par jour ainsi importés seront acheminés par des oléoducs, ce qui n’est pas autant que prévu. La Chine continuera de tenir à ces accords en raison des possibilités qu’ils lui offrent d’établir des relations à l’échelle internationale.
Un autre participant a demandé si les entreprises d’État chinoises sont vraiment en concurrence entre elles ou si elles se divisent le monde lorsqu’elles font des affaires. Autrement dit, se comportent‑elles davantage comme des entreprises privées ou comme des prolongements de l’État? Le conférencier a répondu que ces entreprises sont bel et bien en concurrence, contrairement à l’opinion de nombreux commentateurs chinois qui aimeraient que le gouvernement coordonne davantage leurs activités. La Commission d’État pour le développement et la réforme (CEDR) tentera de convaincre une entreprise de se retirer lorsque deux entreprises prévoient soumissionner pour la même occasion de marché.
Influence financière et monétaire montante de la Chine
La façon dont les observateurs internationaux perçoivent la Chine a changé depuis quelques années. Une tendance de plus en plus lourde se dessine dans les activités de la Chine à l’échelle internationale, qu’il s’agisse d’investissements étrangers directs (IED), de prêts bancaires, d’investissements d’État, etc. Cependant, une question demeure : dans quelle mesure la Chine est‑elle en train de devenir une grande puissance dans le système monétaire et financier international? Que pensent les analystes de la puissance et de la capacité de projection de la Chine compte tenu de son habileté politique sur le plan économique, de la persistance du système monétaire fondé sur le dollar américain et du maintien de la suprématie des institutions qui ont découlé de la Deuxième Guerre mondiale?
Certains disent que le comportement de la Chine à la suite de la crise financière de 2008 l’a exposée à des risques considérables, mais il faut aussi reconnaître que les États‑Unis ont toujours plusieurs avantages stratégiques. Pour étudier le potentiel de la Chine à titre de créancier et d’investisseur international, les observateurs doivent évaluer sa capacité sur la scène intérieure.
Pour ce qui est de la puissance de la Chine, on constate un nouveau sentiment d’autonomie stratégique et une habileté à résister aux pressions. La capacité de la Chine de résister aux demandes américaines de réévaluation de sa devise le montre bien. Ce qui est moins clair, c’est si la Chine est capable d’influencer les politiques d’autres pays. Par exemple, ses fonds d’investissements souverains peuvent‑ils influencer les États‑Unis? Il semble que non. Les États‑Unis ont beaucoup de possibilités et restent la puissance systémique dans le système monétaire et financier international. La situation est moins simple pour les pays en développement, cependant. L’influence de la Chine varie d’un pays à un autre.
Il y a des limites claires à la puissance de la Chine à titre de créancier. Par exemple, beaucoup des prêts de la Chine à l’étranger sont libellés en dollars américains. La puissance financière de la Chine n’est pas parfaitement ajustée à son influence monétaire. Compte tenu de la quantité de réserves qu’elle détient en titres de créances libellés en dollars américains, il est toujours dans l’intérêt de la Chine de soutenir le dollar américain. Dans quelle mesure l’interdépendance qui en résulte transforme‑t‑elle les intérêts de la Chine? Ce type de lien est précaire pour la Chine à long terme, et ses dirigeants en sont conscients. Le pays songe sérieusement à une diversification des devises, ce qui ne peut être fait qu’en influençant le système monétaire actuel. Beijing est sincèrement préoccupé par l’orientation future des politiques monétaires américaines.
Les autorités chinoises disent qu’il est trop tôt pour parler de l’internationalisation du yuan. Cela laisse entrevoir des luttes de pouvoir internes. Shanghaï et Hong Kong mènent des projets‑pilotes de diversification des structures financières. Comme le pays a de nombreuses bourses des valeurs mobilières, les dirigeants pourraient satisfaire la population de Shanghaï tout en poursuivant leurs expériences à Hong Kong. Il est possible d’envisager Shanghaï devenant une plaque tournante de la navigation, avec les opérations financières et les comptes de règlement commercial que cela suppose, tandis que Hong Kong serait un centre de commerce des obligations, actions et autres instruments financiers. Dans ce cas, la formule « un pays, deux systèmes » pourrait se révéler un avantage comparatif. En fait, Hong Kong et Shanghaï pourraient être bien placés pour les discussions du G20 sur la nouvelle réglementation des institutions financières. De tels essais sont conformes à la stratégie d’expérimentation graduelle de l’ancien président Deng Xiaoping.
La Chine travaille à raffermir la confiance des investisseurs internationaux et a signé de multiples accords d’échange de devises avec des partenaires internationaux et régionaux. Pourtant, le yuan se situe toujours dans le bas de l’échelle de l’influence, tout comme ses chances de devenir une monnaie de réserve. Il existe plusieurs raisons à cela. Premièrement, la Chine exerce un contrôle sur les mouvements de capitaux (même si Beijing penche vers une augmentation de la convertibilité). Deuxièmement, le pays n’a pas encore un système judiciaire digne de confiance. Si la Chine est une nouvelle puissance industrielle, elle n’est pas encore devenue une puissance monétaire.
La Chine a aussi des raisons d’être optimiste face au rôle de sa devise. Le yuan inspire une certaine confiance (en raison des réserves importantes de devises étrangères, des excédents courants, etc.). Elle possède de vastes réserves d’or, fait montre d’une grande compétitivité commerciale et a un énorme potentiel de croissance. De plus, la devise chinoise est très utile en tant que réserve de valeur parce que la Chine n’a pas conclu d’accords multipartites pour influencer délibérément la valeur de sa devise ou de celles des autres, contrairement au Japon qui a signé ce qu’on appelle l’accord du Plaza dans la deuxième partie du XXe siècle.
Bref, le processus d’internationalisation du yuan est déjà commencé dans une certaine mesure. La Chine n’a cependant pas encore de stratégie parfaitement claire. Le gouverneur de la CDB, Chen Yuan, a indiqué que le monde n’est pas prêt pour la Chine encore, et que cette dernière doit procéder lentement au cours des 10 à 15 prochaines années. Xi Jinping (vice‑président de la Chine) a repris ce message à son compte lorsqu’il a mis l’accent sur les signaux que Beijing envoie à Hong Kong : « ne pensez pas faire quoi que ce soit du jour au lendemain ».
Discussion
Un premier participant a demandé si le manque de confiance actuel entre les pays d’Asie et la Chine peut avoir une incidence sur la capacité de cette dernière de projeter sa puissance monétaire. Le conférencier a rappelé aux participants que la crise financière asiatique de 1997 avait eu un effet durable, incitant les pays à se constituer des réserves, mais aussi renforçant la détermination des Asiatiques à ne plus jamais recourir au Fonds monétaire international (FMI) au beau milieu d’une crise. Les économies asiatiques ont d’autres possibilités depuis 1997, dont l’Initiative de Chiang Mai, un système d’échange de devises. Il est difficile de mesurer le niveau de confiance dans ces accords parce qu’ils n’ont jamais été utilisés. Si les États‑Unis ont toujours un avantage normatif distinctif, la validité du modèle de réglementation anglo‑américain comme principe directeur pour toutes les économies est remise en question. C’est la raison pour laquelle les pays émergents vont exiger que les États‑Unis et le Royaume‑Uni fassent davantage d’investissements à plus long terme.
Un autre participant a demandé dans quelle mesure la Chine pourrait passer d’un rôle défensif à un rôle vraiment mondial. Est‑elle prête à assumer une telle responsabilité? Le conférencier a répondu que la Chine est consciente des défis que représentent les importants déséquilibres macroéconomiques sur la scène internationale et qu’elle est déterminée à y faire face. Cependant, il ne faut pas oublier que convaincre la Chine de dépenser davantage sur la scène intérieure ne signifie pas nécessairement davantage d’échanges avec les États‑Unis; cela peut simplement signifier davantage d’échanges internes. À bien des égards, la Chine a été un acteur responsable pendant la crise économique de 2008‑2009. Les analystes devront suivre très attentivement les négociations des prochaines années. La question la plus pressante sera de savoir si la Chine et les États‑Unis seront disposés à se soumettre aux examens par les pairs.
Horizon 2015 : Qu’est‑ce que le Canada doit surveiller?
La grande stratégie de la Chine : conséquences pour le Canada
Comme il a déjà été signalé, le paradigme occidental sur lequel se fonde l’étude de la Chine est en pleine évolution. Les mythes qui caractérisaient les relations sino‑canadiennes et selon lesquels le Canada était une source d’information pour la Chine et façonnait ainsi la relation se sont largement dissipés ces dernières années.
Un sondage d’opinion publique mené auprès des Canadiens en 2008 par la Fondation Asie Pacifique afin de connaître leur réaction générale face à la montée en puissance de la Chine témoigne de ce changement. Les résultats étaient mitigés en ce qui a trait aux questions sur la « menace » que représente la Chine d’une part et les « occasions » qu’elle présente d’autre part, mais ont révélé de façon indéniable que les Canadiens sont conscients de l’importance croissante de la Chine dans leur vie quotidienne. Par exemple, ils considèrent la puissance militaire croissante de la Chine comme une menace pour la région, mais voient bien aussi le rôle important de la Chine dans la prospérité future du Canada.
Quant à la Chine, comment perçoit-elle sa position, sa propre « grande stratégie »? Deux grands éléments ressortent. D’abord, la Chine accorde une importance primordiale à ses priorités nationales, ce qui signifie qu’elle continue de cultiver ses relations internationales et d’élaborer sa politique étrangère directement en fonction de ses besoins intérieurs. Ensuite, le maintien au pouvoir du PCC demeure une préoccupation prioritaire constante des dirigeants chinois dans l’élaboration de leurs politiques intérieure et étrangère. Ainsi, la grande stratégie de la Chine s’articule autour de trois axes : la croissance et le développement économiques soutenus; l’unité nationale et l’intégrité territoriale; son rôle dans le monde en tant que grande puissance responsable.
Ces trois axes s’articulent en parallèle avec le développement constant de la stratégie militaire de la Chine. La projection de puissance de l’armée chinoise a beaucoup augmenté, sans parler de la modernisation sélective de ses forces. La Marine de l’Armée populaire de libération (MAPL) mise sur la notion du « déni d’accès » ainsi que sur l’accroissement de sa projection de puissance. Le pays a bien compris qu’il évoluait à l’ère de la « guerre de l’information », ce qui l’a incité à étendre ses capacités en matière de cyberguerre et d’exploitation de l’espace.
L’importance que la Chine ne cesse d’accorder au développement et à la croissance économique a de nombreuses répercussions sur le Canada. Le gouvernement chinois est présent dans des régions où il n’avait jamais été (p. ex. l’Afrique, l’Amérique latine), ce qui aura des conséquences sur la politique étrangère du Canada dans ces régions. Effet encore plus direct, la Chine influe sur le cours mondial des produits de base, ce qui détermine si le Canada deviendra ou non une importante source d’exportation de ces produits vers la Chine. Le développement économique de la Chine aura également une incidence directe sur les régions périphériques du Canada si les voies navigables de l’Arctique deviennent une solution de choix pour les navires chinois. L’accès du Canada à des denrées alimentaires et des produits pharmaceutiques sûrs risque aussi de devenir une considération primordiale dans les relations sino-canadiennes, à mesure que la complexité des réseaux de production et de distribution continue d’augmenter.
L’engagement de la Chine envers la souveraineté, l’intégrité territoriale et le principe de non‑ingérence aura également des impacts directs sur le Canada. Par exemple, les dossiers du Tibet, du Xinjiang et de Taïwan demeureront sensibles, ce qui continuera d’attirer l’attention des représentants chinois et canadiens sur un ensemble de problèmes consulaires qui risquent d’inciter les autorités chinoises à surveiller des membres particuliers de la diaspora chinoise au Canada, par exemple.
De façon plus générale, la résistance de la Chine à l’institutionnalisation réglementaire dans la région Asie‑Pacifique et à l’« ingérence » ou l’intervention dans d’autres États au Conseil de sécurité de l’ONU a de vastes répercussions sur une éventuelle coopération internationale en matière de sécurité humaine.
L’émergence de la Chine en tant que puissance mondiale et régionale responsable a elle aussi des répercussions directes sur le Canada. Entre autres choses, ce dernier devient relativement moins important pour la Chine à mesure que s’accroît l’influence que celle‑ci exerce dans le monde et dans la région. La relation entre la Chine et les États‑Unis et les « compromis » mutuels qu’ils négocient auront des retombées pour le Canada, qui risque d’en venir simplement à adopter les politiques des deux géants mondiaux.
En ce qui concerne sa capacité d’influer sur les systèmes de gouvernance mondiale, le Canada devra redoubler d’effort pour demeurer un partenaire significatif, surtout dans le contexte du G8. La mesure dans laquelle il se fera entendre à l’avenir dépendra en grande partie de ses efforts afin de maintenir un cadre international qui tient compte de ses besoins. Il pourra y arriver en entretenant avec la Chine une relation axée sur l’échange d’informations sur l’élaboration de politiques mondiales importantes portant notamment sur la lutte contre les maladies, le commerce, l’environnement, les produits pharmaceutiques et les nouvelles technologies. Toutefois, en matière de sécurité, c’est la position de la Chine qui sera déterminante en fin de compte que ce soit au chapitre de la non‑prolifération (Corée du Nord, Iran, Birmanie), de la prolifération des armes légères (alimentant les conflits entre États) ou de la sécurité spatiale. Ce sera surtout évident dans le cas du contrôle que la Chine exercera sur Internet, à mesure qu’elle détournera son attention, actuellement concentrée sur des préoccupations intérieures, vers une gestion proactive de la circulation mondiale de l’information sur le Web.
Les Canadiens ont tout intérêt à ce que la Chine réussisse à bien maîtriser sa situation intérieure, puisque si elle arrive à assurer une gestion pacifique de ses tensions internes, elle aura de meilleures chances de se présenter sur la scène géopolitique comme un partenaire pacifique. Il importe de se rappeler que la Chine joue un rôle de plus en plus prépondérant dans la région et dans le monde, alors que l’influence relative du Canada diminue. Cela signifie que les décisions de la Chine sur les régimes de gouvernance mondiale auront une incidence sur le Canada, comme l’aura son inaction dans certains dossiers clés. En définitive, les relations entre sino‑chinoises continueront d’être fondées sur les échanges commerciaux et la circulation constante de ressources et de personnes.
Canada‑Chine : une relation de plus en plus complexe
Le 13 octobre 2010, le Canada célébrera 40 ans de relations diplomatiques avec la Chine. Il faut interpréter l’histoire des relations entre le Canada et la Chine sous divers éclairages. Lorsque la relation a été établie en 1970, le PIB du Canada était supérieur à celui de la Chine. C’est le contraire aujourd’hui, la Chine ayant la haute main dans ses échanges avec le Canada. Alors que la relation a été ponctuée d’ententes que nos homologues chinois n’oublient pas – les ventes de blé canadien à la Chine pendant les années 1960 en étant un exemple révélateur – elle a aussi été caractérisée par des mythes complaisants qui perdurent toujours. Il suffit de penser, par exemple, au docteur Norman Bethune, qui s’est joint aux communistes en Chine pendant la guerre sino‑japonaise et effectuait des chirurgies d’urgence sur le champ de bataille. Le docteur Bethune a fait l’objet d’un article célèbre de l’ancien président Mao Zedong, que toute une génération a été appelée à apprendre par cœur.
Pour leur part, jusqu’en 1978, les Canadiens s’étaient fait une idée romancée de la Chine, n’ayant aucune expérience ou connaissance directe de ce pays. Entre 1978 et 1989, l’ouverture de la Chine a amené de nombreuses entreprises et organisations gouvernementales à s’y intéresser. Les visites de dignitaires se sont multipliées, les milieux d’affaires ont commencé à y jouer un rôle et l’immigration de Chinois au Canada a commencé à prendre de l’ampleur. L’intérêt pour tout ce qui touchait la Chine a pris fin abruptement le 4 juin 1989. Le massacre sur la place Tiananmen a eu un effet durable sur la perception des Canadiens; leur vision simplifiée de la Chine s’est évanouie et ceux qui caressaient l’espoir d’une démocratisation du régime politique chinois ont été déçus. La diplomatie canadienne a réagi en prenant des mesures sévères quoique modérées, et le symbolisme des événements de la place Tiananmen continue encore aujourd’hui de ternir l’image du gouvernement chinois.
De 1993 à 2006, la relation s’est intensifiée : les visites officielles en Chine se sont multipliées et les milieux d’affaires ont tendu la main aux Chinois. Des problèmes consulaires de plus en plus nombreux sont venus compliquer la relation, les médias canadiens, que de telles questions intéressent tout particulièrement, ayant projeté une image de la Chine qui est peut‑être plus négative qu’elle ne l’est en réalité. La proportion croissante de Sino-Canadiens ayant la double nationalité et les liens accrus entre les deux pays peuvent créer des tensions qui doivent être gérées avec soin pour éviter les malentendus graves.
Il n’a pas été facile de concilier les perceptions divergentes au sein de la population canadienne (les médias et les milieux d’affaires en incarnent généralement deux) afin d’élaborer une politique étrangère cohérente. Il devrait être possible d’établir des liens diplomatiques forts tout en demeurant préoccupé par le respect des droits de la personne en Chine.
Les ressources naturelles continuent de représenter un aspect important des échanges commerciaux. Même si la Chine n’achète pas directement du Canada, son influence sur les prix mondiaux devrait profiter à ce dernier. Les investissements chinois dans les ressources naturelles canadiennes augmentent, mais à un rythme très lent. La première tentative d’investissement de la Chine au Canada s’est soldée par un échec. Les investissements dans les sables bitumineux de l’Alberta, par exemple, n’ont pas été aussi simples que prévu. Cela est attribuable en partie au fait que les Chinois préfèrent prendre livraison des barils de pétrole dans lesquels ils investissent, ce qui tend à compliquer la situation. Toutefois, les mérites d’une telle pratique sur le plan stratégique sont fort probablement surévalués. Fait à signaler, en ce qui a trait à un éventuel investissement dans le pétrole albertain, les principales préoccupations des sociétés d’État chinoises portent sur la réaction des États‑Unis. En définitive toutefois, compte tenu de sa politique de diversification de l’approvisionnement, la Chine sera portée à considérer le Canada comme une source d’investissement privilégiée.
De 2006 à 2008, les relations sino-canadiennes se sont détériorées. Alors que le gouvernement précédent à Ottawa avait réussi dans ses dernières années au pouvoir à établir un « partenariat stratégique » avec la Chine, le gouvernement actuel a été plus sceptique. Sa réticence était peut‑être justifiée, étant donné que la Chine avait qualifié de « stratégique » sa relation avec un groupe très éclectique de pays. En outre, une série de problèmes consulaires épineux a continué de miner la relation. Celle‑ci s’améliore toutefois. Elle est gérée avec beaucoup d’aplomb : plus de visites de haut niveau et une visite du premier ministre sont prévues. Naturellement, ce rapprochement est dans l’intérêt des deux pays. La Chine ne tirera aucun avantage d’une relation brisée à jamais à cause de problèmes consulaires ou de questions liées aux droits de la personne. En même temps, le Canada doit comprendre que la nature de la relation avec Beijing n’est plus du tout ce qu’elle était dans les années 1970.
La Chine et la géopolitique de l’environnement
La dégradation environnementale retient de plus en plus l’attention des politiciens partout dans le monde depuis une vingtaine d’années, mais la gravité des conséquences de ce phénomène semble maintenant susciter de telles inquiétudes que l’on envisage une action politique concertée. Selon un conférencier, cette situation nécessitera l’élaboration d’une stratégie mondiale. La Chine ne fait pas exception et a eu à faire face à des problèmes environnementaux particulièrement épineux provoqués par son développement économique rapide. Le conférencier a poursuivi en disant que pour mieux les comprendre et y faire face, les changements climatiques et environnementaux devaient être considérés comme des problèmes de sécurité humaine, tant en Chine qu’ailleurs dans le monde.
Si on les compare aux États‑Unis, le Canada et la Chine ont probablement adopté une approche de développement durable plus cohérente. Aussi étonnant que cela puisse sembler, la Chine est un exemple à suivre lorsqu’il s’agit de rattacher les mesures de relance économique annoncées à la suite de la crise financière de 2008 et les politiques environnementales. Ses efforts notables en vue de la réalisation des Objectifs du Millénaire pour le développement (établis sur son initiative surtout) sont eux aussi révélateurs.
La communauté internationale a tenté de faire du développement durable une partie intégrante de la géopolitique du développement. À cet égard, Beijing sait qu’il jouit d’une position de négociation favorable qui lui permettra de tirer de nombreux avantages de toute participation aux mécanismes de coopération internationaux. La Chine est très sensible aux principes du « pollueur-payeur » et de la « responsabilité commune mais différenciée », deux notions essentielles à la conclusion d’ententes environnementales internationales. Autrement dit, elle a continué d’adopter l’approche d’un pays en développement, en sachant que ses émissions augmenteront probablement, mais que les plus gros pollueurs par habitant et globalement (c.‑à‑d. les pays occidentaux industrialisés depuis longtemps et le Japon) doivent réduire les leurs immédiatement. Les décideurs chinois savent qu’ils doivent accroître sensiblement l’efficacité énergétique de leur pays, mais pour ce faire, ils veulent jouir d’un accès à faible coût aux technologies étrangères.
Trois principales raisons incitent la Chine à participer aux efforts environnementaux internationaux. Premièrement, elle comprend très bien que les changements climatiques menacent sa sécurité. Deuxièmement, elle voit des possibilités de croissance concrètes dans la nouvelle économie « verte » à faible carbone et de réelles possibilités financières découlant de la signature d’ententes environnementales internationales comme le Protocole de Montréal. Troisièmement, elle voit qu’elle peut jouer un rôle en tant que citoyen du monde responsable.
En réalité, Beijing s’intéresse à l’efficacité énergétique et aux mesures environnementales dans l’industrie à cause des avantages qu’elles lui procurent sur le plan des exportations plutôt que d’une véritable préoccupation pour le changement climatique. Il ne faut donc pas s’attendre à ce que la Chine assume un rôle de chef de file dans les questions environnementales mondiales. Toutefois, les dirigeants chinois ne se contenteront pas de simples discours, mais continueront de prendre des mesures concrètes.
Les analystes peuvent s’attendre à ce que la Chine prenne des mesures directes pour lutter contre le changement climatique, même si, à l’heure actuelle, il ne s’agit pas pour elle d’une priorité absolue et qu’elle continue d’agir dans un but intéressé, comme bien d’autres pays d’ailleurs. Par exemple, la Chine fixera probablement très bientôt des objectifs fondés sur l’intensité des émissions et envisagera d’imposer une taxe quelconque sur le carbone (se rapportant à ses exportations). Dans ce contexte, la perspective d’un « G2 » formé des États‑Unis et de la Chine aura des conséquences décisives.
Les répercussions pour le Canada sont nombreuses. La communauté internationale surveille de près l’intendance que le Canada exerce sur les ressources hydriques et foncières et ses autres ressources naturelles et l’attitude de la Chine à l’égard de celles‑ci. Les deux pays ont intérêt à apprendre l’un de l’autre lorsqu’il s’agit de traiter de ces questions et à savoir choisir le bon moment pour demander des indemnisations à d’autres pays ou d’attirer l’attention sur ces questions (p. ex. la fonte de l’Arctique pour le Canada). Quant à la pollution intercontinentale (au‑delà de l’océan Pacifique), un dialogue sérieux s’impose. Les Chinois s’intéressent aussi vivement aux méthodes de gestion urbaine durable du Canada. Lorsqu’il s’agit d’investissements et d’acquisitions de sociétés à l’étranger, les entreprises chinoises n’ont pas ce qu’il faut pour se conformer aux mesures de protection environnementale et aux règlements connexes. Par contre, c’est un domaine dans lequel les entreprises canadiennes possèdent beaucoup d’expérience.
Dans le contexte de la lutte contre le changement climatique, le Canada devrait créer des liens solides avec les États-Unis et la Chine. Une telle relation lui procurerait d’importants débouchés, étant donné la force de son secteur des technologies durables. Les questions environnementales ne seront pas toutes abordées en profondeur lors de la conférence des Nations Unies sur le changement climatique prévue à Copenhague en décembre 2009. Elle sera suivie de négociations géopolitiques intenses pendant des années, lesquelles porteront sur l’innovation de même que sur l’établissement de régimes de réglementation internationaux.
Discussion
Un premier participant a demandé comment le Canada pouvait interpréter l’essor militaire chinois dans le contexte de la montée en puissance dite pacifique de la Chine. Un conférencier a répondu que les différents pays n’étaient pas tous préoccupés par les mêmes aspects de la militarisation de la Chine. Par exemple, les préoccupations des États-Unis et du Canada sont très différentes. Les États‑Unis s’inquiètent davantage des questions nucléaires stratégiques et de la présence militaire accrue de la Chine dans la région de l’Asie‑Pacifique, alors que le Canada est plus préoccupé par la possibilité que ses forces armées aient à mener des opérations à l’étranger en présence des forces chinoises. Il s’intéresse aussi davantage aux politiques en matière de cybersécurité et de sécurité spatiale qu’à la militarisation de la Chine. On peut donc supposer sans trop craindre de se tromper que la Chine a grand intérêt à créer un environnement pacifique et stable.
Un deuxième participant a demandé si le fait de considérer la Chine comme un acteur unitaire ne compliquait pas l’analyse de la position de ce pays face aux ententes environnementales internationales, surtout que l’environnement n’est pas une des priorités majeures du gouvernement central. Un conférencier a répondu que, de toute façon, aucune des ententes conclues jusqu’à maintenant ne donnait vraiment de bons résultats (à l’exception peut‑être du Protocole de Montréal). La Chine semble étudier assez attentivement les conséquences du changement climatique, et sa participation aux discussions internationales sur l’environnement augmente indéniablement. La véritable question consiste à savoir comment transformer cette participation initiale en leadership dynamique. Il s’agit d’un point important. À moins que la Chine se perçoive comme une puissance responsable, ses actions ne donneront rien à l’échelle internationale. Selon le conférencier, le Canada peut contribuer à améliorer la capacité de la communauté internationale à élaborer des ententes multilatérales. On peut s’attendre aussi à d’importantes améliorations découlant des mesures prises par le secteur privé en Chine. Un principe demeure vrai : les pays qui ont adopté des approches de protection environnementale efficaces l’ont fait grâce à une participation importante du public. À cet égard, bien qu’il reste beaucoup à faire, les discussions publiques sur l’environnement se sont multipliées au cours des quinze dernières années.
Un troisième participant a souligné qu’après la visite en Chine d’Équipe Canada, les échanges commerciaux avec ce pays ont continué de diminuer. D’après un conférencier, deux ou trois investissements importants pourraient changer toute la dynamique des relations commerciales; les deux économies sont remarquablement compatibles, mais le défi pour le Canada consiste à trouver des moyens d’ajouter de la valeur aux produits qu’il exporte vers la Chine. Il est évident, toutefois, que le Canada ne sera plus jamais un important partenaire commercial pour la Chine.
Un autre membre de l’auditoire a demandé dans quelle mesure les dirigeants chinois croient en leurs propres discours sur la non‑ingérence. Un conférencier a répondu que la Chine est prête à faire des compromis qui portent atteinte à sa souveraineté sur le plan économique, mais qu’elle est intransigeante lorsqu’il est question de son intégrité territoriale. Un autre conférencier a ajouté que lorsque le gouvernement chinois invoque la notion de non-ingérence dans le cas de Taïwan, il y croit profondément. Il s’agit là d’une question parmi quelques autres pour laquelle il est probablement prêt à lutter.
Un cinquième participant a demandé si on assistait effectivement à une baisse alarmante de l’influence qu’exerce le Canada. Après tout, la montée en puissance de la Chine ne fait‑elle pas perdre à chaque pays son influence relative? Le conférencier a clarifié sa position en indiquant que la Chine se trouvera en position d’influence dans un contexte régional, ce qui aura des répercussions pour les Canadiens. Si l’influence relative d’autres pays diminue effectivement, bon nombre d’entre eux adoptent des stratégies plus proactives que le Canada pour améliorer leurs relations avec la Chine. Par le passé, le Canada avait des positions bien définies sur différentes questions internationales (p. ex. la non‑prolifération), mais actuellement, aucune position claire n’en émane, contrairement aux efforts récents de l’Australie. Un autre conférencier a souligné que la plupart des aspects des relations bilatérales actuelles entre le Canada et la Chine devaient être vus à travers le prisme de la relation entre la Chine et les États‑Unis.
Débat d’experts : La Chine au lendemain de la crise financière mondiale
Il est extrêmement difficile de prévoir ce que l’avenir réserve à la République populaire de Chine, même dans cinq ans. C’est d’ailleurs un sujet qui suscite des débats des plus contradictoires. D’une part, certains analystes pensent que la Chine a géré les séquelles de la crise financière mondiale avec doigté et de façon constructive. D’autre part, des commentateurs croient que la Chine a été irrémédiablement affaiblie par la crise et sont pessimistes face à sa capacité de devenir une superpuissance économique solide.
Perspective optimiste
Comme l’a démontré un conférencier, le premier groupe soutient qu’une forte reprise est en cours en Chine et que celle‑ci sera la première économie mondiale à se remettre sur la voie de la croissance à long terme. Le gouvernement chinois a commencé à appliquer une politique expansionniste en septembre 2008 tout en occupant une position assez avantageuse. La Chine avait accumulé d’énormes ressources financières après des années d’excédents courants, et la banque centrale chinoise disposait d’une importante marge de manœuvre.
Si le crédit à la consommation baisse toujours dans les pays occidentaux, les banques étant appelées à respecter des normes relatives aux ratios de suffisance du capital, le niveau d’endettement en Chine demeure très bas. Alors que les banques américaines ont adopté un plan de désendettement, le contraire se produit en Chine, où les ménages s’endettent davantage. La dette du gouvernement chinois n’est pas très élevée non plus, à la différence des États-Unis. La viabilité budgétaire de la Chine est très élevée, le déficit du gouvernement atteignant à peine 3 % ou 4 %. Le gouvernement américain devra finir par hausser les impôts ou réduire les dépenses, ce qui aura une incidence sur son potentiel de croissance, alors que de façon générale, la Chine est en bien meilleure position.
Certains dénoncent le plan de reprise de la Chine en indiquant que les investissements ont surtout été orientés vers l’industrie et que les Chinois tentent effectivement de poursuivre une stratégie de croissance axée sur les exportations et non nécessairement de stimuler la demande intérieure. Rien ne permet toutefois de corroborer ces affirmations. Le gouvernement chinois a augmenté de façon exponentielle ses dépenses sociales. Il a doublé les dépenses en santé en 2008, par rapport à 2006, et les a majorées d’un autre 45 % depuis le début de 2009. Il vise à établir d’ici 2011 un régime de soins de santé accessible à 90 % de la population. En outre, à moyen et à long terme, il ne semble pas envisager d’injecter des sommes massives dans le secteur manufacturier. Les chiffres indiquent que ce secteur est faible et que la rentabilité a baissé, ce qui confirme que les investissements n’augmentent pas. L’excédent courant est passé de 5 % ou 6 % à environ 4 % à la fin de 2009. Cela signifie que la Chine ne jouira plus de la croissance axée sur les exportations qu’elle avait connue avant la crise.
D’autres dénoncent le fait que le plan de reprise procure au bout du compte des avantages au gouvernement. Il est vrai que les grands projets d’infrastructure sont souvent des initiatives gouvernementales, mais le plan cible aussi d’autres secteurs, comme le logement. La reprise chinoise sera durable. On peut s’attendre à ce que le taux de croissance atteigne 8 % ou 9 % au cours des années à venir.
À plus long terme, il se pourrait, au sens le plus strict, que la Chine soit le seul pays à avoir profité de la crise financière. La croissance de son PIB est peut‑être plus lente, mais sa confiance a augmenté sensiblement. La situation rendra aussi la relation entre la Chine et les États-Unis plus symétrique, ce qui est sans doute positif. La Chine a réagi à la crise en se conformant entièrement aux directives de l’Organisation mondiale du commerce (OMC). Elle respecte les règles du jeu.
En ce qui a trait aux réformes économiques intérieures, sans doute le plus important domaine dont il faut tenir compte, la structure de propriété des entreprises se transforme progressivement. L’État a réussi à conserver la mainmise sur la plupart des ressources, à maintenir une devise sous-évaluée pendant au moins cinq ans et à fixer constamment les prix de ses ressources énergétiques, hydriques et naturelles à des niveaux inférieurs au prix du marché. Toutefois, cette situation continuera d’évoluer. D’ailleurs, la récente réforme influant sur le prix du pétrole illustre cette tendance. Il faut également s’attendre à une réforme des taux d’intérêt, question qui retient à nouveau l’attention, et à une forte appréciation de la devise.
Selon le conférencier, d’ici 2015, la Chine aura une économie de marché sensiblement plus évoluée et jouera un rôle plus constructif sur le plan économique à l’échelle internationale.
Perspective sceptique
Par contre, il y a ceux qui croient que les conditions économiques à l’origine de la croissance spectaculaire en Chine n’existent plus. Comme l’a expliqué un autre conférencier, selon les tenants de cette opinion, de la fin de la guerre froide jusqu’à la crise financière de 2008, les politiques de « réforme et d’ouverture » de Deng Xiaoping avaient suffi à générer une croissance en Chine parce que le monde entier jouissait d’une période de croissance pratiquement sans précédent et les barrières commerciales avaient été éliminées. Mais, selon ce même conférencier, le modèle économique chinois n’est pas bien adapté aux conditions économiques mondiales actuelles. L’économie de la Chine dépend beaucoup des exportations. Il n’existe aucune raison valable de croire que la Chine redeviendra inévitablement une puissance économique.
La demande mondiale est encore en baisse. L’économie mondiale se contractera cette année pour la première fois depuis la Deuxième Guerre mondiale et le volume des échanges commerciaux internationaux diminuera dans une mesure jamais vue en 80 ans. Les États-Unis et la Chine continuent de se dissocier, et les tentatives du président américain Barack Obama pour stimuler les exportations américaines risquent d’envenimer les différends commerciaux. Les pays ayant les excédents courants les plus élevés ont tendance à être frappés les plus durement par les crises. Les exportations chinoises, qui ont chuté tous les mois depuis novembre 2008, continueront de ralentir, et la demande mondiale ne sauvera pas l’économie chinoise comme ce fut le cas après la crise financière asiatique de 1997. Selon le conférencier, la Chine pourrait même se mériter un autre superlatif, soit celui d’économie en contraction la plus rapide au monde.
La fiabilité des statistiques est un élément qui complique l’analyse de l’économie chinoise. En fait, au cours du dernier trimestre de 2008, la croissance a fort probablement été nulle ou négative, s’établissant à -1 % ou -2 %, ce qui est de beaucoup inférieur au taux de 6,8 % indiqué par le gouvernement chinois. Au cours du deuxième trimestre de 2009, le taux de croissance a probablement été d’environ 3 % ou 4 % et non de 7,9 %, comme l’a annoncé Beijing. Pour la première moitié de 2009, le gouvernement chinois a affirmé que le PIB avait progressé de 7,1 %. Cela est difficile à croire si l’on examine d’autres statistiques : au cours de la même période, les exportations ont chuté de 21,8 % et, fait peut‑être encore plus important, les importations ont reculé de 25,4 %, alors que l’investissement direct à l’étranger (IDE) a baissé de 17,9 %, les recettes fiscales, de 6 %, et la production d’énergie, de 1,7 %. Les polluants atmosphériques et les revenus du gouvernement étaient également à la baisse. Les seuls indices à la hausse étaient les défauts de paiement des cartes de crédit et le chômage. Les autorités chinoises affirment qu’elles ne peuvent pas encore mettre fin à leur programme de stimulation économique. Comme l’a souligné le conférencier, tout porte à croire que les projections de croissance de la Chine, établies à 7,9 %, ne sont crédibles.
Les mesures de stimulation du gouvernement ont favorisé les grandes sociétés d’État, qui ont obtenu des fonds par l’entremise des banques d’État, et les projets d’infrastructure parrainés par l’État. Si la privatisation est à l’origine de la croissance qu’a connue la Chine au cours des dernières décennies, Beijing est maintenant en train de renationaliser l’économie. La croissance du crédit a été phénoménale. Les prêts approuvés par l’État ont créé des fonds superflus, ce qui a donné lieu à des hausses artificielles des marchés boursiers et a contribué à alimenter l’industrie des jeux d’argent de Macao. De tels emprunts forcés entraîneront sans doute une hausse marquée de la corruption et des prêts irrécouvrables et nuiront à la viabilité économique des projets financés. Aucune économie inondée par un volume trop élevé de liquidités ne peut échapper à des problèmes sérieux.
Le seul espoir serait que la Chine arrive à orienter son économie vers la consommation intérieure plutôt que les exportations. Toutefois, les mesures de stimulation n’étaient pas destinées à la consommation privée. La plupart des plans visaient plutôt l’infrastructure et la capacité industrielle. La consommation représentera donc une part encore plus infime de l’économie chinoise. Après avoir atteint une moyenne historique de 60 %, elle a chuté à environ 20 % en 2007, soit le taux le plus faible au monde. Elle continue de reculer à mesure que le gouvernement augmente la production industrielle et les exportations. La décision de Beijing en 2008 d’ancrer le yuan au dollar américain constitue un revirement des réformes monétaires antérieures et nuira encore davantage à la consommation intérieure. Beijing a annoncé qu’en août 2009 les ventes au détail avaient progressé de 15,4 %, que les prix avaient chuté dans l’ensemble de 1,2 % et que la mesure M2 avait augmenté de 28,5 %. Comment la Chine peut‑elle avoir une base monétaire en progression et des ventes au détail en hausse lorsqu’elle est en situation de déflation? Le conférencier a insisté sur le fait que quelque chose ne tournait vraiment pas rond dans l’économie chinoise.
La Chine réussira peut‑être à enregistrer une croissance pendant une année ou deux, mais les observateurs devraient s’attendre à ce que l’économie chinoise se contracte d’ici le milieu de 2010. La croissance des récentes années a masqué les bouleversements de l’économie, notamment au chapitre environnemental et démographique. Au bout du compte, la nature du régime politique chinois demeure l’obstacle le plus important aux réformes structurelles. Le régime bloque toute tentative d’adaptation.
Depuis 1992, le PCC fonde sa légitimité sur la croissance soutenue. Devant le ralentissement de l’économie chinoise, les dirigeants seront progressivement portés à compter sur le nationalisme, à fermer leur économie et à recourir au mercantilisme. Selon les experts, la Chine se stabilise, mais on constate que les activités de protestation sociale se multiplient et deviennent plus importantes et plus violentes. Elle a maintenant atteint la crête de la vague, mais d’ici la fin de 2010, sa situation risque de s’être détériorée de façon radicale.
Discussion
Un participant a demandé si les dirigeants chinois se serviraient de la crise pour apporter d’importants changements, plutôt que de se contenter de solutions à court terme susceptibles d’avoir des effets négatifs à long terme. Un conférencier a expliqué que les divergences d’opinions entre les dirigeants chinois étaient représentatives de leurs points de vue sur l’économie mondiale : certains croient que la mondialisation est au point mort, mais ne régresse pas pour autant. Il a soutenu que les signes de protectionnisme commercial ne représentaient pas une tendance à long terme. On assistera probablement au cours des prochaines années à un renforcement du flux des capitaux et à une reprise des échanges commerciaux. Si ces prévisions ne se concrétisent pas, il est évident que les perspectives pour la Chine seront beaucoup moins encourageantes que prévu.
La Chine a besoin d’une reprise du commerce mondial. Comme le gouvernement chinois ne s’attend pas à ce que les consommateurs américains reprennent leurs habitudes de consommation d’avant crise, ses efforts pour rééquilibrer son économie méritent d’être loués. Comme la devise chinoise est ancrée au dollar américain, la récente appréciation de ce dernier a donné lieu à une appréciation simultanée du yuan. Au bout du compte, à la sortie de la récession, la Chine enregistrera un taux de croissance plus soutenable et non le taux spectaculaire de 13 % enregistré en 2007 ou les taux tout aussi impressionnants des années précédentes. Un autre conférencier a rétorqué que l’an dernier, la croissance économique en Chine avait été fondée exclusivement sur le crédit du gouvernement. Ce dernier a réagi rapidement à la crise de 2008, mais certaines des mesures qu’il a adoptées n’étaient pas appropriées. Depuis novembre 2008, Beijing a injecté l’équivalent de deux billions de dollars américains dans l’économie, et la sortie de ce qui risque de devenir une bulle de crédit artificielle ne sera pas facile. Entre-temps, d’autres économies asiatiques augmentent leurs réserves de dollars américains afin de déprécier leurs devises et devenir ainsi plus concurrentielles avec la Chine, signe d’une possible guerre commerciale régionale. Il faut s’attendre à ce que la Chine prenne des mesures antidumping, vu l’application de tarifs sur les produits américains, ce qui entraînera une baisse générale des échanges commerciaux entre les deux pays.
Un autre participant a demandé dans quelle mesure le plan de stimulation économique de la Chine avait porté sur les dépenses sociales. Un conférencier a répondu qu’il y avait effectivement eu une augmentation générale des dépenses de santé. Un autre conférencier a répondu que les habitudes de consommation de la population ne changeaient pas dès la création d’un filet de sécurité sociale. Il a souligné que les dirigeants chinois le savent, mais la lenteur de leur processus décisionnel les empêche d’apporter des changements structurels au moment propice. Ils n’arrivent à prendre que des mesures à court terme. Le deuxième conférencier a indiqué qu’on ignore si les dépenses sociales ont augmenté sensiblement. Le gouvernement a misé sur une reprise rapide de la demande mondiale, comme en témoigne son achat de volumes importants de produits de base. Toutefois, si cette reprise rapide ne se concrétise pas, la Chine ne pourra plus compter sur les exportations pour assurer sa prospérité comme elle l’a fait à la suite de la crise financière de 1997 en Asie du Sud‑Est.
Les voisins de la Chine
Inde et Chine : rivalité ou complémentarité?
La relation entre l’Inde et la Chine repose sur trois thèmes imbriqués : 1) les grands dossiers bilatéraux (problèmes frontaliers, Tibet et diaspora tibétaine vivant en Inde); 2) les relations de la Chine avec les voisins de l’Inde (Sri Lanka, Pakistan et Birmanie notamment); 3) l’influence de la Chine et de l’Inde sur la scène internationale, notamment en regard des États‑Unis.
Les problèmes bilatéraux découlent en grande partie de questions frontalières, dont il est très important de connaître les détails. Il y a deux principales régions en cause, le « secteur ouest » et le « secteur est ». En ce qui concerne le secteur est, en 1914, la Grande‑Bretagne, le Tibet et la République de Chine ont signé un traité qui créait une nouvelle frontière, la ligne McMahon, entre l’Inde et la Chine telles que nous les connaissons aujourd’hui. La République populaire de Chine n’a jamais reconnu la ligne McMahon pour au moins deux raisons. D’abord, elle considérait le traité de 1914 comme un traité « inéquitable », puisqu’il avait été conclu entre une Chine affaiblie et une puissance impériale. Ensuite, la Chine ne reconnaît pas le Tibet comme signataire du traité au même titre qu’elle, puisque cela signifierait implicitement qu’elle reconnaît que le Tibet a joui d’une période d’indépendance au début du XXe siècle. L’Inde continue de revendiquer le territoire qui s’étend jusqu’à la ligne McMahon, la frontière montagneuse la plus élevée entre l’Inde et le Tibet.
En ce qui concerne le secteur ouest (la région contestée se trouve aux confins du Xinjiang chinois et du Cachemire indien), l’empire britannique a tenté en vain de conclure un accord avec la Chine. La frontière n’a toujours pas été délimitée. Après la guerre de 1962 entre la Chine et l’Inde, la Chine a maintenu le contrôle du secteur ouest, et l’Inde, du secteur est.
Le dossier du Tibet constitue une autre question bilatérale importante dans le contexte de la relation sino-indienne. En 1959, le dalaï-lama a quitté le Tibet à destination de l’Inde, après un soulèvement au Tibet qui avait été réprimé plus tôt dans l’année. Depuis, l’Inde est l’hôte du gouvernement tibétain en exil. Cette situation a toujours déplu à la Chine, même si depuis 1954, l’Inde a reconnu publiquement que le Tibet faisait partie de la Chine. Les Chinois considèrent souvent que l’Inde se sert du dalaï‑lama pour promouvoir ses propres intérêts territoriaux. On s’attend à un changement radical après le décès du chef spirituel tibétain, mais toute transition entraîne énormément d’incertitude. À cet égard, il est impossible d’entrevoir une normalisation des relations entre l’Inde et la Chine à court et à moyen terme.
En ce qui a trait à ses relations avec les voisins de l’Inde, la Chine s’est distanciée progressivement de sa position en tant qu’ardent défenseur du Pakistan. Elle a cessé de se rallier à l’opinion du Pakistan dans certains dossiers et ses relations avec l’Inde s’en sont trouvées améliorées.
Enfin, les États-Unis constituent la variable la plus importante de la relation sino‑indienne. La Chine craint que les États‑Unis ne se servent de l’Inde pour se prémunir contre elle, mais en examinant de plus près les intérêts et la stratégie globale de l’Inde, on arrive à comprendre que celle‑ci n’acceptera pas d’être exploitée ainsi. C’est plutôt elle qui profitera de la situation.
Dans une perspective plus globale, il faut évaluer l’efficacité du modèle de développement de chaque pays. Seul l’avenir dira si le régime économique et politique chinois peut être reproduit avec succès. Si oui, cela accroîtra la puissance douce de la Chine; si non, ce sera l’annonce de problèmes. Inversement, si la croissance économique de l’Inde se maintient aux environs de 7 % au cours des prochaines années et si le gouvernement chinois devait se lasser d’un tel succès, l’attrait du régime démocratique indien pourrait augmenter.
Des tensions sur le plan de la sécurité pourraient voir le jour entre les deux pays s’ils n’arrivent pas à doser judicieusement la dissuasion et la provocation. Toutefois, au bout du compte, les deux pays ont intérêt à gérer leurs relations avec prudence et à le faire de façon pacifique.
Les enjeux de la Chine en Asie du Sud‑Est
La Chine souhaite longtemps être reconnue en Asie du Sud‑Est comme la puissance asiatique la plus influente, mais ses efforts pour courtiser les habitants de cette région au cours de la dernière décennie n’ont pas été pleinement couronnés de succès, surtout en Indonésie. Une de ses réussites évidentes a été de supplanter Taïwan dans la région. Elle est aussi devenue plus influente auprès des pays autoritaires pauvres de la partie continentale de l’Asie du Sud‑Est comme le Laos, le Cambodge et la Birmanie.
De leur côté, les États‑Unis entretiennent leur domination maritime dans une région où leurs intérêts stratégiques, leurs investissements et leur aide sont concentrés. Il y aurait lieu de se demander si la montée en puissance de la Chine a vraiment modifié l’équilibre des pouvoirs et des influences dans l’ensemble de l’Asie du Sud‑Est. Il semble bien que oui, mais pas radicalement. Cela pourrait s’expliquer par le nationalisme des États de l’Asie du Sud‑Est. Cela pourrait aussi être parce que l’influence croissante de la Chine dépend de l’évitement d’un affrontement avec les États‑Unis, ce qu’elle fait soigneusement depuis 2001. En fait, la Chine a simplement remplacé le Japon à titre de pays asiatique le plus influent en Asie du Sud‑Est, mais ce mouvement ralentit depuis quelques années. Enfin, les pays de l’Asie du Sud‑Est continuent d’appliquer une politique de coopération simultanée avec toutes les grandes puissances de la région : la Chine, le Japon, les États-Unis et l’Inde. L’an dernier, les Asiatiques du Sud‑Est s’attendaient à ce que l’empire du Milieu joue un rôle plus important sur la scène régionale à la suite de la crise financière mondiale. Cependant, comme il n’a pas encore été nécessaire d’avoir recours aux accords d’échange de devises, loués avec enthousiasme, on ne sait toujours pas quelle sera au juste l’incidence de l’actuelle crise financière sur l’influence de la Chine à long terme.
La Chine continuera‑t‑elle de tenir compte de ses voisins du Sud‑Est? La question reste entière. Pendant dix ans, elle a mené une campagne économique et diplomatique exhaustive pour les impressionner, mais elle est récemment revenue à sa méthode de règlement inconditionnel des revendications contradictoires dans la mer de Chine méridionale. De manière plus significative encore, Beijing a laissé entendre aux principales sociétés pétrolières que la poursuite des projets autorisés par le Vietnam dans la mer de Chine méridionale (dans des eaux revendiquées à la fois par le Vietnam et la Chine) pourrait nuire à leurs affaires en Chine. Il est important d’être conscient que la position de la Chine dans le dossier de la mer de Chine méridionale est davantage une question de stratégie que d’approvisionnement énergétique. Les estimations chinoises des réserves d’énergie de la mer de Chine méridionale sont supérieures de beaucoup à celles des experts occidentaux. On ne sait toujours pas combien il y a de pétrole ou de gaz dans la mer de Chine méridionale, mais il est clair que les principales routes de navigation entre l’océan Indien et le Japon, la Corée et la Chine passent toutes par ce secteur.
Il est intéressant de se demander s’il est possible d’étendre la compréhension qu’ont les Occidentaux de la stratégie de la Chine en Asie du Sud‑Est à sa démarche dans l’océan Indien. New Delhi observe avec inquiétude la présence croissante de la Chine dans l’océan Indien, mais la capacité de la Chine de projeter sa puissance navale est extrêmement limitée à l’heure actuelle. Au lieu de se concentrer sur la projection de sa puissance, la Chine a décidé de bloquer l’accès à sa périphérie immédiate pour alourdir le coût d’une éventuelle intervention navale américaine sur la côte chinoise.
En outre, le conférencier a soutenu que les capacités de projection de puissance de la Chine, lorsqu’elles seront renforcées, seront d’abord déployées dans la mer de Chine méridionale voisine, où la Chine a des revendications territoriales, plutôt qu’au‑delà de l’obstacle que constitue la Malaisie dans l’océan Indien. De façon plus réaliste, les objectifs de la Chine dans l’océan Indien ressembleront probablement à ses objectifs dans la portion maritime de l’Asie du Sud‑Est. Dans la partie continentale de cette région, son intérêt prioritaire est la sécurité, mais dans la portion maritime, son objectif numéro un est d’étendre ses relations économiques – principalement commerciales. De même, dans l’océan Indien, son premier objectif n’est pas stratégique, mais plutôt de tisser une toile de relations économiques qui serviront ses intérêts commerciaux.
Chine et Taïwan
Depuis l’élection de Ma Ying-jeou à Taïwan, les observateurs ont tendance à croire à un apaisement prochain des tensions que suscite le dossier de Taïwan. Ce soupir de soulagement collectif pourrait être prématuré. De façon générale, il semble y avoir un certain réchauffement des relations entre les deux rives du détroit de Taïwan, mais à moins d’une tournure imprévisible des événements, Taïwan n’accédera pas à l’indépendance à court ou à moyen terme. Toutefois, la Chine commence à se rendre compte que sa notion de « régions autonomes spéciales » sera difficile à faire accepter à la population taïwanaise. Le maintien du statu quo jusqu’en 2020 constitue le scénario le plus plausible.
Beijing continuera-t-il au cours des prochaines années à tolérer la souveraineté de facto de Taïwan? On assiste à une intégration économique accrue entre les deux rives du détroit, et la RPC a fait des concessions au gouvernement de Ma Ying-jeou. Par exemple, elle a autorisé Taïwan à jouir du statut d’observateur à l’Assemblée mondiale de la santé. Toutefois, la perspective d’un cadre de coopération économique suscite une certaine méfiance de la part des milieux d’affaires taïwanais, qui y voient la possibilité d’un effondrement de l’industrie taïwanaise. Malgré ces réticences, les relations entre les deux rives semblent s’être améliorées dans l’ensemble.
Il convient de se rappeler le discours que le président Hu Jintao a prononcé au début de 2009 pour commémorer le 30e anniversaire de la déclaration du Parti communiste aux compatriotes de Taïwan. Le président a réitéré le principe d’une seule Chine et l’importance de renforcer les relations économiques et de favoriser les échanges de personnel. Il a également insisté sur les liens culturels qui unissent les deux rives. Fait intéressant, il a parlé de l’importance de permettre à Taïwan de jouer un rôle significatif au sein d’organisations internationales. Fait encore plus important, Hu Jintao a dit vouloir négocier un accord de paix avec Taïwan, ce qui ouvrirait la porte à la reconnaissance des autorités taïwanaises, même si la reconnaissance d’un gouvernement taïwanais proprement dit n’est toujours pas une perspective prévisible. En outre, pour la première fois, le président chinois a parlé du Parti démocratique progressiste (DPP, qui préconise l’indépendance de Taïwan), reconnaissant sa légitimité à la condition qu’il rejette l’indépendance. Il s’agit d’un changement de ton radical.
Sur le plan militaire, la Chine a acquis au cours des dernières années une supériorité marquée sur Taïwan. Elle n’entrevoit toutefois pas une opération militaire comme solution réaliste à ce moment‑ci. Une telle mesure risquerait de provoquer une insurrection sans issue qui retiendrait son attention pendant des années.
Malgré l’ouverture de la RPC, plusieurs constantes caractérisent la situation de Taïwan. Le gouvernement taïwanais actuel convient du principe d’une seule Chine, pourvu qu’il ne soit pas obligé d’en faire partie. Le DPP est encore plus loin d’une entente avec Beijing puisqu’il rejette carrément le principe d’une seule Chine. Il est donc peu probable que le Guomindang, l’actuel parti au pouvoir, cède Taïwan à la Chine. La politique d’une seule Chine est formulée de façon beaucoup plus directe en RPC qu’à Taïwan. Cela est attribuable au régime politique taïwanais, qui continue de reposer sur le jeu des partis et la dynamique électorale. Même si le Guomindang est en bonne position à l’heure actuelle, il serait irréaliste d’exclure un éventuel retour au pouvoir du DPP, en coalition avec d’autres partis moins importants.
L’élection de Ma Ying‑jeou ne semble pas avoir modifié la perspective d’un maintien du statu quo à Taïwan. Son gouvernement aura du mal à convaincre la population de l’île du bien‑fondé d’une éventuelle réunification avec la RPC. Depuis l’élection, les sondages révèlent une hausse du nombre de Taïwanais qui appuient le maintien indéfini du statu quo. Parallèlement, le nombre de citoyens qui appuient l’unification a diminué. Toutes choses étant égales par ailleurs, rien ne laisse présager une intégration prochaine de Taïwan à la Chine. Ce qui est évident, c’est que toute décision du gouvernement chinois de recourir aux menaces pour régler la situation risque de se retourner contre lui. Par conséquent, les gouvernements étrangers devraient considérer Taïwan comme un État souverain de facto et éviter de traiter les dirigeants de la RPC avec trop de déférence.
Discussion
Un participant a indiqué que d’autres formes de concurrence relégueront les différends frontaliers entre la Chine et l’Inde au deuxième rang. Jusqu’à maintenant, la dynamique entre les deux pays a été caractérisée par des provocations mutuelles contrôlées, mais on assiste actuellement à une certaine intensification des relations économiques malgré une rivalité acharnée. Toutefois, la Chine s’est ouverte aux investissements de l’Inde, alors que celle‑ci continue de restreindre les investissements chinois sur son territoire.
Sur le plan géostratégique, on peut faire valoir que la Chine semble avoir un avantage sur l’Inde, du moins pour l’instant. Alors que le gouvernement indien et la liberté de presse permettent la diffusion d’une vaste gamme de points de vue, les Chinois ont un système hautement contrôlé et peuvent choisir d’étouffer certaines opinions susceptibles de provoquer de la controverse.
La Chine limitera beaucoup plus le soutien qu’elle accorde au Pakistan. Elle s’inquiète de l’effet de contagion de ses propres communautés musulmanes au Xinjiang, à la frontière avec le Pakistan.
L’Inde craint toujours d’être encerclée par la Chine. Elle s’inquiète de plus en plus des ambitions navales des Chinois (qui pourraient installer des bases en Birmanie, au Bangladesh et peut‑être au Sri Lanka) et de leur appétit croissant pour les ressources en Afrique.
La capacité de la Chine de nouer le dialogue avec le reste du monde a augmenté de façon radicale au cours des cinq à sept dernières années. En ce qui concerne la diplomatie internationale, l’Inde n’a plus la haute main sur la Chine sur le plan des compétences. Cela dit, il serait très imprudent de traiter la Chine avec condescendance.
Le conférencier a insisté sur le fait que, dans l’ensemble, l’Inde avait fait montre de beaucoup de prudence et de retenue dans ses rapports avec ses voisins immédiats, dont la Chine. Comme son homologue à Beijing, le gouvernement indien a surtout été préoccupé par des questions intérieures. En fait, les deux pays ne souhaitent absolument pas une guerre à grande échelle, et à moins de profondes erreurs d’appréciation de part et d’autre, la possibilité d’un conflit entre eux est très faible.
Au cours de la période de question qui a suivi l’exposé, un premier participant a demandé si les sondages d’opinion publique à Taïwan étaient fiables. Le conférencier a répondu qu’ils le sont effectivement en raison du contexte dans lequel ils sont menés. Les organes médiatiques à Taïwan se livrent une concurrence féroce, et si un sondage n’est pas représentatif, les rivaux ne tardent pas à revenir à la charge. Les résultats reflètent aussi ce qui a été observé par d’autres moyens. Il demeure que le parti au pouvoir ne peut espérer être élu (ou réélu) si son programme politique préconise l’unification avec la RPC.
Un autre participant a demandé au conférencier de fournir des précisions sur la stratégie militaire globale de l’Inde. Le conférencier a répondu qu’il était difficile de savoir ce que la militarisation signifie exactement pour l’Inde à l’heure actuelle. Le gouvernement indien suit avec grand intérêt le développement de la capacité de la Chine au Tibet. D’après un expert, cela signifie que l’Inde devra réviser ses plans militaires. En ce qui concerne la marine, New Delhi cherche tout particulièrement à étendre ses capacités navales, mais n’a pas encore réussi à élaborer une stratégie cohérente. Un autre conférencier a répondu que la tactique chinoise dite « du collier de perles » tient davantage du mythe que de la réalité. La capacité de la Chine de transformer d’actuels projets de ports commerciaux en bases militaires totalement opérationnelles n’est qu’une hypothèse, et les moyens de la marine chinoise sont généralement surévalués par les observateurs étrangers.
Un participant se demandait si la Chine pourrait être portée à adopter des mesures unilatérales afin de contrôler ou de détourner les ressources du bassin hydrographique du Tibet, qui alimente les principales rivières indiennes. Le conférencier a répondu que Beijing serait plutôt disposé à prendre des mesures de coopération dans le dossier de la gestion des ressources hydriques.
Enfin, un membre de l’auditoire a demandé ce que la succession du dalaï-lama risquait de modifier dans la relation sino-indienne. Le conférencier a répondu que New Delhi ne prendrait certainement pas de mesures rigoureuses contre la diaspora tibétaine en Inde. La succession crée un certain malaise chez les dirigeants chinois, mais la perspective d’un successeur jouissant d’une légitimité et d’une réputation moins grandes en Occident pourrait satisfaire Beijing.
Géopolitique de la Chine
La nature et l’avenir des relations entre Beijing et Washington
Au cours des dernières années, de nombreux analystes aux États‑Unis ont laissé entendre que la Chine prenait de l’essor ou qu’elle allait devenir un acteur important sur l’échiquier mondial. Toutefois, ils se sont maintenant rendu compte que le pays s’est en fait déjà taillé une place sur la scène internationale. Aux États‑Unis, les réactions face à cette transformation évoluent également et les relations émergentes avec la Chine suscitent beaucoup d’incertitude. La Chine devrait‑elle être perçue comme un partenaire, un concurrent ou un rival? Certains soutiennent que la Chine deviendra probablement tous les trois en même temps, créant ainsi une relation encore plus complexe.
Dans le contexte de sa relation avec Washington et le reste du monde, la Chine projette une image parfois contradictoire. La façon dont les dirigeants chinois perçoivent leur pays, soit en tant que grande puissance, soit comme puissance en développement, influe sur leur comportement à l’échelle internationale. Les relations de la Chine avec le monde reposent en grande partie sur ses besoins intérieurs. On pourrait dire que la politique étrangère chinoise est axée sur les ressources. La Chine sait également que son avenir repose sur le système international existant. Certains Chinois perçoivent les États-Unis comme une menace, c’est‑à‑dire comme un pays qui tente de contenir la montée en puissance de la Chine, et pensent donc que le système international est hostile à la Chine parce qu’il a été conçu par les États-Unis. D’autres, par contre, voient les États-Unis comme un éventuel ami. Toutefois, en règle générale, la Chine se rend compte que la situation sécuritaire internationale actuelle joue en sa faveur, ce qui a incité l’ancien président Jiang Zemin à déclarer en 2002 que la Chine était entrée dans une période de grandes possibilités stratégiques.
La Chine croit aussi que le monde s’oriente vers une plus grande multipolarité et elle accueille favorablement le déclin relatif des États-Unis. Elle continue de moderniser son armée en accordant une attention particulière à Taïwan, mais a également commencé à élargir ses horizons. Dans l’ensemble, depuis les règnes de Deng Xiaoping et de Jiang Zemin, la politique chinoise à l’égard des États-Unis a été axée sur la coopération et l’évitement des affrontements. Le président Hu Jintao continue d’appliquer cette politique depuis son arrivée au pouvoir.
À l’heure actuelle, les décideurs américains se concentrent sur les dossiers intérieurs, comme le projet de réforme des soins de santé et la crise économique. À l’échelle internationale, les yeux de Washington sont fixés sur l’Afghanistan, le Pakistan, l’Irak et le terrorisme international. Depuis l’élection du président Barack Obama, les États‑Unis ont élargi leur programme international afin d’inclure le changement climatique, la récession, la non‑prolifération, l’Iran et la Corée du Nord. L’approche de Washington se fonde maintenant sur le respect et les intérêts mutuels, ce qui représente un changement de cap important par rapport à l’administration précédente. Cette attitude guide actuellement en grande partie la stratégie américaine face à la Chine. L’administration Obama s’est également fait un devoir de réaffirmer l’engagement des États-Unis dans la région Asie‑Pacifique.
Le conférencier a souligné la continuité de la politique américaine à l’égard de la Chine au fil des années. Depuis l’époque de l’ex‑président Nixon, l’idée selon laquelle une Chine stable, prospère et intégrée est dans l’intérêt des États-Unis domine, l’espoir étant qu’elle contribue effectivement au succès du système international. Cela demeure un pari, et le succès de la nouvelle ère de multipolarité n’est pas garanti. Il convient de souligner également que l’attitude des Américains à l’égard de la Chine a changé, à mesure que l’administration à Washington s’est écartée de la notion selon laquelle la Chine doit être un « actionnaire responsable » pour adopter une politique axée sur la « réassurance stratégique ». Ce changement d’attitude est au cœur du dilemme auquel les États-Unis se heurtent aujourd’hui et impose à la Chine le fardeau de rassurer non seulement les États-Unis, mais aussi la communauté internationale au sujet de son orientation future.
En ce qui concerne les perspectives de coopération ou la notion des « destins liés », ce changement d’attitude s’explique par le fait que les deux parties cherchent la stabilité ainsi que l’accès à des ressources naturelles et aux marchés mondiaux.
Selon une opinion, la Chine deviendra à long terme une puissance du statu quo. Viennent confirmer ce point de vue la multitude d’accords sur le changement climatique qu’elle a négociés, le renforcement de ses sanctions contre la Corée du Nord, le dépôt de griefs commerciaux auprès de l’OMC et, de façon plus générale, la participation au système international. Il existe de nombreuses questions transnationales que la communauté internationale ne pourra pas régler sans la Chine, malgré la méfiance mutuelle et les approches et les priorités différentes. Les États-Unis et la Chine reconnaissent que la méfiance et la peur peuvent mener à des affrontements indésirables.
Parmi les enjeux internationaux les plus urgents auxquels les États‑Unis et la Chine sont confrontés, mentionnons le changement climatique, les questions de sécurité liées à la lutte contre le terrorisme, la sécurité énergétique, les efforts de reprise économique, les relations avec l’Iran et la non‑prolifération. Les deux pays doivent aborder ces questions tout en reconnaissant qu’ils ont chacun un rôle à jouer. Ils proposent toutefois des solutions bien différentes. Prenons par exemple la vision qu’ont les États-Unis du patrimoine naturel international. Selon eux, cette notion pourrait comprendre l’espace maritime et le cyberespace. L’approche chinoise est diamétralement opposée, la Chine étant en train d’établir des stratégies d’interdiction d’accès, même dans les eaux internationales. Il continuera donc d’être difficile de concilier ces deux approches.
Les dossiers régionaux les plus importants dans lesquels sont impliqués les deux pays sont la Corée du Nord, l’Afghanistan, le Pakistan, la mer de Chine méridionale, la montée en puissance de l’armée chinoise, les réactions régionales à l’essor de la Chine, le régionalisme concurrentiel et le rôle des normes. C’est dans ce dernier dossier que ressortent les approches différentes des deux pays. La Chine, par exemple, préfère faire partie de groupes et d’organisations où les États‑Unis ne sont pas présents.
Les questions bilatérales comme Taïwan, la prolifération nucléaire, les droits de la personne et le dialogue stratégique et économique sont habituellement les plus sensibles et ne peuvent pas encore être abordées dans des tribunes plus vastes.
Quant aux dossiers unilatéraux (c’est‑à-dire comment les États‑Unis se préparent à la montée continuelle de la Chine), les plus importants portent sur les questions suivantes : comprendre comment la façon de voir la Chine a changé (il est intéressant de noter qu’il n’a pas beaucoup été question de la Chine lors de la campagne présidentielle en 2008); comment financer les guerres en cours; comment remporter de futures guerres ou dissuader ou rassurer les alliés; comment apaiser les discours entourant la création éventuelle d’un G2. Les États‑Unis ont des alliés partout dans le monde et doivent veiller à ce que leurs relations avec la Chine soient considérées objectivement. Bien que les deux pays aient de toute évidence des intérêts et des objectifs communs, les perspectives de coopération sont assez limitées en ce moment.
Aperçu des relations sino‑russes
Les relations géopolitiques entre la Russie et la Chine se détériorent peut‑être. Il est vrai que la relation a été décrite officiellement comme une relation entre deux importantes puissances montantes aux vastes intérêts communs et au regard tourné sur le monde, mais il se peut que ce soit une exagération. La conclusion d’un accord sur la frontière sino-russe et le fait que la Chine a accepté en février 2009 de prêter 25 milliards de dollars à des sociétés pétrolières et pipelinières russes en échange de livraisons de pétrole sur une période de 20 ans constituent de récents points forts de la relation. Mais celle‑ci est‑elle fondée sur des intérêts stratégiques partagés?
Il existe une certaine méfiance entre la Chine et la Russie, et les deux pays s’intéressent beaucoup plus à l’Occident que l’un à l’autre. Les États-Unis sont le principal partenaire de la Chine, alors que l’Union européenne est le principal partenaire de la Russie. Il convient de signaler aussi que Beijing est mieux placé pour tirer un avantage pratique de sa relation avec la Russie que Moscou ne l’est avec la Chine. La Russie a tendance à exagérer ses liens avec la Chine, dans le but probable d’ajouter créance à sa théorie selon laquelle l’hégémonie américaine est en déclin et elle est un acteur central dans le nouveau monde multipolaire.
La relation avec Beijing a suscité des préoccupations pour la Russie. Celle‑ci a un sens de supériorité enraciné, mais en même temps, elle se rend compte que la Chine est en train de prendre le dessus sur le plan de la modernisation et en tant que puissance mondiale. La Russie craint énormément de devenir le fournisseur de ressources de la Chine et est de plus en plus pessimiste face à cette réalité.
À long terme, la menace pour la sécurité nationale de la Russie émanant de la Chine se fera surtout sentir en Extrême‑Orient russe, dans l’armée et chez les gens ordinaires. On craint au fond qu’un Moscou de plus en plus faible ne soit pas en mesure d’affronter Beijing, surtout sur le plan de l’expansion de la Chine en Extrême‑Orient et de la concurrence pour les ressources. Sur le plan militaire, des données probantes révèlent que l’armée chinoise ne planifie pas d’affrontements avec la Russie, mais tient quand même à régler le problème de Taïwan. Au sein de l’armée russe, le sentiment antiaméricain est plus prononcé que le sentiment antichinois. C’est un point de vue que les gens ordinaires ne partagent toutefois pas.
Les intérêts stratégiques sont au cœur de la relation entre les deux pays. De toute évidence, celle‑ci n’est pas fondée sur le commerce, les échanges commerciaux avec la Russie ne représentant que 2 % du commerce extérieur chinois, et les échanges commerciaux avec la Chine, seulement 6 % du commerce extérieur russe. En outre, la plupart des experts écartent la possibilité d’une relation stratégique entre la Chine, la Russie et les États-Unis ou d’une coopération accrue entre la Russie et la Chine. La Russie s’oppose à tout ordre international qui ne lui permet pas d’influer sur les décisions stratégiques, alors que la Chine, contrairement à la Russie, cherche à rester relativement discrète et à ne pas s’insurger contre les États-Unis à chaque occasion. Quant à l’avenir, Moscou envisage encore un monde tripolaire où la Russie jouera un rôle d’intermédiaire entre l’Occident et l’Orient, alors que la Chine est davantage portée à envisager un monde bipolaire avec les États-Unis.
Sur le plan géopolitique, les relations entre la Chine et la Russie pourraient s’orienter dans six sens différents.
- Une coalition autoritaire. Les relations sino-russes détermineront comment le monde sera divisé en fonction des systèmes politiques. Les deux pays risquent peu de s’orienter en ce sens étant donné que leurs perspectives sont trop différentes.
- Une alliance sino-russe. Les deux pays risquent peu de s’orienter en ce sens étant donné que la Chine s’oppose à ce genre d’engagement rigide.
- Une convergence sino-russe. Ce scénario assez simpliste se fonde sur la stratégie industrielle, les structures sociales et les modèles de développement des deux pays. On ne peut supposer que les deux pays suivront un développement linéaire ni ne faire abstraction du fossé grandissant entre leurs capacités.
- Une coopération régionale sino-russe. Cette orientation n’est pas entièrement exclue, mais ne serait possible que si les États-Unis et l’Union européenne étaient incapables de maintenir une présence en Afghanistan. Elle est peu probable étant donné que les deux pays se livrent une concurrence féroce dans la région.
- Rupture et affrontement entre la Chine et la Russie. Bien qu’une telle orientation soit peu probable, elle n’est quand même pas inconcevable. Une menace pour la sécurité en Extrême‑Orient et une perception croissante de vulnérabilité de la part de la Russie constitueraient des éléments déclencheurs.
- La Chine éclipse la Russie sous le prétexte d’un partenariat. Si les deux pays s’orientaient en ce sens, la Chine éclipserait la Russie au sein des organismes décisionnels internationaux. La Russie se présenterait comme un partenaire stratégique indépendant, mais exercerait une moins grande influence. Si la puissance de la Russie diminue davantage, Moscou pourrait chercher à resserrer ses liens avec l’Union européenne et établir une relation plus stable avec les États-Unis afin de se joindre à une coalition d’États occidentaux. La Russie pourrait alors tenter de gérer sa relation avec la Chine par l’intermédiaire de cette tribune, comme elle l’a déjà fait.
Regard sur les relations entre la Chine et l’Europe
En ce qui a trait à sa relation avec la Chine, l’Europe vit une crise de confiance, ayant passé de l’optimisme à une forme de réalisme mesuré ou même au pessimisme. Ce changement s’explique par les récents revers qu’ont connus les relations entre la Chine et l’Union européenne, y compris la décision de cette dernière de ne pas lever l’embargo sur les armes, surtout à cause de différends internes. Les relations économiques entre l’Union européenne et la Chine importent beaucoup aux deux parties. En fait, les échanges commerciaux entre l’Union européenne et la Chine sont les plus importants au monde, suivis de ceux entre les États-Unis et la Chine. Il est intéressant de noter aussi qu’en 2007, le déficit commercial entre l’Union européenne et la Chine a dépassé celui entre les États‑Unis et la Chine.
La situation était inattendue et s’inscrit dans une crise plus générale découlant des attentes en Europe. Celle‑ci était trop optimiste face aux avantages éventuels de cette relation et de sa capacité à aider la Chine à se développer. Les Chinois, par contre, avaient l’impression que l’Union européenne se rapprochait d’eux et que la relation serait facile à gérer. Ils ont une liste de revendications qu’ils apportent à la table de négociation. Cette liste, qui n’a pas beaucoup changé au fil des années, comprend la levée de l’embargo sur la vente d’armes à la Chine, la reconnaissance de cette dernière en tant qu’« économie de marché », la non‑ingérence dans la politique intérieure et un engagement à refuser d’accueillir le président de Taïwan, le dalaï-lama ou d’autres opposants politiques.
En 2008, des manifestations publiques contre le relais de la flamme olympique ont miné encore davantage la relation. Cette situation a provoqué l’annulation du sommet entre l’Union européenne et la Chine prévu cette année‑là. C’était la première fois que la Chine annulait un sommet bilatéral aussi important, à l’exception du sommet avec l’URSS dans les années 1960. Toutefois, ce n’est pas la première fois que la Chine suspend des relations bilatérales dans le but d’exercer une influence. Les relations entre l’Union européenne et la Chine ne sont pas complètement rétablies sur le plan politique, et à l’heure actuelle, ni l’une ni l’autre des parties n’est satisfaite du statu quo.
Un certain nombre de facteurs sont à l’origine des relations houleuses entre l’Union européenne et la Chine. Les différences importantes entre les États membres ont rendu les relations difficiles, étant donné que, sur le plan individuel, chaque État traite différemment avec la Chine. Par conséquent, l’Union européenne utilise l’approche du plus petit dénominateur commun et tend à adopter des politiques semblables à celles utilisées entre les États-Unis et la Chine, sans véritable stratégie. Un autre facteur qui complique la relation a trait au fait que l’Union européenne a été très ouverte sur le plan du commerce et des accords et estime qu’elle a déjà fait suffisamment de concessions à la Chine. Elle est d’avis que le déséquilibre est de plus en plus marqué, comme en témoigne par exemple l’absence d’un accès mutuel aux marchés des deux parties.
En réalité, contrairement aux stratégies des États‑Unis et du Japon, la stratégie de l’Union européenne qui consiste à gérer sa relation avec la Chine en partageant son savoir‑faire sur le plan de l’aide et de la gouvernance ne donne pas les résultats souhaités. L’Union européenne doit restructurer sa relation avec la Chine et s’écarter de la stratégie qui consiste à « venir en aide à une économie en développement ». Elle doit se rendre compte que la transformation de la Chine en économie de marché ne donnera pas lieu aux changements politiques escomptés. Elle doit comprendre en outre que sa relation avec la Chine ne comporte pas un facteur de dissuasion économique mutuelle comme celle entre la Chine et les États-Unis. Le taux d’épargne en Union européenne est élevé et celle‑ci n’a pas de marché obligataire. Toutefois, elle n’a pas exploité le besoin de la Chine d’exporter des capitaux.
Les principaux États membres sont désillusionnés en raison de leur incapacité à influer directement sur la relation entre l’Union européenne et la Chine et ont reconnu le besoin de dégager un consensus entre tous les membres. Quoique difficile, un tel consensus général est en train de voir le jour. Les membres de l’Union européenne comprennent qu’ils doivent d’abord régler le problème de la présidence tournante qui nuit aux nombreux sommets. Certains ont proposé, par exemple, que les pays ayant l’intérêt le plus pressant dans un domaine particulier prennent part aux discussions pertinentes avec la Chine.
L’Union européenne doit repenser sa politique industrielle, surtout en ce qui a trait à la protection des droits de propriété intellectuelle. Mais, de façon plus générale, il est temps qu’elle adopte un cadre de réciprocité semblable au nouveau cadre adopté par les États‑Unis à l’égard de la Chine. Ce cadre ne se limite pas à l’évaluation des relations comme étant meilleures ou pires, mais vise à favoriser la coopération et l’élaboration d’une stratégie au cas par cas. L’adoption par l’Union européenne d’une approche plus réaliste inquiète étant donné que les États‑Unis s’efforcent d’accroître la coopération. Les récentes difficultés économiques aux États‑Unis pourraient toutefois les inciter à adopter une approche qui ressemble davantage à celle de l’Union européenne.
Discussion
Un participant a demandé où s’inscrivait le Japon, étant donné qu’il demeure l’une des principales puissances dans la région et qu’il n’en a pas été question directement au cours du module. Le conférencier a répondu que la question du Japon était intéressante, surtout en ce qui concerne l’approche de la Russie. Il existe encore quelques conflits territoriaux entre les deux pays, mais un rapprochement aiderait sans doute à contrebalancer la relation entre la Chine et la Russie en Extrême‑Orient.
Un autre participant a demandé où s’inscrivait l’Organisation de coopération de Shanghaï (OCS). Le conférencier a répondu que cette organisation était davantage guidée par les ambitions de la Chine que par celles de la Russie. La Chine a du mal à justifier l’existence de la l’OCS en ce moment, sauf peut‑être en tant qu’organisme qui l’aide à gérer sa présence commerciale et politique croissante en Asie centrale. L’organisation s’est heurtée à un obstacle, la méfiance entre ses membres et la Russie s’étant accrue, surtout depuis la guerre en Géorgie lorsque la Chine a mené une opposition à l’intervention de la Russie. Alors que l’OCS aurait pu être perçue comme un moyen de véhiculer des principes conservateurs axés sur la souveraineté, les actions de la Russie en Géorgie, en particulier sa reconnaissance de l’Ossétie du Sud et de l’Abkhazie, ont probablement éliminé cette possibilité pour l’instant.
Un autre participant a demandé s’il convenait d’examiner la question du partage des responsabilités sous l’angle du patrimoine naturel international. Les questions de pollution pourraient‑elles être considérées comme faisant partie de ce patrimoine? Et que dire de l’Arctique? D’après un conférencier, il convient effectivement de tenir compte de la notion de patrimoine naturel international lorsqu’on réfléchit aux questions touchant la qualité de l’air, le cyberespace, la marine marchande ou les communications numériques, c’est‑à‑dire les éléments communs du système international.
Un autre participant a demandé si le point de vue des États‑Unis au sujet du dossier de Taïwan avait changé. Un conférencier a déclaré que les politiciens américains avaient changé d’avis, étant donné qu’ils reconnaissent l’importance de la Chine (comme l’ont fait McCain et Obama, par exemple) et la solidité de la politique de l’administration Bush face à la Chine. La Taiwan Security Act, par exemple, a servi à faire bien comprendre à Cheng Shuibian en 2006 et en 2008 qu’il ne recevrait pas de chèque en blanc. Il a compris que s’il allait trop loin, on lui retirerait tout soutien. Les États-Unis ont suspendu leurs ventes d’armes à Taïwan pour le moment, ce qui pourrait créer une situation difficile si elles ne sont pas approuvées bientôt. À l’heure actuelle, le marché comprend des F16, mais si trop de temps s’écoule, ceux‑ci pourraient être considérés désuets, et il faudrait alors négocier l’envoi de F35, ce qui compliquerait la situation encore davantage.
Un autre participant a déclaré que même si les États‑Unis doivent intégrer la Chine dans la communauté internationale, ils doivent aussi investir dans le système international et aider à bâtir des institutions mondiales. Ont‑ils le courage à l’heure actuelle de financer la reconstruction du système international? L’Union européenne détiendrait‑elle un avantage par rapport aux États‑Unis à cause de son taux d’endettement moins élevé? D’après le conférencier, les États‑Unis devront s’efforcer de rebâtir ces institutions. Il rappelle toutefois que Rome n’a pas été bâtie en un jour. Le processus sera lent, mais les États‑Unis sont toujours bien déterminés à mener ce projet à bien.
Annexes
Annexe A
Ordre du jour de la conférence
La Chine et sa nouvelle place dans le monde
28 et 29 septembre 2009
Conférence parrainée conjointement par le Service canadien du renseignement de sécurité et le Centre de recherches pour le développement international
Jour 1
9 h – 9 h 15 Mot de bienvenue, structure et objectifs de la conférence
9 h 15 – 9 h 30 Allocution d’ouverture : Au‑delà des clichés du Dragon
9 h 30 – 10 h 45 Module 1 – Politique nationale chinoise
Quels sont les principaux enjeux de la politique intérieure chinoise? Où réside le pouvoir, comment les décisions se prennent‑elles et en quoi la gouvernance a‑t‑elle évolué depuis 1989?
Exposés des spécialistes
- D’une idéologie à une autre? Le nationalisme et son impact sur l’élaboration des politiques, la vie politique et les perceptions publiques en Chine
- Leadership : Composer avec la Chine – le choc des idées
- Administrer depuis le centre : relations de Beijing avec les provinces
10 h 45 – 11 h 15 Pause
11 h 15 – 12 h 15 Discours programme. Puissance de la Chine à l’extérieur : messages, méthodes et impact
12 h 15 – 13 h 15 Pause‑repas
13 h 15 – 14 h 45 Module 2 – Réalités intérieures chinoises aujourd’hui
Aperçu de quelques‑uns des dossiers intérieurs les plus pressants et les plus lourds de conséquences en Chine
Exposés des spécialistes
- Tibet, Xinjiang et minorités : ethnicité, identité chinoise et tensions politiques,
- Brider le mécontentement : malaise social et crise économique mondiale
- Réponses de l’État et de la société aux défis environnementaux en Chine
14 h 45 – 15 h Pause
15 h – 16 h 30 Module 3 – Débats économiques en Chine et impacts futurs sur l’ordre mondial
Aperçu de l’impact national et mondial du développement et des défis économiques de la Chine
Exposés des spécialistes
- Approche du gouvernement : les « gauchistes », la « vieille gauche », la droite et la croissance à tout prix?
- Pétrole, ressources et diplomatie du crédit de la Chine
- Redéfinir la gouvernance mondiale : l’empreinte de l’empire du Milieu sur la gouvernance mondiale
16 h 30 – 17 h 15 Discours‑programme : Influence financière et monétaire montante de la Chine
Jour 2
9 h – 9 h 15 Retour sur le jour 1
9 h 15 – 10 h 45 Module 4 – Horizon 2015 : Qu’est‑ce que le Canada doit surveiller?
Évaluation des enjeux émergents dans les relations du Canada avec la Chine
- La grande stratégie de la Chine : conséquences pour le Canada
- Canada‑Chine : une relation de plus en plus complexe
- En eaux inconnues : la Chine et la géopolitique de l’environnement
10 h 45 – 11 h 15 Pause
11 h 15 – 12 h 15 Débat sur place
Débat d’experts – Après la crise : Portrait de la Chine en 2015
Que le ralentissement économique mondial actuel prenne fin rapidement, reprenne après l’apparition de signaux encourageants ou soit suivi d’une période de lente reprise, la Chine continuera de jouer un rôle prépondérant dans les affaires économiques. Quel avenir s’offre à elle en tant que puissance de premier plan?
12 h 15 – 13 h 15 Pause‑repas
13 h 15 – 14 h 15 Module 5 – Les voisins de la Chine
Évaluation de certains aspects clés des relations et des défis de la Chine dans sa zone géographique d’influence immédiate
Exposés des spécialistes
- Inde et Chine : rivalité ou complémentarité?
- Les enjeux de la Chine en Asie du Sud‑Est
- Chine et Taiwan : l’énigme
14 h 15 – 14 h 30 Pause
14 h 30 – 16 h Module 6 – Géopolitique de la Chine
Analyse de l’état actuel et des perspectives des relations de Beijing avec les grandes puissances
Exposés des spécialistes
- Destins liés : la nature et l’avenir des relations entre Beijing et Washington
- Commodité ou communauté? Aperçu des relations sino‑russes et de l’angle sous lequel les observateurs occidentaux tendent à les examiner
- Ancien Monde et Nouveau Monde : regards sur les relations entre la Chine et l’Europe
16 h 30 – 16 h 45 Récapitulation : la nouvelle place de la Chine dans le monde
16 h 45 – 17 h Mot de la fin
Annexe B
La liaison‑recherche au SCRS
Le renseignement dans un monde en évolution
IOn dit souvent que le monde évolue de plus en plus rapidement. Analystes, commentateurs, chercheurs et autres – associés ou non à un gouvernement – acceptent peut‑être ce cliché, mais la plupart commencent seulement à comprendre les conséquences très réelles de ce concept pourtant abstrait.
La sécurité mondiale, qui englobe les diverses menaces à la stabilité et à la prospérité géopolitiques, régionales et nationales, a profondément changé depuis la chute du communisme. Cet événement a marqué la fin d’un monde bipolaire organisé selon les ambitions des États-Unis et de l’ancienne URSS et les tensions militaires en résultant. Détruisant rapidement la théorie de « fin de l’histoire » des années 1990, les attentats terroristes contre les États-Unis, en 2001, ainsi que les événements ultérieurs liés dans d’autres pays, ont depuis modifié ce qu’on entend par sécurité.
La mondialisation, l’évolution rapide de la technologie et la sophistication des moyens d’information et de communication ont naturellement eu une incidence sur la nature et le travail des gouvernements, y compris des services de renseignements. En plus des conflits habituels entre États, il existe désormais un large éventail de problèmes de sécurité transnationale découlant de facteurs non étatiques, et parfois même non humains. Ces problèmes vont du terrorisme, des réseaux illégaux et des pandémies à la sécurité énergétique, à la concurrence internationale pour les ressources et à la dégradation mondiale de l’environnement. Les éléments de la sécurité mondiale et nationale sont donc de plus en plus complexes et interdépendants.
Notre travail
C’est pour mieux comprendre ces enjeux actuels et à venir que le SCRS a lancé, en septembre 2008, son programme de liaison‑recherche. En faisant régulièrement appel aux connaissances d’experts au moyen d’une démarche multidisciplinaire et collaborative, le Service favorise une compréhension contextuelle des questions de sécurité pour le bénéfice de ses propres experts ainsi que celui des chercheurs et des spécialistes avec qui il s’associe. Ses activités visent à établir une vision à long terme des différentes tendances et des divers problèmes, à mettre en cause ses hypothèses et ses préjugés culturels, ainsi qu’à affiner ses moyens de recherche et d’analyse.
Pour ce faire, nous :
- nous associons activement à des réseaux d’experts de différents secteurs, de gouvernements, de groupes de réflexion, d’instituts de recherche, d’universités, d’entreprises privées et d’organisations non gouvernementales (ONG), tant au Canada qu’à l’étranger. Si ces réseaux n’existent pas déjà, nous pouvons les créer en collaboration avec différentes organisations;
- stimulons l’étude de la sécurité et du renseignement au Canada, favorisant ainsi une discussion publique éclairée à propos de l’histoire, de la fonction et de l’avenir du renseignement au Canada.
Dans cette optique, le programme de liaison‑recherche du Service emprunte de nombreuses avenues. Il soutient, élabore, planifie et accueille plusieurs activités, dont des conférences, des séminaires, des études, des exposés et des tables rondes. Il participe aussi activement à l’organisation du Global Futures Forum, un appareil multinational du renseignement et de la sécurité qu’il soutient depuis 2005.
Nous n’adoptons jamais de position officielle sur quelque question, mais les résultats de plusieurs de nos activités sont publiés sur le site Web du SCRS au www. scrs-csis.gc.ca. Par la publication des idées émergeant de nos activités, nous souhaitons alimenter le débat et favoriser l’échange d’opinions et de perspectives entre le Service, d’autres organisations et divers penseurs.
the program seeks to stimulate debate and encourage the flow of views and perspectives between the Service, organisations and individual thinkers.
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