L’Iran : les multiples avenirs d’une puissance régionale
Publié : mardi 02 juin 2009
Conférence du Service canadien du renseignement de sécurité parrainée par Affaires étrangères et du Commerce international Canada, Défense nationale Canada et le Bureau du Conseil privé
Rapporteur : Thomas Juneau, Université Carleton
Points saillants de la conférence
Conférence des 30-31 mars 2009, Ottawa
Le présent rapport est fondé sur les opinions exprimées par les experts qui ont présenté des exposés et par les autres participants à la conférence organisée par le Service canadien du renseignement de sécurité dans le cadre de son programme de liaison-recherche. Le présent rapport est diffusé pour nourrir les discussions. Il ne s’agit pas d’un document analytique et il ne représente la position officielle d’aucun des organismes participants. La conférence a été dirigée selon les règles de Chatham House; de ce fait, on n’attribue ni ne divulgue l’identité des conférenciers et des participants.
Table des matières
- L’Iran : les multiples avenirs d’une puissance régionale
- Points saillants des exposés des spécialistes
- La force, la révolution et la création d’une culture politique
- La société iranienne
- La jeunesse iranienne de nos jours
- À quoi pensent les Iraniens?
- Que réserve l’avenir? L’Iran : puissance régionale et ambitions géopolitiques
- Une vue d’ensemble
- Annexes
- Annexe A - L’Iran en 2020
- Annexe B - Conference agenda
- Annexe C - La liaison-recherche au SCRS
L’Iran : les multiples avenirs d’une puissance régionale
La République islamique d’Iran intéresse beaucoup le public à l’heure actuelle. Elle est l’une des civilisations les plus anciennes et les plus riches et, pendant des millénaires, elle a eu une stature dans les affaires internationales. Ces cinquante dernières années, elle a de nouveau occupé le devant de la scène en raison d’un certain nombre d’événements et de situations nouvelles, notamment comme superpuissance énergétique et théocratie révolutionnaire. Comme le précisait le directeur du SCRS, Jim Judd, ces facteurs ont eu des conséquences régionales et internationales cruciales, comme la rupture des relations avec les États-Unis et l’installation au Canada d’une importante diaspora iranienne. L’Iran s’est aussi retrouvé au centre de l’attention à cause de son long conflit sanglant avec l’Irak, de son émergence comme important acteur régional et de son soutien à divers mouvements dans les pays voisins. La position anti-israélienne véhémente du gouvernement actuel, que beaucoup en Israël qualifient de menace existentielle, et les programmes nucléaire et balistique du pays ont également suscité beaucoup d’intérêt et d’anxiété de la part des puissances mondiales. Cette suite d’événements a engendré diverses réactions politiques dans le monde entier, dont celles d’institutions multilatérales comme l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) et le Conseil de sécurité des Nations Unies.
Pourtant, a déclaré M. Judd, malgré son importance sur la scène internationale, l’Iran demeure pour beaucoup, et plus que jamais, une « énigme ». Il est donc essentiel de mieux comprendre ce pays, ses aspirations et ses dirigeants. Nous vivons à l’heure actuelle une situation où autant les risques que les occasions liés à l’Iran ont atteint un certain degré d’urgence, surtout par rapport aux estimations, au moins dans certains milieux, que l’Iran puisse produire très prochainement l’arme nucléaire. Ces circonstances incluent la formation d’un nouveau gouvernement en Israël, les élections prochaines en Iran, les résultats d’élections dans les pays voisins, et peut-être le plus important, une nouvelle administration à Washington. Cette dernière a pris un certain nombre de mesures au Moyen-Orient et en Asie occidentale. Il s’agit, entre autres, de la nomination du sénateur George Mitchell comme envoyé pour le processus de paix au Moyen-Orient, de l’ouverture d’un dialogue avec la Syrie et d’une nouvelle attitude envers l’Iran qui a commencé par un message inédit du président américain, Barak Obama, à l’occasion du nouvel an persan, de la nomination d’un envoyé très chevronné, Dennis Ross, ainsi que celle de Richard Holbrooke comme envoyé pour l’Afghanistan et le Pakistan, et de la diffusion récente d’une nouvelle politique pour ces deux pays. Voilà des événements positifs dans une région où les tensions sont historiquement élevées.
Fait intéressant, M. Ross écrivait dernièrement : « si l’histoire nous enseigne quoi que ce soit, la mise en place d’une stratégie efficace envers l’Iran n’est pas chose facile et pourtant, ça n’a probablement jamais été plus important ». Il n’est pas encore clair de quelle stratégie il s’agit, mais les gouvernements en dehors de la région, y compris les États-Unis, ont des occasions d’exploiter l’évolution de la situation pour mieux engager le dialogue avec l’Iran. L’Afghanistan est certainement une région où les pays occidentaux et autres partagent un certain nombre d’intérêts communs avec l’Iran, surtout la stabilisation du pays, l’endiguement du mouvement taliban et la lutte contre le trafic de stupéfiants. En fin de compte, la stratégie d’engagement et son efficacité dépendront d’une bien meilleure compréhension de questions telles que les institutions et les politiques du gouvernement iranien qui, pendant trop longtemps, ont été trop opaques pour beaucoup de gens qui ne sont pas Iraniens.
Sommaire
Nous ignorons beaucoup de choses à propos de l’Iran et beaucoup d’autres choses nous échappent. La question capitale pourtant est claire : la stabilité et la pérennité du régime théocratique. Un État est stable dans la mesure où sa résilience est supérieure à la pression qui est exercé sur lui. Pendant une conférence de deux jours organisée dans le cadre du programme de liaison-recherche du SCRS, on a examiné un grand nombre de ces pressions endogènes et exogènes sur l’Iran. Si, globalement, le gouvernement actuel et la société iranienne semblent faire preuve d’une résilience remarquable, il n’est pas toujours clair d’où vient cette résilience. Cela dit, il semble qu’on s’est accordé sur ce que sont, dans l’ensemble, les pressions clés sur le système. On en a établi trois : la pérennité du Guide suprême, les aspirations de la jeunesse et la robustesse de l’économie.
Le Bureau du Guide suprême, à la barre du régime complexe établi par le père de la révolution islamique, l’ayatollah Rouhollah Khomeini, est investi de pouvoirs considérables et incarne la théocratie. Ces dernières années, autant le titulaire que le Bureau ont été contestés par divers camps, surtout par les réformistes sous la présidence de Mohammad Khatami (1997-2005) et même parfois, certains le diront, par la génération plus jeune et dure dirigée par Mahmoud Ahmadinejad, l’actuel président. La stabilité future du poste, et donc du régime dans son ensemble, repose sur la question préoccupante de la succession. Un vide du pouvoir ou une difficile lutte interne après le décès d’Ali Khamenei, le Guide actuel, pourrait, par exemple, mener à une prise de pouvoir des Pasdarans, les gardiens officiels de la révolution. Cela dit, le système fonctionne en permettant un processus de contestation interne entre les factions, dans les limites établies par la révolution, et pourrait très bien favoriser une transition relativement en douceur, vu que les dirigeants s’intéressent tout particulièrement à leur propre survie.
Les participants à la conférence étaient généralement d’accord pour dire que la société civile en Iran est beaucoup moins dynamique aujourd’hui qu’elle ne l’était dans les années 1990 lorsqu’elle soutenait la montée des réformistes et se développait dans le sillage d’une expérience nouvelle de pluralisme. Aujourd’hui, la majorité de la jeunesse iranienne pense que la révolution n’a pas rempli ses promesses de justice sociale et d’émancipation des démunis. Et cette frustration s’accompagne d’un désenchantement à l’égard des réformistes don’t les promesses d’une plus grande ouverture et de détente avec l’Occident n’ont pas été, en grande partie, tenues. À cause de ces espoirs déçus, une grande apathie règne, surtout parmi les générations plus jeunes qui craignent que les solutions de rechange au statu quo soient pires. Il y a en somme une grande ambivalence tant envers la modernité qu’envers le régime théocratique.
Le rendement de l’économie est le troisième élément moteur important pour l’avenir de l’Iran. Peu de participants à la conférence ont prédit un avenir très prometteur. L’économie iranienne reste trop dépendante des hydrocarbures, tandis que la redistribution politique d’importantes parties du revenu national aux divers protagonistes nationaux entraîne des insuffisances massives. De ce fait, le pays souffre de taux de chômage et d’inflation élevés tandis que le système bancaire est faible. Pour aggraver cette sombre évaluation, il reste beaucoup d’incertitudes quant à l’avenir de son secteur pétrolier et gazier. Étant donné l’insuffisance des investissements dans les capacités, la production de pétrole a stagné alors que l’explosion démographique, couplée à des subventions considérables pour la consommation nationale, ont fait que la consommation est montée en flèche. Ainsi, il est très possible que les exportations de pétrole disparaissent pratiquement à moyen ou à long terme. Toutefois, les participants à la conférence convinrent que l’économie autant que la société iranienne avaient, par le passé, fait preuve d’une grande résilience face aux difficultés économiques, comme on a pu le voir dans les années 1980 pendant la guerre avec l’Irak. Par conséquent, il n’est pas du tout garanti que les difficultés économiques – surtout si elles ne sont pas accompagnées de la montée des aspirations de la population – entraîneront l’effondrement du gouvernement. On entend souvent en Occident que les véritables intentions derrière la politique étrangère de l’Iran sont obscures. Pour bien des participants à la conférence, toutefois, ce que l’Iran veut en fait est clair : il veut le pouvoir et il a besoin d’être reconnu par la communauté internationale pour ce qu’il considère être son statut légitime de puissance régionale. Ce n’est toutefois pas clair si l’Occident – et Israël – sont prêts à accorder à l’Iran une place à la table. Même si beaucoup de conférenciers estimaient qu’il demeure un élément idéologique propre à la politique étrangère de la République islamique, on s’est accordé à reconnaître que le gouvernement est pragmatique en grande partie. En Irak, par exemple, l’Iran soutient les chiites et les factions islamistes, mais aussi les organisations laïques, sunnites ou kurdes lorsque cela répond à ses intérêts. Le programme nucléaire iranien est entouré de beaucoup d’incertitudes parce qu’on comprend encore mal les intentions et les moyens particuliers de Téhéran. Il est cependant évident qu’il est essentiel pour le futur pouvoir iranien, en tant que pays doté de l’arme nucléaire ou pouvant l’être, qu’il puisse poursuivre, avec assurance, ses ambitions régionales. En outre, le régime utilise habilement le programme nucléaire, tout comme les autres outils de la politique étrangère du pays, pour étayer sa propre légitimité et attiser le sentiment nationaliste.
La conférence et ses objectifs
Le SCRS a accueilli les 30 et 31 mars 2009 une conférence de deux jours sur l’Iran. Dirigée selon les règles de Chatham House, la conférence poursuivait deux objectifs : continuer de favoriser une communauté d’intérêt sur l’Iran à Ottawa et commencer à imaginer la direction que pourrait prendre la République islamique dans les dix prochaines années. La logique et la structure de la conférence étaient bâties sur quatre phases : les exposés des spécialistes, l’établissement des incertitudes cruciales touchant éventuellement l’avenir de l’Iran, la détermination des « idées » de scénario ainsi que la sélection et l’élaboration préliminaire d’autres scénarios pour 2020.
Les exposés des spécialistes, d’abord, étaient organisés autour de quatre modules : la politique nationale, la société, l’économie et les affaires étrangères. Chaque module était suivi de longues discussions en séance plénière. Les trois premiers se sont attachés à la détermination des incertitudes cruciales que les participants ont évalués et qui auront une importance particulière sur l’avenir du pays. Pour chacun, on a défini une gamme d’incertitudes et on a discuté des diverses directions que chacun pouvait prendre dans les dix prochaines années. Les trois incertitudes cruciales et leurs limites possibles, telles que les participants les ont définies dans les formulaires qu’ils ont remplis après les trois premiers modules, sont :
- la pérennité du Guide suprême (de faible à solide). La pérennité du Guide suprême – tant du titulaire actuel du poste, Ali Khamenei, que de l’institution – sera un élément moteur clé des événements en Iran dans les dix prochaines années. D’une part, le pouvoir pourrait être faible, et cela signifierait par exemple, une perte de légitimité, une succession contestée, peut-être une perte d’influence vis-à-vis des Pasdarans (les gardiens de la révolution) ou une dynamique centrifuge de factions. D’autre part une pérennité solide pourrait se traduire par une stabilisation de la légitimité du Guide, l’inutilité d’une succession pendant les dix prochaines années, ou autrement, une succession en douceur sans vide de pouvoir ou lutte de pouvoir importante, le pouvoir du leader demeurant intact du Guide et les Pasdarans tenus à distance.
- les aspirations de la jeunesse (de modestes à élevées). Les aspirations de la jeunesse iranienne pourraient, dans les dix prochaines années, osciller entre modestes et élevées. D’un côté, on pourrait s’attendre à trouver une jeunesse consentante, prête à céder sa liberté politique en échange de ses libertés individuelles, une religiosité symbolique et une forte émigration comme soupape de sécurité. De l’autre côté, on pourrait trouver une attitude plus militante et virulente, un plus grand appui à la laïcité
et une émigration moins importante. - l’activité économique. La robustesse de l’économie constitue la troisième incertitude cruciale orientant l’avenir en Iran. Une économie faible pourrait être provoquée par une atonie prolongée des revenus pétroliers et pourrait être marquée par de faibles investissements étrangers, des taux d’inflation et de chômage élevés et la corruption, alors qu’une économie robuste, due en partie à des revenus pétroliers plus élevés, pourrait témoigner d’une plus grande diversification, d’investissements étrangers accrus, d’une corruption réduite et de taux d’inflation et de chômage plus bas.
À partir de ces trois indicateurs cruciaux, deux mesures sont possibles pour chacun d’eux, on a défini huit idées de scénario possibles (pouvoir du Guide suprême – solide; aspirations de la jeunesse – modestes; économie – robuste). Tous les participants à la conférence ont voté après le troisième module, choisissant ainsi les quatre scénarios les plus utiles pour explorer l’avenir de l’Iran. Ces quatre scénarios sont décrits comme suit :
Scénario | Pérennité du Guide suprême | Aspirations de la jeunesse | Robustesse de l’économie |
---|---|---|---|
Contestation croissante | Solide | Élevée | Faible |
érosion du statu quo | Solide | Modestes | Faible |
Point critique | Fragile | Élevée | Faible |
Réévaluation du pouvoir clérical | Solide | Élevée | Faible |
Dans la quatrième et dernière phase, à la fin de la deuxième journée, on a formé quatre petits groupes chargés d’élaborer ces quatre scénarios. Il ne s’agissait pas d’exercices de scénarios dans le plein sens du terme, mais plutôt d’esquisses « en aquarelle » de l’avenir possible. La tâche de chaque groupe était de décrire, dans les limites fixées, quel type de pays sera l’Iran dans dix ans. On pourra lire les résultats de cet exercice dans la partie III. Enfin, pour conclure la conférence, un spécialiste éminent du Moyen-Orient a synthétisé les principaux enjeux de la politique étrangère iranienne qu’on avait traités au cours de la conférence.
Points saillants des exposés des spécialistes
La force, la révolution et la création d’une culture politique
Les enjeux nucléaires
Les choses ne sont jamais tout à fait ce qu’elles semblent être avec les programmes nucléaires, car on est devant beaucoup d’incertitude. D’abord et avant tout, on ne sait même pas si l’Iran veut une arme nucléaire; ce qu’on sait, par contre, c’est qu’il se dirige dans cette direction. La question est complexe et mélangée à beaucoup d’autres. L’Iran a-t-il l’intention de placer une charge nucléaire dans un missile comme celui que la Corée du Nord a lancé en avril 2009? Un tel missile pourrait facilement atteindre l’Europe, et cela aurait de nombreuses répercussions pour les États-Unis. L’Iran ne semble pas avoir atteint ce stade encore, mais il est évident qu’il avance sûrement dans cette direction. Pourtant, encore une fois, il existe beaucoup d’incertitude concernant les intentions du pays, ses progrès et ses connaissances : ce qui n’est pas clair, par contre, c’est où il en est dans la mise au point d’un engin nucléaire explosif. Ce qu’on sait, c’est qu’une grande partie de l’information nécessaire est disponible sur le marché noir, comme l’ont montré les activités du réseau d’A.Q. Khan.
Malgré le doute, il semble que des progrès aient été accomplis, mais également que de nombreuses autres étapes restent à franchir avant que la militarisation soit réalisée. On pense, surtout, que le programme peine à créer un corps de rentrée. Des évaluations plus claires dépendent d’un certain nombre d’incertitudes. Quelles sont les normes en matière de sécurité et de fiabilité? L’Afrique du Sud y accordait beaucoup d’importance, tandis que le Pakistan, beaucoup moins. Dans le cas de l’Iran, ce n’est pas clair. Il semble que pour l’Iran, la voie de l’uranium hautement enrichi (UHE) ait réussi plus vite que celle du plutonium. L’Iran a maintenant au moins 4 000 centrifugeuses fonctionnant à l’usine d’enrichissement de combustible de Natanz et il se peut qu’il en ait presque 6 000. En janvier 2006, il en avait seulement 164. Pour la plupart des pays, c’est suffisant pour se doter de l’arme nucléaire. Ainsi, en à peu près un an – si le gouvernement le décide – il pourrait commencer à produire de l’UHE.
En effet, la production d’uranium faiblement enrichi (UFE) à Natanz avait atteint presque une tonne en février 2009. L’Iran possède donc maintenant assez d’UFE pour produire environ 15 kg d’uranium de qualité militaire, ce qui est suffisant pour une capacité nucléaire militaire si l’on suppose un ensemble efficace de cascades (c’est comparable au montant produit par l’Irak dans les années 1980). Si l’Iran décidait de commencer à produire de l’uranium de qualité militaire, on ignore toutefois combien de temps cela lui prendrait. Cela pourrait prendre aussi peu que quelques mois, ce qui serait trop rapide pour que la communauté internationale réagisse. Pour un État comme Israël, un an est un délai clé. En conséquence, il se peut que dans un délai aussi court certains pays envisagent la solution militaire comme étant la « seule ». Le conférencier et d’autres spécialistes cependant n’étaient pas convaincus qu’une telle mesure serait efficace.
Ceci serait beaucoup moins inquiétant si ce n’étaient de deux autres facteurs. Premièrement, un institut de recherche avait fait valoir en 2001-2002 que les estimations de la CIA relatives à l’Irak étaient très exagérées. La situation actuelle avec l’Iran est cependant très différente. Deuxièmement, l’Iran est connu pour construire deux types d’installations. Certaines, comme l’usine d’enrichissement de combustible de Natanz, étaient secrètes au départ. Selon le conférencier, le gouvernement iranien avait l’intention de divulguer leur existence seulement lorsque des progrès auraient été accomplis. Mais l’Iran a également construit par le passé des sites qu’il avait l’intention de garder secrets, comme sa principale installation de recherche et développement qui a été révélée seulement contre son gré. À l’heure actuelle, en particulier, beaucoup de gens croient que la militarisation a recommencé, et la preuve existe que l’évaluation du National Intelligence Estimate (NIE) de 2007, selon lequel de tels travaux avaient été suspendus, ne s’applique plus.
On ne sait pas trop comment transiger avec le programme iranien des centrifugeuses et toute tentative de compromis est hérissée d’obstacles. À ce jour, l’Iran a toujours répondu négativement – il veut bien parler de rythme et d’inspections, mais il insiste qu’il « fait ce qu’il veut ». Au niveau technique, les centrifugeuses sont difficiles à vérifier. Aucun accord ne pourrait garantir que l’Iran n’entretient pas des installations secrètes de centrifugeuses. En outre, le programme iranien d’enrichissement exclut la possibilité d’une future zone dénucléarisée au Moyen-Orient, vu qu’Israël refuserait alors d’abandonner son propre programme. Le dilemme central est de savoir s’il suivra le modèle de l’Afrique du Sud ou celui du Pakistan. Les États-Unis ont participé à la création du programme nucléaire pakistanais dans les années 1970. À l’époque, Islamabad s’était engagé à ne pas enrichir d’uranium au-delà de 5 p. 100, mais cet accord n’a visiblement pas été respecté. L’Afrique du Sud, d’un autre côté, a abandonné sa capacité d’enrichissement. Dans ce contexte, la solution suit la voie de l’Afrique du Sud. On essaie de débarrasser le Moyen-Orient de ses moyens nucléaires, en n’autorisant ni enrichissement ni retraitement (c’est la position des États-Unis à propos de la péninsule coréenne).
Il est impossible de prédire quelle direction prendra le programme nucléaire iranien. Un scénario serait que l’Iran ne prenne simplement aucune décision. Ce serait alors un « état entrant dans la catégorie des cas limites », pouvant fabriquer des armes nucléaires, mais n’en ayant pas. La communauté internationale en serait réduite à des conjectures, une solution avantageuse pour l’Iran, en partie parce qu’il peut être dangereux d’obtenir ouvertement des armes nucléaires. L’Iran pourrait maintenir l’ambiguïté quant à son programme, et peutêtre parvenir à la militarisation en secret. Une autre possibilité, la moins probable, serait que l’Iran déploie ouvertement un arsenal nucléaire. Un dernier scénario serait que le président américain, Barack Obama, cherche à atteindre l’objectif d’aucun enrichissement ni retraitement au Moyen-Orient et d’une zone dénucléarisée dans la région. Il faudrait exercer des pressions importantes sur Israël et mettre en place des mécanismes de vérification de premier ordre.
Comprendre les réseaux du pouvoir en Iran
Le régime iranien est un système de conflits encadrés et de contestation de l’élite. Il fonctionne en partie en excluant certains protagonistes. Il est cependant également un système d’inclusion encadrée : ceux qui y entrent acceptent le cadre fondamental et, grâce à diverses institutions, bénéficient d’un peu d’espace pour la contestation. Élément essentiel de ce processus, les institutions ne sont pas liées par un mandat. Elles peuvent entraver les décisions au nom de la révolution (ou protéger leurs prérogatives). L’idéologie joue un rôle particulier. Elle accorde un droit de veto à certains groupes qui peuvent faire en sorte que les changements ne franchissent jamais de certaines limites. Parmi ces groupes, citons le Conseil de surveillance, l’Assemblée des experts, le Conseil de discernement, les Pasdarans, les bonyads ainsi que le Guide suprême qui, à la tête du régime, est investi d’un pouvoir considérable.
Le but du système est de fournir une série d’occasions de vetos et de négociations pour défendre les principes de la révolution. Il est dès lors très difficile de revenir sur des décisions prises auparavant, notamment sur le programme nucléaire, et il est très dur d’innover. La place d’Israël dans la politique étrangère iranienne montre comment un processus officieux de négociation est possible à l’intérieur des principes idéologiques de la révolution. Lorsque Mohammad Khatami était président, de 1997 à 2005, sa position officielle était que l’Iran accepterait tout accord qu’une majorité de Palestiniens accepterait. Cette politique ambiguë s’étendait aussi loin que tout dirigeant iranien pouvait aller. Le président Mahmoud Ahmadinejad, en revanche, affirma que le « régime sioniste » doit être éliminé. Quand cela provoqua une polémique internationale, son vice-président déclara que le peuple iranien était ami avec le peuple israélien. Estimant que c’était inacceptable, le Guide suprême intervint et força le vice-président à se rétracter. En somme, un processus officieux de négociation soutient en même temps qu’il tempère un certain degré de contestation et garantit que les lignes rouges ne sont pas franchies.
Dans quelle mesure ce système peut-il survivre et dans quelles conditions pourraitil s’effondrer? D’aucuns soutiennent qu’il s’effondre déjà car, sous la présidence de Mahmoud Ahmadinejad, on est passé lentement d’un système de contestation encadrée à un système axé sur la sécurité, les Pasdarans prenant le pouvoir. Pourtant, le conférencier est loin d’être convaincu que c’est ce qui se passe, quoiqu’il soit d’accord que la montée en puissance des Pasdarans soulève des questions. Cela signifie-t-il l’émergence d’une forme plus conventionnelle de pouvoir autoritaire? Si le nombre de personnes qui ont le droit de veto diminue, cela aurait des répercussions sur la politique étrangère iranienne. Le travail du Guide suprême deviendrait plus complexe, mais plus crucial.
Mahmoud Ahmadinejad remet-il ce système en cause? Il faut noter qu’en son temps, M. Khatami a aussi remis en question le système. Il était une personne indépendante qui proposait, avec ses alliés, un avenir plus démocratique et pluraliste pour l’Iran et prêchait le « dialogue des civilisations ». L’équilibre des forces a commencé à basculer quand les réformistes sont devenus maîtres du Majlis. M. Ahmadinejad répéta pour la deuxième fois ce processus de remise en cause du système, car ses alliés pasdarans et lui se sentaient diffamés et isolés, et ils voulaient lutter contre la corruption. Comme M. Khatami et ses alliés, ils cherchaient à faire basculer le rapport des forces en leur faveur, et ils contestaient de plus en plus le Guide suprême. Dans le régime iranien, il existe une tension intéressante entre le président, élu par le peuple, et le Guide suprême. Pour un régime autoritaire, le degré
d’incertitude est surprenant. Le processus électoral surtout a eu une série de conséquences involontaires, particulièrement au lendemain des élections de M. Khatami et de M. Ahmadinejad à la présidence. L’élection de ce dernier a-t-elle mené les Pasdarans à prendre les rênes de l’intérieur? Le conférencier en doutait. Il croyait également qu’il est probable que M. Ahmadinejad sera réélu en juin, vu que c’est important pour la légitimité et l’efficacité du régime. Cela dit, il reste beaucoup d’incertitude. M. Ahmadinejad est effectivement allé trop loin en 2006-2007 avant que le système ne se rajuste.
On dit souvent que les Pasdarans, ou plus précisément la Force Qods, travaillent en solitaire, à l’insu du Conseil national de sécurité et du Guide suprême. C’est discutable : un réseau lie ces intervenants jusqu’aux principaux ordres du gouvernement. D’un point de vue diplomatique, il y a un avantage tactique à perpétuer le mythe que ces groupes opèrent en solitaire. Ils font toutefois partie d’un appareil de renseignement et sont liés à l’État et au Bureau du Guide suprême.
Le gouvernement iranien émerge-t-il non pas comme un système de gestion des conflits, mais comme un système de plus en plus axé sur la sécurité? La démarche de M. Ahmadinejad en matière d’économie est révélatrice. Après avoir d’abord remis en cause le système, il finit par y adhérer et le système fut assez « intelligent » pour faire que ce soit possible plutôt que de le laisser le remettre en cause. Le coût économique de cela a par contre été énorme. Mais c’est de cette façon que le système fonctionne, en intégrant des adversaires. Même chose avec l’industrie pétrolière de l’Iran, l’une des moins efficaces au monde. Si elle était bien gérée et privatisée, elle dégagerait pour le pays plus de bénéfices que l’énergie nucléaire. Mais elle fournit des rentes qui sont essentielles au système. Elle est politiquement efficace, et pourtant un désastre économique. La question reste ouverte de savoir si la situation peut durer ou comment ou quand le régime deviendra plus (ou moins) autoritaire.
La militarisation de la politique : les rôles passé, présent et futur des Gardiens de la révolution islamique (GRI)
Dans les années 1920, la nouvelle politique économique de l’URSS naissante avait atteint un point critique : les réformes échouaient. La structure de l’URSS visait à ancrer le pouvoir du Parti communiste, et les réformes pouvaient être une menace. Ceci soulève une question intéressante : pourquoi les réformes sont-elles allées dans des directions opposées dans les années 1920 et dans les années 1980? Les années 1920 ont été témoin d’un immobilisme des élites tandis que les années 1980 n’ont pas réussi à revigorer l’idéologie.
En 2003-2004, le gouvernement iranien faisait face à un tel moment lorsque M. Khatami mettait en cause le système. Le tableau était sombre et la réaction, que ce soit la réforme ou l’immobilisme, pouvait être fatale. Les troupes américaines encerclèrent l’Iran et l’Irak avait été rapidement vaincu, ce que l’Iran n’était pas parvenu à faire en huit ans de guerre. L’AIEA avait révélé le programme nucléaire du pays et elle le soumettait au Conseil de sécurité des Nations Unies. Les États-Unis étaient donc devenus très dangereux, et le gouvernement iranien était dans une crise profonde. Il choisit donc, à la fin de l’été 2003, d’affirmer une confiance idéologique revigorée, dirigée par les Pasdarans. Ainsi commença un mouvement lent, larvé vers plus d’autoritarisme, et non vers le totalitarisme.
La révolution française offre une autre analogie intéressante. En quelques années, la révolution avait atteint un point où « Saturne dévorait ses enfants », les initiateurs de la révolution essentiellement se dévoraient entre eux, permettant à un autre groupe de s’installer. Dans le cas iranien, la révolution était autant une révolution du chiisme qu’une révolution au sein du chiisme. Le principe nouvellement mis en place du velayat-e-faqih – que certains observateurs comparent au concept occidental du philosophe-roi – n’était pas la forme traditionnelle de leadership au sein du chiisme où il y a toujours eu une relation inconfortable entre la religion et le pouvoir. Le principe du velayat-e-faqih de M. Khomeini, une idée profondément religieuse mais aussi révolutionnaire, est né à Qom. Il a mené à la révolution, détruisant l’entière sous-structure qui donnait leur légitimité aux religieux de haut rang. Au début des années 2000, cette contradiction commençait à détruire la révolution. Cela ouvrit la porte à un défi fondamentalement nouveau posé par M. Ahmadinejad et ses alliés.
Selon le conférencier, deux personnes définissent cette lutte, Ali Akbar Hachemi Rafsandjani, figure emblématique de la révolution, et Saïd Jalili. M. Jalili, actuellement conseiller national pour la sécurité auprès du président et présumé « éminence grise de M. Ahmadinejad », a écrit dernièrement un livre sur la politique étrangère du Prophète. Le conférencier pense aussi qu’il est important de savoir que M. Jalili est né en 1965 à Mashhad, et non pas à Qom.
M. Rafsandjani, président de 1989 à 1997, fit à l’Université de Téhéran le 23 février 2007 un discours très défensif dans lequel il conseillait à des personnes non désignées nommément de ne pas remettre en question « notre adhésion pleine et entière » à la révolution, leur demandant si « elles » avaient sacrifié autant de sang. Le message, s’adressant à M. Jalili et à ses alliés, semblait vouloir indiquer que la révolution appartient à l’élite des ayatollahs de Qom, surtout à cause du sang versé pendant la guerre avec l’Irak. C’est leur engagement infatigable envers l’idéologie du velayat-e-faqih qui a maintenu la foi dans cette période difficile qu’était la guerre. Quand Saïd Jalili remplaça Ali Laridjani comme négociateur du nucléaire à la fin de 2007, plusieurs de ses discours furent publiés et cela permit de divulguer l’autre versant de la discussion. Le 21 octobre 2007, par exemple, il affirmait que les gouvernements précédents s’étaient écartés des enseignements islamiques, mais que les principes ne devraient pas être sacrifiés sur l’autel du pragmatisme. La politique étrangère devrait être fondée sur un modèle théologique de l’authenticité islamique et sur les enseignements du Prophète. Le livre de M. Jalili devait donc servir de plan pour une telle politique étrangère.
Pour l’élite de Qom, la révolution est née en 1979. La guerre avec l’Irak dans les années 1980 était une diversion douloureuse. Pour M. Jalili et ses alliés, cependant, cette guerre était le jalon et la timidité du clergé avait cédé la victoire. M. Jalili accusait donc M. Rafsandjani, qui avait signé le cessez-le-feu avec l’Irak, de ne pas être fidèle à la révolution. Il croit que lorsque les Pasdarans ont pris la direction de la guerre, ils ont lancé des attaques massives et ils étaient sur le point de prendre Bagdad quand M. Rafsandjani et l’élite de Qom ont laissé tomber. M. Jalili et ses alliés pensent également que les ayatollahs de Qom n’étaient pas l’avant-garde de la révolution. Ils ont plutôt suivi un mouvement qui existait déjà. En fin de compte, et en d’autres termes, on se dispute fondamentalement la propriété de la révolution. Une autre série d’événements a renforcé la position de M. Ahmadinejad et de ses alliés. Le NIE de 2007, en particulier, a été perçu comme un recul américain qui n’a pu se produire que parce que l’Iran n’a pas cillé. D’autres choses comme les essais de missiles en 2008 ont contribué à mettre l’élite de Qom de plus en plus sur la défensive. Après ces événements, l’Occident a négocié. Cela semble une justification. Le message de M. Ahmadinejad est désormais que l’âpreté peut être suivie d’habiles manoeuvres diplomatiques.
Quelle est cette nouvelle identité qui émerge à travers MM. Jalili et Ahmadinejad et leurs alliés? Bien que les participants à la conférence l’aient ensuite contestée, le spécialiste propose l’étiquette de « néo-safavide » pour la décrire. Les Safavides ont converti la Perse au chiisme au XVIe siècle, alors que les courants soufi et sunnite existants dérivaient vers le chiisme. Ils se militarisaient et devenaient de plus en plus dangereux pour les Ottomans voisins. Les Safavides rejetaient également les poches chiites existantes, surtout celles qui entouraient Qom comme les ordres Kizil Bach. Nous assistons aujourd’hui, pense le spécialiste, à une forme entièrement nouvelle de politique où l’on revient à la période safavide, où l’on est ancré à Mashhad tout en rejetant Qom. C’est une position néo-safavide, populiste, mystique et dangereuse qui représente un défi fondamental au gouvernement. Est-ce que ce défi va trop loin de la part de MM. Jalili et Ahmadinejad et de leurs alliés? L’avenir le dira mais, selon le conférencier, c’est clairement un défi au Guide suprême.
Première discussion en séance plénière
Un premier point, un modèle important à examiner était celui de la Chine où un parti immobiliste s’éloigne d’un modèle ultratotalitaire fortement influencé par l’idéologie. Qu’est-ce qui pourrait amener un changement des institutions en Iran alors que le régime est menacé? Les Chinois ont réussi à apporter des changements époustouflants au régime tout en maintenant le pouvoir du Parti communiste. Peut-on en tirer des leçons? Un conférencier précisa que M. Khomeini lui-même avait dit que les besoins de l’État islamique éclipsent certaines lois religieuses. Un premier conférencier estimait que le modèle chinois n’était pas applicable, vu que l’économie de la Chine est axée sur les exportations alors que le pétrole de l’Iran empêche la diversification. Un autre conférencier était d’accord qu’il y a de nombreuses différences entre l’Iran et la Chine. Il voyait bien qu’un groupe de membres du gouvernement iranien étaient très nerveux et cela correspondait en quelque sorte à la Chine : sur-mystification au point de s’autodétruire et inquiétudes constantes à propos de la survie du gouvernement. Une troisième personne affirmait qu’on pouvait faire une autre comparaison intéressante entre l’Armée populaire de libération (APL) en Chine et les Gardiens de la révolution islamique (GRI) en Iran. Ces derniers ne sont pas une force monolithique; ils ont de nombreuses préoccupations, telles que leurs intérêts commerciaux. L’APL était aussi au départ idéologique, mais elle s’est transformée en une armée moderne et une force de modération.
Un deuxième point, le guide en neuf étapes proposé par un groupe de réflexion éminent qui soutient qu’un Iran nucléaire n’est pas inévitable. La personne qui soulevait le point proposa un autre élément relatif au rôle du Guide suprême. M. Khamenei doit être le seul dirigeant au monde de nos jours qui n’a jamais voyagé en dehors de son pays. Il s’agit d’un problème essentiel : la politique internationale est fondée sur les échanges entre les leaders, mais les autres leaders ne peuvent même pas prendre la mesure fondamentale de M. Khamenei. La personne en question proposa donc un dixième élément : faire des pressions internationales pour inciter le Guide suprême à voyager, peut-être à Dubaï. Cela lui permettrait de voir ce que la capitale iranienne a fait pour bâtir l’émirat et comment cet argent aurait pu être utilisé à Téhéran. Un premier conférencier convenait que les négociations étaient absolument nécessaires et soutenait la proposition de l’administration Obama de traiter directement avec l’Iran. Même le Nord-Coréen Kim Jong-il voyage parfois en Chine et en Russie. Une deuxième intervention précisait que le Guide suprême est techniquement le chef du gouvernement, mais qu’il subit également d’énormes contraintes. Par conséquent, sa capacité à innover est limitée. La s&eeacute;paration de la position du marja (source d’émulation) de la légitimité du Guide suprême lui-même est essentielle dans la mesure où elle fait de lui un dirigeant politique seulement.
Une dernière question traitait des répercussions de l’idéologie religieuse sur les décisions politiques. La personne en question cita M. Khomeini : « Nous n’aimons pas l’Iran, nous aimons Dieu ». Selon cette citation, l’Iran restera fidèle à ses principes et les menaces concrètes sont secondaires. Quelles sont les conséquences de ce mysticisme? Un premier conférencier avança que cette importante question va au coeur du problème, que la pensée quasi-apocalyptique de M. Ahmadinejad et de ses alliés soit sincère ou qu’il s’agisse d’un outil populiste. D’après ce conférencier, c’est une croyance sincère qui déclenche une dynamique que le président ne peut pas maîtriser. Un deuxième conférencier avertit qu’il est toujours très difficile de distinguer les croyances sincères d’une instrumentalisation de la religion. Accepter la thèse selon laquelle les croyances apocalyptiques de M. Ahmadinejad sont sincères est dangereux et cela a des conséquences graves. On a proposé aussi que le gouvernement de Téhéran a pris autrefois de nombreuses décisions pratiques lorsqu’il a été stimulé par des pressions extérieures, y compris sur le programme nucléaire. En 2003, les ministres des affaires étrangères de France, d’Allemagne et du Royaume-Uni avaient trouvé Hassan Rouhani, le négociateur d’alors du nucléaire, très ouvert à l’idée de suspendre l’enrichissement, idée qu’il a finalement acceptée. Sous de fortes pressions internationales, l’Iran a réagi comme les autres états dans de telles circonstances, et pas sur la base de la religion. Cela laisse entendre à l’administration Obama qu’on peut espérer régler le problème. Pourtant, ça ne se fera pas en six mois, mais seulement après une longue lutte.
La société iranienne
Les Perses et les autres minorités : la politique des minorités en l’Iran
Il existe une tendance naturelle à réifier les pays et à les croire unitaires et homogènes. C’est généralement faux, mais c’est particulièrement trompeur dans le cas de l’Iran où il y a des différences internes importantes sur les plans ethnique, linguistique et religieux. Il y a les groupes de langue turque (comme les Azéris et les Turkmènes) ainsi que d’autres (p. ex. les Arabes, les Lors, les Kurdes et les Baloutches) qui sont distincts du coeur de la population perse, persanophone, vivant pour la plupart autour du plateau central et en majorité chiite. Nombre de ces groupes ont des compatriotes au-delà des frontières. Il y a aussi entre eux des différences d’organisation considérables. Les populations persanophones ont tendance à être urbaines ou à habiter dans des villages, alors que de nombreuses autres sont organisées en tribus dans des groupes politiques régionaux qui servent de mécanismes de défense. Les tribus et les minorités affirment souvent leur indépendance si on leur en donne l’occasion. Comme cela arrive chaque fois que le centre s’effondre, la République islamique, après la chute du schah en 1979, dut conquérir militairement les groupes minoritaires. Les tribus, en somme, ne sont pas un facteur mineur : elles peuvent être neutralisées ou mises en action comme groupes politiques. Malgré cette diversité, l’islam chiite est un important facteur d’unification en Iran puisqu’il réunit 90 p. 100 de la population. Les 10 p. 100 restants sont chrétiens, juifs, bahaïs et sunnites. Cette diversité ne réjouit pas les dirigeants de l’Iran parce qu’elle ne correspond pas à la mission de la République islamique, dont la raison d’être est l’avancement de l’islam chiite. La loyauté envers l’État des personnes qui ne sont pas Perses peut être mise en doute.
La région baloutche de la province du Sistan-Baloutchistan représente la région la plus « étrangère » de l’Iran : elle est la plus éloignée des centres du pouvoir, son climat est extrêmement aride et sa population s’écarte de la majorité perse en matière de religion, de langue et d’ethnicité. C’est la région la moins développée du pays et elle est contiguë au Baloutchistan pakistanais qui compte une plus grande population baloutche. L’Iran a suivi le modèle chinois dans sa façon de traiter la région : il l’a submergée d’une population majoritaire, des Perses chiites. Téhéran a entrepris de transformer la région en l’un des centres d’enseignement universitaire en Iran, une région qui n’avait même pas d’écoles primaires avant la révolution. Aujourd’hui, l’Université du Baloutchistan à Zahedan est la deuxième en importance en Iran. Elle compte des facultés dans toute la région. Ses étudiants et son personnel comprennent des Perses de tout le pays. En conséquence, ce qui était encore récemment des petites villes oasiennes se sont transformées en grandes villes. Le gouvernement de la province est cependant largement dirigé par des Perses chiites et pour les Perses chiites. Les missionnaires chiites sont envoyés dans la région pour convertir les Baloutches sunnites, alors que ces derniers n’ont pas la faveur pour les emplois. Il existe également une forte présence militaire, augmentée ces dernières années à cause de la Joundallah (Armée d’Allah), un groupe rebelle qui a attaqué les forces de sécurité iraniennes. La Joundallah n’est pas un mouvement de masse, mais elle reflète un mécontentement et pourrait devenir quelque chose de plus grave. Le Guide suprême a accusé les États-Unis de la soutenir, même lorsqu’il a répondu à la récente ouverture de M. Obama envers l’Iran.
La situation du Baloutchistan iranien est un cas extrême, mais il témoigne des problèmes des minorités dans le pays. Tous ont souffert d’arrestations, de disparitions et d’exécutions parce qu’ils seraient hostiles à la République islamique. La situation des minorités n’est pas passée inaperçue en dehors de l’Iran. Des nationalistes baloutches au Pakistan, par exemple, ont dénoncé l’occupation du « Baloutchistan occidental », tandis que les journaux saoudiens ont critiqué les mauvais traitements infligés aux sunnites et aux Arabes en Iran. Dans ce contexte, il est tout à fait possible que l’ingérence iranienne parmi les populations chiites des voisins arabes se heurte à des mesures de rétorsion. En effet, les ambitions des Kurdes, des Baloutches et d’autres nationalistes, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur de l’Iran, pourraient commencer à attirer le soutien des puissances régionales sunnites si les projets extérieurs de l’Iran marchent trop fort sur les pieds des voisins. Le danger pour la République islamique, c’est donc que ses minorités, peut-être avec des encouragements et un soutien extérieurs, pourraient passer du ressentiment à une franche rébellion et à l’insurrection. Depuis que la République islamique a été fondée, les « autres » en Iran n’ont pas eu grand-chose à dire. Il se pourrait qu’ils trouvent de nouvelles façons de se faire entendre.
La société civile : Aspirations et dissidence
On définit généralement la société civile comme l’espace intermédiaire entre l’individu et l’État. En pratique, toutefois, les choses sont beaucoup plus complexes, étant donné que l’État peut agir à l’aide de la société civile et vice versa. En Iran, par exemple, les bonyads font partie de la société civile, mais ce sont des associations citoyennes cautionnées par l’État. (Les bassidji jouissent d’un tel aval, mais ils sont, au contraire, une organisation officielle paramilitaire.) Toutes les associations citoyennes ne sont pas « bonnes », comme on a pu le constater au Rwanda en 1994. Toutes les manifestations de la société civile ne sont pas démocratiques et toutes les formes de dissidence ne font pas partie de la société civile. La société civile dissidente, qui est le sujet du présent exposé, peut prendre différentes formes. En Iran, la société civile est antérieure à la prise de la présidence par les réformistes en 1997. On peut la faire remonter à la fin de la dynastie kadjar au XIXe siècle. Une « sphère publique » en Iran remonte même plus loin, à la période safavide au XVIIe siècle lorsque le schah Abbas fonda Ispahan. De nouveaux espaces publics émergèrent ainsi qu’une nouvelle identité collective chiite.
L’islam chiite joue un rôle de premier plan dans la formation de la société civile iranienne. Pourtant, le chiisme traverse une grave crise de légitimité. La dissidence au sein de la classe dominante chiite depuis les années 1960 ainsi qu’une fragmentation accrue au sein du chiisme iranien ont mené à une lutte grandissante parmi les factions qui comprennent différemment l’autorité chiite. On devrait donc voir les activités dissidentes chiites dans le contexte des autres associations citoyennes dissidentes, comme les mouvements des étudiants ou ceux des femmes, et en relation avec elles. Le chiisme est important autant pour des raisons culturelles que pour des raisons d’organisation. Culturellement, il est important parce que l’islam chiite a joué un rôle central dans la formation de l’identité collective iranienne depuis le XVIIe siècle. Du point de vue de l’organisation, l’islam chiite façonne également la société citoyenne vu que les liens des réseaux socioéconomiques et familiaux se sont développés depuis la période safavide autour des traditions chiites comme le bazar et les familles cléricales, avec leurs interprétations distinctes de soi et de la réalité. Le chiisme a également joué un rôle important dans la révolution islamique. Il s’est réinventé à travers les symboles du martyre dans la version du chiisme de M. Khomeini.
Depuis lors, le chiisme a été une source cruciale de légitimité qui a permis au clergé d’employer son langage pour mobiliser la population. Des religieux de rang intermédiaire ont reconstruit ses idéaux et ses pratiques pour justifier l’action politique et ouvrir la voie à la révolution. On l’a réinterprété en mettant davantage l’accent sur le martyre et on l’a réinventé en termes modernistes pour s’insurger contre le schah. Des intellectuels laïcs ont aussi participé en démontrant comment le chiisme offrait les meilleures solutions pour la société iranienne. Ainsi, le Khomeinisme gagna la partie en 1979. Pendant les quatre à cinq années suivantes, il eut le monopole de l’Iran chiite. Le gouvernement se débarrassa des religieux qui n’adhéraient pas à l’idéologie du velayat-e-faqih – ou, du moins, à la façon dont M. Khomeini appuyait le régime. L’ayatollah Shariatmadari, par exemple, perdit ses pouvoirs religieux sur ordre direct de l’ayatollah Khomeini, même chose pour l’ayatollah Montazeri après qu’il eut critiqué la brutalité du régime.
Le décès de M. Khomeini en 1989 marqua la montée d’une version plus technocratique du chiisme avec la présidence de M. Rafsandjani et l’importance d’intellectuels laïcs comme Abdul Karim Soroush. Après la guerre avec l’Irak, le développement socioéconomique devint prépondérant, pourtant, une nouvelle génération critiquait de plus en plus la version dominante de l’islam politique. L’élection de M. Khatami à la présidence en 1997 fut un autre tournant, avec la montée des réformistes qui ouvraient un dialogue sur la façon de rendre le chiisme plus ouvert et pluraliste. Deux forces principales menaient le mouvement réformiste. Il y eut, d’abord, une explosion de l’activisme citoyen chiite. Environ 10 000 groupes non gouvernementaux émergèrent et devinrent très critiques de la République islamique, contestant sa façon de gouverner le pays. En même temps, ces groupes, y compris les religieux, utilisaient de plus en plus de nouveaux moyens de communication, surtout l’Internet et le téléphone cellulaire, pour propager leur version de l’islam chiite. Même l’ayatollah Montazeri publia ses mémoires en ligne, décrivant l’application du velayat-e-faqih s’il était au pouvoir. L’État riposta en fermant de nombreux sites Web et cafés Internet. Au début, il imita le modèle cubain, en censurant, puis il se rapprocha du modèle chinois en contre-attaquant avec ses propres sites Web. La montée de l’ayatollah Ali al-Sistani en Irak, très actif sur l’Internet, provoqua des réactions chez les dirigeants iraniens. Cela dit, de nombreux Iraniens ont appris à contourner les filtres, tandis que les blogues ont proliféré. Les mouvements de femmes et d’étudiants ont utilisé le Web de plus en plus et le cyberchiisme a aussi foisonné.
Il est crucial de ne pas voir le chiisme en Iran comme monolithique. Il est de plus en plus fragmenté, d’autres perspectives étant de plus en plus disponibles grâce aux nouveaux moyens de communication interactifs. Le chiisme en Iran souffre aussi d’une crise de légitimité. La question de la succession à l’actuel Guide suprême est essentielle. Il est probable que le poste sera de plus en plus mis en cause : plus politique et moins qualifié sera le nouveau guide, moins il aura de légitimité. Le prix de sa légitimité viendra également de la stabilité grandissante de Nadjaf en Irak post-baasiste. Nadjaf ne s’élèvera pas forcément contre Téhéran, mais elle jouera un rôle déterminant dans l’évolution future de l’Iran chiite. Une explosion ou une nouvelle révolution est peu probable en Iran. Toutefois, il est possible que l’État implose, le principe du velayat-e-faqih perdant graduellement sa légitimité à cause de la crise de la légitimité spirituelle et politique. Quelle que soit la direction que prenne l’Iran, l’islam chiite continuera de jouer un rôle essentiel.
La société civile, la répression et les tendances démographiques
De nos jours, on peut qualifier la situation en Iran de « divorce iranien ». La société a profondément changé ces 30 dernières années et elle est désormais post-islamiste. La théocratie est néanmoins encore islamiste dans ses principales caractéristiques. Il en résulte une profonde division entre les deux, le paradoxe pourtant est qu’il n’y a pas d’important mouvement de protestation en Iran à l’heure actuelle. Il y a eu deux mouvements sociaux importants ces 30 dernières années : la révolution et les réformistes dans les années 1990. Ces derniers ont fait naître chez les jeunes un immense sentiment de soulagement et d’espoir d’une société plus ouverte et pluraliste et d’établissement de ponts avec le reste du monde, surtout l’Occident. En fin de compte, toutefois, les deux mouvements ont échoué. La révolution, et son utopie de paradis sur Terre et de fin de l’injustice sociale, a mené à la désillusion et à la frustration chez les générations plus jeunes. Le mouvement réformiste des années 1990 a aussi soulevé des espoirs qui depuis ont été déçus. Ainsi, la population iranienne craint toute mobilisation, vu les déceptions produites autant par la révolution que par les réformistes. Cette frustration a aussi été engendrée par la répression des mouvements sociaux, dont on a vu quatre types importants depuis les années 1990.
Le mouvement étudiant a joué un rôle très important à la fin des années 1990. Pour la première fois, un mouvement populaire en Iran était protodémocratique au lieu d’être principalement marxiste, islamiste ou radical, comme les mouvements passés l’avaient été. Il a pourtant été lourdement réprimé depuis 1999. Aujourd’hui, il est partiellement radicalisé et un phénomène minoritaire.
Le mouvement intellectuel véhiculait au début un message de pluralisme islamique et il continue de le faire, mais ce message n’a pas été renouvelé depuis une décennie. La population a assimilé les arguments de personnes comme MM. Soroush et Mohsen Kadivar, à savoir que le velayat-e-faqih n’est pas profondément enraciné dans le figh chiite. Ces intellectuels, qui professent que l’islam et la démocratie ne sont pas en désaccord, ont souvent été réprimés et jetés en prison, et ils n’inspirent plus de nouveaux mouvements sociaux comme ils le faisaient dans les années 1990.
Les mouvements ethniques étaient très largement soutenus par M. Khatami en 1997 et en 2001, et ils croyaient qu’il leur donnerait un peu d’autonomie culturelle. Même s’il espérait certainement le faire, pour bien des raisons, il n’y est pas parvenu. À l’heure actuelle, les mouvements ethniques sont en grande partie réprimés.
Le mouvement des femmes est le seul mouvement encore actif de nos jours, comme on l’a vu dans la campagne d’un million de signatures. Cette évolution est révélatrice d’activités de la société civile réellement populaires, quelque chose qui est rare dans d’autres sociétés islamiques.
Globalement, le paradoxe de la société iranienne est que, malgré ses profonds ressentiments, elle ne compte pas de mouvement de protestation. Ceux qui veulent un changement n’ont pas réussi à s’organiser, tandis que ceux qui rejettent le pluralisme sont très organisés. Quatre-vingt pour cent peut-être de la population veut davantage de pluralisme et de modernité, et seulement 15 à 20 p. 100 s’opposent à un tel changement. Ce qui exacerbe cette situation, c’est que la vie quotidienne en Iran n’est pas aussi répressive qu’on peut le croire. L’écart est énorme entre ce que le gouvernement prétend exercer en termes islamiques et ce que les gen vivent réellement dans la vie privée, par exemple sur le plan de la consommation d’alcool. La répression est ponctuelle, mais dans l’ensemble, elle n’est pas incommensurable. C’est là le divorce iranien, entre une structure politique qui domine et parfois réprime et une vie quotidienne entravée de nombreuses difficultés, mais surtout économiques. Les protestations
sont donc très faibles.
Deuxième discussion en séance plénière
Un premier conférencier demanda s’il était possible qu’il y ait une concurrence entre les centres religieux de Qom et de Nadjaf. Comment l’influence iranienne pourrait-elle évoluer, vu qu’une des principales sources de la projection du pouvoir iranien est son rôle de leadership dans l’islam chiite? Une première réponse rejetait l’idée que Nadjaf fait contrepoids à Qom. Les deux villes ont collaboré et elles sont imbriquées : M. Sistani a son centre financier à Qom et il est lié à M. Khomeini par l’alliance de ses petits-enfants. Il faut se rappeler que l’autorité chiite de Nadjaf est antérieure à celle de Qom. M. Sistani estime que les religieux ne devraient pas être directement impliqués dans l’administration de l’État et ne devraient être que des guides spirituels publics. À très long terme, la version plus démocratique de Nadjaf s’imposera et ce sera le fruit de la coopération, pas de l’affrontement.
Une deuxième question concernait l’héritage durable du changement social qu’a amené la révolution. Pour un premier conférencier, la sécularisation de la société iranienne s’est produite de façon paradoxale. La connaissance du monde extérieur qu’ont les générations plus jeunes, surtout les jeunes femmes, est supérieure aujourd’hui à ce qu’elle était sous le régime du schah. La population est plus instruite et la société est culturellement plus homogène. En même temps, le ressentiment, surtout parmi les minorités culturelles, est plus grand à l’heure actuelle qu’il ne l’était il y a trente ans. Aucune société au Moyen-Orient n’est plus mûre pour la démocratisation, pourtant, en même temps, aucune société n’affronte plus d’obstacles.
Un participant souleva ensuite la question du rôle grandissant des bassidji dans la société. Existe-t-il des groupes dissidents qui ne sont pas dirigés par le gouvernement? Les bassidji pourraient-ils faire dérailler les efforts de dialogue avec les États-Unis? Un premier conférencier répondit que les bassidji semblent parfois n’en faire qu’à leur tête, comme lorsqu’ils ont attaqué l’ambassade du Royaume-Uni en Iran il y a quelques années. Il est vrai que le gouvernement ne sait pas toujours ce qu’ils font. En théorie, par exemple, toutes leurs armes à feu devraient être enregistrées, mais en pratique, ce n’est pas toujours le cas. Un autre conférencier insista sur la distinction entre les bassidji et les Pasdarans. Les premiers n’ont aucun pouvoir qui leur est propre puisqu’ils font partie des Pasdarans. Certains de leurs membres croient vraiment que le velayat-e-faqih doit être défendu, tandis que d’autres adhèrent pour les occasions qu’il offre. Les membres ne touchent pas de salaire, mais ils bénéficient de nombreux avantages, comme des quotas dans les universités et des voyages aux lieux de pèlerinage et à La Mecque. Le plus gros problème du pays, cependant, ce ne sont pas les bassidji, mais les Pasdarans. Ces derniers sont désormais un géant économique. Environ 20 p. 100 des membres du Majlis en sont d’anciens membres, et il se peut que, si une crise majeure éclate, ils essaient de renverser le gouvernement.
Enfin, un participant demanda quelle est l’importance du nationalisme. Les Iraniens semblent tous en faveur du droit au nucléaire de leur pays. Est-il possible que les dirigeants y fassent appel? Un premier conférencier souligna que les dirigeants iraniens avaient déjà fait appel au nationalisme, étant donné que la révolution elle-même a beaucoup à voir avec la souveraineté. Il s’agit d’une version islamiste chiite du nationalisme, centrée sur l’indépendance et les prouesses scientifiques. Un autre intervenant fit observer que souvent au Moyen-Orient, on voit d’étranges compères. L’élite laïque en Iran craint surtout que l’intégrité territoriale du pays puisse se disloquer après que les ethnies demandent leur autonomie et, dans ce sens, elle soutient le gouvernement. En outre, le mélange d’islam et de nationalisme n’est pas particulier à l’Iran, vu que la plupart des pays à majorité musulmane jouent actuellement avec les deux. Pour ce qui a trait au nucléaire, beaucoup d’Iraniens estiment qu’il y a deux poids deux mesures. Pourquoi l’Occident devrait-il accepter les bombes nucléaires pakistanaises et israéliennes, et s’opposer à ce que l’Iran, une civilisation vieille de 2 500 ans, en acquière? Pour de nombreux Iraniens, cette question va au-delà de la nature du régime. Ce ciment nationaliste est particulièrement fort dans le contexte du programme nucléaire. Si les États- Unis attaquaient les installations nucléaires de l’Iran, la plupart des Iraniens, y compris les opposants laïcs, feraient bloc derrière leur gouvernement.
La jeunesse iranienne de nos jours
Il n’est pas exact de parler de « jeunesse iranienne » car elle n’est pas homogène. Les classes supérieure et inférieure diffèrent, et les familles laïques sont différentes des familles traditionalistes. La fracture est importante entre la jeunesse urbaine et sécularisée, qui représente probablement la majorité, et celle des petites villes qui n’est pas aussi laïque et que la modernité angoisse davantage. Le conférencier s’est référé à une recherche empirique faite entre 2003 et 2005 dans trois villes iraniennes. Il établit un certain nombre de traits communs parmi ces jeunes : ils étaient désabusés, dépolitisés et opposés à la République islamique, et en général très différents de la jeunesse révolutionnaire d’il y a 30 ans. À l’époque, la jeunesse considérait le martyre comme spectaculaire et parfois s’identifiait avec ce comportement. De nos jours, même à Qom, ville traditionaliste, il n’a pas trouvé de côté existentiel au martyre. La jeunesse ne s’identifiait pas avec ce comportement et le rejetait comme expérience individuelle. Au début, l’idéologie des opprimés (mostazafin) était également centrale pour la révolution. En 2003-2005, cependant, il ne trouve aucune expression de l’idéologie des opprimés dans un sens socioreligieux. C’est là un net contraste avec les autres états musulmans, surtout les États arabes, dont les sentiments d’oppression et d’humiliation sont profondément enracinés.
L’un des types de jeunes rencontrés était ceux qui manifestaient une ambivalence à l’égard de la modernité. Sur la question complexe de la sexualité, parmi les jeunes traditionalistes de Qom, et aussi de Téhéran, il entendit que le mariage est ce qui est le plus important par rapport à la sexualité. Les jeunes hommes pensaient qu’ils pouvaient flirter et avoir des relations avant le mariage, mais pas leurs soeurs. Parmi les filles, même parmi les traditionalistes, il existe un sentiment profond d’inégalité, ce qui est nouveau dans ce groupe. La majorité des filles estiment que les relations avant le mariage sont illégitimes, pourtant la majorité également se les permet. Cette ambivalence transparaît dans leur discours : beaucoup mentent à leurs parents, ce qui est bien plus facile grâce aux téléphones portables, mais ils ressentent souvent une profonde culpabilité. L’étude a également montré des points de vue très ambivalents envers le mariage, même parmi les familles traditionalistes à Qom. C’est un phénomène nouveau : les jeunes veulent négocier et non pas que la famille leur impose un mariage. Beaucoup de jeunes filles ont fait des études universitaires ou préuniversitaires et, contrairement à autrefois, elles partagent davantage de milieux culturels avec de jeunes hommes où elles peuvent discuter ou négocier.
Cela dit, les ambiguïtés existent. Par exemple, une écrasante majorité rejette la polygamie et, pourtant, reste ambivalente quant à la démocratie. La plupart estime que tous les Iraniens devraient être égaux, mais qu’un sunnite, un chrétien ou un juif ne pourrait être président. Les sentiments contradictoires sont omniprésents. Lorsqu’on leur demande si la vox populi devrait être la vox dei, les jeunes commencent souvent par répondre par l’affirmative, mais ils affirment que la loi ne devrait pas contredire le Coran. Cette ambivalence fait partie du processus de modernisation. En même temps, elle concourt indirectement à la théocratie.
À quoi pensent les Iraniens?
Pétrole et stabilité politique en Iran
Ces dernières années, le Fonds monétaire international (FMI) a cessé de publier des données brutes sur le pétrole et l’économie en Iran. Bien que ce genre de données soit plus rare, on doit garder à l’esprit d’autres facteurs. Premièrement, selon une idée répandue, la Perse et la Turquie ont fait l’objet d’intérêts économiques étrangers, ce qui a mené à une dégradation de leur souveraineté au fil des ans. Dans le cas de l’Iran, en 1952, le premier ministre Mossadegh rendit visite au président américain Harry Truman à la Maison-Blanche pour essayer d’obtenir un partage moitié-moitié des profits, comme ceux qui avaient été réalisés avec le Venezuela et l’Arabie saoudite. Le président Truman n’était pas forcément contre cette idée et il gardait ses distances par rapport aux pressions de la Grande-Bretagne pour soutenir un coup d’État contre M. Mossadegh. Néanmoins, lorsque M. Mossadegh décida la nationalisation de la compagnie pétrolière nationale iranienne, la nouvelle administration Eisenhower finit par soutenir le renversement du premier ministre iranien.
À la fin des années 1970, les niveaux de production pétrolière en Iran atteignaient environ six millions de barils par jour, mais ils baissèrent abruptement après la révolution islamique de 1979. La production remonta assez rapidement aux deux tiers des niveaux d’avant la révolution, environ quatre millions de barils par jour, mais ils baissèrent de nouveau après le début de la guerre contre l’Irak en septembre 1980. C’est lorsque la production pétrolière baissa et que les épreuves de la guerre provoquèrent une détresse économique que Téhéran devint le plus agressif, provoquant l’Irak pour tenter d’unifier le pays derrière le nouveau régime. Depuis, la République islamique n’a jamais réussi à atteindre ses niveaux de production de pétrole d’avant 1979. En outre, la demande intérieure de pétrole n’a cessé d’augmenter régulièrement et cela ronge les capacités d’exportation. En Iran, la proportion des recettes publiques des exportations de pétrole est aussi élevée que dans les autres pays qui exportent leurs ressources. Étant donné le peu de chiffres actuellement disponibles, on peut donc estimer qu’environ 17 p. 100 des recettes publiques iraniennes vont aux subventions pétrolières (soit environ 60 milliards de dollars américains pour un budget total d’environ 300 milliards de dollars américains).
Les spécialistes ont prédit en 2005 que, vu que les investissements étrangers n’étaient pas suffisants pour soutenir les capacités supplémentaires nécessaires pour compenser une baisse de 8 à 10 p. 100, il se pouvait que l’Iran n’ait plus de pétrole à exporter d’ici 2013. Cette prédiction s’est révélée fausse puisque la production s’est en réalité stabilisée à environ quatre millions de barils par jour. Cela dit, la hausse spectaculaire de la consommation intérieure a continué et est encore plus prononcée pour le gaz naturel. À long terme donc, une épée de Damoclès est suspendue au-dessus du gouvernement, car les augmentations de la demande intérieure réduisent progressivement les capacités d’exportation tant de pétrole que de gaz naturel. On peut donner trois raisons pour expliquer la stagnation des exportations énergétiques de l’Iran. La première raison est bien sûr l’insuffisance du réinvestissement inadéquat. La deuxième raison, qui est fonction de la première, sont les conditions très dures que l’Iran impose à ses partenaires étrangers. Cela vient de l’interdiction constitutionnelle de partager les ressources, comme c’est généralement le cas dans les accords de partage de la production. Ce n’est pas un hasard si les deux pays qui ont des interdictions constitutionnelles contre de tels accords, l’Iran et le Mexique, sont ceux où l’Occident est le plus intervenu, a précisé le spécialiste. C’est pour cette raison que l’établissement et le maintien des capacités posent problème dans les deux pays. Enfin, la troisième raison de la stagnation des exportations énergétiques fut le subventionnement de la consommation intérieure.
On a dit dernièrement que l’Iran exporterait de l’essence, peut-être d’ici 2012 lorsque les raffineries financées par les Chinois commenceraient la production. Il se peut que la fin des subventions intérieures pour l’essence en 2006 n’ait pas été populaire, mais cela a diminué les importations. En outre, il s’avère que cela n’a pas provoqué la crise que certains avaient prévue. À long terme, toutefois, le gaz pose davantage problème que le pétrole vu que certains conservateurs s’opposent plus vigoureusement aux projets d’exportation de gaz par gazoducs ou comme gaz naturel liquéfié. Les technocrates et certains nationalistes et initiés sont en faveur de divers projets d’exportation puisqu’ils bénéficieraient de la création de nouveaux marchés d’exportation. Mais les subventions ont entraîné une croissance élevée de la demande intérieure et la création de réseaux de distribution très perfectionnés, surtout dans les villes. Dernièrement, le Majlis a cherché à augmenter le prix intérieur du gaz naturel. C’était politiquement indéfendable. D’aucuns ont offert de compenser en prévoyant des subventions aux indigents, mais d’autres, surtout les économistes, s’y sont opposés en arguant que cela augmenterait encore le taux d’inflation déjà élevé d’environ 20 p. 100.
Dans ce contexte, le conférencier ne pouvait simplement pas imaginer que l’Iran pourrait respecter un engagement d’exporter du gaz, surtout par un éventuel gazoduc Iran- Pakistan-Inde. De plus, maintenant que le prix du gaz s’est effondré, on assiste à un comportement inhabituel de la part de l’Iran. Il y a quelques années, lorsque les prix étaient plus élevés, l’Iran aurait pu conclure un marché dans des termes plus avantageux pour le gazoduc Iran-Pakistan-Inde, mais il n’a pas réussi à le faire. Maintenant que les prix se sont effondrés, l’Iran a en fait haussé ses exigences et le Pakistan s’est retiré des négociations. Fait intéressant, ce comportement est identique à celui de 1980. En outre, une remontée des prix est peu probable dans les cinq prochaines années en raison de divers facteurs, dont l’arrivée sur le marché de nouveaux gaziers géants transportant du gaz naturel liquéfié qui créent un marché mondial du gaz plus fongible. Contrairement au pétrole, qui est vendu sur un marché totalement fongible (cela signifie qu’une baisse de la production n’importe où retentit sur les prix dans le monde entier), la plupart du gaz est encore transporté par des gazoducs. Néanmoins, les nouveaux gaziers gigantesques, dont nombre sont fabriqués au Qatar, rendront le marché du gaz plus fongible.
Marchés noir, gris et blanc : l’économie iranienne
Depuis la révolution, la logique économique en Iran repose sur la redistribution du revenu national pour des motifs politiques, alors que le système économique, dominé par de puissants initiés, est fondé sur des activités de maximisation de la rente. Parmi ces initiés, citons les fondations, les marchands de bazars (la classe marchande traditionnelle), les Pasdarans et quelques réseaux près du gouvernement.
Les marchands de bazars sont les plus importants initiés. Puisque l’économie iranienne est axée sur l’importation et basée sur un système archaïque de distribution, ils ont fait d’énormes profits. Leur influence politique leur permet d’obtenir des permis d’importation du ministère du Commerce tout en contrôlant une partie des importations illégales. Les bas tarifs à l’importation et l’absence de taxes sur les importations illégales leur apportent aussi des avantages. Comme on pouvait s’y attendre, ils s’opposent à l’imposition d’une taxe sur la valeur ajoutée (TVA), puisqu’elle réduirait leurs profits et les obligerait à faire preuve d’une transparence indésirable. Leur influence s’est affaiblie depuis l’arrivée au pouvoir du président Ahmadinejad, comme le montre la proposition de ce dernier d’imposer une TVA.
Les fondations, elles, ne paient pas d’impôts, ne sont pas sous le contrôle de l’État, bien que sous la coupe du Guide suprême, et possèdent une influence politique énorme, qu’elles utilisent pour obtenir du financement à faible taux d’intérêt et spéculer sur les marchés des importations, de la bourse ou de l’habitation. Une d’entre elles, l’Institut financier islamique de la fondation des déshérités (SINA), a été créée sans l’autorisation de la banque centrale et est aujourd’hui un joueur important à la bourse de Téhéran. Elle bénéficie d’un appui politique important au sein du gouvernement actuel, puisque la majorité de ses gestionnaires sont d’anciens membres des Pasdarans. Les Pasdarans, eux, ont établi leur présence dans l’économie iranienne après la guerre Iran-Irak, et de façon encore plus marquée après l’élection de M. Ahmadinejad en 2005. Ils ont depuis obtenu des contrats dans les secteurs de la construction et de l’énergie et conclu des ententes suspectes avec la bourse de Téhéran. Ils jouent aussi un rôle de premier plan dans les importations illégales
Le gouvernement utilise aussi bien des outils officiels qu’officieux pour distribuer des rentes à ces initiés. Grâce à la politique budgétaire, les fondations ont reçu des crédits budgétaires accrus, malgré des baisses générales de revenus pour le gouvernement lors du plus récent budget. Le gouvernement a aussi augmenté les dépenses publiques en capital de 64 p. 100, en accordant de nombreux contrats de construction à des sociétés liées aux Pasdarans. Le gouvernement iranien utilise aussi des outils quasi-budgétaires ou officieux pour redistribuer ses revenus. Parmi ces outils, citons les projets de privatisation favorisant les initiés et la politique monétaire ainsi qu’une baisse des taux d’intérêt pendant l’exercice 2007-2008 qui a permis aux sociétés liées aux Pasdarans et aux fondations d’obtenir du financement à faible coût. Les initiés ont également su profiter de la politique commerciale. Par exemple, une augmentation du taux de change depuis 2006 ainsi que de bas tarifs et de faibles contrôles à l’importation leur ont permis de réaliser d’énormes profits. La politique de redistribution a contribué à creuser un énorme déficit financier, qui a causé une forte inflation et une baisse du pouvoir d’achat des salariés. Depuis 2005, les inégalités associées au revenu se sont aggravées en milieu urbain, un phénomène dont le public est pleinement conscient. De plus, le système ne peut créer suffisamment d’emplois et le taux de chômage officiel s’établit à environ 12 p. 100. On croit cependant que le véritable taux de chômage est beaucoup plus élevé.
Parmi les personnes en marge de ce système, citons les travailleurs à salaire fixe, comme les fonctionnaires et les enseignants, et de nombreux habitants de régions sous-développées comme le Kurdistan, le Baloutchistan et le Khorassan. On estime qu’environ 35 p. 100 de la population vit sous le seuil de la pauvreté, ce qui a mené à une augmentation du nombre d’infractions criminelles mineures et de la prostitution. Cela dit, les gens peuvent se protéger contre l’inflation, par exemple en spéculant sur des devises étrangères ou sur divers biens, grâce aux augmentations de salaire accordées dans le secteur public ou à des subventions (dont le nombre demeure élevé), ainsi qu’en profitant de l’économie parallèle (qui correspond à environ un tiers de l’économie officielle) et de la solidarité familiale. De plus, les politiques populistes du gouvernement actuel, comme la distribution gratuite d’espèces et de prêts, ont aidé à atténuer certaines des conséquences négatives de l’inflation.
L’économie iranienne présente, en somme, deux aspects : une « face » officielle qui défend les valeurs de la révolution, comme la justice sociale et le nationalisme, mais aussi un côté sombre où le gouvernement appuie financièrement certains groupes, car il a besoin de leur appui. Une contradiction existe entre ces deux aspects. La légitimité du régime est affaiblie lorsque le public croit qu’il y a trop de redistribution, et la forte inflation reflète ces contradictions. Cela dit, le système fonctionne et demeure solide. Une forte inflation n’a jamais engendré une inflation galopante et l’État a su habilement calmer le jeu en jouant la carte du nationalisme.
Le gouvernement iranien est confronté à des défis à court et à long terme. À court terme, il doit affronter ses propres contradictions. Une volonté de réforme existe (par exemple, le gouvernement a tenté de privatiser une partie du secteur public), mais une politique d’appui aux initiés et à certaines régions rurales existe toujours. De plus, le gouvernement doit faire face à la chute du prix du pétrole, qui l’empêche de distribuer autant des revenus tirés de cette ressource qu’autrefois. Le président Ahmadinejad devra composer avec le risque d’assister à une hausse du déficit financier et de l’inflation. En outre, le fait qu’une proportion croissante de la population éprouve des difficultés économiques pourrait provoquer des tensions sociales et une baisse de l’appui des Iraniens au gouvernement, puisque la redistribution basée sur des motifs politiques pourrait être moins bien acceptée. À plus long terme, selon le conférencier, le régime doit changer les valeurs collectives qu’il défend. La redistribution basée sur des motifs politiques est de moins en moins acceptée, surtout parmi les jeunes qui souhaitent la disparition d’un système basé sur les relations au profit d’un système basé sur les lois. Il est aussi probable que la modernisation oblige une séparation plus nette des sphères politique et économique. Une plus grande intégration dans l’économie mondiale serait un changement positif en ce sens.
Les élections présidentielles de juin 2009 : enjeux et résultats possibles
L’histoire de l’Iran au XXe siècle a été marquée par les révolutions de 1906 et de 1979. Le pays a connu des périodes d’autoritarisme et de populisme. La République islamique actuelle est le résultat de l’évolution de l’État iranien. Elle n’est pas apparue soudainement et n’est pas un produit de l’influence occidentale; elle est liée de près à sa propre expérience. Selon un conférencier, on ignore si l’Iran actuel a la capacité institutionnelle de suivre une voie orientée vers la réforme. D’un côté, les trois dernières décennies, pendant lesquelles se sont déroulées des élections locales et nationales, ont eu des conséquences : une génération entière a connu des élections et a participé au processus de la démocratie moderne. D’un autre côté, la révolution n’a pas mené à l’instauration d’une démocratie, mais elle a permis à l’ensemble des citoyens de comprendre l’exercice de la démocratie, une conséquence involontaire de la révolution.
Souvent, les réformes politiques mises en place par les dirigeants ne prennent pas dans les pays en voie de développement. Le contraire s’est toutefois produit en Iran : les gestes posés par l’État ne reflètent pas toujours les normes démocratiques, mais pour la population, le moment critique est passé. En effet, l’Iran a fait plus de progrès sur le plan de la démocratie que de nombreux autres États séculiers de la région. Cela s’explique par une longue suite d’événements survenus pendant une période de plus de cent ans. Les élections de 2005 le montrent bien, puisqu’elles ont été caractérisées par une lutte d’actualité pour la liberté et par des débats de longue date sur les relations entre l’État et la société. Cela a souligné le problème fondamental de la démocratisation : comment maintenir l’équilibre entre les besoins liés à l’établissement d’un État et la demande de démocratie.
Il existe des similitudes et des différences entre les élections présidentielles de juin 2009 et les élections de 2005. Le camp réformiste, selon le conférencier, n’a toujours pas présenté de programme viable à la suite du retrait de l’ancien président Khatami de la course. La défaite de 2005 avait été anticipée dès 2004, puisque les réformistes arboraient des attitudes contradictoires et hésitantes, par exemple en imposant des boycotts et en créant des divisions. L’appui qu’ils ont accordé à la dernière minute à M. Rafsandjani a empiré leur crise d’identité. Les conservateurs, même s’ils ne composaient certainement pas un groupe cohérent, étaient organisés plus efficacement et ont discuté de la politique nationale tout en se soumettant au Guide suprême en matière de politique étrangère.
En 2009, comme aux dernières élections, les perspectives des réformistes, avec leurs deux candidats, Mehdi Karroubi et Mir-Hossein Moussavi, ne semblent pas encourageantes. Les deux camps considèrent M. Karroubi, un ancien président du Majlis, comme un perturbateur, puisque son refus de se retirer en 2005 a nui aux réformistes. Cette fois, il a recueilli l’appui d’importants réformistes, comme par exemple l’ancien maire de Téhéran, Gholamhossein Karbaschi. M. Moussavi a été premier ministre de 1981 à 1989 et on se souvient de lui surtout parce qu’il a prévenu un effondrement total de l’économie pendant la guerre contre l’Irak. Il a toujours été associé à la gauche, notamment à certaines factions devenues réformistes. En 1997, certains réformistes ont tenté de le porter candidat, mais il a refusé afin de laisser M. Khatami se présenter. Il siège au sein de l’important Conseil de discernement, mais il a été très peu présent sur la scène politique depuis 1989. Cela a fait en sorte qu’il devra rapidement préciser son programme, car il n’a toujours pas donné d’opinion précise au sujet des politiques, se contentant de critiquer le président Ahmadinejad. En général, ses opinions semblent proches de celles de M. Khatami, mais contrairement à lui, il n’est pas vu comme étant inefficace. Certains analystes croient même qu’il pourrait mobiliser les réformistes plus efficacement. Grâce à son poste au sein du Conseil de discernement, il s’est rapproché du centre et aurait reçu l’appui du frère du Guide suprême.
Plusieurs nouveaux facteurs sont importants dans le cadre des élections de 2009 : de nouvelles orientations parmi les tenants de la ligne dure, les difficultés économiques et les relations avec les États-Unis. L’administration Ahmadinejad a d’abord été témoin de nouveaux changements parmi les tenants de la ligne dure, qui ont permis une consolidation du pouvoir conservateur, notamment au Majlis. Cela dit, l’appui dont jouissait M. Ahmadinejad n’est plus garanti. Le Majlis, dont Ali Laridjani est maintenant président, remet régulièrement ses politiques en question. On ne s’attend pas à ce que M. Laridjani se porte candidat, puisqu’il consolide son nouveau rôle. Il a permis au Majlis d’avoir plus de pouvoir et il a reçu l’appui du Guide suprême. Il a aussi des liens avec l’appareil de sécurité et le clergé. Mohsen Rezai s’est porté candidat, se présentant comme le facilitateur d’une coalition conservatrice unifiée, un geste qui peut être interprété comme une tentative de sa part de restaurer les politiques du parti. Les difficultés économiques ont aussi contribué à l’apparition d’un contexte différent. En fait, si M. Ahmadinejad perd, ce sera en grande partie en raison de l’économie. Selon l’expert, la baisse des revenus provenant du pétrole depuis la fin de 2008 a fait réfléchir le gouvernement au sujet de ses politiques habituellement non conformistes, et le déclin du marché de l’habitation, une forte inflation et l’annulation d’importants contrats de construction ont eu des conséquences négatives sur l’emploi. La récession mondiale n’a toujours pas trop durement touché l’économie du pays, mais celle-ci sera un enjeu important lors des élections. Enfin, les relations avec les États-Unis semblent présenter un problème moins important que la politique économique, peut-être parce que les décisions concernant des questions aussi importantes liées à la politique étrangère doivent être traitées au Bureau du Guide suprême. La récente réponse du Guide au message du président Obama lors du nouvel an persan peut être vue comme un énoncé de politique clair destiné aux Iraniens. Le Guide suprême a voulu indiquer que lui seul peut prendre des décisions importantes et que la politique étrangère de l’Iran est en définitive déterminée par les intérêts du pays. Parmi les enjeux, citons l’acceptation du programme nucléaire iranien, la reconnaissance de sa position dans la région et la levée des sanctions économiques. Puisque tout indique que l’Iran, qualifié de puissance révolutionnaire, deviendra graduellement une puissance partisane du statu quo, selon le conférencier, « la communauté internationale doit décider comment définir sa politique à l’égard de ce pays. ». Il existe selon lui deux choix : l’adoption, de nouveau, du style révolutionnaire ou l’intégration à la communauté internationale.
Il est trop tôt pour prédire le résultat des élections présidentielles de 2009, mais les conservateurs pragmatiques semblent être en bonne position. Lors des élections législatives de 2008, des éléments de la droite, qui était jadis unifiée, ont commencé à exprimer leur insatisfaction à l’égard du président Ahmadinejad et à étudier la possibilité de former une coalition conservatrice plus pragmatique. Ce groupe, dirigé par M. Laridjani, a réussi à obtenir le contrôle du huitième Majlis et assume efficacement son rôle d’opposition au président. Il a donc ses propres aspirations pour les élections de 2009 et appuie M. Rezai ou M. Qalibaf. Ce dernier a officiellement annoncé sa candidature en novembre 2008 et a utilisé des techniques occidentales pour mener sa campagne et promouvoir son programme pragmatique. Il a accordé à des médias nationaux et internationaux des entrevues pendant lesquelles il critiquait M. Ahmadinejad. Il possède d’excellentes qualités de leader, qu’il a acquises à titre de commandant de l’armée de l’air des Gardiens de la révolution islamique (GRI), de chef de police et de maire de Téhéran; il est sans contredit un gestionnaire efficace. M. Qalibaf a maintenant retiré sa candidature, mais il a d’abord tenté d’établir un équilibre entre son style séculier et sa loyauté envers le Guide suprême. En 2005, il n’a pas réussi à participer au second tour, mais il a depuis obtenu d’autres appuis dans les bazars et parmi les membres du clergé, de l’entourage du Guide suprême et des GRI. Cela dit, la possibilité que M. Ahmadinejad demeure au pouvoir ne peut être écartée.
Troisième discussion plénière
La première intervention a porté essentiellement sur les problèmes économiques de l’Iran : taux élevé d’inflation, chômage, faible taux d’épargne, système bancaire déficient, important marché noir et forte dépendance à l’égard des exportations de pétrole. Qu’arrivera-t-il lorsque l’Iran n’aura plus de pétrole à exporter? À quand pareille situation? Un premier conférencier a souligné à quel point il est difficile de prévoir les niveaux de production de pétrole en Iran. Cela dit, il ne faut pas sous-estimer la capacité d’adaptation du gouvernement actuel et du peuple iranien. L’Iran a d’ailleurs démontré pendant la guerre contre l’Irak à quel point il pouvait s’adapter. De plus, l’augmentation de la production de gaz pourrait compenser la baisse des revenus pétroliers. Un deuxième conférencier a abondé dans le même sens et a tenu à préciser qu’il était optimiste quant à l’avenir de l’économie iranienne.
Les discussions ont ensuite porté sur les répercussions possibles de l’actuelle crise économique et financière mondiale sur l’Iran. La chute des cours du pétrole cause déjà des problèmes tout comme la baisse générale du prix des matières premières. De plus, la politisation de l’économie nuit à sa capacité de résister aux chocs financiers. Comme l’a affirmé un conférencier, consentir des prêts sans intérêt à des « amis » du gouvernement ne peut que mener à la catastrophe. En outre, le président s’est ménagé des appuis politiques en se servant du fonds de stabilisation des revenus pétroliers comme caisse noire pour financer des projets menés par certaines personnes bien placées au sein du gouvernement, ce qu’il ne pourra plus faire aussi facilement. Si les cours du pétrole restent bas, il sera peut-être obligé d’accélérer la création monétaire pour financer le déficit croissant, ce qui augmentera l’inflation déjà élevée. Cela dit, d’autres facteurs devraient aider Téhéran, notamment les importantes réserves de devise du pays qui s’élèvent à environ 60 milliards de dollars américains.
Lorsqu’il a ensuite été question des prochaines élections présidentielles, un intervenant a parlé du style populiste de Mahmoud Ahmadinejad. Un conférencier a convenu que l’image de « Robin des Bois » du président iranien demeure l’un de ses principaux atouts, qu’il s’installe encore à même le sol pour manger du pain et du fromage et qu’il s’allonge sur le plancher dans son bureau pour faire la sieste. Bon nombre de politiciens iraniens de haut niveau s’expriment beaucoup mieux et sont plus instruits que lui-mais les Iraniens ne veulent pas nécessairement élire un critique littéraire à la présidence. M. Ahmadinejad est de plus en plus souvent accusé, même par le camp conservateur, de faire campagne en permanence.
Un dernier intervenant a soutenu que les élections de juin n’auront pas de répercussions sur le dossier nucléaire ou le rôle de l’Iran dans la région parce que c’est le Guide suprême qui dirige la politique éeacute;trangère. Nous ignorons toutefois quelles retombées les élections pourraient avoir sur la situation des droits de la personne. Si M. Moussavi l’emporte, remettra-t-il en question l’impunité des élites des milieux politiques et de la sécurité? Renforcera-t-il la primauté du droit? Un premier conférencier a convenu que les éléments fondamentaux de la politique étrangère, dont le programme nucléaire, ne risquent guère de changer quels que soient les résultats des élections, mais que le style et le discours pourraient subir des « améliorations symboliques ». Pour ce qui est de M. Moussavi, sa politique intérieure reste, en général, plutôt vague, car, jusqu’à maintenant, il a surtout fait campagne avec le même programme que M. Khatami, ce qui pourrait signifier davantage de libertés sociales, mais cela demeure incertain.
Que réserve l’avenir? L’Iran : puissance régionale et ambitions géopolitiques
L’Iran et le monde : Que veut la République islamique?
Malgré toute l’attention qui est accordée à l’Iran, la politique étrangère iranienne demeure énigmatique pour bon nombre d’observateurs. Elle peut être très déconcertante : l’Iran cultive le révisionnisme tout en tentant de s’intégrer à l’ordre mondial; il prône la paix et la stabilité au Moyen-Orient tout en appuyant diverses milices; il encourage le dialogue entre les civilisations un jour et préconise l’éradication d’Israël le lendemain. Une question récurrente se pose : « Que veut l’Iran? » Selon le conférencier, l’Iran, comme tous les pays, veut survivre et garantir sa souveraineté, mais il a aussi une politique plus audacieuse en raison de son passé et du milieu hostile dans lequel il évolue. L’Iran veut adhérer au club des grandes puissances et être reconnu comme une superpuissance régionale légitime, réduisant ainsi le rôle des autres puissances dans ce qu’il considère comme sa zone d’influence. La situation n’est pas nouvelle : l’Iran poursuit sa quête du pouvoir et de la grandeur depuis 5 000 ans, par exemple lorsque les Safavides et les Ottomans se sont disputés le contrôle du monde musulman. D’ailleurs, la nostalgie de la grandeur passée a toujours été une source de motivation pour les dirigeants iraniens, de Mossadegh aux Pahlavis. La République islamique a ravivé la soif inassouvie de l’Iran pour le pouvoir, et les religieux, plus que les autres, veulent occuper la place qui leur revient dans le panthéon des puissances régionales. Le clergé sait toutefois qu’il doit se montrer prudent et pragmatique dans la politique de la canonnière. Même l’ayatollah Khomeini soutenait, à la fin des années 1980, que l’intérêt national devait passer avant les principes révolutionnaires et islamiques.
Au cours des 20 dernières années, les aspirations de l’Iran ont donc été définies en fonction d’un cadre très réaliste laissant peu de place aux considérations idéologiques, de sorte que lorsque les valeurs allaient à l’encontre des intérêts nationaux, ceux-ci avaient la primauté. Le président Khatami, par exemple, n’est pas l’idéaliste qui est souvent décrit. Il a lancé un appel en faveur d’un dialogue des civilisations, mais il a aussi négocié ferme pour faire reconnaître l’Iran comme la plus grande puissance régionale au Moyen-Orient. Au début de la décennie, l’Iran, enhardi, s’est senti libre d’agir et cache maintenant de moins en moins ses ambitions : il veut être légitimement considéré comme une grande puissance internationale. Une fois cette ambition reconnue, les éléments de la politique étrangère iranienne qui semblent contradictoires deviennent plus cohérents, étant donné que Téhéran « est passé maître dans l’art de faire le contraire de ce qu’il dit pour mieux obtenir ce qu’il veut ». Selon le conférencier, les pays occidentaux ont du mal à comprendre que l’Iran a besoin d’être reconnu. Ils jugent avec condescendance la politique de coercition de l’Iran et la comprennent mal. Pour saisir la logique de la stratégie iranienne, il faut l’analyser dans son ensemble, mais les Occidentaux sont trop nombreux à se perdre dans les détails - le soutien que l’Iran apporte au Hezbollah, par exemple - et n’ont donc pas une vision globale de l’ambitieuse stratégie de l’Iran.
Il ne faut pas oublier les grands enjeux. Le programme nucléaire, par exemple, n’est pas une fin en soi, mais un moyen d’arriver à une fin, c’est-à-dire d’obtenir le statut de grande puissance. Il s’agit là d’une tentative tout à fait compréhensible étant donné le milieu hostile dans lequel évolue l’Iran et les besoins énergétiques du pays. Cela dit, à l’heure actuelle, il sert surtout de redoutable outil de propagande, exploitant les sentiments patriotiques et anti-occidentaux en Iran et dans la région. C’est un atout qui peut servir dans plusieurs circonstances, mais il ne faut jamais oublier les aspirations de grande puissance de l’Iran. Sa politique d’influence à l’égard des populations chiites de la région est la plus méconnue. Cette politique pan-chiite, qui est encore loin de la soi-disant stratégie du croissant chiite qui inquiète les capitales arabes, a permis à l’Iran d’atteindre des objectifs intéressants : il a resserré ses liens avec le régime alaouite en Syrie et a élargi son rôle en Afghanistan, en Irak et au Liban - ce qui lui a donné une frontière virtuelle avec son ennemi, Israël.
À cette politique pan-chiite est venue s’ajouter une ambitieuse politique pan-islamique grâce à laquelle l’Iran a tenté un rapprochement avec l’oumma sunnite. Les leaders iraniens, dont le Guide suprême, ont maintes fois invoqué ce que M. Ahmadinejad qualifie de pôle du pouvoir islamique, notamment le statut d’observateur de l’Iran au sein de la Ligue arabe et le soutien qu’il apporte aux mouvements sunnites comme le Hamas et le Jihad islamique. Ce faisant, l’Iran nuit directement à Israël et s’impose comme un acteur essentiel sur l’échiquier régional. L’influence de l’Iran à l’échelle régionale a tellement augmenté que certains parlent maintenant d’une Pax Iranica dans la région. Les liens de l’Iran avec Moscou illustrent bien le pragmatisme de la weltpolitik méconnue, mais efficace de l’Iran, ce qui prouve que les relations avec les mouvements musulmans dans le Caucase sont secondaires. En Amérique latine, l’Iran a profité du front néo-bolivarien pour nouer des relations avec le Venezuela, l’Équateur, le Nicaragua et la Bolivie.
La politique étrangère multidimensionnelle ingénieusement élaborée de l’Iran met en jeu avec pragmatisme tous les éléments pertinents - pétrole, pipelines, chiisme, islam, antiimpérialisme, tiers-mondisme et diplomatie publique-pour atteindre un objectif ultime : accroître le pouvoir et améliorer le statut de l’Iran tout en protégeant le gouvernement et en assurant sa survie. Comme cette démarche a porté ses fruits, les observateurs devraient s’attendre à ce que l’Iran continue sur sa lancée, selon le spécialiste. Somme toute, l’objectif de l’Iran est très clair, même si ses leaders tentent de brouiller les cartes et si l’Occident refuse de comprendre : l’Iran veut devenir une puissance régionale. L’objectif de l’Occident lui n’est pas clair. Est-ce l’ordre, avoir accès au pétrole et au gaz ou recourir à l’Iran pour maintenir l’ordre dans la région? L’Occident doit définir ses attentes avant d’élaborer une politique cohérente.
La dynamique États-Unis-Israël-Iran : puissance, rivalités et ambitions
Il est facile d’oublier que l’Iran et Israël ont déjà été de proches alliés. Ces deux pays ont d’abord noué des liens dans le cadre de l’alliance dite de la périphérie de David Ben Gourion, alors premier ministre israélien, puis les ont consolidés grâce à des accords de sécurité motivés par la nécessité de se prémunir contre des menaces communes : l’Égypte, l’Irak et l’infiltration soviétique. Tout semble avoir radicalement changé depuis la Révolution islamique de 1979. Bien sûr, beaucoup de choses ont changé en 1979, mais le contexte géopolitique est resté le même. La menace arabe a même augmenté peu après, lorsque l’Irak, financé par la plupart des pays arabes, a attaqué l’Iran. Les raisons stratégiques justifiant une collaboration permanente n’avaient pourtant pas changé.
Selon le conférencier, dans ce contexte, Israël a fait tout ce qu’il pouvait après 1979 pour établir un dialogue avec le clergé. Il avait un atout en réserve : l’accès à des pièces de rechange de fabrication américaine dont l’Iran avait terriblement besoin. Même le schah avait pris soin de ne pas étaler au grand jour sa relation avec Israël, car il craignait de s’attirer inutilement la colère des pays arabes. Israël a été contrarié, mais a accepté la situation tant que la relation restait intacte. La situation a toutefois donné une nouvelle avenue au clergé : en rejetant la stratégie régionale « inefficace » du schah, les religieux espéraient rapprocher les Arabes et les Perses, les chiites et les sunnites. Jouer la carte anti-israélienne était le meilleur moyen de trouver un dénominateur commun. Il y avait donc un avantage à la fois idéologique et stratégique à jouer cette carte. L’Iran a « voulu le beurre et l’argent du beurre »; il a tenu des propos anti-israéliens tout en tentant d’entretenir des relations avec Israël dans les coulisses. Israël était encore une fois mécontent, mais tenait absolument à ce que l’Irak ne sorte pas gagnant de la guerre contre l’Iran, car pareille situation aurait été catastrophique sur le front oriental.
Deux événements majeurs survenus au début des années 1990 ont entraîné l’abandon de la coopération stratégique : la chute de l’Union soviétique et la défaite de l’Irak, dernière armée arabe susceptible de constituer une menace tant pour Israël que pour l’Iran. De nos jours, Israël et l’Iran sont les deux principales puissances régionales, sans zone tampon. Au début des années 1990, nombreux sont ceux qui, en Iran, ont reconnu que la révolution en général et son exportation avaient été un échec. Après avoir été élu à la présidence en 1989, M. Rafsandjani a tenté d’asseoir son pouvoir et de faire en sorte que le pays obtienne le statut auquel il avait droit. L’Iran devait donc améliorer ses relations avec l’Occident, ce qui nécessitait une certaine ouverture à l’égard des États-Unis. Nombreux étaient ceux qui, en Iran, croyaient en un déblocage après la première guerre du Golfe, mais ce ne fut pas le cas. Israël craignait qu’un tel rapprochement et de meilleures relations avec les pays arabes dans le contexte des pourparlers de paix de Madrid ne se fassent à son détriment. Une nouvelle dynamique s’est donc engagée. Au lieu d’établir un dialogue avec l’Iran, les États-Unis ont opté pour les négociations de paix d’Oslo et le double endiguement. L’Iran a donc cru à raison que cette stratégie, qui prolongeait son isolement et appuyait Israël, avait pour but de créer un nouvel ordre régional. C’est alors qu’il a réellement commencé à appuyer les groupes palestiniens opposés à l’existence d’Israël. L’Iran estimait que s’il faisait échouer le processus de paix, il empêcherait Israël et les États-Unis d’atteindre leurs autres objectifs.
Selon le spécialiste, si les tensions inter-étatiques avaient été attribuables à l’idéologie, une relation différente se serait établie dans les années 1980 lorsque la ferveur idéologique des Iraniens était intense, et les conflits auraient diminué dans les années 1990, lorsque la ferveur est retombée. Pourtant, l’opposé s’est produit, ce qui porte à croire que les intérêts géostratégiques, et non l’idéologie, ont été à l’origine du conflit. Après 1993, Téhéran a estimé que les intérêts stratégiques coïncidaient avec les intérêts idéologiques et qu’il pouvait servir ses intérêts stratégiques en les faisant passer pour des intérêts idéologiques. Ces intérêts pourraient-ils changer de nouveau? Lorsque M. Khatami était au pouvoir (1997-2005), il avait été question en Iran d’adopter le « modèle malaisien », en critiquant Israël à l’occasion, toutefois sans affrontement direct. Pendant la deuxième série de négociations à Camp David en 2000, par exemple, l’Iran a adopté une stratégie diamétralement opposée à celle de 1994. À l’époque, par crainte d’être longuement isolés en cas de réussite du processus de paix, même les modérés au sein du gouvernement faisaient l’éloge du Hamas, indiquant clairement qu’ils appuyaient les actions des forces du refus. En 2000, toutefois, l’Iran est resté silencieux pour deux raisons : premièrement, le premier ministre israélien, Ehoud Barak, savait alors qu’en retirant ses troupes du Liban, il réduisait la marge de manoeuvre de l’Iran, et deuxièmement, l’Iran avait depuis amélioré ses relations avec l’Arabie saoudite, d’autres pays arabes et l’Union européenne, et ne voulait pas leur porter préjudice.
De nos jours, il est très difficile de comprendre pourquoi l’Iran adopterait de nouveau le modèle malaisien. Un facteur pourrait toutefois inciter l’Iran à changer de position : sa relation avec les États-Unis, surtout si Washington reconnaissait l’Iran comme un acteur dans la région. Ce n’est pas la soif de pouvoir qui pousse l’Iran, mais le sentiment de ne pas avoir de rôle à jouer parce qu’il ne fait partie d’aucun véritable organisme de sécurité. Les Iraniens savent très bien qu’ils ne peuvent changer leurs relations avec les États-Unis sans changer de position à l’égard d’Israël, mais l’Iran fait actuellement preuve de plus de souplesse à l’égard des États-Unis que d’Israël. Toute entente éventuelle entre les Iraniens et les Américains prévoirait probablement certaines activités d’enrichissement en territoire iranien, ce qu’Israël aurait beaucoup de mal à accepter. Israël connaît actuellement une certaine paralysie stratégique, car il est actuellement très difficile pour les politiciens israéliens, pour des raisons de politique intérieure, de reconnaître que le plan initial a échoué et qu’il faut passer au plan de rechange. Mais que faudra-t-il faire lorsque l’Iran franchira les lignes rouges tracées par Israël? Téhéran
l’a déjà fait à maintes reprises, par exemple en se dotant de 3 000 centrifugeuses.
Les relations de l’Iran avec l’Irak et l’Afghanistan
Que veut l’Iran et comment son comportement en Irak et en Afghanistan témoigne-t-il de ses objectifs? Premièrement, l’Iran est une puissance régionale pragmatique et non un État révolutionnaire ou transformationnel. Les éléments et le discours révolutionnaires demeurent. On discute beaucoup de la façon dont le pays devrait se comporter. Mais dans l’ensemble, l’Iran a un comportement pragmatique, a souligné le conférencier. Deuxièmement, la République islamique est une puissance rationnelle et prévoyante, et non irrationnelle. Comme l’a affirmé récemment le Guide suprême dans un discours, les Iraniens ne sont pas un peuple émotif. Troisièmement, l’Iran peut jouer un rôle positif dans la région, bien que déstabilisateur à l’occasion, surtout pour les intérêts américains. Les intentions du gouvernement iranien peuvent être aussi réparties en trois catégories : d’abord et avant tout garantir la survie du régime et du velayat-e-faqih; veiller à la sécurité nationale, comme protéger les frontières, les voies maritimes, le territoire et les ressources énergétiques; viser des objectifs régionaux qui permettent d’atteindre ceux des deux premières intentions.
Les activités de l’Iran en Irak témoignent très bien de la façon dont Téhéran cherche à atteindre ses objectifs régionaux. En 2003, les autorités à Téhéran s’inquiétaient de la volonté des États-Unis de « refaire » l’ordre régional. De plus, les chiites de Nadjaf en Irak, qui ont leur mot à dire depuis quelques temps, sont des quiétistes (c.-à-d. qu’ils prônent la noningérence en politique) et pourraient menacer le gouvernement iranien. Toutefois, plusieurs facteurs atténuent cette menace, dont la multitude de partis politiques en Irak, comme le Conseil suprême islamique d’Irak (CSII), le Parti islamique Dawa (PID) et certains Kurdes, bien disposés à l’égard de l’Iran. La rébellion est un autre facteur, car les États-Unis s’enlisent dans le conflit. L’Iran a prêté main-forte aux rebelles, surtout aux milices de Moqtada al-Sadr. Cela semble peut-être paradoxal, mais c’est une façon d’accroître les moyens de dissuasion contre une future attaque américaine. L’Iran n’a jamais voulu se rendre maître du nouveau gouvernement irakien. Malgré tout, on a cru pendant un certain temps que l’Iran représentait la principale menace pour les forces américaines en Irak en raison notamment de la diffusion des projectiles formés par explosion. Cette menace s’est atténuée au cours des deux dernières années, en raison surtout du cessez-le-feu conclu entre Moqtada al-Sadr et le gouvernement. L’Iran a joué un rôle de premier plan dans cette affaire au début de 2008.
Pourquoi Téhéran a-t-il agi ainsi s’il appuyait autrefois la rébellion? Surtout parce que la vision d’un Irak qui menacerait l’Iran ne s’est pas matérialisée. L’ayatollah Sistani ne représente pas une menace immédiate pour l’Iran, et Téhéran a été respectueux envers lui. De surcroît, l’Iran ne croit plus que l’Irak servira de tremplin à une invasion américaine, car selon un article du récent accord sur le statut des forces, conclu par l’Irak et les États-Unis, l’Irak ne servira pas de tremplin pour attaquer un pays. Dans l’ensemble, les objectifs de l’Iran en Irak sont en grande partie pragmatiques. Téhéran comprend qu’il ne peut exporter la révolution, car cela a été essentiellement un échec, sauf peut-être auprès du Hezbollah au Liban. La mollarchie souhaite avoir comme voisin un pays amical et dominé par les chiites, mais pas nécessairement régi par le principe du velayat-e faqih. Elle ne menacera pas l’Irak et pourrait coopérer dans des dossiers relatifs à l’économie, à la religion ou à la sécurité. Pour illustrer ce pragmatisme, l’Iran est allié au CSII, le plus religieux des principaux partis en Irak, mais également au PID et au parti kurde du président irakien Talabani. Certes, la situation pourrait changer, surtout si Israël attaque l’Iran. Téhéran pourrait une fois de plus intensifier ses activités en Irak.
L’Afghanistan est une autre affaire, car il ne représente pas le même genre de menace idéologique et politique pour la mollarchie. Téhéran entretenait d’étroites relations avec l’Alliance du Nord avant 2001 et a contribué à la mise sur pied du nouveau gouvernement à la fin de 2001. Il a joué un rôle surtout positif, en particulier dans la province occidentale de Hérat. À titre d’exemple, Téhéran a fourni une aide de 500 millions de dollars américains. D’aucuns affirment que l’Iran aide les talibans. Selon le conférencier, les États-Unis doivent comprendre que l’Iran possède aussi une capacité de dissuasion en Afghanistan, mais que cela ne signifie pas qu’il souhaite un retour au pouvoir des talibans. L’Iran et les talibans sont dans des camps opposés depuis l’arrivée au pouvoir de ces derniers, et ils sont presque entrés en guerre en 1998. Aujourd’hui, l’Afghanistan constitue une occasion exceptionnelle de collaborer avec les États-Unis, car l’Iran ne voit pas la chose d’un point de vue idéologique.
Quatrième discussion plénière
Un premier conférencier a soulevé plus tôt le point selon lequel l’Occident doit expliquer clairement ce qu’il attend de l’Iran et a affirmé que la réponse est simple : un Iran qui est prévisible, respecte les règles du jeu et cesse de vouloir changer le système. En Irak, en Afghanistan et au Liban, l’Iran appuie les gouvernements, mais aussi les groupes opposés à l’existence d’Israël qui mettent à mal ces mêmes gouvernements. Un deuxième conférencier a répliqué que nous devons nous demander pourquoi l’Iran se comporte de cette façon. De par son discours, Téhéran conteste le système, mais ses actes mettent en cause le fait qu’il n’obtient pas ce qu’il estime être sa place légitime au sein du système. En conséquence, il tente de rendre la tâche la plus difficile et la plus onéreuse que possible à la communauté internationale de lui refuser ce qu’il estime être sa place. La question devrait être alors la suivante : que veut l’Occident? Est-il prêt à accorder à l’Iran sa place légitime à la table? Est-ce que les États-Unis peuvent accepter que la République islamique est une puissance substantielle?
On a aussi soulevé la question des problèmes que la communauté internationale devrait affronter dans le cadre d’un dialogue avec un pays qui a souvent réalisé ses ambitions par la violence. Comment l’Iran et l’Occident, par exemple, peuvent-ils trouver un terrain d’entente en Afghanistan? Un conférencier a convenu qu’une profonde méfiance règne dans les deux camps. Les tentatives infructueuses pour établir un dialogue ont laissé des cicatrices en Iran, surtout dans la foulée de ses ouvertures au sujet de l’Afghanistan en 2001. Téhéran avait espéré que ses relations avec les États-Unis auraient connu un virage stratégique, mais a été récompensé six semaines plus tard en étant désigné membre de l’« axe du Mal ». L’Iran a également envoyé une lettre aux États-Unis en 2003, mais n’a reçu aucune réponse. Le comportement des Américains a grandement renforcé ses soupçons. Un autre conférencier a souligné que la transformation d’un pays révisionniste et révolutionnaire n’est pas chose facile. Pour commencer, il faut beaucoup de manoeuvres pour sauver la face ainsi que de la flatterie sur la grandeur de la civilisation iranienne, mais cela ne suffit pas. Les institutions théocratiques du pays seront le principal obstacle. Enfin, une troisième réponse a soulevé la question des objectifs de l’Iran en Afghanistan, où le gouvernement iranien a des intérêts nationaux de base en matière de sécurité, comme la stabilité et la lutte contre le trafic de stupéfiants. Téhéran appuie les groupes terroristes, mais cela s’inscrit dans le cadre de sa doctrine militaire. Parce que ses forces conventionnelles sont faibles, les groupes alliés sont utiles.
Un dernier intervenant a déclaré que les événements qui ont suivi les attentats de septembre 2001 ont beaucoup renforcé la position de l’Iran, car les ennemis en Irak et en Afghanistan ont été éliminés. Il y a des différences entre MM. Khatami et Ahmadinejad. M. Khatami et ses alliés ont dissimulé les activités d’enrichissement, tenté d’entretenir des relations agréables avec les gouvernements arabes, adopté une position de neutralité à l’égard d’Israël et cherche à nouer un dialogue entre civilisations. Pour sa part, M. Ahmadinejad a agi de façon diamétralement opposée : les activités d’enrichissement ont repris, il a privilégié la « rue » arabe (et non les gouvernements arabes) et a choisi une attitude d’affrontement avec l’Occident. Des motifs idéologiques expliquent certes une partie de ce comportement, mais ce changement d’attitude est fondé surtout sur la realpolitik, car la position de l’Iran a été renforcée.
Une vue d’ensemble
Définir une vision synthétique de l’Iran
Lors de la dernière séance, dirigée par un éminent spécialiste du Moyen-Orient, on a cherché à faire la synthèse des principaux points de politique étrangère soulevés lors de la conférence. L’Iran est souvent qualifié de régime opaque, énigmatique ou irrationnel. Toutefois, cette confusion laisse pointer, chez certains observateurs, une incompréhension de la culture iranienne et de la façon dont fonctionne ce pays, ce qui fait qu’ils ignorent la logique interne de ce pays.
Selon le spécialiste, l’Occident a observé l’Iran au travers d’un ensemble de « lentilles conceptuelles extrêmement imprécises » qui mettent en évidence des demi-vérités qui ne brossent pas un tableau de l’ensemble.
L’islam contre l’Occident. Ce point de vue a été très fort au lendemain de la Révolution islamique de 1979 lorsque, pour la première fois, l’islam politique a surgi sur la scène internationale. Le phénomène n’était pas bien compris, comme on l’a clairement vu dans le contexte de la prise d’otages à l’ambassade des États-Unis, lorsque l’islam a été transformé en une menace importante pour l’Occident.
L’Iran contre l’Occident. Toutefois, les États-Unis ont décidé rapidement qu’ils ne pouvaient tout simplement pas mettre dans le même panier un phénomène aussi vaste que l’islam. Ce deuxième point de vue a été le thème sous-jacent de beaucoup d’administrations américaines depuis, en particulier de celle de George W. Bush.
Le dossier nucléaire. C’est aujourd’hui la principale préoccupation de l’Occident, et elle est peut-être alimentée par Israël. Le dossier soulève aussi une question fondamentale : est-ce que deux puissances nucléaires peuvent se dissuader mutuellement? L’idée d’un équilibre de la terreur semble toujours s’appliquer énormément au conflit indo-pakistanais, mais pour Israël, un tel équilibre est très peu souhaitable. Cependant, on ne peut ignorer le fait que l’Iran se dotera fort probablement de l’arme nucléaire. Même si Israël la détruit, a indiqué le spécialiste, les connaissances nécessaires ne peuvent être supprimées. Si l’Iran est destiné à posséder l’arme nucléaire, quelle politique l’Occident et les États-Unis doivent-ils adopter? Le spécialiste a fait remarquer que « les armes nucléaires britanniques ou françaises n’empêchent pas les États-Unis de dormir, et ces derniers ne font plus grand cas des armes russes ou chinoises » parce que la nature et les intentions de ces régimes sont maintenant beaucoup moins préoccupantes. Dans le cas de l’Iran, la tâche sera peut-être d’aider Téhéran à devenir un régime mieux intégré sur la scène internationale et donc moins préoccupant. Cela ne signifie pas nécessairement le passage à une démocratie. L’Iran pourrait très bien demeurer un régime en partie autoritaire. Le fait n’est pas que l’Occident doit simplement « céder », mais qu’il doit se préparer à l’éventualité d’un Iran nucléaire et réfléchir à la façon de traiter avec cette réalité.
L’axe chiite-sunnite. Au lendemain de la révolution, l’Occident craignait que les chiites représentent une menace, et non les sunnites, une idée qui a changé au cours des années. Il faut se rappeler que l’ayatollah Khomeini n’a jamais décrit la révolution comme un phénomène chiite. Il voyait la chose d’un point de vue musulman ou universel. Très tôt, il a été à l’écoute des opprimés du monde, des gens spoliés. Lorsque la guerre avec l’Irak a éclaté, l’Iran a découvert que tous les pays du golfe Persique et la plupart de ceux de la planète appuyaient Saddam Hussein. Il a alors commencé à appuyer des communautés chiites du golfe Persique, en partie pour rappeler à ses voisins qu’il était en mesure de les déstabiliser en raison de leur attitude hostile. En effet, au début de la ferveur révolutionnaire en Iran, certains extrémistes ont parlé de révolution dans la région. Toutefois, le spécialiste a exprimé son étonnement lorsque des sunnites d’Arabie saoudite, d’Égypte ou de Jordanie parlent aujourd’hui d’une « menace » ou d’un « croissant » chiite. Pour les gouvernements sunnites autoritaires qui jouissent d’un faible appui de la part de la population, l’idée même d’une puissance révolutionnaire ou de mouvements populistes comme le Hamas ou le Hezbollah est menaçante. Même si le Hamas appartient au courant sunnite, l’Arabie saoudite est consternée de voir le soutien qu’il recueille parmi beaucoup de Palestiniens et parmi les Arabes sunnites de la région qui n’aiment peut-être pas l’Iran ou les Perses, mais qui sont impressionnés par ceux qui tiennent tête aux États-Unis, à Israël et à leurs propres gouvernements bien établis. Le président Ahmadinejad, en particulier, jouit d’une très forte cote de popularité parmi la population arabe. En conséquence, l’antagonisme sunnites-chiites est trompeur.
Arabes contre Perses. Dans quelle mesure l’Iran menace-t-il les intérêts arabes? Exception faite de l’intérêt symbolique des Émirats arabes unis pour les deux îles occupées par l’Iran, il n’y a jamais eu dans l’histoire de prise du pouvoir ou d’invasion de terres arabes par l’Iran, a déclaré le spécialiste. Saddam Hussein est à l’origine de la guerre irano-irakienne. Il est donc ardu de mettre en évidence une menace que fait peser l’Iran sur la population arabe. Et l’Iran n’inquiète guère les pays arabes qui n’ont aucune communauté chiite.
Le processus de paix. L’Iran a fait d’importants gains en étant le seul État de la région (avec la Syrie) à appuyer le Hamas. Si les puissances régionales devaient se démocratiser, il est probable qu’elles adopteraient des positions plus dures envers Israël. L’Iran ne serait alors plus le seul acteur dans la région à soutenir la cause palestinienne, ce qui, à l’heure actuelle, lui vaut un grand appui populaire..
Le corridor de l’énergie. Les États-Unis, selon le spécialiste, sont confrontés au double défi que représente une lutte à mener sur deux fronts, car ils tentent d’empêcher l’Iran et la Russie de profiter des importations destinées à combler les besoins en gaz et en pétrole de l’Europe. Dans les faits, l’Europe se préoccupe peu de la provenance de ses énergies fossiles pour peu que ses sources soient diversifiées. La politique américaine « perturbe » donc les fondations économiques des activités normales de la région du Golfe. Les États-Unis, l’Union européenne, la Russie et la Turquie soutiennent tous des positions différentes à cet égard.
Les politiques eurasiennes. L’Iran entretient de bonnes relations avec la Russie et la Chine, qui est maintenant son principal partenaire commercial. Les deux pays ont appuyé Téhéran pour nuire aux objectifs géopolitiques des États-Unis, et ce, tout particulièrement durant le mandat de l’administration Bush. Ils entrevoient un Iran capable de s’opposer aux États-Unis et de leur faire entrave. Selon le spécialiste, la politique américaine a suspendu le développement géopolitique régional depuis au moins 20 ans, c’est-à-dire qu’elle a freiné l’évolution organique des relations entre l’Arabie saoudite, l’Iran, les États du Golfe persique, la Turquie et d’autres États de la région. Le spécialiste insiste : les politiques régionales évolueraient de façon plus naturelle si elles n’étaient pas partiellement émaillées par les objectifs stratégiques mal élaborés des États-Unis.
Après la présentation, la question de l’exceptionnalisme iranien a été soulevée. Comment l’Iran peut-il devenir un acteur responsable? Cet État a créé un système politique dans lequel le Guide suprême n’agit pas comme un chef « normal », en ce qu’il est isolé du monde et de ses dirigeants. Il ne s’agit pas que d’une question de style, mais bel et bien d’une forme d’exceptionnalisme iranien qui pose un obstacle concret à l’acceptation de l’Iran en tant qu’acteur légitime de l’échiquier régional. Les leaders refusent de traiter avec les autres acteurs de la région sur un pied d’égalité. Téhéran accuse régulièrement les autres, particulièrement les États-Unis, de faire preuve d’arrogance. Or, d’après un praticien chevronné, les Iraniens font eux-mêmes partie des peuples avec qui il est particulièrement ardu de traiter. Le conférencier a soutenu que l’Iran devra changer pour être accepté en tant qu’acteur géopolitique.
D’après un autre conférencier, on ne peut présumer que l’Iran tente de se doter d’armes nucléaires. Il aurait plutôt tenté, avec succès, d’acquérir la capacité d’en fabriquer. Le conférencier serait très surpris que le gouvernement ait pris la décision stratégique de fabriquer des armes nucléaires. Pour y arriver, il lui aurait fallu expulser les inspecteurs de l’Agence internationale de l’énergie atomique ou fabriquer des armes sous leurs yeux. Dans un cas comme dans l’autre, la communauté internationale aurait rapidement été mise au courant. Le retrait de l’Iran du Traité sur la non-prolifération des armes nucléaires (TNP) soulèverait de sérieuses questions sur l’accord et pourrait déclencher une course à l’armement dans la région.
Un conférencier s’est dit d’accord avec ce point de vue et a ajouté que la Turquie s’engagera dans la même voie, non pas pour se doter d’un outil de dissuasion, mais pour bénéficier également de ce symbole de puissance. Une troisième intervention a amené un point de vue différent : doté de l’arme nucléaire, l’Iran pourrait se sentir suffisamment sûr pour devenir un acteur régional plus normal.
Une dernière discussion a porté sur le statut de l’Iran en tant qu’hégémonie régionale. Pour l’un des conférenciers, la suprématie de l’Iran dans le Golfe persique est indéniable en raison de sa taille et de sa puissance. Un autre conférencier, pour sa part, croit que l’Iran est un acteur très important, mais ne domine pas la région. Son économie est faible, son élite gouvernante s’est aliénée les jeunes et le pays souffre d’une sérieuse fuite de capitaux. Fondamentalement fragile, l’Iran peut difficilement étendre son influence dans la région.
Annexes
Annexe A
L’Iran en 2020
Scénarios possibles
En se fondant sur les exposés des spécialistes et les discussions qui ont suivi, les participants à la conférence, divisés en sous-groupes, ont examiné les facteurs et les incertitudes qu’ils jugeaient d’une importance cruciale par rapport à l’avenir de l’Iran. La rencontre n’a pas permis aux participants d’élaborer des scénarios exhaustifs, mais plusieurs idées fondamentales ont été proposées. à la lumi.re de ces idées, le rapport présente quatre scénarios « embryonnaires » pour l’avenir de l’Iran. Il ne s’agit pas de prévisions, mais d’hypoth.ses avancées pour appuyer des discussions ultérieures sur l’Iran.
Déclin graduel
Détérioration du statu quo
- Résistance du Guide suprême - Forte
- Aspirations de la jeunesse - Modestes
- Économie - Faible
En 2020, le pouvoir du Guide supr.me est bien enraciné et envahissant, en grande partie grâce au successeur d’Ali Khamenei, qui depuis 2016 dynamise graduellement sa position. De plus en plus, la position de force du Guide supr.me tient non seulement à son rôle plus énergique, mais aussi à sa propre réputation, lui qui commence à être comparé par divers analystes à un « Deng Xiaoping iranien ». Si la transition s’est faite en douceur, sans trop de luttes intestines, c’est que la survie du régime importait tout particuli.rement aux principaux religieux, qui craignaient de voir les Pasdarans prendre le pouvoir.
Les Iraniens âgés de moins de 50 ans n’ont pas connu d’autres cultures politiques que la République islamique. Le soutien au régime théocratique est relativement faible, mais l’idée qui prévaut est celle que les solutions possibles – une autre révolution ou les mod.les irakien ou afghan – seraient pires que le statu quo. L’activisme chez les jeunes est donc limité. Les Iraniens ont peut-être de faibles aspirations politiques dans ce scénario, mais à certains endroits leurs aspirations socioéconomiques diffèrent nettement de celles du gouvernement. Cela engendre de « faibles protestations sociales » dans un milieu qui demeure répressif.
Les prix du pétrole et du gaz naturel ont à peine augmenté depuis la vague initiale de récession économique au milieu de 2008. Les réserves iraniennes de pétrole et de gaz naturel en particulier semblent diminuer, et le manque de diversification économique empêche l’Iran de sortir du modèle rentier. Ainsi, l’économie continue de dépendre du pétrole et demeure fragile, et elle limite de plus en plus la capacité du gouvernement à s’occuper des priorités nationales
et internationales.
La situation au pays se détériore graduellement. Des observateurs en Occident et en Asie, presque abasourdis par la remarquable résilience politique du pays, commencent . se demander si l’Iran n’atteindra pas bientôt le point de bascule et à quoi cela ressemblera.
L’histoire montre que les États dont la situation est instable et qui ont une forte capacité à exercer leur pouvoir à l’extérieur de leur territoire peuvent, à leur tour, avoir un effet déstabilisateur à l’échelle internationale. Contre toute attente, depuis qu’il a acquis l’arme nucléaire en 2013, l’Iran a adopté une politique étrang.re plus audacieuse, qui affaiblit la sécurité dans la région. Il intensifie ses efforts en vue de faire échouer le processus de paix au Moyen-Orient et utilise de plus en plus d’outils asymétriques, appuyant par exemple des groupes d’opposition dans la région du Golfe. Ces mesures doivent permettre au gouvernement d’Iran d’atteindre deux objectifs : favoriser un effet de « ralliement au drapeau » en faisant jouer la fibre patriotique face à l’incertitude au pays, et s’assurer qu’aucun autre pays voisin n’occupe le devant de la scène.
Pression accrue, adaptation remarquable
Contestation croissante
- Résistance du Guide suprême - Forte
- Aspirations de la jeunesse - Grandes
- Économie - Faible
Dans ce scénario aussi, la résistance du Guide suprême en 2020 est grande. Il est fort possible que le pouvoir ait changé de main. Les conséquences d’un tel changement à la tête du pays peuvent être très imprévisibles, et le remplacement d’Ali Khamenei s’est probablement fait dans le chaos. Malgré la contestation, toutefois, le Bureau du Guide suprême et, en conséquence, la stabilité du gouvernement d’Iran sont d’une importance primordiale. Les grandes aspirations politiques de la jeunesse iranienne peuvent facilement ne pas cadrer avec celles d’un puissant Guide suprême, mais il importe de se rappeler qu’elles ne sont pas monolithiques. Dans ce cas-ci, ce sont les bassidji qui ont de plus grandes aspirations, une situation dont les répercussions ne sont pas les m.mes que s’il s’agissait des mouvements étudiants liés aux réformistes.
L’économie s’est affaiblie comme dans le premier scénario. Étant donné que les prix du pétrole stagnent et que l’Iran a évité les réformes en continuant de dépendre de la rente pétrolière, la conjoncture en général s’est détériorée. Cependant, le ralentissement économique en soi n’a pas nécessairement occasionné des problèmes en Iran par le passé. Pendant la guerre des années 1980 en Irak, par exemple, la population a fait preuve de beaucoup de résilience face à de grandes difficultés socioéconomiques.
Maintenant que l’économie se dégrade et que les aspirations des jeunes augmentent, le gouvernement a de plus en plus recours à la force et à des mesures coercitives pour préserver la stabilité. Toutefois, malgré les bouleversements socioéconomiques, le gouvernement continue de résister et réussit en général à maintenir le statu quo.
La capacité du pays à exercer son pouvoir à l’étranger a diminué, car une économie plus faible limite les ressources de l’État. Cela signifie que les relations avec les États-Unis se dégradent, car Téhéran continue de renforcer les sentiments nationalistes pour compenser un niveau de vie de plus en plus précaire et freiner les aspirations croissantes de la population. Il est difficile d’échapper au cercle vicieux : les mesures de répression internes contre l’opposition au régime se multiplient, ce qui amène la population à se mobiliser davantage et l’Occident à dénoncer les cas de violation des droits de la personne.
Reconnaissance et respect
Réévaluation du pouvoir religieux
- Résistance du Guide suprême - Forte
- Aspirations de la jeunesse - Grandes
- Économie - Forte
Làencore, le Guide suprême actuel est bien en selle en 2020. Le Bureau n’est pas plus légitime qu’avant, mais il continue de diriger les principales institutions, notamment l’appareil de sécurité, l’appareil judiciaire et d’autres entités non élues. Le nationalisme sert de plus en plus à influencer l’opinion et à exercer un contrôle politique et remplace l’influence religieuse en baisse. Le développement nucléaire, en particulier, permet de renforcer la légitimité du gouvernement.
Avec les jeunes qui ont de grandes aspirations, divers mouvements s’él.vent de plus en plus contre le gouvernement, exerçant des pressions en faveur de la démocratisation et de la modernisation. Il y a fort probablement beaucoup plus de résistance socioéconomique de la part de la jeunesse iranienne, plus de revendications pour une libéralisation sociale et un activisme renouvelé dans les organisations de femmes et le mouvement ouvrier.
Ce qui en 2010 encore ressemblait à une interminable crise économique mondiale a ouvert la voie à une lente mais constante reprise de l’activité économique au deuxième trimestre de 2012, marquant ainsi la fin de l’une des plus longues récessions économiques jamais enregistrées. L’économie iranienne s’est renforcée en 2015 grâce à la hausse des prix du pétrole et du gaz naturel et à l’augmentation des investissements directs étrangers dans la recherche et le développement. Maintenant que la situation financi.re s’est améliorée et que le chômage baisse, l’Iran est mieux en mesure de financer ses ambitions régionales, ce qui fait de lui une puissance économique régionale. L’étiquette « Fabriqué en Iran » apparaît dans divers marchés un peu partout dans le monde et rappelle aux voisins de l’Iran leur manque relatif de vigueur économique. De plus, l’Iran est devenu une puissance nucléaire et il utilise le programme nucléaire à des fins économiques et pour affirmer son influence dans la région.
L’économie forte du pays favorise un changement graduel non violent dans la société iranienne, à l’initiative de la bourgeoisie. Pendant que la situation économique continue de s’améliorer, les jeunes iraniens utilisent de plus en plus l’espace politique pour débattre plusieurs questions, dont la libéralisation et la démocratisation.
Compte tenu des ressources économiques dont il a besoin pour financer ses objectifs . l’étranger, l’Iran est de plus en plus accepté comme intervenant régional légitime et « normal ». D’important acteurs régionaux, comme l’Arabie saoudite et Israël, en sont venus à contrecoeur à accepter cette réalité, non sans des frictions considérables cependant.
Un tournant Gorbatchev ou une conflagration régionale
Point de bascule
- Réstance du Guide suprême - Fragile
- Aspirations de la jeunesse - Grandes
- Économie - Faible
En 2020, une multitude de facteurs contribuent . affaiblir le Guide suprême, tant l’individu que l’institution. Mentionnons notamment une transition mal gérée après la mort de l’ayatollah Khamenei en 2015, l’effondrement des réseaux de patronage à cause d’une économie en ruine et de la corruption, le problème posé par les Pasdarans, enhardis depuis longtemps, les critiques croissantes d’une population instruite et les querelles intestines qui s’accentuent au sein du gouvernement.
Selon un des deux scénarios possibles, les aspirations de la jeunesse n’ont cessé d’augmenter depuis 2009, face aux mesures de répression accrues du gouvernement apr.s la prise du pouvoir par les Pasdarans. Dans le deuxième scénario, on assiste à une plus grande mobilisation après le retour au pouvoir des réformistes. Cela mène à des affrontements entre un régime réformiste renaissant et un Guide suprême de plus en plus faible.
Si la crise économique qui a commencé en 2008 n’est plus qu’un lointain souvenir dans la plupart des régions du monde, où la croissance est modeste mais constante, la situation en Iran est assez différente. La principale raison de la faiblesse de son économie est sa dépendance par rapport au pétrole et au gaz naturel. Les vastes réserves iraniennes de devises étrang.res ont permis au gouvernement de gagner du temps, mais, en général, les hydrocarbures n’ont pu compenser les failles fondamentales de l’économie. Ainsi, le déclin économique, conjugué à la culture démocratique du pays, bouleverse les gens et marque un tournant qui amènera une évolution ou une révolution.
Deux scénarios sont envisagés en ce qui concerne le point de bascule. Dans le premier cas, le point de bascule résulte de la prise du pouvoir par les Pasdarans, face à une mobilisation croissante de la population et à une économie en crise. Dans le deuxième cas, l’écart entre l’État et la société a continué d’augmenter jusqu’à ce qu’une force exogène ou endogène entraîne la chute de la structure. C’est le tournant Gorbatchev, s’il s’accompagne de l’arrivée au pouvoir d’un nouveau dirigeant.
Les deux scénarios ont des répercussions considérables sur la politique étrang.re. La prise du pouvoir par les Pasdarans, en particulier, pourrait donner lieu . une politique étrang.re plus audacieuse. Il serait particulièrement effrayant de voir les GRI jouer la carte nucléaire, probablement pour encore une fois affirmer chez eux l’image et la fierté de l’Iran. Cela susciterait une réaction tout aussi agressive de la part d’Israël et des États-Unis, et les puissances régionales chercheraient à intervenir davantage. L’Arabie saoudite, notamment, essaierait de semer la dissension en appuyant les groupes arabes ou sunnites. Les conflits et les tensions régionales amèneraient vraisemblablement le gouvernement à exercer un contrôle plus serré, surtout si les Pasdarans étaient au pouvoir. Toutefois, si un tournant Gorbatchev se produisait, l’Iran pourrait être reconnu comme puissance régionale. Avec un nouveau régime à Téhéran et un gouvernement à majorité chiite en Irak, un nouveau centre de gravité au Moyen-Orient serait créé.
Annexe B
Conference agenda
La conférence est parrainée de concert avec Affaires étrangères et Commerce international Canada, Défense nationale Canada et le Bureau du Conseil privé.
30 mars 2009
9 h - 9 h 15 Mot de bienvenue, objectifs et programme de la conférence interactive
9 h 15 - 9 h 30 Discours d’ouverture : Pourquoi se pencher sur les perspectives d’avenir de l’Iran
9 h 30 - 10 h 45 MODULE 1 – LA PUISSANCE MILITAIRE, LA RÉVOLUTION ET LE DÉVELOPPEMENT D’UNE CULTURE POLITIQUE
Exposés des spécialistes
Comprendre les réseaux du pouvoir en Iran : qui décide de quoi et comment?
La militarisation de la politique : les rôles passé, présent et futur de l’armée et des Gardiens de la révolution islamique
Les enjeux nucléaires
10 h 45 - 11 h Pause
11 h - 12 h Discussion interactive en séance plénière
12 h - 13 h Déjeuner
13 h - 14 h 15 MODULE 2 – LA SOCIÉTÉ IRANIENNE
Les Perses et autres minorités : la politique des minorités en Iran
La société civile : Aspirations et dissidence
Les tendances démographiques et le facteur « jeunesse » : répercussions politiques d’une génération à l’autre
14 h 15 – 14 h 45 Pause
14 h 45 - 16 h 15 Discussion en séance plénière
16 h 15 - 16 h 30 Résumé de la journée
16 h 30 - 16 h 50 Discours principal : La jeunesse iranienne actuelle
31 mars 2009
9 h - 9 h 15 Résumé de la veille et objectifs de la journée
9 h 15 - 10 h 30 MODULE 3 – À QUOI PENSENT LES IRANIENS?
Marchés noir, gris et blanc : l’économie iranienne
Vulnérabilité de l’Iran aux fluctuations des cours du pétrole
Les élections présidentielles de juin 2009 : enjeux et résultats possibles
10 h 30 - 10 h 45 Discussion en séance plénière
10 h 45 - 11 h Pause
11 h - 11 h 30 Discussion en petits groupes
11 h 30 - 12 h Comptes rendus en séance plénière
12 h - 13 h Déjeuner
13 h - 14 h 15 MODULE 4 – QUE RÉSERVE L’AVENIR? L’IRAN : PUISSANCE RÉGIONALE ET AMBITIONS GÉOPOLITIQUES
L’Iran et le monde : Que veut la République islamique?
La dynamique États-Unis-Israël-Iran : puissance, rivalités et ambitions
Les relations de l’Iran avec l’Irak et l’Afghanistan
14 h 15 - 14 h 45 Discussion en séance plénière
14 h 45 - 16 h Discussion en petits groupes
16 h - 16 h 15 Comptes rendus en séance plénière
16 h 15 - 16 h 30 Résumé de la conférence interactive
Annexe C
La liaison-recherche au SCRS
Le renseignement dans un monde en évolution
On dit souvent que le monde évolue de plus en plus rapidement. Analystes, commentateurs, chercheurs et autres — associés ou non à un gouvernement — acceptent peut-être ce cliché, mais la plupart commencent seulement à comprendre les conséquences très réelles de ce concept pourtant abstrait.
La sécurité mondiale, qui englobe les diverses menaces à la stabilité et à la prospérité géopolitiques, régionales et nationales, a profondément changé depuis la chute du communisme. Cet événement a marqué la fin d’un monde bipolaire organisé selon les ambitions des États-Unis et de l’ancienne URSS et les tensions militaires en résultant. Détruisant rapidement la théorie de « fin de l’histoire » des années 1990, les attentats terroristes contre les États-Unis, en 2001, ainsi que les événements ultérieurs liés dans d’autres pays, ont depuis modifié ce qu’on entend par sécurité.
La mondialisation, l’évolution rapide de la technologie et la sophistication des moyens d’information et de communication ont naturellement eu une incidence sur la nature et le travail des gouvernements, y compris des services de renseignements. En plus des conflits habituels entre États, il existe désormais un large éventail de problèmes de sécurité transnationale découlant de facteurs non étatiques, et parfois même non humains. Ces problèmes vont du terrorisme, des réseaux illégaux et des pandémies à la sécurité énergétique, à la concurrence internationale pour les ressources et à la dégradation mondiale de l’environnement. Les éléments de la sécurité mondiale et nationale sont donc de plus en plus complexes et interdépendants.
Notre travail
C’est pour mieux comprendre ces enjeux actuels et à venir que le SCRS a lancé, en septembre 2008, son programme de liaison-recherche. En faisant régulièrement appel aux connaissances d’experts au moyen d’une démarche multidisciplinaire et collaborative, le Service favorise une compréhension contextuelle des questions de sécurité pour le bénéfice de ses propres experts ainsi que celui des chercheurs et des spécialistes avec qui il s’associe. Ses activités visent à établir une vision à long terme des différentes tendances et des divers problèmes, à mettre en cause ses hypothèses et ses préjugés culturels, ainsi qu’à affiner ses moyens de recherche et d’analyse.
Pour ce faire, nous :
- nous associons activement à des réseaux d’experts de différents secteurs, dont le gouvernement, les groupes de réflexion, les instituts de recherche, les universités, les entreprises privées et les organisations non gouvernementales (ONG), tant au Canada qu'à l’étranger. Si ces réseaux n’existent pas déjà, nous pouvons les créer en collaboration avec différentes organisations;
- stimulons l’étude de la sécurité et du renseignement du Canada, favorisant ainsi une discussion publique éclairée à propos de l’histoire, de la fonction et de l’avenir du renseignement au Canada.
Dans cette optique, le programme de liaison-recherche du Service emprunte de nombreuses avenues. Il soutient, élabore, planifie et accueille plusieurs activités, dont des conférences, des séminaires, des études, des exposés et des tables-rondes. Il participe aussi activement à l’organisation du Global Futures Forum, un appareil multinational du renseignement et de la sécurité qu’il soutient depuis 2005.
Nous n’adoptons jamais de position officielle sur quelque question, mais les résultats de plusieurs de nos activités sont publiés sur le site Web du SCRS au www.scrs-csis.gc.ca. Par la publication des idées émergeant de nos activités, nous souhaitons alimenter le débat et favoriser l’échange d’opinions et de perspectives entre le Service, d’autres organisations et divers penseurs.
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