Loi visant à éviter la complicité dans les cas de mauvais traitements infligés par des entités étrangères 2024
Rapport annuel 2024
Introduction
Les échanges d’informations avec des services étrangers font partie intégrante du mandat du Service canadien du renseignement de sécurité (SCRS) et jouent un rôle essentiel dans la capacité du pays d’enquêter efficacement sur les menaces qui pèsent sur le Canada et ses intérêts, de les évaluer et de les contrer. Bon nombre des enjeux de sécurité nationale auxquels le Canada fait face découlent d’événements, de gouvernements, d’individus ou de groupes à l’étranger, ou y sont étroitement liés. C’est plus vrai que jamais de nos jours dans un contexte géopolitique dont la complexité ne cesse d’augmenter. Pour remplir sa mission qui est de protéger le Canada contre les menaces qui pèsent sur la sécurité nationale, le SCRS doit donc s’appuyer sur des échanges d’informations effectués en temps opportun avec des partenaires étrangers.
Le SCRS est conscient que ces échanges doivent se faire dans le respect des valeurs canadiennes, de la primauté du droit, de la Charte canadienne des droits et libertés et des obligations en droit international. La Loi visant à éviter la complicité dans les cas de mauvais traitements infligés par des entités étrangères (LCMTIEE) de juillet 2019 énonce ces obligations et reconnaît la nécessité pour le gouvernement du Canada d’échanger des informations avec des entités étrangères pour assurer la sécurité nationale. En revanche, elle exige des ministères et organismes fédéraux qu’ils s’assurent que leurs échanges avec des partenaires étrangers n’entraînent pas un « risque sérieux » que de mauvais traitements soient infligés à une personne.
La LCMTIEE impose au gouverneur en conseil de donner des instructions aux administrateurs généraux de certains ministères et organismes fédéraux qui échangent des informations avec des entités étrangères. Le décret connexe, signifié au directeur du SCRS en septembre 2019, énonce les responsabilités qui incombent au SCRS en matière de communication ou de demande d’informations à une entité étrangère, ou d’utilisation d’informations provenant d’une entité étrangère. Ces responsabilités sont conformes aux exigences qui figuraient dans l’instruction du ministre de 2017 à ce sujet. Conformément à la LCMTIEE, les administrateurs généraux à qui des instructions ont été données doivent soumettre au ministre compétent un rapport sur la mise en œuvre de celles-ci au cours de l’année civile précédente. Le présent rapport rend compte des principaux aspects de la mise en œuvre au SCRS de la LCMTIEE et du décret connexe au cours de l’année civile 2024.
Échange d'informations avec des entités étrangères et droits de la personne
Le SCRS a des ententes avec plus de 300 entités étrangères dans plus de 150 pays. Chacune de ces ententes a été approuvée par le ministre de la Sécurité publique après consultation du ministre des Affaires étrangères, conformément à l’alinéa 17(1)b) de la Loi sur le SCRS. Le processus de conclusion de nouvelles ententes avec des services étrangers est rigoureux et tient compte de divers éléments, dont les exigences en matière de sécurité du Canada, la fiabilité du service étranger et son bilan en matière de respect des droits de la personne.
Depuis sa création en 1984, le SCRS réexamine régulièrement l’ensemble de ses ententes avec des entités étrangères, y compris les considérations pertinentes relatives aux droits de la personne. Dans le cadre de ce processus, il résume les principales considérations relatives aux droits de la personne en se fondant sur une série de documents classifiés et de sources ouvertes, dont ses propres rapports, les profils de pays en matière de droits de la personne préparés par Affaires mondiales Canada (AMC) et les profils de pays non classifiés préparés par le Département d’État américain. Il passe également en revue les rapports de sources ouvertes pertinents et crédibles d’entités non gouvernementales comme Amnistie internationale et Human Rights Watch sur tous les pays avec lesquels il a conclu des ententes. Par le fait même, le SCRS réévalue le bilan en matière de respect des droits de la personne de l’appareil de sécurité de chaque pays et, plus précisément, la réputation à cet égard des entités étrangères avec lesquelles il a conclu une telle entente.
En 2024, le SCRS a continué de mettre en place la méthode révisée d’évaluation du bilan en matière de respect des droits de la personne qu’il a adoptée en 2023. Cette nouvelle méthode comprend des indicateurs actualisés associés à un système d’évaluation numérique ainsi qu’un processus d’examen plus systématique et objectif.
Le SCRS documente soigneusement tous ses échanges d’informations avec un partenaire étranger. Il analyse tout échange éventuel afin de déterminer si la communication d’informations comporte un risque sérieux que de mauvais traitements soient infligés à une personne et, si ce risque existe, s’il peut être atténué au moyen de diverses mesures (voir ci-après). Conformément à la LCMTIEE et au décret connexe, le SCRS n’échange pas d’informations si un risque sérieux de mauvais traitements ne peut pas être atténué.
Mécanisme d'imposition de restrictions à une entité étrangère
Avant l’instruction du ministre de 2017, le SCRS suspendait au cas par cas ses ententes avec des entités étrangères lorsque de graves préoccupations sur le plan des droits de la personne étaient soulevées. Dans son instruction de 2017 intitulée « Éviter la complicité dans les cas de mauvais traitements par des entités étrangères », le ministre exigeait que le SCRS limite la portée d’une entente s’il établit qu’un pays ou un partenaire étranger se livre à de mauvais traitements ou y contribue. Cette limitation de la portée ne signifie pas qu’aucune information ne peut être échangée, mais plutôt que l’échange d’informations doit être approuvé à un niveau plus élevé. En 2018, le SCRS a passé en revue les dossiers de toutes les entités avec lesquelles il avait conclu une entente dans des pays où le niveau de risque en matière de droits de la personne était jugé « élevé ». Il a ensuite imposé trois niveaux de restriction, selon le cas, à l’ensemble des entités concernées. Dans le nouveau cadre d’échange d’informations avec des entités étrangères qu’il a adopté en janvier 2021, le SCRS a combiné les trois niveaux de restriction dans une grande série de procédures sur l’échange d’informations avec des entités étrangères. Il n’avait alors plus deux catégories de restrictions : suspendues ou restreintes. À l’heure actuelle, les ententes avec plus de 70 entités étrangères sont restreintes.
Parmi les principaux changements apportés pendant la période à l’étude figure l’imposition de restrictions à quatre partenaires étrangers. Le SCRS a également retiré la restriction imposée à un partenaire dont le bilan en matière de respect des droits de la personne s’est amélioré.
Mesure d'atténuation
Lorsqu’il estime qu’une communication proposée à une entité étrangère entraînerait un risque sérieux que de mauvais traitements soient infligés à un individu, le SCRS peut envisager une série de mesures pour atténuer le risque de telle façon que le risque résiduel ne soit plus sérieux. Parmi les mesures d’atténuation possibles figurent l’obtention de nouvelles garanties en matière de respect des droits de la personne de la part de l’entité étrangère, l’ajout de mises en garde aux informations communiquées et l’utilisation d’une version expurgée des informations (p. ex. une formulation des informations).
En 2024, le SCRS a continué de demander aux entités étrangères des garanties en matière de respect des droits de la personne en lien avec l’utilisation qu’elles feront des informations qu’il lui communique. Il veille ainsi depuis 2009 à ce que les entités étrangères comprennent et respectent ses attentes (et celles du gouvernement du Canada en général) au chapitre des droits de la personne, dont le traitement des détenus. Dans sa demande de garanties, le SCRS précise qu’il s’attend à ce que personne ne subisse de mauvais traitements à la suite de l’échange d’informations et à ce que l’entité étrangère respecte le droit national et international, dont la Convention des Nations Unies contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants.
Le SCRS assortit aussi toutes les informations qu’il communique à un partenaire étranger de mises en garde relatives au respect des droits de la personne. Il s’assure ainsi de bien faire connaître ses attentes à propos de l’utilisation des informations communiquées. En quelques mots, ces mises en garde disent que le SCRS s’attend à ce que les destinataires respectent le droit international et les exigences en matière de droits de la personne. Il ajoute également des mises en garde distinctes portant sur le partage d’informations à des tierces parties de façon à s’assurer que ses partenaires étrangers ne transmettent pas ses informations à des tierces parties sans d’abord obtenir son consentement.
Les mises en garde et les garanties sont au nombre des principales mesures que le SCRS peut prendre pour atténuer le risque que des personnes subissent de mauvais traitements à la suite d’échanges d’informations avec des entités étrangères. Le SCRS s’assure de consigner les garanties qu’il reçoit d’une entité étrangère et aborde la question directement avec elle s’il la soupçonne d’avoir enfreint une garantie ou une mise en garde. Ce type d’infractions est très difficile à confirmer ou à corroborer, mais le SCRS demande régulièrement de nouvelles garanties aux entités étrangères.
Pour en savoir plus sur les entités étrangères avec lesquelles il a une entente restreinte, le SCRS communique avec des alliés avec lesquels il a des affinités afin d’apprendre de leur expérience et de savoir ce qu’ils pensent de leurs échanges d’informations avec les entités en question. Il s’informe notamment sur les pratiques des entités en matière de respect des droits de la personne en général et d’échanges d’informations en particulier. Ces discussions l’aident à évaluer lui-même la probabilité que de mauvais traitements soient infligés par un partenaire avec lequel il a une entente restreinte.
Collaboration avec d’autres ministères et organismes fédéraux
Le SCRS a continué de participer aux discussions et aux projets interministériels du Groupe de coordination d’échange de renseignements (GCER) afin de comprendre les cadres respectifs des participants dans l’esprit des recommandations de l’examen de la LCMTIEE effectué par l’Office de surveillance des activités en matière de sécurité nationale et de renseignement (OSSNR) en 2021.
Présidé par Sécurité publique Canada, le GCER est la principale tribune interministérielle facilitant la collaboration et l’échange d’informations entre les ministères et organismes auxquels le gouverneur en conseil a donné, ou a songé à donner, des instructions. Le Groupe s’est réuni à plusieurs reprises en 2024, poursuivant ses discussions sur la mise en oeuvre de la LCMTIEE, des instructions connexes, des exigences en matière de rapport, des méthodes et des réponses aux recommandations des organismes de surveillance de l’extérieur.
À la fin de 2024, certains membres du GCER, dont le ministère de la Défense nationale , le Centre de la sécurité des télécommunications et le SCRS, ont de nouveau participé à un sommet sur les droits de la personne. Il s’agissait de la troisième année où ce sommet était tenu. Ces discussions ont permis au SCRS d’en apprendre davantage sur les méthodes et les niveaux de risque des autres organisations en matière d’évaluation du respect des droits de la personne. Ces conversations sont toujours aussi précieuses pour l’aider à renforcer son propre programme.
Le SCRS a aussi continué de communiquer sur demande ses évaluations du respect des droits de la personne aux autres ministères et organismes fédéraux assujettis à la LCMTIEE, afin de contribuer à une meilleure coordination de la communication d’informations.
Comité d’évaluation des échanges d’informations
Le Comité d’évaluation des échanges d’informations (CEEI) du SCRS, dont la création remonte à 2011, veille à ce que les dossiers d’échange d’informations associés à un risque élevé de mauvais traitements soient examinés par des cadres supérieurs. Le CEEI est composé de directeurs généraux du SCRS. Des représentants du ministère de la Justice et d’AMC assistent aussi à ses réunions à titre d’observateurs et participent aux discussions sur les considérations juridiques, liées à la politique étrangère et à la situation sur le plan des droits de la personne. Le CEEI évalue les demandes d’échange d’informations susceptibles de présenter un risque élevé et détermine si ces échanges peuvent avoir lieu. Pour ce faire, il tâche d’établir si la demande satisfait au critère du « risque sérieux » et, dans l’affirmative, quelles mesures d’atténuation 8 Loi visant à éviter la complicité dans les cas de mauvais traitements infligés par des entités étrangères peuvent ramener le risque en deçà du seuil. Au besoin, les membres du CEEI peuvent se réunir afin de déterminer quelle utilisation faire d’informations obtenues d’une entité étrangère. L’objectif est de veiller à ce que les informations reçues n’aient pas été obtenues à la suite de mauvais traitements et que personne ne risque de subir de mauvais traitements à la suite de l’utilisation, par le SCRS, d’informations obtenues d’une entité étrangère.
Le CEEI approuve la demande d’échange d’informations s’il conclut à l’absence de risque sérieux ou estime qu’il est possible d’atténuer ce risque. En revanche, il la rejette s’il conclut que le risque sérieux ne peut pas être atténué. S’il existe un risque sérieux, mais que le CEEI n’est pas en mesure de déterminer s’il est possible de l’atténuer, le dossier est soumis au directeur du SCRS. À ce moment-là, le directeur examine toutes les informations disponibles pour tâcher d’établir si le risque peut être atténué, puis il approuve ou rejette la demande, selon le cas.
Modifications apportées au cadre d’échange d’informations avec des entités étrangères
Comme il l’avait indiqué dans son rapport de 2021 sur la mise en oeuvre des exigences de la LCMTIEE et du décret connexe, le SCRS a modifié ses procédures et son processus en lien avec son cadre d’échange d’informations avec des entités étrangères. La nouvelle version des procédures a été accompagnée d’outils de référence et de formation.
Formation
Le SCRS a continué d’offrir de nombreuses séances d’information en personne aux employés des secteurs de programmes et à tous les nouveaux agents de renseignement, mais aussi aux groupes d’agents à l’étranger (afin qu’ils comprennent bien toute la question des échanges d’informations avant d’être affectés à l’étranger). Ces séances visent à bien leur expliquer les principaux éléments de la LCMTIEE et du décret connexe, le cadre d’échange d’informations avec des entités étrangères et les politiques et procédures qui y sont liées.
Comme il l’avait indiqué dans son rapport de 2023, le SCRS a travaillé à préparer et à mettre en place un cours en ligne interne. Tous les employés des secteurs de programme touchés devront suivre cette formation qui vise à les aider à bien comprendre comment appliquer concrètement les politiques et procédures sur l’évaluation et la prise de décisions associées aux échanges d’informations avec des entités étrangères, et à assurer une conformité totale à la LCMTIEE et au décret connexe. Les développeurs internes du SCRS travaillent toujours à la création de ce cours, qui devrait être offert en 2025.
Le SCRS veillera à continuer de fournir des ressources et des documents de formation aux employés des secteurs de programme qui doivent régulièrement appliquer les politiques et procédures pertinentes dans l’exercice de leurs fonctions, lorsqu’ils songent à communiquer ou à demander des informations à des entités étrangères ou qu’ils se servent d’informations obtenues d’entités étrangères.
Centre intégré d’évaluation des menaces
Le Centre intégré d’évaluation des menaces (CIEM)Note de bas de page 1 est une organisation spécialisée de l’appareil canadien du renseignement, chargée de fournir rapidement des évaluations objectives, pertinentes et opportunes fondées sur des informations de toutes sources. Ces évaluations permettent aux décideurs et aux partenaires de la sécurité de protéger la population canadienne et de servir les intérêts canadiens au pays et à l’étranger. Le CIEM examine activement les renseignements recueillis par les partenaires et tirés de diverses sources ouvertes d’informations afin de pouvoir faire des recommandations au directeur du SCRS sur le niveau de la menace terroriste au Canada et de proposer différents produits contenant des données, des analyses des tendances et des évaluations stratégiques.
À titre de composante du SCRS, le CIEM est assujetti aux instructions du ministre et aux politiques opérationnelles et administratives internes connexes du SCRS, ce qui comprend les politiques et procédures en matière d’échange d’informations avec des entités étrangères, dont celles qui sont visées par la LCMTIEE.
Au besoin, le directeur exécutif du CIEM a le pouvoir d’élaborer des politiques et d’instaurer des pratiques propres au CIEM. Étant donné la rotation régulière d’employés en détachement et son mandat particulier, le CIEM a ses propres formations et pratiques pour assurer la conformité.
Enfin, le CIEM ne diffuse pas directement ses produits de renseignements à l’extérieur du Groupe des cinq. Pour assurer le respect des exigences liées à l’échange d’informations, la communication d’évaluations du CIEM à des entités étrangères ne faisant pas partie du Groupe des cinq est régie par les politiques et procédures opérationnelles du SCRS.
Conclusion
Comme les contextes juridique, politique et géopolitique évoluent constamment, le SCRS continuera de gérer les échanges d’informations avec des services étrangers de manière dynamique et avec un souci d’amélioration constante. Il continuera de mettre en oeuvre son cadre stratégique renouvelé, d’améliorer ses outils et d’en développer des nouveaux pour renforcer l’objectivité dans la prise de décisions et d’accroître la sensibilisation aux responsabilités prévues par la LCMTIEE.
Le SCRS a l’intention de continuer de mettre en place sa formation interne, de veiller à ce que sa façon d’aborder la question des droits de la personne demeure appropriée et rigoureuse et de continuer de contribuer à la coordination interministérielle afin de soutenir et de promouvoir la protection des droits de la personne dans les échanges d’informations avec des entités étrangères.
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