Loi visant à éviter la complicité dans les cas de mauvais traitements infligés par des entités étrangères

Rapport annuel à l’intention du ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile

Février 2021

Introduction

La possibilité pour le Service canadien du renseignement de sécurité (SCRS) d’échanger des informations en temps opportun avec ses partenaires étrangers est essentielle, car elle l’aide à repérer et à gérer les menaces pour la sécurité du Canada et des Canadiens. Le SCRS reconnaît la nécessité d’agir dans le respect des valeurs canadiennes, de la primauté du droit, de la Charte canadienne des droits et libertés et des obligations en droit international. La Loi visant à éviter la complicité dans les cas de mauvais traitements infligés par des entités étrangères (LCMTIEE) de juillet 2019 énonce ces obligations et reconnaît la nécessité pour le gouvernement du Canada d’échanger des renseignements avec des entités étrangères pour assurer la sécurité nationale. En revanche, elle exige des ministères et organismes du gouvernement du Canada qu’ils s’assurent que leurs échanges avec des partenaires étrangers n’entraînent pas un « risque sérieux1 » que de mauvais traitements soient infligés à une personne.

La LCMTIEE exige du gouverneur en conseil qu’il donne des instructions aux administrateurs généraux de certains ministères et organismes fédéraux qui échangent des informations avec des entités étrangères. Le décret signifié au directeur du SCRS en septembre 2019 énonce les responsabilités qui incombent au Service en matière de communication ou de demande d’informations à une entité étrangère, ou d’utilisation d’informations provenant d’une entité étrangère. Ces responsabilités sont conformes aux exigences qui figuraient dans l’instruction du ministre de 2017 à ce sujet. Suivant la LCMTIEE, les administrateurs généraux auxquels des instructions ont été données doivent soumettre au ministre compétent un rapport sur la mise en œuvre de ces instructions au cours de l’année civile précédente. Le présent rapport précise les aspects principaux de la mise en œuvre, par le SCRS, de la LCMTIEE et du décret connexe au cours de la période de référence de 2020. Pendant cette période, le SCRS a non seulement continué d’appliquer son cadre d’échange d’informations avec des entités étrangères, mais il a aussi élaboré et mis en œuvre une approche solide à l’issue de l’examen périodique de sa situation.

Le contexte de la sécurité est à la fois mouvant et complexe. Il transcende les frontières et s’étend au territoire entièrement ouvert qu’est le cyberespace. Le Canada doit pouvoir échanger rapidement et efficacement des informations avec des entités étrangères afin de contrer les menaces qui pèsent sur le Canada et les intérêts canadiens, au pays et à l’étranger. Qui plus est, si le SCRS s’attend à ce que ses partenaires étrangers lui communiquent toute information qu’ils pourraient avoir sur des menaces pour le Canada, il doit faire de même de son côté s’il obtient des informations sur des menaces pour la sécurité de ses partenaires étrangers, surtout dans le secteur de l’antiterrorisme.  

Échange d’informations avec des entités étrangères et droits de la personne

Le SCRS possède des ententes avec plus de 300 entités étrangères dans plus de 150 pays. Chacune de ces ententes a été approuvée par le ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile et a reçu l’aval du ministre des Affaires étrangères, conformément à l’alinéa 17(1)b) de la Loi sur le SCRS. La conclusion d’une telle entente suit un processus rigoureux qui tient compte de divers éléments, dont les exigences du Canada en matière de sécurité, les obligations de respect des droits de la personne et la fiabilité de l’entité étrangère concernée. S’il y a des considérations relatives aux droits de la personne ou à la politique étrangère, le SCRS consulte de façon proactive Affaires mondiales Canada (AMC) avant de demander au ministre d’approuver une nouvelle entente. 

Depuis sa création en 1984, le SCRS réexamine régulièrement l’ensemble de ses ententes avec des entités étrangères, y compris les considérations relatives aux droits de la personne et les risques de mauvais traitements. Il passe en revue les évaluations gouvernementales annuelles sur le respect des droits de la personne (p. ex. les rapports d’AMC et les Country Reports du Département d’État américain) ainsi que les rapports de sources ouvertes produits par des organisations non gouvernementales (p. ex. les rapports d’Amnesty International, de Human Rights Watch et d’agences de presse établies) sur tous les pays avec lesquels il possède une entente approuvée par le ministre. Par le fait même, le SCRS réévalue le contexte des droits de la personne au sein de l’appareil de sécurité de chaque pays et, plus précisément, la réputation des entités étrangères avec lesquels il a conclu une telle entente. 

Le SCRS analyse soigneusement, au cas par cas, s’il convient d’échanger des informations avec un partenaire étranger et documente sa démarche. Il analyse tout échange éventuel afin de déterminer si la communication d’informations comporte un risque sérieux que de mauvais traitements soient infligés à une personne. Conformément à la LCMTIEE et au décret connexe, le SCRS n’échange pas d’informations si le risque sérieux ne peut être atténué. Lorsqu’il échange des informations avec une entité étrangère dont le bilan en matière de respect des droits de la personne suscite des préoccupations, le SCRS emploie une approche progressive pour évaluer la fiabilité de l’entité et l’utilité de l’entente. Les échanges sont à la fois proportionnels au degré de confiance établi au fil du temps et fonction de la situation politique et des droits de la personne dans le pays. 

Le SCRS continue de communiquer ses résumés sur le respect des droits de la personne par des entités étrangères aux autres ministères et organismes du gouvernement du Canada qui sont assujettis à la LCMTIEE, de sorte à mieux coordonner la communication d’informations. Le SCRS veille en outre à en informer ces ministères et organismes lorsqu’il assortit une entente de certaines restrictions.

Imposition de restrictions à une entité étrangère

Dans son instruction de 2017 intitulée « Éviter la complicité dans les cas de mauvais traitements par des entités étrangères », le ministre exigeait du SCRS qu’il limite la portée d’une entente s’il est établi qu’un partenaire étranger inflige de mauvais traitements à des individus ou qu’il y contribue. Les allégations à cet égard sont souvent difficiles à corroborer, mais le SCRS a passé en revue toutes les entités avec lesquelles il possède une entente dans les pays où le niveau de risque en matière de droits de la personne est « élevé ». Par la suite, il a imposé différents niveaux de « restrictions » à l’ensemble des entités concernées. À l’heure actuelle, plus de 80 entités étrangères font l’objet de restrictions. Le mécanisme par lequel le SCRS impose des restrictions à des entités étrangères est en vigueur depuis mars 2018. 

Si son entente avec une entité étrangère est assortie de restrictions en raison de préoccupations relatives aux droits de la personne, le SCRS est tenu d’évaluer toute proposition d’échange d’informations en fonction de critères précis.

De plus, toute proposition d’échange avec une entité étrangère dont l’entente avec le SCRS fait l’objet de restrictions exige un examen et une autorisation de la haute direction.

Au cours de la période de référence, le directeur a autorisé le retrait d’une entité étrangère de la liste des entités possédant une entente « restreinte » et a fait passer le niveau de risque du pays en matière de droits de la personne de « élevé » à « modéré ». Il a pris cette décision en l’absence d’allégations précises de mauvais traitements de la part de l’entité en question depuis quelques années ainsi que d’une amélioration générale du contexte des droits de la personne au sein de l’appareil de sécurité au pays. De plus, l’entente conclue avec une entité étrangère a été ajoutée à la liste des ententes « restreintes » à la lumière d’allégations de mauvais traitements contenues dans un rapport de sources ouvertes sur les droits de la personne. Enfin, le niveau de risque de deux autres pays en matière de droits de la personne est passé de « modéré » à « élevé », car un nombre accru de rapports ont fait état d’allégations de mauvais traitements au sein de l’appareil de sécurité. 

Mesures d’atténuation – Garanties et mises en garde

Le SCRS évalue et tente d’atténuer les risques éventuels de mauvais traitements avant d’envisager de communiquer certains types d’informations à des entités étrangères. Parmi les mesures d’atténuation possible, mentionnons l’obtention de nouvelles garanties en matière de respect des droits de la personne de la part d’une entité étrangère et l’ajout de mises en garde aux informations communiquées.

Depuis 2009, le SCRS demande aux entités étrangères des garanties en matière de respect des droits de la personne en lien avec l’utilisation qu’elles feront des informations qu’il leur communique. Il veille ainsi à ce que l’entité étrangère comprenne et respecte ses attentes (et celles du gouvernement du Canada en général) au chapitre des droits de la personne, dont le traitement des détenus.Dans sa demande de garanties, le SCRS précise qu’il s’attend à ce que personne ne subisse de mauvais traitements à la suite de l’échange d’informations et à ce que l’entité étrangère respecte le droit national et international, dont la Convention des Nations Unies contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants.

Le SCRS assortit toutes les informations qu’il communique à un partenaire étranger de mises en garde relatives au respect des droits de la personne.Il s’assure ainsi de bien faire connaître ses attentes à propos de l’utilisation des informations communiquées.Plus précisément, dans les mises en garde qui accompagnent les informations communiquées, le SCRS fait savoir aux destinataires qu’ils sont tenus de s’assurer que personne ne subisse de mauvais traitements à la suite de la communication de ces informations et qu’il s’attend à ce que les destinataires respectent le droit international et les exigences en matière de droits de la personne. Le SCRS ajoute également des mises en garde distinctes sur la « règle applicable aux informations fournies par des tiers », de façon à s’assurer que les destinataires ne transmettent pas ses informations à des tiers sans d’abord obtenir son consentement. 

Les mises en garde et les garanties sont au nombre des principales mesures que le SCRS peut prendre pour atténuer le risque que des personnes subissent de mauvais traitements à la suite de l’échange d’informations avec des entités étrangères. Le SCRS s’assure de consigner les garanties qu’il reçoit d’une entité étrangère et aborde la question directement avec elle s’il la soupçonne d’avoir enfreint une garantie ou une mise en garde. Les infractions de la sorte sont très difficiles à confirmer ou à corroborer. Cependant, le SCRS entre en contact avec l’entité étrangère concernée et lui demande de nouvelles garanties s’il reçoit des rapports non corroborés qui soulèvent des préoccupations en matière de droits de la personne ou laissent croire que l’entité pourrait être complice de cas possibles de violation des droits de la personne. 

Comité d’évaluation des échanges d’informations (CEEI)

Le CEEI, dont la création remonte à 2011, veille à ce que les dossiers d’échange d’informations qui représentent un risque élevé de mauvais traitements fassent l’objet d’un examen de la part de la haute direction. Le CEEI se compose de cadres supérieurs du SCRS et de représentants du ministère de la Justice et d’AMC. Il évalue toute demande d’échange d’informations susceptible de constituer un risque élevé et détermine si cet échange peut avoir lieu. Pour ce faire, il tâche d’établir si la demande satisfait au critère du « risque sérieux » et, dans l’affirmative, si des mesures d’atténuation peuvent permettre de ramener le risque en deçà du seuil. Au besoin, les membres du CEEI peuvent se rassembler afin de déterminer si une personne risque de subir de mauvais traitements à la suite de l’utilisation, par le SCRS, d’informations obtenues d’une entité étrangère. 

Le CEEI approuve la demande d’échange d’informations s’il conclut à l’absence de risque sérieux ou estime qu’il est possible d’atténuer ce risque. En revanche, s’il conclut que le risque sérieux ne peut être atténué, il rejette la demande.S’il existe un risque sérieux, mais que le CEEI n’est pas en mesure de déterminer s’il est possible de l’atténuer, le dossier est soumis au directeur du SCRS.À ce moment-là, le directeur examine toutes les informations disponibles pour tâcher d’établir si le risque peut être atténué, puis il approuve ou rejette la demande, selon le cas. 

Changements apportés au cadre d’échange d’informations avec des entités étrangères

Tel qu’il a été signalé dans le rapport de 2019 sur la mise en œuvre des exigences de la LCMTIEE et du décret connexe, en 2020, le SCRS a poursuivi ses vastes efforts en vue d’examiner et de mettre à jour ses procédures et processus en lien avec son cadre d’échange d’informations avec des entités étrangères. Parmi les principaux changements, le SCRS a intégré l’ancienne Directive du sous-directeur des Opérations sur l’échange d’informations avec des entités étrangères et les « restrictions » connexes pour en faire une grande série de procédures et a rassemblé les multiples niveaux de restrictions en deux catégories (« entente suspendue » et « entente restreinte »), de sorte à faciliter le processus d’approbation des demandes d’échange d’informations. Le SCRS a également entrepris d’axer le processus décisionnel sur le critère du « risque sérieux » (ou du « risque substantiel », tel qu’il était défini dans l’instruction du ministre de 2017), selon la LCMTIEE de 2019 et le décret connexe. Ainsi, il exige dorénavant des entités étrangères avec lesquelles il possède une entente restreinte qu’elles lui fournissent de nouvelles garanties tous les deux ans. 

Ensemble, ces changements doivent permettre au SCRS d’échanger plus facilement et de manière plus éclairée des informations avec des entités étrangères tout en respectant ses obligations en vertu de la LCMTIEE et du décret connexe. Pour produire les résultats escomptés, le nouveau cadre instaure une approche globale. Il précise le niveau des personnes autorisées à donner leur approbation en fonction du degré de risque. Il simplifie les restrictions applicables aux entités étrangères et donne aux cadres supérieurs le pouvoir non seulement de prendre des décisions dans les dossiers qui comportent un risque sérieux de mauvais traitements, mais aussi de déterminer les mesures d’atténuation appropriées. Enfin, en plus de réserver un rôle au CEEI, le cadre met en place une méthode robuste et uniforme pour demander des garanties en matière de droits de la personne. 

Au départ, le lancement officiel du nouveau cadre devait avoir lieu au milieu de 2020 après une série de séances d’information à l’intention des principaux intervenants, mais les dernières étapes du processus ont dû être reportées au début de la pandémie de COVID‑19. De juillet à novembre 2020, les intervenants internes ont été invités à des séances d’information lors desquelles ils ont pu découvrir les principaux éléments de la LCMTIEE et du décret connexe ainsi que les changements devant être apportés aux procédures. La mise à jour des procédures et des outils et guides correspondants s’est terminée à la fin de la période de référence, puis le lancement officiel a eu lieu à la fin de janvier 2021. Des outils de référence, de la formation et de nouvelles mesures d’évaluation des risques pour les droits de la personne accompagnent la nouvelle version des procédures. Le ministre sera informé des résultats dans le prochain rapport annuel sur la LCMTIEE, qui portera sur la période de référence 2021. 

Comme le contexte juridique, politique et géopolitique évolue sans cesse, le SCRS entend gérer les demandes d’échange d’informations avec des entités étrangères de manière dynamique et avec un souci d’amélioration constante.Par exemple, il s’efforcera d’accroître la coordination avec les autres ministères et organismes du gouvernement du Canada qui sont assujettis à la LCMTIEE, en particulier lorsqu’il s’agit d’évaluer et d’atténuer le risque de mauvais traitements dans les pays qui suscitent de graves préoccupations sur le plan des droits de la personne. 

Centre intégré d’évaluation du terrorisme (CIET)

Au Canada, le CIET a pour mandat de produire des évaluations de la menace qui sont à la fois justes et pertinentes, et de les communiquer au gouvernement du Canada en temps opportun. Le CIET occupe des locaux à l’Administration centrale du SCRS, et le Comité des sous-ministres sur la sécurité nationale lui sert d’organisme directeur. Le CIET n’est pas mentionné dans la LCMTIEE, et aucun décret ne lui a été signifié. Toutefois, la Loi sur le SCRS et les politiques administratives et opérationnelles du SCRS s’appliquent au CIET, conformément à la décision de 2005 du Conseil du Trésor qui a porté création de l’organisme. Le CIET suit les instructions du ministre qui sont données au SCRS et adapte pour son propre usage les politiques et procédures du SCRS en matière d’échange d’informations avec des entités étrangères. Le CIET mène ses activités conformément aux autorisations et politiques du SCRS, notamment en ce qui concerne la LCMTIEE. 

Qu’il soupçonne ou non que de mauvais traitements ont été infligés, le CIET utilise les informations obtenues de détenus seulement lorsqu’elles sont essentielles pour étayer son évaluation et qu’elles ont été corroborées par d’autres sources. Si le CIET a besoin de telles informations pour étayer son évaluation dans un rapport, seul son directeur exécuteur peut examiner la demande et, le cas échéant, autoriser l’utilisation des informations. Comme il ne dispose pas des ressources nécessaires pour évaluer de façon indépendante si une entité étrangère a vraisemblablement obtenu les informations en infligeant de mauvais traitements à une personne, le CIET se fie à aux évaluations du SCRS à cet égard. 

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