Propriété, vulnérabilité et accessibilité : le système alimentaire mondial dans le contexte de la sécurité

Publié : lundi 02 mai 2011

Sommaire d’une conférence du Service canadien du renseignement de sécurité (SCRS).

Présentée lors du Global Futures Forum, les 24 et 25 janvier 2011

Auteurs : Cleo Paskal, Chercheur associée, Chatham House (UK) et Lisa Furrie (Canada)

Le présent rapport est fondé sur les opinions exprimées par les experts qui ont présenté des exposés et par les autres participants à la conférence organisée par le Service canadien du renseignement de sécurité lors du Global Futures Forum, dans le cadre de son programme de liaison-recherche. Le présent rapport est diffusé pour nourrir les discussions. Il ne s’agit pas d’un document analytique et il ne représente la position officielle d’aucun des organismes participants. La conférence s’est déroulée conformément aux règles de Chatham House; les intervenants ne sont donc pas cités et les noms des conférenciers et des participants ne sont pas révélés. On peut télécharger l’intégralité du rapport en visitant le : www.csis-scrs.gc.ca. Publié en mai 2011.
© Sa Majesté la Reine du chef du Canada

Sommaire d’une conférence du Service canadien du renseignement de sécurité (SCRS).

Présentée lors du Global Futures Forum, les 24 et 25 janvier 2011

Auteurs : Cleo Paskal, Chercheur associée, Chatham House (UK) et Lisa Furrie (Canada)

Le présent rapport est fondé sur les opinions exprimées par les experts qui ont présenté des exposés et par les autres participants à la conférence organisée par le Service canadien du renseignement de sécurité lors du Global Futures Forum, dans le cadre de son programme de liaison-recherche. Le présent rapport est diffusé pour nourrir les discussions. Il ne s’agit pas d’un document analytique et il ne représente la position officielle d’aucun des organismes participants. La conférence s’est déroulée conformément aux règles de Chatham House; les intervenants ne sont donc pas cités et les noms des conférenciers et des participants ne sont pas révélés. On peut télécharger l’intégralité du rapport en visitant le : www.csis-scrs.gc.ca. Publié en mai 2011.
© Sa Majesté la Reine du chef du Canada

La sécurité alimentaire est au point de rencontre de trios vecteurs mondiaux importants et instables :

  • la géophysique (les changements environnementaux à grande échelle, dont l’urbanisation et les changements climatiques, se répercutent sur la production alimentaire);
  • la géoéconomique (le déplacement du centre de gravité économique vers l’Asie et l’émergence du capitalisme nationaliste prenant la forme, par exemple, d’investissements de fonds souverains visant des terres agricoles);
  • la géopolitique (les rapports nouveaux et incertains entre l’Orient, l’Occident et le « reste » – et au sein de ceux-ci – exacerbés par les politiques agricoles).

Ces trois facteurs géographiques, les trois « géos », influent sur la sécurité alimentaire et vice-versa, chose que l’on peut facilement constater dans divers contexts partout au monde. À titre d’exemple, les vagues de chaleur sans précédents qu’a connues la Russie en 2010 ont contribué à la sécheresse et aux incendies qui ont détruit les récoltes. Pour sa propre stabilité, la Russie doit veiller à conserver des réserves intérieures de blé à un coût abordable. Elle a donc décidé d’interdire les exportations de blé, qui est devenu un bien stratégique nécessaire à la sécurité intérieure plutôt qu’une denrée échangée sur le marché libre. Le retrait du blé russe du marché a favorisé la spéculation et exacerbé le prix déjà exorbitant des aliments à l’échelle mondiale.

L’un des plus gros importateurs de blé de la Russie est l’Égypte. Le gouvernement égyptien devant, lui aussi, fournir des denrées à un prix abordable dans l’intérêt de la sécurité intérieure, subventionnait fortement le pain depuis longtemps. Privée du blé russe et devant la hausse des prix sur le marché, l’Égypte n’a pu faire autrement que d’augmenter le prix du pain. Le coût reel du blé sur le marché mondial ayant augmenté de 80 % dans l’année, le prix du pain en Égypte augmenta de 30 % dans la même période. Cette hausse a suscité le mécontentement populaire et contribué aux bouleversements politiques subséquents en Égypte et dans le reste du monde arabe.

Le soulèvement de ses habitants peut affaiblir la position de l’Égypte face à ses voisins, ce qui ouvre la porte aux autres États du réseau hydrographique du Nil, dont le Soudan, pour exiger un accès accru à cette eau vitale, ne serait-ce que pour leur propre sécurité alimentaire. Déjà, le Soudan a conclu un partenariat avec la Chine pour la construction de barrages qui risquent de faire éclater des conflits, ce qui pourrait avoir un effet considérable sur la stabilité dans la région et au delà.

Dans un monde où l’interdépendance s’accroît sans cesse et où les États tentent de trouver la stabilité en dépit des changements géopolitiques et géoéconomiques et de la modification de l’environnement (littéralement, dans certains cas) qui sapent l’infrastructure essentielle nationale, l’approvisionnement alimentaire à prix abordable devient rapidement l’un des secteurs les plus manifestes et critiques de conflits éventuels.

L’Occident se croit souvent à l’abri des troubles liés au prix des aliments comme ceux que l’on observe ailleurs. Pourtant, dans des pays riches comme le Canada, le recours aux banques alimentaires augmente et la nourriture devient un enjeu politique. De plus, comme on l’a vu dans le cas de la Russie, en raison de l’étendue et de l’effet domino des incidents sur les aspects géopolitiques, géoéconomiques et géophysiques du système alimentaire mondial – tous étroitement liés –, des incendies en Russie peuvent mener à un engagement accru de la Chine au Soudan et à toute une série de nouvelles préoccupations pour l’Occident.

La sécurité alimentaire est une manifestation omniprésente et tangible de l’effet de Lorenz, le célèbre effet du papillon. Les répercussions de l’insécurité alimentaire, ou même du seul sentiment d’une telle insécurité, ne sont pas linéaires. Elles ne sont pas nécessairement importantes ou déterminantes, mais elles peuvent contribuer à certaines des composantes les plus critiques de ces trois géos ou être modifiées par celles-ci.

Déjà, et ce sans même qu’il y ait eu d’attaque délibérée contre le système alimentaire mondial, la sécurité du système et la sécurité fournie par le système sont chancelantes. Il suffit d’ajouter la possibilité d’une attaque contre un maillon critique de la chaîne d’approvisionnement alimentaire pour que l’utilité de stratégies alimentaires nationales devienne évidente.

Une stratégie globale tiendrait compte des trois géos. De plus, elle prendrait en considération non seulement les politiques, l’économie et les ressources naturelles d’aujourd’hui, mais encore leurs projections dans l’avenir, tant au pays qu’à l’étranger.

Certains États ont une longueur d’avance dans l’élaboration d’une stratégie de sécurité alimentaire. À titre d’exemple, la politique de l’enfant unique en vigueur en Chine est dictée en grande partie par le besoin de sécurité alimentaire. Il y a une trentaine d’années, ayant pris conscience que le pays n’avait pas accès à suffisamment de ressources (dont la nourriture) pour soutenir l’accroissement de sa population, les autorités chinoises ont décidé d’imposer par la contrainte des restrictions au nombre d’enfants qu’un couple peut avoir.

Cela a eu pour effet de réduire la demande de nourriture et d’autres ressources. Parallèlement, le gouvernement de la Chine a tenté de s’assurer un approvisionnement fiable sur les marchés et a cherché à faciliter l’achat de terres agricoles à l’étranger, à investir ses fonds souverains et à établir des relations avec des États qui, comme le Zimbabwe, sont isolés politiquement mais riches en ressources naturelles. Pékin sait bien que, pour se sentir en sécurité, il doit pouvoir fournir à la majorité de sa population de la nourriture à un prix abordable. En Chine comme en Russie, les denrées alimentaires sont ainsi considérées comme des biens stratégiques plutôt que des produits de base.

Les pays industrialisés exportateurs de produits alimentaires, dont le Canada, ont encore tendance à considérer la nourriture comme une denrée « ordinaire » (quoique la déclaration que la potasse de la Saskatchewan constitue une ressource stratégique présage peut-être des changements). Une telle attitude peut masquer les enjeux et entraîner une perte d’influence sur les plans géopolitique et géoéconomique.

Par ailleurs, les investissements considérables faits par les pays du Golfe, entre autres, dans les terres agricoles à l’étranger pourraient, par exemple, renforcer l’incertitude quant au prix du blé et, par ricochet, toucher les producteurs canadiens.

Alors que de plus en plus de pays entreprennent des évaluations stratégiques de la propriété, de la vulnérabilité et de l’accessibilité du système alimentaire mondial et élaborent des strategies alimentaires nationales (en janvier 2010, la Russie a mis en oeuvre sa doctrine de sécurité alimentaire), les retardataires pourraient être acculés à des choix de plus en plus limités les menant à des chocs et à des situations de crise. Sans sécurité alimentaire, il n’y a pas de sécurité.

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