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La portée et la rapidité d’Internet et des médias sociaux ont amplifié les répercussions possibles de la désinformation. L’augmentation de la capacité de transmission de données, jumelée au virage vers la publicité programmatiqueNote de bas de page 1, a provoqué une diminution abrupte de la capacité du journalisme traditionnel d’être le garant de la qualité de l’information publique. Ce dernier a été remplacé en partie par un torrent de données provenant d’un nombre infini d’expéditeurs. Or, ce torrent charrie son lot de mensonges et de distorsions qui menacent l’intégrité du discours public, des débats et de la démocratie.

Agents de désinformation : les acteurs

La désinformation est devenue un outil extrêmement efficace pour les acteurs étatiques, les profiteurs, les personnes en quête d’un statut, les entreprises du spectacle et les vrais croyants. Le plus habile pourvoyeur étatique de mensonges est la Russie. Sa maîtrise historique de ce qu’on appelle les mesures spéciales, magnifiée par la technologie moderne, respecte le principe opérationnel de base, c’est-à-dire diffamer et amplifier.

  • L’adhocratie russe, l’élite changeante qui entoure le président Vladimir Poutine, dirige un vaste réseau de trolls et des réseaux de zombies qui génèrent et propagent du matériel partout sur le Web. Le soutien de diplomates, d’organes médiatiques d’État comme RT (Russia Today) et Sputnik ainsi que des alliances de fait avec des organisations comme WikiLeaks intensifient ses activités.
  • En collaborant, ces agents de l’État russe parviennent à créer une fausse histoire et, au moyen de Facebook, de Twitter et d’autres canaux, font en sorte qu’elle atteigne le segment de la population qu’elle est le plus susceptible d’influencer. Ils donnent aussi l’impression de corroborer l’histoire grâce à des entrevues réalisées par des agences de presse auprès de faux experts, à des documents contrefaits ainsi qu’à des photos et à des vidéos retouchées. Quiconque dénonce les mensonges devient la cible d’une campagne massive de diffamation en ligne.
  • La Russie, la Chine et les Philippines emploient des techniques de désinformation pour contrôler leur population interne. La Russie se distingue par sa stratégie de désinformation extrêmement élaborée visant à perturber les régimes politiques d’autres pays, à influencer les opinions politiques de ses citoyens ainsi qu’à semer et à attiser la division et la méfiance.

Moscou et Beijing ont élaboré des doctrines d’information complexes dans le cadre de leur stratégie visant à consolider leur emprise sur la scène intérieure et à servir leurs objectifs en matière de politique étrangère. Ils coordonnent des messages sur de multiples plateformes et avancent des arguments cohérents par l’entremise des médias traditionnels et des médias sociaux dans de nombreuses langues. La désinformation sert des objectifs stratégiques immédiats et à long terme. Il existe toutefois des différences importantes entre les méthodes russes et chinoises.

  • La Russie essaie de modifier la perception de la réalité et cerne les divisions exploitables au sein de ses publics cibles. Elle fait la promotion d’un programme plus nationaliste qu’idéologique et cible la population russe pour éviter la dissidence. Elle attaque les anciens membres de l’URSS qui la côtoient au moyen de messages qui pourraient, en fin de compte, soutenir une guerre hybride. Les opérations menées contre les populations occidentales visent à affaiblir la résistance aux objectifs de l’État russe. Dans la campagne qu’elle a menée à l’appui de la Syrie, elle a employé la désinformation pour dissimuler la brutalité de ses attaques contre les populations civiles.
  • La Chine a créé une cyberforteresse intérieure et l’a renforcée au moyen des technologies et des entreprises de haute technologie chinoises. Les messages lancés à l’échelle nationale et internationale sont à la fois nationalistes et idéologiques. Beijing déploie sa version de la puissance douce pour influencer les politiques de la communauté internationale, c’est-à-dire qu’elle utilise efficacement sa puissance économique et la présence de communautés et d’entreprises chinoises dans des pays suscitant un intérêt.
  • La Russie a militarisé explicitement sa machine de désinformation pour qu’elle serve de ressource dans les guerres de demain : elle atténue le sentiment de danger d’un pays ciblé et affaiblit la volonté de résister. La Chine se bat pour la reconnaissance de sa légitimité à titre de grande puissance tout en rejetant les normes internationales avec lesquelles elle n’est pas d’accord.

D’autres acteurs participent aussi au flot de désinformation.

  • Aux Philippines, la désinformation a servi de tactique pour influencer les électeurs lors des élections présidentielles, justifier la campagne antidrogue menée dans les rues, discréditer les détracteurs du régime et délégitimer les médias grand public.
  • Pendant la campagne référendaire sur le Brexit, un très grand nombre de comptes Twitter étaient actifs, particulièrement dans le camp favorable à la sortie de l’Union européenne. La plupart ont disparu immédiatement après le vote, ce qui donne fortement à penser qu’ils étaient pilotés par des robots. Leur contenu correspondait au style simpliste et hyperpartisan des tabloïdes britanniques.

Nouveaux activistes indépendants

Les agences de désinformation des États font partie d’un système complexe qui comprend des activistes indépendants dont les motivations diffèrent, mais se chevauchent. Beaucoup voient des complots dans les événements qui font les manchettes, comme les fusillades, ou même nient qu’ils ont jamais eu lieu. Ils croient que les gouvernements ne sont pas dignes de confiance, qu’ils manipulent les événements qui surviennent dans le monde et qu’ils peuvent compter sur l’aide des médias traditionnels pour dissimuler la vérité. La plupart sont antimondialistes et tiennent un discours nationaliste et anti-immigration qui plaît aux éléments de la gauche et de la droite.

Des acteurs indépendants utilisent les médias sociaux et des sites Web spécialisés pour propager et renforcer stratégiquement des messages compatibles avec les leurs. Des organismes de désinformation des médias d’État infiltrent et utilisent leurs réseaux pour amplifier l’effet des stratégies de désinformation de l’État contre les populations ciblées. Dans ce système complexe, il est difficile de savoir dans quelle mesure et par qui les activités sont orchestrées.

Agents de désinformation : les complices

L’écosystème informationnel permet la tenue de campagnes de désinformation d’envergure. Les fausses nouvelles sont propagées de multiples façons, mais Facebook et Twitter sont des outils particulièrement importants. Ils servent tous les deux à cibler des segments précis de la population. Les personnes qui considèrent les fausses nouvelles comme dignes de foi ou utiles les propagent à leur tour. Les organismes d’État ont abondamment recours aux robots et aux faux comptes pour populariser de faux reportages et les propager en cascade, atteignant des volumes qu’il est humainement impossible de produire ou de maîtriser individuellement.

Les entreprises de médias sociaux prennent conscience de leur rôle dans le problème, mais les dirigeants de la Silicon Valley ne sont pas tous convaincus qu’il leur incombe d’éliminer les fausses informations. La lutte contre les pourriels est une nécessité commerciale, mais la fermeture de comptes ou la vérification de contenus limitent la rentabilité. Les entreprises de médias sociaux ont un engagement philosophique à l’égard de l’échange ouvert des informations, et beaucoup ont une compréhension limitée du monde des opérations de renseignement. Elles sont réticentes à s’allier aux services de renseignement et aux organes de presse grand public pour assumer la tâche de surveiller le contenu en détail.

Désinformation à la russe : les messages

La désinformation d’origine russe est adaptée aux circonstances et aux objectifs de l’État, mais elle comporte d’importants thèmes récurrents selon lesquels, par exemple, les gouvernements occidentaux sont fascistes ou les leaders mondiaux font partie d’une élite puissante qui méprise les gens ordinaires et agit contre eux.

À ces thèmes généraux s’ajoutent ceux qui appuient des campagnes précises, comme les activités de la Russie pour soutenir le Parti républicain dans la campagne présidentielle de 2016 aux États-Unis.

La réaction

De nombreux acteurs et organismes travaillent pour contrer cette menace et se protéger contre elle.

  • Les gouvernements insistent de plus en plus pour que les entreprises de médias sociaux assument la responsabilité du contenu dont elles facilitent la propagation. Sur ce plan, les législateurs européens ont une longueur d’avance sur leurs homologues américains, en partie parce que les médias sociaux sont très utilisés par les terroristes.
  • Certains gouvernements ont pris des mesures pour bloquer les flux connus des médias de désinformation dans leur pays, protégeant leurs citoyens contre les tentatives d’ingérence étrangère.
  • De nombreuses universités et de multiples groupes de recherche privés ont analysé des campagnes de désinformation, au moyen de modèles de diffusion et d’indicateurs de contenu pour repérer les réseaux de zombies et les usines de trolls.
  • Des organisations spécialisées sont devenues habiles pour ce qui est de dévoiler les faux reportages et, souvent en temps réel, de sensibiliser le public pour qu’il apprenne à détecter et à démasquer la désinformation.

Perspectives

Les répercussions négatives des fausses nouvelles sur la démocratie pourraient s’accroître si la Russie et d’autres acteurs deviennent des modèles pour d’autres, ce qui augmenterait la diffusion de messages malveillants par toutes les voies offertes par l’ère de l’électronique.

La désinformation empoisonne le débat public et menace la démocratie. Il est nécessaire de sensibiliser davantage la population au problème pour qu’elle apprenne à distinguer le vrai du faux. Les gouvernements et les organisations disposent de nombreuses façons de contrer la menace, mais rien ne garantit que des contre-campagnes, même efficaces, peuvent neutraliser le flux à grand débit des communications malveillantes.

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