2014 TSSTC 23

Date : 2014-12-12

 Dossier : 2014-38

 Entre :

Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada, demanderesse

et

Conférence ferroviaire de Teamsters Canada, défenderesse

 Indexé sous :  Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada c. Conférence ferroviaire de Teamsters Canada

 Affaire : Demande de suspension de la mise en œuvre d’une instruction émise par un agent de santé et de sécurité

 Décision : La demande de suspension de la mise en œuvre de l’instruction est rejetée.

 Décision rendue par : M. Olivier Bellavigna-Ladoux, agent d'appel

 Langue de la décision : Anglais

 Pour la demanderesse : Mme Lindsay A. Mullen, Dentons Canada LLP (Calgary)

 Pour la défenderesse : M. Ken Stuebing, CaleyWray

 Référence : 2014 TSSTC 23

MOTIFS DE DÉCISION

[1] La présente demande de suspension de la mise en œuvre d'une instruction vise une instruction émise par l'agent de santé et sécurité (l'agent de SST) TC (Tyronne) Kowalski le 30 juillet 2014 (l'instruction) à l'employeur, soit la Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada (le CN ou la demanderesse). La défenderesse est la Conférence ferroviaire de Teamsters Canada.

Contexte

[2] Le 18 novembre 2013, le chef de train stagiaire du CN Jason Cluney a subi des blessures fatales durant une opération d'aiguillage réalisée à la gare connue sous le nom de « Murphy’s », qui est située près de Tisdale, en Saskatchewan. Un train devait arriver deux heures après le crépuscule pour livrer des wagons. M. Cluney s'était vu confier la tâche de manœuvrer l'aiguille des rails pour que les wagons entrants soient livrés sur le tronçon approprié. Pendant cette manœuvre d'aiguillage, le chef de train et M. Cluney ne sont pas restés ensemble et ont fini par ne plus se voir. Le chef de train supervisait M. Cluney par radio. Le stagiaire a reçu l'instruction de manœuvrer l'aiguille puis d'envoyer un signal par radio au train qui arrivait. M. Cluney a procédé à l'aiguillage et a accédé à l'autre voie pour poursuivre son travail. Toutefois, puisqu'il n'avait pas aligné correctement les aiguilles des rails, il travaillait dans la voie où s'engageaient les wagons qui arrivaient. Ceux-ci l'ont frappé et écrasé, et les blessures qu'il a subies ont mené à son décès.

[3] L'enquête a permis de déterminer que les chefs de train stagiaires ne reçoivent pas une formation adéquate en matière de manipulation des aiguilles, et que les directives destinées aux superviseurs des stagiaires ne sont pas suffisantes elles non plus. De plus, les dossiers établis relativement à la progression des stagiaires ne sont pas assez étoffés.

[4] Après avoir effectué son enquête, l'agent de SST Kowalski a émis l'instruction suivante :

  •  [Traduction] DANS L’AFFAIRE DU CODE CANADIEN DU TRAVAIL

     
  •  PARTIE II – SANTÉ ET SÉCURITÉ AU TRAVAIL 
  •  INSTRUCTION À L’EMPLOYEUR EN VERTU DU PARAGRAPHE 145(1) 
  • L'agent de santé et de sécurité soussigné a enquêté au sujet du décès d'un employé survenu le 18 novembre 2013 dans le lieu de travail exploité par la Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada, un employeur assujetti à la partie II du Code canadien du travail, en Saskatchewan dans la subdivision Tisdale, la borne milliaire 61 étant celle se trouvant le plus près de cet endroit et ledit lieu de travail étant parfois appelé « Murphy’s ».
  • Ledit agent de santé et de sécurité est d’avis que les dispositions suivantes de la partie II du Code canadien du travail ont été enfreintes :
  •  1. Alinéa 125(1)g) de la partie II (la partie II) du Code canadien du travail et paragraphe 10.12(2) de la partie X du Règlement sur la sécurité et la santé au travail (trains) 
  • Le CN a omis de conserver en dossier les examens sur les règles qui sont administrés aux employés responsables de l’exploitation dans le cadre de leur formation initiale. L'examen sur les règles d'exploitation que l'employé stagiaire fatalement blessé aurait dû passer n'a pu être obtenu. La pratique habituelle de la Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada (le CN) consiste à détruire les examens sur les règles d'exploitation peu de temps après que les employés ont passé ces examens, et lesdits examens sont parfois détruits alors que les employés concernés sont toujours à l'emploi du CN.
  •  2. Article 124 du Code canadien du travail, partie II

     
  • L'employeur a omis de veiller à la protection de la santé et la sécurité des chefs de train stagiaires, dans la mesure où il n'était pas indiqué de façon probante dans les documents de formation qu'il était important de confirmer visuellement que les points d'aiguillage avaient été examinés et que l'on avait observé la cible de manière à s'assurer que l'aiguillage avait été bien orienté selon l'itinéraire souhaité. En vertu de l'alinéa 104(b) du Règlement d'exploitation ferroviaire du Canada (REFC) pris en application de la Loi sur la sécurité ferroviaire, ces vérifications doivent être effectuées chaque fois qu'un employé manœuvre une aiguille. Ces vérifications prévues dans le Règlement d'exploitation servent de mesure de contrôle et permettent de repérer et de rectifier toute erreur éventuelle, ce qui élimine le risque associé à une aiguille mal alignée. Compte tenu de la gravité des conséquences liées à une erreur de manipulation d'aiguille, l'information fournie au sujet de l'alinéa 104(b) dans le cadre de la formation en salle de classe n'était pas appropriée. Les chefs de train stagiaires passent un examen sur le REFC, mais la question sur l'alinéa 104(b) ne faisait pas mention d'un passage essentiel figurant dans la règle mise à jour, qui se lit comme suit : « (...) pour s'assurer que l'aiguillage est bien orienté pour l'itinéraire à suivre. »

     
  •  3. Article 124 du Code canadien du travail, partie II 
  • L'employeur a omis d'assurer la supervision adéquate des chefs de train stagiaires en cours d'emploi en permettant au chef de train superviseur responsable de la formation de demander au stagiaire d'exécuter des tâches cruciales liées à la sécurité sans l'observer directement, omettant ainsi d'observer l'exécution par le stagiaire de pratiques de travail cruciales sur le plan de la sécurité ayant mené à l'accident. En omettant de s'assurer qu'une supervision adéquate était offerte, l'employeur a omis de veiller à la protection de la santé et la sécurité des chefs de train stagiaires. L'employeur ne s'est pas assuré non plus que le chef de train stagiaire manœuvrait les aiguilles de la manière décrite à l'alinéa 104(b) du REFC. Le système utilisé par l'employeur pour tester les connaissances des employés responsables de l'exploitation ne comportait aucun test sur le terrain se rapportant aux règles et destiné aux chefs de train stagiaires, et qui aurait permis de déterminer s'ils accomplissent leur travail de manière fiable et conforme au règlement. Par ailleurs, personne n'a inscrit de notes dans un registre au sujet de la capacité du stagiaire à manœuvrer de façon efficace et sécuritaire des aiguilles en conformité avec l'alinéa 104(b) du REFC, et ceux qui le supervisaient ne savaient pas s'il avait cette capacité. Ces personnes-là ne sont pas intervenues comme elles l'auraient dû pour éviter que le stagiaire soit exposé au risque associé au fait d'avoir mal orienté l'aiguillage. Lorsque le stagiaire a mal orienté l'aiguillage en cause, aucun autre employé ne l'observait directement et n'a donc pu lui dire de corriger cette erreur. Compte tenu du niveau de formation qui était donné à l'époque, le niveau de supervision n'était pas adéquat lui non plus et ne permettait pas de faire le nécessaire pour empêcher le stagiaire d'aiguiller le wagon autopropulsé vers la mauvaise voie. Comme le stagiaire ne s'attendait pas à ce que le wagon en mouvement s'engage dans la voie où il se trouvait, il s'est exposé sans le savoir à un danger, le tout, encore une fois, sans bénéficier d'un niveau de supervision qui aurait permis de détecter et d'éliminer ce danger.

     
  •  4. Alinéa 125(1)z) de la partie II du Code canadien du travail 
  • L'employeur a omis de fournir de la formation, des instructions, des documents de formation et des politiques appropriés relativement à la façon dont les moniteurs en milieu de travail et les chefs de train superviseurs doivent s'acquitter de leurs tâches lorsqu'ils encadrent des chefs de train stagiaires. L'employeur a omis de fournir un encadrement aux chefs de train superviseurs et aux moniteurs en milieu de travail afin de leur expliquer comment ils étaient censés superviser le stagiaire. Le moniteur en milieu de travail n'a pas été informé de la marche à suivre pour accéder aux rapports établis par les chefs de train superviseurs au sujet du rendement des stagiaires.

     
  • Par conséquent, il vous est ORDONNÉ PAR LES PRÉSENTES, en vertu de l’alinéa 145(1)a) de la partie II du Code canadien du travail, de mettre fin aux contraventions au plus tard le 30 septembre 2014.
  • Il vous est aussi ORDONNÉ PAR LES PRÉSENTES, en vertu de l’alinéa 145(1)b) de la partie II du Code canadien du travail, de prendre des mesures, au plus tard le 30 septembre 2014, pour empêcher la continuation ou la répétition de ces contraventions.

     
  • Fait à Saskatoon ce 30e jour de juillet 2014.
  • [Signé]
  • TC (Tyronne) Kowalski
    Agent de santé et de sécurité
    No 7187
  • À :
  • Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada
    935, rue de La Gauchetière Ouest
    Montréal (Québec)
    H3B 2M9

[5] Le CN a fait une demande de suspension de la mise en œuvre des dispositions applicables aux quatre contraventions citées dans l'instruction. Il a déposé un avis d'appel le 25 août 2014, puis une demande de suspension le 12 septembre 2014. Lors d'une conférence téléphonique tenue le 30 septembre 2014, les deux parties ont présenté leurs observations sur la demande en cause.

[6] Le 1er octobre 2014, j'ai décidé de ne pas accorder la suspension et le Tribunal de santé et sécurité au travail Canada (le Tribunal) en a informé les parties le même jour. Voici les raisons qui justifiaient ma décision.

Analyse

[7] Le paragraphe 146(2) du Code canadien du travail (le Code) habilite l'agent d'appel à exercer son pouvoir discrétionnaire d'accueillir une demande de suspension de la mise en œuvre d'une instruction émise par un agent de SST, comme suit :

  • À moins que l’agent d’appel n’en ordonne autrement à la demande de l’employeur, de l’employé ou du syndicat, l’appel n’a pas pour effet de suspendre la mise en œuvre des instructions.

[8] Aux fins de l'exercice du pouvoir discrétionnaire que leur confère le paragraphe 146(2), les agents d'appel appliquent un critère comportant trois éléments, à savoir :

  • 1) Le demandeur doit démontrer à la satisfaction de l’agent d’appel qu’il s’agit d’une question sérieuse à traiter et non pas d’une plainte frivole et vexatoire.
  • 2) Le demandeur doit démontrer que le refus par l'agent d'appel de suspendre la mise en œuvre de l'instruction lui causera un préjudice important.

     
  • 3) Le demandeur doit démontrer que dans l’éventualité où la suspension était accordée, des mesures seraient adoptées pour assurer la santé et la sécurité des employés ou de toute autre personne admise dans le lieu de travail.

[9] En tout temps, un agent d'appel exerce son jugement en accord avec l'objet de la Partie II du Code, lequel est énoncé comme suit à l'article 122.1 : « La présente partie a pour objet de prévenir les accidents et les maladies liés à l’occupation d’un emploi régi par ses dispositions. »

 La question à juger est-elle sérieuse plutôt que frivole ou vexatoire?

[10] Les parties ont convenu que les circonstances liées à l'affaire en cause, leurs implications pour la demanderesse et la nature fondamentale d'un constat de contravention en matière de santé et de sécurité établi par un agent de SST, font en sorte que les questions qui doivent être entendues en appel sont sérieuses.

[11] Je suis d'accord et j'estime que la demanderesse satisfait le premier élément du critère.

 Le demandeur subira-t-il un préjudice important si la mise en œuvre de l’instruction n’est pas suspendue?

[12] Je vais traiter des observations des parties sur cet élément en deux temps. La première étape traitera de la première contravention. Compte tenu du fait que les observations des parties sont semblables ou se recoupent, la deuxième étape traitera de la deuxième, de la troisième et de la quatrième contraventions.

Contravention no 1

[13] La première contravention concerne la tenue de registres relatifs aux examens sur les règles d'exploitation du CN administrés aux stagiaires.

[14] La demanderesse ne tient pas de registres des examens sur les règles administrés aux employés dans le cadre de leur formation initiale, mais affirme qu'elle agit en conformité avec les exigences découlant du Code.

[15] La demanderesse a indiqué qu'il y a environ 16 500 examens, de 10 à 30 pages chacun, qui sont administrés aux nouveaux employés tous les ans. L'instruction mentionnait aussi [traduction] « employés responsables de l'exploitation », ce qui, selon la demanderesse, crée une obligation très contraignante pour l'employeur en ce qui a trait au classement, à l'indexation et à l'entreposage de copies papier des examens administrés à tous les chefs de train de tous les niveaux. De façon générale, la demanderesse a fait valoir qu'il faudrait [traduction] « faire des efforts considérables, y compris du point de vue de la coordination », pour créer un système de tenue de registres du genre de celui qui, selon elle, est envisagé dans l'instruction.

[16] La demanderesse a cité la décision Société canadienne des postes c. Syndicat des travailleurs et travailleuses des postes, 2010 TSSTC 2, (Postes Canada), pour la proposition voulant qu'une suspension mérite d'être considérée lorsqu'un appel fait intervenir l'interprétation d'un article qui n'a jamais été examiné. De plus, comme la demanderesse affirme qu'elle est déjà en conformité, elle soutient aussi que si on l'obligeait à prendre des mesures provisoires et que son appel était ensuite accueilli, cela lui causerait un préjudice important.

[17] La demanderesse a cité Bell Mobilité Inc., 2012 TSSTC 4 (Bell) en tant qu'exemple d'une situation où des entraves considérables aux activités d'une entreprise peuvent causer des préjudices à ceux qui comptent sur les services de cette entreprise.

[18] La défenderesse a indiqué que l'objet de l'instruction est d'assurer l'imputabilité de l'employeur en faisant en sorte, par exemple, que les examens puissent être consultés pour voir si les stagiaires sont compétents. Par conséquent, la défenderesse a affirmé que la demanderesse doit démontrer que le fait de s'acquitter de cette obligation d'imputabilité lui causerait un préjudice important, ce qu'elle n'a pas réussi à faire.

[19] La défenderesse a aussi noté que les causes citées par la demanderesse dans ses observations comportent des distinctions par rapport à la présente affaire. Dans Postes Canada, les mesures exigées dans l'instruction causaient de grandes perturbations dans le lieu de travail et nuisaient grandement à la santé et à la sécurité des employés à court terme. Dans Bell, les modifications exigées dans l'instruction auraient empêché les employés de Bell de travailler sur des toits et auraient paralysé ses activités de service à la clientèle. Dans la présente affaire, la défenderesse a fait valoir que la demanderesse n'a pas démontré que la mise en œuvre de l'instruction aurait de telles répercussions négatives sur son lieu de travail, ses activités ou ses parties intéressées, mais s'est plutôt contentée d'affirmer que l'exécution de cette obligation lui coûterait cher et lui causerait des inconvénients.

[20] En réponse, la demanderesse a indiqué qu'elle a subi un certain préjudice et qu'un préjudice important devrait être évalué en fonction de la nature de l'appel; comme la demanderesse prétend qu'elle est conforme, elle estime que si elle devait prendre des mesures supplémentaires, cela lui causerait un préjudice important dans l'éventualité où son appel serait ensuite accueilli.

[21] Dans l'instruction en cause, on affirme que les examens sur les règles administrés dans le cadre de la formation initiale devraient être conservés. Bien que la demanderesse ait mentionné qu'il ne serait guère pratique de tenir un grand nombre de dossiers, il n'y a rien dans l'instruction de l'agent de SST, dans le Code ou dans le Règlement sur la sécurité et la santé au travail (trains) qui l'oblige à conserver des copies papier. Je note que l'instruction prévoit seulement qu'il serait souhaitable de conserver les examens sur les règles administrés dans le cadre de la formation initiale, tant et aussi longtemps que l'employé concerné demeure à l'emploi du CN. Compte tenu des observations faites par la demanderesse, je ne vois pas en quoi l'obligation de tenir des registres, fussent-ils des registres papier, causerait un préjudice important à l'employeur.

[22] J'en arrive donc à la conclusion que la demanderesse n'a pas établi qu'elle subirait un préjudice important si elle devait se conformer aux dispositions s'appliquant à la première contravention citée dans l'instruction. Comme la demanderesse n'a pas franchi le seuil lié au deuxième élément du critère, il n'est pas nécessaire que je traite le troisième élément.

Contraventions nos 2, 3 et 4

[23] La deuxième contravention concerne le fait que l'on n'accorde pas assez d'importance à l'alinéa 104(b) du Règlement d'exploitation ferroviaire du Canada (REFC), qui prévoit que l'on doit confirmer visuellement l'accomplissement d'une manœuvre d'aiguillage. La troisième contravention se rapporte au fait que la demanderesse ne supervise pas de manière adéquate les chefs de train stagiaires pendant qu'ils accomplissent des tâches cruciales liées à la sécurité. Finalement, la quatrième contravention concerne le caractère inadéquat de la formation donnée aux personnes responsables de la formation et de la supervision des chefs de train stagiaires.

[24] Tel que mentionné plus haut, les observations faites par chacune des parties au sujet de ces contraventions se recoupent grandement. Par conséquent, la question du préjudice important découlant de la mise en application de l'instruction de l'agent de SST peut être examinée de manière globale.

[25] Pour que la suspension soit accordée, le deuxième élément du critère exige que la demanderesse démontre de façon claire et probante un impact préjudiciable important pour l'entreprise ou le lieu de travail en l'absence de suspension (VIA Rail c. Unifor, 2014 TSSTC 5, par. 30). Il est primordial qu'un demandeur reconnaisse qu'une demande de suspension a lieu en supposant que l'instruction émise par l'agent de SST est valide. La conformité à une instruction pendant un appel est la règle, et une suspension, l'exception. Par conséquent, la conformité ne constitue pas en soi un préjudice important. Un agent d'appel détermine s'il y a un préjudice important en fonction des conséquences négatives liées aux mesures qu'un demandeur doit mettre en œuvre pour se conformer.

[26] En l'espèce, la demanderesse a indiqué, pour chaque contravention, que l'agent de SST n'avait pas le pouvoir d’émettre une instruction de la manière qu'il l'a fait. La demanderesse a affirmé qu'à première vue, l'agent de SST a outrepassé sa compétence en imposant des exigences relatives au contenu de la formation donnée aux chefs de train stagiaires. En ce qui concerne l'instruction exigeant que l'on supervise directement les stagiaires qui accomplissent des tâches cruciales liées à la sécurité, la demanderesse a affirmé qu'on cause un préjudice important à un employeur lorsqu'on l'oblige à faire quelque chose qu'il n'est pas légalement tenu de faire. De plus, la demanderesse a fait valoir qu'étant donné que l'agent de SST n'avait pas émis une instruction de danger, il ne pouvait pas ordonner une supervision directe relativement à la contravention no 3. Enfin, la demanderesse a fait valoir que le préjudice important que lui occasionnerait l'obligation de se conformer aux dispositions s'appliquant à la contravention no 4 découle du fait qu'elle considère qu'elle est déjà en conformité et que la formation supplémentaire qu'on lui demande de donner à ses superviseurs dépasse les exigences découlant du Code, et équivaut obliger l'employeur à faire quelque chose qu'il n'est pas légalement tenu de faire.

[27] La demanderesse a aussi contesté les contraventions 2 et 3 pour le motif que l'agent de SST s'est appuyé sur l'article 124 pour décrire les contraventions relevées plutôt que sur une disposition plus précise en vertu du paragraphe 125(1).

[28] La défenderesse a indiqué que l'allégation par la demanderesse que l'agent de SST a outrepassé sa compétence ne traitait pas du préjudice important lié à la conformité. Elle a également noté que la demanderesse n'a fait état que d'une personne dans son processus d'assurance de la qualité qui était responsable du programme de formation, et que l'amélioration de ce processus ne constituerait pas un préjudice important. En ce qui concerne plus particulièrement la contravention no 2, la défenderesse a indiqué que la demanderesse n'a pas expliqué en quoi le fait de consacrer du temps à la création de meilleurs documents de formation constituerait un préjudice important, surtout dans un contexte où un employé est décédé en accomplissant son travail.

[29] Pour ce qui est de la contravention no 3, la défenderesse a indiqué que la vérification directe du travail d'un chef de train stagiaire ne peut pas entraîner de préjudice important, comme l'avait expliqué la demanderesse. Dans son rapport, l'agent de SST suggère qu'une supervision directe soit assurée [traduction] « au moins jusqu'à ce que le stagiaire fasse montre d'un rendement constant », ce qui correspond à une norme souple et réaliste. De plus, la défenderesse a indiqué que le bulletin d'août ne traitait pas des préjudices imputables à un manque de supervision directe, et que l'employeur ne voulait tout simplement pas se faire dire qu'il devait adopter de meilleures pratiques en matière de sécurité.

[30] Finalement, en ce qui concerne la contravention no 4, la défenderesse a fait valoir que la demanderesse n'est pas parvenue à démontrer quel préjudice important serait causé par le fait de mettre à niveau la formation des chefs de train superviseurs, de sorte qu'il est malhonnête d'affirmer qu'il faudrait assurer de nouveau la formation [traduction] « à grande échelle » des superviseurs. Finalement, et pour répliquer de façon générale aux observations de la demanderesse, la défenderesse a indiqué que les pénalités liées à la non-conformité à une instruction émise par un agent de SST ne correspondent pas au genre de préjudice important envisagé dans le Code ou dans les modalités relatives au critère de suspension.

[31] Un désaccord concernant l'interprétation du Code ou de son Règlement est une affaire devant être réglée à l'aide d'un appel sur le fond, et cela n'aide pas à déterminer si le fait de se conformer à une instruction émise par un agent de SST pendant un appel causera un préjudice important à un employeur. Par conséquent, ces arguments n'aident pas la demanderesse à démontrer qu'elle subirait un préjudice important.

[32] On m'a indiqué que toute modification à la formation doit être soumise à un processus d'assurance de la qualité et que cette procédure n'est [traduction] « pas une mince affaire » et représente plus qu'un simple inconvénient au regard de l'interprétation que fait la demanderesse du Code et du Règlement, laquelle diffère de celle de l'agent de SST. La demanderesse a indiqué que le fait de se conformer à l'instruction exigerait

  • [traduction] « un examen supplémentaire des processus et procédures de formation, [ce qui] nécessitera la mobilisation du personnel de l'assurance de la qualité du CN, et un examen, une évaluation et l'approbation des modifications en tenant compte de l'ensemble des activités ferroviaires afin d'éliminer ou de minimiser autrement toute conséquence que pourraient avoir ces modifications. »

[33] De façon générale, cela peut être vrai, toutefois les conséquences spécifiques sur les activités ou le lieu de travail de la demanderesse qui font que la question est plus qu'un simple inconvénient et l'amènent à la norme plus élevée de préjudice important demeurent inconnues. La demanderesse confirme cette réalité dans ses observations écrites, comme suit : [traduction] « Selon la nature et l'ampleur des modifications que l'agent de SST juge nécessaires aux fins de la mise en œuvre de l'instruction, [l'application des dispositions se rapportant aux contraventions 2, 3 et 4] pourrait engendrer de graves perturbations au sein de l'effectif du CN. » Au paragraphe 55, on retrouve une phrase presque identique se rapportant au programme des chefs de train stagiaires. Ces affirmations démontrent clairement que la demanderesse ne sait pas ce qui devrait être fait pour se conformer à l'instruction et qu'elle ne peut donc pas prouver qu'un préjudice important serait causé par la prise de ces mesures inconnues.

[34] La demanderesse prétendait aussi que l'instruction de l'agent de SST était vague quant aux mesures à prendre pour mettre fin aux contraventions. Pour ce qui est de la troisième contravention, l'agent de SST mentionne expressément qu'il faudrait superviser directement les chefs de train stagiaires qui accomplissent des tâches cruciales liées à la sécurité. Quant aux contraventions 2 et 4, il n'y a aucune preuve que la demanderesse a correspondu avec l'agent de SST afin de déterminer ce qui devait être fait pour donner suite à l'instruction. Encore une fois, comme la demanderesse ne sait pas quelles mesures devraient être prises pour répondre aux attentes de l'agent de SST, elle n'a pas la capacité de démontrer qu'un préjudice serait causé par ces mesures.

[35] Même si elle a admis qu'elle ne savait pas ce que l'agent de SST voulait qu'elle fasse, la demanderesse a insisté pour dire que son bulletin d'août 2014 à tous les chefs de train superviseurs, qui visait la sous-région du nord de la Colombie-Britannique mais qui a été envoyé à tous les chefs de train superviseurs, était en fait une mesure de conformité. Sans me prononcer sur la question de savoir si un bulletin constitue un moyen raisonnable pouvant servir à former les chefs de train superviseurs pour qu'ils soient en mesure d'assurer la sécurité des stagiaires dans les circonstances de la présente affaire, j'estime que cet argument n'aide pas la demanderesse à établir qu'un préjudice important serait causé, le tout aux fins d'une demande de suspension.

[36] Je juge que la demanderesse ne précise pas dans ses observations quelles mesures elle prendrait pour se conformer à l'instruction de l'agent de SST. Par conséquent, et compte tenu du cadre de travail prévu au paragraphe 25 ci-dessus et devant servir à déterminer si la mise en œuvre d'une instruction entraînerait un préjudice important pour l'employeur, sans aucune indication des mesures que la demanderesse doit prendre, je ne peux pas répondre à la deuxième question et encore moins dresser un constat de préjudice important. Ainsi, la demanderesse n'a pas démontré qu'elle subirait un préjudice considérable.

[37] Je n'ai donc pas besoin de traiter le dernier élément du critère.

Décision

[38] Pour les motifs énoncés ci-dessus, je rejette la demande de suspension de la mise en œuvre de l’instruction émise par l’agent de SST Kowalski le 30 juillet 2014.

Olivier Bellavigna-Ladoux
Agent d’appel

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