Critique de livre - The Battle of Marawi - Criselda Yabes
Critique préparée par le major Jayson Geroux, CD, rédacteur invité pour les numéros 21.1 et 21.2 du JAC portant sur la guerre urbaine.

Davao City, Philippines
Pawikan Press, 2021
278 pp.
ISBN: 9786219630108
L’ouvrage de William L. Shirer intitulé The Rise and Fall of the Third Reich (L’essor et le déclin du troisième Reich) demeure l’un des meilleurs livres sur l’histoire de l’Allemagne nazie avant et pendant la Seconde Guerre mondiale (1939-1945). Les livres de Mark Bowden, La chute du faucon noir, qui porte sur la bataille de Mogadishu (les 3 et 4 octobre 1993) en Somalie, et Huế 1968, au sujet de la bataille de Huế (du 31 janvier au 2 mars 1968) au Sud-Viet Nam, figurent dans la plupart des bibliothèques d’histoire militaire. Thomas E. Ricks a rédigé une critique virulente et provocatrice dans Fiasco : L’aventure américaine en Irak quelques années seulement après que les États-Unis se soient mêlés davantage aux affaires du Moyen-Orient. Avant le décès de Christie Blatchford en 2020, son livre sur la participation du Canada en Afghanistan, Fifteen Days : Stories of Bravery, Friendship, Life and Death from Inside the New Canadian Army (Quinze jours : Histoires de bravoure, amitié, vie et mort au sein de la nouvelle Armée canadienne), est devenu un succès national.
Ces ouvrages ont un thème central : ils ont été écrits non pas par des historiens ou des historiennes militaires, mais par des journalistes. En fait, examinez n’importe quelle bibliothèque d’histoire militaire et vous constaterez peut-être qu’un certain nombre de publications bien connues sont rédigées par des correspondants ou des correspondantes de presse. Or, lorsqu’on cherche à savoir pourquoi de telles publications se trouvent dans les bibliothèques, les raisons deviennent claires : les journalistes sont souvent envoyés dans des zones de combat, partout dans le monde, pour faire des reportages sur les dernières guerres ou rapporter des faits. Ils sont en mesure de le faire non seulement en tant que témoins oculaires des événements, mais aussi parce qu’ils ont appris, dans le cadre de leur travail, à réaliser de bonnes entrevues. En discutant avec les participants et les participantes à la guerre et en consignant leurs expériences personnelles, les journalistes peuvent produire des récits sur les batailles qui connaissent une grande popularité.
Criselda Yabes est la plus récente correspondante à s’être jointe à ce groupe de journalistes devenus spécialistes en histoire militaire avec son livre The Battle of Marawi. Elle a tout particulièrement suivi les traces de Bowden et de Blatchford dans le sens où elle s’est réellement efforcée pour trouver et interviewer du personnel militaire – en l’occurrence, des soldats, des aviateurs et des marines des forces armées philippines (FAP) – qui ont combattu dans cette bataille urbaine extrêmement violente du 23 mai au 23 octobre 2017.
Yabes lance son récit en décrivant les expériences des membres des FAP qui ont participé à la planification et à l’exécution du difficile raid qui avait comme objectif de capturer le chef de l’EI, Isnilon Hapilon, raid qui a déclenché la bataille urbaine généralisée. Elle poursuit ensuite son exposé en relatant la participation des hauts dirigeants à la tête du combat, mais en y intégrant les expériences de combat de commandants de bataillon ou de compagnie, d’officiers subalternes et de soldats, soit où ils ont combattu et ce à quoi ils ont été confrontés. Elle examine également à l’occasion la participation de chefs supérieurs des insurgés, dont Hapilon et le groupe Maute, qui ont dirigé la partie de l’EI de la bataille. La plupart de ces histoires racontées sont autonomes en ce sens qu’elles se concentrent uniquement sur des personnes particulières et sur ce qu’elles ont vécu au niveau tactique sans discuter de plans de niveau supérieur. C’est dans ces récits qu’on discute aussi parfois de tactiques et de combats rapprochés de guerre urbaine. D’autres parties du livre brossent parfois un tableau général et racontent ce qui se passait lorsque les officiers supérieurs prenaient des décisions et exécutaient des plans aux niveaux stratégique et opérationnel. Le récit est parsemé de diagrammes et des cartes qui permettent au lectorat de comprendre la chaîne de commandement des FAP, le mouvement des unités militaires et les zones de la ville ou du terrain urbain qu’elles attaquaient. Dans la dernière partie du livre, Yabes a habilement présenté d’autres histoires autonomes liées à la bataille, qui auraient été déplacées si elles avaient été insérées au début ou au milieu de l’ouvrage.
Pendant et après avoir lu The Battle of Marawi, j’ai immédiatement constaté des similitudes entre la publication de Yabes et les deux livres à succès de Bowden. Tout d’abord, au moyen d’entrevues avec des militaires, les deux journalistes sont en mesure de faire vivre au lectorat les batailles en soulignant des aspects particuliers des histoires des participants à mesure que le combat progressait, d’heure en heure, de jour en jour, semaine après semaine et mois après mois. De plus, comme Bowden, Yabes est parfois en mesure de prendre du recul et de montrer au lectorat les plans de manœuvre ou de mouvement de niveau supérieur des unités plus grandes, soit par des discussions avec les officiers supérieurs au sujet de la planification et de leur orientation, soit par des éléments visuels, dont des cartes de la ville. Cette manière de procéder offre au lectorat, de façon sporadique, une meilleure idée de la bataille dans son ensemble. Toutefois, cette manière de structurer le récit ne permet pas au lectorat de voir la totalité de la bataille. Or, Yabes (et Bowden) utilise plutôt ces histoires individuelles et des discussions occasionnelles sur la situation générale pour présenter au lectorat des aperçus ponctuels du déroulement de la bataille du début à la fin. Essentiellement, si le lectorat est avide de connaître ce combat urbain particulièrement violent, Yabes offre suffisamment de parties de l’histoire, certaines générales et d’autres plus précises, qui permettent au lectorat de se sentir satisfait d’avoir compris les bases de la bataille sans avoir à absorber tous les menus détails de la bataille.
Cette technique fonctionne bien pour la plupart des journalistes et leurs lectorats, sauf pour les historiens et les historiennes militaires comme moi qui veulent tout savoir de la bataille. Supposons que vous faites partie de ce dernier groupe et que vous voulez faire des recherches et rédiger une étude de cas extrêmement approfondie sur les combats urbains à Marawi. Dans ce cas, ce livre vous serait utile comme point de départ, pour vous donner une idée de ce que certains des participants et certaines des participantes ont vécu et acquérir un sens général de la bataille. Cependant, pour la comprendre dans sa totalité, l’historien ou l’historienne aura besoin d’autres ressources pour combler les lacunes et obtenir plus de détails. Quoi qu’il en soit, la lecture de The Battle of Marawi, de Yabes, est recommandée.
Certaines contraintes sont imposées à un auteur ou une auteure lorsqu’il rédige un livre d’histoire militaire. Habituellement, un certain temps doit s’écouler (parfois des décennies) avant que les documents d’une opération militaire ne soient déclassifiés. Par ailleurs, les participants et les participantes à une bataille ont aussi parfois besoin de temps avant de se sentir à l’aise de discuter de ce qu’ils ont vécu, ou disposés à le faire. Les historiens et les historiennes doivent également attendre que suffisamment de ressources officielles et biographiques soient créées pour discuter d’une bataille ou d’une guerre. De toute évidence, Yabes ne voulait pas que le facteur temps limite sa capacité à publier ce livre. Cependant, elle avait une autre contrainte : le gouvernement philippin et les FAP sont des organisations extrêmement conservatrices qui ne communiquent pas de façon proactive avec d’autres pays ou avec des personnes à l’extérieur de leur pays, et ils n’aiment pas discuter de leurs actions ou de les faire connaître à un public externe. Le fait qu’à l’exception des officiers généraux qui étaient au commandement, les commandants de la force opérationnelle (brigade), du bataillon et de la compagnie soient restés anonymes tout au long de The Battle of Marawi, identifiés seulement par un surnom, comme Razor, Jackal, Sultan et Hellcat, en témoigne. Compte tenu de ces difficultés, il est impressionnant que Yabes ait été autorisée à interviewer ces militaires en premier lieu, puis à produire un livre avec des cartes et des diagrammes connexes sur cette bataille seulement quatre ans après la fin des combats. Par conséquent, il convient de la féliciter pour son travail acharné et rapide qui permet aux lectorats d’avoir un aperçu précoce des défis personnels et une esquisse de cette bataille urbaine extrêmement violente.
Cet article a été publié pour la première fois dans l’édition d’octobre 2024 du Journal de l’Armée Canadienne (21-1).