Jeux de décision tactique scénario #1
Décision à la Rivière Bleue
par Lieutenant-Colonel Matthew Rolls, CD
Vous êtes le commandant (Cmdt) de l’équipe de combat (Éq Cbt) de la Compagnie « I » (Cie I) au sein du groupement tactique (GT) du 2e Bataillon, The Royal Canadian Regiment (2 RCR). Vous disposez des ressources suivantes : deux pelotons organiques d’infanterie mécanisée et un quartier général, ainsi qu’un poste de contrôle opérationnel (OPCON) rattaché, une troupe de chars Leopard 2 (quatre chars Leopard 2) appartenant à l’Escadron « C » (Esc C), The Royal Canadian Dragoons (RCD) et une équipe d’officiers observateurs avancés (OOA)/de contrôleurs aériens avancés (CAA) fournie par le 2e Régiment, Royal Canadian Horse Artillery (2 RCHA). Votre troisième peloton d’infanterie mécanisée a été détaché de l’Esc C RCD, aux fins de l’OPCON.
Le 2e Groupe-brigade mécanisé canadien (2 GBMC) mène des opérations en Atropia depuis trois mois. Après avoir exécuté avec succès des opérations défensives, la brigade (bde) reprend l’offensive. Les forces donoviennes battent en retraite vers ce qui semble être une zone défensive principale à proximité de la capitale régionale. L’arrière-garde couvre la retraite de ces forces en utilisant des tactiques de retardement afin que le gros des forces ait plus de temps pour établir sa principale position défensive. On estime que cette arrière-garde est un groupe tactique de bataillon (GTB) spécialisé comprenant trois compagnies de fusiliers motorisées munies de véhicules BMP-2M et une compagnie de chars T-72B.
Ce GTB dispose sans doute aussi de ses propres unités d’artillerie, de défense aérienne, d’engins antiblindés et de guerre électronique. On pense que le GTB tentera d’exploiter au maximum la rivière Bleue pour retarder considérablement la bde en la forçant à exécuter une opération de franchissement délibérée, puis en perturbant cette dernière. On croit également que l’ennemi essaiera de se défendre des deux côtés de la rivière, et nos unités de reconnaissance ont confirmé la présence d’éléments motorisés de la taille d’un peloton là où se trouvent les objectifs 1 et 2 du GT.
Le Cmdt 2 GBMC veut s’emparer rapidement des sites de franchissement de la rivière Bleue et établir une tête de pont sur la rive opposée pour permettre au Cmdt de la division multinationale d’envoyer une équipe de combat de la brigade blindée (ECBB) de l’armée des États-Unis poursuivre l’ennemi de manière à lui laisser le moins de temps possible pour aménager sa position défensive. Pour cela, le Cmdt a chargé le 1 RCR et le 2 RCR de s’emparer des deux points de franchissement, d’établir une tête de pont et d’exécuter un passage des lignes vers l’avant avec l’ECBB. Le GT RCD restera en réserve pour exploiter le succès remporté et établir la tête de pont de l’autre côté de la rivière. La coalition a acquis la supériorité aérienne au niveau local pour cette offensive, mais elle fait preuve d’une grande prudence quant au recours à l’appui aérien rapproché, car l’ennemi possède des systèmes ponctuels de défense aérienne et des systèmes portatifs de défense antiaérienne.
Le Cmdt 2 RCR compte s’emparer simultanément des objectifs 1 et 2 du GT avec des équipes de combat d’infanterie, ce qui lui permettra de dominer les sites de franchissement et la rive éloignée avec des tirs qui seront suivis de la capture de l’objectif 3 du GT par l’Éq Cbt Esc C. Il dépassera l’Esc C en empruntant le premier site de franchissement qui aura été capturé. Il aura atteint son état final quand les deux sites de franchissement auront été capturés, que l’Éq Cbt Esc C aura occupé l’objectif 3 du GT et que le GT sera prêt à dépasser le GT RCD avant d’être suivi par l’ECBB. Son effort principal : la capture de l’objectif 3 du GT par l’Éq Cbt Esc C.
Afin d’accomplir votre tâche, vous décidez d’exécuter un mouvement très peu profond sur le flanc gauche avec une base de feu fournie par votre troupe rattachée de quatre chars (1 Tp). Celle-ci est chargée d’exécuter des tirs d’appui, et les 7e et 8e pelotons (Pon) ont pour mission de détruire l’ennemi aux environs de l’objectif 1 du GT. En débarquant, votre capitaine des véhicules blindés légers (VBL) assumera le contrôle de vos VBL et les orientera vers le nord de la rivière Bleue, pendant que vous mènerez l’assaut et réorganiserez le passage de l’Éq Cbt Esc C. Le Cmdt Cie H et vous coordonnerez vos heures H de manière qu’elles soient espacées de dix minutes et que vous puissiez recevoir l’appui du 2 RCHA avant que ce dernier ne se mette à soutenir la compagnie Hotel (Cie H). Le cmdt de la formation voulait que ses attaques soient simultanées pour priver l’ennemi de sa capacité de réagir, mais il accepte que le décalage de dix minutes constitue un créneau suffisamment court.
À 0700, votre OOA commence à surveiller l’objectif 1 du GT depuis une position à tourelle défilée; il ajuste les coups tirés, puis il demande des tirs d’efficacité pour exécuter une mission de suppression contre ce qui semble être un peloton de fusiliers motorisés retranché dans des positions à tourelle défilée. Avec des tirs efficaces sur la position ennemie, la 1 Tp occupe sa position d’appui par le tir. Le chef de la troupe ordonne un tir de troupe, et quatre chars Leopard 2 exposent leur canon et déclenchent une salve d’obus de 120 mm. Deux des obus touchent ce qui semble être une position factice, un autre passe au-dessus de la tourelle d’un véhicule BMP, et le quatrième frappe le BMP du milieu et en arrache la tourelle qui vole dans les airs. Il est maintenant 0705, et vos VBL quittent la position d’attaque et franchissent la ligne de départ. Les autres BMP recourent alors à des contre-mesures fumigènes multispectrales pour se dissimuler, ce qui gêne terriblement les viseurs des chars et des VBL. Vous arrivez à peu près à discerner que les véhicules BMP semblent reculer de leurs positions aménagées pour se rendre dans le terrain bas vers le site de franchissement. Vous poursuivez votre attaque contre l’objectif 1 du GT, mécontent de constater que l’ennemi semble s’enfuir, et vous vous rendez compte qu’un sifflement continu vient de vos écouteurs, presque comme si quelqu’un était assis sur le commutateur parole du réseau de commandement du GT.
Vous arrivez à l’objectif 1 du GT et confirmez que l’ennemi a réussi à s’échapper; cependant, il a laissé là de nombreux fantassins débarqués qui ne tiennent pas à combattre et se rendent rapidement. Votre capitaine des VBL oriente rapidement ces derniers vers le nord et prend à partie le peloton de fusiliers motorisé en fuite et détruit un autre véhicule. Il est maintenant 0720, et la Cie H aurait dû commencer son attaque il y a dix minutes. Les bruits qui vous parviennent de l’est révèlent qu’un combat acharné est en cours, et vous arrivez à capter des bribes de conversation à la radio (indicatif d’appel 0 [I/A 0]), et vous en déduisez que la Cie H est engagée dans une lutte ardue. Vous n’arrivez pas à comprendre l’objet de la discussion à la radio, mais quelques minutes plus tard, vous reconnaissez la voix du cmdt de la formation et celle du Cmdt Esc C sur le réseau de commandement du GT. Vous essayez de communiquer avec le cmdt de la formation pour le renseigner sur votre situation, mais vous n’y arrivez pas. Il est maintenant 0725, et votre canonnier vous donne un coup de coude à la jambe. Il vous fait savoir que vous auriez avantage à regarder dans votre viseur de jour; quand vous le faites, vous apercevez ce qui semble être un gros nuage de poussière s’élevant en tourbillons dans le ciel depuis un endroit situé derrière l’objectif 3 du GT.
Major, quelles sont vos instructions?
Vous avez cinq minutes pour élaborer votre plan d’action. Votre réponse doit comprendre des directives s’adressant à vos subalternes, un diagramme et tout rapport que vous tenteriez d’envoyer aux niveaux supérieurs.

Figure 1 : Situation initiale après l’attaque réussie de la Compagnie I
La figure 1 est une carte schématique montrant les objectifs 1, 2 et 3 du groupe de combat.
SOLUTION : DÉCISION À LA RIVIÈRE BLEUE
(Développer la section pour lire)
Dans un numéro récent du Journal de l’Armée du Canada (JAC), les lecteurs ont été initiés aux jeux de décision tactique (JDT). Depuis lors, ces jeux sont une composante du site Web du JAC. Cet article fait suite au JDT 1, et il vise à fournir une solution possible au problème présenté. Il peut être utilisé comme introduction pour tout soldat qui dirige une discussion sur le problème, ou pour ceux qui ont accompli le JDT individuellement. La solution proposée comporte une réflexion sur les concepts tactiques pertinents et sur la façon dont ils s’appliquent dans le contexte du JDT; elle précise également comment présenter les solutions afin de maximiser la valeur de la formation. Il existe de multiples solutions au problème exposé dans le JDT 1, et celle qu’un officier ou un militaire du rang choisira reflétera non seulement son acuité tactique, mais aussi son goût du risque. J’espère que la solution présentée ici suscitera le débat et la réflexion.
Dans le JDT 1, le lecteur s’imaginait occuper le poste de commandant (Cmdt) de l’équipe de combat (Éqp Cbt) de la Compagnie I (Cie I) au sein du groupement tactique (GT) du 2e Bataillon (2 Bon), The Royal Canadian Regiment (RCR). Ce cmdt menait une attaque dans le cadre des efforts du 2e Groupe-brigade mécanisé du Canada (2 GBMC) afin de s’emparer du côté ami de la rivière Bleue, et ce, en vue de préparer la traversée de la rivière par l’Éqp Cbt de l’Escadron C (Esc C). L’opération s’inscrivait dans le cadre d’une tâche plus vaste au niveau de la brigade, soit d’établir le plus vite possible une tête de pont par-dessus la rivière pour permettre l’engagement d’une éqp cbt de brigade blindée afin que cette éqp cbt puisse continuer de poursuivre des Donoviens en fuite avant qu’ils ne puissent reprendre une position de défensive efficace. Vous avez réussi, dans votre rôle de cmdt, à vous emparer de votre objectif, et l’ennemi s’est enfui vers le nord. C’est alors que vous avez remarqué que les communications sur le réseau de commandement du GT étaient devenues presque impossibles en raison d’interférences que vous soupçonniez être du brouillage par l’ennemi. Vous avez également remarqué que l’Éqp Cbt Cie H à l’est de votre position semblait fortement engagée dans un combat. Simultanément, vous avez remarqué qu’un nuage de poussière s’élevait sur le côté nord de la rivière. Ce nuage indiquait peut-être que des véhicules se déplaçaient vers l’objectif (obj) 3 GT. La situation initiale après la fin de votre attaque est représentée dans la figure 1.
D’après notre instruction formative sur l’analyse de mission, la première question que nous devrions nous poser dans une telle situation est celle-ci : « La situation a-t-elle changé? » Ou, plus précisément : « La situation a-t-elle suffisamment changé pour entraîner un changement de ma mission? » Notre tâche initiale était de nous emparer de l’obj 1 GT afin de permettre l’engagement de l’Éqp Cbt Esc C afin qu’elle s’empare de l’obj 3 GT. À ce stade de la bataille, nous avons accompli notre mission et le cmdt devrait envisager d’envoyer l’Esc C traverser notre position.
Il existe cependant trois facteurs critiques qui menacent un tel emploi de l’Esc C. Il semble probable que la Cie H soit intensément engagée dans la saisie de l’obj 2 GT. En soi, cela ne serait pas un problème pour la mission globale. Cependant, comme les communications au sein du GT sont actuellement mauvaises, il est possible que le cmdt ne sache pas que nous ayons réussi à nous emparer de notre obj. De plus, même si le cmdt est au courant, il se peut qu’il soit encore impossible de communiquer de manière fiable avec l’Esc C pour l’engager à traverser la rivière. Il est également important de prendre en compte le fait que nous avons connu une réussite importante. Nous avons saisi notre obj sans aucune perte et nous sommes bien positionnés pour poursuivre les opérations offensives. Enfin, le nuage de poussière laisse présager que de très nombreux véhicules sont en mouvement. Cela représente une menace potentielle, ce qui transforme le temps en un facteur critique dans la situation actuelle.
Plans d’action possibles
Trois plans d’action (PA) généraux se présentent. Le premier consiste à suivre le plan et à défendre le passage du côté ami de la rivière afin de permettre à l’Éqp Cbt Esc C de passer. Selon ce PA, il y a moins de possibilités de confusion, car on s’en tient au plan. De plus, cela permet de s’assurer que l’Esc C peut être engagé en traversant la position de la Cie I si le cmdt est conscient que notre mission a été accomplie ou une fois que le brouillage des communications se sera dissipé. Cela donne aussi l’occasion à la Cie I de réagir, le cas échéant, à ce qui pourrait être un élément ennemi en train de s’approcher. D’un autre côté, la Cie I rate une occasion potentielle d’exploiter le succès de la Cie I en perturbant les plans de l’ennemi.
Dans le deuxième PA, la Cie I pourrait chercher à aider la Cie H pendant son contact avec l’ennemi, tout en tenant l’obj 1 GT, pour permettre à l’Esc C de passer. Ce PA, qui permet d’appuyer la Cie H dans un éventuel contact très violent, pourrait résulter en l’ouverture des deux points de passage par-dessus la rivière pour la brigade et la division. Ce PA comporte toutefois des désavantages importants. Coordonner le soutien nécessaire à la Cie H sur le réseau du GT serait très difficile, même si le réseau n’était pas brouillé. Comme le réseau est brouillé, la coordination s’avérerait probablement impossible, ce qui signifie que la Cie I engagerait des forces n’ayant pas une connaissance adéquate de la situation, et ce, dans un scénario possiblement très confus. Le risque d’incident fratricide en serait donc considérablement augmenté. Plus important encore, dans ce PA, on omet de tenir compte de l’intention du Cmdt GT et de bde consistant à capturer la tête de pont aussi rapidement que possible et on fait fi de ce qui pourrait être une approche de la force de contre-mouvement ennemie.
Le troisième PA est le plus agressif, et potentiellement la plus risqué, mais il pourrait aussi devenir le plus payant. Ce PA, qui met en scène une attaque de la part de l’Éqp Cbt Cie I ou de la part d’un élément de l’éqp cbt, vise à s’emparer de l’obj 3 GT, ainsi qu’à mener une attaque préventive contre ce qui semble être une force ennemie de contre-mouvement. La solution expliquée ci-dessous est basée sur ce PA.
Facteurs
Alors, que fait l’ennemi dans cette situation? Grâce à notre compréhension de son organisation, nous avons une bonne idée de ses capacités matérielles. Il est bien équipé, possédant des véhicules blindés relativement modernes (T72B et BMP 2M) capables de détruire nos véhicules blindés. Selon l’appréciation, l’articulation de l’ennemi est la suivante : il est constitué dans un groupe tactique de bataillon (GTB) avec d’importantes capacités d’appui au combat telles que sa propre artillerie, des moyens de guerre électronique (GE) et une défense aérienne. Il est certain que la perturbation de nos communications implique que l’ennemi emploie des moyens de GE dans une certaine mesure. Il est probable que nous ayons affaire à une unité ennemie qui dispose d’une grande indépendance dans l’accomplissement de sa mission.
En ce qui concerne la mission de l’ennemi, le scénario nous indique que l’unité ennemie mène une action d’arrière-garde afin de donner plus de temps à la formation protégée qui prépare une zone défensive principale. Selon la doctrine de la force adverse donovienne, cela fait de l’arrière-garde une force de perturbation opérant dans la zone de perturbation pendant une défense de zone ou d’une défense de manœuvre globale. Selon le document TC 7.100-2, Opposing Force Tactics, « dans le cadre de la structure globale de la défense de zone, les éléments de la zone de perturbation cherchent à exécuter des attaques locales très dommageables… Ils choisissent le meilleur terrain pour infliger un maximum de dommages à l’ennemi attaquant et utilisent abondamment obstacles et barrières. L’ennemi se défend agressivement par le feu et des manœuvres. » [traduction]Note de bas de page 1 Pour y parvenir, l’ennemi a utilisé des tactiques retardatrices, échangeant l’espace contre le temps. Cela pourrait indiquer qu’il est peu probable qu’il se batte avec acharnement pour la rivière; cependant, il pourrait utiliser la rivière comme barrière pour imposer un retard disproportionné au 2 GBMC, infliger de lourdes pertes et perturber l’engagement des forces de replacement plus lourdes destinées à engager leur corps principal dans la zone défensive principale.

Figure 2 : Plan d’action 1 – Rester du côté ami de la rivière Bleue
La figure 2 est une carte schématique montrant les forces bleues restant au sud de la rivière.

Figure 3 : Plan d’action 2 – Attaque visant à appuyer la Compagnie H tout en tenant l’objectif 1 du groupement tactique
La figure 3 est une carte schématique montrant la deuxième ligne de conduite, attaquant pour soutenir la compagnie H tout en conservant l'objectif 1 du groupe de combat.
Cet aspect est pertinent pour analyser le comportement de l’ennemi que nous venons d’engager et pour analyser ce que nous croyons qu’il se passe à l’est avec la Cie H. Si l’ennemi est déterminé à imposer un retard maximal sur la rivière, abandonnera-t-il rapidement ses positions lorsqu’il sera engagé par notre base de feu, laissant derrière lui une grande partie de son infanterie à pied? Peut-être que votre attaque a simplement brisé sa volonté de résister? La Cie H s’est-elle engagée dans un échange de tirs acharné parce qu’elle a rencontré un élément ennemi mieux dirigé, plus déterminé, décidé à se battre pour la rive sud de la rivière, ou est-ce que quelque chose a mal tourné dans l’attaque de la Cie H et que l’ennemi opportuniste tire profit de cette situation? Et que dire des nuages de poussière que nous avons vus à travers notre visibilité de jour? S’agit-il d’une unité ennemie qui s’approche de nous et, si oui, quelles sont ses intentions et ses capacités? La façon dont nous interprétons le comportement de l’ennemi déterminera en grande partie la façon dont nous percevons la situation actuelle, soit comme une occasion à exploiter, soit comme un risque à atténuer.
L’intention de nos commandants supérieurs doit être analysée à la lumière de ce que nous percevons dans la situation changeante. Notre brigade était chargée de sécuriser une tête de pont sur la rivière pour permettre l’engagement d’une brigade blindée amie. Comme le révèle ce scénario, le temps est un facteur essentiel dans les opérations. Plus les Donoviens auront de temps, mieux ils prépareront leurs défenses. La lutte pour le temps a des effets en cascade à tous les échelons. Nous et le Cmdt 2 GBMC voulons priver le GTB ennemi du temps nécessaire pour mieux préparer ses manœuvres retardatrices le long de la rivière Bleue, mais plus encore, nous voulons priver le corps principal du temps nécessaire pour mieux préparer sa défense principale, ce qui est la préoccupation du cmdt de la division et des échelons supérieurs.
Le temps est le facteur décisif dans ce scénario. Comme l’ennemi cherche activement à nous retarder, nous chercherons naturellement à surmonter ce retard. Cela s’inscrit également dans l’intention de notre cmdt supérieur et devrait nous offrir de meilleures options grâce à l’exploitation d’ouvertures créées par des défenseurs non préparés. Un concept tactique à prendre en compte dans ce scénario est celui de l’attaque préventive. Dans le cadre de l’approche manœuvrière des opérations de l’Armée canadienne (AC), l’attaque préventive est l’un des trois moyens (les deux autres étant la dislocation et la perturbation) par lesquels l’AC s’attaque à la volonté et à la cohésion de l’ennemi dans le but de faire échouer les objectifs de l’adversaire, par opposition à l’attrition progressive. Opérations terrestres nous explique que l’attaque préventive est l’approche préférée des trois et précise qu’elle désigne le fait de « saisir une occasion, souvent fugace, avant l’adversaire, dans le but de le priver d’un plan d’action avantageux ». Note de bas de page 2
Comme l’indique la définition de l’attaque préventive, si vous ne privez pas l’ennemi d’un PA qu’il voudrait poursuivre, l’attaque préventive n’a aucune valeur. Nous tentons de frustrer l’ennemi en changeant la situation d’une manière qui nous est favorable, le forçant ainsi à s’adapter à nos actions. Qu’est-ce que l’ennemi cherche à faire dans cette situation? L’incertitude est l’une des composantes importantes, voire centrale, du combat, de la guerre et de la concurrence. Nous ne pouvons jamais savoir exactement ce que l’ennemi a l’intention de faire. Malgré cela, nous pouvons émettre des suppositions éclairées en fonction de la situation. Selon notre doctrine, les forces qui effectuent des contre-mouvements le font pour trois raisons : pour bloquer, pour renforcer ou pour contre-attaquer.Note de bas de page 3 Pour déterminer ce à quoi pourrait ressembler un blocage, un renforcement ou une contre-attaque, nous devons prendre en compte l’impact du terrain. Nous avons deux points de traversée que l’ennemi pourrait utiliser. L’un d’eux est le site de la bataille de la Cie H. La bataille en cours pour le point de traversée de la Cie H le rend moins attrayant, sauf en cas de contre-attaque potentielle. L’autre point de traversée est actuellement tenu par l’Éqp Cbt Cie I. L’autre caractéristique importante du terrain est l’obj 3 GT, qui fournit des positions d’observation et de tir direct sur les entrées et sorties des points de traversée. La capacité à effectuer des tirs directs depuis ces endroits en font un terrain clé pour toute force cherchant à bloquer, à renforcer ou à contre-attaquer par le tir.

Figure 4 : Considérations possibles (ennemi) après la prise de l’objectif 3 du groupement tactique par la Compagnie I
La figure 4 est un graphique montrant les trois possibilités si l'ennemi a traversé la rivière : la panique, l'acceptation et la pensée que la situation est récupérable.
Nous devons également envisager la possibilité que cette unité qui s’approche ne soit pas une force en contre-mouvement. L’hypothèse qu’il s’agit de contre-mouvements laisse à l’ennemi le bénéfice du doute, ce qui est la manière la plus sûre de considérer l’ennemi. Cependant, l’ennemi doit tout autant que nous composer avec les frictions et les incertitudes. Nous devons également envisager la possibilité que l’unité qui s’approche ne soit pas du tout un élément de contre-mouvement. Un certain nombre de conditions peuvent amener l’unité ennemie à s’approcher de cet endroit à un moment donné, y compris simplement la chance. Peut-être que le plan initial de l’ennemi était d’occuper le côté proche et le côté lointain de la rivière, mais que quelque chose a empêché l’unité du côté proche d’arriver en temps voulu et cette unité avance pour occuper ses positions au lieu de lancer une contre-attaque. Peut-être qu’il n’est même pas pleinement conscient de la situation actuelle et qu’il a l’intention d’occuper la position et de commencer une routine défensive. Dans tous les cas, un ennemi qui arrive sur les lieux pourra toujours utiliser sa puissance de combat dans l’engagement, même s’il n’y est pas préparé du tout. Cela montre l’importance de faire preuve d’opportunisme. Si l’ennemi cherche à employer des contre-mouvements dans le but de forcer une attaque délibérée pour s’emparer de la rivière, alors nous devons essayer de le devancer et de le surprendre en nous emparant du terrain clé nécessaire pour y parvenir. S’il ne s’agit de rien d’autre que d’un élément ennemi inconscient qui se déplace dans un but connexe ou non, alors nous devrions obtenir un effet de surprise encore plus grand et empêcher toute intervention de l’ennemi.
Cette approche peut également être analysée au vu de la situation de la Cie H. En nous emparant de l’obj 3 GT, nous couperons l’itinéraire d’évacuation et encerclerons l’élément ennemi qui engage la Cie H. Plus important encore, nous l’aurons empêché de réaliser sa mission consistant à retarder notre traversée. Cette situation illustre bien que si on s’en prend à la volonté d’un adversaire, celui-ci sera sans doute obligé de se retirer du combat quand il se rendra compte qu’il ne peut accomplir sa mission et que, pire encore, ses moyens de fuite ne sont plus à sa disposition.Note de bas de page 4 Jim Storr, ancien officier britannique, commentant l’analyse opérationnelle de 158 campagnes terrestres, pose cette question :
« À quel moment connaît-on l’issue du combat? Après réflexion, nous nous rendons compte que la condition normale pour déclarer le succès ou la défaite est le retrait collectif de la participation. »Note de bas de page 5 Il ajoute : « Le point général reste le même : la défaite survient lorsque l’ennemi, quel que soit le niveau, se croit vaincu. La défaite est un état psychologique. » [traduction]Note de bas de page 6 Par conséquent, cela vaut la peine d’examiner l’impact d’une traversée rapide de la rivière Bleue et l’effet que cette traversée pourrait avoir sur la perception qu’a le GTB de l’arrière-garde ennemie quant à sa capacité d’accomplir sa mission.
Une attaque préventive n’est pas sans risque, comme l’illustre très clairement ce scénario. Les petites unités réagissent plus rapidement que les grandes, en raison du nombre réduit de niveaux de commandement auxquels il faut passer des ordres et du nombre réduit de personnes, de machines et de fournitures qu’il faut déplacer. Il y a donc un compromis entre la masse et la vitesse, et l’attaque préventive nécessitera parfois l’engagement d’une force plus petite pour saisir l’opportunité. Selon Robert R. Leonhard, « arriver le premier et arriver avec une plus grande puissance de combat que l’ennemi sont des objectifs opposés… la vraie question dans le combat moderne est de savoir si l’on doit arriver le premier ou avec la plus grande puissance [l’emploi des italiques est original] ».Note de bas de page 7 [traduction] Dans ce cas, une attaque préventive exige que nous saisissions une opportunité imprévue tout en n’ayant pas la capacité de communiquer cette occasion à notre commandant supérieur. L’emplacement des éléments amis au nord de la rivière, à proximité de l’obj 3 GT, augmente le risque de fratricide, car ils peuvent nous confondre avec l’ennemi. Le risque accru de fratricide inclut les forces amies qui utiliseront probablement la rivière Bleue comme mesure de contrôle des tirs. Ces risques doivent toutefois être évalués en fonction des possibilités offertes par l’attaque préventive sur l’ennemi pour l’obj 3 GT.
Une solution possible
Le but de ce suivi n’est pas de présenter la bonne solution. L’objectif principal de cet article et de tous ceux qui suivront sera de discuter des concepts tactiques qui sont pertinents pour le scénario, comme nous l’avons fait ci-dessus. Comme nous l’avons mentionné dans l’article original, « Bringing TDGs into the Canadian Army », une discussion après l’exécution du JDT facilite la partie analytique de la prise de décision une fois que la partie intuitive, la reconnaissance, a été utilisée pour concevoir la solution. Il existe également des pratiques exemplaires pour offrir des solutions aux JDT afin de maximiser leur valeur en tant qu’aides à la formation. Certaines de ces pratiques sont présentées dans les paragraphes suivants.
Le participant exprime sa solution sous forme de directives à ses subordonnés. Il ne s’agit pas d’une discussion comme celle présentée ci-dessus, qui intervient après qu’une solution a été exprimée dans le cadre d’une discussion de groupe. La solution doit être exprimée de la manière dont un leader donnerait des instructions dans la situation en question. Elle devrait également inclure un croquis qui aidera à exprimer la solution et à soutenir ceux qui exécutent le jeu avec l’utilisation de graphiques tactiques doctrinaux. Un croquis peut sembler superflu dans certains scénarios : par exemple, dans le scénario actuel, donner des ordres par radio ne permettrait pas aux subordonnés de voir le croquis du cmdt. Toutefois, à l’avenir, lorsque l’AC numérisera ses sous-unités, les cmdt auront la possibilité de transmettre un croquis ou une superposition de cartes pour appuyer leurs ordres verbaux; il s’agit donc d’une bonne pratique. À cet égard, il est utile d’esquisser le scénario sur un grand tableau blanc avant la séance.
Les solutions n’ont pas besoin d’être exhaustives. Le participant doit fournir la solution de la manière dont il le ferait dans le scénario donné. Étant donné le caractère décisif du temps dans le scénario actuel, il convient de ne pas donner beaucoup de temps pour la diffusion des ordres. Nous devons privilégier l’esprit de décision et la clarté de la pensée et de l’expression plutôt que les directives détaillées.
Vous trouverez un exemple de solution ci-après.
« Charlie Charlie 3 c’est 39er, ordres dans 1 minute. »
« Charlie Charlie 3 c’est 39er. »
« Situation : Je confirme que les communications du GT sont actuellement brouillées et que la Cie H est intensément engagée à l’est. Je crois qu’il y a un élément ennemi de taille inconnue qui s’approche de l’obj 3 GT, probablement avec l’intention d’occuper l’obj 3 GT et de retarder davantage notre traversée. »
« Mission : L’Éqp Cbt Cie I va S’EMPARER de l’obj 3 GT pour permettre le passage des lignes par l’avant de la division multinationale. »
« Exécution : Nous allons nous EMPARER de l’obj 3 GT, empêchant par là sa capture par l’ennemi et permettant une avancée plus rapide de la division, tout en tenant le point de traversée à l’obj 1 GT. »
« Tâches : T43 : SAISISSEZ et TENEZ la partie EST de l’obj 3 GT pour empêcher son utilisation par l’ennemi. Vous serez le premier dans l’ordre de marche à effectuer la traversée. »

Figure 5 : Facteurs amis et ennemis avec boucle OODA et fonctions essentielles intégrées
La figure 5 est un graphique montrant comment l’incertitude des deux côtés conduit à des considérations d’opportunité et de menace.
« 31 : TENEZ l’obj 1 GT pour soutenir le passage des lignes par l’avant des forces de remplacement. Je veux au moins une section d’infanterie à pied sur le point de traversée pour assurer sa sécurité contre les infiltrations ennemies ou les efforts pour le détruire. Continuez la consolidation et le traitement des détenus. »
« 32 : SAISISSEZ et TENEZ la partie OUEST de l’obj 3 GT pour empêcher son utilisation par l’ennemi. Vous suivrez le 4e Tp pendant la traversée. »
« G31 : Déplacez-vous avec la 4 Tp et appuyer la manœuvre SAISIR et le TENIR l’obj 3 GT. La priorité des tirs va à la 4 Tp. »
« 39B : Restez sur l’obj 1 GT et soutenez le 7 Pon dans l’organisation de sa défense.
« Instructions de coordination : Chronologie : Les questions qui suivent immédiatement les commandes. La 4 Tp commence le mouvement à la suite des questions. »
« Sout svc : 39A, que l’échelon soit prêt à effectuer un réapprovisionnement en munitions une fois que nous aurons saisi l’obj 3 GT. 39C, soutenez le 7 Pon dans le traitement des détenus et le rechargement. »
« Commandant et Trans : je vais me localiser dans les environs de la 4 Tp. 39A, continuez à essayer d’informer l’indicatif d’appel 0 de nos actions. Être prêt à envoyer un messager au besoin. Les véhicules équipés de panneaux marqueurs doivent les rendre visibles à l’arrière et sur le dessus afin de fournir une identification amie-ennemi aux forces amies. »
« T43 des questions. À vous. »
La solution s’en tient largement à la formule doctrinale d’émission des ordres, qui fournit un cadre de référence au cmdt. Celui-ci doit réunir rapidement des informations dans un environnement stressant. Tout aussi important, il fournit les informations nécessaires d’une manière qui est familière aux subordonnés. Lors de l’exécution d’un JDT, il est toujours utile de discuter de la manière dont les ordres sont donnés et des informations que le participant fournit et omet. L’examen critique de la manière dont la solution est communiquée est tout aussi important que la solution elle-même.
Une fois que le participant a présenté sa solution, il peut alors expliquer pourquoi il l’a choisie. Comme nous l’avons vu plus haut, l’interprétation de la situation par le participant doit se refléter dans sa solution, notamment dans son paragraphe sur la situation. L’interprétation de la situation par le participant est un point de discussion important et contribuera à améliorer la capacité du groupe à lire les indicateurs de l’environnement opérationnel qui sont habituellement entourés d’incertitude.
En comprenant comment le participant a perçu la situation, nous pouvons alors examiner la solution. La première chose à envisager est de savoir si la solution est logiquement cohérente avec l’interprétation de la situation par le participant. Ensuite, le groupe peut discuter des composantes techniques et tactiques de la solution.
Tout cela se déroule dans un contexte de groupe. Un animateur gère la discussion, mais l’ensemble du groupe doit avoir la liberté d’examiner les solutions et de poser des questions. De cette façon, le JDT n’enseigne pas seulement la tactique mais aussi l’humilité. Se tenir devant un groupe de collègues officiers, ou un groupe mixte de soldats, de sous-officiers et d’officiers, et apporter une solution à un problème tactique en peu de temps n’est pas facile et constitue un exercice d’humilité.
Le JDT 1 doit permettre d’exploiter un succès et une attaque préventive qui n’étaient pas prévue dans le plan original, en conjonction avec des frictions et des actions ennemies qui obligeraient le commandant de la sous-unité à s’adapter, en l’absence de directives de la part des échelons supérieurs. Certaines personnes ne seront pas d’accord avec la solution présentée ici. Cependant, l’auteur estime qu’elle est largement conforme à la philosophie de combat professée par l’AC. Certaines personnes seront d’accord avec la solution, mais seront moins à l’aise à l’idée de devoir prendre cette décision elles-mêmes ou de donner à leurs subordonnés la latitude de le faire. Toutefois, cette latitude est également conforme à l’approche préconisée par l’AC en matière de commandement ainsi qu’à la précédente philosophie de commandement du commandant de l’AC.Note de bas de page 8 J’espère que tout désaccord avec cet article suscitera des discussions fécondes au sein des unités, voire même au sein du JAC. Quoi qu’il en soit, en exécutant le JDT 1, nous et nos subalternes aurons aiguisé notre acuité intellectuelle et nos unités seront plus létales qu’elles ne l’étaient hier.

Figure 6 : Plan d’action 3 – SAISIR l’objectif 3 GT pour une attaque préventive sur l’arrière-garde ennemie
La figure 6 est une carte schématique montrant l'attaque bleue de l'Objectif 3.
À PROPOS DE L’AUTEUR
Le lieutenant-colonel Matthew Rolls s’est enrôlé dans les Forces armées canadiennes en 2006 en qualité d’officier d’infanterie et il s’est ensuite joint au Royal Canadian Regiment (RCR). Il a passé toute sa période de service régimentaire au sein du 2 RCR : il y a été commandant de peloton, commandant adjoint de compagnie, officier adjoint des opérations, capitaine-adjudant, commandant de compagnie de fusiliers et commandant d’une compagnie d’administration. Il a pris part à des déploiements à titre de commandant de peloton de fusiliers avec l’Équipe provinciale de reconstruction de Kandahar et avec le Groupement tactique du 1er Bataillon, The Royal Canadian Regiment, au sein de la FO 1-10. Il a ensuite servi en Lettonie dans le cadre de l’Op REASSURANCE en qualité de commandant d’une compagnie de fusiliers. Il est diplômé de l’Expeditionary Warfare School de l’US Marine Corps et du Programme de commandement et d’état-major interarmées. Il possède un baccalauréat en sciences politiques et une maîtrise en études de la défense et en études militaires. Il est actuellement membre du COMFOSCAN.
Ce scénario est apparu pour la première fois en ligne sur le site Web du Journal de l'Armée canadienne (aout 2020)