Rafales courtes :
Restructurer la Réserve pour assurer le succès opérationnel

par Lieutenant-colonel Sébastien Campagna, CD, M. A.

Introduction

Les évènements récents ont démontré à quelle vitesse les conflits modernes peuvent s’intensifier. À la suite de la guerre du Golfe en 1991 et de la guerre d’Iraq en 2003, on pensait que les guerres conventionnelles étaient terminées, mais elles ont fait un retour remarquable. Les menaces actuelles qui pèsent contre l’OTAN en Europe, dans la région du Pacifique et sur notre souveraineté territoriale suggèrent que nous aurons peu de temps pour réagir si le Canada est entraîné dans une guerre. De plus, en raison de l’intensification des opérations canadiennes dans le monde et notamment en Europe de l’Est, les unités de la Force régulière doivent composer avec une pénurie de troupes. La mise sur pied de nouvelles unités de la Force régulière prendrait beaucoup de temps et de ressources, mais il existe une solution.

Notre plus récente politique de défense, Notre Nord, fort et libre (NNFEL), avance que les unités de réserve doivent jouer un rôle dans la défense territoriale, et pas seulement dans les opérations nationales, à tous les niveaux : « Maintenir des forces de réserve qui offrent de la profondeur aux niveaux tactique, opérationnel et stratégique ».Note de bas de page 1  De plus, comme il est mentionné dans Une nouvelle vision pour la Force de réserve : « Parallèlement aux efforts actuels de reconstitution et de modernisation, toute la planification visant à créer des FAC intégrées dans l’avenir ne doit pas se limiter au jumelage des unités de la Force de réserve (les réservistes) avec les unités ou formations de la Force régulière ».Note de bas de page 2  Le rôle des unités de réserve ne peut pas être que de renforcer les unités de la Force régulière. Pourtant, cette autonomisation ou bonification du rôle de la Réserve au sein des Forces armées canadiennes (FAC) s’accompagne de nombreux défis.

Problèmes actuels des unités de la Réserve de l’Armée canadienne

Ma proposition vise à résoudre trois problèmes majeurs auxquels la Réserve de l’Armée canadienne (AC) est actuellement confrontée : la relève, les structures hiérarchiques inefficaces et le manque de capacités opérationnelles. Un défi particulier pour la Réserve de l’AC est la planification de la relève. Dans la Réserve, certains lieutenants-colonels (lcol) et certaines lieutenantes-colonelles ont assumé trois, voire quatre commandements différents. Si la Réserve ne peut pas assurer un plan de relève, cela est révélateur de l’écart qui existe dans la génération d’officiers. En ce qui concerne les adjudants-chefs et les adjudantes-chefs (adjuc), certains et certaines occupent plusieurs postes, mais l’aspect le plus étonnant est le fait qu’il y en a qui, après leur mandat, reçoivent leur commission d’officier, atteignent jusqu’au grade de lcol et assument le commandement d’une unité de réserve. Cette situation montre à quel point le rythme des promotions peut être rapide dans la Réserve. La nécessité de générer des lcol et des adjuc oblige les unités à pousser leurs militaires vers la prochaine promotion rapidement et, dans de nombreux cas, à leur donner le minimum de temps à chaque niveau de grade, souvent intérimaire. Par analogie, cette façon de faire peut s’apparenter au fait de tirer sur une plante pour la faire pousser plus rapidement. Dans la 2e Division, les caporaux et les caporales (cpl) sont promus immédiatement après la qualification élémentaire en leadership, tandis que les caporaux-chefs et les caporales-chefs (cplc) sont promus au grade de sergent et de sergente (sgt) presque automatiquement après deux ans. Ainsi, nous pourrions avoir des sgt avec aussi peu que quatre ans d’expérience à temps partiel dans l’AC. On peut comprendre que la raison derrière cette politique est le besoin de plus d’instructeurs. Toutefois, le manque d’expérience à chaque grade accentue le déséquilibre déjà considérable avec les collègues de la Force régulière. Plusieurs commandants d’unité et de sergents-majors régimentaires (SMR) n’ont jamais eu l’expérience de commander une compagnie ou un escadron de groupe-bataillon territorial (GBT) à effectif complet, ce qui signifie qu’ils ne possèdent pas une expérience de commandement importante. Par ailleurs, il n’est pas nécessaire d’avoir commandé une compagnie ou un escadron de GBT pour devenir commandant, ce qui inhibe d’autant plus l’acquisition de cette expérience importante.

Ensuite, les unités de réserve ont une structure hiérarchique très lourde avec une structure de bataillon/régiment pour superviser une unique sous-unité qui elle n’a aussi qu’une seule sous-sous-unité. Comme c’est le cas pour une pyramide inversée, il y a plus de gens à la tête qu’il n’y a de baïonnettes (figure 1). Conformément à la doctrine, une unité devrait comprendre plus d’une sous-unité, sinon ce n’est qu’une sous-unité déguisée.Note de bas de page 3

L’étendue du contrôle du quartier général d’une brigade de réserve est également beaucoup trop grande. Par exemple, certaines brigades comme le 34e Groupe-brigade du Canada (34 GBC) doivent assurer la supervision de 13 unités, ce qui représente une tâche difficile et entraîne plus de responsabilités pour les unités. Dans ce cas précis, la pyramide est presque plate (figure 2).

Finalement, en raison du manque de commandants dans les unités de réserve, les dirigeants de l’AC ont décidé de créer des « regroupements tactiques » ou de fusionner des unités. Cette situation a créé un problème supplémentaire de supervision, en particulier dans les régions géographiquement dispersées, par l’augmentation de la charge de travail des commandants d’unité qui étaient déjà surchargés.

 

Figure 1: Structure générale des unités de réserve (infanterie)

Structure générale des unités de réserve (infanterie)
Figure 1: Structure générale des unités de réserve (infanterie)

Diagramme illustrant la structure générale, en pyramide inversée, des unités de la réserve. Une unité est pourvue de ressources administratives complètes pour une seul sous-unité et une seule sous-sous-unité

 

Figure 2: Structure actuelle des brigades de réserve

Structure actuelle des brigades de réserve
Figure 2: Structure actuelle des brigades de réserve

Diagramme illustrant la structure très étendue des brigades de la réserve. Un commandement de brigade auquel sont subordonnés de très nombreuses unités.

Solution

Photo montrant des réservistes du BIL-R 34 GBC simulant des attaques réelles à l’aide de VBL au sein du 1 R22eR en novembre 2024

Photo montrant des réservistes du BIL-R 34 GBC simulant des attaques réelles à l’aide de VBL au sein du 1 R22eR en novembre 2024 (Source : Lt Julien Dancause.)

Le bataillon d’infanterie légère de réserve (BIL-R) a été un franc succès qui peut servir de modèle pour une restructuration de la Réserve de l’AC. Le BIL-R est une unité expérimentale créée en 2022 par le colonel Alain Cohen, alors colonel commandant du 34 GBC qui réunit toutes les unités d’infanterie de la brigade pour créer un seul bataillon d’infanterie pour l’entraînement.

Au 34 GBC, une unité reçoit le mandat de commander le BIL-R pendant un an, tandis que les autres unités l’appuient en fournissant un peloton d’infanterie et une partie de l’élément de commandement d’une compagnie. J’ai eu le privilège de commander le BIL-R en 2024-2025, et nous avons réussi à générer des groupes de près de 500 soldats et soldates lors de nos exercices de fin de semaine, grâce à nos exercices stimulants et de haut calibre avec les trois bataillons de la Force régulière du Royal 22eRégiment (R22eR) à Valcartier. Ce regroupement n’est cependant que temporaire et n’est utilisé que comme instrument d’entraînement. De plus, commander le BIL-R et une unité de réserve en même temps représente une tâche colossale et a des répercussions non négligeables sur cette dernière. Néanmoins, il serait possible d’élargir le concept et d’en faire une organisation distincte et permanente.

Le BIL-R a démontré l’utilité de créer un niveau 3.5, intermédiaire entre le quartier général (QG) de brigade et les unités : un « QG BIL-R » permanent. Chaque unité formerait une compagnie du BIL-R, tel que l’illustre la figure 3. L’entraînement serait la responsabilité du QG BIL-R qui disposerait de son propre état-major, SMR et commandant. Celui-ci aurait le commandement pendant deux ou trois ans afin de tirer parti de l’expérience et des leçons apprises au lieu de recommencer chaque année comme c’est le cas dans le prototype développé au 34 GBC.

Les unités garderaient une grande part d’indépendance en s’occupant des responsabilités liées au recrutement, à l’habillement, aux traditions, à leurs manèges militaires et à leurs finances. L’entraînement serait la responsabilité du BIL-R qui planifierait et exécuterait tous les exercices, ce qui permettrait d’acquérir une précieuse expérience de commandement et de contrôle au niveau du bataillon. Comme chaque unité est déjà l’équivalent d’un groupe de compagnie, elles seraient commandées par des majors ou des majores (maj) avec un adjudant-maître ou une adjudante-maître (adjum) comme sergent-major. Cette structure hiérarchique faciliterait l’interaction avec le BIL-R. De plus, toute l’unité devrait participer aux exercices, plutôt que seulement un peloton. Les postes en double au sein des unités seraient ainsi éliminés, comme la cellule des opérations et le quartier-maître régimentaire (QMR), ce qui mettrait l’accent sur une structure de compagnie (voir la figure 4). Grâce à l’entraînement de toute l’unité, on pourrait davantage se concentrer sur la création de plusieurs sous-sous-unités afin que l’officier commandant acquière de l’expérience de commandement au niveau de la sous-unité. De cette manière, on obtient déjà une structure hiérarchique qui ressemble davantage à celle d’une pyramide. Le personnel du QG BIL-R proviendrait des postes non pourvus d’adjum/adjuc/de maj/lcol des unités, ce qui créerait un quartier général plus robuste, sans coût supplémentaire en postes ou en salaire.

 

Figure 3: Groupement permanent proposé pour les BIL-R

Groupement permanent proposé pour les BIL-R
Figure 3: Groupement permanent proposé pour les BIL-R

Diagramme illustrant la structure du BIL-R. Trois pelotons par compagnie, trois compagnies par bataillon composite.

 

Figure 4: Structure proposée pour les unités de réserve

Structure proposée pour les unités de réserve
Figure 4: Structure proposée pour les unités de réserve

Diagramme illustrant la structure proposée des unités de la Réserve, avec trois pelotons au sein de chaque unité.

Avantages

Cette proposition a l’avantage de créer une plus petite étendue de contrôle pour le quartier général de la brigade disposant d’un état-major intermédiaire avec qui traiter. Cette structure ramènerait également le GBC à quelque chose de plus proche d’une structure pyramidale (voir la figure 5). Ainsi, il y aurait un plus grand nombre de réservistes qui participeraient aux exercices et aux opérations, puisque l’ensemble de l’unité serait sollicité. Il y aurait également plus d’officiers d’état-major formés pour travailler un QG de bataillon. Les lcol de réserve bénéficieraient de l’expérience de commander plusieurs sous-unités au lieu d’une seule. Il y aurait également plus de maj ayant de l’expérience de commandement au niveau de la compagnie, puisqu’il serait nécessaire de commander leur unité sur le terrain. Cette expérience les préparerait également à un commandement supérieur s’ils sont choisis. Ainsi, il y aurait moins de pression sur les promotions à tous les niveaux, puisqu’il ne serait plus nécessaire de générer un ou une lcol et un ou une adjuc dans chaque unité. Cette façon de faire permettrait également d’acquérir une plus grande expérience à chaque niveau de grade. Il y aurait aussi naturellement une meilleure collaboration entre les unités au sein d’un BIL-R. En fin de compte, cette solution pourrait se traduire par un plus grand nombre de GBT/BIL-R opérationnels avec des QG de brigades prêts à agir comme QG de formation ou de composante de commandement terrestre. Cela permettrait également de mettre au point des procédures d’opérations normalisées au sein des BIL-R et de conserver l’expérience au lieu de repartir de zéro chaque année. Ainsi, les BIL-R auraient l’avantage d’être transformés en organisations semi-professionnelles, prêtes à être utilisées comme unités de manœuvre.

 

Figure 5: Structure proposée pour les GBC

Structure proposée pour les GBC
Figure 5: Structure proposée pour les GBC

Diagramme illustrant la structure proposée d’un groupe-brigade, incluant un quartier général de brigade chargé de l’administration, des finances et du recrutement, ainsi que trois unités BIL-R responsables de l’instruction et des opérations. De nombreuses sous-unités sont subordonnées au sein du groupe-brigade.

En conclusion

La Réserve de l’AC est en grand besoin d’une restructuration depuis longtemps. Elle doit se débarrasser de sa structure de mobilisation de masse de l’époque des guerres mondiales et adopter une structure réactive, opérationnelle et agile. L’adoption d’une structure permanente comme celle du BIL-R avec des unités de la Réserve sous son commandement entraînerait une augmentation de la capacité opérationnelle dans l’ensemble de l’AC. On formerait plus de soldats et de soldates de réserve et l’on permettrait aux officiers d’acquérir plus d’expérience de commandement et d’état-major, tandis qu’il y aurait moins de pression à octroyer des promotions à tous les niveaux, ce qui se traduirait par plus d’expérience à tous les niveaux. Enfin, il ne faut pas négliger le fort potentiel de cette approche pour générer un plus grand nombre d’unités de manœuvre pour l’AC.

Cette solution ne résout pas tous les problèmes de la Réserve de l’AC. Il reste encore beaucoup de défis à surmonter tels que le manque chronique d’équipement, le fardeau administratif et le processus de recrutement excessivement long. Cependant, si nous pouvons corriger la structure, nous serons sur la bonne voie et générerons plus de résultats opérationnels. Cet article vise à susciter une discussion sur l’état de la Réserve de l’AC, qui mérite d’être examiné parce qu’elle a été trop longtemps négligée. Les défis mondiaux contemporains exigent que notre Armée canadienne soit capable de remplir sa mission liée aux intérêts nationaux et à la défense du Canada, et pour ce faire, il faut tenir compte de la Réserve.

À propos de l’auteur

L’auteur compte plus de 35 ans d’expérience dans les FAC, dont 30 ans dans la Force régulière au sein du Royal 22eRégiment (R22eR) dans divers rôles d’état-major et de commandement. Il a consacré près de la moitié de ce temps à l’appui de la Réserve, notamment au sein des Fusiliers Mont-Royal en 1996, ainsi qu’à titre de G3 Ops 34 GBC en 1998, de G1 34 GBC en 2006 et de G3 34 GBC en 2014. Après avoir quitté la Force régulière en 2020, il a pris le commandement du 6e Bataillon du R22eR, puis du Bataillon d’infanterie légère du 34 GBC en mai 2024 et de la concentration de la milice (CONMIL) en 2025. Il est maintenant commandant adjoint du 34 GBC; il enseigne l’histoire militaire au Collège militaire royal de Saint-Jean ainsi que le leadership à l’Institut Adjudant-chef Robert Osside.

 
Photo de groupe du BIL-R du 34 GBC après l’exercice XERUS ENDURCI à Valcartier en février 2025

Photo de groupe du BIL-R du 34 GBC après l’exercice XERUS ENDURCI à Valcartier en février 2025. (Source : Lt Julien Dancause.)


Cet article a été publié pour la première fois en ligne dans la section Rafales Courtes du Journal de l'Armée du Canada (septembre 2025).

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