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Certains arguments en matière d'égalité sont plus égaux que d'autres

par Josh Brull, avocat
juillet 2011


Introduction

Le Comité externe d'examen de la Gendarmerie royale du Canada (CEE) examine régulièrement des griefs dans lesquels des membres de la GRC affirment notamment que la Gendarmerie a porté atteinte aux droits à l'égalité que leur garantit la Charte canadienne des droits et libertés (la Charte). Les allégations formulées à cet égard sont souvent mal articulées ou étayées, peut-être parce que ce domaine du droit est devenu de plus en plus lourd et complexe. Par conséquent, elles créent parfois de la confusion et n'augmentent guère les chances d'un requérant d'avoir gain de cause.

Cela peut donner lieu à des situations embarrassantes pour toutes les parties qui participent à la procédure applicable aux griefs. Ainsi, il arrive que les requérants qui se disent victimes de discrimination au sens de la Charte soient déçus et que les répondants appelés à contester de telles allégations de discrimination soient pris au dépourvu. Quant au CEE, il n'est pas rare que sa capacité de procéder à une analyse exhaustive des allégations fondées sur la Charte soit compromise.

Le présent article traite sommairement des questions fondamentales liées à la présentation d'arguments fondés sur les garanties d'égalité prévues par la Charte et à leur examen par le CEE. Dans un premier temps, je passe en revue le paragraphe 15(1) de la Charte. J'explique ensuite ce qu'un requérant doit faire pour permettre au CEE de bien évaluer les arguments fondés sur cette disposition. Enfin, j'énonce le critère à satisfaire pour établir le bien-fondé d'une allégation reposant sur le paragraphe 15(1) ou y répondre. J'espère que les propos qui suivent aideront les membres qui font valoir des arguments liés à la discrimination au sens de la Charte.

L'article 15 de la Charte s'intitule « Droits à l'égalité ». Le paragraphe 15(1) indique que la loi ne fait acception de personne et s'applique également à tous. Il prévoit également que tous ont droit à la même protection et au même bénéfice de la loi, indépendamment de toute discrimination, notamment des discriminations fondées sur les neuf motifs « énumérés » : la race, l'origine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, le sexe, l'âge ou les déficiences mentales ou physiques.

Il importe de souligner que l'énumération des motifs de discrimination n'est pas exhaustive. En effet, la Cour suprême du Canada a clairement établi que le paragraphe 15(1) offre également des garanties contre la discrimination fondée sur des motifs « analogues » (Andrews c. Law Society of British Columbia, [1989] 1 R.C.S. 143).

Un motif analogue peut se décrire comme un motif fondé sur une caractéristique personnelle immuable ou susceptible de n'être modifiée qu'à un prix personnel inacceptable (Corbiere c. Canada, [1999] 2 R.C.S. 203). Plusieurs motifs analogues ont été reconnus, dont les suivants :

On peut par ailleurs s'attendre à ce que l'évolution des normes sociales donne naissance à de nouveaux motifs analogues.

Compétence du CEE

Les griefs portant sur l'interprétation et l'application de la Charte peuvent être examinés par le CEE. Cependant, le CEE n'est pas en mesure d'évaluer les allégations fondées sur le paragraphe 15(1) lorsqu'elles ne reposent sur aucun argument.

Le CEE a été confronté à une telle situation dans G-414. Dans cette affaire, le requérant prétendait que la façon dont la Gendarmerie avait traité son grief constituait une atteinte aux droits à l'égalité que lui garantissait le paragraphe 15(1) de la Charte, sans toutefois préciser le motif de discrimination visé.

Le CEE a cherché à savoir s'il pouvait considérer l'allégation du requérant. Pour ce faire, il a notamment examiné la décision de la Cour suprême du Canada dans Mackay c. Manitoba, [1989] 2 R.C.S. 357. Dans cet arrêt, la Cour a statué que la présentation des faits était essentielle à un bon examen des questions relatives à la Charte. La présidente du CEE a conclu qu'elle ne pouvait pas se prononcer sur l'allégation du requérant fondée sur la Charte, et ce, pour les motifs suivants :

[Traduction]

Le commissaire de la GRC a convenu que le requérant n'avait pas étayé son allégation selon laquelle son grief n'aurait pas été traité comme il se doit en raison d'un manque d'équité.

En bref, le CEE sera en mesure d'évaluer une allégation reposant sur le paragraphe 15(1) seulement si le motif de discrimination est précisé et s'il repose au moins sur quelques éléments de preuve et arguments.

Critère applicable

Même lorsqu'une personne est absolument convaincue qu'il y a eu atteinte à ses droits à l'égalité garantis par la Charte, il peut être fort difficile d'expliquer comment et pourquoi il y a eu atteinte. Il est donc essentiel de déterminer, au tout début du processus, les éléments à prouver ou à réfuter.

Récemment, dans Withler c. Canada (Procureur général), 2011 CSC 12, la Cour suprême du Canada a confirmé le critère à deux volets applicable à l'évaluation d'une allégation fondée sur le paragraphe 15(1). Le critère est utile étant donné qu'il fournit des lignes directrices sur la façon d'établir le bien-fondé d'une allégation voulant que cette disposition a été violée ou sur la façon de répondre à une telle allégation. Il consiste à déterminer si :

  1. une mesure ou son application crée une distinction fondée sur un motif énuméré ou analogue visé par le paragraphe 15(1);
  2. la distinction crée un désavantage par la perpétuation d'un préjugé ou l'application de stéréotypes.

Le terme « mesure » englobe les lois, les règlements, les politiques, les directives et les actions du gouvernement.

Pour répondre au premier élément du critère, le requérant doit démontrer qu'il s'est vu refuser un avantage accordé à d'autres, ou imposer un fardeau que d'autres n'ont pas, en raison d'une caractéristique personnelle correspondant à un motif énuméré ou analogue visé par le paragraphe 15(1).

Pour répondre au deuxième élément du critère, le requérant doit démontrer que la mesure (ou son application) cause une inégalité réelle en occasionnant un désavantage ou un préjugé ou en appliquant un stéréotype qui ne correspond pas à la situation ou aux caractéristiques réelles.

Si les parties à un grief portant sur le paragraphe 15(1) présentent des observations qui tiennent bien compte du critère susmentionné, le CEE sera mieux à même d'examiner l'affaire de façon exhaustive.

Conclusion

L'examen de la jurisprudence relative à la Charte peut être ardu et compliqué tant pour les spécialistes du droit que pour les requérants. Les deux parties visées par un grief portant sur une violation du paragraphe 15(1) de la Charte devraient envisager de consulter un représentant des relations fonctionnelles et/ou un avocat avant de finaliser leurs arguments liés à cette disposition.

Si elles ne peuvent pas le faire, elles auraient intérêt à :

Si cette façon de procéder n'offre pas une garantie de succès, elle constitue néanmoins un moyen de plus permettant au CEE de formuler des conclusions et des recommandations justes et judicieuses.

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