Articles d'intérêt - Delais statutaires

Les délais statutaires

par Caroline Verner, avocate
juillet 2010


Selon l'article 31(1) de la Loi sur la Gendarmerie Royale du Canada (Loi sur la GRC), bon nombre de questions peuvent faire l'objet d'un grief par les membres de la GRC. Cependant, ce droit de déposer un grief n'est pas absolu et est assujetti à certaines restrictions, notamment des délais statutaires. En effet, en vertu de l'article 31(2) de la Loi sur la GRC, ces délais sont obligatoires et peuvent entraîner le rejet du grief s'ils ne sont pas respectés. Il semble que la Loi vise à imposer aux membres un devoir de célérité lorsqu'il est question de contester des décisions.

Tel qu'il sera discuté ultérieurement, la vaste majorité des griefs sont soumis bien à l'intérieur du délai statutaire de 30 jours. Toutefois, certains sont soumis si proche de la date limite, que cela peut causer un problème. Et parfois, le moment même du dépôt du grief est difficile à déterminer.

Les délais

Niveau I

L'article 31(2) (a) de la Loi sur la GRC prévoit qu'au premier niveau, le grief doit être présenté « dans les trente jours suivant celui où le membre qui a subi un préjudice a connu ou aurait normalement dû connaître la décision, l'acte ou l'omission donnant lieu au grief ». La date de départ de computation des délais est donc la date à laquelle le membre a eu connaissance, ou aurait raisonnablement dû avoir connaissance, de la décision le préjudiciant. Dans plusieurs cas, le point de départ de ce délai de 30 jours ne posera aucune difficulté; par ailleurs, dans d'autres cas, le point de départ sera quelque peu nébuleux.

Dans un premier temps, il se peut que le membre prenne connaissance de la position de la Gendarmerie avant d'avoir présenté une demande ou autorisation formelle. Par exemple, il peut s'agir de cas lorsque le membre est informé qu'un avantage ne lui sera pas octroyé, bien qu'une réclamation n'a pas été présentée. Dans le dossier G-385, le CEE a indiqué que le membre connaissait la position de la Gendarmerie lorsqu'il s'est vu refuser l'autorisation de voyager puisqu'il avait précédemment été informé que toute dépense de voyage à l'extérieur de la division ne serait acceptée. La demande subséquente pour une telle autorisation ne créait pas de nouveau droit de recours car aucune nouvelle information n'avait été fournie, et le rejet de cette demande n'a fait que confirmer une décision antérieure.

Dans un deuxième temps, il se peut également qu'une politique ou décision ne produise pas d'effets immédiats sur les droits du membre. Dans pareilles circonstances, le délai n'est calculé qu'à compter du moment où le membre se rend compte du préjudice qu'il subit à la suite de cette décision ou lorsque la politique produit ses effets. Par exemple, dans l'affaire G-365, le Comité a conclu que le délai de 30 jours a commencé à courir le jour où le plaignant a reçu une réponse à sa demande d'aide aux voyages pour vacances selon la Directive sur les Postes Isolés 1991 et non lorsqu'il a reçu un bulletin d'information envoyé à sa division concernant le calcul de remboursement pour de tels voyages.

Une certaine confusion peut s'établir lorsqu'il y a plus d'une décision, acte ou omissions. Dans de tels cas, il s'agit de déterminer si les décisions, actes ou omissions subséquents constituent une réitération de la décision initiale ou s'il s'agit d'une nouvelle décision. Cette problématique survient lorsqu'il s'agit de déterminer laquelle d'une série de décisions a préjudicié le membre aux fins de computation des délais. Il se peut que la Gendarmerie ait révisé sa décision à la suite de nouvelles informations qui n'étaient pas connues lors de la première décision et qui démontrent l'affaire sous un tout autre jour. Dans ce cas, la dernière décision sera considérée comme étant le point de départ du délai de 30 jours. Dans le cas contraire et où la décision est seulement confirmée, le grief devra être déposé dans les 30 jours suivant la décision, acte ou omission initial.

Il est également important de noter que le CEE a rappelé aux membres que, bien qu'une tentative de règlement à l'amiable est désirable, il n'en demeure pas moins que celle-ci ne prolonge pas le délai de 30 jours pour déposer un grief (G-091). Toutefois si, à la suite de discussions et tel que mentionné ci-haut, de nouvelles informations sont portées à l'attention de la Gendarmerie lors des discussions informelles et que celle-ci rend une décision basée sur ces informations, le délai de 30 jours recommence à courir à compter de cette dernière décision.

Les griefs continus engendrent des considérations particulières quant aux délais. Ces situations impliquent une action initiale qui peut faire l'objet d'un grief, suivie par une répétition ou récurrence de cette action ou comportement. Ces griefs impliquent généralement le non-paiement d'une somme ou d'une prime. Par exemple, dans l'affaire CEE G-206, le CEE a indiqué que le non-paiement de salaire pouvait être vu comme étant le sujet d'un grief continu puisque l'action se répétait à toutes les périodes de paye. En principe, un tel grief sera considéré comme étant opportun s'il est déposé à l'intérieur du délai imparti suivant une récurrence de l'action en cause. Toutefois, la mesure correctrice n'aura pas d'effet rétroactif et ne s'appliquera qu'à compter de la récurrence faisant l'objet du grief.

Niveau II

Quant au deuxième niveau, l'art.31(2)b) de la Loi sur la GRC prévoit que le membre doit déposer son grief « dans les quatorze jours suivant la signification au membre de la décision relative au grief rendue par le niveau inférieur immédiat ».

Bien que les observations faites sur le délai pour déposer un grief au premier niveau peuvent, en principe, s'appliquer au délai de présentation au deuxième niveau, généralement la date de départ de la computation ne présentera pas les mêmes ambiguïtés. En effet, le membre a 14 jours suivant la date de signification de la décision de l'arbitre de premier niveau pour déposer son grief. Par ailleurs, advenant qu'une date de signification différente que celle sur le bordereau de signification est alléguée, il revient à la partie qui a soulevé ce fait de démontrer, selon la prépondérance des probabilités, l'inexactitude de la date indiquée sur le bordereau.

Considérations générales

a) La computation des délais

Ni la Loi sur la GRC ni ses règlements n'aborde la question de la computation des délais. Il est essentiel que les membres soient à l'affût des méthodes de calcul des délais afin d'éviter de voir leur grief rejeté pour cause que ce dernier a été déposé hors délai. La méthode se retrouve de façon générale à l'intérieur de la Loi d'interprétation (L.R., 1985, ch. I21). L'article 26 de la Loi d'interprétation prévoit que « tout acte ou formalité peut être accompli le premier jour ouvrable suivant lorsque le délai fixé pour son accomplissement expire un jour férié ».

L'article 35 de la Loi d'interprétation, quant à lui, définit un jour férié comme comprenant les dimanches et certaines autres dates fixes comme le 1er janvier, le vendredi saint, le lundi de Pâques, le jour de Noël, l'anniversaire du souverain régnant ou le jour fixé par proclamation pour sa célébration, la fête de Victoria, la fête du Canada, le premier lundi de septembre, désigné comme fête du Travail, le 11 novembre et le jour du Souvenir et tout jour fixé par proclamation comme jour de prière ou de deuil national ou jour de réjouissances ou d'action de grâces publiques.

Quant à lui, le manuel d'administration (MA) II.38.F.3.a indique que les délais relatifs aux griefs sont calculés en jours consécutifs. Il indique également que le délai exclura le premier jour, mais incluera le dernier.

Le MA II.38.F.3.c. stipule que le samedi est considéré comme étant une journée fériée, au même titre que le dimanche. Par conséquent, les délais sont donc comptés en jours consécutifs et si celui-ci prenait fin un jour férié, comprenant soit le samedi ou le dimanche, le délai serait donc reporté au jour ouvrable suivant.

b) Types de preuve

Notons que le membre a la responsabilité de déposer son grief à l'intérieur du délai imparti par la Loi sur la GRC. Cette obligation est édictée à l'article MA II.38.F.1.c. Il a également le fardeau de démontrer que celui-ci a bel et bien été déposé en temps opportun dans le cas où cette question est soulevée. Le grief sera réputé présenté lorsque celui-ci sera reçu au bureau de coordination des griefs (BCG). Dans l'impossibilité de présenter son grief directement au BCG, le membre peut présenter son grief à son superviseur.

Il n'est pas toujours évident de déterminer la date à laquelle le grief est réputé avoir été présenté. Le MA II.38 spécifie que la date de présentation sera soit celle où le grief a été transmis par télécopieur, celle où le grief a été envoyé par courrier recommandé ou soit celle où le grief est reçu au BCG s'il a été envoyé par courrier, à moins que la date d'envoi peut être démontrée. Pour ce faire, le CEE a statué qu'il est préférable que le membre conserve une preuve d'envoi (G-300). Finalement, le membre a également l'option de faire parvenir son grief par voie électronique. Dans ce cas, la date de l'envoi électronique, généré par l'ordinateur, sera prise en considération.

Il se peut également que le dossier de grief fasse état de dates d'envoi différentes. Dans ce cas et selon le CEE, lorsqu'un grief comporte une date à l'intérieur du délai imparti, lorsqu'il n'y a aucune indication suffisante laissant entendre que le grief a été présenté hors délai et lorsque la Gendarmerie ne soulève aucune objection, le grief peut être réputé avoit été présenté selon le délai imparti par la Loi sur la GRC.

c) Devoir d'agir équitablement

Le CEE s'est souvent penché sur la question du devoir d'agir équitablement. Cette obligation comporte deux volets: le droit d'être entendu et le droit d'obtenir une décision d'un décideur impartial. Le CEE s'est prononcé sur la question notamment lorsque l'arbitre de niveau I a rendu une décision sur une question préliminaire alors que les parties n'avaient pas eu l'opportunité de faire valoir leurs observations. Dans l'affaire G-374, le CEE a indiqué qu'advenant que l'arbitre de niveau I considère la question des délais, les parties doivent non seulement en être informées, mais également avoir eu l'opportunité de faire leur représentations à ce sujet avant que l'arbitre ne se prononce. À défaut, il pourrait s'agir d'un manquement à l'équité procédurale, plus précisément au droit d'être entendu.

Dans ce cas, le dossier peut être retourné à l'arbitre de niveau I afin de permettre aux parties de fournir leurs arguments sur la question préliminaire. Par ailleurs, il se peut également que le CEE puisse remédier au défaut si les parties ont, subséquemment à la décision de niveau I, fourni leurs représentations écrites au sujet des délais. Par exemple, dans l'affaire G-486, considérant le temps écoulé depuis le dépôt du grief et le fait que les parties avaient subséquemment eu l'opportunité de fournir leurs observations sur la questions des délais, le CEE n'a pas recommandé que le dossier soit retourné au niveau I.

Pouvoir du commissaire de la GRC de proroger les délais

Advenant l'expiration des délais statutaires, l'article 47.4(1) de la Loi sur la GRC prévoit que le commissaire de la GRC peut, à sa discrétion, proroger ces délais, même rétroactivement, s'il est satisfait que les circonstances justifient cette prorogation. Cet article stipule également que le commissaire peut proroger le délai sur demande. Il est donc important, advenant le cas, que le membre présente une telle demande avant l'expiration du délai imparti et fournisse une explication raisonnable quant au retard.

Le CEE s'est penché sur la question de l'article 47.4(1) de la Loi à plusieurs reprises. Jusqu'à présent, le CEE a conclu, et le commissaire a confirmé, qu'une prorogation peut être accordée dans les cas suivants:

Des prorogations ont également été accordées lorsque régnait une certaine confusion quant au commencement de la computation du délai, celui-ci n'était pas important et ne causait aucun préjudice au répondant. Cette liste n'est cependant pas exhaustive et d'autres circonstances peuvent intervenir et favoriser une recommandation que le commissaire utilise son pouvoir discrétionnaire.

Dans l'affaire Attorney General c Pentney, [2008] C.F No 116, pris en considération dans le dossier G-488, la Cour a appliqué les quatre facteurs se trouvant dans Canada (Ministre du Développement des ressources humaines) c. Gattellaro, 2005 CF 883 afin de proroger le délai d'appel, c'est-à-dire: il y a intention persistante de poursuivre la demande ou l'appel; la cause est défendable; le retard a été raisonnablement expliqué; et la prorogation du délai ne cause pas de préjudice à l'autre partie. Il a cependant indiqué que la jurisprudence récente en la matière préconisait une approche souple à l'application de ces facteurs et que cette analyse n'était pas exclusive.

En conclusion, plusieurs circonstances peuvent affecter le point de départ de la computation des délais pour le dépôt d'un grief. Par conséquent, les membres devraient être à l'affût de leurs rôles et responsabilités en matière de griefs en prenant l'initiative de s'informer sur la législation applicable.

En règle générale, lorsque le retard est causé par une situation hors du contrôle du membre, le CEE favorise une recommandation de prorogation du délai statutaire.

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