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Exigences en matière d'équité dans le processus décisionnel de la GRC : absence de partialité

par Catherine Ebbs
Directrice exécutive et avocate principale intérimaire

Juin 2004

Par la common law, la GRC est tenue de respecter le devoir d'agir équitablement dans ses décisions concernant les griefs, les questions disciplinaires et les cas de renvoi et de rétrogradation. Cette exigence revêt une importance cruciale, car si le devoir d'agir équitablement n'est pas respecté, la décision prise ne peut pas s'appliquer.

Dans le cas G-177, le CEE a expliqué qu'il existe deux volets au devoir légal d'agir équitablement. Premièrement, une partie dont les droits seront touchés par une décision doit avoir l'occasion de se faire entendre. Elle doit être informée de l'allégation ou des allégations formulées à son encontre et de leurs conséquences possibles. Elle doit aussi avoir l'occasion raisonnable d'y répondre (voir Cardinal c. directeur de l'établissement Kent, [1985] 2 R.C.S. 643, et Nicholson c. Haldimand Norfolk, [1979] 1 R.C.S. 311). Deuxièmement, le décideur doit être impartial (voir Newfoundland Telephone Co. c. Terre-Neuve, [1992] 1 R.C.S. 623 (« Newfoundland Telephone ») et P. Garant, Droit administratif, vol. 2, 4e édition, Éditions Yvon Blais, à la page 338 ff).

Dans le présent article, j'examinerai le deuxième volet du devoir d'agir équitablement, à savoir l'absence de partialité.

Absence de partialité

Critère

Dans le cas G-173, le CEE a déclaré ce qui suit : « Les notions de partialité et de conflit d'intérêt, qu'il s'agisse d'événements réels ou apparents, sont tout particulièrement importantes dans toutes les situations où on prend des décisions au sujet des droits de certaines personnes. » La loi est claire : il ne suffit pas que le décideur soit bel et bien impartial; il doit aussi y avoir apparence d'impartialité. Dans le cas D-055, le CEE a adopté le critère établi par la Cour suprême du Canada dans l'arrêt Newfoundland Telephone (référence donnée ci-dessus) : « Le critère à appliquer pour assurer l'équité consiste à se demander si un observateur relativement bien informé pourrait raisonnablement percevoir de la partialité chez un décideur. »

Il est clair que l'apparence d'impartialité est nécessaire pour maintenir la confiance du public à l'égard du processus décisionnel. Comme il a été dit de nombreuses fois, il faut non seulement que justice soit faite, mais aussi qu'il y ait apparence de justice. Même lorsqu'il a le sentiment de pouvoir agir de manière juste et impartiale, le décideur est tenu de se retirer d'une cause s'il y a la moindre apparence de parti pris de sa part.

Prouver toute allégation de partialité ou d'apparence de partialité

Dans le cas G-049, le CEE a souligné qu'en droit, la personne qui invoque un argument de partialité est tenue d'établir, selon la prépondérance des probabilités, qu' « un observateur relativement bien informé pourrait raisonnablement percevoir de la partialité ». Il ne suffit pas d'affirmer qu'un décideur a un parti pris; il faut aussi fournir des explications au sujet des motifs pour lesquels une personne raisonnable pourrait estimer qu'il y a apparence de partialité dans l'affaire en question.

Types d'allégations de partialité et d'apparence de partialité

Il existe deux types d'allégations de partialité. L'allégation de partialité ou d'apparence de partialité peut viser un décideur en raison de certains traits de sa personnalité ou d'une participation antérieure présumée de sa part dans l'affaire en question. Aussi, une allégation de partialité peut être formulée contre l'organisme de décision dans son ensemble; en pareil cas, on parle d'allégation de partialité institutionnelle.

Argument de partialité à l'encontre d'un décideur

Divers types de situations peuvent donner lieu à une crainte raisonnable de partialité de la part du décideur. Il peut s'agir notamment de relations personnelles, familiales ou d'affaires avec une des parties ou un des témoins. Le décideur fait preuve ou a déjà fait preuve d'hostilité à l'égard d'une des parties. Il a déjà pris une décision touchant l'une des parties par le passé et il peut sembler s'être déjà fait une opinion au sujet de cette personne. De par sa participation antérieure aux faits entourant l'affaire, le décideur peut sembler avoir des préjugés. Aussi, le comportement du décideur à l'audience peut donner à penser qu'il a un parti pris, par exemple s'il coupe constamment une des parties ou s'il affiche à son endroit une attitude exagérément agressive ou sarcastique.

Dans un certain nombre de cas renvoyés devant le CEE, une partie soutient que le décideur semble être partial. Par exemple, si le décideur a joué un rôle actif dans le cas avant que le grief soit déposé, il pourrait sembler à une personne raisonnable que le décideur s'est déjà fait une idée. Dans le cas G-085, le CEE en a conclu qu'un membre d'un comité médical semblait avoir fait preuve de partialité, car ce dernier, avant d'être nommé au sein du comité médical, avait décidé que le requérant était incapable d'assumer ses fonctions en tant que membre de la GRC. Dans cette affaire, le commissaire n'a pas accepté l'allégation de partialité, car, à son avis, le comité médical avait agi équitablement et, au moment de l'audience, le requérant ne s'était pas opposé à la participation du membre aux travaux du comité médical.

Dans l'affaire D-068, le CEE s'est penché sur le cas d'un membre d'un comité d'arbitrage qui, par hasard, avait rencontré brièvement un témoin entendu à l'audience sur la sanction après que la décision eut été connue, mais avant que les motifs soient finalisés. L'appelant a soutenu que cette situation soulevait une apparence de partialité. Le CEE en a conclu qu'il ne lui appartenait pas de prendre une décision à ce sujet, car il recommandait que l'appel soit accueilli pour d'autres raisons. Toutefois, le CEE a déclaré ce qui suit :

Il est aussi important de noter que, si le décideur discute du cas avec le participant en l'absence d'une des parties ou des deux, il pourrait y avoir apparence de partialité. (Dans ce scénario, un problème plus grave pourrait découler du fait que des renseignements ont été communiqués au décideur et que la ou les parties absentes n'ont pas eu l'occasion d'y répondre.)

Dans un cas récent (D-087), le membre a soutenu qu'il y avait apparence de partialité parce qu'un membre du comité d'arbitrage avait rencontré par hasard un témoin pendant une séance de formation. Ils ont parlé pendant environ trois minutes du processus disciplinaire en général, mais pas du cas en particulier. Cette conversation s'est produite après que les parties ont été informées de la décision au sujet de l'allégation, mais avant que se tienne l'audience sur la sanction. Le CEE en a conclu qu'une personne raisonnable n'y aurait pas vu une apparence de partialité. Lorsqu'on analyse des allégations de partialité et d'apparence de partialité, il est important d'examiner la nature et la durée de l'entretien. En l'occurrence, la conversation a été de courte durée et elle n'a pas porté sur les détails du cas. (Le commissaire n'a pas encore rendu sa décision dans cette affaire.)

Argument de partialité institutionnelle

Une partie peut également invoquer un argument de « partialité institutionnelle », selon lequel l'organisme de décision n'est pas indépendant en raison de la façon dont il est constitué. Par exemple, dans l'affaire Armstrong c. Canada (Commissaire de la Gendarmerie royale du Canada) [1994] 2 C.F. 356 (Section de première instance) et l'affaire [1998] 2 C.F. 666 (Cour d'appel), le membre a invoqué un argument de partialité institutionnelle fondé sur le fait que les membres de la commission de licenciement et de rétrogradation n'étaient pas tous des arbitres à temps plein; en effet, deux des trois membres étaient des officiers qui avaient été nommés par un autre officier désigné à cette fin selon les besoins. D'après l'argument avancé, on aurait été porté à croire que les deux officiers à temps partiel auraient approuvé la position de la Gendarmerie, car, dans le cas contraire, ils n'auraient pas été nommés ultérieurement au sein de commissions chargées d'étudier d'autres cas.

Dans l'arrêt Armstrong, la Section de première instance de la Cour fédérale a statué que le Parlement avait établi un code de procédure détaillé et équitable, et qu'il n'y avait pas apparence de partialité institutionnelle. Elle a constaté qu'aux termes de la loi, les décideurs ne doivent pas être les supérieurs immédiats du membre et qu'ils ne doivent pas avoir provoqué l'instruction de l'affaire ni y avoir participé. Les noms des membres de la commission doivent être communiqués au membre pour fins de récusation s'il y a lieu. Le législateur a en outre prévu que les membres des commissions de licenciement et de rétrogradation doivent être des officiers de la GRC. La Cour a constaté qu'il aurait été loisible au législateur d'exiger que ces commissions soient composées de personnes de l'extérieur de la GRC et indépendantes de celle-ci, mais il n'a pas fait ce choix.

La Cour d'appel a confirmé la décision de la Section de première instance. Elle a pris en compte les facteurs cités par la Section de première instance et en a aussi conclu que l'indépendance voulue avait été garantie par le fait que tous les membres de la commission devaient être des officiers de la GRC. Elle était d'avis que la Loi sur la Gendarmerie royale du Canada assure un degré légèrement supérieur d'indépendance puisque les officiers sont des cadres de direction et jouissent de ce fait d'une plus grande sécurité. De plus, l'un d'entre eux au moins doit être diplômé d'une école de droit. Tous les officiers membres ont dû jurer qu'ils s'acquitteraient impartialement de leurs fonctions. Une autre garantie de l'indépendance de la commission tenait à ce que le commissaire devait expliquer dans les motifs de sa décision pourquoi il s'écartait de la décision d'un comité externe d'examen, constitué pour réviser une décision de la commission; et le fait d'inciter un membre de la commission à faillir à son devoir constituait une infraction punissable par procédure sommaire. La Cour en a conclu que, même si le commissaire avait désigné l'officier chargé de nommer la commission, celle-ci n'était nullement tenue d'avoir d'autres attributs d'indépendance que ceux que le législateur avait déjà prévus dans la Loi sur la Gendarmerie royale du Canada.

Par conséquent, la Cour d'appel fédérale est arrivée à la conclusion qu'une personne informée et raisonnable jugerait la commission indépendante.

Dans le cas D-035, le CEE a appliqué le raisonnement suivi par la Cour fédérale dans l'arrêt Armstrong au processus disciplinaire énoncé dans la partie IV de la Loi sur la Gendarmerie royale du Canada. De l'avis du CEE, les deux cas partageaient de nombreuses similitudes sur le plan de la procédure. En l'espèce, le membre a allégué un manque d'indépendance fondé sur le fait que l'officier qui avait été choisi pour nommer les membres du comité d'arbitrage était aussi le supérieur de ces derniers, ainsi que des membres qui avaient représenté chacune des parties lors des procédures disciplinaires.

Le CEE était d'avis que la loi était claire : l'existence d'un processus disciplinaire interne n'équivaut pas en soi à une violation des principes de la justice naturelle. Par conséquent, on ne pouvait raisonnablement conclure à une apparence de partialité simplement parce que les divers participants à l'audience disciplinaire provenaient tous de la même direction. Aussi, le CEE s'est dit d'accord avec la décision dans l'affaire Armstrong voulant que le processus établi par le législateur réponde au critère d'équité et d'indépendance.

Questions relatives à la procédure concernant l'argument de partialité

Moment choisi pour invoquer un argument de partialité

Un membre qui estime qu'un décideur est partial ou que le processus n'est pas suffisamment indépendant devrait faire connaître ses préoccupations dès que le problème se présente. Par exemple, la loi prévoit que, dans le processus disciplinaire ainsi que dans le processus de licenciement et de rétrogradation, le membre a l'occasion de s'opposer au choix d'un ou de plusieurs membres du comité au moment de leur nomination. Si le membre ne soulève pas la question dès la première occasion, le commissaire, le CEE et la cour peuvent lui interdire de le faire par la suite. Par exemple, si le membre connaît une situation préoccupante au moment de l'audience mais n'en parle qu'à l'appel.

Toutefois, lorsque l'autre partie ne s'y s'oppose pas, un argument de partialité peut être invoqué plus tard dans l'affaire (D-035). Aussi, lorsque l'argument de partialité est fondé sur des renseignements qui n'ont été connus qu'une fois la décision prise, la partie intéressée peut l'invoquer pour la première fois à l'étape de l'examen. Par exemple, il peut s'agir d'une allégation de partialité liée à la façon dont les éléments de preuve ont été analysés et pris en compte dans la décision. Ainsi, dans le cas D-055, le CEE est arrivé à la conclusion que le membre pouvait soulever un argument de partialité au moment de l'appel parce qu'il était fondé sur l'allégation voulant que le comité d'arbitrage n'ait pas tenu compte de tous les éléments de preuve avant de rendre sa décision.

Procédure à suivre pour les décideurs qui répondent à un argument de partialité

Les tribunaux se sont déjà penchés sur la façon dont les décideurs devraient répondre à un argument de partialité. Lorsqu'un membre accuse un des membres d'un comité de partialité lors de l'audience, il convient d'adresser la demande au membre visé. Ce dernier se demande alors si une crainte raisonnable de partialité pourrait découler du fait qu'il décide de continuer de participer aux travaux du comité. La décision n'appartient pas à l'ensemble du comité, et ce, même si le décideur en fait partie en tant que membre, ni au président du comité (voir Arsenault-Cameron c. Île-du-Prince-Édouard, [1999] 3 R.C.S. 851). Le CEE a adopté cette approche dans un cas récent (D-087) dont il a été question plus tôt.

Recours

Si le membre invoque un argument de partialité ou d'apparence de partialité avant même le début de l'audience et que cet argument est accepté, il faut nommer un autre décideur.

Si le membre invoque un argument de partialité après le début de l'audience et que cet argument est accepté, la question est renvoyée devant d'autres décideurs. On a maintenant ce recours et ce, même si l'apparence de partialité vise le commissaire de la GRC. Dans un cas récent (D-081), le commissaire est arrivé à la conclusion qu'il était dans l'impossibilité d'agir. Il y avait apparence de partialité parce qu'il avait déjà joué un rôle dans l'affaire en question avant d'être nommé commissaire. Par conséquent, un autre décideur a été nommé en vertu de l'article 15 de la Loi sur la Gendarmerie royale du Canada, qui prévoit qu'un officier supérieur assume les fonctions du commissaire en cas d'« empêchement » de ce dernier. Dans l'affaire Stenhouse c. Canada (procureur général), [2004] A.C.F. 469, 2004 CF 375, le juge de la Cour fédérale du Canada a rendu une décision semblable parce que le commissaire de la GRC avait antérieurement joué un rôle direct dans l'affaire. Voici ce qu'a déclaré le juge :

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