Articles d'intérêt - Mise a jour: Decision cour federale affaire Kinsey

par Melvin Chuck, conseiller juridique
Juin 2007

Le 22 mai 2007, la Cour fédérale du Canada rendait sa plus récente décision en matière de discipline dans l'affaire Kinsey v. Canada (Attorney General) [2007] CF 543.

Contexte

Les gendarmes Kinsey et Dhaliwal étaient accusés d'avoir eu une conduite scandaleuse en raison de l'utilisation inappropriée du système informatique mobile de la GRC. Durant l'audience disciplinaire, les deux policiers ont admis s'être envoyés plusieurs messages textuels très déplacés partir de leurs véhicules de police pendant qu'ils étaient de service. Ces messages étaient méprisants envers des collègues et des membres du public, contenaient des blasphèmes et des obscénités, exprimaient le souhait des gendarmes de faire mauvais usage de la force et dénotaient un manque d'engagement face aux tâches accomplir.

L'affaire a été portée devant un comité d'arbitrage pour la prise de mesures disciplinaires graves. Le comité d'arbitrage a conclu que les allégations avaient été prouvées. À l'audience, on a présenté des preuves au sujet de diverses mesures disciplinaires dont les deux gendarmes avaient été l'objet pour une conduite semblable. L'officier responsable du détachement avait déclaré ne plus faire confiance aux deux policiers. Le comité d'arbitrage a ordonné aux gendarmes de donner leur démission étant donné que leur manque de jugement et leur mépris flagrant pour les valeurs de la GRC avaient répudié des éléments essentiels de la relation d'emploi.

Les gendarmes ont interjeté appel de la décision du comité d'arbitrage au commissaire de la GRC, qui a ensuite renvoyé l'affaire au Comité externe d'examen de la GRC (Comité externe). Les gendarmes ont fait valoir trois arguments pour contester leur congédiement.

Ils ont d'abord plaidé le parti pris institutionnel des membres du comité arbitrage en soulignant qu'ils avaient tous un grade inférieur à celui de l'officier compétent, qui était Beverly Button, alors sous-commissaire de la GRC. Le Comité externe a jugé qu'aucun élément de preuve ne permettait de croire que les membres du comité d'arbitrage n'avaient pas été impartiaux.

Ensuite, ils ont invoqué le non-respect du principe d'équité procédurale du fait que le représentant de l'officier compétent avait fait état de l'opinion personnelle de celle-ci dans son plaidoyer final sans avoir présenté cette opinion en preuve lors de l'audience devant le comité d'arbitrage. Le Comité externe a rejeté cet argument en concluant que, même s'il y avait bien eu manquement au principe de l'équité procédurale, ce manquement n'aurait pas changé l'issue de l'audience.

Finalement, les gendarmes ont soutenu que leur peine était disproportionnée. Le Comité externe a aussi rejeté cet argument. Il a fait preuve d'une retenue considérable à l'endroit du comité d'arbitrage qui, à son avis, avait accordé une importance appropriée aux mesures disciplinaires antérieures, et reconnu que l'ordre de démissionner était compatible avec les sanctions imposées dans d'autres affaires semblables. Le Comité externe a recommandé au commissaire de rejeter l'appel des gendarmes.

Le commissaire a passé en revue les conclusions et les recommandations du Comité externe. Il était d'accord avec les conclusions relatives au parti pris, refusant l'argument suivant lequel les membres du comité d'arbitrage n'étaient pas impartiaux parce que l'officier compétent avait un grade supérieur aux leurs. Il s'est fondé sur la jurisprudence énonçant que le processus disciplinaire de la GRC était suffisamment indépendant pour être conforme aux exigences de la justice naturelle.

Quant au manquement l'équité procédurale et aux observations faites par le représentant de l'officier compétent devant le comité d'arbitrage, le commissaire a statué que le représentant peut en toute légitimité conseiller le comité d'arbitrage sur la sanction recherchée. Cependant, il ne peut pas marteler ce point ou exprimer des opinions personnelles. Le commissaire a convenu néanmoins avec le Comité externe qu'il n'y avait pas lieu de faire droit à l'appel pour cette raison, car elle n'aurait pas changé l'issue de la décision.

En ce qui concerne la sévérité de la peine, le commissaire a déclaré qu'il n'était pas lié par les décisions des comités d'arbitrage en matière disciplinaire. Les gendarmes n'étaient pas congédiés en l'occurrence simplement à cause de leur utilisation inappropriée du système informatique mobile de la GRC, mais plutôt en raison de la teneur vulgaire, raciste, sexiste et méprisante des messages. Le commissaire a précisé que les gendarmes avaient répudié leur contrat d'emploi et leur a enjoint de démissionner de la GRC. Les gendarmes ont alors interjeté appel à la Cour fédérale du Canada.

La Cour fédérale s'est attardée tout d'abord à la norme de contrôle. Elle a déterminé que la norme applicable était celle de la décision manifestement déraisonnable, qui permet la plus grande retenue à l'égard de l'instance décisionnelle contestée. Elle a conclu que le commissaire possédait une plus grande expertise que la sienne en ce qui a trait aux tâches des policiers et que la Loi sur la Gendarmerie royale du Canada avait confié au commissaire la responsabilité première de décider des peines infliger aux membres de la GRC. Par conséquent, ses décisions doivent bénéficier d'une grande retenue.

La Cour a ensuite examiné la question du parti pris. Elle s'est demandé si les membres du comité d'arbitrage étaient susceptibles de subir l'influence des dirigeants de la GRC à cause de la disparité des grades. Elle a conclu que l'argument fondé sur le manque de partialité n'était pas valable. En effet, les membres du comité d'arbitrage sont des officiers qui ont prêté serment de s'acquitter de leurs fonctions en toute impartialité et n'avaient pas participé à l'instruction de l'affaire. La Cour a aussi évalué le rôle de l'officier compétent dans le processus et conclu qu'il était semblable à celui du procureur général dans une poursuite pénale : l'officier représente tout simplement la direction de la GRC et n'intervient pas en son nom personnel. Finalement, la Cour a jugé que les gendarmes avaient renoncé leur droit d'invoquer le parti pris parce qu'ils n'avaient pas soulevé d'objection sur-le-champ à l'audience, après avoir appris l'identité de l'officier compétent.

La Cour s'est penchée ensuite sur la question de l'équité procédurale. Elle a statué que les commentaires de l'officier compétent étaient déplacés et qu'il y avait eu un manquement flagrant au principe d'équité. Elle a reconnu que l'officier compétent avait eu la possibilité de présenter elle-même des preuves, de contre-interroger les témoins et de faire des observations à l'audience, mais qu'elle avait choisi de participer par l'intermédiaire d'un représentant, qu'elle n'avait pas témoigné et ne pouvait pas être contre-interrogée. La Cour a indiqué que cette façon de procéder était des plus injuste envers les policiers. Par conséquent, elle a réexaminé la crainte raisonnable de partialité et conclu que les membres du comité d'arbitrage avaient été informés que l'officier compétent croyait personnellement que les deux gendarmes ne pouvaient être réhabilités et qu'elle ne leur faisait plus confiance. C'était un peu comme si un procureur de la Couronne avisait la Cour que le procureur général lui-même estimait qu'un accusé devait être puni d'une telle façon, d'après la gravité de l'infraction. La Cour fédérale a conclu que cette situation était inacceptable. Dans une institution hiérarchisée et structurée comme la GRC, où le respect des supérieurs peut influer en bout de ligne sur une carrière, une personne raisonnable et bien informée pourrait raisonnablement craindre à un manque de partialité, car elle pourrait croire que les membres du comité d'arbitrage vont déférer au point de vue personnel de l'officier compétent.

La Cour fédérale a reconnu que la décision du comité d'arbitrage aurait pu être différente s'il n'avait pas été informé de l'opinion personnelle de l'officier compétent. Les deux gendarmes avaient été cités pour service méritoire dans le passé et les évaluations de leur rendement, sans être extraordinaires, n'étaient pas particulièrement négatives non plus. Le comité d'arbitrage aurait pu recourir à des sanctions moindres : la mutation à un autre détachement et la prise de mesures pour empêcher que les deux gendarmes travaillent ensemble. Cependant, les membres du comité d'arbitrage ont peut-être rejeté ces options parce que l'officier compétent était d'avis que les carrières des gendarmes étaient irrécupérables. La Cour a conclu que ce manquement à l'équité procédurale invalidera une décision dans presque tous les cas, sauf les plus exceptionnels. Elle a ordonné que la décision du commissaire soit annulée et qu'un nouveau comité d'arbitrage soit saisi de l'affaire. Aucun appel de la décision n'a été déposé la Cour d'appel fédérale.

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