Articles d'intérêt - Proceder communication

Procéder ou non à la communication? Un équilibre à maintenir entre le principe de la publicité des débats judiciaires et le droit à la vie privée

par Caroline Verner, avocate
juillet 2011


Le Comité externe d'examen de la Gendarmerie royale du Canada (CEE) tient à faire preuve de transparence et, à cette fin, il publie des résumés de ses conclusions et recommandations (C et R) sur son site Web. Le texte complet de chacune des C et R est disponible sur demande dans les deux langues officielles. Diverses questions peuvent se présenter dans les C et R du CEE sur les griefs, les cas de mesures disciplinaires ainsi que les cas de renvoi et de rétrogradation. Chacune de ces catégories soulève des questions distinctes en matière de vie privée étant donné que les dispositions législatives applicables varient de l'une à l'autre. La facilité d'accès aux décisions sur Internet suscite de nouvelles préoccupations en matière de vie privée dont doivent tenir compte les cours et les tribunaux administratifs, comme le CEE. Le présent article décrit la politique et l'approche qu'utilise le CEE lorsqu'il communique ses C et R aux membres de la GRC, aux médias et au public.

Depuis longtemps, le CEE communique une version dépersonnalisée de ses C et R sur demande. Cette façon de procéder s'applique aux trois catégories susmentionnées (griefs, cas de mesures disciplinaires ainsi que cas de renvoi et de rétrogradation). Pour dépersonnaliser les dossiers, le CEE supprime habituellement les noms du requérant et du répondant, les noms de toute autre personne en cause dans le grief (les témoins, le conjoint du requérant, etc.) ainsi que les renseignements qui pourraient permettre de les identifier, comme le matricule du requérant, le détachement où il travaille et les renseignements concernant les missions de l'ONU, le cas échéant. Dans certains dossiers, le titre du répondant est également supprimé de façon à ne pas dévoiler l'endroit où le grief a été présenté.

Principe de la publicité des débats judiciaires

Le principe de la publicité des débats judiciaires est un aspect essentiel de notre système juridique. De façon générale, ce principe requiert que les procédures judiciaires soient ouvertes au public, et que les médias y aient habituellement accès aux fins de publication. Les renseignements publiés par les médias favorisent la rétroaction et les débats chez les citoyens, ce qui renforce l'obligation des institutions gouvernementales de rendre des comptes. La légitimité du principe de justice en dépend; il en va de l'équité des procès et des audiences ainsi que de la confiance du public à l'égard des systèmes.

Il est généralement admis que les procédures judiciaires portent nécessairement atteinte à la vie privée, mais comme l'a dit le juge Dickson : « Il est aujourd'hui bien établi cependant que le secret est l'exception et que la publicité est la règle » (Nova Scotia c. MacIntyre, [1982] 1 R.C.S. 175). La publicité des débats judiciaires renforce la confiance des citoyens dans l'intégrité du système judiciaire et les aide à mieux comprendre l'administration de la justice. Opposés à l'intégrité même du système judiciaire, les droits des personnes à la vie privée ne pèsent pas lourd.

Comme l'a dit la Cour suprême du Canada dans Ontario (Sûreté et Sécurité publique) c. Criminal Lawyers Association, [2010], l'accès à l'information n'est pas un droit garanti par la Charte canadienne des droits et libertés (la Charte). Toutefois, compte tenu du droit à la liberté d'expression garanti par l'alinéa 2b) de la Charte, l'accès à l'information est un droit dérivé qui peut intervenir lorsqu'il constitue une condition qui doit nécessairement être réalisée pour qu'il soit possible de s'exprimer de manière significative sur le fonctionnement du gouvernement.

Pour ce qui est des tribunaux administratifs comme le CEE, il y a conflit entre le principe de la publicité des débats judiciaires et la Loi sur la protection des renseignements personnels. Les tribunaux administratifs, contrairement aux tribunaux judiciaires, sont des institutions fédérales assujetties à la Loi sur la protection des renseignements personnels et sont tenus de protéger certains renseignements personnels. Ils doivent donc s'efforcer de trouver un équilibre entre le droit du public à la transparence, issu du principe de la publicité des débats judiciaires, et le droit d'une personne à la vie privée. Aucun des deux ne doit l'emporter sur l'autre. Dans cette recherche d'équilibre, le poids accordé au droit à la vie privée varie selon l'importance des questions en cause (par ex. : il est plus intrusif de communiquer le dossier médical d'une personne que son identité). Par ailleurs, il faut tenir compte de l'importance des raisons d'intérêt public justifiant la communication des renseignements. À titre d'exemple, du point de vue de la protection de la société, il est plus important de communiquer des renseignements portant sur des fautes médicales que de communiquer l'identité des parties à un litige entre un locateur et un locataire. Enfin, il faut considérer la possibilité d'utiliser d'autres moyens pour communiquer l'information, p. ex., en supprimant certains passages d'un document plutôt qu'en refusant de le communiquer dans son intégralité.

Lois et politiques

Selon l'article 3 de la Loi sur la protection des renseignements personnels, les « renseignements personnels » sont des renseignements qui, quels que soient leur forme et leur support, concernent un individu identifiable, notamment :

Toutefois, pour l'application de la Loi sur la protection des renseignements personnels et de la Loi sur l'accès à l'information, les renseignements personnels ne comprennent pas les renseignements concernant :

L'article 7 de la Loi sur la protection des renseignements personnels prévoit qu'à défaut du consentement de l'individu concerné, les renseignements personnels relevant d'une institution fédérale ne peuvent servir qu'aux fins auxquelles ils ont été recueillis ou aux fins auxquelles ils peuvent être communiqués en vertu du paragraphe 8(2). Plus précisément, l'alinéa 8(2)a) et le sous-alinéa 8(2)m)(i) prévoient que la communication des renseignements personnels est autorisée lorsqu'elle est effectuée aux fins auxquelles les renseignements ont été recueillis et lorsque des raisons d'intérêt public l'emportent sur le droit à la vie privée.

Protocole

Pour rédiger des C et R qui respectent la vie privée des personnes, le CEE s'appuie notamment sur le document du Conseil canadien de la magistrature (CCM) intitulé « L'usage de renseignements personnels dans les jugements et protocole recommandé » (le protocole du CCM). Ce protocole a été adopté par le Forum pour les présidents des tribunaux administratifs fédéraux (FPTAF) dont fait partie le CEE. Le CEE s'appuie également sur l'énoncé adopté par le FPTAF visant à encourager le plus possible, parmi les tribunaux administratifs adhérant au principe de la publicité des débats judiciaires, le recours à une approche uniforme quant à l'utilisation de renseignements personnels dans leurs décisions et quant à l'affichage de décisions sur des sites Web.

Le FPTAF reconnaît de plus que le « protocole d'exclusion des robots informatiques », qui est respecté par les moteurs de recherche couramment utilisés sur Internet pour restreindre l'indexage général de documents spécialement identifiés et affichés sur les sites Web, est un moyen technique acceptable pour assurer une protection équitable des renseignements personnels contenus dans les décisions que les tribunaux administratifs affichent sur leurs sites Web.

Le protocole du CCM prévoit que, mis à part le nom d'une personne, les autres données personnelles comme le jour et le mois de naissance, le numéro d'assurance sociale, les numéros de cartes de crédit et les numéros de comptes financiers ne devraient pas figurer dans les motifs des décisions. Il indique également que les autres renseignements personnels susceptibles de permettre l'identification d'une personne ne devraient pas être communiqués si une interdiction de publication prévue par la loi ou la common law s'applique afin de protéger un tiers. En outre, le protocole du CCM prévoit que la possibilité que les habitants d'une région puissent découvrir l'identité de la personne en cause à partir des renseignements de fait précis ne devrait pas l'emporter sur la nécessité de rendre une décision cohérente et judicieuse dans l'intérêt public. Ces renseignements comprennent la date de naissance, le sexe, le district, la province et le pays de naissance et de résidence, la situation professionnelle, l'emploi et les affiliations politiques. Par ailleurs, le CCM déconseille la divulgation d'autres renseignements personnels dans les cas où leur diffusion pourrait causer un préjudice à des innocents ou nuire à l'intérêt de la justice.

La Loi sur la GRC prévoit que les audiences relatives aux griefs se tiennent à huis clos. Le Manuel d'administration de la Gendarmerie (griefs) reconnaît lui aussi la présomption de confidentialité du processus, car il prévoit que les griefs sont confidentiels à moins que le requérant consente à la communication des renseignements personnels qui le concernent.

De plus, il faut tenir compte de la catégorie de C et R visée étant donné quel les appels en matière de mesures disciplinaires s'inscrivent dans un contexte juridique particulier depuis que la Cour suprême du Canada a rendu l'arrêt Southam Inc. c. Canada (Procureur général) [1997] O.J. no 4533. Dans cet arrêt, la Cour suprême a statué que le paragraphe 45.1(14) de la Loi sur la GRC, qui prévoit que les audiences se tiennent à huis clos, était inconstitutionnel. Comme les audiences en matière de discipline sont maintenant réputées être des audiences publiques, le sous-alinéa 8(2)m)(i) de la Loi sur la protection des renseignements personnels pourrait s'appliquer lorsque le CEE publie ses C et R relatives à des appels en matière de mesures disciplinaires. Cela signifie que la totalité des C et R relatives aux appels en matière de mesures disciplinaires pourraient être communiquées et publiées en toute légalité. Toutefois, comme il est indiqué ci-dessus, le CEE a adopté le protocole du CCM, qui protège les renseignements permettant d'identifier une personne.

Conclusion

Comme il a été mentionné précédemment, les procédures de griefs concernant les membres de la GRC se tiennent à huis clos et sont traitées de façon confidentielle. Conformément à la Loi sur la protection des renseignements personnels et au protocole du CCM, une version dépersonnalisée des griefs est fournie sur demande. Bien que les dossiers de mesures disciplinaires soient accessibles au public, certains renseignements y figurant sont eux aussi supprimés conformément au protocole du CCM.

L'accès du public aux motifs des décisions est un aspect important du principe de la publicité des débats judiciaires, car cela permet de montrer que justice a été rendue. Le CEE peut se conformer de façon satisfaisante à la législation en matière de vie privée et remplir ses objectifs de transparence en communiquant des motifs dépersonnalisés.

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